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IVè Internationale - Page 11

  • La terrifiante amnésie d’Obama et de Hollande (A l'Encontre)

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    Nous publions ci-dessous la feuille distribuée par le Mouvement pour le socialisme (MPS) à l’occasion de la conférence donnée, le 24 novembre 2015 à l’Université de Genève, par Garance Le Caisne, auteure de Opération César. Au cœur de la machine de mort syrienne (Stock, 2015). Cette conférence est organisée par le Groupe Syrie Amnesty UNIGE et l’Association FemmeS pour la démocratie.

    L’enquête – Opération César – revient sur le rapport de ce photographe de la police militaire syrienne qui a fourni à l’opposition syrienne 45’000 clichés de corps détenus provenant d’une vingtaine de centres de détention à Damas. Pour réaliser cet ouvrage Garance Le Caisne a rencontré César et des rescapés de la machine de mort de la dictature. Ce dossier sert aussi de solide preuve pour les procès engagés contre Bachar el-Assad pour «crimes contre l’humanité». Un engagement qu’avait pris le gouvernement Hollande et qui est «oublié» aujourd’hui. Comme si les crimes de Daech à Paris et la «guerre» du néo-général Hollande devaient aboutir à faire silence sur ceux du régime des Assad. Est-il possible, y compris pratiquement, de «construire une transition politique et démocratique» avec celui qui a détruit un pays et écharpé sa population? Les opérations guerrières s’accompagnent toujours de déclarations officielles dont la validité n’est étayée que par un esprit et une pratique «d’état d’urgence». (Rédaction A l’Encontre)

    Si divers signes l’annonçaient depuis des mois, ces dernières semaines un tournant s’est opéré, clairement, dans la politique des puissances impérialistes envers Bachar el-Assad. Au-delà de divergences, propres à la tentative de redéfinir leur «présence» dans le chaotique Moyen-Orient, un accord se construit sur le maintien de Bachar el-Assad lors d’une dite transition politique en Syrie. Même si des approches différentes sur la voie à choisir existent, encore, entre Obama et Hollande.

    Dès lors, une priorité unilatérale est donnée par les gouvernements de France, du Royaume-Uni, des Etats-Unis (et d’autres) au combat contre la force barbare et terroriste de Daech (dit Etat islamique). La Russie de Poutine et l’Iran de l’ayatollah Ali Khamenei ainsi que du président Hassan Rohani sont à l’œuvre depuis longtemps pour soutenir la dictature des Assad et de ses mafias. Cela aussi bien en fournissant des troupes («Gardiens de la révolution» islamique), qu’en sponsorisant les milices chiites du Hezbollah libanais, et en livrant des armes diverses (la Russie en tête). Tout cela ne peut qu’alimenter l’adhésion à une opposition «djihadiste» de la part jeunes membres de secteurs majoritaires la population syrienne (en exil ou encore dans le pays) qui ressentent et vivent les multiples formes de la dictature – de plus en plus monstrueuse – de Bachar comme étant exercée par une «minorité religieuse», les alouites.

    Depuis le 30 septembre 2015, au nom de la lutte contre Daech, les chasseurs russes bombardent surtout les positions des diverses forces qui combattent la dictature et luttent contre Daech. Autrement dit, Poutine vise: à renforcer la position de la Russie dans cette partie de la Méditerranée (port de Tartous dans la région la plus contrôlée par le régime de Bachar el-Assad), à projeter l’impérialisme russe dans cette aire marquée par les désastres humains et politiques qui découlèrent de l’intervention des Etats-Unis en Irak en 2003. Ce faisant, le Kremlin remet en selle Bachar.

    En outre, le pouvoir poutinien trouve ainsi une carte pour négocier, dès fin janvier 2016, la levée des sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis contre la Russie, suite à l’annexion de la Crimée et à son soutien aux «indépendantistes du Donbass» ukrainiens qui s’affrontent à l’oligarchie représentée par Porochenko. Un conflit armé entre brigands des deux bords dont la très large majorité des populations paie un prix énorme.

    La mollahrchie iranienne et la Russie, comme le confirme la visite de Poutine à Téhéran le 23 novembre, font ensemble des «affaires». Moscou vend des missiles sophistiqués et des centrales nucléaires à Téhéran. Et ils se coalisent pour assurer leurs intérêts régionaux mutuels. Poutine ne se réjouit peut-être pas de la relance future de l’exportation de pétrole iranien qui ne poussera pas le prix du baril de pétrole à la hausse. Mais ce désavantage est secondaire et pas immédiat. Et Poutine peut faire bénir ses avions et ses navires de guerre par le patriarche de l’Eglise orthodoxe afin de mener «une guerre sainte» contre les «ennemis d’Assad». De quoi nourrir d’une enveloppe «religieuse» une opération militaire et politique! Et de quoi, en miroir, valider la dimension apocalyptique prônée par Daech.

    Avec en arrière-fond la permanence de la structure du régime des Assad, il ne faut pas oublier qu’au nom d’une «transition démocratique» en Syrie et d’une «stabilité» régionale aussi bien la Maison-Blanche que le Kremlin appuient la dictature de l’ex-maréchal Abdel Fattah al-Sissi en Eygpte. Un militaire-président qui fait taire, par la répression violente et des massacres, toute opposition. Quant aux Etats-Unis et à la France, ils arment le Royaume des Saoud classé parmi les ennemis les plus décidés des droits démocratiques et nourrissant institutionnellement un islamisme hyper-réactionnaire: le fondamentalisme wahhabiste.

    Protéger leurs intérêts en appuyant les dictateurs

    Pour cette nouvelle «coalition internationale» qui prend forme le seul ennemi est Daech. Cela fait le jeu du régime dictatorial des Assad. Passe donc par pertes et profits le sort réel d’une population épuisée, déchirée et emportée dans une gigantesque vague de réfugié·e·s internes et externes. La raison de fond pour «l’Occident» est bien résumée dans la revue états-unienne Foreign Policy, en date du 20 novembre 2015: «Cette nouvelle phase considère que les terroristes sont des acteurs non étatiques et adoptera la perspective que si nous avons un système international construit autour d’Etats forts souverains – quelles que soient leur brutalité ou leur indifférence envers les droits humains – la vie (sic) deviendra beaucoup plus difficile pour les groupes armés non étatiques.» Laissons de côté le cynisme de cette affirmation. En fait, il n’y a rien de nouveau, sur le fond, dans l’appui donné par les dominants des Etats-Unis, de l’URSS passée ou de la Russie d’aujourd’hui – ou encore de la France: Sarkozy invitait à la tribune le 14 juillet 2008 Bachar el-Assad et soutenait Ben Ali en Tunisie – à des régimes dictatoriaux ou autoritaires, sans même parler de leur installation aux manettes gouvernementales.

    Revenons à la Syrie: les chabiha – les milices mafieuses du régime Assad– qui sont-ils? Rien d’autre, aujourd’hui, que des groupes terroristes semi-non étatiques qui terrorisent y compris la population des zones contrôlées par Assad. Et quand bien même la police militaire de Bachar – entre autres les moukhabarat – sera d’ordre étatique, en quoi leur barbarie serait-elle différente de celle de Daech? Pire, ils obéissent aux ordres d’un tyran qui planifie, avec une minutie analogue au régime nazi ou stalinien, les tortures et exécutions.

    Assassiner et torturer plus de 300’000 personnes voilà la méthode du régime Assad pour, prétendument, lutter contre «les terroristes». Car, dès mars 2011, tous les opposant·e·s ont été qualifiés de «terroristes», donc «d’acteurs non étatiques», par la dictature au pouvoir. Une dictature qui n’a cessé d’utiliser les «fondamentalistes islamistes», puis Daech pour tenter de briser tous ceux qu’elle caractérise de «terroristes».

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    Une amnésie criminelle: «César» est effacé

    Le gouvernement Hollande a-t-il oublié qu’une «enquête pénale pour “crimes de guerre” a été ouverte en France visant le régime de Bachar el-Assad, pour des exactions commises en Syrie entre 2011 et 2013»? (Le Huffington Post, 30 septembre 2015 et l’AFP) La rédaction de cette publication, membre du groupe Le Monde, continue ainsi son explication: «L’enquête se base notamment sur le témoignage de « César », un ex-photographe de la police militaire syrienne qui s’était enfui de Syrie en juillet 2013, en emportant 55’000 photographies effroyables de corps torturés. Mercredi matin, une source judiciaire a précisé que l’enquête était ouverte pour “crimes contre l’humanité” et non “crimes de guerre”… La qualification de crimes contre l’humanité vise des faits d’enlèvements et de tortures commis par le régime syrien. […] Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a invoqué mardi “la responsabilité d’agir contre l’impunité” à propos de l’ouverture de cette enquête. “Il est de notre responsabilité d’agir contre l’impunité”, a déclaré Laurent Fabius qui se trouve à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies [26 septembre–1er octobre 2015], en dénonçant des “crimes qui heurtent la conscience humaine”.[…] Lors d’une conférence de presse à Paris en mars 2014, plusieurs photos d’une cruauté insoutenable, provenant d’une carte-mémoire emportée par “César”, avaient été projetées. […] L’annonce de cette enquête intervient alors que la crise syrienne est au centre de l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Mardi, le président américain Barack Obama a insisté sur le départ du président syrien Bachar el-Assad pour vaincre les jihadistes de l’Etat islamique alors que la Russie insiste au contraire pour le maintenir au pouvoir. De son côté, le président François Hollande a affirmé lundi à l’ONU qu’“on ne peut pas faire travailler ensemble les victimes et le bourreau”, excluant ainsi Bachar el-Assad d’une solution politique au conflit.» (Idem)

    Mais, la «realpolitik» du gouvernement «socialiste» Hollande-Valls l’a conduit à renoncer, une fois de plus, à leurs «promesses», à leurs «principes», logés dans une rhétorique de faussaire. Elle prend, aujourd’hui, les accents d’un «chef de guerre» dont toute l’action fait le lit de l’extrême droite (Front national de Marine Le Pen) et aboutit à la stigmatisation des musulmans.

    Un reniement qui renvoie au refus du pouvoir français – parmi d’autres – d’aider matériellement la résistance populaire syrienne en lui fournissant les armes nécessaires pour se défendre contre les tirs des chars blindés d’Assad et les hélicoptères et avions larguant des barils de TNT (explosif).

    La «coalition internationale contre Daech» bombarde Raqqa, la «capitale de Daech». Sans «dommages collatéraux», pour utiliser le vocabulaire des états-majors? Hala Kodmani, une journaliste syrienne étroitement liée aux réseaux résistants, a démontré combien la population subissait aussi ces attaques (voir son article publié sur le site alencontre.org en date du 19 novembre 2015).

    Il n’y aura pas de lutte effective contre Daech sans donner la priorité à l’appui aux forces populaires syriennes. Donc sans une lutte conjointe, pour une «paix juste et un régime démocratique», contre le régime Assad. Sans faire le procès aussi bien des terroristes de Daech que celui, promis, d’Assad, car «on ne peut faire travailler ensemble les victimes et le bourreau». (MPS, 23 novembre 2015)

    Publié par Alencontre le 24 - novembre - 2015
     
  • Algérie. «On se dirige vers une logique d’esclavagisme moderne» (Al'Encontre.ch)

    Mahmoud Rechidi

    Mahmoud Rechidi

    Entretien avec Mahmoud Rechidi, secrétaire général du PST

    Le ministre de la Communication [Hamid Girne], muni d’un passeport diplomatique, a été fouillé à Orly, dans les locaux de la PAF (Police de l’air et des frontières) française [le 19 octobre 2015]. Est-ce un «regrettable incident» ou une humiliation pour l’Algérie ?

    Cette affaire nous renvoie au rapport de domination dans lequel le système nous a enfoncés. Quand un ministre algérien se fait humilier de la sorte, cela renseigne sur la soumission de l’Algérie. Mais cela s’explique: quand nos aéroports et l’eau qui coule dans nos robinets sont gérés par des entreprises françaises [par exemple, le groupe Suez], nos ports par Dubaï [Dubaï Ports World pour Alger et Djen Djen ainsi que le singapourien Portek International pour Bejaia], que reste-t-il de notre indépendance?

    Il y a quarante ans, jamais un tel incident n’aurait eu lieu, car l’Algérie de l’époque voulait annihiler ce rapport de soumission. Bien entendu, nous condamnons un tel acte, non pas pour soutenir le ministre, mais pour défendre notre aspiration toujours vivace à l’indépendance, au respect et à la dignité de notre pays.

    L’Etat met en place un organe de surveillance d’internet, ferme El Watan TV, emprisonne des généraux [la purge des généraux sous Abdelaziz Bouteflika a, comme dernier exemple, l’arrestation du général Hocine Benhadid, le 20 septembre]. Veut-il mettre au pas les Algériens ?

    C’est ce que veulent nous faire croire les médias et certains commentateurs politiques. Nous ne rejoignons pas cette analyse. La seule peur du pouvoir est l’embrasement du front social, car c’est la seule réalité sur laquelle il n’a pas d’emprise. Le reste n’est que gesticulations entre les clans du pouvoir. MM. Benhadid ou Hassan sont des généraux qui avaient un pouvoir certain au sein du système que l’on nous présente comme des victimes.

    Si nous sommes par principe contre les arrestations arbitraires, nous ne le sommes pas uniquement pour celles touchant des généraux. Nous n’oublions pas les syndicalistes, les jeunes chômeurs, les manifestants des droits sociaux, victimes également d’arrestations arbitraires, abandonnés dans les prisons sans que les médias se soucient de leur sort.

    Dans le même registre, les derniers propos d’Ahmed Ouyahia, chef de cabinet du président Bouteflika et secrétaire général du RND (Rassemblement national démocratique), sont très clairs…

    Ouyahia joue l’intimidation. Cela annonce effectivement un tour de vis supplémentaire, alors que la situation actuelle est déjà marquée par des dispositions entravant les libertés démocratiques.

    Pour preuve: le droit de manifester est interdit, les médias publics sont interdits à l’opposition, le droit de grève est menacé, la nouvelle loi sur les associations freine l’action citoyenne… autant de signes d’un verrouillage de la scène sociale et politique. Actuellement, on assiste à l’aggravation de la situation dans un contexte particulier, prélude à de nouvelles dispositions économiques, sociales décidées par le gouvernement. D’un autre côté, il faut remettre dans le contexte de lutte de clans les propos de l’ancien Premier ministre. M. Ouyahia [secrétaire actuel, par intérim depuis juin 2015, du RND, qu’il avait présidé de 1998 à 2013; le RND est un des piliers du pouvoir gouvernemental] m’apparaît dans une logique de surenchère dans l’allégeance à un clan pour se positionner dans l’optique de futurs changements.

    Les partis de l’opposition sont accusés de vouloir déstabiliser le pays. Pour vous, le pouvoir convoque-t-il le mythe de la désunion faute de projet politique?

    Je ne sais pas à quels partis de l’opposition M. Ouyahia fait référence, d’autant que la majorité d’entre eux sont sur la ligne défendue par le pouvoir. Ces partis veulent mettre fin aux «grèves sauvages», alors que les travailleurs n’ont que ce seul moyen pour faire plier le pouvoir, c’est écrit noir sur blanc dans leur plateforme.

    Quand Ali Benflis [ancien ministre de la Justice, opposé en 1991 à l’interruption du processus électoral, il revient sur la scène péolitique en 1997, soutient A.Buteflika, puis s’y oppose et est candidat à la présidentielle en 2004 et 2014] affirme que le régime n’est pas légitime pour mener les réformes, il sous-entend être plus légitime pour le faire.

    C’est pourquoi nous avons toujours affirmé que les partis politiques, qualifiés par les médias d’«opposition», sont sur une ligne plus ultralibérale que celle de Bouteflika et ses amis, car aucun de ses partis n’est adossé au front social.

    Comment être accusé de vouloir déstabiliser le pays, quand les partis n’ont pas droit à la parole, pas le droit de manifester, de s’organiser? En réalité, toutes ces accusations sont destinées à cacher l’impasse dans laquelle le pouvoir se trouve, conséquence de ses choix économiques.

    On prête à Bouteflika le projet d’instauration d’un Etat civil. Réussir ce que Abane Ramdane [un des fiigures historiques du FLN, assassiné en 1957 dans un contexte d’affrontement au sein du Front] a voulu mettre en place lors du Congrès de la Soummam [août 1956]…

    C’est le secrétaire général du FLN, Amar Saadani, qui en a parlé le premier. Malheureusement, venant de lui, cela n’a aucune crédibilité. Ce discours des tenants du pouvoir s’adresse en premier lieu aux militaires, à qui on demande de faire de la place aux tenants de l’argent.

    Le principe de l’Etat civil dans lequel l’armée ne s’ingère pas dans les affaires politiques ne s’octroie ni par Saadani, ni par le Président.

    C’est un combat que l’on doit mener dans un pays où la Constitution ne découle pas de la volonté populaire. Nous militons, au PST, pour l’élection d’une Assemblée constituante souveraine, représentative de la majorité des Algériens et Algériennes, qui soumettrait au référendum populaire un projet de Constitution.

    Ce n’est qu’à partir de là que l’on pourra envisager la mise en place d’une IIe République, comme le réclament certains partis. Dans le même registre, nous pensons que la démarche de certains cache une bataille entre deux factions du pouvoir pour mettre la main sur les secteurs les plus juteux de l’économie nationale.

    La révision de la Constitution va se faire sans débat préalable. Les Algériens doivent-ils être associés à la nouvelle mouture?

    Evidemment que le peuple doit être associé à cette nouvelle révision et en contrôler le processus de débat à travers des comités locaux, de citoyens, de citoyennes…, afin que les résultats reflètent ses aspirations. La concertation dont nous réclamons la mise en place n’a, évidemment, rien à voir avec la démarche du pouvoir qui, sous le couvert de concertation avec des formations affiliées et des personnalités politiques, a mené une opération de marketing.

    ?Les «oligarques» sont-ils les nouveaux seigneurs en l’Algérie?

    C’est leur projet et ils avancent dans ce sens. Les oligarques ont fait fortune sur le dos du secteur public et veulent maintenant le détruire pour l’accaparer. En même temps, ils manœuvrent pour mettre la main sur les réserves de change et les secteurs juteux pour peser sur les décisions politiques.

    C’est l’indépendance de l’Algérie qui est menacée, si ce processus venait à se concrétiser. Pour faire face au danger, rien n’interdit ceux qui se proclament démocrates de constituer un large front pour exiger un minimum des libertés démocratiques.

    Comment jugez-vous la politique d’austérité décidée par le gouvernement?

    Cette politique va encore plomber le pouvoir d’achat des Algériens qui a déjà été massacré dans les années 1990 avec la mise en place du plan d’ajustement structurel, les licenciements, les privatisations, l’article 89 bis qui avait été imposé à l’époque pour faire baisser le SNMG (Salaire minimum national garanti, fixé, formellement, à 18’000 soit quelque 153 euros). La dernière augmentation des salaires ne correspond pas à un rattrapage du pouvoir d’achat du début des années 1990.

    Elle est minime par rapport à la cherté de la vie. Déjà en 2012, le PST militait pour un SNMG à 35’000 DA. A titre d’exemple, la Tunisie, qui n’a pas nos moyens financiers, a un SNMG équivalent à 35’000 DA.

    De plus, aujourd’hui, une campagne est menée par le gouvernement avec la bénédiction de certains médias contre les transferts sociaux, contre les subventions dont profiteraient, paraît-il, les plus riches. De qui se moque-t-on? Qui attend le matin devant les supérettes pour un sachet de lait à 25 DA ? Sûrement pas ceux qui peuvent acheter du Candia [lait français].

    Qui va se soigner dans les hôpitaux? Sûrement pas ceux qui ont des cartes de séjour et vont se soigner à l’étranger, en bénéficiant souvent de la couverture de la CNAS [Caisse nationale d’assurances sociales des travailleurs salariés].

    En réalité, le but de ce pouvoir est de faire baisser le coût du travail et les salaires pour les rendre plus compétitifs. Pour le faire imposer, ils verrouillent le champ politique et démocratique. On se dirige vers une logique d’esclavagisme moderne.

    Faut-il geler l’Accord avec l’UE et sortir de la Grande zone arabe de libre-échange?

    Aujourd’hui que le pouvoir reconnaît que ces accords nous ont fait perdre des dizaines de milliards par an, se pose la question du gel de notre adhésion à l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Si l’Algérie ne bloque pas cette adhésion, nous connaîtrons une situation de déséquilibre pire que celle vécue actuellement. Cela signera la fin de notre tissu industriel.

    On reproche aux formations politiques classées à gauche de continuer à militer à contre-courant face à la globalisation de l’économie… ?Pour nous, l’Etat doit continuer à prendre en charge la satisfaction des besoins sociaux des Algériens. Les biens produits doivent profiter à la population. Il n’y a que le secteur d’Etat qui soit en mesure de gérer, du point de vue stratégique, l’industrialisation du pays.

    Aujourd’hui, les patrons mènent campagne contre l’assainissement des entreprises publiques, alors qu’ils se sont enrichis grâce aux nombreux cadeaux du gouvernement. N’est-il pas temps de faire le bilan de tout ce que l’Etat leur a offert? De leur demander des comptes? Si nous ne sommes pas contre la présence du privé dans l’économie nationale, nous sommes opposés à la destruction du secteur public et au désengagement de l’Etat. (Entretien publié dans El Watan, le 8 novembre 2015)

    Publié par Alencontre le 8 - novembre - 2015
     
  • Maroc, le roi, capitaliste absolu (Anti-k)

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    Le gouvernement mène actuellement une large offensive : démantèlement du système de retraite, de la Caisse de compensation des prix, privatisation des services publics, refonte du code du travail et réduction des budgets sociaux…

    Le nombre des pauvres « absolus » a doublé en dix ans, atteignant officiellement 19 % de la population. La majorité des marocains vit avec moins de 3 euros par jour et survit avec un seul revenu. Des millions de personnes n’ont pas accès aux besoins les plus élémentaires d’éducation (68 % d’analphabètes), d’eau potable (57 % de la population y a accès), d’électricité, de soins (1 médecin pour 2 200 habitants, 1 % du PIB), de logements salubres.

    Le chômage affecte la jeunesse d’une manière massive. Les salariés de la fonction publique sont soumis au gel des salaires, l’extension des contrats précaires, la baisse des effectifs et la dégradation des conditions de travail. Dans leur grande majorité, les salariés du privé n’ont pas accès aux droits les plus élémentaires. Plus de 43 000 entreprises déclarent des salaires inférieurs au salaire minimum garanti. Les allocations familiales sont de 20 euros par mois. Plus de 7 millions de retraités touchent une pension maximale de 60 euros par mois. 7,4 millions de personnes sont sans retraite.

    Ce système de prédation organisée bénéficie au capital international mais aussi local. Le roi a le contrôle stratégique des institutions publiques, financières et économiques. Une des fonctions du secteur public est d’assurer l’accumulation privée de la famille régnante. Ainsi pour le domaine agricole, la pratique généralisée de la surfacturation et la sous-facturation permet le racket légal, la réduction des coûts de production, auxquels se combine un système de subventions et de commandes publiques taillés sur mesure. Et le recours à la Caisse de dépôt et de gestion pour « socialiser les pertes » des entreprises royales !

    Holding royale

    Le processus de privatisation, adossé au monopole du financement a permis l’émergence de monopoles privés liés aux intérêts de la famille royale. L’ONA/SNI (la holding de la famille royale) en est la colonne vertébrale : près du quart du PIB du Maroc, et 60 % de la capitalisation boursière ! Les lois budgétaires avalisent sans discussion l’entretien des palais et résidences (1 million d’euros par jour) et le budget royal (240 millions). Le monarque est le premier patron de l’agro-­industrie, le premier propriétaire, banquier et investisseur, avec cette particularité que l’État est au service d’un capitaliste privé…

    Ce système fonctionne parce qu’il s’appuie sur les lignées familiales historiques au service du makhzen, qui ont depuis lors intégré les couches supérieures de la bureaucratie civile et militaire et de la bourgeoisie de marché. Elles bénéficient d’un régime de faveur.

    Ainsi, la réduction des impôts sur les grandes entreprises et hauts revenus a entraîné depuis 2007 un manque à gagner de 3 milliards de dirhams. Les vagues d’exonération/amnistie fiscale, en particulier dans le foncier et l’immobilier, ont généré une perte sèche de recettes de plus de 36 milliards. 431 milliards entre 2000 et 2009, et plus de 220 milliards pour la seule année 2011, ont été expatriés.

    Des prébendes de divers ordres, sous formes d’agréments ou d’accès à des marchés, sont octroyées par le régime et peuvent être relevées par lui. Le droit à un statut donné dépend du degré d’allégeance et de fidélité. Une grande partie des dirigeants de groupes économiques privés/­publics doit tout à la monarchie : leur statut d’entrepreneur par héritage, par cooptation ou nomination unilatérale. On doit aussi souligner le poids du secteur informel, en particulier dans les marchés de la contrebande et de la drogue qui bénéficient de la complicité des hauts sommets de l’État.

    Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que le « roi des pauvres »… apparaisse dans le magazine Forbes comme l’une des plus grandes fortunes mondiales.

    Chawqui Lotfi
    Hebdo L’Anticapitaliste – 309 (29/10/2015)

    https://npa2009.org/arguments/international/le-roi-capitaliste-absolu

    http://www.anti-k.org/2015/10/31/maroc-le-roi-capitaliste-absolu/

  • Nouveautés sur A l'Encontre.ch

    «La colonisation est la racine de la violence»

    25 - octobre - 2015

    Par Ilan Pappe Au milieu de ce qui est devenu connu en Israël sous le nom de l’«Intifada des couteaux» a eu lieu une scène inhabituelle qui se déroulait à Ramat Gan, où de nombreux habitants sont des Juifs irakiens. Une petite femme mince protégeait un homme gisant sur le sol qui avait été poursuivi […]

    Israël/Palestine. Le contexte des «événements» à Jérusalem

    24 - octobre - 2015

    Par Noam Sheizaf Le quotidien Haaretz, en date du 23 octobre, citait la déposition du major général Nitzan Alon qui soulignait qu’une des origines de la situation présente dans les territoires occupés avait ses racines dans «les violences des extrémistes de droite en Cisjordanie». Alon fait, évidemment, la différence entre la violence des colons extrémistes et […]

    Syrie-Russie. «Nouveaux colonialismes et crise des valeurs de la gauche»

    21 - octobre - 2015

     

    Par Raúl Zibechi La visite de Bachar el-Assad à Moscou n’a été révélée que mercredi 21 octobre au matin, par le porte-parole du Kremlin. «Hier soir, le président de la République arabe syrienne Bachar el-Assad est venu en visite de travail à Moscou», a annoncé Dmitri Peskov. Cette visite de Bachar el-Assad est le premier déplacement […]

  • La faute aux Palestiniens (CCR)

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    Quand Netanyahou dédouane Hitler de sa responsabilité dans la Shoah

    Dans son discours devant l’Assemblée du 37ème Congrès Sioniste, Netanyahou a réécrit l’histoire. Selon lui, Hitler ne voulait pas de l’extermination des juifs avant sa rencontre avec le mufti palestinien al-Husseini, qui l’aurait convaincu de « brûler les juifs », et donc inspiré la « solution finale »…
    Retour sur un révisionnisme utile au colon israélien.

    Pour l’augmentation de sa politique coloniale, raciste, de nettoyage ethnique, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou doit trouver des justifications théoriques, en puisant toujours plus loin dans le révisionnisme. D’abord, cet arrangement avec l’histoire est une outrance, et en quelque sorte une démonstration de la force et de l’impunité dont dispose le membre du Likoud. Celui-ci peut se permettre d’expliquer que le mufti de Jérusalem a conseillé à Hitler la solution des chambres à gaz, qui au départ ne voulait pas exterminer les juifs mais seulement les déporter. Ce n’est pas ce qui empêche Merkel de le recevoir juste après ses propos : celle-ci s’étant contentée de les nuancer quant à la responsabilité des nazis dans l’extermination de six millions de juifs.

    Ces propos ont néanmoins provoqué des réactions. De nombreux historiens ont pointé le mensonge évident que constituait cette version des faits. Il est connu qu’Hitler évoquait déjà « l’extermination de la race juive » à son discours du 30 janvier 1939 devant le Reichstag, que de nombreux juifs avaient déjà été exécutés avant novembre 41 (les 30.000 de Babi Yar en Ukraine par exemple), et que les tests de gazage avaient commencé en octobre 41, avant donc la rencontre Husseini-Hitler, qui aurait déterminé un changement dans la politique nazie selon Netanyahu.

    Cette théorie, s’appuyant sur les thèses du négationniste David Irving, tend à placer le mufti Haj Amin al-Husseini comme le précurseur, le principal responsable de la Shoah. S’il est établi que ce nationaliste palestinien était un antisémite extrême, effectivement partisan de la « solution finale » et qui recrutait des arabes pour les SS, il est considéré plutôt comme un « poids plume », mendiant l’aide d’Hitler pour débarrasser la Palestine du mandat britannique et empêcher la venue de juifs. Inverser les rôles relève de la même logique que les révisionnistes Soral et Dieudonné quand ils inversent les rôles dans le rapport entre Israël et Etats-Unis.Cela permet aussi de passer sous silence le rôle de certains grands patrons américains dans la diffusion des idées antisémites, comme Henry Ford, auteur du torchon antisémite Le Juif International au début des années 1920, et inspirateur d’Adolf Hitler pour le sociologue Michael Löwy.

    De même qu’il ne s’agit pas de nier qui était le réactionnaire mufti Husseini, nous ne nions pas non plus la présence de courants antisémites dans la culture arabe, plus ou moins importante selon les époques. Dans son livre « Les arabes et la Shoah », Gilbert Achcar examine les différents courants et idéologies qui ont traversé le « monde arabe », nuançant par le même coup les visions essentialistes de l’Orientalisme qui homogénéisent à outrance ce « monde arabe ». Cette étude minutieuse permet d’invalider la tendance à assimiler les « arabes » à l’antisémitisme, ce qui est un des piliers de l’argumentation israélienne pour justifier sa colonisation militaire : les palestiniens, les arabes, voudraient « l’anéantissement physique » des juifs et de leur Etat [1].

    Face au révisionnisme du Likoud, ou aux explications bourgeoises de la Shoah, nous réaffirmons que c’est bien le capital allemand qui est responsable, en ayant mis Hitler au pouvoir, avec l’assentiment des puissances impérialistes satisfaites de la solution trouvée pour écraser les organisations de la classe ouvrière dans les années 30. Ce sont ces mêmes puissances qui ont ensuite mis en place une politique coloniale après 47, avec la création de l’Etat d’Israël, en se servant justement de la Shoah pour justifier cette politique… Publié le 22 octobre 2015 G.Gorritxo

    [1] : pour approfondir cet aspect, nous conseillons les intéressantes notes de Julien Salingue sur le livre de G.Achcar : http://www.juliensalingue.fr/article-note-sur-les-arabes-et-la-shoah-de-gilbert-achcar-52285544.html

  • Syrie-Russie. «Nouveaux colonialismes et crise des valeurs de la gauche» (Al'Encontre.ch)

    Bachar el-Assad le 20 octobre au Kremlin rencontre Vladimir Poutine

    Bachar el-Assad le 20 octobre au Kremlin rencontre
    Vladimir Poutine

    La visite de Bachar el-Assad à Moscou n’a été révélée que mercredi 21 octobre au matin, par le porte-parole du Kremlin. «Hier soir, le président de la République arabe syrienne Bachar el-Assad est venu en visite de travail à Moscou», a annoncé Dmitri Peskov. Cette visite de Bachar el-Assad est le premier déplacement à l’étranger depuis 2011, date du soulèvement, en mars, du peuple de Syrie contre la dictature des Assad. Vladimir Poutine était entouré au Kremlin de son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, du premier ministre Dmitri Medvedev et de Nikolaï Patrouchev, ex-patron du FSB (services secrets) et secrétaire du Conseil de sécurité de Russie.

    Après les remerciements plus que protocolaires, Bachar el-Assad a exprimé sa «reconnaissance» à la Russie. Car cette dernière défend «son unité et de son indépendance. Le plus important, c’est que tout cela se fait dans le cadre de la législation internationale.» Bachar a souligné que «les pas politiques effectués par la Fédération de Russie depuis le début de la crise n’ont pas permis au terrorisme de se développer selon un scénario beaucoup plus tragique (…). Chacun comprend que les actions militaires supposent ensuite des étapes politiques.» Pour l’heure Poutine sauve plus Bachar de la débâcle qu’il n’écrase Daech. Les déclarations sur la «transition politique» servent de décors, actuellement. (Rédaction A l’Encontre)

    Lorsque la visibilité se restreint au minimum en raison de puissantes tempêtes qui obscurcissent la perception de la réalité, c’est peut-être une bonne chose d’élever le regard, d’escalader le versant afin de trouver des points d’observation plus vastes, pour discerner le contexte dans lequel nous nous mouvons. En ce moment, alors que le monde est traversé de multiples contradictions et intérêts, il est urgent d’aiguiser les sens afin de pouvoir observer plus loin, ainsi que vers l’intérieur.

    En des temps de confusion où l’éthique fait naufrage, où les points de repère élémentaires disparaissent et que s’installe quelque chose de semblable à un «tout se vaut» qui permet de soutenir n’importe quelle cause pour autant qu’elle s’oppose à l’ennemi principal, au-delà de toute considération de principes et de valeurs. Des raccourcis qui aboutissent à des impasses, tel celui qui revient à réunir Poutine et Lénine, pour prendre un exemple presque à la mode.

    L’intervention russe en Syrie est un acte néocolonial, qui place la Russie du même côté de l’histoire que les Etats-Unis, la France et l’Angleterre. Les colonialismes bons, émancipateurs, n’existent pas. On aura beau justifier l’intervention russe en utilisant l’argument qu’elle freine l’Etat islamique et l’offensive impériale dans la région, il n’en restera pas moins qu’il s’agit d’une action symétrique utilisant des méthodes identiques et des arguments semblables.

    La question que je considère centrale est la suivante: pourquoi entend-on des voix de la gauche latino-américaine en soutien à Poutine? Il est évident que nombreux sont ceux qui ont placé leurs espoirs en un monde meilleur dans l’intervention de grandes puissances comme la Chine et la Russie, avec l’espoir qu’elles freinent ou qu’elles défassent les puissances encore hégémoniques. Cela est compréhensible, eu égard aux méfaits commis par Washington dans notre région [Amérique du Sud]. Mais c’est une erreur stratégique et une déviation éthique.

    Je voudrais éclairer cette conjoncture, particulièrement critique, en faisant appel à un document historique: la lettre qu’Aimé Césaire a adressée, en octobre 1956, à Maurice Thorez (secrétaire général du Parti communiste français). Le texte a été écrit lors d’un zigzag de l’histoire, peu après le XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique au cours duquel les crimes du stalinisme furent dénoncés publiquement; soit le même mois que le soulèvement du peuple hongrois contre le régime bureaucratique pro-russe (qui se solda par plusieurs milliers de morts) et que de l’agression coloniale contre l’Egypte suite à la nationalisation du canal de Suez [en octobre Israël envahit la bande Gaza et le Sinaï et atteint la zone du canal; dès le 31 octobre la France et le Royaume-Uni bombardent les aérodromes de l’Egypte; début novembre des troupes françaises interviennent au sol; les Etats-Unis vsent à désamorcer la crise» et à avancer leurs pions; l’URSS soutient Nasser et construit une influence dans la région].

    Césaire quittait le parti (PCF) suite à un congrès honteux lors duquel la direction fut incapable de faire preuve de la moindre autocritique face aux révélations de crimes que, dans les faits, elle soutenait. Il naquit à la Martinique, tout comme Frantz Fanon, dont il fut l’enseignant de secondaire. Il fut poète et fondateur du mouvement de la négritude dans les années 1930. En 1950, il écrivit un Discours sur le colonialisme qui eut un grand impact au sein des communautés noires. Sa lettre à Thorez fut, pour reprendre les mots d’Immanuel Wallerstein, «le document qui expliqua et exprima le mieux la distanciation entre le mouvement communiste mondial et les divers mouvements de libération nationale» (dans son introduction au Discours sur le colonialisme [publié dans l’édition espagnole de 2006 parue chez l’éditeur] Akal, p. 8). Il y a trois questions qui, dans sa lettre, éclairent la crise des valeurs de la gauche que nous traversons actuellement.

    • La première tient au manque de volonté de rompre avec le stalinisme. Césaire se révolte contre le relativisme éthique qui prétend conjurer les crimes du stalinisme «par quelque phrase mécanique». C’est en effet au moyen d’une phrase fétiche, répétée, qui affirme que Staline «commit des erreurs». Assassiner des milliers de personnes n’est pas une erreur, même si l’on tue au nom d’une cause supposée juste.

    La plus grande partie de la gauche ne fit pas un bilan sérieux, autocritique, du stalinisme qui, ainsi que cela a été écrit dans ces pages [dans le journal mexicain La Jornada], va bien au-delà de la figure de Staline. Ce qui a donné vie au stalinisme est un modèle de société centré sur l’Etat et sur le pouvoir d’une bureaucratie qui se transforme en bourgeoisie d’Etat, qui contrôle les moyens de production. On continue de miser sur un socialisme qui répète ce modèle vieux et caduc de centralisation des moyens de production.

    • La deuxième question est que la lutte des opprimés «ne peut pas être traitée comme une partie d’un ensemble plus important», affirme Césaire, car existe une «singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème». La lutte contre le racisme, ajoute-t-il, est d’une «tout autre nature que la lutte de l’ouvrier français contre le capitalisme français et ne saurait en aucune manière être considérée comme une partie, un fragment de cette lutte» [subordonné à cette dernière].

    Sur ce point, les luttes anticoloniales et antipatriarcales relèvent du même ordre. «Ces forces ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer.» Aujourd’hui encore nombreux sont ceux qui ne comprennent pas que les femmes ont besoin de leurs propres espaces, à l’instar de tous les peuples opprimés.

    Césaire affirme qu’il s’agit de ne «pas confondre alliance et subordination», une chose très fréquente lorsque les partis de gauche prétendent «assimiler» les revendications des différentes sections de ceux d’en bas en une cause unique, au moyen de la sacro-sainte unité qui ne fait rien d’autre qu’homogéniser les différences, installant de nouvelles oppressions.

    • La troisième question qu’éclaire la lettre de Césaire, d’une actualité qui provoque la colère, est en rapport avec l’universalisme. Plus exactement, avec la construction d’universaux qui ne soient pas eurocentristes, au sein desquels la totalité ne s’impose pas aux diversités. «Il y a deux manières de se perdre: par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’“universel”.»

    Nous sommes toujours loin de bâtir «un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers», ainsi que l’écrivait Césaire il y a soixante ans.

    Ceux qui misent sur des pouvoirs symétriques à ceux qui existent, excluant et hégémoniques, mais de gauche; ceux qui opposent aux bombes mauvaises des Yankees les bonnes bombes des Russes suivent le chemin tracé par le stalinisme faisant table rase du passé et des différences, au lieu d’œuvrer à quelque chose de différent, pour un monde qui contient d’autres mondes.

    (Traduction A L’Encontre, article publié le 16 octobre dans le quotidien mexicain La Jornada. L’intégralité de la lettre d’Aimé Césaire peut se lire ici. Sur les impérialismes et la Syrie, nous renvoyons aux deux textes publiés sur ce site en date du 16 octobre: Ni Daech, ni Assad, pour une paix juste et du 19 octobre: «Empêcher l’effondrement du régime Assad»)

    Publié par Alencontre le 21 - octobre - 2015Par Raúl Zibechi
     
  • Palestine. Aux côtés des Palestiniens, contre l’occupation (A l'Encontre.ch)

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    Par Julien Salingue

     Les grands médias et les analystes autoproclamés s’interrogent: comment comprendre la multiplication, ces derniers jours, des attaques menées par des Palestiniens en Cisjordanie, à Jérusalem et en Israël?

    Pourquoi le «calme précaire» a-t-il cédé le pas à un «regain de violences»? Le gouvernement israélien va-t-il pouvoir «reprendre le contrôle» de la situation?

    Ils «vivent» sous occupation

    Une fois de plus, l’intérêt est porté sur le conflit opposant Israël aux Palestiniens lorsque des Israéliens sont blessés ou tués. Comme si, entre deux attaques au couteau ou entre deux tirs de roquettes, les «violences» s’interrompaient. Comme si la mainmise israélienne sur les territoires palestiniens, l’occupation militaire et la colonisation n’étaient pas des violences. Comme si le blocus de Gaza était une mesure pacifique…

    Combien de fois faudra-t-il le rappeler, les Palestiniens vivent sous occupation depuis des décennies. Ils sont confrontés chaque jour à la politique discriminatoire, expansionniste et répressive de l’Etat d’Israël. Il n’y a pas de «processus de paix», mais un processus de colonisation maintenue, avec son cortège d’expulsions, de saisies de terres, de démolitions de maisons, d’arrestations des récalcitrants.

    En temps «normal», il ne s’écoule pas une semaine sans que des manifestations palestiniennes soient prises pour cibles par l’armée israélienne, sans que des habitants de Cisjordanie soient victimes d’exactions commises par les colons [1], sans que des dizaines de Palestiniens soient enlevés en pleine nuit ou au petit matin pour être incarcérés sans jugement dans des prisons militaires.

    Alors, à la question «Pourquoi ces violences de la part des Palestiniens», on a envie de répondre par une autre question: «Pourquoi pas?»

    Sois colonisé et tais-toi?!

    Comme le faisait en effet remarquer la journaliste israélienne Amira Hass dans une tribune parue le 6 octobre dernier dans Haaretz: «Les Palestiniens se battent pour leurs vies, [alors qu’]Israël se bat pour l’occupation.» Et de poursuivre: «Les jeunes Palestiniens ne se mettent pas à assassiner des juifs parce qu’ils sont juifs, mais parce que nous sommes leurs occupants, leurs tortionnaires, leurs geôliers, les voleurs de leur terre et de leur eau, les démolisseurs de leurs maisons, ceux qui les ont exilés, qui bloquent leur horizon. Les jeunes Palestiniens, vengeurs et désespérés, sont prêts à donner leur vie et à causer à leur famille une énorme douleur, parce que l’ennemi auquel ils font face leur prouve chaque jour que sa cruauté n’a pas de limites.» [L’article traduit a été publié sur le site A l’Encontre en date du 10 octobre 2015.]

    Quelles sont les perspectives offertes aux Palestiniens par ceux qui aujourd’hui critiquent leurs actions et exigent un «retour au calme»? Aucune, sinon la perpétuation d’un système de domination et d’oppression contre lequel ils n’auraient pas le droit de s’insurger, et face auquel ils n’auraient qu’une seule attitude à adopter: la soumission et le silence, en attendant que les choses s’améliorent dans un avenir plus ou moins lointain. En d’autres termes: sois colonisé et tais-toi!

    La révolte des Palestiniens est légitime

    Entre le 1er et le 11 octobre, 4 Israéliens sont morts suite à des attaques au couteau et une dizaine d’entre eux ont été blessés. Dans le même temps, 24 Palestiniens ont été tués et plus de 1300 ont été blessés par balles réelles ou balles en caoutchouc, soit une moyenne de 130 par jour. Durant la seule journée du dimanche 11 octobre, 75 Palestiniens ont été atteints par des tirs à balles réelles lors de manifestations en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza. Des chiffres qui indiquent non seulement l’ampleur de la répression israélienne, qui se durcit chaque jour, mais aussi et surtout le déséquilibre des forces en présence. [Depuis le mercredi 14 octobre, l’armée est déployée, suite à une décision du gouvernement, dans la ville de Jérusalem aux côtés des forces de police; de nouveaux checkpoints ont été mis en place dans Jérusalem-Est, etc.]

    Difficile de mesurer aujourd’hui l’ampleur que peut prendre la révolte en cours, notamment parce qu’elle se caractérise par une accumulation d’actes individuels, sans coordination ni stratégie de la part des factions politiques palestiniennes. Mais une chose est certaine: le gouvernement israélien a une fois de plus choisi de nier ses responsabilités et de se faire passer pour la victime, quitte à multiplier les provocations, les amalgames et les incitations à la haine. Mais rien n’y fera: la colère, la révolte et la résistance des Palestiniens sont légitimes, et personne ne pourra leur interdire de lutter pour affirmer leurs droits. Nous avons été, nous sommes, et nous serons à leur côté dans ce combat. (Publié sur L’Anticapitaliste en date du 14 octobre 2015)

    [1] Dans Le Monde daté du 14 octobre 2015, en page 3, Piotr Smolar rapporte: «L’heure est grave pour les colons; il faut se faire entendre. «Nous pensons qu’il existe une fenêtre historique pour changer la donne et étendre la souveraineté d’Israël à toute la Judée-Samarie [autrement dit la Cisjordanie occupée], explique Avi Roeh, président du conseil de Yesha (organisation regroupant les représentants des colons).»

    Fin de l’article: «Les colons ne représentent pas qu’une minorité bruyante. Leur influence politique est devenue majeure, leur idéologie centrale, faute d’une gauche décomplexée, qui présenterait une alternative solide. Le président Reuven Rivlin, issu du Likoud, ne dit-il pas lui-même que les constructions représentent un «droit national et historique»? Il y avait 341’000 colons en Cisjordanie en 2012; ils étaient 370’000 en 2014 (auxquels s’ajoutent 200’000 à Jérusalem-Est). Quant aux constructions, 2874 chantiers ont été lancés en 2013, 1503 en 2014 et 983 au cours des six premiers mois de 2015, précise l’ONG israélienne La Paix maintenant. «Il est totalement faux de dire que tout est à l’arrêt, explique Anat Ben Nun, responsable des relations extérieures de l’ONG. On construit aussi bien dans les avant-postes illégaux que dans les grands blocs de colonies.» (Réd. A l’Encontre)

    Publié par Alencontre le 14 - octobre - 2015

    Julien Salingue, chercheur, est l’auteur ou co-auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels: Israël: un Etat d’apartheid? Enjeux juridiques et politiques (avec Céline Lebrun), Paris, L’Harmattan, 2013; A la recherche de la Palestine, préface d’Alain Gresh, Le Cygne, Paris, 2011.

    http://alencontre.org/video/palestine-au-cote-des-palestiniens-contre-loccupation.html

  • Les dynamiques de l’expansion militaire russe en Syrie (Essf)

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    Ou la volonté de sauver et consolider le régime Assad

    A la fin de l’été 2015, la Russie a considérablement élargi son implication militaire au côté du régime Assad, notamment en fournissant des formations et du soutien logistique à l’armée du régime syrien [1]. Le 17 Septembre, 2015, l’armée du régime a commencé à utiliser de nouvelles types d’armes aériennes et terrestres fournis par la Russie, tandis que des photos satellites prises à la mi-Septembre montraient le développement de deux installations militaires supplémentaires de forces russes à proximité de Lattakiyya [2].

    L’engagement militaire de la Russie a dépassé un nouveau niveau le 30 septembre, 2015, lorsque l’aviation militaire russe a mené ses premiers raids en Syrie. En plus de cela, des centaines de soldats iraniens sont arrivés en Syrie le 21 septembre et ils vont rejoindre les forces du régime Assad et leurs alliés du Hezbollah libanais dans une offensive terrestre majeure à venir et soutenue par les frappes aériennes russes. L’opération militaire serait destinée à récupérer les territoires perdus par le régime Assad à diverses forces de l’opposition. Très probablement, les opérations terrestres à venir se concentreront sur la ville d’Idlib et la campagne de Hama [3].

    Pour rappel, tous ces acteurs ont été des acteurs clés dans la survie du régime Assad. La Russie est depuis longtemps le fournisseur de la grande majorité de l’armement des forces armées du régime Assad. L’Etat russe a continué à expédier des volumes importants d’armes, munitions, des pièces détachées et du matériel remis à neuf à des forces pro-régime. En Janvier 2014, la Russie a intensifié des fournitures de matériels militaires pour le régime syrien, y compris des véhicules blindés, des drones et des bombes guidées. [4]

     La campagne de la « guerre contre le terrorisme »

    La propagande autour de la campagne de la « guerre contre le terrorisme » lancée par l’Etat russe est un moyen de soutenir le régime d’Assad politiquement et militairement et écraser toute forme d’opposition en Syrie. Poutine souhaite que les différents acteurs internationaux impérialistes occidentaux considèrent Assad comme le seul acteur qui peut les aider dans leur lutte contre le « terrorisme ».

    On peut constater cela dans les cibles des raids de l’aviation russe. Le 30 Septembre, 2015, les raids des avions militaires russes ont mené leurs premiers raids en Syrie contre le village de Zafarana au nord de Homs, ainsi que près de la ville de Lataminah nord-ouest de Hama, qui ne sont pas en l’occurrence des bastions de l’État Islamique (EI). Dans la ville voisine de Hama, un groupe ciblé par les raids, Tajammu al-Izzah, est considéré comme un membre important de l’armée syrienne libre (ASL) dans la région. Il était l’un des rares groupes en Syrie à avoir reçu des roquettes anti-chars et les avait régulièrement utilisé contre les chars syriens et des véhicules blindés dans les régions centrales de la Syrie. Le même jour, la Russie a également bombardé Talbiseh, al-Mukarama, Reef Homs al-Shamali. Toutes ces régions sont principalement sous le contrôle de l’ASL et avec aussi une certaine présence de Jabhat Al Nusra (la branche d’Al-Qaida en Syrie) et Ahrar Sham. Selon les forces de défense civiles syriennes, une organisation de bénévoles d’interventions d’urgence, il y a eu plus de 35 victimes civiles en conséquence des frappes aériennes russe sur Homs et Hama.

    Les jours suivants, les objectifs de l’aviation militaire russe comprenaient un poste de commandement et des bunkers souterrains d’armes près de Raqqa, ainsi qu’un dépôt d’armes dans la ville de Maarat al-Numan. Maarat al-Numan, dans la province d’Idlib du nord de la Syrie, n’est pas connu comme une base de l’Etat Islamique (EI). La plupart des combattants dans la région sont de coalition de Jaysh al-Fatah dirigé par Jabhat Al-Nusra et Ahrar Al-Sham.

    L’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme a d’ailleurs enregistré la mort de plus de 40 civils, et de 14 combattants, la plupart étant des djihadistes de l’Etat Islamique, mais aussi des membres de Jabhat Al-Nusra, Ahrar Sham et des bataillons de l’ASL, depuis le début des raids de l’aviation russe le 30 septembre, 2015. Le ministre de la défense britannique a indiqué que seulement une frappe sur 20 de l’aviation militaire russe visait des forces de l’Etat Islamique. Les bombardements de l’aviation militaire russe ont visé au moins quatre factions opérant sous le label de l’ASL. [5]

    Les officiels russes ont d’ailleurs déclaré que les bombardements russes dureront environ 3 à 4 mois.

    Les objectifs des bombardements russes sont clairs : sauver et consolider la puissance militaire et politique du régime Assad. Le président russe Vladimir Putin a dit le 28 septembre, avant le début des opérations : « Il n’y a pas d’autres manières de mettre fin au conflit syrien autre qu’en renforçant les institutions de l’actuel gouvernement légitime dans leur combat contre le terrorisme ».

    En d’autres termes écraser toutes les formes d’opposition, démocratiques ou réactionnaires, au régime d’Assad dans le cadre de cette soi-disant « guerre contre le terrorisme”. Tous les régimes autoritaires ont utilisé ce même genre de propagande pour réprimer les mouvements populaires et / ou des groupes d’opposition à leurs pouvoirs : Assad contre le mouvement populaire depuis le premier jour du soulèvement populaire, le dictateur Sissi en Egypte pour réprimer notamment les Frères musulmans, mais aussi la gauche progressiste et les mouvements démocratiques tels que les Socialistes révolutionnaires, le mouvement du 6 Avril, etc … Erdogan contre le PKK et divers mouvements de gauche, les monarchies du Bahreïn et de l’Arabie saoudite contre les manifestant-es et les mouvements populaires qui s’opposaient à leurs régimes, etc …

    Les puissances impérialistes internationales ont agi de manière similaire, de l’état russe qui a réprimé toute forme de résistance en Tchétchénie à son occupation aux diverses interventions militaires des Etats Unis à travers le monde. Les deux prétendaient et prétendent lutter contre le terrorisme.

    Cette expansion militaire des alliés du régime d’Assad, dirigée par la Russie, est menée pour deux raisons principales : 1) la faiblesse politique et militaire croissante du régime d’Assad et 2) l’absence ou le manque de politique claire des puissances occidentales pour aider les révolutionnaires en Syrie.

     Faiblesse politique et militaire du régime Assad

    Tout d’abord sur le plan militaire, l’armée syrienne a été considérablement affaiblie, diverses analyses estiment que le nombre de soldats a chuté de 300.000 à environ 80 000, et a subi diverses défaites importantes ces derniers mois, notamment après la chute des villes de Idlib et à proximité de Jisr al-Shughour en mai 2015, qui sont tombées dans les mains de la coalition de la Jaish al-Fatah, dirigée par Jabhat al Nusra et Ahrar Sham.

    Les désertions et le manque de volonté de la jeunesse syrienne à mourir pour un régime corrompu et autoritaire expliquent principalement l’impossibilité de l’armée du régime de recruter de nouveaux soldats. Un grand nombre de jeunes hommes ont fui pour l’Europe souvent après avoir reçu leurs convocations militaires. La propagande pour l’armée du régime dans les médias étatiques, les posters et affiches de recrutements partout dans Damas et les récentes amnisties pour les déserteurs et les conscrits réfractaires n’y ont rien changé.

    Le dictateur Assad a d’ailleurs reconnu en Juillet 2015 que l’armée du régime avait une pénurie d’effectifs et avait dû abandonner certaines régions afin de mieux défendre ce qu’on appelle la Syrie utile – Damas à Homs et la zone côtière autour de Lattakiyya.

    La faiblesse de l’armée du régime a conduit à la création d’une force de 125.000 miliciens des Forces de la Défense Nationale, qui ont été formé et financé par la République Islamique d’Iran, qui favorisent également l’utilisation de miliciens shiites de l’Irak, du Pakistan et de l’Afghanistan ainsi que du Hezbollah. Pour les partisans du régime Assad, affirmant qu’ Assad défend l’état et ses institutions, ces informations sont plutôt embarrassantes … sans oublier que grande majorité des destructions des institutions de l’état, y compris des écoles, des hôpitaux, etc .. sont le résultat des bombardements des forces du régime.

    Sur le plan politique, des frustrations croissantes et grandissantes ont été exprimées dans les régions dite “loyaliste” contre le régime Assad, en particulier dans les derniers mois.

    Au début du mois de septembre, des manifestations ont eu lieu dans les deux villages chiites de Fuaa et Kafriyeh dans la province d’Idlib, pour crier leur colère face à l’inaction du régime syrien qui a échoué à les aider à repousser les attaques et les bombardements de Jabhat Al Nusra et Ahrar Sham. Selon plusieurs médias, les manifestants se seraient rendus à Homs et à Damas où ils ont bloqué la route de l’aéroport de Damas pendant plusieurs heures le lundi 31 août.

    En août, plus d’un millier de personnes ont effectué un sit-in au rond-point d’al-Ziraa dans la ville de Lattakiyya pour protester contre le meurtre du colonel Hassan al-Cheikh qui a été tué par Sulaiman Al-Assad – le fils du cousin de Bachar Al-Assad, Hilal Al-Assad, qui était le chef des Forces de Défense Nationale et qui a été tué le 23 mars, 2014. Ces personnes ne soutiennent pas la révolution, pour l’instant, mais il faut pouvoir les gagner à notre cause parce qu’ils sont fatigués de la guerre, fatigués de la situation socio-économique difficile, et fatigués de la corruption de la famille Assad qui contrôle encore et agit comme si la Syrie était leur propriété et volant ses richesses. D’autres manifestations ont eu lieu dans la ville de Tartus par les membres des familles des soldats pour dénoncer la façon dont le régime traite leurs soldats et demande leur retour.

    Dans la région de la ville de Sweida, en grande majorité habitée par des populations de confession druze, plusieurs manifestations ont eu lieu pour dénoncer les politiques du régime et le faible service des institutions. Cet été, des manifestations et résistances ont éclaté contre le régime après l’assassinat du Sheikh Wahid Bal’ous, qui est un sheikh druze et qui est connu pour son opposition contre le régime Assad et les forces islamiques fondamentalistes, dans une explosion dans la région Dahret al- Jabal tuant au moins personnes. Des manifestant-es ont manifesté devant plusieurs bâtiments officiels étatiques et ont démonté une statue de l’ancien dictateur Hafez Al-Assad à Sweida [6]. Sheikh Wahid Bal’ous était une figure populaire au sein des populations de confession druze et menait le mouvement des « Sheikhs de la dignité », un mouvement qui luttait pour la protection des druzes dans la province et qui combattait aussi l’Etat Islamique et Jabhat Al-Nusra. Sheikh Wahid Bal’ous était aussi opposé au recrutement de jeunes hommes originaire de la province de Sweida dans l’armée du régime pour être envoyé en dehors de la province, qui est sous le contrôle du régime, vers d’autres régions. Quelque jours avant la mort de Sheikh Wahid Bal’ous, les habitants de Sweida, avaient manifesté pour demander plus de services de bases du régime, y compris l’eau et l’électricité. Sheikh Wahid Bal’ous les avait soutenues.

     L’absence ou le manque de toute politique claire des états occidentaux pour assister les révolutionnaires en Syrie

    Cette deuxième raison n’est pas quelque chose de fondamentalement nouveau, les politiques des puissances occidentales ont été caractérisés par leurs inactions et l’absence de clarté depuis le début de la révolution pour aider les révolutionnaires syriens.

    Les alliés du régime Assad ont bien compris cette situation et c’est la raison principale pourquoi leur soutien politique, militaire et économique à la dictature de Damas a été constant et a même augmenté dans les moments. Cette réalité se reflète dans les paroles de Alaeddin Boroujerdi, président de la commission pour la politique étrangère et la sécurité nationale au parlement iranien, qui a déclaré en Juin 2015 lors d’une visite à Damas que le soutien de l’Iran au régime syrien est “stable et constant » et a souligné qu’il n’y avait pas de restrictions ou de limites à la coopération avec la Syrie et dans son soutien à cette dernière.

    Le président iranien Hassan Rouhani dans les couloirs des nations unies a d’ailleurs continuellement défendu que le régime Assad ne doit pas être affaibli si les états occidentaux étaient sérieux dans leur lutte contre le terrorisme. Rouhani a aussi déclaré dans un interview à la CNN que « tout le monde avait accepté que le président Assad soit maintenu pour pouvoir lutter contre le terrorisme ».

    Cette situation est malheureusement la triste réalité.

    Le président états-unien a publiquement déclaré dans son discours le 28 septembre à l’Assemblée Générale des Nations Unies sa volonté de travailler avec la Russie et l’Iran pour trouver une solution en Syrie tout en mettant en avant l’impossibilité en même temps de revenir à une statu quo similaire à celui avant le début de la guerre [7]. Sur les premiers raids de l’aviation russe, le porte parole du département d’état des Etats Unis, John Kirby a déclaré que les officiels russes avaient informé l’ambassade états-unienne à Baghdad sur les bombardements et avaient demandé à l’aviation militaire états-unienne d’éviter l’espace aérien syrien durant les opérations russes. Des officiels israéliens ont aussi annoncé publiquement avoir été informé par la Russie une heure avant le début des frappes. Les officiels du gouvernement russe ont contacté avec le conseiller de la sécurité nationale israélienne, Yossi Cohen, ainsi qu’avec d’autres officiels importants dans l’establishment de la défense israélienne. Cette information avait pour but d’éviter toute confrontation entre l’aviation israélienne et russe [8].

    Le premier ministre britannique David Cameron a déclaré qu’il ne fallait pas exclure un rôle pour Assad dans une période de transition en Syrie, tout en assurant qu’Assad ne pouvait pas faire partie de l’avenir de la Syrie sur le long terme”. La Chancelière allemande Angela Merkel a été dans le même sens en disant qu’il était nécessaire de discuter avec “de nombreux acteurs, et parmi eux Assad”. Les responsables turcs ont également déclaré qu’Assad pourrait jouer un rôle dans une période de transition.

    Des sources militaires israéliennes ont de leur côté confirmé l’existence d’un consensus au sein des cercles des prises de décision de Tel-Aviv sur l’importance du maintien du régime d’Assad. Un analyste sur les affaires militaires Alon Ben-David, a cité une source au sein du état major israélien qui disait : “Bien que personne en Israël ne puisse le dire publiquement et explicitement, la meilleure option pour Israël serait le maintien du régime d’Assad et la continuation de la guerre civile aussi longtemps que possible “.

    Ces positions ont été renforcées avec la crise des réfugiés de ces dernières semaines. La grande majorité des programmes de télévision, des articles et des soi-disant experts qui parlent des millions de réfugiés en provenance de Syrie avaient le même discours : le problème est l’EI. Divers officiels de nombreux pays n’ont pas hésité à déclarer que les Etats européens devraient coordonner avec le régime d’Assad et ses alliés de la Russie et de la République islamique d’Iran pour résoudre et mettre fin au problème de l’EI et donc dans leur esprit des réfugiés. C’est bien sûr oublier que la racine des problèmes en Syrie est le régime d’Assad et que ce dernier est responsable de plus de 90% des réfugiés qui ont quitté le pays. [9]

    Le 2 Octobre, 2015, 70 factions rebelles et la Coalition nationale Syrienne, à une réunion d’urgence après le début des frappes aériennes russes, ont décidé de mettre fin à la coopération avec l’initiative de l’envoyé spécial de l’ONU Staffan de Mistura des “groupes de travail” pour étudier une résolution du conflit. Ces groupes ont complètement refusé une place pour Assad dans une période de transition et ils ont également rejeté les derniers appels effectués par les officiels du régime pour des pourparlers de négociation sous l’égide de l’organisation des Nations Unies. Ils ont également condamné les frappes aériennes russes et ont accusé la Russie de participer à la guerre contre le peuple syrien.

    Les objectifs des Etats-Unis et des puissances occidentales depuis le début du soulèvement en Syrie n’ont jamais été d’assister et d’aider les révolutionnaires syriens ou de renverser le régime d’Assad. Les Etats Unis ont essayé à l’opposé de parvenir à un accord entre le régime Assad (ou une section de celui-ci) et l’opposition liée à des régimes occidentaux et des monarchies du Golfe, qui ne sont pas représentatif du mouvement populaire et sont complètement corrompu.

    Pour rappel, selon les lignes directrices de Genève du 30 Juin 2012, adoptée à l’unanimité par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, il serait admissible pour Assad d’être à la tête d’un gouvernement d’administration de transition. Tout ce qui était nécessaire était le consentement de la délégation de l’opposition. De même, les délégués représentant le régime Assad pourraient refuser de consentir à des personnes désignées par l’opposition.

    De plus, l’absence ou le manque de toute organisation et d’assistance militaire décisive des Etats-Unis et / ou des pays occidentaux aux révolutionnaires syriens est une autre preuve de ce manque de volonté pour tout changement radical en Syrie. Le Wall Street Journal a publié un article en Janvier 2015 sur cette soi disant aide de la CIA qui disait notamment :

    “Certaines cargaisons d’armes étaient si petites que les commandants ont dû rationner les munitions. Un des commandants de confiance des Etats Unis a obtenu l’équivalent de 16 balles par mois par combattant. Les chefs rebelles devaient remettre les vieux lanceurs de missiles antichars pour en obtenir des nouveaux-et n’ont pas pu obtenir des obus pour les tanks capturés. Quand ils ont fait appel l’été dernier pour des munitions pour combattre des soldats liés à Al-Qaïda, les Etats-Unis ont dit non “.

    Le plan de Barack Obama, qui a été approuvé par le Congrès américain de 500 millions $ pour armer et équiper 5.000-10.000 rebelles syriens, mais qui n’a jamais été mis en œuvre, ne visait pas à renverser le régime Assad, comme nous pouvons le lire dans le texte de la résolution :

    “Le secrétaire à la Défense est autorisé, en coordination avec le Secrétaire d’Etat, à fournir une assistance, y compris la formation, des équipements, et des approvisionnements, à des éléments de l’opposition syrienne et d’autres groupes syriens sélectionnés de manière appropriée pour les objectifs suivants :

    1 Défendre le peuple syrien contre les attaques de l’État Islamique et sécuriser les territoires contrôlés par l’opposition syrienne.

    2 Protéger les Etats-Unis, ses amis et alliés, et le peuple syrien contre les menaces posées par des terroristes en Syrie.

    3 Promouvoir les conditions d’un règlement négocié pour mettre fin au conflit en Syrie ”

    Jusqu’à aujourd’hui, ce programme est un échec. « Le programme est beaucoup plus petit que ce que nous espérions », a reconnu le chef de la politique du Pentagone, Christine Wormuth, disant qu’il y avait entre 100 et 120 combattants en cours de formation, tout en ajoutant qu’ils recevaient une formation catastrophique. [10] Un général états unien a déclaré au Congrès que les Etats-Unis avait formé avec succès seulement “quatre ou cinq” soldats de l’opposition.

    Le chef d’état-major du groupe rebelle syrien, la Division 30, entrainé par les Etats Unis a d’ailleurs démissionné de son poste et s’est retiré du programme le 19 Septembre, 2015. Il a notamment parlé des problèmes comme « l’absence d’un nombre suffisant de recrues” et “le manque de sérieux dans la mise en œuvre du projet pour établir la division 30”. [11] L’autre problème rencontré par les États-Unis en Syrie a été et est de constituer des groupes armés fidèles à leurs intérêts à cause de la réalité sur le terrain. Ceci est dû à la décision d’une grande majorité des groupes de l’opposition à coopérer avec Washington que si ils sont en mesure de maintenir leur indépendance et leur autonomie, et si la collaboration comprend un plan clair pour le renversement du régime Assad. [12]

    Les Etats de la région comme la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar ont de leur côté financé divers groupes, dans leurs grandes majorité des mouvements islamiques fondamentalistes qui s’opposent aux objectifs de la révolution, pour leurs propres intérêts politiques. Le Qatar a par exemple un soutien clé de Jabhat Al Nusra, tandis que la Turquie a soutenu directement ou de manière passive divers mouvements islamiques fondamentalistes, comme la coalition Jaysh al-Fatah, mené par Jabhat al Nusra et Ahrar Sham, et de l’EI en leur permettant une totale liberté d’action des deux côtés de la frontière pour une longue période, au nord de la Syrie contre les groupes démocratiques de l’ASL et particulièrement pour s’opposer contre toute forme d’autonomie des régions kurdes sous la direction du PKK. Les réseaux privés des monarchies du Golf ont de leurs côtés agi et financés avec l’assentiment de leurs classes régnantes de divers mouvements islamiques fondamentalistes dans la perspective de transformer cette révolution populaire en guerre confessionnelle.

     Conclusion

    De nombreuses manifestations ont eu lieu dans le régions libérées de Syrie ces derniers jours pour condamner les bombardements russes en Syrie, ciblant dans leur grande majorité des civils et divers groupes d’oppositions armées, et non principalement l’EI. Plusieurs mouvements sur le terrain se sont également opposés aux bombardements russes [13]. Les comités de coordination locaux (CCL) en Syrie ont condamné les bombardements russes qui sont « de garantir la survie du régime Assad » et ils ont appelé « toutes les forces révolutionnaires à s’unir par tous les moyens et agir contre l’agression militaire russe » [14]. Le groupe du Front Sud de l’ASL a également condamné les bombardements russes et a caractérisé la présence russe et iranienne dans le pays comme une occupation. Ces deux derniers groupes ont appelé à une Syrie démocratique.

    Des forces de l’ASL ont également affirmé avoir abattu un avion militaire russe dans la province Lattakiyya le 3 octobre, 2015, et d’avoir arrêté le pilote après que ce dernier se soit éjecté de l’appareil. À confirmer.

    L’expansion militaire russe, en plus de l’expansion iranienne, est une offensive claire pour mettre fin complètement au soulèvement populaire syrien en voulant sauver et consolider politiquement et militairement le régime Assad et écraser toutes les formes d’opposition à ce dernier. Cette évolution se déroule avec la passivité et une certain assentiment des puissances occidentales, qui veulent à tout prix stabiliser la région et dès lors le départ d’Assad n’est plus une pré-condition à une période de transition.

    Les différentes puissances impérialistes mondiales et les régimes bourgeois régionaux, en dépit de leur rivalité, ont un intérêt commun dans la défaite des révolutions populaires de la région, et l’exemple le plus évident est celui de la Syrie. Les multiples initiatives de paix pour la Syrie, soutenues par toutes les puissances mondiales et régionales sans exception, avaient les mêmes objectifs depuis le début du processus révolutionnaire en 2011 : parvenir à un accord entre le régime Assad et une faction opportuniste – liée aux états occidentaux, la Turquie et les monarchies du Golfe – de l’opposition réunis au sein de la Coalition Syrienne.

    Il ne s’agit pas de refuser toutes les solutions à la fin de la guerre, oui le peuple syrien a trop souffert et la plupart d’entre eux veulent une forme de période de transition vers une Syrie démocratique, mais tout type de « solution réaliste », tel que les officiels et les analystes aiment présenter les choses, sur un moyen et long terme ne peut pas inclure Assad et d’autres criminels du régime qui ont du sang sur les mains, sinon il y aura une poursuite du conflit militaire en Syrie. Assad et ses différents partenaires dans le régime doivent être condamnés pour leurs crimes, et un processus similaire pourrait être mis en place pour les crimes des forces islamiques fondamentalistes et d’autres groupes. De plus, un quelconque changement minimum ne doit pas se limiter à la chute d’Assad mais à toute l’équipe des responsables de contrôlant les services de sécurité, l’armée et les différents appareils de l’Etat. Le caractère patrimonial du régime syrien doit être inclus dans toute compréhension pour un vrai changement.

    Tous les révolutionnaires doivent s’opposer à cette nouvelle intervention militaire impérialiste en Syrie pour sauver une dictature et qui se traduit par de nouvelles victimes civiles et souffrances. Les interventions de la Russie, l’Iran, le Hezbollah et divers groupes fondamentalistes irakiens shiites ont causé encore plus de morts en Syrie, en plus d’écraser un soulèvement populaire. En même temps, même si de manière relativement moins importante, nous nous opposons également aux interventions des monarchies du Golfe et de la Turquie dans le passé, qui étaient pour leurs propres intérêts et pour changer la nature de la révolution dans une guerre confessionnelle et pour leurs soutiens à des mouvements fondamentalistes islamiques qui ont attaqué, et continue de le faire dans de nombreuses régions, les révolutionnaires, des civils et des soldats de l’ASL.

    Nous devons également soutenir la livraison d’armes sans pré-condition politique de l’Occident vers les sections démocratiques de l’ASL et des forces kurdes pour se battre et lutter contre le régime d’Assad et les forces fondamentalistes islamiques.

    Enfin et surtout, les internationalistes du monde entier devraient continuer à soutenir les poches d’espoirs qui existent encore et résistent en Syrie composée de divers groupes et mouvements démocratiques et progressistes opposés à tous les acteurs de la contre-révolution : le régime d’Assad et les groupes fondamentalistes islamiques. Ce sont eux qui maintiennent encore les rêves du début de la révolution et de ses objectifs : la démocratie, la justice sociale, l’égalité et contre le confessionalisme.

    Comme écrit sur une pancarte par un révolutionnaire dans la ville de Zabadani : “” Les révolutions ne meurent pas, même si réprimé férocement. Elles sont l’engrais de la terre et donnent vie même après un certain temps ”

    Joseph Daher 4 octobre 2015

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36019#nh1

  • Syrie. «Ni Assad, ni Daech» (Al'Encontre.ch)

    Les diverses initiatives militaires, en Syrie, d’une coalition hétéroclite contre ledit Etat islamique (Daech) participe d’une réécriture politique propagandiste du «printemps arabe» en Syrie.

    Le soulèvement massif et pacifique de la population dès mars 2011 est effacé des mémoires médiatisées. Sont gommées, de plus en plus: la terrible répression du régime Assad, opérée par son armée, ses criminels mafieux (les chabiha), ses hélicoptères déversant des barils d’explosifs sur des villes et quartiers dont le contrôle était perdu; la destruction par les chars de quartiers entiers, maison après maison; la dévastation d’hôpitaux et de cliniques; l’utilisation des armes chimiques en août 2013 (ce qui s’est répété au premier semestre 2015); la libération, dès mars 2011, d’islamistes dans le but de nourrir les affrontements «communautaires».

    La réalité de cet «Etat de barbarie», comme l’avait écrit Michel Seurat (Syrie. L’Etat de barbarie, 1989), n’est plus la source de la tragédie dans laquelle est plongée, depuis quatre ans, la population de Syrie.

    Autrement dit, la propagande de la dictature de Bachar el-Assad, qui démarra les premiers jours, acquiert un statut de véracité conjuguée au présent: «Je mène une guerre contre des terroristes manipulés par des forces étrangères.» La «légitimité de l’autodéfense du régime doit être comprise».

    En traitant aujourd’hui l’organisation féroce, meurtrière de Daech comme la seule priorité militaire et politique de la «coalition de bombardiers», silence est fait sur deux éléments fondamentaux. Premièrement, Daech est la conséquence de la barbarie de la guerre impérialiste (2003) contre l’Irak, avec toutes ses suites. Dans ce sens, le titre de l’ouvrage de Gilbert Achcar, Le choc des barbaries, terrorisme et désordre mondial (2002), était prémonitoire. Ensuite, le refus, dès le deuxième semestre 2011, d’une aide matérielle et militaire réclamée à ceux qui engageaient, pratiquement, une révolution démocratique et son autodéfense contre la dictature Assad a débouché sur une tragédie humaine et sociale. Elle est d’une ampleur rarement connue dans l’après-Seconde Guerre mondiale.

    L’obsession des dites «puissances occidentales» consistait (après le désastre irakien) à maintenir une continuité de l’appareil d’Etat. Donc, au mieux, de permettre du «assadisme» sans Assad. Le peuple révolté n’existe pas pour les puissances impérialistes. Est-il nécessaire de le dire? Dans un tel contexte – marqué aussi par l’affaiblissement de l’emprise états-unienne sur toute la région – des «acteurs régionaux» (Qatar, Arabie saoudite, Turquie) ont acquis une sorte de droit de préemption sur des forces qui, face aux bataillons du régime des Assad, étaient à la recherche de ressources financières et militaires pour mener leur combat. En outre, dans un tel affrontement militaire contre un régime dictatorial qui dispose de 40 ans (1970) d’expérience – donc d’un appareil policier redoutable, de réseaux mafieux, d’appuis socio-économiques construits sélectivement – les carences d’une direction politico-militaire de la révolution démocratique se manifestèrent assez vite, malgré le courage et la détermination de ceux et celle qui étaient (et sont) engagés dans le combat pour la chute de la dictature.

    Dans cette configuration, l’Iran (en s’appuyant, entre autres, sur le Hezbollah libanais, mais aussi en encadrant des milices au service d’Assad dont les activités criminelles n’ont rien à envier à Daech) et la Russie jouaient leur propre carte. Ils ont alloué un appui décisif à Bachar el-Assad. Cela ne pouvait que renforcer la férocité de la répression et des destructions. Car, dans une telle guerre civile, un régime dictatorial consolide toujours ses méthodes terroristes au moment où son armée voit ses positions s’affaiblir. Ce qui est le cas, à nouveau, au cours des derniers mois. La montée aux extrêmes n’a donc pas cessé de s’accélérer en Syrie, pour rester cantonné à ce pays déchiqueté.

    Depuis quelques semaines, très ouvertement (car des démarches ont existé en réalité, dès 2011, avec des oscillations), la formule à l’honneur sous George W. Bush a acquis une nouvelle actualité: «mieux un dictateur que le chaos». Donc le seul véritable ennemi est Daech. Dès lors, s’est imposé dans la rhétorique le passage du «Bachar doit partir» à «il faut négocier son départ» (pourparlers de Genève 2014), puis à «nous allons examiner avec Bachar, l’Iran et la Russie la résolution du conflit». Même si les formules utilisées dans les chancelleries occidentales sont quelque peu différentes et traduisent des intérêts différents.

    Les pièces qui se déplacent sur l’échiquier géopolitique – agendas divers des membres d’une coalition hétéroclite bombardant Daech en Syrie et en Irak, accord Etats-Unis-Iran, guerre de destruction menée par l’Arabie saoudite au Yémen, accentuation rapide de la présence militaire russe en Syrie en pleine «crise ukrainienne», permanence d’une descente aux enfers dans un Irak où l’administration américaine était censée faire du «nation building» – ont offert une ouverture utilisée par le pouvoir autoritaire de Poutine. Aleksei Makarkin, qui dirige à Moscou le Centre pour les techniques politiques, explique sans détour: «Le but de la Russie est de défendre Assad; quiconque est contre lui est un facteur de déstabilisation; la Russie veut qu’Assad soit intégré dans un processus de négociation à partir d’une position de force.» (International New York Times, 3-4 octobre 2015) Pour cela, une précondition doit être remplie: assurer fermement le contrôle sur la région dont Lattaquié est le centre et qui est le fief du régime de Bachar el-Assad. La présence de forces rebelles – islamistes – implantées depuis des mois dans le nord-ouest de la Syrie menaçait ce fief. Or, il constitue de même le seul point d’appui militaire pour la Russie sur la Méditerranée.

    Le jeudi 1er octobre, le premier ministre de l’Irak, Haider al-Abadi, a affirmé que Bagdad accueillerait favorablement une offensive aérienne russe contre Daech (Financial Times, 3-4 octobre 2015). Cela révèle les multiples enjeux en cours dans toute la région. La nécessité de tracer les lignes de force des agendas, aux réalisations aléatoires, des acteurs de la de facto nouvelle coalition anti-Daech.

    Pour l’heure, quiconque veut échapper au carcan d’une approche binaire – sans mentionner ceux qui, lobotomisés, se situent du côté d’Assad au nom de «l’anti-impérialisme» – ne peut qu’affirmer: «Ni Daech, ni Assad».

    Certes la désespérance domine en Syrie. Le nombre de déplacés internes s’élève à 7,6 millions. Le nombre de morts, pour l’essentiel sous les coups de la dictature, est évalué à plus de 300’000, ce qui laisse entrevoir le nombre incalculable de blessés et de victimes diverses. L’aide humanitaire de l’ONU a été bloquée par le régime. Les réfugiés dans les pays voisins (Jordanie, Liban, Turquie, Irak…) sont au moins au nombre de 4 millions.

    La vague actuelle de réfugié·e·s «en route» vers l’Europe, reflet de la désespérance, vient de régions contrôlées par le régime. Les millions de réfugiés (voir l’article publié sur ce site en date du 24 septembre) qui ont dû fuir au cours des années précédentes proviennent de régions (villes et villages) qui furent la cible des chars, des hélicoptères et de la soldatesque d’Assad. Vendre la politique actuelle de réintégration d’Assad dans une «solution», après avoir affaibli et battu Daech avec des avions de combat, relève d’une illusion criminelle. Elle est offerte aussi comme «une solution» visant à freiner le «flux des réfugiés» grâce à une transition et à une stabilisation qui marqueraient la victoire complète de la contre-révolution en Syrie. Ces options sont fort éloignées d’une urgente et nécessaire politique effectivement humanitaire. (Rédaction A l’Encontre)

    Publié par Alencontre le 4 - octobre - 2015
     
  • M. Harbi, un combattant de la démocratie et de l’autogestion (Tendance Claire)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mohammed Harbi   est  né en 1933 à El Harrouch (Skikda).

    Il s’engage dès l’âge de 15 ans dans le combat contre le colonalisme et pour l’indépendance de l’Algérie. D’abord au PPA-MTLD, il est un responsable de l’organisation des étudiants nord-africains en France, puis membre de la direction de la Fédération de France du FLN où il s’occupe de la presse et de l’information.  

    C’est en France qu’il a l’occasion de rencontrer des militants ouvriers et intellectuels comme Daniel Guérin (qui dans Ci-git le colonialisme confirme que Mohammed Harbi est le rédacteur du texte de la Fédération de France sur le FLN, « le PCF et la question algérienne » paru dans Quatrième internationale en 1958).

    Il participe aux premières négociations d’Evian et, après l’indépendance, conseiller de la présidence sous Ben Bella. Dans Une vie debout, il retrace cet itinéraire, jusqu’en 1962 pour le premier volume (le deuxième est en chantier). Après l’indépendance il s’affirme comme un des penseurs et praticiens de l’autogestion, qui se heurte à une bonne part de l’appareil politico-administratif et militaire.

    Il participe à la rédaction du programme de Tripoli, dirige le journal Révolution africaine, est conseiller auprès de la présidence sous Ben Bella, et plus particulièrement anime avec d’autres (dont Michel Pablo – Raptis)  le bureau national d’animation du secteur socialiste.

    Arrêté en 1965 au moment du coup d’Etat de Boumedienne, il est emprisonné, puis placé en résidence surveillée. Il s’évade en 1973 (Ben Bella restera en prison jusqu’en 1980). Avec Hocine Zaouane, libéré au même moment,  il portait le projet de constitution d’une gauche du FLN. Ils sont enfin libres de s’exprimer en public, et ils annoncent leur programme depuis Rome.

    C’est en exil en France que Mohammed Harbi reprend des études d’histoire et langues orientales et devient l’un des principaux historiens de l’Algérie contemporaine s’appuyant sur une approche sociologique des groupes sociaux et des classes, des pratiques qui lui permet de saisir les obstacles concrètement dressés face aux dynamiques autogestionnaires.

    Mais ses recherches ne l’ont pas retiré des combats pour la démocratie.  Pour reprendre l’expression de Paul Bouchet  sur  ce type d’acteurs de l’histoire, Mohammed Harbi n’est pas un « ancien combattant », c’est un vieux lutteur.

    Pour aller plus loin :

    Entretien avec Mohammed Harbi sur TV5 (29 décembre 2009) ;

    Colloque international sur Messali HadjTlemcen : 16 –18 septembre 2011. Partie 3, , intervention Mohammed Harbi. http://www.youtube.com/watch?v=2uZNtqGD5B8

    Université de tous les savoirs. Bilan d’une guerre d’indépendance, 14 mars 2012.http://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/bilan_d_une_guerre_d_independance.1268

    Mohammed Harbi. Algérie: approches historiques du FLN. D’une génération à l’autre,controverse. IREMMO, Paris. ;

    Autour de Pierre Bourdieu et de la rencontre de l’Ethnologie et de la Sociologie, Bourdieu et l’Algérie des années 60 (2011) Institut du Monde Arabe,http://www.archivesaudiovisuelles.fr/FR/_video.asp?id=108&ress=579&video=5525&format=68

    articles de presse

    « L’histoire est instrumentalisée en Algérie » Jeune Afrique, 5 juillet 2012http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/JA2686p065-067.xml0/algerie-fln-guerre-d-algerie-interviewmohammed-harbi-l-histoire-est-instrumentalisee-en-algerie.html

    L’autogestion après l’indépendance: Mohamed Harbi écorne un grand «mythe algérien» El Kadi Ihsane Publié dans Maghreb Emergent le 20 – 05 – 2011http://www.djazairess.com/fr/maghrebemergent/3437

    Algérie : un texte de Mohammed Harbi pour le colloque d’El Watan à Alger, 30 juillet 2012.http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/algerie/article/algerie-un-texte-de-mohammed-harbi

    « Mohamed Harbi et les « volte-face » de Ben Bella », par Mustapha Benfodil. jeudi, 26 mai 2011 http://www.tamurt.info/index.php?page=imprimir_articulo&id_article=1672

    portrait de Mohammed Harbi Une histoire algérienne paru dans CQFD n°82 (octobre 2010), par Anatole Istria ;

    Interview de l’historien Mohammed Harbi, Nouvel Observateur, 11 juillet 2010http://arezkimetref.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/07/11/intrview-de-l-historien-mohammed-harbi.html

    Notes sur les écrits

    Après la réédition des Archives de la révolution algérienne. Le Matin/dz El Watan 3 janvier 2012. ;

    compte rendu de la première édition Berg Eugène. Mohammed Harbi (éd.). Les archives de la révolution algériennePolitique étrangère, 1981, vol. 46, n° 4, pp. 996-997.
    url : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342x_1981_num_46_4_3099_t1_0996_0000_3

    Une vie debout ; comptes-rendus dans Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée Ivan Jaffrin, 2005) http://remmm.revues.org/2774

    Valensi Lucette. Mohammed Harbi, Le F.L.N. Mirage et réalité. Des origines à la prise du pouvoir (1945-1962)Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1982, vol. 37, n° 4, pp. 843-844.
    url : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1982_num_37_4_282889_t1_0843_0000_009

    Une ouverture en Algérie ? Un colloque sur Mohammed Harbi à Oran. Par Benjamin Stora,Jeune Afrique, le 17 février 2008 ;

    Eléments de bibliographie

    •  Aux origines du FLN – La scission du PPA MTLD, , Bouchene, 2003

    • Préface du livre de Sylvain Pattieu, Les camarades, des frères trotskistes et libertaires dans la guerre d’Algérie, Syllepse, 2002

    • Une vie debout – T1 Mémoires 1945-1962, La découverte, 2001

    • 1954 la guerre commence en Algérie, Complexe , 1998

    • L’Algérie et son destin – croyants ou citoyens, Arcanteres, 1992

    • L’Islamisme dans tous ses états, Arcanteres, 1991

    • Le FLN, Mirage et réalité, Jeune Afrique, 1980 et 1984

    • Archives de la révolution algérienne, Jeune Afrique, 1981.

    • avec Benjamin Stora La guerre d’Algérie – 1954-2004 La fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004 etLa guerre d’Algérie, Fayard 2010.

    Brève publiée le 4 octobre 2015

    Les brèves publiées dans cette rubrique « Informations et analyses » le sont à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.autogestion.asso.fr/?p=2353

    http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=15007