Portrait socio-économique de la région
La province d’Ouarzazate est située au sud-est marocain. Sa population est de 520 000 habitants. Trois indicateurs à retenir :
- Taux d’analphabétisme : 67%.
- Taux de pauvreté de la province : 15,2% (moyenne nationale en 9%)
- Taux de pauvreté en milieu rural : 19,7%
Cette province détient des records nationaux de pauvreté. Les taux les plus élevés au Maroc sont détenus par la province de Zagora où des villages connaissent un taux de pauvreté qui dépasse les 50 % ! Les conditions de vie sont extrêmement difficiles surtout en milieu rural : absence de routes, climat aride et rareté des ressources hydrauliques, la région est déclarée comme constituant un désert médical.
En milieu urbain, la crise économique et financière de 2008 est passée par là. Le tourisme et le secteur cinématographique dans la ville d’Ouarzazate et ses environs sont au point mort, les licenciements se comptent par centaines.
Deux autres éléments importants à signaler dans le portrait de cette région :
- Ouarzazate et sa région ont été un bastion de luttes ouvrières et populaires : secteur des mines, secteurs publics, tourisme, surtout ces dernières années ;
- Les sols de la région sont des plus riches du Maroc : les sociétés minières exploitent des mines d’or, de cobalt, de cuivre et d’argent…
C’est tout le paradoxe de cette région très riche à la population pauvre. Ce contexte est un terrain fertile pour les Institutions de microfinance (IMC) : elles peuvent facilement y vendre leurs « produits » à une population majoritairement analphabète et dans le besoin.
Début et développement du mouvement des victimes des microcrédits
Tout commence en mai 2011, c’est la période des manifestations du mouvement du 20 février, variante marocaine du printemps arabe. Les premières victimes des microcrédits manifestent à Ouarzazate. Elles sont rejointes par d’autres femmes victimes dans les villes du Sud-est : Agdz, Zagoura, Tagounit, M’hamid Ghizlan, Kalâa Magouna. Le nombre de victimes : un millier, en grande majorité des femmes. Ce mouvement original au Maroc et dans la région apporte une critique sur le fond et la forme de ce système vanté depuis des années.
Sur la forme
- Taux d’intérêt usurier allant de 15 à 100% alors que les client-e-s signent des contrats sur la base de taux de 2 à 10% ;
- Certains contrats et documents sont signés sur des feuilles volantes, sans entêtes, ni détails des versements, sans respect de la loi marocaine sur la clause des contrats ;
- La langue utilisée (l’arabe ou le français) n’est pas maîtrisée par ces femmes dans le milieu rural qui parlent que l’amazigh ;
- Les conditions en cas du non remboursement d’un prêt sont abusives : 10% de plus du remboursement prévu en cas de retard ; en cas de procès, le client supporte tous les frais liés à la procédure, les IMC (Institutions de la MicroFinance) se gardent le droit de poursuivre le/la client-e devant le tribunal de leur choix ce qui complique le suivi d’un éventuel procès par le/la client-e
- La microfinance est un secteur exonéré de la TVA alors que les client-e-s pauvres payent des taxes
- Aucune étude des dossiers des prêts. Octroi de prêts à des personnes sans projets, à des mineur-e-s, à des élèves scolarisé-e-s, etc…
- Ces IMC utilisent des méthodes à la limite de la légalité : les agents de ces institutions n’hésitent pas à effectuer des descentes en grandes pompes dans les domiciles des femmes. De plus, ils se font passer pour la police ou l’autorité locale : ils recourent aux menaces directes et à des saisies de biens hors de tout cadre légal.
Sur le fond
- Dans ces conditions, on ne peut nullement parler d’un développement basé sur le microcrédit. L’espoir de promouvoir l’autonomie financière des femmes dans le monde rural se transforme en un cycle d’endettement, d’emprunts croisés et de dépendance.
- L’objectif des IMC est en premier lieu la bancarisation des pauvres et la vente de nouveaux produits financiers (la microassurance)
Chronologie d’un feuilleton judiciaire
L’action de ce mouvement a inquiété dès le départ les IMC et l’Etat qui fait la promotion de ces institutions. Leurs réponses n’ont pas tardé surtout qu’en juillet 2011, 1.200 victimes déposent plainte contre les quatre plus grandes IMC au Maroc (Amana, Al Baraka, Inmaâ, La Fondation Banque populaire). A partir de cette date commence un harcèlement judiciaire des animateurs de ce mouvement :
Janvier 2012 : A leur tour, ces quatre IMC portent plainte contre les deux coordinateurs du mouvement ; Amina Mourad et Benacer Ismaini, pour escroquerie, diffamation et menaces.
Les chefs d’accusation sont montés de toutes pièces.
Le procès a été reporté 15 fois !!
Coup de théâtre : Début, 2013, Les 4 associations de microcrédit retirent leurs plaintes et les témoins refusent d’enfoncer les deux militants et nient ce qu’ils ont déclaré à la police.
Avril 2013 : Le verdict en 1ère Instance innocente les deux militants des charges lourdes et les condamne à une amende de 400 euros chacun pour diffamation.
Nouveau Coup de théâtre : En septembre 2013, l’association INMAA, liée à Planet Finances relance ce procès en Appel. Un nouveau procès fleuve commence. Les coordinateurs du mouvement de défense des victimes du microcrédit sont poursuivis pour diffamation et insultes (ils ont scandé des slogans devant le Tribunal...) et une nouvelle fois pour escroquerie.
Verdict en février 2014 : 1 an de prison ferme pour les deux militants et 1000 euros d’amende chacun.
Nouvelle étape : les deux coordinateurs du mouvement ont déposé un pourvoi en Cassation, la date de cette ultime phase du procès n’a pas encore été fixée.
Que retenir de ce feuilleton judiciaire :
- Ce procès est un acharnement et le verdict est injuste ;
- Les deux procès ont été entachés de multiples vices de forme ;
- Une Justice aux ordres du pouvoir politique et au service de la Finance (remplacement du juge au milieu du procès, envoi d’un juge spécial de Rabat)
- La Justice cherche à faire peur aux victimes et à briser leur mouvement en criminalisant leur combat.
Le mouvement de solidarité
Cette lutte menée depuis 2011 a gagné la solidarité nationale et internationale. Entre 2012 et 2014, ATTAC Maroc a soutenu cette lutte, à travers l’implication de ses militant-e-s et du Comité femmes de l’association. Des caravanes nationales ont été organisées par l’association. La première s’est tenue le 8 mars 2012 et la deuxième fin 2013.
En 2014, le réseau CADTM Afrique a organisé son deuxième Séminaire de renforcement des capacités des femmes sur la dette, l’audit et les microcrédits à Ouarzazate. Cette activité était le point de départ d’une Caravane internationale en avril dernier dans la région pour témoigner de la solidarité avec cette lutte en cours. La caravane a connu la participation 15 délégations étrangères avec un total de 103 participant-e-s. À cette occasion, nous avons édité une brochure bilingue français/arabe sur ce sujet |1|.
Également, tout au long de la procédure judiciaire, ATTAC Maroc a assuré un suivi du procès au travers de communiqués de presse nationaux et internationaux. Malgré ces efforts, notre contribution demeure modeste au vu de l’ampleur du dossier qui demande l’implication d’un plus nombre d’ONG nationales et internationales.
Les défis de ce mouvement
Le travail avec ce mouvement unique au Maroc et le travail sur la question du microcrédit en général, nous pose plusieurs défis en tant qu’ATTAC Maroc et l’ensemble des membres du Réseau CADTM. Ces défis sont les suivant :
- La solidarité nationale et internationale avec ces victimes est d’une grande urgence. Je saisis cette occasion, pour appeler à multiplier les initiatives de solidarité avec ce mouvement ;
- La crédibilité du mouvement est à renforcer à travers :
- Des enquêtes de terrain avec les populations ciblées par ces microcrédits dans tout le Maroc ;
- Des études approfondies des contrats pour déceler les nombreuses failles qu’ils contiennent au niveau financier et juridique ;
- Élargir ce mouvement et voir les possibilités de contacter des victimes des microcrédits dans d’autres pays du Sud et du Nord.
ATTAC Maroc prévoit de lancer une étude de terrain par nos militant-e-s et une recherche sur les aspects juridiques de ce dossier et des arnaques des contrats de prêts en collaboration avec des juristes.
Conclusion
Au travers de nos visites et caravanes, le premier constat qui saute aux yeux, c’est que l’entrée des microcrédits a bouleversé le mode de vie de ces villages et a dénaturé les relations sociales de ces régions rurales.
Nous sommes dans une région du Maroc, tellement sinistrée, sans infrastructures et services publics que les microcrédits servent désormais à pallier l’absence des services de base. Ces microcrédits servent aujourd’hui à financer les soins de santé, les frais de scolarité des enfants, etc., tous ces services publics privatisés sous l’effet des plans d’ajustement structurels .
Ainsi la boucle est bouclée. Dans un pays où le néolibéralisme a fait que tous les secteurs publics en devenant payants sont inaccessibles aux populations pauvres, les microcrédits sont un léger calmant aux maux d’un modèle économique qui ne veut pas et n’arrive pas à répartir la richesse entre les régions du pays et ne permet pas à la grande majorité des marocain-ne-s d’accéder à une vie digne.
Rencontres d’été du CADTM 2014
23 septembre par Majdouline Benkhraba
Majdouline Benkhraba, ATTAC-CADTM Maroc