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IVè Internationale - Page 7

  • Le Hezbollah, une force contre-révolutionnaire (Contretemps)

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    Le Hezbollah a été et reste l’objet de débats vigoureux parmi les chercheurs et entre les différents courants de « gauche » au Moyen Orient et à travers le monde. Certains considèrent encore et toujours le mouvement fondamentaliste islamique libanais comme « anti-impérialiste », estimant qu'il représente une variante arabe de la « théologie de la libération » (qui s’est développée en Amérique latine), en visant une plus grande justice sociale et une réaffirmation de l’identité nationale libanaise face à « l'invasion des valeurs étrangères ».

    Cette vision, soutenue principalement au Moyen Orient par les mouvements de la gauche traditionnelle issues du stalinisme, et certains issus de courants maoistes ou du nationalisme arabe, a été de plus en plus remis en question au fil des années, et surtout après le début des soulèvements populaires dans la région du Moyen-Orient et Afrique du Nord (MOAN). Cet article de Joseph Daher vise à montrer que le Hezbollah est devenu une force contre-révolutionnaire en raison de son opposition à tout changement radical et progressiste au Liban mais aussi au-delà, en particulier en Syrie, en participant à la répression du mouvement populaire syrien aux côtés du régime d’Assad.

    Joseph Daher est l’auteur d’un livre qui s’intitule Hezbollah, The Political Economy of the Party of God, dont la parution est prévue à l’automne 2016 aux éditions Pluto Press.

    Le Hezbollah, une base sociale en mutation

    Malgré des racines dans les quartiers des populations chiites pauvres du Liban, le Hezbollah est devenu un parti dont les membres et les cadres reflètent de plus en plus la fraction chiite de la classe moyenne et la bourgeoisie grandissante - en particulier à Beyrouth1. Dans la banlieue sud de Beyrouth de nombreux membres des familles les plus riches et la plupart des commerçants ont été intégrés au sein de cette organisation2, tandis que les activités et les institutions du parti (en particulier ceux qui sont liés au tourisme et aux loisirs) répondent aux besoins et fournissent des services aux chiites de la classe moyenne.

    Cette transformation se reflète ainsi dans le profil des cadres du parti, qui ne sont plus composés de religieux (ou « clergé ») provenant généralement des milieux de la classe moyenne inférieure comme ils l'étaient au moment de sa fondation en 1985, mais sont maintenant largement issus d'une classe professionnelle qui détient des diplomes « séculaires » (non religieux) universitaires. Le poids croissant des militants dans les associations professionnelles illustre cette transition3. L'ordre des ingénieurs et des architectes, par exemple, a été dominé par le Hezbollah depuis 2008, lorsque le parti a remporté la plupart des votes lors des élections de la corporation4. Le Hezbollah estime qu'au moins 1300 ingénieurs étaient adhérents en 20065. Ce nombre élevé d'ingénieurs est notamment lié à la reconstruction du Sud et Dahyeh suite aux différents conflits armés, surtout après la fin de la guerre civile et la guerre de 2006 et le développement de projets immobiliers qui ont suivis.

    Au sein de l'association médicale des médecins, le Hezbollah était présent sur la liste victorieuse aux élections de 20136. De même, dans l'association libanaise des dentistes, le vice-président Muhammad Kataya est soutenu par le Hezbollah7. En ce qui concerne l’ordre des pharmaciens libanais, qui compte 7.000 membres inscrits8, un représentant du Hezbollah a manqué de peu de remporter le leadership au cours des élections de 2012 - perdant par seulement 131 voix face à un candidat soutenu par le « Courant du futur »9.  La seule exception à cette tendance est l'association des avocats, où, malgré un nombre grandissant d’affiliés et une remise en causecroissante de la direction contrôlée par le mouvement Amal, le Hezbollah n'a pas encore réussi à devenir dominant.

    De même, les dirigeants politiques du Hezbollah sont généralement issus de couches instruites et prospères de la communauté chiite. Ainsi, lors des élections nationales de 2009, cinq des dix députés élusavaient accompli un doctorat et au moins quatre autres étaint impliqués dans des entreprises libanaises proéminentes10. Le plus ancien député du parti au parlement, Ali Ammar, vient de l'une des familles les plus prospères de Burj Al-Barajneh11. Au niveau municipal, nous retrouvons ces caractéristiques, avec des candidats choisis parmi les familles chiites les plus puissantes telles que Al-Khansa, Kazma, Kanj, Kumati, Farhat, Rahhal et Slim12.

    Qu’en est-il des appuis et sympathisants de l’organisation ?

    Judith Palmer Harik, professeur à l'Université Américaine de Beyrouth (AUB), a examiné la diversité sociale de la base du Hezbollah13. Elle a constaté qu’à partir du milieu des années 1990, ses partisans pouvaient être trouvés dans toutes les classes sociales, et non plus largement limitées aux couches pieuses les plus pauvres de la population chiite. Cette tendance à la diversification a continué au cours des années 2000, comme indiqué par les résultats très élevés du parti aux élections législatives de 2009 dans les zones chiites qui ne sont pas traditionnellement les plus pauvres, tels Nabatieh et Jbeil14. Dans une interview réalisée pour cett article, Abd Al -Halim Fadlallah, directeur du Centre Consultatif des Etudes et de la Documentation, un centre de recherches affilié au Hezbollah, a également confirmé qu'un grand nombre des jeunes des classes moyennes et supérieures de la population chiite soutiennent (ou ont rejoint) le parti - y compris parmi les élites tribales de la vallée de la Bekaa, traditionnellement opposés à l’organisation15.

    Autre exemple, l'évolution de la base sociale du Hezbollah se traduit aussi par les frais de scolarité très élevés requis pour s’inscrire dans les écoles du réseau al-Mustapha, sous contrôle du dirigeant numéro 2 du parti, Naim Qassem. Selon Catherine Le Thomas, ces écoles visent les enfants des membres la direction, ainsi que les fractions supérieures et classe moyennes de la population chiite. L'école al-Bathoul, une école de filles qui fait partie du réseau al-Mustapha, a des frais annuels de l'ordre de 1 600 $, un montant inabordable pour la majorité des Libanais16. C. Le Thomas conclut que « le réseau des écoles Al-Mustapha, qui peut être considéré comme faisant partie de la catégorie supérieure de la classe moyenne des écoles du Hezbollah, fournit un service à la classe chiite riche et propage l'idéologie politique du parti sous la supervision de Naim Qassem »17. En outre, d'autres institutions affiliées s’orientent également vers ces couches les plus aisées de la population chiite. L'hôpital Rasul Al-Azam en est un exemple Le site de l'hôpital déclare: « Il est vrai que les soins médicaux est un service de base, mais la direction administrative n’oublie pas de fournir les meilleurs services hôteliers à leurs patients en ayant deux ailes VIP, et deux ailes Super Suite »18.

    Ces caractéristiques de l’évolution de la représentation politique et de la base sociale du Hezbollah indiquent que même si l'organisation continue d'attirer le soutien de personnes issues de toutes les couches de la société, ses priorités sont de plus en plus orientés vers les plus hautes strates de celle-ci. Le député Ali Fayyad a reconnu cette tendance en 2010, quand il a fait remarquer que « le Hezbollah n’est plus un petit parti, c’est une société entière. Il est le parti des pauvres, oui, mais en même temps il y a beaucoup d'hommes d'affaires en son sein, nous avons beaucoup de gens riches, certains issus de l’élite »19. Le chef de l’organisation, Hassan Nasrallah, a également confirmé - de manière indirecte - cette évolution dans un discours en septembre 2009, en exhortant ses membres à abandonner l’ « amour du luxe », les invitant à croire en Dieu simplement à cause de « la peur de la fin »20.

    D’autre part, une nouvelle fraction de la bourgeoisie liée au parti par le biais des capitaux et investissements iraniens s’est développée, tandis que le reste de la fraction chiite de la bourgeoisie, que ce soit au Liban ou dans la diaspora, est tombé de plus en plus sous son égide - ou du moins se montre plus proche du parti - en raison de ses pouvoirs politiques et financiers. En parralèle à son importance économique croissante et à une intégration dans le système politique, le Hezbollah a d’ailleurs également été lié à des affaires de corruption et diverses pratiques clientélistes.

    Son importance économique et politique au Liban en a fait un rival de plus en plus significatif pour la fraction de la bourgeoisie libanaise réunie autour de Hariri et de l’alliance politique du « 14 Mars » (liée, à son tour, aux capitaux des monarchies du Golfe)21, en particulier après le retrait de la Syrie du pays en 2005. L’opposition politique du Hezbollah aux forces du 14 Mars, forces soutenues par les Etats occidentaux et les monarchies du Golfe, doit être aussi comprise comme des rivalités inter-capitalistes à l'échelle nationale entre deux forces liées à différentes puissances régionales. En dépit de cette concurrence, ces deux blocs inter-capitalistes ont coopéré l’un avec l'autre à plusieurs reprises dans des moments de crises - comme le montrent leurs attitudes similaires envers divers mouvements sociaux et ouvriers, leur orientation favorables aux réformes néolibérales au Liban, et leur rapprochement mutuel au sein du gouvernement après le départ de l'armée syrienne du Liban en 2005.

    L'État confessionel et bourgeois

    L’opposition radicale initiale du Hezbollah au système politique confessionel et bourgeois libanais a de fait diminuée considérablement après son entrée au parlement et à sa participation au sein du système politique sur des lignes confessionnelles, même si sa critique rhétorique et populiste continue.

    D’un refus total de participer au système confessionel, l’organisation a progressivement été intégrée comme l'un de ses principaux acteurs, tout en continuant de déclarer que son objectif initial d'établir un Etat islamique restait son système politique préféré. Cette évolution est liée à divers facteurs : tout d’abord, au changement de leadership politique au sein la République Islamique d'Iran (RII) qui s’est orientée (à la suite du décès du Guide Suprême Khomeini) vers une politique plus pragmatique, cherchant à améliorer ses relations avec les pays occidentaux et les monarchies du Golfe ; ensuite au développement du Hezbollah comme un parti de masse qui n'était plus majoritairement composée de jeunes clercs radicaux ; et, enfin, à la nécessité de protéger son armement et ses intérêts politiques et économiques grandissants dans le pays.

    La base, qui comprend de plus en plus des fractions des classes moyennes et bourgeoises chiites, surtout à Beyrouth, n'aspirent pas nécessairement à vivre dans une République islamique suivant le modèle iranien et se trouve satisfaite par une perspective de retour à la paix accompagnée d’une amélioration en termes de représentation politique. Ces évolutions reflètent aussi la nouvelle importance politique et économique de la population chiite au Liban, notamment suite à l'accord de Taëf22. De plus, le retrait de l'armée syrienne du Liban en 2005, a contraint le parti à participer à tous les gouvernements libanais depuis lors, renforçant encore son intégration.

    À la lumière de ces développements, il est évident que le Hezbollah ne constitue pas et d’aucune manière, cela depuis un certain temps désormais, un défi pour le système confessionel et bourgeois libanais. Au contraire, cette organisation voit le système politique ainsi que tout autre parti politique du systême comme un moyen de protéger ses propres intérêts. Le parti a ainsi cherché à conclure des accords et à coopérer avec le reste des élites libanaises, en dépit de quelques différences politiques, en particulier pendant les périodes de mobilisation sociale accrue.

    Nous pouvons constater cela dans les mobilisations populaires de l’été 2015 autour de la campagne « tu pues », qui s’est radicalisée au cours des semaines pour remettre en question l'ensemble du système politique libanais confessionel et bourgeois. Comme à son habitude, le Hezbollah a vu avec suspicion cette nouvelle tentative de remettre en cause ce système de l’extérieur du parlement et, tout comme il n'avait pas participé aux manifestations du début de 2011 appelant à la fin du régime confessionel, il n’a pas mobilisé ses membres en 2015. En outre, le Hezbollah, bien qu’il ait rhétoriquement soutenu ces manifestations, après les avoir initialement accusées d'être contrôlées par des acteurs étrangers, a ensuite affirmé que la lutte contre les takfiristes et l'Etat sioniste étaient devenues les questions centrales. Hassan Nasrallah a fait valoir que le parti avait adopté une « position neutre à l'égard du mouvement parce que nous ne connaissons pas son leadership, son projet et ses objectifs »23. Le mouvement fondamentaliste islamique libanais a également soutenu, comme un moyen de résoudre la crise, le dialogue appelé par le Président du Parlement Nabih Berri et l'élection de Michel Aoun, chef du Courant Patriotique Libre (CPL), en tant que Président de la République, des propositions qui maintiennent complètement le cadre politique existant du pays. Le Hezbollah, tout comme les autres partis politiques confessionels et bourgeois du 8 et 14 Mars, voulait en fait coopter le mouvement pour son propre bénéfice politique, pour satisfaire ses intérêts spécifiques, et surtout pour mettre un terme aux mobilisations.

    Cette solution « participative » à l’égard de l'État, adoptée par le Hezbollah, reflète à la fois une tentative de modérer les contradictions structurelles du capitalisme libanais24, ainsi que les rivalités qui existent au sein de la bourgeoisie entre les fractions hégémoniques et non-hégémoniques. Les fractions non hégémoniques de la bourgeoisie libanaise, comme le marxiste libanais Mehdi Amel25 l’a noté, reflètent:

    « La conscience des couches non hégémoniques de la bourgeoisie dans leur aspiration légitime à occuper des positions hégémoniques occupées par d'autres fractions, ou d’atteindre leur niveau en s’identifiant si possible à elles dans le domaine politique et économique. Cette couche non hégémonique de la bourgeoisie veut la fin de la fraction hégémonique sans supprimer la domination de la classe bourgeoise »26.

    Cette évolution est également liée aux alliés régionaux du Hezbollah, la Syrie (ou du moins le régime d’Assad) et l'Iran, qui voulaient tous deux une intégration du parti au sein de la scène politique libanaise après la fin de la guerre civile libanaise. Dans le même temps, l'appareil militaire du Hezbollah a été subordonné à ses intérêts politiques, orientés en particulier vers le maintien de la stabilité au Liban. Cela a conduit à une collaboration accrue avec les services de sécurité et l'armée libanaises afin d’empêcher un conflit militaire dans le sud du Liban avec Israël, de collaborer dans la lutte contre les groupes salafistes et djihadistes, et finalement de garantir la sécurité de certaines regions et zones composées de populations chiites. Cela ne signifie pas que la composante militaire du Hezbollah n’a pas joué et ne joue pas un rôle contre les agressions et les menées guerrières d’Israël, mais que l'armement du Hezbollah a été de plus en plus utilisé à d'autres fins, en particulier après la guerre de 2006.

    Idéologie

    Le Hezbollah croit en l'unité de la communauté et la coopération entre les classes. Comme Khomeini avait l’habitude d’affirmer, les travailleurs ne devraient pas exiger plus que ce qui est accordé par la bourgeoisie et la bourgeoisie a l'obligation d'être charitable envers les pauvres. La lutte des classes est considérée négativement parce qu'elle fragmente la communauté (ou la Ummah). L'islamisation de large sections de la population chiite poursuivait cet objectif afin de fragmenter et affaiblir les solidarités entre les différentes communautés confessionelles au Liban, alors que les chiites avant la guerre civile libanaise étaient les plus nombreux dans les partis nationalistes et progressistes, qui étaient à la tête des luttes sociales. Le confessionnalisme a toujours été un outil utilisée par la bourgeoisie au Liban pour empêcher toute mobilisation sociale d’ensemble, et le Hezbollah ne fait pas exception à cela.

    Le piètre bilan du Hezbollah sur le terrain des questions sociales et des mobilisations de travailleurs reflète l’évolution des intérêts de classe défendus par le parti, et son opposition à une autonomisation et à un renforcement politique des classes populaires. La possibilité de mobilisations inter-confessionelle et le développement de mouvements sur des bases de classe représentent une menace potentielle pour tous les partis confessionels et bourgeois de la classe dirigeante au Liban, dont le Hezbollah fait maintenant partie. C’est la raison pour laquelle le Hezbollah n'a jamais mobilisé sa base populaire sur la base de revendications purement socio-économiques dans une perspective inter-confessionelle, bien que soutenant rhétoriquement la CGTL et/ou ses revendications sociales.

    La réticence du Hezbollah à intervenir et à participer aux luttes ouvrières s’est révélée de manière particulièrement frappante au cours des douze dernières années. Depuis 2004, un accroissement significatif des luttes syndicales et ouvrières a été observé, caractérisé notamment par les appels à la grève générale en 2004 et 2008, le débat tumultueux autour de l'initiative du Ministre Charbel Nahas en 2011 et les mobilisations organisées par le Comité de Coordination Syndicale (CCS). Ces luttes ont signalé les contradictons du Hezbollah, affirmant représenter les couches pauvres et marginalisées de la population chiite, tout en étant engagé dans un processus d’intégration au sein de l'élite politique, symbolisé par ses liens croissants avec la bourgeoisie émergente chiite.

    À chaque occasion importante, le Hezbollah a exprimé une préoccupation rhétorique sur des questions telles que la privatisation, les implications d’accords tels que Paris III, et la baisse des salaires réels. Cela alors qu’il resistait et s’opposait fortement à toute tentative de mobiliser sa propre base populaire d'une manière qui soutiendrait réellement des initiatives indépendantes dépassant les clivages confessionels. De manière générale, ces tensions ont été « résolues » par la mise en place de réformes néolibérales, en particulier dans les périodes au cours desquelles le Hezbollah a occupé des postes gouvernementaux.

    La lutte contre la détérioration des conditions d’existence du peuple libanais a toujours été subordonnée à la reconnaissance de la légitimité de la structure armée du Hezbollah, et c’est la raison pour laquelle le Hezbollah a appelé Saad Hariri – à plusieurs reprises – à rechercher des collaborations conjointes et une participation à un gouvernement fondé sur les accords que le parti avait conclus avec son père, Rafiq Hariri. Cela était compris de la manière suivante : le Hezbollah s’occupe de la « résistance » à Israël et Hariri prend en charge les politiques économiques et sociales du pays, chacun n’interférant pas dans les affaires de l'autre27.

    Le Hezbollah, comme nous l'avons vu, en dépit de ses critiques et et de sa rhétorique populiste visant ce qu'il a appelé le « capitalisme sauvage » dans son manifeste de 2009, n'a pas développé d'alternative. Au contraire, il continue de soutenir le capitalisme, le libre marché et les politiques néolibérales. La présence du Hezbollah au sein de tous les gouvernements depuis 2005 a confirmé les politiques antérieures des gouvernements libanais précédents. De cette manière, le Hezbollah est devenu partie intégrante de la bourgeoisie libanaise, où des rivalités existent mais sont surmontés lorsque des révoltes ou mobilisations populaires menacent le système politique établi, confessionel et bourgeois.

    En ce qui concerne les femmes, le Hezbollah promeut une vision conservatrice dans laquelle la domination des hommes sur les femmes est la règle et qui attribue des rôles spécifiques aux femmes dans la société, le premier et le plus important étant le rôle de la « maternité », dans le but d'éduquer les générations futures selon des principes islamiques. Les femmes dans le mouvement islamique libanais ne sont pas présentes dans les structures de prise de décision. En aucun cas les structures patriarcales de la société sont contestées par le parti, tandis que les vêtements et le corps des femmes doivent se conformer à des normes particulières afin, selon leurs explications, de préserver leur honneur et celui de leur famille.

    Le modèle islamique est le seul chemin juste pour les femmes, sous peine d’être considérées comme étrangères à leur propre société, sinon soupçonnées de relayer l'influence de l'impérialisme culturel occidental. Comme le chercheur Adam Hanieh l’a noté, « les structures conservatrices concernant le rôle des femmes font partie intégrante des objectifs contre-révolutionnaires plus larges »28.

    En dépit des critiques et des condamnations du confessionalisme politique, le Hezbollah est un mouvement qui use d’une propagande confessionelle fait la promotion d'une culture confessionelle « chiite » à travers ses institutions et médias. Le Hezbollah a également de plus en plus utilisé un discours chiite religieux parmi ses membres pour légitimer et justifier son intervention militaire en Syrie.

    Hassan Nasrallah, par exemple, a déclaré que le Hezbollah devait intervenir en Syrie, non seulement pour protéger la « résistance », mais aussi pour défendre les villages chiites en envoyant des soldats du Hezbollah à la frontière. Il a également souligné le rôle du Hezbollah dans la protection des symboles religieux chiites comme le mausolée de la petite-fille du prophète Mahomet, le sanctuaire d'al-Sayyida Zaynab à Damas qui « a déjà été ciblé à plusieurs reprises par des groupes terroristes »29.  Nasrallah a ajouté que cela est une question très sensible, compte tenu du fait que certains groupes extrémistes ont annoncé que si ils atteignaient ce sanctuaire, ils le détruiront. Le sanctuaire est situé dans le quartier al-Sayyida Zaynab à Damas30.

    Des rapports signalent aussi que les soldats du Hezbollah portaient des bandeaux autour de leur têtes avec écrit « O Husayn »31 (Blanford 2013b). Dans les célébrations de l'Achoura32 de 2013, des slogans tels que « Hal Min Nâsirîn Yansurunâ? Labbayki ya Zaynab! » (« Y a-t-il quelque’un pour nous défendre ? Nous sommes tous à tes ordres, Zeinab ! »), « Oh Zaynab! Nous sommes tous vos Abbas! »33, et « Nous jurons par Hassan et Hussein, Zaynab ne sera pas capturé deux fois ! »34, ont été scandés pour appeler à la défense du sanctuaire Zaynab qui est protégé par le Hezbollah et d'autres groupes confessionels chiites contre les attaques possibles des groupes armés de l'opposition syrienne à Damas35.

    Il faut également se souvenir que, suite à l'invasion de l'Irak en 2003 menée par l’armée américaine et britannique, le Hezbollah a envoyé des conseillers militaires pour appuyer la formation et les opérations de l'Armée du Mahdi et d'autres groupes islamiques politiques confessionels chiites, sous la direction de la Gardiens de la Révolutions iraniens, connus sous le nom de Pasdaran aussi36. Ces groupes ont été impliqués dans la lutte contre les forces d'occupation occidentales et des groupes confessionels sunnites irakiens, mais ont aussi attaqué des civils sunnites irakiens et ont été impliqués dans la guerre civile confessionelle entre 2005 et 2008 en Irak37.

    Le Hezbollah et les processus révolutionnaires au Moyen-Orient et Afrique du Nord (MOAN)

    Tout d'abord, nous devons nous rappeler que le Hezbollah n'avait pas une position radicale en ce qui concerne la région du MOAN avant le début des soulèvements populaires en 2010-2011. Sheikh Naim Qassem a d’ailleurs écrit dans son livre qu’il s’agirait d’une erreur et cela serait faux de lutter contre les régimes autocratiques et despotiques dans le monde arabe. Au contraire, les mouvements populaires devraient lutter pour la libération de la Palestine afin de libérer les régimes arabes et leur peuple38.

    Quelques mois après la guerre contre la bande de Gaza à la fin de l’année 2008 et au début de l’année 2009, lancée par l'armée israélienne, Nasrallah déclarait que le Hezbollah n’avait « pas de conflit ou un problème avec qui que ce soit, le système politique arabe dans tel ou tel pays arabe, qu'il soit démocratique, dictatorial, royal ou dynastique, religieux ou laïc, légal ou illégal... Indépendamment de la description, nous n’interférons pas dans ce genre d’affaires »39. En outre, le Hezbollah ne « veut de querelles avec aucun régime... Nous ne voulons de conflit avec aucun régime arabe, nous ne voulons de rivalité avec aucun régime arabe, nous ne voulons évidemment pas entrer en conflit avec aucun régime arabe, ni au niveau sécuritaire, politique ou militaire, ni même dans les médias »40.

    Néanmoins, initiallement, au début de l’année 2011, le Hezbollah a déclaré que les soulèvements populaires dans la région faisaient partie du « projet de résistance » et s’opposaient aux États-Unis et à ses alliés dans la région41, tandis que Hassan Nasrallah condamnait les accusations et les explications conspirationistes qui prétendaient que les États-Unis se trouvaient derrière ces révolutions.

    Le discours officiel du Hezbollah et de ses cadres, concernant les soulèvements régionaux, a ensuite radicalement changé. Les processus révolutionnaires étaient maintenant devenus une conspiration fomentée par les puissances étrangères contre le « projet de la résistance », ciblant l'Iran, la Syrie et le Hezbollah. Le discours de Mars 2011 de Hassan Nasrallah était alors complètement inversé. En 2013, le « Lebanese Communication Group » (LCG), (le bras médiatique du Hezbollah) présentait ses excuses officielles au régime du Bahreïn pour sa couverture médiatique du soulèvement populaire dans le pays depuis trois ans42, ce qui a néanmoins changé rapidement par la suite notamment avec la montée des tensions politiques entre, d’un côté, l’Arabie Saoudite et les autres monarchies du Golfe, et, de l’autre, l’Iran et le Hezbollah, sachant que le Hezbollah soutenait complètement et avec des moyens importants le régime d’Assad en Syrie.

    En outre, au début de l’année 2015, Hassan Nasrallah a salué le retour de l'Égypte dans les arènes arabes et régionales, sous la férule de l'ex-chef des forces armées de l'Egypte et l'actuel président Abdul Fattah Al-Sisi, affirmant l'importance de l'Égypte comme acteur essentiel de la stabilité régionale43.

    En ce qui concerne le Yémen, bien que s’opposant à l’intervention militaire dirigée par l'Arabie Saoudite depuis mars 2015 et aux autres interventions étrangères dans le pays, le Hezbollah est impliqué dans le soutien aux mouvements des Houtis, en dépit de l'alliance de ce dernier avec l'ancien dictateur et ennemi Ali Abdallah Saleh, qui avait déclaré en mars 2011 que les soulèvements arabes étaient seulement des révolutions dans le médias dirigés par les États-Unis à partir d'un bureau à Tel-Aviv44. Selon certaines sources, le commandant de l'unité 3800 du Hezbollah Khalil Harb a également été repéré au Yémen en 2012 entrainant des rebelles Houthis et a été accusé de faciliter la circulation de grandes quantités d’argents en leur faveur45.

    Le tournant majeur du Hezbollah, concernant les événements dans la région, fut sans aucun doute le début du soulèvement populaire en Syrie. Le mouvement islamique chiite libanais a été un acteur étranger déterminant, assistant le régime d'Assad aux côtés de la République islamique d’Iran et de la Russie. Le Hezbollah est intervenu militairement aux côtés des forces armées du régime syrien, a apporté un soutien technique et logistique à Damas, et a aidé une partie de la population chiite de la Syrie à développer ses propres milices d'auto-défense46.

    Le Hezbollah a également ouvert des camps d'entraînement dans les zones à l’extérieur de la ville de Baalbek dans la vallée de la Bekaa, près de la frontière syrienne, pour former les jeunes de diverses confessions religieuses, bien que l’essentiel des stagiaires dans ces camps sont chiites, afin de développer des milices d'auto-défense similaires à celles oeuvrant en Syrie47. Les combattants du Hezbollah en Syrie sont estimés entre 7 000 et 9 000, y compris les combattants d'élite, des experts et des réservistes, à des périodes données et en rotation dans et hors du pays, sur des déploiements de trente jours48.

    La prétention du Hezbollah à exprimer sa solidarité avec les opprimés du monde entier est en grande partie basée sur les intérêts politiques propres du Hezbollah, qui sont eux-mêmes étroitement liés à ceux de l'Iran et du régime d’Assad en Syrie. Voilà pourquoi la confrontation militaire entre le Hezbollah et Israël, qui a été au cœur de son identité, a été subordonné aux intérêts politiques du parti et de ses alliés régionaux. L'armement du Hezbollah a été de plus en plus orienté vers des objectifs autres que la lutte militaire contre Israël, selon les contextes et les périodes, y compris des attaques militaires contre d'autres partis politiques à l'intérieur du Liban ou la prévention de tout acteur de résistance autre que le Hezbollah au Sud-Liban.

    La défense de l' « axe de la résistance » et de l'appareil armé du parti a été utilisée par le Hezbollah comme un outil de propagande pour justifier la politique et les actions du parti, le dernier exemple étant son intervention militaire en Syrie sous le prétexte de défendre la « résistance » contre le « projet américano-israélien-Takfiri ».

    Conclusion : des voix alternatives

    Ces éléments nous conduisent à affirmer que le Hezbollah ne construit pas une contre-société ou un projet contre-hégémonique en soi, comme le suggèrent certains issus de courants de gauche et/ou académiques, mais tentent plus ou moins d’islamiser les couches les plus larges de la population chiite, tout en ne présentant pas une menace d’aucune sorte pour le système politique dominant dans sa propre société, ou même à un niveau plus large.

    Le projet du Hezbollah ne constitue pas une alternative fondamentale au système capitaliste et confessionel dominant au Liban et dans la région. Au contraire, il le soutient, comme l’illustre sa défense du système confessionel, des discriminations contre les femmes, mais aussi son absence d’intervention en faveur des travailleurs et des réfugiés palestiniens et syriens.

    En outre, la fourniture de services par ses réseaux d'organisations ne diffère pas des autres communautés politiques et confessionelles au Liban, sauf quant à son ampleur et à son efficacité, en favorisant et en promouvant le soutien ou la gestion privée, confessionelle et patronale des risques sociaux49. Sur le plan régional, il a participé à la répression, aux côtés du régime Assad, du mouvement populaire révolutionnaire en Syrie, tout en agissant en faveur d'une forme de statu quo de l'ordre impérial, dont les représentants souhaitent tous le maintien du régime d’Assad.

    Tout projet véritablement contre-hégémonique au Liban exige une rupture avec le système politique confessionel et bourgeois. Or, comme nous l’avons vu, une telle rupture n’est nullement promue par le Hezbollah, pas davantage qu’une rupture avec le système impérialiste, régional et international.

    Le rôle du Hezbollah dans les différents processus en cours au Liban et dans la région confirme qu'il ne présente pas un défi fondamental pour le cadre de l'économie politique actuelle du Liban. Au contraire, l’organisation a été progressivement intégrée dans ce système comme une fraction politique liée à la bourgeoisie confessionelle. En ce sens, la première étude réalisée par Mehdi Amel sur le comportement de la bourgeoisie islamique dans les années 1980, peut être à bien des égards vu dans l'évolution du Hezbollah concernant le système politique libanais :

    « L'aspiration des fractions de la bourgeoisie islamique à renforcer leurs positions dans la structure du pouvoir, ou plutôt à modifier la place qu'ils occupent au sein du système politique confessionnel, afin de mieux partager l'hégémonie et de ne pas changer le système... Par sa participation, cela conduira à un renforcement et à une consolidation du système politique confessionnel et non à sa transformation ou à sa suppression. Cette solution ne constitue pas une solution, car elle ne peut conduire qu’à une aggravation de la crise du système »50.

    Voilà pourquoi tout mouvement populaire au Liban aspirant à un changement radical doit remettre en question tous les acteurs du régime libanais confessionel et bourgeois, du Hezbollah au Courant du Futur, ainsi que tous les acteurs régionaux, de la Syrie et de la République islamique d’Iran à l'Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie. En même temps, il est absolument nécessaire pour les mouvements progressistes de saisir la relation intime entre la libération des classes populaires de la région et de la Palestine, et de lutter pour rendre visible cette relation.

    La libération de la Palestine et de ses classes populaires est liée de manière étoite à la libération et à l'émancipation des classes populaires dans la région, contre leurs classes dirigeantes et les divers forces impérialistes et sous-impérialistes agissant dans le cadre régional. Une logique similaire peut être aussi adopté concernant la question de la libération du peuple Kurde dans la région. De même, il faut s’opposer à toutes les tentatives venant des régimes autoritaires et des forces réactionnaires religieuses, de diviser les classes populaires en fonction de leur sexe, de leurs dénominations religieuses, de leurs nationalités, etc., Ces opérations de division ne peuvent qu’empêcher leur libération mais aussi l'émancipation des classes populaires palestiniennes et kurdes.

    En termes plus positifs, il faut chercher à construire un grand mouvement liant les questions démocratiques et sociales, s’opposant à toutes les forces impérialistes et sous-impérialistes, tout en favorisant des politiques progressises, une transformation sociale par en bas par la construction de mouvements dans lesquels les individus sont les véritables acteurs de leur émancipation.

    Dans une région qui a vu des soulèvements populaires continus depuis 2011, des changements politiques intenses et rapides, il va sans doute être de plus en plus difficile à la direction du mouvement islamique libanais, notamment auprès de sa base populaire, de continuer à proclamer son soutien aux « opprimés du monde entier », tout en demeurant soumis au néolibéralisme libanais et à l’élite politique du pays.

    Avril 2016.

    http://www.contretemps.eu/hezbollah-force-contre-révolutionnaire

  • Algérie : « la défense de nos acquis démocratiques est une priorité indiscutable » (PST)

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    Non à la remise en cause de nos libertés démocratiques !

    Pour la défense de nos acquis sociaux !

    Alors que l’amendement de la Constitution de février 2016, concocté sans l’avis du peuple algérien, avait été présenté comme une avancée démocratique dans le cadre des réformes politiques promises en 2011, le pouvoir du régime Bouteflika a multiplié les attaques contre nos libertés et redoublé de férocité contre les survivances de nos acquis démocratiques, arrachés par le sang et les sacrifices depuis octobre 1988.
    Déjà, la « levée » de l’Etat d’urgence en 2011, en vigueur depuis 1992, n’était qu’un subterfuge face à la déferlante du « printemps arabe ». Son remplacement par un dispositif juridique entravant, dans les mêmes proportions, l’exercice des libertés démocratiques consacrait, de fait, sa prorogation. Depuis, toutes les lois promulguées, comme celles relatives aux partis et aux associations en 2012, constituaient un tour de vis supplémentaire dans la dérive monarchique et autoritaire du régime.

    Affaibli par la maladie et la crise de succession de Bouteflika, discrédité par l’ampleur des scandales de corruption au sommet de l’Etat, acculé par la chute des recettes pétrolières, préoccupé par la reprise des luttes ouvrières et sociales et hâté par l’approches des législatives du printemps 2017, le régime brandit le bâton du verrouillage systématique des médias récalcitrants et menace de réduire nos libertés, y compris celles qui ornaient sa propre « vitrine démocratique ».

    L’offensive antidémocratique de ces derniers mois contre la presse, l’auto-organisation des magistrats, les députés critiques d’une part et, d’autre part, la confection d’un nouvel arsenal juridique liberticide comme la loi relative à l’obligation de réserve des anciens officiers de l’armée ou la nouvelle loi électorale, traduisent cette volonté de limiter au maximum toutes expressions politiques dans la société. Mais, cette offensive ne se réduit pas au champ politico-médiatique pour conforter une machiavélique dérive autoritaire. Avant tout, elle vise à neutraliser la résistance des travailleurs et des masses populaires à l’autre offensive économique et sociale libérale. Pour imposer la remise en cause de nos acquis sociaux, il leur faut remettre en cause nos acquis démocratiques. En effet, les attaques contre la retraite, l’imposition d’un nouveau code du travail et d’une nouvelle loi sanitaire, l’approbation d’un nouveau code des investissements, les menaces de suppression des transferts sociaux et des subventions, la mise en œuvre des recettes du FMI, de la Banque Mondiale et l’adhésion à l’OMC, etc., supposent un ordre autoritaire et répressif.

    Pour le PST, la défense de nos acquis démocratiques est une priorité indiscutable. Car les travailleurs, les travailleuses et les masses populaires ont besoin plus que quiconque de la liberté d’expression, de manifestation, d’organisation syndicale et du droit de grève. L’efficacité de la résistance à l’offensive libérale, anti sociale, anti nationale et aux pressions impérialistes suppose les plus larges libertés démocratiques dans notre pays.

    -  Mobilisons- nous pour la défense des libertés démocratiques !

    -  Exigeons le retrait de toutes les lois scélérates anti démocratiques !

    -  Exigeons le retrait de toutes les lois libérales, anti sociales et anti nationales !

    Le Secrétariat national du PST
    Alger, le 29 juin 2016.

    , par PST (Algérie)

    http://www.anti-k.org/algerie-la-defense-de-nos-acquis-democratiques-est-une-priorite-indiscutable

  • Processus révolutionnaire dans le monde arabe et question palestinienne (La Brèche Numérique)

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    Le texte qui suit est la première partie d’un article publié dans l’ouvrage collectif Le Moyen-Orient en marche : perspectives croisées, qui vient de paraître aux éditions du Cygne. À la fin de l’extrait, on trouvera le sommaire du livre.

    Depuis la défaite de juin 1967 et avec le déclin du nationalisme arabe, la Palestine a souvent été considérée comme le dernier bastion (ou l’avant-garde) de la lutte anti-impérialiste et anti-sioniste au Moyen-Orient. La résistance maintenue des Palestiniens à l’occupation et à la colonisation israéliennes, de la lutte armée des années 1970 aux initiatives dites de « résistance populaire » (à partir de 2005), en passant par la première Intifada (décembre 1987), a longtemps servi de point de référence aux peuples de la région, orphelins des idéaux nassériens et/ou panarabes.

    Les bouleversements que traverse aujourd’hui le monde arabe interrogent cette approche « classique », selon laquelle les populations de la région accusaient un considérable « retard » sur les Palestiniens, ces derniers étant les seuls à avoir échappé au processus de glaciation politique et sociale entamé dans les années 1970. Certains en étaient même allés jusqu’à considérer que le monde arabe n’était plus un acteur de l’Histoire. Un éditorial du Monde expliquait encore, le 19 mars 2011, au sujet de l’expédition militaire en préparation en Libye, ceci : « Il faut associer le monde arabe aux opérations militaires. Il en a les moyens : il dispose de centaines de chasseurs. Il a l’occasion de faire l’Histoire, pas de la contempler » [1].

    Sans tomber dans les excès de l’éditorialiste – anonyme – du Monde, force est de constater que le combat palestinien a longtemps joué un rôle de lutte « par procuration » pour des populations dont les dirigeants avaient depuis longtemps abandonné les idéaux nationalistes. Or, depuis quelques mois, ce n’est plus tant le monde arabe qui « regarde » vers la Palestine, mais bien souvent le peuple palestinien qui « regarde » vers le monde arabe : de même que, par exemple, les bombardements sur Gaza en 2008-2009 avaient fait la « Une » des journaux arabes et généré un élan de solidarité avec la population de Gaza dans toute la région, la chute de Ben Ali, puis de Moubarak, ont occupé la « Une » des médias palestiniens et ont suscité chez les habitants des territoires occupés la sympathie, pour ne pas dire l’admiration, à l’égard des peuples tunisien et égyptien.

    Cette sympathie n’est pas seulement à appréhender du point de vue de la « solidarité internationale ». Elles expriment en réalité ce que l’échec des idéologies panarabes avait en partie occulté : la conscience d’une communauté de destin chez les peuples de la région, en raison notamment d’une histoire coloniale et postcoloniale commune, quand bien même les récentes histoires nationales auraient divergé. La singularité de la situation palestinienne et sa surexposition politique et médiatique lui ont conféré une place particulière dans les processus d’identification régionaux. Le renversement que nous venons d’évoquer confirme ce phénomène qui traduisait, en premier lieu, l’aspiration maintenue des peuples de la région à plus de dignité, de justice et de libertés. Avec l’irruption visible des peuples arabes sur la scène politique, les Palestiniens sortent de l’isolement, et semblent en avoir conscience.

    S’agit-il pour autant d’un réel renversement de perspective ? En d’autres termes, les bouleversements en cours peuvent-ils contribuer à ce qu’une reconfiguration de la question palestinienne s’opère ? C’est à ces questions que je tenterai de répondre dans cette étude, en trois temps : tout d’abord, en rappelant que la question de Palestine fut, après la création de l’État d’Israël, une question arabe ; ensuite, il conviendra d’interroger l’autonomisation progressive de la question palestinienne avant, dans un dernier temps, de mesurer les premiers effets visibles, sur la scène palestinienne, du processus révolutionnaire en cours.

    La question de Palestine : une question arabe

    L’histoire récente nous fait souvent oublier que la question palestinienne (lutte pour la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens) a d’abord été la question « de Palestine » (lutte pour la libération de la terre de Palestine) et, à ce titre, une question arabe. Les États arabes ont refusé la partition de 1947 et plusieurs d’entre eux ont été en guerre contre Israël à 3 reprises (1948, 1967, 1973). Lorsqu’en 1964 la Ligue des États Arabes soutient la création de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), ce n’est pas tant pour permettre aux Palestiniens de se doter de leur propre représentation que pour réaffirmer le leadership des États arabes pour tout ce qui touche à la question de Palestine.

    Le premier Conseil National Palestinien (CNP, « parlement » de l’OLP), se réunit à Jérusalem en mai 1964 sous l’étroite surveillance des régimes arabes, notamment de l’Égypte et de la Jordanie. Ahmad Choukeyri, à la tête du premier Comité Exécutif de l’OLP (CEOLP), est une personnalité relativement consensuelle auprès des régimes arabes, qui précise, dans son discours inaugural, ce qui suit : « la création de l’entité palestinienne dans la cité de Jérusalem ne signifie pas que la rive occidentale du Jourdain fasse sécession de la Jordanie. Nous voulons libérer notre patrie qui s’étend plus loin, à l’Ouest. En aucune façon nous ne menaçons la souveraineté jordanienne car cette terre a été, tout au long de l’Histoire, le refuge d’une même nation et n’a formé qu’une seule patrie » [2]. Une véritable lutte s’est déroulée, dans les années 60, pour que la question de Palestine soit prise en charge par les Palestiniens eux-mêmes. Ce fut la raison d’être du Fatah, fondé en 1959. Les fondateurs du Fatah en effet déduisent de la débâcle de 1948 et de l’incapacité des régimes arabes à libérer la Palestine, la nécessité d’une prise en charge autonome de la question palestinienne. C’est ce que certains ont nommé la « palestinisation » de la lutte [3], qu’on entendra ici comme le projet de réappropriation par les Palestiniens eux-mêmes d’une cause considérée comme confisquée par les régimes arabes. Pour le noyau dirigeant du Fatah, les États arabes sont incapables de mener à bien la lutte pour la reconquête de la Palestine car ils la subordonnent à leurs intérêts et objectifs propres et l’ont, de fait, reléguée au second plan.

    Le Fatah récuse le mot d’ordre en vogue dans les milieux panarabes : « l’unité arabe conduira à la libération de la Palestine ». Ils rendent même responsables les régimes arabes de la défaite de 1948, affirmant par exemple que l’intervention des armées arabes « a échoué car les états arabes ont écarté les forces vives palestiniennes de la bataille en suspendant leurs activités armées révolutionnaires » [4]. Dans la rhétorique du Fatah, la prise en charge de la question palestinienne par les régimes arabes n’est donc pas seulement une erreur, mais un obstacle à la libération de la Palestine. D’où la nécessité d’établir un mouvement palestinien autonome, émancipé de toute tutelle arabe, avec ses propres structures, son propre programme, sa propre direction et ses propres instances de décision. La défaite de juin 1967 donne un écho conséquent au discours du Fatah, qui prendra le contrôle de l’OLP en 1968-69 autour du mot d’ordre de la palestinisation. La guerre de 1973, par laquelle les États arabes indiquent qu’ils n’entendent plus reconquérir militairement la Palestine, confortera les positions du Fatah et le processus de palestinisation qui accompagne la désarabisation du combat pour la Palestine. En effet, l’autonomie acquise par le mouvement national palestinien est aussi le reflet du désengagement des États arabes dans le combat contre Israël, facteur déterminant de la glaciation politique régionale a partir des années 1970.

    Une autonomie palestinienne relative

    L’autonomie ainsi acquise est cependant à relativiser. Tout d’abord, le Fatah (et l’OLP) sont dépendantes financièrement des régimes arabes. Dès le début des années 1960, le mouvement de Yasser Arafat, qui prônait la lutte armée, a frappé aux portes des argentiers arabes : en 1962, Abu Jihad se rend en Algérie où il rencontre les dirigeants du FLN qui l’assurent de leurs dispositions à soutenir le Fatah. La Syrie et l’Iraq baathistes accepteront eux aussi d’apporter un soutien matériel au mouvement et d’héberger des camps d’entraînement. Le Fatah entend jouer sur les contradictions internes au monde arabe en s’appuyant, dans le cas de l’Iraq et de la Syrie, sur des régimes en compétition avec l’Égypte nassérienne, a fortiori depuis l’échec de la République Arabe Unie. Cette politique conduira Yasser Arafat à solliciter certains de ses proches pour qu’ils recherchent le soutien financier de l’Arabie Saoudite. En 1964, le leader du Fatah missionne Khalid al-Hassan pour établir un contact direct avec les autorités saoudiennes, en l’occurrence le ministre du Pétrole Ahmad Zaki Yamani. Ce dernier organisera une entrevue entre Arafat et le Roi Faysal, qui offrira une somme d’argent considérable au Fatah.

    Dépendant des financements et du soutien matériel étrangers, notamment arabes, le mouvement se place dans une situation doublement contradictoire avec sa revendication d’autonomie. En premier lieu, le soutien matériel est subordonné aux jeux d’alliances régionaux : la fragilité de ces alliances place le Fatah dans une situation de précarité extrême. C’est ainsi que plusieurs décennies plus tard, ce « péché originel » du Fatah aura des répercussions considérables lorsque Yasser Arafat apportera son soutien à Saddam Hussein lors de la première Guerre du Golfe, provoquant une véritable hémorragie financière de l’OLP. En second lieu, les pays « donateurs » exigent d’avoir un droit de regard sur les activités du Fatah. C’est ainsi que l’Iraq, puis la Syrie, préféreront rapidement, après avoir tenté à plusieurs reprises d’interférer dans les affaires internes du Fatah, susciter la création de mouvements « palestiniens » qui leur sont en réalité inféodés, afin de peser au sein de l’OLP.

    Un second élément renforce le caractère subalterne de l’autonomie revendiquée par le Fatah (et dont héritera l’OLP) :

    c’est le principe de « non-ingérence palestinienne dans les affaires intérieures arabes ». Pensé comme la logique et juste contrepartie de la revendication de l’autonomie du mouvement palestinien et donc de la « non-ingérence arabe dans les affaires intérieures palestiniennes », ce principe s’avère en réalité être, lui aussi, une faiblesse structurelle majeure du Fatah, qui aura de tragiques conséquences, en Jordanie puis au Liban. L’idée de la non-ingérence est en effet doublement paradoxale :
    — elle trace un trait d’égalité, avec le principe de réciprocité, entre des entités étatiques constituées et un peuple en exil… dans ces entités. Toute activité politique palestinienne au sein des États abritant des réfugiés peut être considérée par ces États comme une ingérence au sein de leurs affaires intérieures. En revendiquant le principe de non-ingérence, le Fatah offre des arguments à des régimes potentiellement hostiles et s’interdit, a priori, d’influer sur la politique des États dans lesquels vivent la majorité des Palestiniens
    — elle sous-entend que les Palestiniens pourraient conquérir une place dans le dispositif étatique arabe sans que celui-ci ne subisse de bouleversement majeur ou, plus précisément, sans que les organisations palestiniennes ne prennent en charge tout ou partie du combat contre des régimes autoritaires, conservateurs, voire réactionnaires. Cette analyse contestable sera source de débats et de tensions avec les futures organisations de la gauche palestinienne.

    Le principe de non-ingérence renforce le caractère subalterne, voire contradictoire, de l’autonomie revendiquée par le Fatah. Il indique que, malgré une rhétorique très critique à l’égard des régimes arabes, le mouvement n’entend pas entrer en confrontation directe avec eux. Conscients de leur faiblesse numérique et militaire, les dirigeants du Fatah comptent sur le soutien des États arabes dans la lutte pour la libération de la Palestine. La dépendance à l’égard des États arabes est assumée, elle participe du positionnement paradoxal du Fatah et le l’OLP dans le contexte politique et social régional à partir des années 1970. Ce positionnement paradoxal et le caractère structurellement subalterne de l’autonomie palestinienne marquera durablement le mouvement national palestinien. Si la question de Palestine est progressivement devenue une question palestinienne, elle n’en est pas moins demeurée une question intégrée au dispositif régional. À l’heure où ce dernier est en train de vaciller, rien de surprenant dans le fait que les coordonnées de la question palestinienne soient amenées à être rapidement bouleversées.

    Les mouvements de protestation contre les régimes autoritaires qui s’élèvent dans tous les pays arabes donnent à voir un autre visage des mondes arabes jusqu’ici nié dans un amas de clichés nauséabonds. De l’inadéquation supposée entre islam et démocratie, au besoin inventé des peuples arabes d’être dirigés par un leader, ces stéréotypes sont aujourd’hui visiblement balayés par des processus qui ont en réalité mûri depuis le mouvement de la Nahda au XIXe siècle.

    Si la métaphore du « printemps arabe » renvoie justement à cette idée d’une renaissance, elle cantonne aussi, le temps d’une saison, un mouvement qui promet de s’étendre sur un temps long. Aussi, parler de « printemps arabe » pour qualifier cette lame de fond semble quelque peu inapproprié. D’autant qu’il ne saurait y avoir un « printemps arabe », mais des « printemps arabes » protéiformes, tributaires de particularismes historiques, de systèmes politiques, de tissus sociaux propres à chacun des pays. D’ailleurs les « printemps arabes » sont loin de n’être qu’arabes... et montrent, à ceux qui en douteraient encore, que le peuple est un acteur politique, économique et social à part entière. Comment s’est construite cette prise de conscience et sur quels particularismes repose-t-elle ?

    En abordant ce phénomène dans ces aspects juridiques, historiques, politiques, économiques et sociaux, ce cahier — qui s’inscrit dans une série de trois opus consacrée aux révolutions arabes — propose quelques études de cas réalisées à chaud.

    Qu’elles soient entamées, maîtrisées, ou figées, ces révolutions promettent, avec des temporalités et selon des modalités différentes, des bouleversements structurels majeurs que tous doivent désormais intégrer dans leur appréhension de la région. Le Moyen-Orient, jusqu’ici perçu comme une région sclérosée, est bel et bien en marche...

    , par SALINGUE Julien

    L’ouvrage peut être commandé par votre libraire ; il est également disponible sur les divers sites internet de vente de livres.

    Notes

    [1C’est moi qui souligne. Notons ici que ces propos font écho au (tristement) célèbre discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, prononcé le 26 juillet 2007, dans lequel le Président français déclarait notamment : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ».

    [2Cité par Xavier Baron, Les Palestiniens : Genèse d’une nation, Seuil, Paris, 2003, p. 76.

    [3Jean-François Legrain, « Palestine, de la terre perdue à la reconquête du territoire », Cultures & Conflits n° 21-22 (1996), p. 171-221.

    [4Yezid Sayigh, Armed Struggle and the Search for State : The Palestinian National Movement (1949-1993), Oxford University Press, 1998, p. 89.

    Source (origine)

    Le blog de Julien Salingue, 15 mars 2012.

    http://www.juliensalingue.fr/article-processus-revolutionnaire-dans-le-monde-arabe-et-question-palestinienne-101611430.html

    http://www.preavis.org/breche-numerique/article2546.html

  • PST Algérie

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  • PST (Algérie)

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  • Parti Socialiste Des Travailleurs

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    Connu pour ses positions envers les luttes ouvrières, le Parti socialiste des travailleurs (PST) a salué hier, dans un communiqué, ce qu’il appelle « la lutte des travailleurs de la SNTF » et exprime sa solidarité et son soutien à la grève des conducteurs et du personnel roulant des trains.

    « Posées depuis longtemps, les revendications légitimes des travailleurs grévistes n’ont trouvé que des promesses non tenues et des faux-fuyants de la part de la DG de l’entreprise. Outre la revalorisation des indemnités liées au travail de nuit, des jours fériés et des week-ends, les travailleurs réclament la révision du repositionnement dans l’échelle professionnelle », peut-on lire dans le document.

    Ce mouvement de grève, selon le PST, pose encore une fois le problème de la représentativité des structures de la centrale syndicale.

    « Cette nouvelle grève a mis à nu encore une fois la représentativité de la fédération syndicale UGTA (FNC). En effet, cette structure n’a jamais été élue puisque ses membres ont été désignés par les instances centrales de l’UGTA en tant que commission préparatoire du congrès de la Fédération nationale des cheminots, et ce, bien après la fin du mandat de l’équipe précédente », affirme le communiqué.

    Ce dernier estime que les travailleurs de la SNTF n’ont donné aucun mandat à cette équipe désignée et seule la DG de l’entreprise s’entête à la présenter comme « seul représentant légal ». Selon le PST, malgré les intimidations, les poursuites judiciaires et la pression médiatique, les travailleurs sont déterminés à arracher la satisfaction de leurs revendications. Mais la lutte pour élire une fédération syndicale unitaire représentative, démocratique et combative doit continuer.


    http://www.reporters.dz/…/sntf-8e-jour-de-greve-des-chemino…

  • Sidi Saïd les lâche, le PST soutient les cheminots (PST)

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    La fédération UGTA, obéissant aux directives de Sidi Saïd, se range derrière l'employeur pour esquiver les revendications immédiates des conducteurs. La détermination  des grévistes, "malgré les intimidations, les poursuites judiciaires  et la pression médiatique", est saluée par le Parti socialiste des travailleurs

    Communiqué du Secrétariat National du PST

    Solidarité avec la grève des cheminots !

    Le PST salue la lutte des travailleurs de la SNTF et exprime sa solidarité et son soutien à la grève des conducteurs et du personnel roulant des trains. Posées depuis longtemps, les revendications légitimes des travailleurs grévistes n’ont trouvé que des promesses non tenues et des faux-fuyants de la part de la DG de l’entreprise. Outre la revalorisation des indemnités liées au travail de nuit, des jours fériés et des week-ends, les travailleurs réclament aussi la révision du repositionnement dans l’échelle professionnelle.

    Par ailleurs, cette nouvelle grève a mis à nue, encore une fois, la « représentativité » de la fédération syndicale UGTA (FNC). En effet, cette structure n’a jamais été élue puisque ses membres ont été désignés par les instances centrales de l’UGTA, en tant que commission préparatoire du congrès de la fédération nationale des cheminots, et ce bien après la fin du mandat de l’équipe précédente. Les travailleurs de la SNTF n’ont donné aucun mandat à cette équipe désignée et seule la DG de l’entreprise s’entête à la présenter comme « seul représentant légal ».

    Malgré les intimidations, les poursuites judiciaires et la pression médiatique, les travailleurs sont déterminés à arracher la satisfaction de leurs revendications. Mais, la lutte pour élire une fédération syndicale unitaire représentative, démocratique et combative doit continuer.

    Solidarité avec la lutte des Cheminots !
    Vive l’unité des travailleurs !

    Alger, le 14 mai 2016

    http://www.algerieinfos-saoudi.com/sidi-said-les-lache-le-pst-soutient-les-cheminots

    Source: http://www.algerieinfos-saoudi.com/

  • Affaire El Khabar : Le PST se solidarise avec les salariés et s’en prend aux «oligarques» (El Watan.dz)

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    Dans une réaction au procès El Khabar, le Parti socialiste des travailleurs (PST) renvoie dos à dos le pouvoir et les «forces de l’argent».

    Pour ne pas donner l’impression de soutenir l’homme d’affaires, le parti d’extrême gauche appelle à appuyer les travailleurs du groupe El Khabar. Pour le PST, «la solidarité doit s’exprimer avant tout à l’égard des journalistes et des travailleurs du groupe de presse El Khabar qui risquent de perdre leur emploi. Pour le PST, le combat pour la liberté d’expression et les libertés démocratiques et syndicales doit être mené non seulement contre l’autoritarisme du pouvoir politique et sa machine répressive, mais aussi contre le pouvoir de l’argent et des oligarques prédateurs», indique le parti politique dans un communiqué rendu public hier.

    Le PST, qui se prononce contre «les monopoles médiatiques», estime que «l’indépendance de la presse du pouvoir politique n’aura de sens que si elle l’est aussi vis-à-vis du pouvoir de l’argent et des affairistes. Aussi, la liberté de la presse ne se réduit pas à la liberté d’expression des journalistes, que nous défendons par ailleurs, mais aussi à celle de l’ensemble des citoyens et des citoyennes, des travailleurs et de tous les opprimés.» Le document rappelle également que le gouvernement ne peut pas être crédible à cause des deux poids deux mesures qu’il applique. «Les ‘‘nobles envolées antimonopole’’ de Grine et d’Ouyahia auraient pu être crédibles si elles étaient adressées aussi à leur ami Haddad qu’on a laissé bâtir un empire médiatique», lit-on.

    Ali Boukhlef  15.05.16

    http://www.elwatan.com/affaire-el-khabar-le-pst-se-solidarise-avec-les-salaries

     

    Le PST à équidistance


    Hier encore, c’était au tour du Parti socialiste des travailleurs (PST) de se jeter dans le débat, seulement cette formation de gauche apporte une «nuance » et appelle à la clarification des questions et interrogations charriées par l’affaire El Khabar.

    Il est le premier jusque-là à se mettre à égale distance entre les protagonistes dans cette affaire en s’interrogeant sur la place des travailleurs du groupe de presse et leur avenir. Il résume sa position en se démarquant « du pouvoir politique et du pouvoir de l’argent », et d’estimer que « l’opération de rachat par Issad Rebrab du groupe de presse El Khabar (est) une ‘‘guerre de position’’ sur les plans économique, politique et médiatique ».

    Il considère que «l’archimilliardaire Rebrab est loin de représenter le combat pour les libertés démocratiques et la liberté de la presse dans notre pays», rappelant «son opposition au droit des travailleurs de constituer une structure syndicale dans son usine Cevital-Béjaïa et le licenciement des animateurs de ce mouvement en 2012 ». Le PST pense déceler dans le rachat par Rebrab du groupe El Khabar son intention « de servir avant tout ses intérêts économiques et d’élargir l’influence politique de ses protecteurs et ses alliés à la veille des échéances électorales de 2017 et 2019 ».

    Pour le PST, la solidarité doit s’exprimer avant tout à l’égard des journalistes et des travailleurs du groupe de presse El Khabar qui risquent de perdre leur emploi.

    « Le combat pour la liberté d’expression et les libertés démocratiques et syndicales doit être mené non seulement contre l’autoritarisme du pouvoir politique et sa machine répressive, mais aussi contre le pouvoir de l’argent et des oligarques prédateurs», écrit-il. Il rappelle que cette solidarité manifestée par les «politiques», y compris celle de la corporation, doit aller en premier aux travailleurs du groupe «contre la marchandisation de l’information, la concentration et les monopoles médiatiques» et «contre la mainmise du capital sur les médias».


    http://www.reporters.dz/…/justice-medias-le-pst-recadre-le-…

  • Islamophobie et orientalisme inversé: Europe et Moyen-Orient

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    Certains courants de la gauche radicale peinent à articuler la lutte contre l’islamophobie en Europe avec le soutien aux luttes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

    Tandis que d’autres, traversés par le concept « orientaliste », promeuvent l’islam politique comme vecteur d’émancipation. Deux maux dont la gauche doit se défaire, selon Joseph Daher.

    La lutte contre l’islamophobie en Europe et pour le changement radical des sociétés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord nécessite encore et toujours des débats au sein de la gauche radicale, car certains ont parfois du mal à combiner les deux objectifs pour différentes raisons, souvent d’ailleurs contradictoires. Dans la première partie de cet article, nous traiterons de la nécessité de la lutte contre l’islamophobie comme objectif central de la lutte pour une société plus égalitaire et plus juste, particulièrement en période de crise économique et de montée du racisme en Europe.

    Dans la seconde partie, nous démontrerons que la lutte contre l’islamophobie ne doit en aucun cas laisser la place à un « orientalisme en retour ou inversé » qui traverse certains courants de gauche dans leur analyse du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

    L’islamophobie est tout d’abord le racisme envers la communauté musulmane, les citoyen-ne-s de confession musulmane, pratiquants ou non, simples croyants ou athées, mais portant un prénom musulman. L’islamophobie ne mesure pas la religiosité d’une personne. Elle connu une explosion en Occident après les attentats du 11 septembre 2001. Un nouvel ennemi avait été trouvé et les lois discriminantes à l’encontre des communautés musulmanes en Europe ont connu un boom.

    Dans un rapport publié en 2012, intitulé Choix et préjugés - la discrimination à l’égard des musulmans en Europe, Amnesty International s’alarme du climat islamophobe.

    De nombreux pays européens (France, Suisse, Autriche...) sont pointés du doigt pour leurs pratiques, encouragées par des partis politiques en quête de voix électorales, ajoute le rapport. Le rédacteur du rapport décrit par exemple le fait que « des femmes musulmanes se voient refuser des emplois et des jeunes filles sont empêchées d’aller en classe simplement parce qu’elles portent des vêtements traditionnels comme le foulard (...). Des hommes peuvent être licenciés pour porter des barbes associées à l’islam ».

    La Suisse n’échappe pas à cette atmosphère islamophobe, dont le symbole reste la loi sur l’interdiction de construction de nouveaux minarets votée en 2009.

    La gauche radicale, dans la résistance aux intérêts capitalistes qui veulent imposer des mesures d’austérités à travers l’Europe, via l’outil principal de la dette mais également via le racisme et l’islamophobie, ne peut se permettre de reléguer cette question. L’islamophobie, comme le racisme et le communautarisme, est un instrument des classes dirigeantes pour diviser les classes populaires et les détourner de leur réel ennemi : la classe bourgeoise.

    Trostky affirmait que même si une démocratie complète est illusoire sous le système capitaliste, le mouvement révolutionnaire ne doit en aucune façon renoncer, même sous l’impérialisme, à la lutte pour les droits démocratiques.

    Le combat contre l’islamophobie et le racisme en général et pour le droit à l’exercice de la liberté de conscience est fondamental dans la pensée marxiste.

    Dans sa Critique du programme de Gotha du Parti Ouvrier Allemand (1875), Marx expliquait que la liberté privée en matière de croyance et de culte doit être définie uniquement comme rejet de l’ingérence étatique. Il en énonçait ainsi le principe : « Chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez ». Ce même Marx a défendu l’obtention des droits civiques des juifs de Cologne en 1843 et déclarera que le privilège de la foi est un droit universel de l’homme. Le marxisme classique, celui des fondateurs, n’a d’ailleurs pas requis l’inscription de l’athéisme au programme des mouvements sociaux.

    La question du voile ne concerne que les femmes, elles doivent décider par elles-mêmes et en toute indépendance de son port ou non. Le voile imposé ou retiré par la force est un acte réactionnaire et qui va à l’encontre de tout soutien à l’autodétermination des femmes.

    Dans cette lutte contre l’islamophobie, nous nous opposons à ceux et celles qui, à gauche, rejettent toute unité d’action avec des groupes ayant une base ou se revendiquant de fondements religieux, en faisant appel à la fameuse phrase de Karl Marx selon laquelle la religion est « l’opium du peuple », sans faire référence à la suite du texte qui explique le réel sens à y donner.

    Un certain nombre d’exemples historiques démontrent l’erreur de ce positionnement.

    La gauche radicale a collaboré et lutté côte à côte avec les adeptes de la théologie de la libération, qui avaient développé une critique radicale du capitalisme contre les dictatures d’Amérique du Sud. Le parti bolchevique n’hésitait pas à coordonner des luttes avec le Bund, union générale des travailleurs juifs de Pologne, de Lituanie et de Russie, fondée en 1897, qui, malgré son orientation athéiste, anticléricale et fondamentalement socialiste, était basée sur un regroupement communautaire.

    Finalement Malcolm X qui, tout en restant fidèle à ses convictions religieuses, particulièrement à la fin de sa vie, évoluait à gauche. Il n’hésita pas à critiquer les dirigeants musulmans dans une interview en 1965, qu’il accusa d’avoir volontairement maintenu les peuples, et les femmes en particulier, dans l’ignorance. Il ajouta aussi que l’état d’avancement d’une société se mesure à la situation faites aux femmes, en déclarant que « plus les femmes sont éduquées et impliquées... plus le peuple entier est actif, lumineux et progressiste ».

    L’intervention des forces progressistes et révolutionnaires permet la radicalisation des mouvements de contestation populaire. Elle doit également empêcher toute dérive de confiscation « identitaire » des débats et des dynamiques politiques en inscrivant les luttes dans une perspective humaniste et universelle, sans laisser la place à une forme d’« orientalisme en retour » qui touche certains courants de gauche, en Occident comme au Moyen Orient.

    L’« orientalisme en retour » est un concept développé par le marxiste syrien Sadiq Jalal al Azm, en 1980, face à ce qu’il considère comme une ligne révisionniste de la pensée politique arabe, qui a fait surface sous l’effet du processus révolutionnaire iranien après 1979.

    La thèse centrale de ce courant, qui trouve à sa source un certain nombre d’intellectuels de gauche et nationalistes déçus, peut se résumer comme suit : « Le salut national tant recherché par les Arabes depuis l’occupation napoléonienne de l’Egypte ne se trouve ni dans le nationalisme laïc (qu’il soit radical, conservateur ou libéral), ni dans le communisme révolutionnaire, le socialisme ou autre, mais dans un retour à l’authenticité de ce qu’ils appellent l’islam politique populaire ».

    Ainsi, les mouvements de l’Islam politique ont tendance à promouvoir l’idée que la libération et le développement des pays arabes dépendent en premier lieu de l’affirmation de leur identité islamique, qui serait « permanente » et « éternelle », et non en luttant contre le capitalisme et l’impérialisme. D’autres questions peuvent être également débattues comme la lutte pour les droits des femmes, la lutte contre le communautarisme, le rôle de Etat, etc.

    Ce courant a trouvé malheureusement des adeptes dans certains courants de la gauche en Europe également, certes minoritaires mais néanmoins présents.

    L’islam politique devient pour cette tendance un agent de modernisation, et la religion islamique est la langue et la culture essentielle des peuples musulmans. Selon cette doctrine, la force motrice de l’histoire en Orient est l’Islam et non, comme en Occident, les intérêts économiques, les luttes de classe et les forces sociopolitiques.

    Cette vision considère ainsi les défenseurs de l’Islam politique comme des « anti-impérialistes » ou des « progressistes », et les comparaisons avec les mouvements de la théologie de la libération ont fleuri. Ces considérations sont sans fondement.

    La théologie de la libération et les mouvements islamistes ne sont pas de même nature et leurs objectifs sont différents : la théologie de la libération n’est pas tant l’expression d’une identité culturelle – dans le sens de la préservation de soi vis-à-vis d’une domination occidentale « autre », telle que la revendique le mouvement islamiste – elle s’ancre davantage dans un discours du développement et de l’émancipation des subalternes. Elle a principalement mobilisé les pauvres et les exploité-e-s, tandis que les mouvements islamistes ont tendance à cibler les classes moyennes éduquées, considérées comme les principaux agents du changement politique. Les islamistes visent avant tout à islamiser la société, la politique et l’économie, alors que les théologiens de la libération n’ont jamais eu l’intention de christianiser la société, mais plutôt de la changer à partir du point de vue des opprimé-e-s.

    Il faut certes reconnaître la composante anti-impérialiste de certains mouvements luttant contre Israël – quoique, mis à part le Hamas et le Hezbollah, il s’agisse d’une posture souvent rhétorique. Et cela ne suffit pas à les caractériser comme anti-impérialistes ou progressistes. L’exemple des Frères musulmans en Egypte est parlant à bien des égards : ils n’ont cessé en effet de répéter leur respect aux accords de Camp David et ont servi d’entremetteur entre le Hamas et l’Etat d’Israël lors de la dernière offensive militaire israélienne contre la bande de Gaza, en novembre 2012.

    Les mouvements islamistes n’encouragent en rien les politiques visant à émanciper la société, pas plus qu’ils ne s’opposent aux politiques néolibérales.

    Ils les promeuvent au contraire, en réprimant les syndicats. Par ailleurs, les inégalités sociales et la pauvreté ne peuvent en aucun cas être combattues à travers la charité, qui caractérise ces mouvements. La charité les maintient au contraire puisqu’elle ne remet pas en cause le système qui les sous-tend.

    En conclusion, il s’agit de s’opposer aux discours islamophobes développés et entretenus par les élites et les médias occidentaux contre les mouvements de l’Islam politique et dénoncer leur répression lorsque c’est le cas dans certains pays. Mais cette position de principe ne doit pas nous empêcher de soutenir et de lutter pour le changement radical dans les sociétés moyen-orientales et nord-africaines, en développant une analyse matérielle des dynamiques sociétales et des partis de l’Islam politique qui s’opposent par différents moyens à la continuation des processus révolutionnaires et au changement radical, comme en Egypte et en Tunisie par exemple.

    Ces deux courants orientalistes qui voyaient la religion comme le moteur de l’histoire de la région peuvent revoir leur copie, car les mots d’ordre des révolutions de la région n’ont pas été « l’Islam est la solution », mais bien « la révolution continue est la solution » ou encore « Pain, liberté et indépendance ». Les processus révolutionnaires au Moyen Orient et en Afrique du Nord ont ouvert une nouvelle page de luttes et d’émancipations, non seulement au niveau régional, mais international également.

    Joseph Daher

    Le Courrier de Genève. Lundi 28 janvier 2013 :
    http://www.lecourrier.ch/105465/islamophobie_et_orientalisme_inverse

    * Chercheur doctorant à la School of Oriental and African Studies (SOAS), Londres.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37923

     

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