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Théorie - Page 11

  • Ces Israéliens qui se veulent pacifistes : encore un effort (UJFP)

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    Avertissement :

    Ce texte de Richard Wagman était destiné à paraître dans le journal Libération, en réponse à un article de Avraham B. Yeshoshua, paru dans l’édition du 24-25 décembre de ce journal dans la rubrique « Rebonds ». Mais ce texte a été refusé. Le voici :

     

    Avraham B. Yeshoshua, écrivain israélien, nous informe dans les pages « Rebonds » de Libération du 24-25 décembre de la présence de sa signature – et de celle de près de 1 000 autres personnalités israéliennes – sur une pétition exhortant les parlements européens à reconnaître l’État de Palestine. Cette initiative est salutaire, car elle traduit le sentiment de certains secteurs de la population israélienne qui souhaitent le respect des droits nationaux des Palestiniens, et qui aimeraient voir enfin une paix juste instaurée entre ces deux peuples.

    Et pourtant, les signataires prennent moult précautions et annoncent des prises de position qui semblent aller à l’encontre de cet objectif. Il faut dire qu’outre des écrivains, les signataires comprennent de nombreuses personnalités qu’on peut difficilement confondre avec des antisionistes tel l’ancien ambassadeur d’Israël en France, l’ancien président de la Knesset, l’ancien président de l’Agence juive, ainsi que des officiers de l’armée israélienne. Même si leur pétition est un bol d’air frais, elle est plus timide que l’opinion exprimée par un certain nombre de leurs compatriotes. Et elle va moins loin que de nombreux Juifs pacifistes en Europe et ailleurs.

    À titre d’exemple, afin de ne pas « désespérer le processus du paix », les signataires mettent en garde ceux qui seraient tentés de faire recours à la violence. Qui visent-ils, l’armée israélienne ? Non, les Palestiniens !

    Tout d’abord, s’il y avait un véritable processus de paix, ça se saurait. Pour le moment, le « processus » en question consiste à de périodiques bombardements de Gaza par l’artillerie israélienne, des incursions quotidiennes de Tsahal dans des villes et dans des camps de réfugiés palestiniens, l’accentuation de la colonisation dans les Territoires occupés, des provocations sur l’Esplanade des Mosquées, le tout ponctué de rares séances de « négociations » dont l’objectif annoncé par Tel-Aviv est d’assurer la sécurité… de la puissance occupante. Dans cette configuration, des appels adressés aux Palestiniens afin d’éviter la violence sont pour le moins déplacés.

    Dans leur lancée, les signataires s’inquiètent du même coup de ce qui leur paraît comme une épouvante absolue.

    Une autre guerre ? Non. La perspective de créer un État binational pour Israéliens et Palestiniens, de la Méditerranée au Jourdain. Compte tenu du fait qu’il y a déjà plus de 600 000 colons israéliens installés dans les Territoires occupés, on voit mal en quoi l’idée d’un seul État pour tous les habitants – Juifs et Arabes – serait une menace pour la paix et la sécurité. Elle serait peut-être sa meilleure garante. Ce n’est pas aux Européens qu’il revient de décider des contours des structures étatiques dans la région : c’est bien aux premiers intéressés de le faire. Il n’empêche, de plus en plus de Juifs, en Israël et en dehors, considèrent désormais un tel scénario comme une porte de sortie éventuelle à la crise qui secoue ces deux peuples. Peut-être dans un premier temps la reconnaissance – suivie par la création réelle – d’un État palestinien dans les frontières de 67 serait une première étape dans ce sens. Ou peut-être ce serait l’étape ultime, si les deux peuples le décident ainsi. L’histoire le dira. Mais devant l’horreur de la situation actuelle, la perspective d’un État binational constitue néanmoins une issue positive potentielle. Ce n’est surtout pas la « catastrophe » dont parle M. Yeshoshua dans son article.

    Par la même occasion les signataires de la pétition demandent aux responsables européens de prendre une autre position sans équivoque. Le respect intégral du droit international ? Non, un refus du droit au retour des réfugiés palestiniens ! Encore une fois, si c’est une paix juste et durable que cherchent les pétitionnaires, ce n’est peut-être pas le meilleur moyen pour y parvenir.

    Toute initiative qui vise à impliquer davantage l’Europe dans le règlement du conflit, en commençant par une reconnaissance – même symbolique – de l’État de Palestine, va dans le bon sens. Pour aller plus loin, peut-être les pétitionnaires israéliens peuvent-ils s’inspirer des responsables d’organisations juives progressistes en Europe, en Amérique et ailleurs. Comme par exemple le réseau des Juifs Européens pour une Paix Juste qui, dans un communiqué, dénonce la violence de l’armée et du gouvernement israéliens, précisant que de tels agissements alimentent l’antisémitisme, faisant « peser une menace sur tous les Juifs du monde ». Voilà une parole européenne qui vaut la peine d’être entendue.

    Richard Wagman
    Président d’honneur de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP)

    Dernier ouvrage : La Palestine, une question juive, publié chez Edilivre (2014)

    25/12/14 mardi 30 décembre 2014 par Richard Wagman

    http://www.ujfp.org/spip.php?article3736

  • Conférence à Londres

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  • Syrie comme Irak : Pas de nouvelle guerre ! (l'Anticapitaliste.ch)

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    La situation au Moyen-Orient semble très compliquée.

    L’État Islamique(EI) met chaque jour sous son contrôle de nouveaux territoires, en profitant de la guerre civile en Syrie qui continue. Les incidents meurtriers entre Palestiniens et armée israélienne se reproduisent tous les jours, et les États-Unis et leurs alliés utilisent avions et drones pour bombarder à droite et à gauche avec leur « fameuse » précision.

     Les coalitions traditionnelles paraissent incapables d’affronter cette instabilité, et le rôle des classes dominantes de la région reste flou. Pourquoi la Turquie n’attaque-t-elle pas les forces de l’EI qui entourent Kobané et qui prennent «gentiment» le contrôle d’une grande partie de la frontière entre Turquie et Syrie ? Pourquoi face à une telle menace les États-Unis ne déploient-ils pas plus de forces militaires ? Pourquoi l’occident n’utilise-t-il pas l’armée israélienne afin de stabiliser la région comme il l’a fait auparavant ?

    Et enfin, que peut-on faire ici en Europe face à cette situation ? Doit-on soutenir les bombardements contre ces « barbares » qui décapitent des innocents ? Soutenir les islamistes ? Ou bien se distancer  d’un conflit dont le résultat sera de toute façon négatif ?

    L’État Islamique et les États-Unis

    Aujourd’hui, selon les médias, l’ennemi numéro un dans la région est l’État Islamique. Mais l’histoire nous prouve que les ennemis d’hier deviennent facilement des amis et vice versa. L’Iran, la Syrie, l’Égypte, la Turquie, l’Irak et la Jordanie, ont fait partie des deux camps – depuis l’invasion de l’empire ottoman par les occidentaux, et la création de ces pays. Et on ne parle pas seulement d’Etats : les talibans,  les kurdes,  les bédouins, les chiites, les sunnites et les chrétiens ont été manipulés ou ciblés selon les plans et les besoins de l’impérialisme occidental dans la région. Certaines forces ont été même créées à cause de l’ignorance, ou grâce au soutien des forces impérialistes.

    Notamment, l’EI doit sa naissance à la situation qui a suivi la guerre en Irak en 2003.

    La manière dont les dirigeants politiques et militaires des États-Unis ont utilisé les divisions sectaires entre chiites et sunnites en choisissant la minorité chiite pour administrer le pays, a fait exploser des différences que le peuple irakien avait laissé de côté lorsqu’il a fallu résister à l’invasion de 2003.

    L’équipement de l’EI dont les médias parlent si souvent n’a pas été fabriqué par des forgerons Irakiens.

    Ce sont les ex-officiers sunnites de Saddam Hussein qui avaient accès aux dépôts d’armements cachés partout en Irak, qui ont pu équiper les différents groupes autour d’Al-Qaïda qui ont évolué en EI. De plus, le régime de Bachar el-Assad n’a pas hésité à armer les groupes de cette mouvance pour qu’ils puissent noyer dans le sang la révolution syrienne. En bref, les États-Unis et leurs alliés occidentaux et moyen-orientaux n’ont jamais eu pour but ni d’empêcher le terrorisme ni de protéger les civils. Comme l’avait dit Lawrence Korb, vice Secrétaire d’état à la Défense de Reagan (1981-1985) lors de la guerre contre l’Irak en 1991 : « Si au Koweït on cultivait des carottes, on s’en foutrait. »  Les armées de l’ouest interviennent uniquement pour protéger les intérêts des multinationales pétrolières et des matières premières.

    Les classes dominantes du Moyen-Orient ne sont pas innocentes non plus.

     Nationalistes, islamistes et libéraux, ils ont tous utilisé la résistance palestinienne d’une manière opportuniste et quand cela menaçait leurs propres intérêts, ils n’ont pas hésité à la massacrer. Les exemples sont nombreux : les Phalangistes d’Elie Hobeika au camp de Sabra et Shatila en 1982, les Hachémites en Jordanie en 1970 lors du septembre noir, ou l’armée du régime de Hafez al-Assad  en 1975 au Liban. Le partenaire préféré des États-Unis dans la région, l’Arabie Saoudite, est connue non seulement pour l’imposition la plus sévère de la charia, mais aussi pour le financement de la renaissance de nouveaux courants islamistes. Al-Qaïda comme l’EI ont été tous deux financés au moins pendant une période de leur existence par la péninsule Arabe via la place financière de Dubaï. En outre, une grande partie de leurs dirigeants a vécu ou été éduqué en Arabie Saoudite.  Mais les attaques des armées occidentales ne visent pas les responsables, qui sont leurs alliés.  Ils disaient vouloir se débarrasser d’un dictateur, Saddam Hussein, mais l’ont finalement remplacé par d’autres, et ont créé les conditions pour l’émergence d’autres forces réactionnaires comme l’EI.

    L’histoire le prouve encore une fois : la pauvreté et la misère que les bombardements créent sont  le meilleur laboratoire génétique pour les « terroristes » de l’avenir.

    Mais ce sont des sauvages!

    Certes, les images des décapitations filmées et distribuées sur internet sont très choquantes. Par contre, personne ne nous a montré les images des 30 personnes exécutées cette année aux États-Unis condamnées à mort, ou des 52 qui ont été exécutées en Arabie Saoudite dont une pour sorcellerie. Les néo-conservateurs n’ont pas laissé couler une larme pour ces personnes-là.  Ils profitent par contre des actions abjectes de leur propre enfant en Irak pour jouer le rôle de pompiers voulant assurer la stabilité inachevée dans la région.

    Expliquer que la réaction d’Obama et de David Cameron  est totalement hypocrite ne revient aucunement à soutenir l’EI ou autres djihadistes. Il s’agit de revenir à la racine du problème qui a donné naissance à ces atrocités. Comme le dit Chris Harman dans son livre Le prophète et le prolétariat : «comprendre les raisons du cancer ne signifie pas justifier la douleur ou la mort ». Mais essayer de comprendre la nature et les forces motrices de ce mouvement sans prendre par exemple en compte la mort de 500 000 enfants à cause de l’embargo sur l’Irak de 1991 à 2003, est une méthode erronée.

    D’ailleurs, le fait que le camp des force occidentales s’autoproclame progressiste ou se présente comme le  garde du corps de la civilisation, semble assez ridicule.  Aucune force du monde arabe ne pourra faire autant de morts que l’Holocauste, la guerre du Vietnam ou la Première guerre mondiale. Même de nos jours encore, la guerre des drones lancée par le dit pacifiste Obama a tué plus de 2500 personnes, dont 20% étaient des civils.

    Leurs hésitations montrent leur hypocrisie.

    Sur le terrain, l’EI avance tous les jours en massacrant, et la seule force qui lui résiste effectivement sont les Kurdes. Les bombardements aériens ont de la peine à cibler les forces extrêmement mobiles des djihadistes. Pour l’instant, ils se limitent à frapper des infrastructures comme l’usine de gaz Coneco, et poussant la population à l’obscurité et à la misère.

    Malgré les discussions qu’on entend depuis début septembre, les États-Unis et l’Europe n’ont pas pour l’instant soutenu les Kurdes. La Turquie a refusé pendant plusieurs jours de laisser passer les 160 000 réfugiés qui se massaient aux frontières turco-syriennes. Erdogan a ouvert les frontières uniquement sous la pression des émeutes et des manifestations au sud du pays dans les régions où la majorité de la population est kurde. En même temps, il n’a pas hésité à tuer 21 manifestants et à les appeler «des traitres et des saboteurs de la paix ». La passivité de l’armée turque face au déploiement des tanks et des armes de l’EI juste à côté des frontières est, à première vue, très étonnante. Ce retard exceptionnel est en effet dû à la convergence de plusieurs facteurs.

    D’abord, l’hésitation des États-Unis – à s’investir dans une nouvelle guerre coûteuse, en vies humaines et en dollars,  en même temps que d’autre fronts stratégiques demandent son attention – est justifiable. L’importance du front ukraino-russe et surtout celui en mer de Chine méridionale3 laissent peu de marge de manœuvre pour le géant déjà affaibli après 14 ans de guerres sans succès en Irak et en Afghanistan. De plus, comme l’a très clairement expliqué le secrétaire d’État américain John Kerry, Kobané n’était «pas un objectif stratégique». «Aussi horrible que ce soit d’observer en temps réel ce qui se passe à Kobané, vous devez prendre du recul et comprendre l’objectif stratégique».

    En Europe, la crise économique ne laisse que peu de marge de participation à la Grèce ou à Chypre, qui étaient lors des dernières guerres des forces très importantes d’un point de vue géostratégique. En Europe centrale, les chefs d’Etats ne sont pas non plus prêts à engager leurs armées dans une guerre dont les enjeux et les résultats sont très incertains. La défaite de David Cameron au Parlement britannique en août 2013, la première depuis 1782 sur un sujet de guerre, rappelle aux belliqueux que le coût de leurs aventures cette dernière décennie a été trop élevé.

    Pour la Turquie, les choses sont encore plus compliquées. Elle ne souhaite pas voir un deuxième territoire autonome kurde juste à côté de celui au nord de l’Irak, mais en même temps elle ne veut pas mettre en danger le processus de paix avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ni avoir l’EI comme voisin direct.  D’un autre côté, laisser l’EI faire le sale boulot de nettoyage ethnique du Kurdistan syrien est quelque chose qui arrangerait bien les dirigeants d’Ankara…

    Les frontières des accords Sykes-Picot (1917) et de Lausanne (1923) sont en train de changer et les « grandes puissances » sont prêtes à se battre, chacune  pour ses propres intérêts.

    Ce ne serait pas faux alors de dire que le bloc des pays dits « progressistes » n’est pas si uniforme. Les classes dominantes ont certainement un intérêt commun dans la région: une stabilité qui permettrait aux capitaux occidentaux d’envahir tous les aspects de vie de Kirkouk (Irak du nord) à Bassora (Irak du sud) et du Caire à Lahore (Pakistan) afin de faire des profits. Cet horizon étant loin et incertain, les diverses stratégies nationales prennent un rôle plus important. Et les conflits ne manquent pas : les zones exclusives économiques pour les pays avoisinants, le contrôle du pétrole, les conduites de gaz, la suprématie militaire.

    La volonté d’aider les peuples de la région est si limité que l’Union Européenne n’accepte même pas d’enlever le PKK et le PYD (parti de l’union démocratique syrien, kurde) de sa liste des groupes terroristes. Si l’Europe veut aider le peuple kurde, elle doit immédiatement enlever le PKK de la liste des organisations terroristes, et obliger la Turquie à laisser le couloir nécessaire pour que les kurdes puissent transporter leurs armes afin de se défendre. Mais ceci irait contre les intérêts turcs dans la région parce qu’un Kurdistan faible, isolé et dépendant  au nord de l’Irak est quelque chose de contrôlable. Par contre, une lutte commune de tou·te·s les Kurdes serait pour les intérêts turcs un cauchemar qui déstabiliserait la région d’une manière incontrôlable. Avec l’aide des familles kurdes corrompues  des Talabani et des Barzani, la stratégie de diviser pour mieux régner fonctionne bien, et permet de ne pas prendre le risque de laisser l’ensemble de la population kurde, qui a une forte tradition anti-impérialiste, devenir un facteur important dans la région. Pour les États-Unis et l’Europe, les Kurdes pourraient être aidés à une seule condition : qu’ils deviennent leur sous-traitant dans la région comme l’avait été au Kosovo l’UCK (Armée de libération du Kosovo).

    Bref, Obama et ses alliés s’engageront dans cette guerre au gré de leurs intérêts et non ceux de la population locale.

    Que fait Israël?

    Si son rôle est de garantir la stabilité dans la région pour les intérêts de l’impérialisme, pourquoi Israël n’agit-t-il pas ? Son armée est une des toutes premières au monde, implantée juste à côté. Pourquoi alors n’est-elle pas utilisée ?

    Pour les forces impérialistes, l’utilisation de l’armée israélienne est une épée à double tranchant. Les Américains et les Européens savent que la présence de l’armée israélienne risque plutôt de créer des problèmes au lieu de les résoudre. Aucune population dans la région ne serait prête à accepter la collaboration, le soutien et d’autant plus l’intervention d’Israël au nom de leurs intérêts. Les peuples, qu’ils soient kurdes ou arabes, afghans ou égyptiens, voient tous l’appareil étatique et militaire d’Israël comme un ennemi, comme le chien de garde de l’impérialisme occidental.

    Une intervention israélienne risquerait de provoquer de fortes réactions non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans les capitales de l’ouest. Après cet été meurtrier (et l’opération «Bordure protectrice»), la perte de légitimité de l’état sioniste est remarquable. Souvent, même les médias qui d’habitude sont 100% pro-sionistes, ont été obligés d’admettre que la brutalité et les crimes de l’armée israélienne n’étaient pas justifiables.

    Et nous, que pouvons-nous faire ?

    Si une intervention militaire n’a donc rien à offrir, si c’est n’est de tuer des gens, la question qui se soulève est : que pouvons-nous faire en Europe ? Comment agir face aux massacres de la population irakienne et kurde par l’EI ? Que faire face aux bombardements de la coalition ?

    La première chose à faire, c’est de montrer notre solidarité. Ceci n’est pas une tâche abstraite ni symbolique. Faire revivre les mouvements anti-guerre de 2003 dans la période actuelle tellement incertaine pourrait avoir de multiples résultats. En se réunissant sous les pancartes et les banderoles contre la guerre, nous ciblerons non seulement nos gouvernements qui participent chacun à sa manière à cette offensive, mais aussi l’extrême droite et son pilier idéologique islamophobe. En nous réunissant ici en Europe avec les réfugiés et les immigrants arabes, nous montrons aux peuples du Moyen-Orient, non seulement que nous sommes contre les bombardements, mais que les peuples européens ne sont pas conquis par l’islamophobie et le racisme.

    Les peuples en Syrie, en Irak et au Kurdistan savent que l’EI a été soutenu ou toléré par des régimes arabes selon leurs besoins. Mais ils ne sont pas les seuls à le savoir. Les peuples en Tunisie, en Égypte, au Liban, et en Palestine le savent aussi. Il y a peu, ils se révoltaient et nous remplissaient de joie avec leur printemps arabe. C’est notre obligation maintenant d’agir et de leur montrer que nous leur faisons confiance. Ce n’est pas le moment de nous barricader dans de faux camps. Les classes dirigeantes se frottent les mains quand la gauche se rallie à leur cause «humanitaire et culturelle». Nous ne pouvons pas faire confiance à ceux qui ont créé cette situation.

    Le 26 septembre, des dizaines de manifestations ont eu lieu en Syrie sous le slogan «Les civils n’ont pas besoin des nouveaux assassins internationaux», exprimant ainsi leur sentiment de l’inutilité des bombardements.

    La gauche, qui voit l’histoire à travers le prisme de la lutte des classes et non celui du sectarisme, ne doit pas seulement agir, mais aussi se charger de créer un mouvement beaucoup plus large que ses propres forces. Créer un mouvement qui devra réclamer :

    -D’arrêter toute intervention impérialiste de la région.

    -D’aider le peuple Kurde sans conditions politiques et financières.

    DD

    http://www.gauche-anticapitaliste.ch/?p=12468

  • Pourquoi nous quittons le Front populaire

     
    Nous reproduisons ici la déclaration de rupture avec le Front populaire de militantes et militants tunisiens en France.
     
    Le courant Anticapitalisme & Révolution avait développé son point de vue, notamment sur le Front populaire, dans un article de sa lettre n° 3 (25/02/14), Organisations politiques tunisiennes de gauche : trois ans de choix et d'évolutions.
     
     
    BILAN

    Le Front populaire (FP), sur la base d’un compromis (plateforme fondatrice), a permis de rassembler une partie de l’opposition de gauche au moment où la troïka menée par Ennahdha était à la tête des institutions de l’État, avec le soutien des puissances impérialistes.

    Le FP a à ses début été moteur dans l’organisation de manifestations, le soutien à des mobilisations sociales dans les différentes régions. Cette expérience aurait pu être un premier pas vers la construction d’un Front mieux structuré, affirmant une orientation politique clairement indépendante des puissances de l’argent et des impérialistes.
     
    Malgré la place excessive prise par le porte-parole et son parti au sein du FP, notre préoccupation première était de structurer et faire évoluer le FP. Cependant, différents choix politiques de la direction du FP (conseil des secrétaires généraux) et notamment de son porte-parole ont amené le FP vers une pente droitière et opportuniste, avec des fautes politiques qui se sont accumulées et que nous avons déjà dénoncées à plusieurs reprises.

    Suite à l’assassinat de notre camarade Chokri Belaïd, la colère populaire était intense, massive, avec plusieurs centaines de milliers de personnes participant à la journée d’enterrement de notre camarade. Le rapport de forces permettait à ce moment précis de faire chuter la troïka, politiquement responsable de la multiplication des actes de violence contre les militants politiques et syndicaux, les intellectuels, les artistes, les journalistes, etc.
     
    Faisant fi de ce nouveau rapport de forces créé par la mobilisation populaire, la direction du FP a lancé un appel au calme et à « l’union nationale contre le terrorisme ». Suite au second assassinat d’un dirigeant du FP, Mohamed Brahmi, cette dérive a abouti à une alliance avec la bourgeoisie et les RCDistes (dans le cadre du Front de Salut National qui s’est poursuivi avec le “Dialogue National” sous l’égide de l’UTICA et de la direction de l’UGTT).

    Abandonnant totalement le terrain de la lutte des classes et d’indépendance nationale, la direction du FP s’est compromise avec la bourgeoisie, les RCDistes qui préparent leur retour au pouvoir, et les puissances étrangères qui ne veulent surtout pas d’une révolution populaire et sociale, seulement d’une « démocratie » néocoloniale avec des institutions téléguidées depuis Washington et Bruxelles. Ces relations avec les puissances impérialistes sont assumées par le porte-parole du Front populaire qui se vante d’être reçu par tel ou tel ambassadeur ou secrétaire d’État européen ou américain.

    A cela s’ajoute le positionnement totalement acritique des directions du FP vis-à-vis des bureaucraties syndicales. Ces dernières ont été coupables d’abandonner à leurs sorts voire de trahir de multiples luttes ouvrières, allant jusqu’à signer des accords avec des directions d’entreprises alors que les travailleurs concernés y étaient opposés. Le dernier exemple en date est celui des syndicalistes de Latelec, trahies par les bureaucrates syndicaux. Plus du tout étonnant, depuis la participation de la direction de l’UGTT au Quartet (avec l’UTICA !), cadre notoire de collaboration de classe, où un pacte de « paix sociale » a été signé pour trois ans.

    La lutte de classes, la lutte contre l’impérialisme, voilà des terrains que la direction du FP a abandonnés, sans permettre aux militants de donner leur avis, en les rappelant à l’ordre à chaque fois qu’il le fallait. Car le fonctionnement a été dès la fondation du FP antidémocratique : la réunion des secrétaires généraux décidait, et les militants devaient appliquer, bouche cousue.
     
    A Paris, nous avons eu droit à la démonstration la plus affligeante qui soit de ce fonctionnement antidémocratique de la part du représentant du Parti des Travailleurs, appuyé de la direction du FP en Tunisie. Il n’est pas du tout étonnant dans ce contexte de constater la démoralisation et la démobilisation des militants des différents partis du FP, dans différentes régions. Cinq partis ont d’ailleurs quitté le FP. Les dernières initiatives du FP ont souvent été des échecs. Le FP ne mobilise plus, ne suscite plus aucun enthousiasme, bien au contraire.

    C’est ce gâchis que nous constatons, trois ans et demi après la chute du dictateur et quelques mois avant le retour de ses alliés au pouvoir. Car c’est ce qui ressortira des prochaines élections, avec le retour de gros bonnets du RCD, presque tous candidats aux élections d’octobre et novembre. Ce ne sont pas des individus mais des hommes clés du régime de Ben Ali, organisés, bénéficiant d’un réseau de solidarité efficace, du soutien des puissances impérialistes, des capitalistes tunisiens et étrangers. Ils sont responsables à la fois de la politique répressive sous Ben Ali que des choix économiques ultralibéraux qui ont gravement porté atteinte aux droits de travailleurs en Tunisie et gravement alourdi la dette publique.

    Ennahdha a poursuivi cette politique hostile aux classes populaires, le gouvernement de Jomâa en fait de même et tout ce monde ne sera qu’en concurrence pour mieux représenter les classes dominantes et faire preuve de sa servilité au FMI et la Banque Mondiale : privatisations croissantes, baisse des dépenses publiques, dégradation des droits économiques et sociaux déjà affaiblis, contrôle des frontières pour limiter l’immigration, etc.

    Face à cette politique constante depuis les années 70, seule une gauche indépendante, défendant le droit des travailleurs et des démunis, qui ne fait pas d’alliances politiques aux dépens des classes populaires, sera capable, aujourd’hui de présenter une alternative démocratique, progressiste et crédible. Ce qu’il faut, c’est une gauche qui assume le fait de n’avoir comme alliés que les travailleurs, les précaires, les chômeurs, les jeunes et les opprimés de ce pays …et d’ailleurs.

    DÉCISIONS

    Constatant le gouffre qui s’élargit sans cesse entre cette conviction que nous portons et l’orientation opportuniste de la direction du FP,

    Constatant que nous avons épuisé tous les moyens en notre disposition pour mener de l’intérieur du FP la lutte pour son redressement,

    Constatant le désintérêt des classes populaires pour ces organisations politiques qui ne se font plus l’écho de leurs préoccupations,

    Ajoutant à cela les décisions antidémocratiques jusque dans la constitution des listes pour les législatives et l’acceptation par le candidat du FP aux présidentielles de parrainages d’élus d’Ennahdha et du CPR,

    Nous avons décidé d’assumer nos responsabilités, nous militants et membres fondateurs du FP-IdF, d’annoncer aujourd’hui que nous le quittons. C’est une décision difficile, qui nous pèse, parce qu’au Front Populaire, nous avons des camarades et des amis, dont nous ne confondons pas les luttes sincères avec l’opportunisme de leurs dirigeants, et parce que nous ne souhaitons aucunement nous couper d’eux. C’est ce qui a jusque là retardé notre prise de décision.

    Lors de l’assemblée générale de samedi 27/09/2014, les militant-e-s ont aussi décidé à une très large majorité de ne pas cautionner ces élections législatives et présidentielles de 2014. Pour ce faire, nous participerons au « boycott actif » avec d’autres coordinations de l’immigration et en Tunisie, en dénonçant l’argent mal acquis, la corruption systématisée, le financement de partis politiques et d’associations par des fondations européennes et américaines, les interventions étrangères directes dans les affaires internes du pays.

    PERSPECTIVES

    Enfin, en rompant avec le Front populaire, nous n’arrêtons pas la lutte. Au contraire, nous partons pour concentrer nos efforts sur la construction d’un organe de lutte et de résistance populaire, qui unira les révolutionnaires, un organe indépendant des puissances de l’argent, qui s’oppose à toute ingérence dans les affaires de notre pays.

    Nous invitons toutes celles et ceux qui, en Tunisie comme dans l’immigration, partagent notre analyse de la situation et des tâches du moment, à se joindre à nous pour définir et construire ensemble ce nouvel outil politique.

    Militants et membres fondateurs du Front Populaire – Ile de France
    Paris le 27-09-2014

    Pour nous contacter : 17decembre@laposte.net
     
     
    Commentaire: Le blog ne reprend pas ce texte à son compte, c 'est un document parmi d'autres

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  • L’assaut contre Gaza, la dérive d’extrême droite en Israël et leur impact dans la region (Essf)

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    Amandla ! : Quels sont à votre avis les facteurs qui ont donné lieu au récent assaut contre Gaza et pourquoi a-t-il eu lieu en ce moment ? Pourquoi a-t-il été exceptionnellement brutal ?

    Gilbert Achcar : L’escalade dans la brutalité n’est pas nouvelle : elle va de pair avec la longue dérive de la société israélienne et de son régime politique vers l’extrême droite. Le Likoud, la principale force dans l’extrême droite sioniste, est arrivé au pouvoir en 1977. Quelques années plus tard, en 1982, il a mené l’invasion criminelle du Liban qui a culminé avec le massacre de Sabra et de Chatila. Ce fut la plus meurtrière des guerres israéliennes jusque-là. Alors, un seuil a été franchi dans les atrocités et la brutalité exercées contre les populations civiles. Toutefois, ce seuil a été dépassé en termes d’intensité des destructions et de violence lors de l’attaque israélienne contre le Liban en 2006. Ensuite, il y a eu l’agression contre Gaza en décembre 2008-janvier 2009, qui a été tout aussi brutale et encore plus meurtrière à l’égard des civils étant donné la densité de la population à Gaza et l’impossibilité de fuir ladite Bande de Gaza.

    L’assaut récent [opération « Bordure protectrice »] contre Gaza s’intègre parfaitement dans cette configuration marquée par une brutalité et violence croissantes et par le mépris accentué d’Israël à l’égard de l’opinion publique globale. Les tentatives précédentes de conserver une image d’un Etat à « la recherche de la paix » relèvent de l’histoire ancienne. Actuellement, à l’heure de la prétendue « guerre contre le terrorisme », les gouvernements israéliens se sentent autorisés à utiliser ouvertement le langage de la force brutale. Cette approche post-11 septembre 2001 – parrainée par les Etats-Unis – a donné le feu vert à l’utilisation ouverte par Israël du terrorisme et de la brutalité d’Etat, au nom de la lutte contre le terrorisme.

    Pour ce qui relève de la raison de cette dernière attaque contre Gaza, elle renvoie, d’une part, à l’exaspération de Netanyahou suite à la réconciliation entre le Hamas et le Fatah [annonce officielle de la composition du gouvernement d’unité, début juin 2014] et, d’autre part, au fait que cette réconciliation a été favorablement accueillie, bien que de manière peu explicite, par les gouvernements occidentaux, y compris Washington. L’irritation du gouvernement israélien n’est pas due à une quelconque « radicalisation » du Hamas, mais au contraire au fait que – suite au tournant qui s’est opéré en Egypte en 2013 – cette organisation a dû tempérer son orientation politique générale et faire beaucoup de concessions en vue de sa réconciliation avec l’Autorité palestinienne (AP) installée en Cisjordanie.

    La vérité est que le gouvernement israélien est beaucoup plus à l’aise dans un contexte où la Palestine est divisée et où il est facile de diaboliser le Hamas que face à un panorama palestinien unifié et à un Hamas plus modéré. Depuis les accords d’Oslo de 1993, l’objectif de l’extrême droite israélienne a toujours été d’affaiblir les Palestiniens « modérés » – de Arafat à Mahmoud Abbas – et de pousser vers une radicalisation qui bénéficie au Hamas. En effet, aussi longtemps qu’il peut être facilement diabolisé, le Hamas est leur « ennemi préféré », puisque cela rend les rapports d’Israël avec les Etats-Unis et l’Europe beaucoup plus consensuels et réduit la pression des pays occidentaux sur le gouvernement israélien. Rappelons que l’attaque israélienne la plus brutale contre le Hamas-Gaza est survenue après que ce mouvement islamiste a pris ses distances avec les attentats suicides et a privilégié l’action politique, y compris en participant aux élections de 2006. Pendant des années, le Hamas avait rejeté de telles élections comme étant illégitimes et ce contrairement à une orientation de lutte armée.

    Quels étaient les objectifs [d’Israël] compte tenu du fait que la brutalité de l’assaut a certainement encouragé un rapprochement de tous les Palestiniens ?

    Le but d’Israël était de provoquer une nouvelle radicalisation du Hamas et de creuser à nouveau l’écart entre le mouvement islamiste (Hamas) et l’Autorité palestinienne (AP). De fait, la brèche entre les deux s’est d’abord élargie sous l’effet de l’agression. De ce point de vue, pendant un certain temps semblait être atteint. Mais la colère que l’attaque a suscitée parmi tous les Palestiniens a été telle que l’AP a dû exprimer sa solidarité à l’égard de Gaza dirigée par le Hamas. Le gouvernement israélien n’en a que faire des sentiments du peuple palestinien. Ce qu’il voulait surtout : torpiller l’élan vers des initiatives de paix de la part des Palestiniens. Son calcul était que, face à une telle brutalité de l’Etat d’Israël, le Hamas estimerait qu’il ne pouvait plus opter pour la modération et le compromis comme il l’avait fait juste avant la récente attaque. Paradoxalement, le gouvernement israélien craint beaucoup plus les initiatives de paix des Palestiniens que les roquettes tirées depuis Gaza. Ce qu’il redoute le plus, ce sont chaque initiative palestinienne qui pourrait être bien accueillie par des gouvernements occidentaux et soutenus par Washington, fut-ce avec tiédeur.

    Pour atteindre son objectif, le gouvernement israélien peut saisir tout prétexte, comme il l’a fait dans ce cas avec les trois jeunes Israéliens enlevés et assassinés en Cisjordanie. Il a immédiatement accusé le Hamas, sans aucune preuve, tout comme l’administration Bush avait accusé l’Irak d’être derrière les attentats du 11 septembre en 2001 : un prétexte pour atteindre un objectif fixé à l’avance. Les Israéliens ont saisi le triple assassinat comme une opportunité d’arrêter à nouveau un grand nombre des prisonniers politiques palestiniens qui avaient été relâchés en échange du soldat israélien Gilad Shalit (libéré le 18 octobre 2011) ; il avait été détenu (en juin 2006) comme prisonnier de guerre à Gaza. Il s’agissait bien évidemment d’une campagne d’arrestations préméditée : le gouvernement israélien n’avait relâché ces détenus qu’avec beaucoup de réticence. Il attendait le premier prétexte pour les arrêter à nouveau, signifiant ainsi aux Palestiniens que tout ce qu’ils peuvent accomplir dans ce domaine ne sert à rien parce qu’Israël finira par retirer toute concession qu’il aurait faite sous pression.

    Voilà donc comment cela a commencé. Et ensuite le gouvernement de Netanyahou a invoqué le prétexte des tirs de roquettes, après avoir volontairement exacerbé les tensions par son comportement très brutal adopté par l’armée israélienne en Cisjordanie sous prétexte de chercher les jeunes Israéliens enlevés. Cette brutalité a évidemment suscité des réactions de colère de la part des Palestiniens. Israël a ensuite saisi ces réactions comme prétexte pour lancer son attaque brutale, complètement « disproportionnée », sans aucune retenue morale – à part des avertissements, tout à fait hypocrites, laissant six minutes aux habitants pour s’enfuir avant que les bâtiments civils s’écrasent sur eux, au milieu de la nuit !

    Israël a-t-il atteint l’un de ses objectifs avec cette attaque ? Israël sort-il renforcé ou affaibli de ce conflit ? Qu’en est-il des pertes militaires israéliennes ?

    Les Israéliens ont eu des pertes parmi leurs soldats parce qu’ils devaient montrer qu’ils étaient décidés d’entrer dans Gaza de manière à rétablir leur « crédibilité » en tant que puissance militaire. S’ils s’étaient limités à des frappes à distance, cela aurait été interprété comme un signe de faiblesse : tout le monde sait qu’il n’y a aucune commune mesure entre les roquettes artisanales qui sont tirées depuis Gaza et la formidable puissance de feu israélienne. Le gouvernement israélien devait donc rétablir sa « crédibilité » perdue en engageant des troupes au sol. Mais cela a entraîné un coût élevé, car on ne peut pas engager des troupes dans une structure urbaine hostile sans qu’il y ait des pertes.

    En fait la pire chose pour l’Etat l’Israël, bien plus que de connaître des pertes (morts et blessés), c’est que leurs soldats soient capturés et deviennent des prisonniers de guerre (des otages selon eux). La stratégie que les responsables de l’armée ont élaborée pour minimiser ce risque est la suivante : chaque fois qu’un soldat israélien est sous la menace d’être fait prisonnier, l’ordre vient d’accentuer l’offensive ce qui entraîne un important risque de tuer le soldat en question. Les responsables militaires préfèrent en effet prendre le risque de tuer leurs propres soldats plutôt qu’ils ne soient faits prisonniers et, dès lors, puissent servir pour un échange ultérieur avec des prisonniers politiques palestiniens. La politique d’Israël est celle de la force brute. Le gouvernement israélien ne souhaite aucunement la paix. Il veut juste écraser les Palestiniens avec sa supériorité militaire, les terroriser. Il se comporte comme un Etat terroriste au sens plein du terme. Ses dirigeants ne croient qu’à la domination militaire, à la suprématie militaire absolue.

    Lors de cet assaut, les Israéliens ont réussi à terroriser les gens, mais non à les soumettre. En outre leurs actions ont provoqué un immense tollé international. Peut-on donc dire que cette opération a eu un effet boomerang ?

    En tout cas pas dans les têtes du bloc d’extrême droite au pouvoir qui dirige à l’heure actuelle Israël. Pour les sionistes de l’ancienne génération, cela aurait posé un problème important. Mais ce qui est en train de se développer sous couvert de la « guerre contre le terrorisme » est la notion que dans un combat contre un ennemi monstrueux [Netanyahou a publiquement et de manière répétée assimilé le Hamas à l’Etat islamique], il est justifié de recourir à toutes sortes de moyens terrifiants. Et le gouvernement israélien d’extrême droite en exercice est celui qui incarne cette logique de la manière la plus extrême.

    De manière générale, les dirigeants israéliens actuels se moquent de l’opinion publique mondiale. Par contre, ils se soucient évidemment de l’opinion publique états-unienne dans la mesure où elle impact le comportement du gouvernement états-unien. Mais dans ce domaine, Netanyahou a montré ouver- tement qu’il se comportait comme un joueur madré dans la politique états-unienne, cherchant directement à exploiter les divisions politiques au sein des Etats-Unis, séduisant la droite républicaine, etc. Et il a été assez efficace à ce jeu, d’autant que Obama est en effet timoré, en particulier en ce qui concerne les rapports avec Israël. Et Hilary Clinton, qui sera probablement la candidate démocrate en 2016, avec de bonnes chances de devenir le prochain président, a récemment accordé son plein soutien à la politique de Netanyahou. C’est cela qui compte pour Netanyahou. Il se moque de l’opinion publique, des pétitions d’intellectuels et des initiatives de ce type.

    Il semble que plus le gouvernement agit de manière brutale et qu’il s’oriente à l’extrême-droite, plus les Israéliens le soutiennent. Il semble qu’il n’y ait pratiquement pas de voix d’opposition.

    Oui, c’est encore un aspect désolant de cette histoire. C’est une fois de plus la névrose de la guerre contre le terrorisme, dans ce cas la diabolisation du Hamas ainsi que le recours à l’argument inepte des roquettes tirées depuis Gaza. Beaucoup d’Israéliens qui auraient participé à des manifestations contre la guerre en 1982 [lors de l’invasion du Liban] soutiennent aujourd’hui la guerre menée par leur gouvernement au nom de l’opposition au « terrorisme ». Le facteur Hamas est assez important à ce propos. Sharon a tout fait pour affaiblir, discréditer et détruire Yasser Arafat, permettant ainsi au Hamas d’accroître son soutien parmi les Palestiniens. Il a provoqué les Palestiniens de manière délibérée et répétée, sachant que ceci susciterait des réactions, surtout de la part de groupes tels que le Hamas. Et ensuite il pouvait prendre à chaque fois ces réactions comme prétexte pour accroître l’oppression des Palestiniens et pour alimenter le cycle de violence qui bénéficiait à la fois au Hamas, du côté palestinien, et à lui-même, Ariel Sharon, du côté israélien. Cette dialectique des extrêmes promue par l’extrême droite israélienne a été continuellement appliquée. Mahmoud Abbas est allé très loin dans la capitulation face aux conditions israéliennes/états-uniennes, mais les Israéliens continuaient à le discréditer parce que, comme je l’ai déjà mentionné, ce gouvernement ne veut absolument pas de « partenaire de paix », il ne veut simplement pas la paix !

    En général, quel a été l’impact du conflit Israël/Palestine sur la situation au Moyen-Orient ?

    Il s’agit essentiellement d’un facteur de radicalisation dans le monde arabe parmi d’autres. Le ressentiment populaire est en train de s’accumuler rapidement face au développement de multiples tragédies, surtout celle qui se déroule en Syrie, qui a une autre ampleur que toutes les autres. A vrai dire, en Syrie il y avait davantage de personnes tuées tous les jours que même lors de l’agression brutale contre Gaza. Et le fait qu’on ait permis que cela se poursuive a créé un ressentiment tellement profond parmi les Syriens qu’elle a grandement facilité la montée résistible de Daech [Etat islamique en Irak et au Levant, devenu Etat islamique], une organisation ultra-fondamentaliste fanatique en comparaison de laquelle la branche locale d’Al-Qaida apparaît maintenant comme modérée !

    Est-ce que ce ressentiment et cette radicalisation vont toujours déboucher sur une montée du fondamentalisme religieux plutôt que d’encourager l’avancée de forces plus démocratiques et laïques ?

    La radicalisation et la colère ne conduisent pas, en tant que tel, au développement de l’une ou de l’autre force. Tout dépend des facteurs subjectifs existants et de leur interaction avec les facteurs objectifs de radicalisation. En 2011, cette région s’est embarquée dans ce que j’appelle un processus révolutionnaire à long terme, qui va durer pendant des décennies. Un processus révolutionnaire n’est jamais linéaire : ce n’est pas une suite de victoires jusqu’à ce qu’on voie le drapeau rouge flotter sur un palais. Un tel processus peut passer par des phases épouvantables, traverser de terribles moments contre-révolutionnaires. La tendance dominante dans les régions arabes actuellement à la contre-révolution, surtout avec les développements en Syrie (la ténacité du régime Assad), en Egypte (Sissi) et la propagation de Daech. Mais il ne s’agit que d’une phase dans un processus à long terme.

    L’échec des forces potentiellement de gauche dans la région à agir de manière indépendante dans le but de construire une alternative, à la fois aux anciens régimes et aux forces islamistes, a permis le développement de cette phase. Les anciens régimes et l’opposition islamiste fondamentaliste sont tous deux des forces profondément contre-révolutionnaires. S’il n’y a pas l’émergence d’un troisième pôle, d’une force populaire progressiste capable de constituer une alternative, nous resterons coincés dans cette situation binaire, avec des deux côtés une dialectique poussant vers les extrêmes. Les anciens régimes deviennent de pire en pire (Sissi est en fait pire que Moubarak) et l’opposition fondamentaliste islamiste aussi (Daech est certainement bien pire que tout ce qu’a représenté le mouvement des Frères musulmans). Donc en l’absence d’une alternative populaire progressiste, ce qui domine est fondamentalement ce processus binaire contre-révolutionnaire avec une radicalisation qui se nourrit dialectiquement aux extrêmes.

    N’existait-il pas une alternative lorsque les masses populaires en Tunisie et en Egypte sont descendues dans les rues dans un mouvement démocratique, laïc ? Est-ce qu’une issue progressiste a été maintenue quelque part ?

    Le potentiel est encore là – il ne s’agit pas simplement d’un potentiel théorique mais d’un potentiel effectif. Il est bien sûr inégal d’un pays à l’autre. En Tunisie, il est incarné dans la centrale syndicale, l’UGTT [Union générale tunisienne du travail], qui est de loin la force organisée sociale et politique la plus importante dans le pays. Il s’agit là-bas d’un problème de stratégie.

    Il en va de même pour l’Egypte : il existe dans ce pays un potentiel important, dont nous avons eu un aperçu en 2012 lorsque le candidat nassérien de gauche nationaliste [Hamdine Sabahi] est arrivé troisième à l’élection présidentielle, avec près de cinq millions de votes. Cela indiqua un immense potentiel, assez comparable en dimension aux deux camps de la contre-révolution représentés, d’un côté par l’ancien régime et de l’autre par les Frères musulmans. Et pourtant cette opportunité a été gaspillée par les Egyptiens nassériens de gauche lorsqu’ils sont passés de leur alliance de 2011 avec les Frères musulmans à une alliance avec Sissi en 2013. Mais le potentiel est encore là, et la jeunesse est encore radicalisée, elle n’a pas voté pour Sissi, et cela est un point crucial. Le taux de participation à la dernière élection présidentielle était tellement bas qu’ils ont dû prolonger la période électorale d’un jour pour mobiliser des électeurs et électrices potentiels. Cet effort avait pour fonction de donner un peu de crédibilité à la proclamation grotesque d’un vote à 95% en faveur de Sissi.

    En Syrie, les Comités de coordination locaux qui ont dirigé le soulèvement dans sa première phase représentaient un potentiel progressiste très important. Mais il s’est dissipé lorsque ces comités ont reconnu ledit Conseil national, établi à Istanbul et dominé par les Frères musulmans syriens de l’intérieur et par le Qatar et la Turquie de l’extérieur. Depuis lors, la situation syrienne a été prise entre une opposition officielle inefficace et corrompue et un régime très brutal. C’est ce qui a conduit à l’émergence d’une opposition islamiste plus radicale représentée par une myriade de groupes, dont le plus important est maintenant Daech.

    C’est ainsi que les aspirations de la révolution syrienne ont été écrasées entre ces deux pôles contre-révolutionnaires – d’un côté le régime et d’autre part les fondamentalistes islamistes fanatiques de l’autre. Mais là aussi, le potentiel existe toujours, avec des dizaines de milliers de personnes, surtout des jeunes, qui s’opposent au régime dans une perspective progressiste. Le régime a arrêté des milliers de ces jeunes progressistes qui organisaient le soulèvement lors de sa première phase en même temps qu’il relâchait des djihadistes emprisonnés. Le régime syrien lui-même a encouragé par tous les moyens l’essor et l’emprise de la tendance islamiste dure au sein de l’opposition. Cela convient au régime, tout comme la radicalisation islamiste parmi les Palestiniens convient à l’extrême-droite israélienne. Tous les deux jouent le même jeu en encourageant leurs « ennemis préférés ».

    Quel côté est en train de l’emporter dans ce conflit maintenant ?

    II y a deux ans, Assad était au bord de la défaite, et c’est alors que l’Iran a décidé d’aller au-delà du soutien logistique pour intervenir massivement sur le terrain en envoyant des troupes pour remonter le régime. Pour des raisons de langue, ils ont envoyé des troupes arabes en provenance des satellites confessionnels de l’Iran : le Hezbollah du Liban et le Asaïb Ahl al-Haq [Ligue des justes ou des vertueux] de l’Irak. Ces forces ont aidé le régime à lancer une contre-offensive réussie et à regagner une grande partie du terrain qu’il avait perdu auparavant. Le phénomène Daech impose toutefois des contraintes à l’Iran et à ses alliés, qui doivent maintenant se battre sur deux fronts, aussi bien en Syrie qu’en Irak. En plus de combattre l’opposition majoritaire syrienne, ils doivent maintenant contenir l’expansion de Daech en Irak, qui est le principal bastion de l’influence iranienne dans la région. L’éparpillement des forces soutenues par l’Iran a débouché sur l’apparition de signes d’épuisement au sein du régime syrien, dont la base militaire confessionnelle fiable est relativement limitée.

    Ainsi, malgré toutes les apparences, le régime syrien rencontre à nouveau des difficultés, mais il évoque plus que jamais l’argument de la guerre contre le terrorisme pour écarter la possibilité d’un soutien occidental accru à l’opposition majoritaire. En fait, le régime syrien est en compétition avec cette opposition majoritaire pour tenter de convaincre les puissances occidentales qu’ils sont les meilleurs alliés dans la guerre contre le terrorisme ! C’est là qu’on peut apercevoir les similitudes entre le régime syrien, le régime égyptien et le gouvernement israélien. Ils parlent tous le même langage : celui de la guerre contre le terrorisme, et c’est au nom de cette guerre qu’ils exigent carte blanche pour toutes sortes de violences. Ils sont tous en train de dire à Washington : « Nous sommes vos meilleurs amis, il est dans votre intérêt de nous soutenir ! ».

    L’attitude des Etats-Unis à l’égard de Daech n’est-elle pas plutôt d’endiguer que d’éradiquer ce courant ?

    Votre choix de termes est correct. Jusqu’à maintenant c’est l’endiguement qui a prévalu : les Etats-Unis sont intervenus pour arrêter la progression de Daech, mais ils ne veulent pas aller au-delà de l’endiguement avant d’avoir atteint un objectif politique. Washington considère cette apparition de Daech comme un levier pour se débarrasser de Maliki et réduire l’influence iranienne en Irak. En effet, Maliki était devenu de plus en plus dépendant de l’Iran, et les tensions entre lui et Washington s’étaient sans cesse accrues depuis la fin de la présence militaire directe des Etats-Unis en Irak en 2011. Les rapports de Maliki avec Washington s’étaient tellement dégradés qu’il s’est rendu à Moscou pour négocier de livraisons d’armes. Comme par hasard, Sissi est en train de faire la même chose dans un geste de protestation contre la réticence états-unienne à le soutenir pleinement. On peut donc voir l’ampleur du terrain que Washington est en train de perdre dans la région. Néanmoins, avec Daech en Irak, l’Etat irakien a besoin des Etats-Unis. Il dépend du soutien militaire états-unien parce que son armée avait été reconstituée avec un armement états-unien après l’invasion de 2003, et qu’une bonne partie de cet armement est tombée entre les mains de Daech. Les Etats-Unis ont dicté des conditions pour un soutien accru à l’Etat irakien, en commençant avec le départ de Maliki. Ils ont obtenu ce qu’ils voulaient : Maliki s’est retiré et a été remplacé par Haïder al-Abadi.

    Maintenant Washington est en train d’essayer de répéter ce qu’il a fait en 2006 après avoir perdu du terrain face à Al-Qaida. A cette époque, les Etats-Unis ont soudoyé les mêmes tribus sunnites parmi lesquelles Al-Qaida était en train de se développer. Washington a même réussi à transformer les tribus sunnites en alliés des Etats-Unis, parvenant ainsi à pratiquement éradiquer Al-Qaida en Irak. Maintenant nous assistons à la répétition de cette même stratégie : les tribus sunnites ont été complètement mises à l’écart par le sectarisme confessionnel de Maliki, soutenu par l’Iran. Il y a une telle colère qui s’est développé en leur sein qu’elles se sont alignées avec Daech lors de l’apparition de ce mouvement. En réalité, Daech n’a pas été le seul à s’emparer de larges parties de l’Irak : il s’agissait plutôt d’une alliance entre Daech avec des forces arabes sunnites : des tribus, des restes du parti Baas de Saddam Hussein et d’autres. C’est ce qui s’était déjà passé en Irak après le massacre à Fallouja en 2004, lorsque les sunnites ont été tellement mis à l’écart qu’ils ont laissé entrer Al-Qaida, soutenu jusqu’à ce que Washington change sa stratégie. Maintenant nous sommes en présence d’une reproduction du même scénario : cette fois les tribus sunnites ont fait une ouverture à Daech et Washington cherche à renouveler la stratégie d’alliance avec eux. Pour cela les Etats-Unis avaient besoin de se débarrasser de Maliki. Maintenant que c’est fait, nous verrons comment se développera la prochaine étape.

    « Un processus révolutionnaire à long terme avec des phases contre-révolutionnaires »
    ACHCAR Gilbert, ASHLEY Brian
    août 2014

    Entretien avec Gilbert Achcar conduit par Brian Ashley de la revue sud-africaine Amandla !

    * Entretien réalisé fin août 2014 pour la publication sud-africaine Amandla !, mis en ligne le 5 septembre 2014. Traduction A L’Encontre (http://alencontre.org/).

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article32980

  • Les forces de sécurité palestiniennes (Julien Salingue)

     book-2014 08 01

    Un appareil répressif indigène au service de la puissance coloniale ?

    "Ce travail collectif veut éclairer le lecteur sur la relation civile-militaire dans un certain nombre de pays arabes et en Iran au moment où coexistent des processus de transformation réussis, en cours ou ratés. Les divers contributeurs à ce volume proposent des éclairages circonstanciés pour analyser le rôle des armées à la suite des différentes révoltes populaires qui ont balayé le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Ce volume représente une contribution importante pour la compréhension du rôle des militaires et des transitions auxquels les pays sont ou ne manqueront pas d'être confrontés. Ces relations conditionneront, d'une part, la stabilité de chacun des pays concernés et, d'autre part, la paix et la sécurité de la région".

    Introduction de ma contribution : "Les forces de sécurité palestiniennes : un appareil répressif indigène au service de la puissance coloniale ?

    Nombre d’observateurs répètent à l’envi que le « processus de paix » entre Israël et les Palestiniens est « dans l’impasse », soulignant notamment que depuis septembre 2010, aucune rencontre officielle réunissant hauts dirigeants palestiniens et israéliens n’a eu lieu alors que la situation sur le terrain continue de se dégrader. L’initiative palestinienne à l’ONU, dénoncée par Israël et les États-Unis comme « unilatérale », serait une nouvelle démonstration de l’absence de coopération entre les deux parties.

    Mais au-delà des aléas du ballet diplomatique, force est de constater qu’une coopération beaucoup moins visible est à l’œuvre entre Israël et l’Autorité palestinienne (AP) de Ramallah . Il s’agit de la coopération dans le domaine sécuritaire, en d’autres termes des dispositifs à l’œuvre pour le maintien de l’ordre dans les territoires palestiniens de Cisjordanie sous la responsabilité, directe ou indirecte, de l’AP de Ramallah. D’aucuns seraient en effet surpris de constater que les services de sécurité israéliens et palestiniens travaillent de concert au quotidien, échangeant des informations ou menant des opérations conjointes.

    En effet, si certains ont souligné, à raison, que le premier ministre de facto, Salam Fayyad, avait un programme axé sur le développement économique, beaucoup ont sous-estimé la centralité des questions sécuritaires dans son programme. C’est cette politique que je me propose d’étudier ici, en l’inscrivant dans l’histoire de la construction de « l’autonomie palestinienne ». Pour ce faire, je m’attacherai tout d’abord à étudier la place des questions de sécurité dans l’architecture institutionnelle d’Oslo, avant d’analyser la construction et le rôle des forces de sécurité palestiniennes durant « l’ère Arafat » (1993-2005). Il s’agira dans un dernier temps de questionner les réformes mises en œuvre par le tandem Abbas-Fayyad, et plus généralement la viabilité du dispositif sécuritaire palestinien, en interrogeant notamment son principal paradoxe : dans quelle mesure des forces de sécurité coopérant avec les autorités coloniales peuvent-elles acquérir une légitimité auprès d’une population qui revendique la fin de l’occupation ?

    I) Les questions sécuritaires au cœur du dispositif de l’autonomie

    « Le concept d’une force de police palestinienne dans le cadre d’un accord israélo-arabe sur les territoires occupés n’a pas été créé par les Accords d’Oslo. [...] Les concepts de police dans les propositions de paix israéliennes ont varié d’une force de police civile de pleine juridiction sur les zones démilitarisées de la Cisjordanie, dans le cadre d’un compromis avec la Jordanie (le Plan Allon), à diverses formes d’une force de police avec autonomie partielle dans le cadre d’une dévolution de pouvoirs aux dirigeants tribaux de Cisjordanie (Ligues de villages) ou à une autorité intérimaire d’autonomie (l’Accord de Camp David. »

    A) La coopération sécuritaire : de lointaines origines

    L’objet de cette étude n’est pas de rapporter, d’analyser et de commenter l’ensemble des discussions et propositions évoquées par Brynjar Lia. Il est néanmoins utile de souligner, à titre d’exemple, que les Accords de Camp David, signés le 17 septembre 1978, comprenaient un paragraphe entier consacré aux questions des forces de sécurité dans les territoires palestiniens et à la coopération sécuritaire avec Israël : « Un retrait de forces armées israéliennes interviendra et il donnera lieu à un redéploiement des forces restantes en des points de sécurité déterminés. L’accord comportera aussi des dispositions propres à garantir la sécurité intérieure et extérieure et l’ordre public. Une importante force de police locale, qui pourra comprendre des citoyens jordaniens, sera mise en place. En outre, des forces israéliennes et jordaniennes collaboreront à des patrouilles en commun et à la désignation de ceux qui seront chargés des postes de contrôle en vue d’assurer la sécurité des frontières . » Cette étape précède, dans le texte des Accords, celle des « négociations […] pour définir le statut définitif de la Cisjordanie et de Gaza  ».

    Les négociateurs de l’OLP, conscients de la référence que représentaient les Accords de Camp David du côté israélien, ont rapidement constitué un groupe chargé des questions de sécurité en vue de discussions avec des représentants de l’autre partie. S’il est difficile d’établir avec exactitude une cartographie et une chronologie des multiples canaux et rounds de négociations, a fortiori lorsqu’ils étaient secrets, il est néanmoins établi qu’un « groupe d’études » israélo-palestinien s’est réuni à plusieurs reprises entre octobre 1992 et juin 1993. « Dans le groupe, on trouvait le général à la retraite Shlomo Gazit, ancien chef du renseignement militaire israélien ; Nizar Ammar de l’OLP ; Joseph Alpher, directeur du Centre Jaffa de l’Université de Tel Aviv et ancien haut responsable du Mossad, le service de contre-espionnage israélien ; Ahmad Khalidi, un conseiller de l’équipe de négociation palestinienne à Washington. Les autres membres du groupe d’étude étaient Shibley Telhami de l’Université Cornell, Naomi Weinberger du Barnard College, Yezid Sayigh de l’Université d’Oxford, Khalil Shikaki de l’Université An-Najah, en Cisjordanie, et Ze’ev Schiff, responsable de la rubrique défense du journal israélien Ha’aretz . »

    Ce « canal sécuritaire » a abordé de manière concrète, lors de ses diverses réunions, la plupart des questions relatives à la sécurité : retrait et redéploiement des forces armées israéliennes, recrutement et formation des forces de sécurité et de la police palestiniennes, contrôle des frontières. Même si les membres du groupe n’étaient pas officiellement « mandatés » par les directions palestinienne et israélienne, ils ont régulièrement rendu compte de leurs activités à ces dernières. Nizar Ammar, ancien collaborateur d’Abu Iyad lorsque ce dernier dirigeait les services de sécurité de l’OLP, est alors conseiller à la sécurité de Mahmoud Abbas, qui supervise l’ensemble du processus négocié. De leur côté, « les experts de la sécurité israélienne ont rapporté au gouvernement qu’ils ont été vraiment impressionnés par les vues très réalistes et modérées des spécialistes de la sécurité de l’OLP en exil [...]. Le point de vue palestinien sur les concepts discutés au sein du groupe de travail [...] a suscité l’appréciation favorable du gouvernement israélien  ». Ce travail préparatoire a donc facilité le rapprochement des points de vue entre l’OLP et le gouvernement israélien et, selon certains, achevé de convaincre Ytzakh Rabin d’envisager la possibilité d’un partenariat durable avec la direction Arafat .

    Après la signature de la Déclaration de principes (DOP), en septembre 1993, et avant la signature des accords intérimaires en mai 1994, les discussions bilatérales sur les questions sécuritaires se poursuivent avec l’implication directe, désormais, des officiels palestiniens et israéliens. C’est ainsi qu’en janvier 1994, une rencontre est organisée à Rome entre, d’une part, Mohammad Dahlan et Jibril Rajoub  et, d’autre part, Yaacov Peri  et Amnon Shahak . Cette rencontre est secrète et ne débouche pas sur un accord « officiel ». Il s’agit plutôt, selon les termes d’Ehud Ya’ari, d’une « entente » qu’il résume ainsi : « Les groupes armés du Fatah dont les membres étaient recherchés par les services de sécurité israéliens, comme les [Fatah] Hawks, recevront des tâches particulières. Ils seront chargés de réprimer tout signe d’opposition [à Oslo]. L’objectif est qu’ils imposent des punitions exemplaires au stade le plus précoce possible, afin de créer un climat de respect du nouveau régime . » C’est aussi au cours de cette rencontre qu’une « entente » est trouvée concernant le principe de l’échange de renseignements au sujet de l’opposition palestinienne et de la « tolérance » des forces de sécurité israéliennes à l’égard des activités de leurs homologues palestiniens . Ces rencontres préparatoires et la mention, dès la DOP, de la future constitution d’une « puissante force de police », sont autant de révélateurs de la place toute particulière des questions relatives à la sécurité dans le Processus d’Oslo.

    B) Les Accords d’Oslo conçus pour garantir la sécurité d’Israël ?

    Uri Savir, l’un des principaux acteurs des rencontres secrètes d’Oslo, rapporte, dans son ouvrage Les 1 100 jours qui ont changé le Moyen-Orient, une singulière conversation avec Ahmad Qoreï (Abu Ala), au cours de laquelle le négociateur israélien déclare : « Nous ne souhaitons pas exercer le pouvoir sur votre peuple. Ce qui nous intéresse, c’est la paix et la sécurité. […] En 1967, l’occupation des Territoires s’est imposée à Israël comme une nécessité. D’un point de vue moral, nous cherchons à nous libérer de cette situation, de manière à garantir aux Palestiniens la liberté et aux Israéliens la sécurité. » Uri Savir expose ainsi à Ahmad Qoreï, au cours des premières minutes de leur première rencontre, la philosophie générale du « processus de paix » : contrairement à ce que la résolution 242 des Nations Unies ou les Accords de Camp David avaient consacré, ce n’est pas le principe « land for peace », « la paix contre la terre », qui gouverne. La formule d’Uri Savir révèle en effet que, pour Israël, le paradigme est autre : « freedom for security », « la liberté contre la sécurité ».

    L’hypothèse de ce changement de paradigme ne se fonde évidemment pas sur le seul témoignage d’Uri Savir. Le contenu des accords intérimaires, et leur présentation (du moins par la partie israélienne), ne laissent planer aucun doute quant à la primauté des questions sécuritaires. C’est ainsi, par exemple, que dans le document Main Points of the Gaza-Jericho Agreements , dans lequel le ministère des affaires étrangères israélien présente les Accords du Caire (4 mai 1994), le premier point est intitulé « Security Arrangements and Withdrawal of Israeli Forces ».

    L’annexe I de ces mêmes Accords, relative aux questions de sécurité, contient pas moins de 12 articles, eux-mêmes divisés en 73 parties, à leur tour divisées en 154 sous-parties, parfois elles-mêmes subdivisées. La précision quant aux questions sécuritaires est éloquente : on apprend ainsi, entre autres, que la police palestinienne est autorisée à posséder 7 000 armes légères, 120 mitraillettes et 45 véhicules blindés , ou qu’une « patrouille conjointe » opèrera sur la route n° 90, dans le secteur de Jéricho, avec à sa tête un véhicule palestinien . Plus généralement, les Accords du Caire précisent « les devoirs, fonctions, structure, déploiement et composition de la police palestinienne  » et établissent « un comité conjoint de coordination et de coopération pour les questions de sécurité mutuelle  », coopération qui se matérialisera sur le terrain, entre autres, par la mise en place de « patrouilles jointes » dont les modalités d’exercice sont précisément définies .

    Les Accords indiquent également « [qu’]Israël et l’Autorité palestinienne chercheront à entretenir la compréhension et la tolérance mutuelles  », et plus loin « [que] la partie palestinienne prendra les mesures nécessaires pour empêcher tout acte d’hostilité à l’encontre des implantations, des infrastructures les desservant et de la zone d’installation militaire  ».

    Les Accords du Caire fixent à 9 000 le nombre maximum de policiers palestiniens « recrutés localement ou à l’étranger parmi les Palestiniens possédant un passeport jordanien ou une pièce d’identité palestinienne émise par l’Égypte », limitant à 7 000 le nombre de recrues de l’extérieur, « dont 1 000 arriveront dans les trois mois qui suivent la signature de l’accord » . Ils formulent en des termes précis les obligations de la police palestinienne, qui doit entre autres « agir systématiquement contre toute incitation au terrorisme et à la violence [chez les Palestiniens] », « arrêter et traduire en justice toutes les personnes [palestiniennes] suspectées de perpétrer des actes de violence ou de terrorisme », « confisquer toute arme illégalement détenue [par un civil palestinien] » et « coopérer pour échanger les informations et coordonner ses activités et ses politiques » avec les services de sécurité israéliens . L’article IV de l’annexe I précise en outre que, dans un souci d’efficacité, la police palestinienne doit être divisée en six branches, coordonnées entre elles et sous la responsabilité d’un commandement unique.

    La précision dans l’attribution des tâches des forces de sécurité tranche avec le « flou » concernant nombre d’autres questions dans des domaines pourtant essentiels dans la perspective d’une paix entre Israéliens et Palestiniens (notamment l’étendue des « redéploiements » israéliens), quand elles ne sont pas tout simplement reportées aux « négociations sur le statut final » (tracé des frontières, statut de Jérusalem et des colonies, solution pour les réfugiés, etc.). Ce phénomène confirme nettement l’hypothèse selon laquelle les questions sécuritaires occupent une place singulière dans les accords intérimaires et, partant, dans le Processus d’Oslo.

    Au-delà de cette précision, ce sont les mécanismes induits par les Accords qui renforcent notre hypothèse de départ. Un an et demi après l’Accord du Caire, c’est l’« Accord intérimaire sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza », dit « Oslo II » ou « Accord de Taba », qui est signé. Ce document précise, entre autres, les étapes et les conditions des futurs redéploiements israéliens en Cisjordanie. Or, s’il est bien indiqué que les prochains redéploiements devront survenir au plus tard 18 mois après l’établissement de l’Autorité palestinienne (« Conseil »), il est également précisé que « les redéploiements seront progressivement mis en œuvre en fonction de la prise en charge de l’ordre public et de la sécurité intérieure par la police palestinienne » . Pour la première fois, un accord signé par les deux parties mentionne explicitement le fait que l’avenir et le déroulement du processus, et notamment la « restitution » des terres aux Palestiniens, est conditionné à la capacité de la direction d’Arafat à faire régner l’ordre dans les zones évacuées par l’armée israélienne. « La liberté contre la sécurité » n’est plus désormais un simple mot d’ordre, mais bien une réalité inscrite dans la lettre même des accords.

    Le rôle dévolu aux forces de sécurité palestiniennes vérifie lui aussi l’hypothèse selon laquelle la « sécurité d’Israël » prime sur tout autre considérant. Ainsi, les restrictions imposées à la police palestinienne (qui n’a pas le droit, par exemple, d’incarcérer les colons israéliens qui se rendraient coupables de crimes ou de délits à l’encontre de la population palestinienne) et les exigences à son égard (entre autres, empêcher toute attaque contre les colonies et les installations militaires israéliennes) en font une force de police des plus atypiques : « Sa principale anomalie est de ne pas avoir été établie d’abord pour assurer la sécurité et rendre des services à la population au sein de laquelle ses membres ont été recrutés [...] mais pour assurer la sécurité d’un État étranger et de ses citoyens.  »

    Les forces de sécurité palestiniennes ne bénéficient en outre que d’une autonomie très relative, phénomène renforcé avec le Mémorandum de Wye River (octobre 1998) qui double la « coopération bilatérale israélo-palestinienne » déjà en vigueur  d’un « comité américano-palestinien [qui] se réunira deux fois par mois afin d’examiner les mesures à prendre pour éliminer les cellules terroristes et les structures de soutien qui organisent, financent, encouragent et soutiennent le terrorisme  ». Lors de ces réunions, la partie palestinienne doit en outre « informer les États-Unis en détail des actions qu’elle a prises pour interdire toutes les organisations […] à caractère militaire, terroriste ou violent  ».

    Le dispositif sécuritaire qui se met en place avec les accords intérimaires conforte les analyses de ceux qui ont vu dans la DOP et dans les prémisses du Processus d’Oslo une simple réorganisation de la « matrice de contrôle  » israélienne dans les territoires palestiniens occupés . En subordonnant la poursuite du « processus de paix » à la capacité de la direction d’Arafat à maintenir « la loi et l’ordre » dans les zones autonomes, Israël et les États-Unis ont placé le leadership de l’OLP dans une position ambiguë, pour ne pas dire contradictoire : trouver l’équilibre entre les aspirations des Palestiniens et les exigences d’Israël. L’organisation, le fonctionnement et la composition des forces de sécurité palestiniennes, sur lesquels nous allons à présent nous arrêter, seront marqués par cette ambiguïté originelle.(...)Vient de paraître dans : "Les forces armées arabes et moyen-orientales" 

    http://www.juliensalingue.fr/article-vient-de-paraitre-les-forces-armees-arabes-et-moyen-orientales-124544355.html

  • Sur l’intégrisme islamique « Il faudrait une alternative crédible, enthousiasmante et mobilisatrice (Essf)

     The Arabs

    Entretien inédit avec Maxime Rodinson réalisé par Gilbert Achcar [1] et publié par la revue Mouvements 6/ 2004 (no 36).

    Résumé

    Avec le décès de Maxime Rodinson, survenu le 23 mai 2004 à l’âge de 89 ans, disparaissait l’une des dernières grandes figures d’une lignée exceptionnelle d’islamologues occidentaux – celle des Régis Blachère, Claude Cahen et Jacques Berque, pour ne citer que des Français comme lui. Rodinson appartenait à cet ensemble d’auteurs aux approches pionnières, qui ont défriché le terrain d’études islamiques mises au diapason des autres sciences sociales, étant eux-mêmes affranchis des principaux travers de « l’orientalisme » colonial et sensibles à la cause des populations musulmanes en lutte contre la domination occidentale [2]. Des auteurs (encore) non corrompus par la médiatisation à outrance de l’« expertise », devenue actrice privilégiée de la société du spectacle, à notre époque où l’Islam a recouvré dans l’imaginaire occidental, sous la forme de l’intégrisme et du terrorisme, son statut d’ennemi privilégié.

    Maxime Rodinson se distingue, parmi ses pairs, par l’application au monde musulman d’une grille de lecture marxienne critique. Son rapport à Marx est, du reste, à l’origine de la très grande diversité de thématiques et de centres d’intérêt qui caractérisent son œuvre et qui font qu’elle ne saurait être confinée aux seules études islamiques. Son apport théorique couvre, en effet, des champs plus généraux de la recherche historique ou sociologique que le seul « monde musulman », en dialogue permanent avec l’inspiration marxienne qu’il n’a jamais reniée. Une dimension non moins importante de l’œuvre de Rodinson porte spécifiquement sur le conflit israélo-arabe : son article « Israël, fait colonial ? » paru dans le numéro spécial des Temps modernes consacré au débat embrasé par la guerre de juin 1967 constitua une contribution fondamentale à la définition d’une critique de gauche du sionisme [3].

    La réflexion de Rodinson sur l’« intégrisme islamique » est, tout entière, placée sous le signe de cette même inspiration marxienne : tant en ce qui concerne sa démarche analytique, à la fois fondamentalement « matérialiste » et comparative, qu’en ce qui concerne son attitude politique, où la compréhension (au sens profond du terme) des ressorts de la résurgence de cette idéologie politico-religieuse n’empêche guère l’athée foncièrement anticlérical qu’il était de n’éprouver aucune sympathie à son égard [4].

    L’entretien qui suit – jamais publié auparavant – a été réalisé en 1986 (je n’en ai plus la date exacte), dans l’appartement parisien de Maxime Rodinson, parmi les amas de livres qui jonchaient son plancher, ne trouvant plus de place dans les rayonnages qui recouvraient les murs. J’ai reconstitué ses propos à partir de notes quasi-sténographiques que j’avais prises à l’écoute de l’enregistrement (perdu) – en faisant abstraction de mes propres questions et interventions – dans le but de publier l’entretien dans une revue en gestation qui ne vit pas le jour. Le décès du grand penseur m’a incité à reprendre ce travail et à le publier en guise d’hommage, d’autant plus que ses propos, comme on pourra en juger, conservent, outre leur actualité, une certaine originalité par rapport à son œuvre déjà connue.

    Gilbert Achcar

    Entretien

    Sous la rubrique de « l’intégrisme islamique » – l’appellation n’est pas très bonne, celle de « fondamentalisme » encore moins ; quant au terme « islamisme », il entraîne une confusion avec l’Islam ; « Islam radical » n’est pas si mal, mais aucune appellation ne correspond tout à fait à l’objet – on peut grouper tous les mouvements qui pensent que l’application intégrale des dogmes et pratiques de l’Islam, y compris dans les domaines politique et social, mènerait la communauté musulmane, voire le monde entier, vers un État harmonieux, idéal, reflet de la première communauté musulmane idéalisée, celle de Médine entre 622 et 632 de l’ère chrétienne.

    En cela, il y a une similarité avec une idéologie politique laïque comme le communisme, pour laquelle l’application intégrale des recettes formulées par le fondateur doit mener à une société harmonieuse, sans exploitation ni oppression. Par contre, il n’y a pas d’idéologie similaire dans le christianisme : les intégristes chrétiens pensent que l’application intégrale des préceptes du Christ rendrait tout le monde bon et gentil, mais elle ne changerait pas forcément la structure de la société.

    Cela tient à la différence profonde entre la genèse du christianisme et celle de l’Islam. Les chrétiens formaient au début une petite « secte », un groupement idéologique autour d’une personne charismatique, dans une province reculée d’un vaste empire, l’Empire romain, doté d’une administration impressionnante. Cette petite secte ne pouvait avoir au départ la prétention de formuler un programme politique et social. Ce n’était ni l’intention de Jésus, ni celle des premiers pères de l’Église pendant deux ou trois siècles.

    Avant que l’empereur Constantin ne déclare, en 325, que cette Église (en latin ecclesia, c’est-à-dire « assemblée ») devait être religion d’État, elle avait eu le temps de bâtir un appareil idéologique autonome bien rodé. De sorte que, même après Constantin, se maintiendra la tradition de deux appareils distincts, celui de l’État et celui de l’Église, qui peuvent être en symbiose ou alliés, et l’ont souvent été (l’alliance du sabre et du goupillon, le césaro-papisme, etc.) ; mais qui peuvent également être en conflit (lutte du Sacerdoce et de l’Empire, Louis XIV et Philippe Auguste excommuniés, etc.). Il y a bien quelques exemples protestants d’État-Église (Genève au xvie siècle, le Massachusetts au xviie siècle), mais ce sont des exceptions dans l’histoire du christianisme.

    L’Islam est né dans une immense péninsule en dehors du champ de la civilisation romaine, où vivaient quelques dizaines de tribus arabes, tout à fait autonomes avec seulement quelques institutions communes : la langue, certains cultes, un calendrier, des foires et des tournois de poésie. Dans sa période médinoise (de 622 à sa mort, en 632), Mohammad (Mahomet) est considéré comme le dirigeant suprême, politique et religieux à la fois. Il est chef religieux, en relation avec Dieu, mais aussi chef de la communauté, non soumise à la loi romaine. Il règle les différends, obtient le ralliement de tribus, et répond aux nécessités de se défendre et, le cas échéant, d’attaquer – ce qui est le mode de vie dominant dans ce monde sans État de l’Arabie de cette époque. C’est ainsi que l’on trouve, aux origines de l’Islam, une fusion du politique et du religieux en un seul appareil - du moins en théorie, car lorsque sera créé un vaste empire islamique, la spécialisation des fonctions s’imposera.

    La séparation de la religion et de l’État est contraire à l’idéal de l’Islam, mais pas à sa pratique, car il y a toujours eu des corps d’oulémas spécialisés : les juges en Islam appartiennent à l’appareil religieux, avec d’autres compétences que les juges en droit romain de l’Occident. On trouve là, d’ailleurs, une parenté très grande avec le judaïsme, où, comme en Islam, les hommes de religion, les rabbins, ne constituent pas un clergé sacré, mais sont des savants (la synagogue, le beit midrash sont des lieux d’étude), à l’instar des oulémas.

    Aujourd’hui subsiste néanmoins l’idéal médinois d’une même autorité politique et religieuse. Rarement trouve-t-on, il est vrai, un cas aussi pur de communauté politico-idéologique que celui de l’Islam – sauf le communisme après 1917, qui a connu des schismes comme l’Islam et où les autorités politiques fixent la doctrine tant sur les problèmes théoriques que sur l’idéologie première et sur ce qu’il faut penser. Cependant, là où le communisme est un modèle projeté dans le futur, l’intégrisme islamique adhère à un modèle réel, mais vieux de quatorze siècles. C’est un idéal flou. Lorsque l’on demande aux intégristes musulmans : « Vous avez des recettes, dites-vous, qui dépassent le socialisme et le capitalisme ? », ils répondent par des exhortations très vagues, toujours les mêmes, qui peuvent se fonder sur deux ou trois versets – mal interprétés, en général – du Coran ou du Hadith.

    Or, le problème ne se posait pas du temps du Prophète, parce que personne ne pensait à changer la structure sociale : on prenait les choses comme allant de soi. Mohammad n’a jamais rien dit contre l’esclavage (de même que Jésus n’a jamais rien dit contre le salariat). Certes, l’idée d’une communauté sociale organisée avec des hiérarchies figure dans le Coran, mais elle est tout à fait normale pour l’époque. Mohammad se situe dans la société, alors que Jésus se situe en dehors d’elle. L’Islam, comme le Confucianisme, s’intéressent à l’État, tandis que les doctrines de Jésus ou de Bouddha sont des morales, axées sur la recherche du salut personnel.

    L’intégrisme islamique est une idéologie passéiste. Les mouvements intégristes musulmans ne cherchent pas du tout à bouleverser la structure sociale, ou ne le cherchent que tout à fait secondairement. Ils n’ont modifié les bases de la société, ni en Arabie Saoudite, ni en Iran. La « nouvelle » société que les « révolutions islamiques » établissent ressemble de façon frappante à celle qu’elles viennent de renverser. Je me suis fait réprimander en 1978 lorsque j’ai affirmé, de manière très modérée, que le cléricalisme iranien ne laissait présager rien de bon. Je disais « au mieux, Khomeiny sera Dupanloup, au pire Torquemada ». Hélas, c’est le pire qui est arrivé.

    Lorsque l’on est saisi par l’histoire, on est forcé de prendre des décisions. Il se forme alors des courants politiques : gauche, droite, centre. Sous influence européenne, le monde musulman a emprunté beaucoup de recettes à l’Occident, libérales parlementaires ou socialistes marxisantes. On a fini par être un peu dégoûté de tout cela : le parlementarisme mettait au pouvoir des propriétaires fonciers, le socialisme des couches gestionnaires militaires et autres. On a voulu revenir alors à la vieille idéologie « bien de chez nous » : l’Islam. Mais l’influence européenne a laissé des traces profondes, notamment l’idée que les gouvernants doivent prendre leur inspiration auprès des gouvernés, en général par le vote. C’est une idée nouvelle dans le monde musulman : ainsi, la première chose que fit Khomeiny, c’est organiser des élections et une nouvelle constitution.

    Au sujet des femmes, on peut trouver dans l’Islam tout un arsenal traditionnel en faveur de la supériorité masculine et de la ségrégation. Une des raisons de la séduction de l’intégrisme islamique un peu partout, c’est que des hommes qui se voient dépossédés de leurs privilèges traditionnels par les idéologies modernistes, savent que, dans une société musulmane telle qu’on la leur propose, ils peuvent s’appuyer sur des arguments sacrés en faveur de la supériorité masculine. C’est une des raisons – qu’on occulte très souvent, mais qui est profondément ancrée, et quelquefois inconsciente, d’ailleurs – de la vogue de l’intégrisme islamique : les expériences modernisantes allaient dans le sens d’accorder plus de droits aux femmes, et cela exaspérait un certain nombre d’hommes.

    En 1965, je m’étais rendu à Alger : c’était l’époque où Ben Bella faisait des efforts prudents pour promouvoir l’égalité des femmes. Une association officielle de femmes, qui n’était pas l’association bidon d’aujourd’hui, tenait un congrès dans la capitale. À la sortie du congrès, Ben Bella était venu prendre la tête d’un défilé des femmes dans les rues d’Alger. Des deux côtés, sur les trottoirs, des hommes dégoûtés sifflaient, lançaient des quolibets, etc. Je suis certain que cela a joué un rôle dans le coup d’État de Boumediene et a décidé beaucoup de gens à le regarder avec sympathie.

    L’intégrisme islamique est un mouvement temporaire, transitoire, mais il peut durer encore trente ans ou cinquante ans – je ne sais pas. Là où il n’est pas au pouvoir, il restera comme idéal tant qu’il y aura cette frustration de base, cette insatisfaction qui pousse les gens à s’engager à l’extrême. Il faut une longue expérience du cléricalisme afin de s’en dégoûter : en Europe, cela a pris pas mal de temps ! La période restera longtemps dominée par les intégristes musulmans.

    Si un régime intégriste islamique avait des échecs très visibles et aboutissait à une tyrannie manifeste, une hiérarchisation abjecte, et aussi des échecs sur le plan du nationalisme, cela pourrait faire tourner beaucoup de gens du côté d’une alternative qui dénonce ces tares. Mais il faudrait une alternative crédible, enthousiasmante et mobilisatrice, et ce ne sera pas facile.

    Maxime Rodinson

    Notes

    [1] Politologue.

    [2] Voir sa propre description de l’évolution des études islamiques dans La fascination de l’Islam, La Découverte, 1980.

    [3] Article repris dans Peuple juif ou problème juif ?, La Découverte, 1981.

    [4] On trouvera les principales réflexions de Maxime Rodinson sur l’intégrisme islamique contemporain dans L’Islam : politique et croyance, Fayard, 1993, à compléter par la lecture du chapitre premier de De Pythagore à Lénine : des activismes idéologiques, Fayard, 1993.

    * Pour citer cet article : Achcar Gilbert, « Maxime Rodinson : sur l’intégrisme islamique », Mouvements 6/ 2004 (no 36), p. 72-76 URL : www.cairn.info/revue-mouveme.... DOI : 10.3917/mouv.036.0072

    RODINSON Maxime, ACHCAR Gilbert
    1986
     

  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

     

     

    BASSIOUNY Mustafa, HARROLD Ross - 17 juillet 2014

    Egypte : « Pour l’instant, la contre-révolution a gagné, mais les conditions qui ont provoqué l’explosion de la révolution en 2011 sont toujours là »

    *

    CHAMKHI Fathi - 16 juillet 2014
     
    Revolutionary Left (Syria) - 12 August 2014
     
    DAHER Joseph - 18 août 2014
     
    Palestine & Israel AIC, RUSSELL Edmund - 4 August 2014
     
    Observer for Human Rights - 11 August 2014
     
    SALINGUE Julien - 15 August 2014
     
    BIDWAI Praful - 16 August 2014
     
    OURDAN Rémy - 8 août 2014
     
    SALINGUE Julien - 15 août 2014
     
  • L’an 4 de la révolution tunisienne : bilan et perspectives (Essf)

    L’insurrection révolutionnaire, qui a secoué la Tunisie vers la fin de 2010 et le début de 2011, a permis aux classes populaires et à la jeunesse de chasser Ben Ali et de briser son pouvoir. Mais, abattre le dictateur est une chose. Abattre le système économique et social, qu’il gardait, en est une autre.

    1. Abattre la dictature est une chose, renverser le régime en est une autre


    Force et limites du mouvement révolutionnaire tunisien

    Après avoir supporté, pendant 23 ans, la dictature néocolonialiste du capitalisme mondial, le
    peuple tunisien s’est enfin révolté. Parti du centre de la Tunisie, l’insurrection révolutionnaire a vite gagné le reste du pays, notamment la capitale Tunis. Il ne lui a fallu que 29 jours pour déboulonner le dictateur.


    La révolution a affiché comme objectif central celui d’abattre le régime. Mais, celui-ci a bien résisté à l’assaut populaire, malgré la perte de son chef. Le mouvement révolutionnaire, essentiellement spontané et manquant d’expérience politique, n’a pas su intégrer ses actions et ses différentes initiatives politiques dans une perspective de rupture avec l’ordre dominant. Il s’est finalement laissé ‘apprivoiser’ par les partis politiques de droite. Le mouvement syndical et, surtout, la gauche assume une lourde responsabilité dans ce premier échec.

    Le mouvement syndical, sous contrôle bureaucratique. Un pas en avant, deux en arrière

    La direction du puissant syndicat ouvrier, UGTT, a été, durant les deux premières semaines de l’insurrection révolutionnaire, ouvertement hostile à ce mouvement. Pareil qu’en 2008, lors de la longue révolte du bassin minier.


    L’engagement massif des syndicalistes dans le mouvement révolutionnaire et la pression qu’ils exerçaient sur la direction de l’UGTT, l’augmentation du nombre des victimes et, surtout, l’incapacité évidente du pouvoir à éteindre le brasier, l’ont finalement poussé dans le camp de la révolution. Le 11 janvier, elle décida une série de grèves générales régionales tournantes. La région de Tunis a été programmée pour le 14 janvier. La direction de l’UGTT était loin de se douter que ce jour allait être le dernier du long règne de Ben Ali.
    Le ralliement de cette direction à la révolution a permis un dénouement rapide de l’affrontement avec la dictature et, surtout, d’en limiter le coût en vies humaines.

    La gauche, faiblesse et divisions

    Malgré son fort ancrage dans le mouvement ouvrier tunisien, dont les origines remontent au début du XXe siècle, son combat contre toutes les formes de colonialisme et son engagement dans le mouvement révolutionnaire, la gauche tunisienne n’a pas pu jouer un rôle politique décisif après la chute de Ben Ali. Ce qui a permis au régime en place et aux forces impérialistes, de parer au plus pressant, en faisant appel aux services de vieux responsables politiques, puis aux islamistes, pour contenir la vague révolutionnaire et stabiliser le pouvoir de nouveau.
    Le prix payé à la dictature, son extrême division et l’absence de perspectives politiques claires expliquent les défaillances de la gauche, à un moment décisif de la lutte des classes en Tunisie.

    Déroute du parti-Etat et de la grande bourgeoisie locale

    Il était difficile d’imaginer une insurrection révolutionnaire en Tunisie, en 2010. Encore moins, la chute du général Ben Ali. Bien entendu la situation sociale était catastrophique, la corruption générale et le contrôle criminel des familles du palais d’un pan de l’économie presque total. Cependant, les signes d’une irruption sociale imminente étaient difficiles à déceler.
    Le 17 décembre 2010, un fait divers dramatique a brusquement changé la donne. La contestation des parents de la victime de ce drame, devant le siège du gouverneur, a marqué le début d’un mouvement de remise en cause du système, qui a fini par enflammer l’ensemble du pays.
    Le pouvoir politique ne s’attendait pas à un embrasement social aussi général. La police et l’armée ont été vite débordées par l’ampleur du mouvement, mais aussi par sa forte détermination.
    Le 14 janvier, vers le début de l’après-midi, l’avenue principale de la capitale a été occupée par une immense foule. Des dizaines de milliers de manifestants se sont massés spontanément face à l’immeuble, symbole de la dictature, du ministère de l’Intérieur. Puis, elle a scandé pendant des heures ‘dégage’ contre le dictateur, avant d’être violemment dispersée les brigades anti-émeutes.
    Ben Ali a fini par être lâché par la grande bourgeoisie locale et par l’impérialisme. Son parti, qui comptait, quelques semaines plutôt, des centaines de milliers de membres, a, lui aussi, disparu dans la nature. Il ne restait au Général qu’une seule issue ; la fuite à l’étranger. Ce qu’il fit sans hésitation !

    Les forces impérialistes au secours du régime tunisien

    Au-delà des faiblesses du mouvement révolutionnaire, des erreurs de la gauche et des hésitations de la direction syndicale, le régime tunisien doit sa survie, notamment, grâce à l’intervention et au soutien multiforme des forces impérialistes. La grande bourgeoisie locale était, quant à elle, dans un désarroi total.
    La rencontre du G8 à Deauville, fin mai 2011, qui s’est penchée sur ‘le printemps arabe’, n’était que la partie visible de la réaction et des manœuvres de l’impérialisme face aux insurrections révolutionnaires qui remettaient en cause l’ordre impérialiste dans la région arabe.
    L’ingérence impérialiste, dans les affaires tunisiennes s’est renforcée. C’est ce qu’illustre l’influence qu’exercent les ambassades des Etats dominants sur les partis politiques locaux, et le contrôle quasi-total de la politique économique et sociale par les institutions financières internationales (IFI) et la Commission européenne.

    2. Les islamistes gardiens provisoires du régime

    Ennahdha à l’épreuve du pouvoir, face aux revendications populaires

    L’insurrection révolutionnaire et la chute du dictateur ont créé des conditions objectives idéales, pour commencer une transformation progressiste de la société tunisienne. Il était important pour les classes populaires de savoir quelle force politique pouvait le faire ?
    Beaucoup, parmi ces classes, étaient séduits par le parti islamiste Ennahdha, ce qui lui a permis d’obtenir la majorité relative aux élections, du 23 octobre 2011, de l’Assemblée Constituante, avec environ 37% des voix exprimées ; soit 89 sièges sur un total de 217 sièges. Mais, pour gouverner, il lui fallait plus. Il a noué une alliance gouvernementale avec deux autres partis, qui ont totalisé 49 sièges, formant ainsi la Troïka. Ennahdha, mais aussi les partis qui ont gouvernés avec elle, ont été chargée, d’une manière démocratique, de faire cette transformation.
    Cependant, la Troïka, avec les islamistes aux commandes, a préféré servir de relais aux plans et aux exigences néocolonialistes : en poursuivant le remboursement de la dette de la dictature, en signant l’Accord de libre-échange complet et approfondi, véritable traité néocolonialiste exigé par l’Union Européenne et en signant, avec le FMI, un nouveau plan, qui durci l’austérité budgétaire et les restructurations capitalistes néolibérales… Bref, elle a poursuivi, dans des conditions sociales radicalement différentes, la même politique qui a conduit la Tunisie à l’insurrection. Résultats : extension et approfondissement de la crise !
    La Troïka a été rattrapée par sa trahison des promesses de justice sociale, de lutte contre la corruption et de demander des comptes aux criminels de l’ancien régime. Les islamistes, et leurs alliés, savaient qu’il était impossible de dire oui, sur toute la ligne, au bourreau et de ménager, en même temps, ses victimes. Mais, leur nature de classe, leurs intérêts politiques et leur idéologie, ne pouvaient que les pousser à être les nouveaux serviteurs du néocolonialisme. Cette expérience a démontré, de manière irréfutable, l’incapacité de l’islam politique à satisfaire les revendications sociales, démocratiques et nationales exigées lors de l’insurrection révolutionnaire. Encore une voie sans issu !
    Après une première période de gouvernement chaotique, les islamistes ont jeté l’éponge, une première fois, le 6 février 2013, à la suite de l’assassinat de Belaid, l’un des dirigeants du Front populaire (FP). Puis, définitivement, le 9 janvier 2014, sous la pression conjuguée de la rue, des partis politiques d’opposition et des puissances étrangères. Ils ont mis fin à 767 jours de gouvernement de la Tunisie, par la Troïka. Un gouvernement dit de ‘technocrates’, estampillé du label ‘consensus national’, a pris le relais.

    Le Front Populaire : union difficile des forces de gauche et des nationalistes arabes

    La gauche et les nationalistes arabes ont subi une défaite cuisante aux élections de 2011. Tirant le bilan de cet échec, ils ont formé, le 7 octobre 2012, le FP pour la réalisation des objectifs de la révolution.
    Malgré des divergences idéologiques et un passé de conflictuel, les principales constituantes du FP ont réussi à préserver leur union, voire même à la consolider ; le FP est désormais un parti politique en construction.
    Le Front n’est pas homogène, loin s’en faut. Il renferme toutes les tendances de la gauche et du mouvement nationaliste arabe. Pour certaines tendances, ces dénominations ne veulent plus dire grand-chose. Le seul catalyseur, de ce corps politique composite, est une réalité sociale très tendue, conflictuelle et dépourvue de vision alternative claire.
    Le FP populaire se veut une force de progrès, voire révolutionnaire. Ses dizaines de milliers de membres sont bien ancrés dans le mouvement social, syndical et révolutionnaire.
    Par contre, la direction du FP ne mesure pas bien l’étendue de son capital de confiance auprès des classes populaires. Là où il faut agir fermement, elle hésite encore, elle doute même et s’impose des autolimitations. En politique il ne peut y avoir de certitudes sur l’issu d’un combat que l’on engage. Mais, prendre l’initiative, frapper le premier, contribue souvent à déterminer l’issue de la bataille.
    Le FP serait actuellement la troisième force politique. Il se prépare à participer aux prochaines élections législatives et présidentielles, qui débuteront à la fin d’octobre 2014, sous sa propre bannière.

    Nida Tounès : recomposition de la droite néolibérale

    Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de l’ancien dictateur a été dissout le 9 mars 2011. Depuis, les initiatives de regroupement de ses anciens membres se sont multipliées. Nida Tounès est, de loin, le nouveau parti qui a réussi, non seulement à regrouper bon nombre d’entre eux, mais à attirer aussi vers lui des cadres du mouvement démocratique et syndical.
    Nida Tounès, serait le premier parti, selon les sondages d’opinions, devançant Ennahdha. À l’instar du FP, Nida Tounès a décidé d’aller seul aux prochaines élections. Plusieurs signes indiquent que ce dernier et Ennahdha seraient d’accord pour gouverner ensemble, après les élections. Leur accord est total concernant le maintien de l’orientation capitaliste néolibérale de la politique économique et sociale. Par contre, ils divergent concernant la sécularisation de la société et, plus particulièrement, les droits acquis des femmes tunisiennes.

    3. Le gouvernement ‘technocrate’

    Echec et déroute des islamistes au pouvoir.

    L’arrivée des islamistes au pouvoir, dans les conditions concrètes de la Tunisie après le 14 janvier, était inévitable. Cela a couté très cher à la Tunisie. Cependant, à quelque chose malheur est bon ! Cette expérience malheureuse a permis aux classes laborieuses de mettre les islamistes à l’épreuve de leurs revendications sociales légitimes, et qui nécessitent des choix politiques clairs. La faillite des islamistes au pouvoir est totale. Cela va certainement permettre à la société tunisienne de pouvoir enfin exorciser ses démons !
    L’une des tâches urgentes, des forces sociales et politiques progressistes tunisiennes, doit consister, à partir de l’expérience vécue, à aider à la cristallisation de la conscience de classe des forces laborieuses tunisiennes. Concrètement, il leur faut se battre pour que les élections prochaines soient l’occasion de réparer les erreurs graves du passé, et non pas une nouvelle tentative pour restaurer le pouvoir de la dictature. Cela veut dire, avoir un programme électoral qui marche sur les deux jambes : politique d’une part, et, économique et social, d’autre part. Contenant des mesures immédiates et opérantes pour renverser la tendance actuelle.

    Le ‘dialogue national’ accouche d’un gouvernement ‘technocrate’

    La Troïka a été docile vis-à-vis des injonctions impérialistes. Mais, signer des accords de libre-échange, et accepter des plans d’austérité et de restructurations néolibérales est une chose, les appliquer en est une autre. Aussi, face aux effets catastrophiques de ces mesures, les islamistes ont commencé à s’inquiéter de la dégradation de leur image, et du coût politique que cela impliquait, tandis que les Institutions financières internationales et la Commission européenne, continuaient d’exiger d’eux toujours plus et plus vite.

    Mission du gouvernement ‘technocrate’ : durcir l’austérité et les restructurations capitalistes néolibérales

    Les forces capitalistes ont finalement décidé d’écarter la Troïka du pouvoir. Parmi les moyens économiques utilisés pour atteindre cet objectif, l’embargo financier, qu’ils ont commencé à appliquer à partir de juin 2013. Il ne prit fin qu’avec l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, en janvier 2014.
    Ce dernier a émergé, en apparence, du ‘dialogue national’ qui a été mise en place, un mois après l’assassinat de Brahmi, autre leader important du FP, le 25 juillet 2013, et le mouvement populaire qui s’en est suivi, pour réclamer le départ des islamistes du pouvoir et la dissolution de toutes les instances issues des élections de 2011.
    Ce gouvernement est supposé n’avoir pas de liens d’intérêts avec les partis politiques. Il est supposé aussi être l’émanation du dialogue national. Rien n’est moins vrai ! Il a été concocté dans les coulisses des chancelleries étrangères, avec la collaboration de la grande bourgeoisie locale dont les intérêts sont intimement liés aux intérêts des firmes transnationales.
    La plupart des membres du gouvernement actuel, sont des cadres dans les firmes transnationales, et dans les IFI. Leur mission, à laquelle ils s’y emploient avec dévouement, consiste à accélérer l’exécution des accords signés avec les IFI et la commission européenne.

    4. Quelles perspectives immédiates pour le processus révolutionnaire ?


    Les prochaines élections législatives et présidentielles (octobre-décembre 2014).

    Avant de quitter le pouvoir, la Troïka a fait voter à l’Assemblée Constituante, un budget qui durcit la politique d’austérité. Mais, quelques jours à peine après ce vote, la contestation populaire à fait reculer la Troïka, l’obligeant à annuler une partie des nouvelles mesures fiscales qui affectent les revenus et le pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes. L’ampleur du mouvement a, du même coup, forcé le dirigeant d’Ennahdha et chef du gouvernement, Larayedh, à démissionner.
    Le départ des islamistes du pouvoir a été accueille avec un grand soulagement dans le pays. Le nouveau gouvernement a joui d’un préjugé favorable auprès de l’opinion publique. De plus, il jouit d’un large soutien politique. Il a aussi le soutien des deux grandes organisations professionnelles ouvrière et patronale. Officiellement, il doit réunir les conditions nécessaires pour le bon déroulement des élections, supposées marquer la fin de la transition démocratique de la Tunisie.
    Le gouvernement technocrate a mis cela à profit, pour faire des avancées significatives dans les grands dossiers des réformes structurelles néolibérales. Cependant, il avance avec précaution en ce qui concerne les mesures d’austérité budgétaire. Il a été contraint d’organiser ‘un dialogue économique national’ afin de garantir une couverture politique au programme d’austérité. Mais, ce dialogue n’a pas abouti, notamment à cause des réticences de l’UGTT et de l’opposition du FP aux augmentations des prix des produits de première nécessité.
    Cela a poussé le gouvernement à mettre de l’eau dans son vin ; il a été contraint de maintenir les subventions aux produits de base, mais a opéré dans le même temps des augmentations importantes pour le prix du carburant, de l’électricité et du gaz.
    Enfin, le projet de budget complémentaire pour 2014, qu’il vient de présenter à l’Assemblée Constituante comporte de nouvelles mesures fiscales et des retenues obligatoires sur les salaires, allant d’une journée à six journées de travail.

    La dernière ligne droite du processus révolutionnaire

    La tension sociale est de nouveau montée d’un cran à l’annonce de ces mesures. Dans le même temps, les partis politiques sont plongés dans les tractations et la recherche d’alliances pour les prochaines élections. Seul le syndicat UGTT demeure vigilant par rapport à la politique du gouvernement. Il s’est opposé à l’augmentation du prix de l’essence, il a aussi exigé des négociations sur les salaires.
    Les classes populaires se sentent de nouveau abandonnées par les partis politiques trop préoccupé à l’heure actuelle par les élections qui approchent vite. Le gouvernement semble lâcher du lest sur les questions très sensibles qui touche les produits de première nécessité. Par contre il a accéléré la cadence des réformes : secteur bancaire et financier, code des investissements, code fiscal, et libéralisation de l’agricole, des services et des marchés publiques…

    En guise de conclusion

    Les classes populaires et la jeunesse ont réussi, grâce à leur insurrection révolutionnaire, à briser leurs chaînes. Mais, presque quatre ans après la fin de la dictature leurs conditions de vie se sont dégradées. Aucune amélioration de l’emploi ou bien du pouvoir d’achat n’est attendue.
    L’avenir proche va dépendre du résultat des élections. Le pire sera le retour des islamistes au gouvernement, l’idéal sera une victoire électorale du FP.
    Enfin, la restauration de l’ancien système, dans les mois à venir, est peu probable. Par contre, une nouvelle victoire révolutionnaire est fort possible. Tout dépendra de la capacité du mouvement révolutionnaire à dépasser ses faiblesses organisationnelles et à se doter d’un programme capable de convaincre les classes laborieuses. CHAMKHI Fathi 16 juillet 2014

    Fathi Chamkhi est membre de la direction du Front populaire en tant que porte-parole de RAID, l’organisation affiliée à Attac et au Cadtm en Tunisie.

    Une version vidéo de ce texte est disponible sur https://www.dropbox.com/s/2ry15ovdz...

    Mis en ligne le 19 août 2014