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1916-2016 : cent ans de manœuvres françaises au Moyen-Orient (2/2) A&R
*Nous publions la seconde partie de cet article. Après avoir développé quelle a été la politique de l’État français au Moyen-Orient, des accords Sykes-Picot de 1916 aux années 1980, nous revenons ici sur les évolutions survenues entre les années 1990 et aujourd'hui.
Les années 1990 et 2000 : un repositionnement français
Suite à la guerre du Golfe, la France soutient l’embargo qui provoque la mort de 500 000 à 1 million d’enfants entre 1991 et 2003. Mais elle soutient aussi le cynique programme « pétrole contre nourriture », mis en place en 1996. Lors de l’invasion américaine de 2003 est publiée la liste des personnalités politiques, patrons et entreprises ayant bénéficié du système de rétro-commissions mis en place par Saddam Hussein grâce à ce programme. Outre l’ancien ministre Charles Pasqua et d’autres dirigeants de la droite française, on y trouve l’entreprise Total et son futur patron Christophe de Margerie (alors directeur pour le Moyen-Orient) et la banque BNP-Paribas.
Faut-il en conclure que la défense des intérêts français en Irak est la cause de l’opposition de Jacques Chirac à la guerre de George Bush Jr en 2003 ? C’est certainement un facteur déterminant dans sa politique.
Cela n’empêche pas la France de continuer à jouer sur deux tableaux. En 1999, Jacques Chirac est le premier chef d’État à recevoir le jeune Bachar el-Assad, qui a été intronisé comme successeur de son père suite à la mort de son frère aîné en 1994. Et en juin 2000, Chirac est le seul chef d’État occidental à se rendre aux funérailles d’Hafez el-Assad. Total bénéficie pleinement de l’exploitation du pétrole. Depuis le milieu des années 1990, la production d’or noir atteint les 600 000 barils par jour.
Mais en mai 2004, les relations se tendent de nouveau à propos du Liban. La Chambre des députés décide de reporter l’élection présidentielle[1], prolongeant ainsi le mandat du général Émile Lahoud. Celui-ci est considéré par Chirac et Bush comme l’homme de la Syrie : il a signé en 1989 l’accord de Taëf, qui a mis fin à la guerre civile et permet une présence militaire syrienne depuis. En juin, alors que Bush est en France pour célébrer les 60 ans du débarquement de Normandie, les chefs d’État français et américain lancent l’initiative diplomatique qui débouche en septembre sur la résolution 1559 des Nations unies. Celle-ci exige le retrait des 15 000 soldats syriens encore présents au Liban. Un mois après, le Premier ministre, l’homme d’affaires multimilliardaire (et grand ami de Chirac) Rafiq Hariri, démissionne. Il est assassiné par un attentat attribué au Hezbollah en février 2005. Chirac fait alors tout ce qui est en son pouvoir pour isoler la Syrie dans la communauté internationale.
Deux ans plus tard, Sarkozy nouvellement élu tente un rapprochement avec la Syrie afin de débloquer la situation de vacance de la présidence libanaise (le mandat de Lahoud s’est terminé sans consensus pour sa succession), ce qui est fait en mai 2008. Sarkozy rend hommage à Assad pour son rôle dans la résolution du conflit et l’invite à assister au défilé du 14 juillet. Et puis, comme son allié iranien, le régime syrien n’est-il pas un modèle de stabilité et un appui dans la lutte contre Al-Qaïda ?
Depuis 2011 : un redéploiement toujours chaotique
Mais en fait de stabilité et de lutte contre le terrorisme, la situation n’est plus aussi idyllique depuis le début de la révolte populaire anti-Assad, en 2011. On estimait, en septembre dernier, le nombre de morts à 240 000 depuis 2011, dont 80 % sont l’œuvre des forces gouvernementales (armée régulière, mais aussi Hezbollah...) et 10 % de Daech.
Pour les capitalistes, d’autres chiffres comptent. Entre 2011 et 2014, les pertes dans le secteur des hydrocarbures s’élèvent à près de 16 milliards d’euros. La production de pétrole s’est effondrée de 96 % et celle du gaz de 50 %. Un terrible gâchis pour ceux qui regardent avec avidité les 2,5 milliards de barils de réserves estimées. Un terrible handicap pour leur commerce aussi, alors que la Syrie pourrait occuper une position de carrefour du gaz et du pétrole... Une terrible menace enfin, pour la stabilité, déjà bien précaire, de la région.
Pour les entreprises françaises implantées en Syrie, aussi diverses que le groupe fromager BEL ou le cimentier Lafarge, la seule solution est la délocalisation vers le Liban, l’Égypte ou la Turquie. Total a également dû rapatrier son personnel en décembre 2011, après l’adoption de sanctions par l’Union européenne. L’entreprise voit avec grand-crainte l’évolution de la situation en Irak, où elle a déjà peiné à remporter des contrats face à la concurrence britannique, nord-américaine et, fait nouveau, asiatique (depuis 2009, elle exploite ainsi le champ pétrolier Halfaya avec les entreprises chinoise CNPC et malaisienne Petronas), d’autant que l’essentiel de son implantation est au Kurdistan. Les récents accords avec l’Iran ont certes ouvert la possibilité d’un retour des pétroliers européens dans la République islamique. Mais la fermeté française sur le dossier du nucléaire, le soutien sans faille de Hollande à l’État d’Israël, son partenariat privilégié avec l’Arabie saoudite et les accusations de corruption de Total en Iran[2] risquent de handicaper le pétrolier français dans les attributions de marchés.
Quant aux ressources du sous-sol syrien, elles sont désormais convoitées par le fidèle allié russe. Soyuzneftegaz Company a ainsi signé en 2013 un accord de prospection pétrolière et gazière off-shore pour une durée de 25 ans.
Autre concurrent pour l’exploitation des ressources : l’État islamique, qui parvient à s’autofinancer grâce aux exportations vers l’Irak et la Turquie.On comprend sans peine l’empressement de Hollande à lancer une offensive contre la Syrie en 2013, puis sa ferme volonté de participer, fût-ce avec des moyens symboliques, aux bombardements en Irak depuis l’an dernier et en Syrie depuis septembre 2015. Désormais, la cible prioritaire n’est plus le régime d’Assad, mais Daech. L’émotion post-attentats explique en partie ce changement de stratégie. Mais pas seulement. Une nouvelle fois, les impérialistes tâtonnent, ont peur de s’embourber, sont incapables de trouver une solution viable.
Le maintien d’Assad semblait impensable il y a quelques mois. Il est maintenant sérieusement envisagé par plusieurs forces de la coalition, y compris hors de l’axe Moscou-Téhéran. Mais un tel scénario pourrait signifier un net recul de l’implantation des entreprises françaises dans le pays.Le choix français se porte donc davantage vers les adversaires de l’axe Damas-Téhéran : l’Arabie saoudite et le Qatar en premier lieu. En 2014, 9 milliards d’euros de contrats ont été signés et le montant s’élève à 17 milliards en 2015. Dassault négocie avec les Emirats arabes unis 12 milliards d’euros de ventes. Le secteur de l’armement, lui, ne connaît pas la crise.
L’impérialisme français est fragilisé mais toujours actif, et sans doute plus agressif depuis l’arrivée de Hollande au pouvoir. Le dénoncer, critiquer ses guerres et son hypocrisie, c’est sans doute aujourd’hui aller à contre-courant. Mais ne l’était-ce pas aussi pour les militants et militantes anti-impérialistes aux États-Unis en 2003 ? Pourtant, l’enlisement et la catastrophe des occupations de l’Afghanistan et de l’Irak a rendue bien plus forte, sinon majoritaire, l’idée que ces guerres pour le pétrole et les intérêts capitalistes n’étaient pas légitimes et devaient prendre fin. Notre tâche immédiate est de continuer à le dénoncer et de prendre des initiatives militantes, afin de préparer les mobilisations anti-guerre de demain.
Jean-Baptiste Pelé
[1] Le président de la République libanaise n’est pas élu au suffrage universel mais par la Chambre des députés, en principe pour un mandat de six ans. Le choix se fait en principe au consensus entre les forces politiques, d’autant que le poste est obligatoirement occupé par un chrétien (le Premier ministre doit être sunnite et le président de la Chambre des députés chiite).[2] Entre 1996 et 2003, Total aurait versé 38 millions de dollars à des dirigeants iraniens pour l’attribution de contrats.Note; Ce texte est issu d'un courant du NPA "Anticapitalisme et Révolution"Lien permanent Catégories : Documents, Histoire, IVè Internationale, Syrie, ThéorieOman 0 commentaire -
Peut-on être contre la guerre en Syrie en se taisant sur le régime de Damas, l’Iran, le Hezbollah, la Russie... ? (Essf)
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Le 15 janvier dernier, Christine Delphy ouvrait un meeting [1] qui se tenait à la Bourse du travail et faisait suite à un appel d’intellectuels [2] paru le 24 novembre dernier dans la presse, appel se voulant une réponse non seulement à l’Etat d’urgence institué par le gouvernement mais aussi « à la guerre » proclamée par ce même gouvernement. C’est ce second aspect que je vais aborder.
Assad ? Connais pas...
Le discours de Delphy et l’Appel présentent bien des points communs avec toutefois des nuances.
Le problème avec cet appel et d’autres assez proches, ce n’est pas tant ce qu’ils disent, nous y reviendrons... que ce qu’ils ne disent pas.
Car enfin, de quoi parlons-nous ? De la guerre en Irak et en Syrie où la France intervient par des frappes aériennes. Or, il semblerait qu’un certain nombre d’acteurs de premier plan dans ces guerres ont disparu des radars de nos signataires.
Quid de Bachar el Assad qui, depuis bientôt cinq ans, torture, emprisonne, bombarde, affame son peuple et qui a provoqué la mort de plus de 250 000 personnes en Syrie et le départ de millions de réfugiés ? [3]
Quid de l’Iran qui a formé les terribles milices paramilitaires chiites dont les exactions et tueries répétées en Irak, ne sont pas pour rien dans la « protection » qu’on cherchée les tribus sunnites dans l’Etat islamique ? L’Iran qui depuis le début de la révolte des Syriens contre le dictateur Assad soutient implacablement ce dernier envoyant armes et troupes contre les insurgés ?
Quid du Hezbollah dont le tragique siège de Madaya, ville affamée depuis plus de 7 mois par le groupe libanais, vient de révéler au grand jour son rôle de fer de lance dans la contre-révolution syrienne ? [4]
Quid de la Russie qui, après avoir armé et instruit l’armée syrienne, soutenu inflexiblement Assad dans toutes les instances internationales, déverse depuis le mois de septembre 2015 ses tapis de bombes sur les insurgés ?
Aucun de nos anti-guerre n’a visiblement entendu parler de l’Iran, du Hezbollah, de la Russie ou d’Assad.
Est-ce à dire que l’Iran, le Hezbollah, la Russie interviennent en catimini, sous faux drapeau ? On peut leur reprocher bien des choses, mais pas cela.
C’est avec tous les honneurs que l’Iran a enterré à Téhéran, le brigadier général Hamid Taghavi, tombé « en martyr en Irak » en décembre 2014 et dont le corps fut veillé au siège des gardiens de la Révolution.
Tout comme Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah libanais présentait les honneurs en octobre 2015 à l’un des plus hauts responsables militaires du mouvement, Hassan Hussein al-Hage tué également dans les combats en Syrie.
Quant aux Russes, à l’inverse de la stratégie des petits hommes verts sans identification menée en Crimée et dans le Donbass, ils n’ont eu de cesse de mettre en scène de façon outrancière leur intervention directe, le déploiement de leurs navires, de leurs avions, de leurs forces spéciales. On a pu voir des photos du métropolite de Moscou bénir les avions qui partaient en Syrie [5] et les communiqués de victoire se succéder, couvrant les protestations des ONG qui pointent les bombardements indiscriminés de civils, d’écoles, d’hôpitaux.
L’Etat islamique n’est pas la principale préoccupation de l’Iran, du Hezbollah et de la Russie. Leurs cibles prioritaires ce sont les insurgés anti-Assad, leur but est de sauvegarder le régime, quel que soit le prix final que devra payer le peuple syrien.
Mais de tout cela, nos « anti-guerre » n’ont visiblement jamais entendu parler. Delphy se plaint de ne pas avoir de photos de morts ou de chiffres des civils tués ? [6] Eh bien qu’elle suive un peu les organisations de droits de l’homme syriennes, elle aura des images, des vidéos, des chiffres, des schémas, des témoignages. [7] Quant au Hezbollah, n’est-il pas le héros de la guerre contre Israël ? C’est d’ailleurs cette expertise qui fait de lui la cheville ouvrière du soutien à Bachar et nous vaut sans doute ce silence.
Intervention ou non-intervention ?
Comment juger cette apparente cécité ?
Prenons une comparaison : si pendant la Première Guerre mondiale, les militants ouvriers et les révolutionnaires réunis à Zimmervald avait fait une déclaration dénonçant vigoureusement les pays de l’Entente, la France, la Grande-Bretagne, la Russie... tout en « oubliant » de mentionner (je dis bien de mentionner, même pas de condamner !) l’Allemagne, l’Autriche et la Turquie ? Auraient-on pu décemment taxer ces militants « d’anti-guerre » ? Non, bien évidemment. Le titre de soutiers de la Triplice aurait été plus adapté à de tels « pacifistes ». [8]
Alors entendons-nous bien, l’intervention aérienne des Occidentaux, dont la France, contre l’Etat islamique, soulève une question importante : ses effets positifs compensent-ils les effets négatifs ? Il est indéniable que les bombardements sur la zone contrôlée par l’EI et notamment sur ses infrastructures pétrolières ont eu un effet d’attrition sur le groupe jihadiste. De même, le soutien aérien occidental a permis la reconquête de Ramadi par l’armée irakienne et de Sinjar par les Kurdes. Mais outre les inévitables victimes civiles, surtout dans un contexte d’utilisation systématique par l’EI de boucliers humains, le rejet de toute intervention étrangère par les tribus sunnites n’est pas à négliger.
Les Occidentaux devraient-ils se contenter d’armer, de former et d’entraîner les groupes locaux qui luttent contre l’EI mais aussi contre Assad ? Il est indubitable que le credo de l’EI « tous contre nous » qui s’est encore trouvé renforcé par l’intervention des Russes est un argument de poids dans le recrutement international qui caractérise ce groupe. On doit d’ailleurs discuter l’intérêt militaire même de la participation de la France aux frappes. En effet, contrairement à la vision apocalyptique de Christine Delphy, les frappes françaises comptent pour... 5% des frappes de la coalition contre l’EI. Bien des observateurs sérieux n’ont d’ailleurs pas manqué de railler le décalage entre la posture martiale de Hollande et la réalité militaire sur le terrain.
Mais quoiqu’il en soit, cette discussion, difficile, ne peut avoir lieu qu’avec ceux qui dénoncent les crimes d’Assad et de ses soutiens. Car que signifie aujourd’hui se focaliser sur l’intervention occidentale en « oubliant » les interventions russes et iraniennes sinon un soutien hypocrite au boucher de Damas dont l’EI est le « meilleur ennemi du monde ».
Les doux liens du commerce
Il en va de même pour les ventes d’armes. L’EI sont d’immondes salauds nous disent les signataires de l’appel, mais l’Arabie Saoudite à qui nous vendons des armes ne vaut guère mieux. On ne peut qu’approuver à 100% la définition des Saoudiens comme fieffés salauds. Mais là encore, nous rappelons à nos « pacifistes » que l’Iran, sur lequel ils ne pipent mot, a à son actif plus 966 exécutions en 2015, numéro 2 mondial derrière la Chine et le « modéré » Rohani en a plus de 2000 depuis son accession au pouvoir. [9] La pantalonnade des statues capitoliennes en Italie vient nous rappeler que grands principes et commerce sont deux choses bien distinctes. Gageons que le futur accord sur la centaine d’Airbus n’est que l’apéro d’un repas qui s’annonce copieux et où la morale ne sera guère invitée.
En passant, je trouve assez curieux de condamner vigoureusement l’idéologie portée et exportée par, disons pour faire court, l’Arabie Saoudite... sauf quand elle est exportée dans nos banlieues où elle se convertit en réaction contre le « colonialisme d’Etat ».
Quant à la guerre-pour-vendre des armes, la réalité est bien entendu un peu plus complexe. Bien sur que rien ne vaut une bonne expérience réelle pour booster les ventes. Le meilleur exemple reste la guerre des Malouines en 1982 où l’Exocet (fabrication française) des Argentins coula le Sheffield anglais. Et bien que déplorant vraiment-au-fond-du-cœur la mort des marins anglais, nos alliés quand même, ce touché-coulé fit beaucoup pour les ventes du missile.
Mais si les monarchies du Golfe ont changé de fournisseur, tournant le dos au traditionnel ami américain en la matière, ce n’est pas parce qu’ils ont découvert tout à coup les vertus du meilleur-avion-de-chasse-du-monde (dixit Dassault) mais pour envoyer un signal à Barack Obama dont le dégel avec l’Iran est considéré par les régimes sunnites comme une véritable trahison. Le même jeu de billard à trois bandes est d’ailleurs valable pour l’Inde.
Alors quelle se fournissait chez les Russes depuis des décennies, elle a soudainement décidé d’acheter des Rafale après que le Pakistan, l’ennemi par excellence, a annoncé qu’il venait d’acquérir... des Sukkhoi auprès des Russes, rompant ainsi lui aussi avec son fournisseur habituel, les USA. [10] Il faut dire que les relations entre les deux pays ne sont plus au beau fixe depuis quelque temps : outre que les Américains ont peu apprécié de découvrir que Ben Laden coulait des jours tranquilles au Pakistan, le double jeu de ce pays avec les talibans afghans a fait monter l’exaspération. Mais les Pakistanais commencent à se mordre les doigts de ce petit jeu depuis que lesdits Talibans mènent de sanglants attentats sur leur sol. [11] Ces deux exemples juste pour montrer qu’une fois de plus, aller vers l’Orient compliqué avec des idées simplettes, ça n’aide pas.
Cela étant dit, c’est bien évidemment toute la politique d’armement d’un « vrai » gouvernement de gauche, qui devrait être revue, tout comme sa politique étrangère et son commerce extérieur, même s’il faut reconnaître que le juste milieu entre angélisme niais (on ne commerce et on n’a de relation qu’avec les gentils) et cynisme affirmé (si c’est pas nous c’est les autres qui le feront, donc autant que cela aille dans nos poches) n’est pas chose aisée dans les faits, tout du moins quand on est au pouvoir. Ainsi saluer l’accord avec l’Iran qui met fin aux sanctions ne devrait pas empêcher la critique du régime.
Et pourtant ils existent...
Pour conclure, non le terrorisme n’est pas une simple réponse aux méfaits des Occidentaux. C’est une arme qui vise par des moyens limités à effet de levier, à déstabiliser les sociétés dans un but politique bien défini. C’est pourquoi il frappe toute une série de pays d’Afrique et d’Asie, citons en vrac, la Tunisie, la Belgique, l’Indonésie, l’Inde, le Pakistan, le Kenya, la Somalie, le Cameroun, le Nigeria, l’Algérie, la Turquie, l’Egypte, l’Afghanistan, l’Irak, le Yemen, la Syrie, et ... l’Arabie Saoudite.
Si l’on est un tant soit peu attentif, on verra qu’il n’est pas de jour, je dis bien de jour, où les organisations liées soit à Al Qaida soit à l’Etat islamique [12], ne commettent une ou plusieurs attaques contre un ou plusieurs pays. La France n’est donc qu’une des cibles. Une cible importante idéologiquement, comme l’a bien montré la violente dénonciation par l’EI des enseignants et de l’Education nationale.
Certains des pays touchés par ce terrorisme sont impliqués dans les guerres du Moyen-Orient, d’autres non, montrant ainsi que faire des attentats une « réponse » aux Occidentaux, qui chez Delphy prend l’allure d’une véritable légitime défense, c’est refuser de se colleter avec la signification politique de ces mouvements. Avec leur dimension et vocations internationales affirmées, ils sont porteurs d’un projet de société dont le califat de l’EI est une vitrine. Et bien entendu, aucune réponse militaire seule ne viendra à bout du phénomène. [13] Toutefois, je trouve plaisant que ceux qui n’ont que le racisme post-colonial à la bouche pour tout expliquer, dénient à ces « ex-colonisés » la découverte que firent les Européens au XIXe siècle, à savoir l’intérêt d’une Internationale.
Contrairement au assertions de Delphy, à qui nous devons quand même ce magnifique oxymore « panique calme » bien à sa place aux côtés des catholiques zombies chers à Todd, les Français n’ont pas paniqué après les attentats. Car ils ne furent pas une « surprise » comme elle le prétend. Faut-il lui rappeler qu’ils venaient après d’autres attentats, ceux de janvier 2015, qui mirent plusieurs millions de personnes dans la rue ? On peut sourire des « Tous en terrasse » et autres « Même pas peur », mais cela n’est pas un signe de panique. Jusqu’à présent, la résilience de la société a très largement prévalu. Mais qui sait ce qui se passerait si se produisait un autre attentat majeur, en France ou en Europe, ou bien une succession d’attentats même « faibles » ? Or, chacun le sait, il ne s’agit pas là d’une hypothèse d’école mais d’une réalité tout à fait possible.
Paris, le 28 janvier 2016
Ariane Perez
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La faute aux Palestiniens (CCR)
Quand Netanyahou dédouane Hitler de sa responsabilité dans la Shoah
Dans son discours devant l’Assemblée du 37ème Congrès Sioniste, Netanyahou a réécrit l’histoire. Selon lui, Hitler ne voulait pas de l’extermination des juifs avant sa rencontre avec le mufti palestinien al-Husseini, qui l’aurait convaincu de « brûler les juifs », et donc inspiré la « solution finale »…
Retour sur un révisionnisme utile au colon israélien.Pour l’augmentation de sa politique coloniale, raciste, de nettoyage ethnique, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou doit trouver des justifications théoriques, en puisant toujours plus loin dans le révisionnisme. D’abord, cet arrangement avec l’histoire est une outrance, et en quelque sorte une démonstration de la force et de l’impunité dont dispose le membre du Likoud. Celui-ci peut se permettre d’expliquer que le mufti de Jérusalem a conseillé à Hitler la solution des chambres à gaz, qui au départ ne voulait pas exterminer les juifs mais seulement les déporter. Ce n’est pas ce qui empêche Merkel de le recevoir juste après ses propos : celle-ci s’étant contentée de les nuancer quant à la responsabilité des nazis dans l’extermination de six millions de juifs.
Ces propos ont néanmoins provoqué des réactions. De nombreux historiens ont pointé le mensonge évident que constituait cette version des faits. Il est connu qu’Hitler évoquait déjà « l’extermination de la race juive » à son discours du 30 janvier 1939 devant le Reichstag, que de nombreux juifs avaient déjà été exécutés avant novembre 41 (les 30.000 de Babi Yar en Ukraine par exemple), et que les tests de gazage avaient commencé en octobre 41, avant donc la rencontre Husseini-Hitler, qui aurait déterminé un changement dans la politique nazie selon Netanyahu.
Cette théorie, s’appuyant sur les thèses du négationniste David Irving, tend à placer le mufti Haj Amin al-Husseini comme le précurseur, le principal responsable de la Shoah. S’il est établi que ce nationaliste palestinien était un antisémite extrême, effectivement partisan de la « solution finale » et qui recrutait des arabes pour les SS, il est considéré plutôt comme un « poids plume », mendiant l’aide d’Hitler pour débarrasser la Palestine du mandat britannique et empêcher la venue de juifs. Inverser les rôles relève de la même logique que les révisionnistes Soral et Dieudonné quand ils inversent les rôles dans le rapport entre Israël et Etats-Unis.Cela permet aussi de passer sous silence le rôle de certains grands patrons américains dans la diffusion des idées antisémites, comme Henry Ford, auteur du torchon antisémite Le Juif International au début des années 1920, et inspirateur d’Adolf Hitler pour le sociologue Michael Löwy.
De même qu’il ne s’agit pas de nier qui était le réactionnaire mufti Husseini, nous ne nions pas non plus la présence de courants antisémites dans la culture arabe, plus ou moins importante selon les époques. Dans son livre « Les arabes et la Shoah », Gilbert Achcar examine les différents courants et idéologies qui ont traversé le « monde arabe », nuançant par le même coup les visions essentialistes de l’Orientalisme qui homogénéisent à outrance ce « monde arabe ». Cette étude minutieuse permet d’invalider la tendance à assimiler les « arabes » à l’antisémitisme, ce qui est un des piliers de l’argumentation israélienne pour justifier sa colonisation militaire : les palestiniens, les arabes, voudraient « l’anéantissement physique » des juifs et de leur Etat [1].
Face au révisionnisme du Likoud, ou aux explications bourgeoises de la Shoah, nous réaffirmons que c’est bien le capital allemand qui est responsable, en ayant mis Hitler au pouvoir, avec l’assentiment des puissances impérialistes satisfaites de la solution trouvée pour écraser les organisations de la classe ouvrière dans les années 30. Ce sont ces mêmes puissances qui ont ensuite mis en place une politique coloniale après 47, avec la création de l’Etat d’Israël, en se servant justement de la Shoah pour justifier cette politique… Publié le 22 octobre 2015 G.Gorritxo
[1] : pour approfondir cet aspect, nous conseillons les intéressantes notes de Julien Salingue sur le livre de G.Achcar : http://www.juliensalingue.fr/article-note-sur-les-arabes-et-la-shoah-de-gilbert-achcar-52285544.html
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Syrie-Russie. «Nouveaux colonialismes et crise des valeurs de la gauche» (Al'Encontre.ch)
La visite de Bachar el-Assad à Moscou n’a été révélée que mercredi 21 octobre au matin, par le porte-parole du Kremlin. «Hier soir, le président de la République arabe syrienne Bachar el-Assad est venu en visite de travail à Moscou», a annoncé Dmitri Peskov. Cette visite de Bachar el-Assad est le premier déplacement à l’étranger depuis 2011, date du soulèvement, en mars, du peuple de Syrie contre la dictature des Assad. Vladimir Poutine était entouré au Kremlin de son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, du premier ministre Dmitri Medvedev et de Nikolaï Patrouchev, ex-patron du FSB (services secrets) et secrétaire du Conseil de sécurité de Russie.
Après les remerciements plus que protocolaires, Bachar el-Assad a exprimé sa «reconnaissance» à la Russie. Car cette dernière défend «son unité et de son indépendance. Le plus important, c’est que tout cela se fait dans le cadre de la législation internationale.» Bachar a souligné que «les pas politiques effectués par la Fédération de Russie depuis le début de la crise n’ont pas permis au terrorisme de se développer selon un scénario beaucoup plus tragique (…). Chacun comprend que les actions militaires supposent ensuite des étapes politiques.» Pour l’heure Poutine sauve plus Bachar de la débâcle qu’il n’écrase Daech. Les déclarations sur la «transition politique» servent de décors, actuellement. (Rédaction A l’Encontre)
Lorsque la visibilité se restreint au minimum en raison de puissantes tempêtes qui obscurcissent la perception de la réalité, c’est peut-être une bonne chose d’élever le regard, d’escalader le versant afin de trouver des points d’observation plus vastes, pour discerner le contexte dans lequel nous nous mouvons. En ce moment, alors que le monde est traversé de multiples contradictions et intérêts, il est urgent d’aiguiser les sens afin de pouvoir observer plus loin, ainsi que vers l’intérieur.
En des temps de confusion où l’éthique fait naufrage, où les points de repère élémentaires disparaissent et que s’installe quelque chose de semblable à un «tout se vaut» qui permet de soutenir n’importe quelle cause pour autant qu’elle s’oppose à l’ennemi principal, au-delà de toute considération de principes et de valeurs. Des raccourcis qui aboutissent à des impasses, tel celui qui revient à réunir Poutine et Lénine, pour prendre un exemple presque à la mode.
L’intervention russe en Syrie est un acte néocolonial, qui place la Russie du même côté de l’histoire que les Etats-Unis, la France et l’Angleterre. Les colonialismes bons, émancipateurs, n’existent pas. On aura beau justifier l’intervention russe en utilisant l’argument qu’elle freine l’Etat islamique et l’offensive impériale dans la région, il n’en restera pas moins qu’il s’agit d’une action symétrique utilisant des méthodes identiques et des arguments semblables.
La question que je considère centrale est la suivante: pourquoi entend-on des voix de la gauche latino-américaine en soutien à Poutine? Il est évident que nombreux sont ceux qui ont placé leurs espoirs en un monde meilleur dans l’intervention de grandes puissances comme la Chine et la Russie, avec l’espoir qu’elles freinent ou qu’elles défassent les puissances encore hégémoniques. Cela est compréhensible, eu égard aux méfaits commis par Washington dans notre région [Amérique du Sud]. Mais c’est une erreur stratégique et une déviation éthique.
Je voudrais éclairer cette conjoncture, particulièrement critique, en faisant appel à un document historique: la lettre qu’Aimé Césaire a adressée, en octobre 1956, à Maurice Thorez (secrétaire général du Parti communiste français). Le texte a été écrit lors d’un zigzag de l’histoire, peu après le XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique au cours duquel les crimes du stalinisme furent dénoncés publiquement; soit le même mois que le soulèvement du peuple hongrois contre le régime bureaucratique pro-russe (qui se solda par plusieurs milliers de morts) et que de l’agression coloniale contre l’Egypte suite à la nationalisation du canal de Suez [en octobre Israël envahit la bande Gaza et le Sinaï et atteint la zone du canal; dès le 31 octobre la France et le Royaume-Uni bombardent les aérodromes de l’Egypte; début novembre des troupes françaises interviennent au sol; les Etats-Unis vsent à désamorcer la crise» et à avancer leurs pions; l’URSS soutient Nasser et construit une influence dans la région].
Césaire quittait le parti (PCF) suite à un congrès honteux lors duquel la direction fut incapable de faire preuve de la moindre autocritique face aux révélations de crimes que, dans les faits, elle soutenait. Il naquit à la Martinique, tout comme Frantz Fanon, dont il fut l’enseignant de secondaire. Il fut poète et fondateur du mouvement de la négritude dans les années 1930. En 1950, il écrivit un Discours sur le colonialisme qui eut un grand impact au sein des communautés noires. Sa lettre à Thorez fut, pour reprendre les mots d’Immanuel Wallerstein, «le document qui expliqua et exprima le mieux la distanciation entre le mouvement communiste mondial et les divers mouvements de libération nationale» (dans son introduction au Discours sur le colonialisme [publié dans l’édition espagnole de 2006 parue chez l’éditeur] Akal, p. 8). Il y a trois questions qui, dans sa lettre, éclairent la crise des valeurs de la gauche que nous traversons actuellement.
• La première tient au manque de volonté de rompre avec le stalinisme. Césaire se révolte contre le relativisme éthique qui prétend conjurer les crimes du stalinisme «par quelque phrase mécanique». C’est en effet au moyen d’une phrase fétiche, répétée, qui affirme que Staline «commit des erreurs». Assassiner des milliers de personnes n’est pas une erreur, même si l’on tue au nom d’une cause supposée juste.
La plus grande partie de la gauche ne fit pas un bilan sérieux, autocritique, du stalinisme qui, ainsi que cela a été écrit dans ces pages [dans le journal mexicain La Jornada], va bien au-delà de la figure de Staline. Ce qui a donné vie au stalinisme est un modèle de société centré sur l’Etat et sur le pouvoir d’une bureaucratie qui se transforme en bourgeoisie d’Etat, qui contrôle les moyens de production. On continue de miser sur un socialisme qui répète ce modèle vieux et caduc de centralisation des moyens de production.
• La deuxième question est que la lutte des opprimés «ne peut pas être traitée comme une partie d’un ensemble plus important», affirme Césaire, car existe une «singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème». La lutte contre le racisme, ajoute-t-il, est d’une «tout autre nature que la lutte de l’ouvrier français contre le capitalisme français et ne saurait en aucune manière être considérée comme une partie, un fragment de cette lutte» [subordonné à cette dernière].
Sur ce point, les luttes anticoloniales et antipatriarcales relèvent du même ordre. «Ces forces ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer.» Aujourd’hui encore nombreux sont ceux qui ne comprennent pas que les femmes ont besoin de leurs propres espaces, à l’instar de tous les peuples opprimés.
Césaire affirme qu’il s’agit de ne «pas confondre alliance et subordination», une chose très fréquente lorsque les partis de gauche prétendent «assimiler» les revendications des différentes sections de ceux d’en bas en une cause unique, au moyen de la sacro-sainte unité qui ne fait rien d’autre qu’homogéniser les différences, installant de nouvelles oppressions.
• La troisième question qu’éclaire la lettre de Césaire, d’une actualité qui provoque la colère, est en rapport avec l’universalisme. Plus exactement, avec la construction d’universaux qui ne soient pas eurocentristes, au sein desquels la totalité ne s’impose pas aux diversités. «Il y a deux manières de se perdre: par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’“universel”.»
Nous sommes toujours loin de bâtir «un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers», ainsi que l’écrivait Césaire il y a soixante ans.
Ceux qui misent sur des pouvoirs symétriques à ceux qui existent, excluant et hégémoniques, mais de gauche; ceux qui opposent aux bombes mauvaises des Yankees les bonnes bombes des Russes suivent le chemin tracé par le stalinisme faisant table rase du passé et des différences, au lieu d’œuvrer à quelque chose de différent, pour un monde qui contient d’autres mondes.
(Traduction A L’Encontre, article publié le 16 octobre dans le quotidien mexicain La Jornada. L’intégralité de la lettre d’Aimé Césaire peut se lire ici. Sur les impérialismes et la Syrie, nous renvoyons aux deux textes publiés sur ce site en date du 16 octobre: Ni Daech, ni Assad, pour une paix juste et du 19 octobre: «Empêcher l’effondrement du régime Assad»)
le 21 - octobre - 2015Par Raúl Zibechi -
Retour sur l’expérience des Socialistes Révolutionnaires en Égypte (Tendance Claire)
Sans se poser en donneur de leçons, il est juste d'analyser et de critiquer, au nom de l'internationalisme, la stratégie des forces révolutionnaires à l'étranger, en particulier quand elles évoluent dans des situations de crise révolutionnaire.
Les Socialistes Révolutionnaires (SR) d'Égypte (liés historiquement à la Tendance Socialiste Internationale) ont traversé une période révolutionnaire inaugurée par les manifestations du 25 janvier 2011 (suite au départ de Ben Ali en Tunisie). Le tyran Moubarak, dont le pouvoir semblait inébranlable quelques semaines plus tôt, fut obligé de démissionner dès le 11 février. La mobilisation demeura en crue jusqu'au printemps 2013, qui a vu, à plusieurs reprises, des millions d'hommes et de femmes manifester dans les rues des grandes villes. Elle était marquée notamment par des grèves ouvrières avec occupation des usines et des ports, et par l'occupation massive et durable de points urbains stratégiques comme la place Tahrir. Les masses se sont aussi organisées à des échelles locales pour virer les « petits Moubarak » (patrons, gouverneurs...).
Pour endiguer cette irruption des masses sur la scène politique, la bourgeoisie a d'abord employé la stratégie classique des élections-diversions. Pourtant, ces consultations ont rarement dépassé les 50% de participation, traduisant la défiance des masses à l'égard des institutions transitoires. La participation des SR à des fronts politiques (Coalition des Forces Socialistes puis Coalition Révolutionnaire Démocratique) avec des organisations conciliantes à l'égard des institutions ne leur servit pas à démontrer les limites et les ambiguïtés de leurs programmes. En soutenant l'ex-Frère Musulman (FM) Aboul Fotouh aux présidentielles de juin 2012, au lieu de défendre un programme révolutionnaire articulant les revendications des masses à des mesures transitoires comme la nationalisation des usines, ils se désarmèrent pour la tâche centrale de la période, qui était de faire déboucher l'auto-organisation des masses sur un pouvoir des travailleurs antagonique à l'État bourgeois l'échelle mobile des salaires et le contrôle des travailleurs sur la production et la distribution. Ce sont les FM, parti islamiste bourgeois allié aux réactionnaires salafistes d'Al-Nour, qui surent conquérir le pouvoir dans l'État bourgeois en se présentant comme une force révolutionnaire dotée d'un programme social répondant aux aspirations des masses.
Dès novembre 2012, un décret du président Morsi (FM) réduisait presque à néant les acquis démocratiques de la révolution. Le compte à rebours de la contre-révolution était lancé. Ce virage autoritaire lui faisait perdre le soutien du parti bourgeois libéral et des réformistes, et relançait la mobilisation des travailleurs et de la jeunesse. Celle-ci culminait au printemps 2013 par une vague de grèves et des manifestations parfois considérées comme « les plus grandes de l'Histoire ». Suite à un coup d'État militaire en juillet 2013, elle fut réprimée dans le sang. Sous couvert de lutte contre le terrorisme islamiste, les forces réformistes et révolutionnaires furent elles aussi durement frappées par le régime de Sissi. Les SR formèrent alors un nouveau front politique (Thuwar) sur des bases 100% compatibles avec le capitalisme1. Dommage, car la combativité des masses n'était pas éteinte, comme le montra la grève générale de février 2014 qui causa la chute du gouvernement Beblawi. Face à la violence du reflux, les SR eurent toutefois raison de rejoindre un front anti-répression (le « Troisième Carré »). Sur le plan institutionnel, l'élection manifestement truquée du président Sissi en juillet 2014 marquait néanmoins le retour à l'ordre bonapartiste d'avant la révolution.
Les SR ont donc raison de considérer le régime comme l'ennemi principal. Dans ce cadre, un front contre la répression peut être envisagé y compris avec les FM sur la base de revendications démocratiques minimales : multipartisme, droit de manifester, etc. Certains observateurs comme Achcar ou le camarade Chastaing avancent que la période révolutionnaire n'est pas encore close, soulignant des évolutions souterraines, par exemple des progrès dans le statut de la femme. Si tel est le cas, le parti doit rendre visibles ces évolutions pour démontrer aux yeux des masses la continuité du processus révolutionnaire. Autrement, il faut surtout consolider les acquis de la période qui s'est refermée en assurant la liaison entre les secteurs les plus combatifs du prolétariat et de la jeunesse, par exemple en œuvrant au rapprochement des syndicats lutte-de-classe issus de la révolution et des fractions anti-bureaucratiques des grandes centrales. Dans l'un et l'autre cas, il faut faire le pari d'une nouvelle vague révolutionnaire à venir et donc préserver l'organisation du parti et son lien avec les masses tout en tirant les conclusions de l'expérience chèrement acquise dans ce chapitre de la lutte des classes. Par Lakhdar Bouazizi (10 septembre 2015)
Contribution dans le cadre des débats sur la stratégie du NPA
1 http://socialistworker.org/2013/10/10/a-revolutionary-front-in-egypt
http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=802
Commentaire: Ceci est un débat public, non une prise de position
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Monde arabe : « Nous sommes toujours dans ce processus révolutionnaire inauguré en 2011 » (NPA)
Entretien. Invité de notre Université d’été, le chercheur Gilbert Achcar est entre autres intervenu dans l’atelier intitulé « Du “Printemps arabe” à “l’État islamique”, que reste-t-il du soulèvement arabe ? ».
Plus de quatre ans après la chute de Ben Ali, peut-on toujours parler, comme tu l’as fait dans ton livre Le peuple veut, de « soulèvement arabe » ?
Certainement. Le soulèvement arabe se référait à l’année 2011 qui a connu six soulèvements, ainsi que des mouvements sociaux dans la quasi-totalité des pays de l’ensemble arabophone. Mais depuis le départ, j’ai souligné que ce soulèvement était le début d’un processus révolutionnaire de longue durée : dans cette optique, le fait qu’à partir de 2013, la région soit entrée dans une phase de contre-révolution – en particulier depuis le basculement de la situation en Syrie, lorsque l’Iran et ses alliés libanais et irakiens ont sauvé le régime Assad et lui ont permis de passer à la contre-offensive – ce fait-là ne supprime en rien les fondements du processus révolutionnaire, notamment le blocage socio-économique.
On voit bien que la région reste en plein bouillonnement avec ce qui s’est passé tout récemment en Irak et au Liban, deux pays qui avaient été moins affectés que d’autres par l’onde de choc de 2011. Au cours des dernières semaines, les deux pays ont connu des mobilisations de masse autour de clivages qui opposent « le peuple », au sens de 2011, aux gouvernements sur des revendications sociales. Nous sommes toujours bel et bien dans ce processus révolutionnaire qui a été inauguré en 2011 et qui, à mon sens, va se poursuivre sur plusieurs décennies, avec l’alternance de phases à dominante révolutionnaire ou contre-révolutionnaire selon la dialectique propre à ce genre de processus.
Qui sont les principaux acteurs de la contre-révolution ?
La complexité de la situation régionale, c’est qu’il n’y a pas une contre-révolution homogène comme on a pu la connaître dans des situations classiques. Qu’on pense par exemple à la Révolution française : lorsque l’Europe réactionnaire s’est liguée contre elle de concert avec les forces réactionnaires françaises, le camp de ce qu’on a pu appeler l’ancien régime était plutôt homogène dans sa nature. Or dans le monde arabe, il n’y a pas que l’ancien régime, même si tout naturellement celui-ci est la première et la principale force contre-révolutionnaire. Il y a également des oppositions de type réactionnaire à l’ancien régime qui se sont développées dans la région, au départ comme antidote à la radicalisation à gauche – un antidote qui a été presque partout favorisé par l’ancien régime lui-même, même s’il est entré par la suite, dans de nombreux pays, en conflit ouvert et parfois sanglant avec cet ancien régime.
On a donc, depuis 2011, un processus révolutionnaire en butte à deux principaux obstacles, deux forces contre-révolutionnaires : les régimes qu’il s’agit de renverser, et les forces islamiques qui se posent en alternative réactionnaire aux régimes. L’absence ou la faiblesse organisationnelle du pôle révolutionnaire composé du mouvement ouvrier et des forces progressistes, ou alors sa faiblesse politique, ont laissé la porte ouverte à cette concurrence entre pôles réactionnaires et au choc entre eux, avec une montée aux extrêmes dans des situations de guerre civile en Syrie, en Libye ou au Yémen, ou sous une forme larvée, mais néanmoins brutale, au Bahreïn et en Égypte.
Comment qualifierais-tu l’action des pays occidentaux, États-Unis en tête, dans la région ? Certains leur attribuent en effet l’essentiel, sinon la totalité des responsabilités quant à la situation chaotique actuelle, quitte à verser dans le complotisme...
En laissant de côté les théories du complot qui en viennent à attribuer le soulèvement lui-même aux manigances des États-Unis, des théories qui sont en général fondées sur la vision fantasmagorique d’États-Unis omnipotents, il y a l’idée répandue, y compris dans certains secteurs de la gauche, que les États-Unis seraient en train d’alimenter le chaos en Syrie après l’avoir fait en Libye. C’est se méprendre profondément sur la politique actuelle de l’administration Obama dont on voit bien d’ailleurs la pusillanimité sur le dossier syrien. Les États-Unis sont depuis 2011 au point le plus bas de leur hégémonie dans la région depuis l’apogée de 1990-91. Ils ont perdu énormément de terrain, en particulier en raison de la catastrophe que l’Irak a été pour leur projet impérial. L’obsession majeure de l’administration Obama est de préserver les appareils d’État dans la région et d’éviter précisément que s’installe une situation de chaos comme ce que l’Irak a pu connaître après le démantèlement de l’État baathiste par l’occupation de 2003.
Ce qui a pu faire penser que la stratégie étatsunienne n’avait pas assimilé cette leçon amère, c’est l’intervention en Libye, mais cette perception passe à côté du fait que cette intervention-là visait à prendre le contrôle de la situation dans ce pays pétrolier et à négocier un compromis avec l’appareil d’État, dont une partie avait d’ailleurs rejoint le camp des insurgés. Et de ce point de vue, le résultat de l’intervention en Libye est un autre désastre : le renversement de Kadhafi tel qu’il s’est déroulé a été pour Washington un lourd fiasco, comme la suite l’a bien montré. Les choses sont allées beaucoup plus loin que souhaité, puisque l’OTAN a assisté impuissante au démantèlement intégral de l’État libyen, qui a fait de la Libye un pays sans État, sans « monopole de la violence physique légitime », avec des milices rivales qui sont aujourd’hui en train de s’entretuer. En ce sens, il s’agit bel et bien d’une seconde défaite après l’Irak, ce que n’ont pas compris les adeptes de la théorie du complot. Aujourd’hui, l’obsession des États-Unis, y compris en Syrie, c’est de négocier et parvenir à conclure des compromis entre les deux pôles de la contre-révolution régionale afin de re-stabiliser la situation en restaurant ou consolidant des États capables de maintenir l’ordre.
Sur le long terme, dans la mesure où elle ne prend pas en compte les fondements socio-économiques du soulèvement, cette stratégie est vouée à l’échec…
Cette politique de conciliation entre les deux forces de la contre-révolution a eu jusqu’ici un seul succès, en Tunisie, avec un gouvernement de coalition entre Ennahda et les restes de l’ancien régime, et il y a des négociations intensives en cours pour des compromis de ce type, en Libye, en Syrie et également en Égypte et au Yémen. L’accord sur le nucléaire avec l’Iran s’inscrit dans la même perspective.
Washington veut réconcilier tout ce beau monde qui a en commun une profonde hostilité aux aspirations démocratiques et sociales du « printemps arabe » de 2011. Mais sur le long terme, il est évident que tout cela est voué à l’échec ! L’alternative se pose entre deux termes : soit une issue positive au processus révolutionnaire, c’est-à-dire une rupture radicale sur les plans socio-économique et politique avec la variante régionale du capitalisme, qui permette à la région d’entrer dans une nouvelle phase de développement de longue durée ; ou alors ce que j’ai appelé naguère le « choc des barbaries », avec le développement de symptômes de putréfaction politique dont le soi-disant « État islamique » est aujourd’hui l’exemple le plus saillant. Mardi 8 septembre 2015
Propos recueillis par Julien Salingue
Hebdo L'Anticapitaliste - 301 (03/09/2015)
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Sur la politique et la culture au Liban et au Moyen-Orient (Lcr.be)
Le dernier entretien avec Bassem Chit
Bassem Chit était un socialiste (dans le sens ango-saxon: marxiste) libanais, un militant chevronné et un révolutionnaire fidèle à ses engagements qui a lutté sans relâche pour les droits sociaux, économiques et politiques au Liban et dans cette région troublée. Bassem Chit qui avait joué un rôle essentiel dans la création et le développement d’un certain nombre d’organisations activistes et de recherche au Liban comme Helem (Rêve), Liban Support et le Forum socialiste est décédé prématurément, le 1er octobre 2014, d’une crise cardiaque à l’âge de 34 ans.
Dans cette interview exclusive donnée à TurkeyAgenda qui est aussi sa dernière, il a répondu ouvertement à nos questions sur le Liban, à propos du sectarisme, de la Turquie, de la gauche turque, et de la région en général. Pendant l’entrevue, il a fait des analyses très utiles sur les événements qui se déroulent au Moyen-Orient et a parlé de certains militants de gauche islamophobes turcs. Il a également expliqué la situation politique au Liban en élaborant une analyse de classe plutôt qu’en termes sectaires classiques.
Au même moment que nous exprimons notre tristesse de la perte prématurée de ce militant remarquable, nous souhaitons que nos lecteurs voyageraient à travers les sentinelles chaotiques du Liban en particulier et le Moyen-Orient en général avec cette interview révélatrice.
La classe est le principal moyen de défense pour la société libanaise contre la guerre civile et la barbarie.
TurkeyAgenda : Tout d’abord, pourriez-vous nous parler brièvement de vous-même et du Forum socialiste?
Bassem Chit : Le Forum socialiste est une organisation socialiste révolutionnaire au Liban. Il est apparu de la fusion de deux groupes trotskystes en 2010 dont chacun a sa propre histoire. L’un d’eux a commencé en 2000 et l’autre en 1970. Dans le Forum socialiste, nous avons en principe deux publications. L’une d’elles est Al-Manchour, une édition en ligne. L’autre est une revue périodique en arabe, Al-Thawra ad-Dayma (Révolution permanente). Celle-ci est publiée deux fois par an sous forme d’un cahier, en collaboration avec les groupes de la région, notamment en Egypte, en Syrien, en Tunisie, au Maroc et en Irak.
Notre groupe soutient les révolutions arabes et les révolutions partout dans le monde. Nous considérons que la situation actuelle exige une position qui allie la résistance au capitalisme et contre les dictatures avec la lutte pour la démocratie progressive. L’axe fort de notre stratégie concerne la formation d’un parti politique, un parti révolutionnaire au Liban.
Dans le système politique libanais, où les partis basés sur le système de « zouama »/clientélismedominent la politique, quelles sont les difficultés d’être un socialiste?
Tout d’abord, le système électoral libanais est fondé sur le sectarisme. Mais cela ne signifie pas que les partis politiques sont, par défaut, basés sur le sectarisme. Les partis politiques dominants au Liban sont par contre des partis sectaires. Mais nous avons aussi des partis politiques qui sont en dehors du pouvoir, dont beaucoup parmi eux sont des partis laïques ou non-confessionnels. Nous avons une longue tradition de mouvements de gauche dans le pays. Même dans les années 1960 et les années 1970, encore plus en 1997, nous avons eu des grandes manifestations dans le pays où les gens de l’est et de l’ouest de Beyrouth ont été rejoints par le mouvement syndical. A partir des années 1990 et plus tard, nous avions constamment des mouvements anti-sectaires. En 2011, nous avons eu une grande mobilisation contre le sectarisme dans le pays. Mais cela ne signifie pas qu’il n’est pas difficile de faire de la politique. C’est très difficile. Mais ce n’est pas vraiment à cause du sectarisme.
C’est un problème en soi, mais les difficultés sont principalement causées par les appareils sécuritaires des partis politiques et de l’Etat. Cela signifie donc que les marges d’action militante sont réduites, certaines régions sont contrôlées par certains partis politiques. Elles sont contrôlées avec des armes. Tel est le problème. Il faut prendre en considération que le Liban est un très petit pays. Ainsi donc, nous ne voyons pas par exemple une révolution au Liban sans un mouvement révolutionnaire dans la région. C’est pourquoi nous considérons que le changement au Liban est très lié à un changement en Syrie et vice versa. A cause de la façon dont les puissances coloniales ont installé les frontières, une des tâches de la révolution consiste en la destruction effective de ces frontières. C’est une tâche très ardue puisque nous parlons d’un petit pays de trois millions d’habitants et d’un régime ou un Etat qui n’a pas peur de déclencher une guerre civile juste pour préserver son pouvoir. Pour ces raisons, la gauche révolutionnaire doit s’organiser et s’armer d’une solide stratégie sur la façon de gérer l’Etat et le sectarisme et toutes les autres questions.
Considérez-vous donc les soulèvements dans la région comme une chance pour le Liban ?
Non seulement pour le Liban, mais pour la région dans son ensemble. En fait, ce n’est pas un simple soulèvement dans la région. Nous sommes en train de parler de la crise économique internationale, la crise du capitalisme. Si vous examinez les chiffres économiques à travers le monde, vous y découvriez que cette crise va en s’approfondissant. C’est également une crise de l’idéologie néolibérale et une crise des politiques de réformes. De par le monde, les Etats ne parviennent pas à opérer des réformes, même pas des réformes néolibérales. Parce que le niveau de contradictions et des injustices qui traversent le système capitaliste est assez élevé, assez compliqué que chaque réforme mène à davantage de contradictions encore plus graves. Cela signifie que les révolutions actuelles sont le reflet d’une crise internationale dans la région arabe en ce moment. Mais cela ne signifie pas qu’elle va se limiter au Moyen-Orient. Regardez comment en Grèce, en Espagne ou au Chili la totalité de leurs acquis sociaux sont menacés alors qu’aux USA, une gigantesque bataille est engagée entre les démocrates et les conservateurs autour des soins de santé. Dans cette perspective, ceci est juste la première vague, comme les premiers jours de la révolution russe, juste les prémices des révolutions à venir.
Les contradictions qui ont mené aux révolutions dans le monde arabe sont loin d’être résolues. Cela signifie que c’est une première tentative des masses populaires arabes de combattre l’Etat et le régime. Grâce à ce processus, les gens commencent à apprendre que nous avons besoin de groupes révolutionnaires plus organisés et que nous avons besoin d’une classe ouvrière plus organisée pour vaincre ces régimes, mais aussi les mouvements réactionnaires.
Dans l’un de vos discours vous avez soutenu que « le sectarisme n’est pas une tradition tribale ou féodale, mais qu’il ait été développé par le capitalisme au Liban. C’est plutôt une histoire moderne et non une histoire traditionnelle. Le sectarisme est en fait une lutte de classe déformée, sans rapport avec la tradition ». Pouvez-vous en dire plus sur la conscience de classe au sein d’une société prétendue être sectaire ?
Nous devons faire la distinction entre deux questions : d’une part la lutte de classe comme une existence matérielle, autrement dit une réalité objective au sein de tout système capitaliste et, d’autre part, comment les gens acquièrent les idées pour comprendre cette réalité. Au sein de ces contradictions, par exemple, si l’on regarde le développement de l’économie au Liban, nous découvrons que la France était la première qui a commencé à investir dans les régions chrétiennes du Liban lors de la domination de l’Empire ottoman, grâce à des accords. Cela signifie que la nouvelle économie s’est développée dans une seule région et que les autres régions sont restées dans l’ancienne économie. C’est alors que des usines de soie ont été installées dans les zones chrétiennes du Mont-Liban, donnant lieu au développement d’une nouvelle main-d’œuvre, au rétrécissement de la classe féodale, et à un accroissement de la petite bourgeoise.
En 1860, nous avons eu – ce qu’ils nomment – une guerre civile qui était en fait un soulèvement paysan, qui comprenait des paysans maronites, chiites, sunnites et druzes, contre les seigneurs féodaux. Mais la nouvelle bourgeoisie chrétienne et les seigneurs féodaux chrétiens se sont alliés avec les seigneurs féodaux druzes afin d’écraser la révolte paysanne. Ce n’était donc pas une guerre civile, mais plutôt un soulèvement paysan. Plus tard, on a vu les dirigeants de ce soulèvement paysan changer leur rhétorique à propos de la révolte paysanne par un discours sectaire sur la protection des chrétiens. Mais nous devons comprendre que cette première tentative visait à écraser la révolte et qu’elle était un glissement vers une position sectaire des classes dominantes à l’époque.
Donc, dans ce sens, nous devons comprendre qu’il y a deux dynamiques qui se sont produites. D’une part, il y a l’émergence des conditions de la lutte de classe que les gens commencent à percevoir, bien que leur perception résulte d’une tradition de pensées. Et plus tard, après l’indépendance, une très puissante élite politique chrétienne s’est formée en raison des développements économiques. En même temps, une élite commerciale très puissante s’est créée à l’intérieur de Beyrouth au sein de la communauté sunnite. Entre-temps, la structure féodale s’est considérablement affaiblie dans les montagnes des régions druzes et les zones chiites dans le Sud. Au début de la guerre civile dans les années 1970, en raison de la détérioration des structures féodales qui signifie aussi la détérioration de l’économie paysanne, les gens se déplaçaient de plus en plus vers les villes. C’est dans les villes que l’on pouvait constater l’injustice dans la structure économique. Cela signifiait que l’Etat qui était contrôlé par les kataëb (Phalanges libanaises)[1] ou l’aile droite des partis chrétiens ont tenté de gagner leur légitimité à travers les pratiques sectaires. En faisant bénéficier par exemple aux travailleurs chrétiens des opportunités du travail tout en rendant les travailleurs chiites moins aptes à en profiter ou vice versa.
Le sectarisme est donc une politique ; une politique de ségrégation de la classe ouvrière. La grande erreur de la gauche lors de la guerre civile était qu’elle considérait la secte elle-même en tant que classe. Alors, ils ont argué que les chrétiens sont tous des bourgeois et les musulmans sont la classe ouvrière, mais tout cela est absolument faux. A cet égard, ils ont tenté d’utiliser la classe comme un moyen de mobiliser sur un plan sectaire plutôt qu’un moyen de désintégrer le discours sectaire. Voilà pourquoi nous parlons de conscience, qui n’est pas quelque chose qui se développe librement. C’est quelque chose qui se développe dans la lutte politique en cours et dans la lutte idéologique. En même temps, les idées dominantes au sein de la société essayent de moduler la conscience de masse de façon permanente qui sert l’économie capitaliste et la domination de classe. L’une des méthodes utilisées est le sectarisme.
En parallèle, il y a l’expérience humaine des foules vivant ensemble et travaillant ensemble qui présente effectivement une menace pour cette idéologie. Le rôle de la gauche révolutionnaire est de pousser cette expérience humaine encore plus loin et de la théoriser de même que de développer l’idéologie de la classe laborieuse. A titre d’exemple, nous avons eu il y a quelques années au Liban une grève des travailleurs de l’électricité. Elle a duré environ 90 jours. Ils revendiquaient des contrats de travail à durée indéterminée. L’Etat les a attaqués pour être une majorité de travailleurs musulmans. C’est alors que les autres travailleurs se sont levés, et les travailleurs chrétiens parmi eux se sont mis à l’avant-garde pour défendre leurs collègues musulmans contre la milice chrétienne qui les attaquait. Nous avons eu aussi une grève à la centrale électrique de Jounieh en soutien à une grève dans une autre centrale électrique située en zone musulmane. Si les choses restent à ce stade, il n’est pas certain qu’on puisse en tirer quoique ce soit.
Pour cela il faut ramener la bataille à sa juste place, là où il n’est pas seulement question de stratégie défensive, mais de stratégie offensive contre l’Etat. Cela veut dire, certes, qu’il faut lutter contre le système du sectarisme jusqu’à sa destruction totale. Dans la lutte de classe, nous avons l’habitude de recourir à des idées et des mécanismes défensifs. Cependant il faut une compréhension de l’histoire et de toutes les contradictions non seulement à travers une bataille spécifique, mais à travers la lutte générale contre le sectarisme en liant toutes ces expériences ensemble. Parce qu’en ramenant ces expériences ensemble, nous pouvons développer une nouvelle forme idéologique de résistance contre l’Etat et contre le sectarisme. C’est en l’absence de cette nouvelle forme de résistance idéologique que notre conscience de classe elle-même est en passe d’être détournée vers le champ de la conscience sectaire. Comment cela se fait en pratique ? Revenons à la grève des travailleurs de l’électricité.
Le Courant patriotique libre (CPL)[2] disait que l’existence d’une majorité de travailleurs musulmans finira par déstabiliser le quota sectaire au sein de l’entreprise. Mais ce qu’il visait réellement, c’est saper l’unité des travailleurs et la création de rapports sectaires. C’est la solidarité et l’unité entre les travailleurs qu’il voulait attaquer. C’est ce que fait aussi Nabih Berri[3], par exemple, avec certains dirigeants syndicalistes contre les travailleurs. Ils ont essayé de détourner la lutte de classe à partir de sa base unitaire vers une base sectaire. Prenons un autre exemple pour mieux clarifier les choses, le mouvement Amal et le Hezbollah, qui sont des partis politiques chiites, ont adopté une méthode singulière pour interagir avec le mécontentement et les émeutes populaires dans la banlieue sud. Si par exemple un mouvement de protestation se déclenche contre les coupures d’électricité ou contre le chômage, ces partis craignent plus que les manifestants ou les grévistes puissent se rencontrer et tisser des liens avec des protestataires des autres régions. Au lieu de pousser à la mobilisation pour l’amélioration de la couverture électrique au Liban, ils achètent des générateurs électriques et fournissent des fonds aux stations d’essence.
Par exemple, dans le Akkar[4], Saad Hariri[5] donne de l’argent à certains organismes de bienfaisance et à quelques démunis juste pour calmer les contradictions de classe et renforcer la dépendance économique des travailleurs vis-à-vis des capitalistes. Cela signifie aussi que l’argent provenant des régimes les plus cruels dans le monde tels que l’Arabie saoudite, l’Iran ou les Etats-Unis fait son chemin jusqu’ici pour créer une relation de dépendance des travailleurs musulmans ou chrétiens à l’égard des bourgeoisies musulmane ou chrétienne. Cette dépendance crée une illusion de protection. C’est un mythe idéologique. Au lieu de dire que notre problème est la bourgeoisie, ils trouvent qu’il est plus facile de dire que le problème des travailleurs musulmans est la bourgeoisie chrétienne. Ainsi le problème pour les travailleurs chrétiens devient la bourgeoisie… musulmane, et la rivalité finit par s’installer parmi les travailleurs. Entretemps, les médias trouvent réellement populaire auprès des gens de leur dire que les musulmans prennent les emplois des chrétiens ou les chrétiens prennent les emplois des musulmans ! Finalement on crée un environnement de concurrence. Il s’agit en fait d’une lutte au sommeil des forces bourgeoises pour le pouvoir qui est reflétée comme une culture populaire tout au fond de la classe ouvrière. La question principale ici est de lutter contre la stratégie de l’Etat, la stratégie de la bourgeoisie et leurs méthodes pour vaincre la lutte de classe.
Nous devons comprendre qu’en luttant contre l’Etat, nous ne menons pas la lutte de classe uniquement sur le plan économique mais aussi sur les plans politique et idéologique. Cela signifie que notre résistance doit être économique, politique et idéologique, ce que, fort malheureusement la gauche dans la région ne prend pas en considération. Elle n’attaque pas sur le front idéologique. Elle milite seulement sur les plans économique et politique. Mais quand il s’agit d’idéologie, quel genre d’État nous voulons, quelle idéologie révolutionnaire devons-nous adopter, ce sujet n’a pas été discuté. Nous devons avoir l’idéologie de la contre-hégémonie en interprétation des idées de Gramsci dans le sens où puisque la bourgeoisie a l’hégémonie, nous devons créer de vraies organisations pour détruire son hégémonie et créer des contre-hégémonies qui reflètent les intérêts de la classe ouvrière.
Donc nous pouvons dire que la conscience de classe dans la société est une soupape de sûreté contre le sectarisme et la menace d’une guerre civile.
La conscience de classe ne se limite pas à la conscience économique. Même chez Marx et Engels il ne s’agit pas de la conscience économique. Mais il y a en général une tradition au sein de la gauche pour comprendre la classe seulement de point de vue économique. La plus haute forme de la lutte de classe est une lutte politique. En même temps, vous devez combiner les aspects économiques, politiques et idéologiques au cours de la lutte. La partie importante dans tout cela est l’organisation de la lutte de classe. Car il ne faut pas compter uniquement sur des réactions spontanées ou des actions non organisées. Elles sont importantes, mais nous devons les organiser davantage. Voilà pourquoi il est très important que la gauche révolutionnaire dans la région arabe soit organisée. Etant donné que l’Etat et les partis politiques sont efficacement organisés, ont des financements multiples et une tradition politique, ils sont en mesure de pouvoir riposter. Cela signifie que, si vous voulez les combattre, vous devez être aussi organisés et aussi efficaces qu’eux. Mais vous ne devez pas compromettre votre politique ou vos méthodes d’organisation ou vos pratiques et mécanismes démocratiques. Ceci est une question très difficile, mais très importante.
La lutte de classe et la conscience de classe sont des questions centrales car sans elles, vous ne serez pas en mesure de bâtir des ponts entre les travailleurs chrétiens, sunnites et chiites. Et nous avons besoin de ce lien de solidarité et d’affinités pour lutter contre la classe dirigeante. Pour moi, la conscience de classe n’est pas seulement une conscience économique. La conscience de classe est nécessaire pour comprendre le rôle de la classe dans la détermination des paramètres économiques, politiques et idéologiques à la fois.
Pensez-vous que la principale erreur des soulèvements récents dans la région est qu’ils se sont transformés en une lutte sectaire ?
Les révolutions ne déclenchent pas dans des conditions que nous choisissons par avance. Ainsi, les révolutions ont eu lieu dans la région arabe après un recul total de la gauche à cause de nombreuses raisons. Parmi elles, la collaboration active de la plupart de la gauche stalinienne et de la gauche nationaliste avec les régimes. Il y a évidemment des structures syndicales en Egypte, en Syrie, au Liban et dans le reste de la région. Mais il y a un grand recul de l’action politique depuis les années 1980. C’est dans ces conditions que les révolutions ont éclaté. Cependant deux réalités apparaissent : la nécessité et la priorité d’organiser la classe ouvrière. Ce sont les tâches révolutionnaires à accomplir.
L’histoire ne fait pas d’erreurs, elle se produit seulement. La gauche traditionnelle a commis beaucoup d’erreurs. Mais c’est absurde de dire que la nouvelle gauche révolutionnaire aurait pu organiser la classe ouvrière, et s’organiser elle-même dans les vingt dernières années. Les vingt dernières années ont enregistré une progression de la gauche révolutionnaire dans différents pays, particulièrement en Egypte et au Liban. Au fil du temps ces groupes se sont amoindris dans une certaine mesure, mais sont toujours plus efficaces que les organisations de la gauche traditionnelle. Il est donc très important de développer ces organisations.
Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Si l’on compare au niveau du Liban par exemple, le Parti communiste qui avait revendiqué 10 000 membres, en compte maintenant 3 000 ou même moins. A Beyrouth, nous mobilisons plus qu’eux. En Egypte, les Socialistes révolutionnaires, semblables à notre courant au Liban, font entendre leur voix davantage à gauche plus que le reste de la gauche traditionnelle, pourtant plus nombreuse. Nous avons donc considérablement pu s’améliorer qualitativement, mais pas quantitativement, en termes d’élargissement de notre base. Les gens ont compris l’importance du parti politique dans la révolution, surtout après la défaite de la première phase de la révolution. Cela est très important, car les gens ont compris qu’un mouvement ne peut pas remporter ses batailles en comptant seulement sur ses propres efforts et sur les réactions spontanées. Ce genre de populisme s’est désintégré avec la montée de forces contre-révolutionnaires. C’est une opportunité pour la gauche révolutionnaire. Cependant vous ne pouvez pas d’ores et déjà vous baser sur l’hypothèse d’un possible front populaire.
C’était la logique de la gauche traditionnelle dans les années 1960 et 1970. Elle se déclarait avec les mouvements populaires, ce qui signifie avec tout le monde. Or, les récents événements ont prouvé que cette stratégie est totalement fausse. Nous avons besoin d’un front uni, d’un front révolutionnaire, mais pas d’un front populaire. Cela signifie qu’il faut lutter contre la classe dirigeante et en même temps contre les forces réactionnaires, comme Daesh (ou l’Organisation de l’Etat islamique) par exemple ou des groupes similaires. Mais aussi défendre des organisations réformistes, comme les Frères musulmans, contre la répression du pouvoir. Par ailleurs, il y a l’expérience du mouvement Ennahdha en Tunisie qui, après avoir compris le sort qui a été réservé aux Frères musulmans en Egypte, a manœuvré intelligemment, permettant à la gauche d’entrer en jeu. Et de prendre part à la bataille institutionnelle libérale. C’est une crise de la gauche. En Tunisie, par exemple, ils mènent à bien des revendications démocratiques, mais c’est dans le cadre d’une nouvelle politique libérale avec l’aval de l’impérialisme capitaliste.
Ce sont les conditions dans lesquelles nous devons travailler. Il y a deux tâches principales qui sont la construction d’une organisation révolutionnaire et en même temps aller vers les travailleurs. La bureaucratie syndicale est une crise. Regardez comment les bureaucraties syndicales en Egypte — y compris celles à la tête des syndicats dits indépendants — ont toutes soutenu Sisi et le régime militaire. Il n’est pas difficile de conclure que ces directions sont inefficaces et inutiles pour la révolution. Quant au mouvement syndical au Liban, il ne cesse de faire des concessions à tel point qu’il n’arrive plus à mobiliser des masses de travailleurs, comme il le faisait auparavant. Actuellement, il mobilise à peine trente ou cinquante personnes[6]. La gauche doit travailler à la base pour conscientiser les travailleurs et les amener à adopter une idéologie et une ligne politique révolutionnaires mais aussi pour installer et dynamiser une tradition au sein de la classe ouvrière, celle de la nécessité de s’organiser davantage. La reconstruction des organisations de la classe ouvrière pour défier l’Etat est une situation complètement différente de ce que nous avions dans les années 1960.
Nous avions à l’époque une petite classe ouvrière, une large couche de paysans et la question de la libération nationale, qui était l’élément principal dans toute la lutte. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de libération nationale dans le sens de libérer un territoire occupé, mais d’une libération nationale du joug de l’impérialisme. Il faut donc mettre fin à l’ingérence des Etats-Unis, de l’Europe, de l’Arabie saoudite et des capitaux étrangers dans la région. Cela signifie que nous avons besoin d’une situation révolutionnaire. Ce que nous appelons la révolution permanente. Ceci implique que nous avons les conditions non seulement de réaliser la libération nationale ou les réformes démocratiques, mais aussi l’opportunité d’approfondir cette révolution et de la transformer en une révolution socialiste.
Il est nécessaire de graver dans les esprits l’importante distinction entre libération nationale et Etat capitaliste. Dans les années 1960, le peuple avait appuyé la bourgeoisie nationale contre la bourgeoisie internationale. Aujourd’hui la bourgeoisie nationale, même si elle prétend être anti-impérialiste, est indissociable du libéralisme. Ils font les affaires et ils coopèrent. Par exemple, le Hezbollah reçoit de l’argent de bourgeois libanais installés en Afrique, qui exploitent les travailleurs africains. Il reçoit aussi de l’argent de l’Iran, l’Etat qui exploite des travailleurs iraniens. Saad Hariri reçoit de l’argent de l’Arabie saoudite qui exploite aussi les travailleurs.
L’entrecroisement des rapports capitalistes est évident. Donc, ces mouvements de « résistance » ne peuvent pas lutter contre l’impérialisme. Tout ce qu’ils peuvent atteindre, c’est une sorte de libération physique, à l’image de ce qui se passe au Liban. Mais ils s’arrêteront là où ils commencent à nuire aux relations capitalistes dans lesquelles ils sont impliqués. C’est ce qui est arrivé lorsque la révolution a éclaté en Syrie. Le Hezbollah est allé en Syrie pour protéger le régime Assad, sous le commandement de l’Iran, qui veut aussi protéger ses propres intérêts. Ce mouvement de résistance s’est transformé en une armée qui combat pour servir les intérêts des capitalistes en Syrie. Ceci est une contradiction parce qu’il ne s’agit pas d’une petite armée, mais d’une armée énorme dans l’Etat. Lorsque le Hezbollah décide d’engager une bataille, il ne suffit pas de fanfaronner au sujet de ses faits d’armes, mais il faut être capable de gagner les gens qui soutiennent le Hezbollah à une position révolutionnaire différente. Telle est la question la plus importante.
En comparaison avec d’autres organisations de « gauche », vous avez soutenu la révolution populaire en Syrie. Comment expliquez-vous l’éloignement entre les organisations de gauche ?
Au Liban, nous avons la gauche nationaliste qui comprend les nationalistes arabes et la gauche stalinienne comme le Parti communiste. Ces groupes ont adopté une vieille stratégie qui considère la libération nationale comme une condition sine qua non de la révolution. Ils ont adopté une autre stratégie pour le changement démocratique. Cela signifie deux choses : la première, s’il y a un conflit entre la bourgeoisie nationale et la bourgeoisie internationale, ils se mettront du côté de la bourgeoisie nationale ; la seconde, ils ne cherchent pas à défier l’Etat, mais ils essayent de gagner dans les élections et d’accéder au pouvoir.
Cette conception des choses les met dans une position de non-confrontation ni contre bourgeoisie internationale, ni contre la bourgeoisie nationale, or la confrontation de ces deux bourgeoises est un élément important pour être un groupe révolutionnaire. En Syrie donc, selon cette logique, soutenir le régime signifie soutenir l’anti-impérialisme dans la région dont il se réclame, alors que c’est complètement faux. Nous avons pu constater comment la révolution syrienne a causé une défaite, au moins morale, de l’impérialisme. La crise économique croissante est une opportunité en ce sens qu’elle force de nombreuses puissances impérialistes à se retirer. Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont aucune présence, mais elles se sont affaiblies.
Au lieu d’exploiter cette donne pour pousser vers une situation révolutionnaire contre la bourgeoisie arabe et l’impérialisme, certaines de ces organisations de gauche s’allient avec les régimes pour plusieurs raisons. Une des principales raisons est qu’elles sont préoccupées de savoir comment gagner une représentation au pouvoir ou comment accéder au pouvoir sans devoir prouver leur crédibilité ou légitimité. C’est l’erreur des partis réformistes dont l’idéologie est en crise. L’idéologie nationaliste elle-même est en crise. Nous constatons un affaiblissement de l’identité nationale et l’émergence d’une perspective pour développer une idéologie révolutionnaire qui transcende l’illusion et outrepasse la peur d’une séparation entre le Liban, la Syrie, l’Egypte et la Palestine.
Car il s’avère impossible de révolutionner la région sans la destruction des frontières qui ont été fixées par le colonialisme, puis consolidées par les régimes arabes qui ont été contraints eux-mêmes à séparer la lutte palestinienne et les luttes libanaise, syrienne, irakienne, égyptienne et des pays du Golfe. Ces frontières ont aidé les régimes arabes à écraser les mouvements populaires qui se sont développés dans les années 1960 et même avant. Mais les partis réformistes ne peuvent pas concevoir leur existence en dehors de l’Etat-nation. Ils ont besoin des frontières nationales pour exister. Par ailleurs, ils n’ont pas de stratégie pour changer le caractère capitaliste de l’Etat et ont une compréhension mécanique de l’histoire. Pour eux, une révolution n’est pas une révolution tant que les gens n’ont pas revendiqué le socialisme dès le premier jour. Pourtant ni pendant la révolution russe ou la révolution française les gens n’ont réclamé le socialisme dès le premier jour. Pendant la révolution russe, une manifestation a été dirigée par un pasteur, et de nombreux paysans ont été tués lors des protestations ! Après de nombreuses années, les gens ont compris qu’on ne peut pas négocier avec l’Etat. C’est ce qu’a appris le peuple arabe.
On ne peut pas négocier avec les Etats arabes. Cependant le Parti communiste et les partis staliniens ont choisi de se mettre du côté des régimes arabes. Ceci implique qu’ils n’appartiennent plus à la gauche. Ils font partie de l’appareil d’Etat… l’appareil d’Etat bourgeois qui se défend contre les mouvements populaires. D’ailleurs ça ressemble à ce qu’à fait la gauche réformiste en Allemagne lors de la montée d’Hitler. Cette position de la gauche a permis ou au moins était favorable à l’essor de Daesh et des groupes similaires. La laïcité est devenue synonyme d’alliance avec les régimes arabes despotiques. C’est pourquoi il faut faire la distinction entre d’une part ces Etats prétendument laïques qui n’ont rien à voir avec la laïcité, et qui consacrent le sectarisme, et d’autre part la laïcité révolutionnaire basée sur la justice sociale et l’égalité.
Certains partis politiques outre le Forum socialiste ont aussi un discours anti-impérialiste et « résistant ». Quelles sont vos similitudes et les différences ? Et quelles sont les différences entre les définitions du terme « résistance » ?
Lorsque le Hezbollah se battait contre Israël, nous avons soutenu la résistance. Nous soutenons quiconque résiste contre l’impérialisme. Mais quand le Hezbollah va en Syrie pour combattre contre la révolution populaire, ce n’est plus de la résistance. Il est devenu une milice du régime autoritaire et de la puissance régionale, qu’est l’Iran.
La question se pose ainsi : est-ce que des groupes comme le Hezbollah ou le Hamas peuvent libérer la Palestine ou écraser l’impérialisme? La réponse est non, ils ne le peuvent pas. Mais en même temps, en l’absence d’organisations capables de résister à l’offensive israélienne chaque fois qu’Israël attaque, nous soutenons quiconque prend les armes et combat l’entité sioniste. Mais cela ne signifie pas que nous soutenons leur politique. C’est la différence majeure entre nous et les autres segments de la gauche. Ils soutiennent le Hezbollah dans tout ce qu’il fait. C’est le principal problème. Ils sont d’accord avec la politique intérieure du Hezbollah basée foncièrement néolibérale, économiquement parlant. Ils appliquent une politique contre les intérêts de la classe ouvrière du fait de leur alignement sur les politiques sectaires. C’est ce qui explique leur silence sur toutes les questions. En s’abstenant de critiquer le Hezbollah à propos de ces questions, ils ont contribué à approfondir la conscience sectaire au sein de la classe ouvrière. C’est ce qui a affaibli leur position au sein de la classe ouvrière et dans la lutte de classe en général.
Nous sommes en train de concevoir une compréhension alternative de la résistance. Nous appelons à une résistance laïque, et non pas à une résistance nationale sectaire. Toutefois elle n’est basée uniquement sur la résistance armée, mais aussi sur la résistance politique contre le capitalisme. Parce que nous avons observé, en 2006, comment certains ont profité de la misère des autres pendant la guerre. Même après la fin de guerre en 2006, plusieurs dirigeants du Hezbollah ont amassé beaucoup d’argent. Peut-on considérer ceci comme un acte de résistance ? Etait-ce une action anti-impérialiste ? Le Hezbollah et le Hamas ne sont pas anti-impérialistes. L’anti-impérialisme signifie aussi faire face à tous les Etats, se positionner contre l’intervention des milices en Syrie et contre l’intervention de l’Arabie saoudite dans d’autres pays. Nous ne pouvons pas par exemple soutenir l’intervention de la Russie en Ukraine. C’est ça l’impérialisme, comme vous le savez.
La gauche nationaliste choisit de soutenir des segments de la bourgeoisie contre d’autres. Cette attitude pourrait être une stratégie intéressante dans le début du siècle dernier, lors de la naissance du capitalisme, avec l’existence de la bourgeoisie nationale. Dans le même temps, il y a une grande illusion quant à l’Etatisme de ceux qui se disent : lorsque nous atteindrons l’économie industrielle, nous aurons le socialisme. L’économie capitaliste est une économie mondiale et non une économie nationale. La bourgeoisie nationale ne réalisera jamais les réformes démocratiques dans les pays qu’elle domine parce qu’elle profite de l’absence de démocratie. Pour cette raison, toutes les revendications démocratiques et socialistes et anti-impérialistes doivent être comprises dans une même stratégie. C’est toute la différence entre eux et nous. Nous considérons la résistance comme un élément de la lutte révolutionnaire, et pas une phase à part avant la révolution.
Certains groupes de gauche en Turquie ont pris une position suspecte contre les révolutions populaires au Moyen-Orient, en particulier en Syrie. Comment expliquez-vous cela ?
La majorité de ces groupes de gauche sont soit nationalistes ou staliniens fascinés par le fétichisme de l’Etat. Les révolutions ne sont pas quelque chose de joli. Elles sont très laides. Si nous revenons à l’histoire, la révolution française et la révolution russe n’étaient pas jolies du tout. Parce que la société elle-même est laide. Et pour se débarrasser de cette laideur, nous devons lui faire face. Je pense que cette position négative de la gauche turque découle de l’idéologie nationaliste. Elle est en partie le reflet de l’idéologie nationaliste au sein de la gauche turque, nourrie des idées de Mustafa Kemal, et qui soutient l’armée.
En même temps, si vous avez une haute dose d’islamophobie, vous ne soutiendrez pas les Frères musulmans. Cependant il faut comprendre les contradictions des Frères musulmans qui font constamment des choses à gauche comme à droite. Leur mouvement est loin d’être une armée organisée. Cela ne signifie pas que vous devez soutenir les Frères musulmans contre l’armée. Vous devez plutôt garder vos repères et considérer que l’armée turque, égyptienne ou syrienne peut potentiellement se développer vers un régime fasciste. Cela c’est passé auparavant en Turquie et se passe maintenant avec Assad en Syrie et Sisi en Egypte. Les Frères musulmans, à cause de leurs contradictions multiples, ne sont pas capables de rester au pouvoir. C’est un signe de leur grande faiblesse. Vous pouvez les critiquer, vous pouvez mobiliser contre eux, mais vous ne pouvez pas les qualifier de fascistes.
Parce qu’ils ne sont pas une organisation fasciste. Aussi ils ne peuvent pas détruire tous les acquis démocratiques quand ils arrivent au pouvoir. En réalité ils les utilisent à leur profit. L’armée, en revanche, détruira tous les acquis démocratiques. A mon avis, la gauche nationaliste en Turquie soutient le fascisme contre le réformisme islamique, et ce, à cause du mot « islam ». Tout ceci a un nom : l’islamophobie. Il faut regarder les dernières 20 ou 30 années pour comprendre les énormes erreurs de gauche nationaliste et stalinienne. Pour comprendre ce qui a poussé les gens à aller chercher autre chose. Certains l’ont trouvée chez les mouvements islamiques. Donc pour les vaincre, il faut tout d’abord anéantir un type de conscience en agissant à deux niveaux. Le premier consiste à balayer la défaite du mouvement nationaliste, ce qui signifie que le nationalisme en soi n’est pas une arme contre l’islamisme. Le second intervient à lumière de la défaite en cours du projet islamique, qui était présenté comme alternative.
Pour nous, il n’y a qu’une alternative : le socialisme. Le projet nationaliste et le projet islamique sont deux projets bourgeois. Et la gauche doit prendre position contre les projets bourgeois. Voilà comment je vois ce gros problème. C’est à cause de tout cela que les révolutions arabes sont vues avec tant de suspicion. Maintenant avec l’approfondissement de la crise du nationalisme mais aussi l’approfondissement de la crise des projets islamiques, ils essaient de sauver le nationalisme en tentant de faire face à l’islamisme. Daesh, par exemple, se sert de la crise profonde des partis islamiques réformistes. Depuis la défaite des Frères musulmans en Egypte, celle d’Ennahdha en Tunisie, et la crise des Frères musulmans en Syrie, Daesh représente un modèle réaliste pour les gens qui sont de surcroit potentiellement mobilisables. Cette organisation terroriste tente alors de recruter parmi les bases des partis islamiques réformistes sur des positions plus radicales. Sa présence est une preuve de la crise de l’islamisme réformateur. Ce que fait la gauche nationaliste, c’est mettre tous ces mouvements dans le même sac. Mais ce délire est doublé aussi d’une forte dose d’hypocrisie. Pour la gauche nationaliste au Liban par exemple — qui fait pourtant la même lecture des mouvements islamistes —, le Hezbollah n’est plus une force islamiste.
Quant à la gauche turque, qui soutient Bachar al-Assad, l’allié de l’Iran et du Hezbollah, elle s’abstient de toute critique à l’égard de l’Iran ou du Hezbollah ! Alors elle soutient les chiites contre les sunnites. C’est la véritable nature du nationalisme. Le nationalisme dans le monde arabe, comme en Turquie, a toujours été sectaire dans le sens où il a constamment manipulé la religion. Il ne s’est pas dissocié de la religion. Atatürk a fait de l’islam une religion turque. Gamal Abdel Nasser s’est servi de la Mosquée al-Azhar (la plus haute autorité de l’islam dans le pays, (NdT)) pour affronter les Frères musulmans. Bachar al-Assad a sans doute construit plus de mosquées en Syrie que la confrérie des Frères musulmans dans la région. Ils ont tous utilisé la religion pour vaincre l’opposition. Donc, en fait, ils ne furent jamais laïques. Ils ont utilisé la religion officielle ou institutionnelle pour apparaître comme laïques, mais ils n’ont jamais instauré une séparation entre la religion et l’Etat.
Traduction de l’anglais par Rafik Khalfaoui
17 août 2015Notes:
[1] Les Kataëb ou Phalanges libanaises sont un parti politique nationaliste et militarisé, essentiellement chrétien, fondé en 1936 (Note du traducteur).
[2] Le Courant patriotique libre (CPL) est un parti politique de l’opposition chrétienne libanaise qui a été fondé en 1992 par le général Michel Aoun. Le CPL est représenté au parlement libanais sous le nom de « Bloc du changement et de la réforme » et est devenu le plus puissant parti chrétien au Liban (NdT).
[3] Nabih Berri est un homme politique libanais. Il est le président du parlement libanais depuis 1992 et le chef du mouvement chiite Amal (fondé en1975 et devenu l’une des plus importantes milices musulmanes pendant la guerre civile libanaise. Le mouvement Amal est bien représenté au Parlement (NdT).
[4] District montagneux du nord du Liban et l’une des régions les plus pauvres du pays (NdT).
[5] Homme politique et homme d’affaires, Saad Hariri est un ancien Premier ministre. Il est le fils de Rafiq Hariri, ancien Premier ministre assassiné le 14 février 2005. Saad Hariri est le chef du parti politique Courant du Futur, sunnite (mais officiellement laïc) et le chef de la majorité au parlement libanais. Il vit actuellement entre Paris et Riyad (NdT).
[6] Référence à la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL), (NdT).
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Où va la gauche marocaine ? Contribution à une réflexion nécessaire (Essf)
La gauche marocaine, quelle que soit son orientation, est en crise profonde de perspectives. Elle n’arrive pas à sortir des défaites et reculs qu’elle a connu, ni à élaborer une démarche stratégique pour surmonter ses faiblesses et son extériorité par rapport aux secteurs larges de société, les couches populaires et opprimées. Le M20F a dévoilé, comme un test grandeur nature, son incapacité à peser dans la construction d’un rapport de force. Elle est en réalité dans l’incapacité à construire des initiatives politico-sociales capables de changer même partiellement la donne, d’ouvrir ou de commencer à occuper un espace qui en fasse un acteur crédible. Elle réagit plus qu’elle n’agit. Nous laissons de coté ici « la gauche » du pouvoir (USFP, PPS) qui n’existe plus que comme appareil subordonné et intégré à l’appareil d’Etat pour aborder la situation de la gauche démocratique et radicale.
La gauche démocratique traditionnelle regroupée dans la coalition pour la monarchie parlementaire reste rivée à un horizon impossible : celui d’un compromis historique avec une monarchie absolue qui est la colonne vertébrale du despotisme. Construire l’état de droit contre l’ennemi ne peut se faire qu’avec l’ennemi. La logique interne de cette stratégie politique manque de souffle : elle fait l’impasse sur la confrontation nécessaire, prolongée, globale pour imposer des reformes durables et réelles, sur la base d’un large mouvement populaire, non institutionnel. Dans ce schéma, « la lutte » est un appui conjoncturel pour faire pression ou affirmer son existence. Mais non pas le cœur de la construction de l’alternative. Le « débouché politique » nait d’une illusion électorale, à chaque fois démentie, celle d’une percée progressive dans les institutions, en vue de construire un contrepouvoir à l’intérieur du système, et non pas dans la société. Ce débouché-là, portée par un « front » regroupant des courants qui se sont structurellement affaiblies ces 20 dernières années, impose des lignes rouges à tout travail de masse, à toute action spontanée ou à toute mobilisation qui entraverait la possibilité d’un compromis. la gauche démocratique développe une conception et pratique politique où le conflit doit céder la place à la conciliation, où l’accumulation lente des forces ne doit pas se faire déborder par des mobilisations de masses imprévues, où les tactiques s’épuisent à chercher dans le makhzen une aile moderniste. Les partis doivent diriger d’une manière responsable la marche des évènements et faire entendre au « Prince » qu’il est dans son intérêt de changer. Cette stratégie mène à l’impasse parce qu’elle occulte les conditions réelles d’un changement : l’ouverture d’une crise politique au sommet combinée à un réveil de l’activité indépendante des classes populaires, et la gauche démocratique ne veut ni de l’une ni de l’autre.
Le débat avec les militants et sympathisants n’est pas sur leurs positions face aux élections. La participation aux élections, sous un régime non démocratique, est une question tactique et non pas une position de principe. On peut être d’accord ou en désaccord et si on est en d’accord, cela n’épuise pas la discussion sur le contenu politique d’une telle campagne et ses objectifs. Non pas tels qu’ils sont proclamés, mais dans leurs effets réels pour développer ou non des mobilisations sociales et démocratiques, dans leurs effets ou non, pour délégitimer l’absolutisme. On pourrait en dire tout autant de la position de boycott.
Le débat n’est pas sur la question du Sahara. Que l’on soit favorable à sa « marocanité » ou pour le droit à l’autodétermination, une solution démocratique réelle nécessitera des ruptures politiques profondes au niveau des Etats, des frontières géopolitiques et le dépassement des formes héritées par la colonisation des Etats nations. Elle impliquera aussi une redéfinition du contenu d’une solution démocratique à partir des réalités sociales et démographiques où l’autodétermination ne peut se faire sans égalité des droits et inversement.
Le débat n’est même pas sur la monarchie parlementaire mais sur les conditions sociales et politiques d’une réforme radicale qui mettrait fin à l’absolutisme sous toutes ses formes.
Le vrai débat est celui de la stratégie de lutte pour transformer les rapports de forces sans quoi on s’adapte à celui qui existe et on finit par seulement exister dans le cadre du système. Et dans le cadre de cette stratégie, la question de l’unité d’action, sociale et politique, dans la défense conséquente des intérêts sociaux et démocratiques des classes populaires, dans leur luttes concrètes, quelques soient par ailleurs les divergences d’orientation politiques, est décisive..
L’erreur de ce point de vue commise par la gauche démocratique est de subordonner la question de l’unité d’action à un accord programmatique. Elle est incapable de penser la diversité des tactiques ni de comprendre que la lutte institutionnelle doit avoir pour centre de gravité la lutte de masse. Et en même temps, on ne peut ignorer que ces formations politiques, à des titres divers, regroupent des militants démocrates radicaux sincères dont l’apport est nécessaire pour la construction d’une alternative.
La Voie Démocratique a une approche élaborée de la lutte démocratique de masse, articulant le combat pour la construction d’une expression politique indépendante des travailleurs et exploités et les alliances tactiques ou stratégiques en vue d’un front de lutte populaire, permettant d’isoler le noyau dur du makhzen. Cette approche est le fruit d’un processus de réélaboration qui se substitue aux premières formulations stratégiques du mouvement marxiste-léniniste et d’Ilal Amam en particulier, et qui a trait à la question de la « violence révolutionnaire organisée des masses » (avec un contenu différent dans les années 70 et 80). Il y a une volonté de définir une ligne politique, non institutionnelle, qui tienne compte des rapports de forces à partir d’une réévaluation de la question démocratique…sans perdre de vue la perspective de libération nationale et sociale.
Pour autant, la VD , si elle a pu, relativement, acquérir une visibilité importante et renforcer ses points d’appui dans les organisations de masses, elle reste prisonnière d’un schéma de pensée et de construction qui est en deçà des défis et nécessités de l’heure. Elle n’arrive pas à dépasser, en termes de propositions politiques, la vision selon laquelle l’organisation politique doit être le vecteur de la direction politique du front et des organisations de masses, ni à dépasser les formes dogmatiques de l’unité politique. L’orientation politique générale reste trop marquée par une conception qui n’intègre pas la possibilité d’une radicalisation de masse où s’exprime une politisation par en bas différente de ce qui existe sur le champ politique.
Pourtant, les processus révolutionnaires dans la région ont montré que les soulèvements populaires n’ont pas attendu l’existence d’un front, d’une alliance, d’un parti révolutionnaire. Non pas que ces éléments ne soient pas nécessaires sur la durée mais c’est une démarche différente que de penser que le débouché politique qui cristallisera une alternative potentielle, naîtra principalement de recompositions et contradictions internes de la gauche organisée, de la crise du « mouvement démocratique et ouvrier traditionnel » ou qu’il naîtra de la construction d’une nouvelle représentation politique liée organiquement à de nouveaux cycles de mobilisations et expériences de luttes de masses et d’une pensée stratégique renouvelée..
Même en Tunisie, le front populaire qui représente un acquis, n’arrive pas à définir une orientation stratégique en phase avec les processus internes de la société , ni à surmonter son extériorité par rapport aux forces sociales motrices du soulèvement. Il n’assume pas le rôle d’une nouvelle force capable d’intervenir dans la remobilisation indépendante des secteurs populaire ni à rassembler des forces nouvelles qui ne sont pas liées à l’histoire de ses composantes. A leur manière, Syriza et Podemos ne sont pas le produit de l’ancien mais une traduction de l’émergence de nouveaux processus de radicalisation à l’intérieur de la société qui ont nécessité un réajustement profond des propositions politiques.
Ce réajustement complexe a été raté ou conçu comme impossible pour des organisations traditionnelles de l’extrême gauche et les courants intégrés de la gauche au système. Or ce que nous disent chacune à leur manière ces expériences, c’est qu’il n’y a pas d’offre politique déjà toute faite qu’il suffirait de renforcer mais la nécessité d’une dialectique nouvelle entre construction politique et mobilisation sociale. La conception du front portée par les camarades ne s’appuie pas justement sur cette dialectique. Elle repose sur un programme minimum, peu opérationnel du point de vue de son impact dans la société, parce qu’il est minimaliste et portée par une approche qui vise le plus petit dénominateur commun à différentes composantes.
Mais la question qui se pose est de savoir comment un programme d’action peut concilier le maximum de forces sociales et politiques ( organisées ) pour agir ensemble, mais aussi répondre d’une manière déterminée, à la nécessité de développer un nouveau cycle de lutte capable de transformer les rapports de forces et d’acquérir, au delà des forces organisées, un appui large dans la société. Plus qu’un appui, l’amorce d’un processus où s’accumule les conditions et les acteurs de l’émergence de nouvelles forces sociales et politiques autonomes. Il n’y a pas de recettes magiques ou doctrinaire mais Rosa Luxembourg, en son temps, avait déjà pointé le problème. Elle expliquait que ce n’est pas « la grève générale qui mène à la révolution mais la révolution qui mène à la grève générale ». Autrement dit , la contestation de l’ordre social tout entier est un préalable à la grève générale.
On oublie souvent que les grands mouvements populaires ne sont pas liés à des revendications immédiates ou des objectifs conjoncturels mais à des utopies concrètes. C’est y compris dans notre pays, le projet d’une indépendance qui a soulevé les forces populaires y compris les armes à la main, et non pas telle ou telle revendication partielle. Tout comme c’est l’aspiration à une société sans arbitraire, sans répression, sans corruption, de justice sociale et de dignité, qui a constitué le moteur des soulèvements dans la région en 2011.
On ne peut se satisfaire d’un programme d’action défensif ou visant seulement à permettre des alliances. Nous avons besoin d’une alternative globale, d’un projet de société qui permet aux masses de développer une énergie révolutionnaire, y compris pour leur luttes immédiates, et pas simplement d’avoir pour horizon, des luttes partielles et défensives. Avoir des propositions offensives qui traduisent un autre avenir est décisif. Ou si l’on veut l’alternative nécessite une perspective qui mette en relations les luttes entre elles, pour leur donner une cohérence autre que revendicative, qui saura faire un pont entre les combats d’aujourd’hui et un autre projet de société. Or sur ce point la gauche n’a pas d’horizon. Elle est en panne en termes de projet d’émancipation au-delà des formules. Elle n’arrive pas à faire du neuf en dépassant ses défaites. Elle ne se voit que comme force de résistance ou fidèle à un engagement antérieur. Cela pèse sur les propositions actuelles et imprime une certaine routine dans la pensée et l’action.
La conception de la lutte démocratique chez les camarades reste déconnectée à cette étape d’une lutte contre le capitalisme local et internationale, non pas sur le plan de la perspective générale mais sur le terrain des objectifs de lutte immédiats, cette question se posant pour les camarades après une éventuelle chute du makhzen. Or aujourd’hui la démocratie réelle est antagoniste non seulement au makhzen mais aussi au capital. La lutte démocratique vise centralement pour eux à définir les voies d’une constitution démocratique souveraine. Alors qu’elle devrait aussi prendre un contenu social ample, direct visant ouvertement à une répartition égalitaire de la richesse, impliquant une remise en cause du régime de propriété actuel, et inscrivant les objectifs de la lutte sociale non pas seulement sur le terrain de la conquête ou respect des droits, mais sur la question fondamentale de qui décide dans la société. Leur conception reste trop attachée à une lutte contre le makhzen comme régime politique, sans articulation, dans la lutte elle-même et les mots d’ordre, avec l’accumulation prédatrice. Comme des niveaux juxtaposés plutôt que combinés.
Autrement dit la lutte pour « une constitution démocratique » n’a pas les mêmes conséquences pratiques sur la conception du travail de masse et de la lutte sociale, des alliances, que l’exigence de « tout le pouvoir et la richesse au peuple ». Il faut aussi ajouter chez les camarades de la VD une conception politique de l’organisation qui n’est plus fonctionnelle dans le monde d’aujourd’hui et certainement pas dans notre société. Aucune organisation qui n’ouvre pas en grand, ses portes et ses fenêtres, n’a d’avenir. Et qui, en son sein, accepte le pluralisme des expériences, des opinions, des préoccupations, des contradictions. Et qui dans la dialectique avec le mouvement de masse cherche à ouvrir des espace de participation populaires par en bas. La recherche de l’efficacité dans l’action ne peut signifier un centralisme contradictoire avec l’auto organisation dans les processus de lutte, ni signifier la construction de cadres par « en haut », plus préoccupés à façonner de équilibres internes qu’ à déployer une créativité démocratique dans les formes de lutte et de décision. Il n’ y a pourtant pas d’autres issues pour dépasser la crise de confiance dans les organisations (qui n’épargne pas la gauche radicale ), « stabiliser » de nouvelles avant-gardes de luttes et ouvrir potentiellement la possibilité d’un nouveau cycle de politisation de masse.
De même la « convergence des luttes » ne peut être seulement le fruit d’une unité des forces existantes et d’un renforcement/construction des instruments des défenses organiques de masses (même si cela est vital et nécessaire). Ces « forces » et « instruments » restent pour l’essentiel, même lorsqu’ils sont combatifs, liés à des secteurs très limités des exploités et des opprimés, et ne jouent pas nécessairement un rôle d’entrainement global. Il faut un espace de participation, où des fractions plus larges réalisent l’unité par en bas, exprime directement leur radicalisation et action collective. Des espaces où se construisent des expériences réelles de luttes de masses.
Mais au-delà, la question est double : un parti ne se construit par une somme de tactiques. Il lui faut un projet d’ensemble en phase à la fois avec la période et à la conjoncture concrète. Revendiquer par exemple l’unité des courants marxistes dans un même parti ou dans un cadre plus large, n’apporte aucune solution bien que l’on ne peut s’opposer à cette perspective.. C’est continuer à penser que « le parti » qui aidera d’une manière décisive à la transformation radicale de la société ne peut être que la résultante d’un rapprochement de courants politiques liés au cycle historique précédent. Sans prendre la mesure du « basculement du monde » où les formes de radicalisation ne se traduisent pas en terme de réappropriation de l’héritage passé et des références diverses du mouvement ouvrier. Ni du fait que ce processus nécessite, non pas un volontarisme, bâti sur la simple affirmation d’une racine commune (le marxisme qui n’existe pas au singulier ) mais un accord sur les tâches politiques fondamentales dans le cadre d’une nouvelle période.
L’option d’une unité des révolutionnaires, à supposer qu’elle soit possible, ne suffit pas et il n’ y a pas de dépassement de la notion d’un parti qui apporte la ligne et la conscience de l’extérieur comme un état major , un « maestro » contraint de manœuvrer, d’être s’il le faut, pédagogique et flexible, mais qui par ses forces, éventuellement unies, finira par devenir la direction ferme attendue et reconnue par les masses. Les processus dans la vie réelle à l’échelle des expériences actuelles quel que soit la région du monde infirme cette approche. Penser que l’alternative se construira par un renforcement organique de tel ou tel courant (en recrutant petit à petit) ou sur une base idéologique (l’adhésion commune au marxisme) et une erreur à notre avis.
Les courants marxistes léninistes basistes : là c’est une trajectoire particulière. Nul ne peut ignorer la combativité des camarades, ni la réalité de leur radicalité, souvent d’ailleurs en réaction avec les mécanismes d’actions et de pensée a gauche qui ont été façonnées par l’adaptation aux marges permises par la façade démocratique (ou son acceptation). Souvent source de routine et d’ajustement à ce qui est toléré par le pouvoir. En réaction aussi à une pensée dominante à gauche qui, trop englué dans la conjoncture et la tactique, ne fait pas vivre l’exigence de la rupture et ressemble trop, malgré des discours différents, à des partis « installés » dans des règles du jeu imposées par le système tant ils sont excessivement « prudents » dans leur initiatives et manière de faire la politique. Mais cette trajectoire visant à l’origine à défendre la radicalité du mouvement révolutionnaire à ses origines, telle qu’elle est comprise par eux, est devenue une impasse.
Ces courants, à force de vouloir se délimiter sur toutes les questions en sont venus à construire un « bunker politique et idéologique » où la lutte contre l’ordre établi se confond avec la lutte contre tous les autres courants de gauche. Et où le cœur de l’action politique, n’est pas tant la recherche de l’implantation au sein des masses, avec ce que cela implique comme prise en compte des différents niveaux d’expérience et de conscience et des conditions d’une convergence des luttes (ce qui pose la question de l’unité) mais la recherche par le haut et à la marge, d’une confrontation politique qui dévoilerait la nature réelle du régime et de ses alliés « opportunistes » ou « révisionnistes ». La question de la lutte des prisonniers politiques, juste et légitime, est dans ce schéma le vecteur de l’expression de la contradiction fondamentale, ce qui est déjà simpliste et beaucoup plus discutable.
L’ensemble de leur pratique vise à découper une « frange radicale » visant à les renforcer comme courants plutôt qu’à créer les conditions d’une lutte de masse réelle et prolongée. Cette pratique est incapable d’inverser le rapport de forces ni même d’obtenir des luttes partielles victorieuses et encore moins de donner un nouveau souffle au mouvement étudiant. La difficulté de ces courants et de leurs alliés à construire sur le terrain politique une organisation commune, y compris à l’extérieur des facultés, témoigne de l’impasse d’une vision idéologique de la lutte, qui au nom de la défense du marxisme léninisme, occulte la nécessité de définir des tâches politiques fondamentales. Car cette « défense » ne donne en soi, aucune clef, pour élaborer une orientation concrète qui tienne de la complexité de la lutte des classes et des taches. Cette approche est en deçà des débats qui ont structuré le mouvement marxiste-léniniste dans ses premières années. Par contre, la lutte sur l’interprétation de l’héritage, qui par définition ne saurait être monolithique, ne suffit pas à éclairer le chemin de l’avenir et peut aboutir, et c’est le cas, à de nouvelles lignes de fractures….Au delà, la tendance est de soumettre le « mouvement réel « à la logique d’auto-affirmation au lieu de partir à chaque étape des intérêts généraux du premier. L’état actuel de l’UNEM en est l’illustration malheureusement dramatique.
Les courants marxistes révolutionnaires : la situation des groupes qui se réclament ou sont liés à un degré ou un autre à la IVe internationale n’échappent pas à ce panorama générale. Au-delà de la combativité de ces camarades sur une série de terrains, leur apport propre à la réflexion générale sur les combats nécessaires, leur rôle dans la construction de la solidarité internationale et locale et dans certains mouvements, l’effort, y compris de faire connaitre des aspects peu connus, au Maroc sur l’histoire du mouvement ouvrier internationale, ils sont confrontés à des difficultés majeures.
L’une d’entre elle porte sur la contradiction entre l’insistance à construire une force qui se revendique de la continuité de l’histoire, y compris ou même principalement en référence aux leçons du passé, et les enjeux de la période actuelle dans ses dimensions internationales et locales. Cette contradiction a aboutit à des divisions internes. La première dimension aboutit à une orthodoxie formelle et assez idéaliste avec le présupposé, que si la gauche radicale a historiquement failli, c’est en raison de son orientation ( « maoïste « et « stalinienne » ) et qu’il suffit en quelque sorte de faire connaitre par la propagande, les « véritables » leçons du passé pour construire une organisation sur des bases « claires ». Ce sont les idées justes ou fausses qui déterminent l’identité concrète. De Lénine, ne sera retenue que les leçons parfois interprétées d’une manière sommaire, de « Que faire ? », bien que très rapidement leur auteur a expliqué qu’il s’agissait avant tout du contexte russe, et que ce livre a été écrit dans une conjoncture politique précise. Depuis l’histoire a montré qu’il n’existe pas de formes organisationnelles absolues et que le combat pour l’indépendance de classes peut connaitre des expressions politiques plus complexes et diverses.
Cette approche est paradoxalement assez contradictoire avec les développements politiques et théoriques de la IVe internationale depuis la chute du mur de Berlin, insistant sur la nécessité, sans modèle clefs en main, d’« un nouveau programme et d’un nouveau parti » dans le cadre d’une « nouvelle période », y compris en laissant ouverte un certain nombre de questions stratégiques. Et même bien avant, en rejetant les conceptions d’une accumulation linéaire des forces par une simple transcroissance des noyaux révolutionnaires qui, par eux même, arriveraient à fusionner avec l’avant-garde de lutte. Au profit d’une approche plus complexe attentive aux recompositions sociales et politiques qui émergent dans le mouvement réel. Elle aboutit en réalité à une indétermination du projet politique concret à la fois dans le contexte particulier du Maroc et dans la période internationale que nous vivons, bien différentes que l’époque de Lénine et de Trotski.
Cela aboutit à une conception de l’unité qui se limite à la collaboration critique sur le terrain du travail de masses et des mobilisations mais qui exclut d’emblée le terrain de la construction politique de l’alternative, ignorant pourtant, élément décisif dans la tradition de la IVe internationale, la reconnaissance de la pluralité objective de courants révolutionnaires et anticapitalistes. Cela aboutit à une approche profondément propagandiste et activiste de la construction en décalage avec les besoins réels de la situation. Or aucune construction politique ne peut aboutir simplement en mettant l’accent sur ce qui différencie, sans chercher, malgré les différences ce qui est nécessaire et commun, là aussi en partant non pas de traditions figées, mais réinvestis dans un projet nouveau, qui ne soit pas seulement le replâtrage de l’ancien.
C’est aussi cela le succès de courants trotskystes ouverts qui ont participé, dès sa fondation et même ont été moteur, dans ce processus en Espagne avec Podemos et en Grèce avec Syriza. C’est sous des formes inachevés et sous-jacent, le débat qui oppose Almounadila et Tahaddi, cette dernière avançant la perspective d’une nouvelle représentation politique des classes dominées qui va bien au-delà du fait de changer les directions existantes ou de simplement renforcer la gauche radicale telle qu’elle est, mais d’intégrer la nécessité d’une reconstruction d’un nouveau mouvement ouvrier et populaire. Dans lequel, la question de la démocratie n’est pas seulement un résumé des tâches que la bourgeoisie locale ne peut assumer mais le cœur d’une nouvelle praxis révolutionnaire. Reste que y compris cette proposition plus ouverte reste largement inachevée et nécessite une élaboration plus globale sans quoi le risque de repli ou d’éclectisme peut s’imposer.
Dans une certaine mesure, la crise de la gauche, quel que soit ses orientations et ses composantes, est le produit de décennies de recul et de défaites qui aboutissent soit à des replis sectaires (eux-mêmes diversement cristallisés) ou à des tendances à l’adaptation au système (eux-mêmes divers). Et au-delà, à une incapacité commune à reformuler un nouveau projet d’émancipation mobilisateur, capable de réveiller l’enthousiasme de nouvelles générations et de redonner confiance aux secteurs populaires.
Dépasser cette situation est possible. La gauche de lutte a un capital militant et un réservoir de sympathie. Il existe aussi toute une catégorie de militants, anciens ou nouveaux, qui n’ont pas ou plus d’engagement partisan, mais sont proches dans le travail de masse de la gauche radicale. Mais il est nécessaire pour elle, d’abord de se regrouper d’une manière organique dans un cadre démocratique et pluraliste qui cherche à aller au delà de la simple addition de telle ou telle composante. Il est nécessaire d’assurer un renouvellement radical des pratiques pour que la place des jeunes et des femmes soient réelles et en phase avec la société réelle. il est nécessaire qu’une nouvelle génération s’empare, en forgeant sa propre expérience, de la construction politique.il est nécessaire de rompre avec les formes de démocratie formelle et de « centralisme démocratique » qui n’ont de démocratique que le nom, quand se maintiennent des directions instituées de longue date, parfois depuis plusieurs décennies, les formes hiérarchisées dans les rapports militants, l’esprit suiviste.
Il est nécessaire de réinventer un rapport différent au mouvement social, pas dans les discours, mais dans la pratique réelle : la construction d’une nouvelle représentation de celles et ceux d’en bas doit nous amener à changer nos pratiques militantes et organisationnelles, en partant des expériences de luttes, en nous ouvrant à toutes les confrontations politiques, en travaillant aux convergences de toutes ceux et celles qui sont les éléments essentiels pour cet objectif. Elle doit y compris rénover son langage, son profil général pour porter au cœur de la société, l’exigence de l’insoumission et de la rébellion.
Allons même plus loin. Ne commençons pas par dire que ce sera un parti, compte tenu des expériences de ce siècle, les formes d’organisation démocratiques seront inévitablement neuves, se construiront en avançant. Ne commençons pas à définir un programme d’en haut qu’il faudra expliquer, il se construira à partir des besoins, des préoccupations, des luttes et sera bien plus riches que tout ce que nous pouvons écrire même s’il faudra se mettre d’accord sur un certain nombre d’axes. Mais pour reconstruire ; il faudra du neuf, de nouvelles perspectives historiques même si nous ne partons pas de zéro et que bien des leçons de l’histoire restent essentiels et utiles. Mais il est temps de tout remettre à plat, d’avoir de convictions plutôt que de certitudes, d’accepter de discuter des bilans, non pas dans une logique de concurrence ou d’affirmation mais pour voire ce que l’on garde, ce que l’on développe et invente et ce qu’on laisse de coté. Loin de tout conservatisme d’organisation, loin de tout fétichisme du passé (ou d’expériences actuelles). Constatant seulement qu’à ce jour, que les expériences qui ont eu une certaine dynamique populaire durant ces 10 dernières années se sont appuyés sur de nouvelles forces et pas sur les partis traditionnels du vieux monde politique de gauche ou d’extrême gauche...
Il s’agira surtout d’accompagner ce rapprochement en radicalisant la volonté de rompre avec l’absolutisme et le règne du capitalisme et ce monde tel qu’il est. Non pas une radicalisation verbale et abstraite mais en ouvrant les espaces de participation et d’auto organisation à la base pour reconstruire une autonomie et volonté de lutte politique. En mettant la question sociale, et pas seulement les formes de domination politique, au cœur de la reconstruction d’une conscience de classe et du travail politique de masse, avec pour fil conducteur la lutte globale contre l’austérité sous toutes ses formes et l’exigence d’une démocratie réelle et globale, qui va bien au delà de l’affirmation constitutionnelle de droits... En occupant, sans vision de luttes principales ou secondaires, tous les terrains de lutte contre les oppressions et discriminations, comme élément essentiel de la confrontation globale. En discutant du sujet révolutionnaire qui, à la lumière des processus réels, ne saurait être homogène et unique, mais regroupe une pluralité de forces sociales, et dans un contexte, où le prolétariat a plusieurs réalités et visages. . En prenant à bras le corps, la discussion sur le « socialisme démocratique » (peu importe le nom s’il y a du contenu) que nous voulons et les mesures que le peuple devra prendre pour satisfaire durablement ses revendications. En posant ouvertement la question du pouvoir et de la révolution même si nous ne savons pas de quelle manière elle aura lieu.
La gauche ne connaîtra jamais d’avancée qualitative si elle est perçue seulement comme une force de résistance utile au jour le jour. Et le faire dans et avec le peuple. En prenant aussi à bras le corps la discussion sur le type d’organisation nécessaire, en faisant la démonstration pratique que nous ne sommes ni comme les autres, des politiciens professionnels (même si on veut le changement) ni englués dans une logique de boutique, en rendant attractif à une échelle large, l’engagement organisé. Nous avons besoin de dépasser l’héritage de la défaite à tous les niveaux. Et à faire radicalement du neuf en dépassant ce que nous sommes et d’où on vient et en s’ouvrant aux nouvelles générations. En réalité nous n’avons pas d’autre choix que l’unité et le renouveau même si on sait que l’unité ne concernera pas tout le monde et que le renouveau sera long et complexe. L’autre issue, tout le monde la connaît, la montée en puissance des égorgeurs et des obscurantistes et le maintien de la barbarie despotique au service d’un capitalisme prédateur. L’avenir de la gauche ne dépend que d’elle.
Lotfi Chawqui 9 août 2015
* « Où va la gauche marocaine ? ». Taharour :
http://www.taharour.org/?ou-va-la-gauche-marocaine -
« Guerre de civilisations ». Mais quelle civilisation ? (CCR)
Déclarations de Valls après l’attentat en Isère
Après avoir rencontré les officiels colombiens, dont les généraux ont été accusés par les organisations de défense des Droits de l’homme de crime contre l’humanité contre des paysans dans le cadre de la « guerre contre le narco-trafic », Valls a écourté sa tournée en Amérique latine dès qu’il a été informé du meurtre et de l’attentat manqué de St-Quentin-Fallavier en Isère. A peine de retour dans l’Hexagone, le Premier ministre a fait la une des médias en parlant de « guerre de civilisations ». Simple glissement sémantique irréfléchi ? Ou déclaration confirmant les dynamiques plus profondes à l’œuvre sur la scène politique française, et au sein du gouvernement ?
A la recherche de l’esprit du 11 janvie
En dépit des appels répétés de l’exécutif en ce sens, la série d’attentats de vendredi dernier, et spécialement celui, manqué, de l’usine Air Products, mais marqué par la décapitation par le principal suspect de son employeur la situation n’a pas du tout suscité le climat d’« unité nationale » que le 11 janvier avait en revanche engendré.
On ne les y reprendra pas deux fois. Si le gouvernement entend faire feu de tout bois pour faire de la politique et surenchérir dans son tour de vis sécuritaire, la droite fait de même, accusant l’Elysée, Matignon et la Place Beauvau de ne pas faire assez. Dans la poursuite de la lepénisation de l’exécutif socialiste, il ne restait pas d’autre choix à Valls que de faire dans la surenchère.
En ayant recours à la logique traditionnelle de l’extension géographique et temporelle de la « menace terroriste », qui n’a rien à envier aux pires discours de Bush à la Maison Blanche après le 11 Septembre 2001, Manuel Valls n’a pas hésité à martelé que « Désormais la menace est partout », qu’« elle va durer pendant des années », que « le terrorisme [est sans] frontière » et qu’il s’est transformé en « une guerre globale ».
Rien de mieux pour instaurer l’idée que nous serions en guerre, qu’il faut faire corps avec le gouvernement, suspendre tout bisbille et dissension, au niveau politicien, certes, mais, plus généralement, dans la société, et naturellement que tout un chacun accepte et soutienne le déploiement militaire généralisé à l’intérieur du territoire, continuité ou reflet de la politique extérieure française. La Vigipiraterie s’inscrit en effet dans la droite lignée de la politique étrangère menée par Hollande depuis trois ans. L’Elysée a engagé la France au Mali et en Centrafrique et était prêt à le faire en Syrie, Hollande ayant lui aussi été tenté par le lexique martial et moral des néoconservateurs , se déclarant prêt à « punir » Bachar al-Assad et à « détruire »les terroristes dans le Sahel.
Regagner l’opinion par la peur
Les socialistes continuent à user de la logique qui consiste à combler les brèches béantes existantes avec « l’opinion publique » en alimentant la peur et l’insécurité. Rien de mieux, quand un président dévisse dans les sondages, que d’être en guerre, qu’il s’agisse d’un confit extérieur ou interne, face à un ennemi qui pourrait être partout et qui est tout désigné, même lorsque le chef de file des socialistes, Cambadélis, appelle à « ne pas faire d’amalgames » : les musulmans. C’est ainsi que Valls s’est livré à une défense et une illustration de la dernière Loi sur le Renseignement, rappelant que dès le début du quinquennat, alors qu’il était au ministère de l’Intérieur, à l’occasion du vote de la première loi antiterroriste (doublée, depuis, d’une seconde), il avait évoqué la menace« des ennemis de l’intérieur » tout autant que « des ennemis de l’extérieur ».
Ce qui se cache derrière Daech
Valls a bien sûr attaqué l’État Islamique (EI), celui-ci voulant « imposer son idéologie et, comme on le voit en Tunisie, annihiler tout modèle démocratique ». De fait Daech serait, au bas mot, derrière certains des attentats et des massacres de vendredi (Koweït, Somalie, Tunisie et Kurdistan syrien). Mais ce que Valls s’est bien gardé de souligner, c’est la responsabilité écrasante de l’impérialisme dans l’émergence de l’EI sur la scène proche et moyen-orientale.
Comme l’écrit C. Cinatti, « dire que Washington et ses alliés seraient à l’origine de l’État Islamique reviendrait à avoir une lecture simpliste et complotiste d’un phénomène complexe. Il n’en reste pas moins que les États-Unis et ses partenaires ont largement contribué à l’émergence de Daech. Avant l’intervention anglo-américaine de 2003, tout d’abord, ni Al Qaeda en Irak ni Daech n’existaient. Par ailleurs, comme l’ont rapporté dernièrement plusieurs médias anglo-saxons, dont The Guardian, l’Agence d’Intelligence de Défense (DIA) américaine signalait dès 2012 la possible émergence d’une « principauté salafiste » en territoire syrien, considérée comme une opportunité, par l’administration étasunienne de façon à isoler stratégiquement le régime de Assad ainsi que l’Iran, bien qu’au risque de déstabiliser, par la même occasion, l’Irak. C’est en ce sens que l’on peut dire, sans se tromper, que la situation actuelle au Proche et au Moyen-Orient est le sous-produit de l’échec de la "guerre contre le terrorisme" lancée par George Bush en réponse aux attentats du 11 septembre 2001 et qu’Obama a poursuivie au cours de ses deux mandats. »
Ce que ne dit pas non plus Valls, c’est que l’EI ne fait que singer, de façon encore plus barbare, les pratiques courantes des pétromonarchie du Golfe, agents centraux de la contre-révolution contre les « Printemps arabes » et à qui Daech dispute le monopole d’une fraction de la représentation sunnite.
Exécutions au sabre, coups de fouet, crucifixions. Les amis saoudiens de Hollande sont en effet coutumiers de ces pratiques depuis des décennies. Quant au maréchal-président al-Sissi, reçu en grandes pompes par Hollande en novembre 2014, il aurait un certain savoir-faire à partager en terme de répression barbare, lui dont les hommes ont tué, après le coup d’État de juillet 2013, 1000 opposants liés au Frères Musulmans en une seule journée.
De quelle civilisation parle-t-on ? Pas de la nôtre
Mais par-delà ces constations élémentaires, de quelle « civilisation » parle Valls ? Quelle « civilisation » aurions-nous à défendre avec lui ?
La république de la chasse aux migrants ?
La France de la guerre d’Algérie, où Hollande s’est rendu encore dernièrement pour piloter la transition très antidémocratique d’un Bouteflika grabataire ?
La France des viols en Centrafrique, perpétrés par les troupes d’occupation aux ordres de Hollande ?
De la « civilisation judéo-chrétienne » comme l’a explicitement dit le 28 juin Julien Dray dans Le Figaro, prenant un semblant de distance avec Valls en rappelant que « les premières victimes du djihadisme, ce sont d’abord les communautés musulmanes dans différents pays », mais qui, précisant qu’il « ne croi[t] pas que la civilisation arabo-musulmane soit un risque pour la civilisation chrétienne », accrédite du même coup l’idée de deux civilisations distinctes, pour l’essentiel homogènes et potentiellement ennemies, et donc contribue à essentialiser ce qu’il prétend combattre ?
Ni trêve, ni armistice pour le gouvernement et les patrons
Encore une fois, c’est la grosse fanfare de « l’union sacrée » et du « pacte républicain » qu’on essaie de nous rejouer, car, face au terrorisme, face aux Merah, Kouachi, Coulibaly et Salhi, nous devrions être « unis et rassemblés », parce que les « polémiques et les divisions nous affaiblissent » a-t-il au Journal du Dimanche le 27 juin, cherchant dans ce même entretien alors à minimiser sa déclaration en précisant que « Nous ne sommes pas en guerre contre l’Islam », mais contre « un islamisme obscurantiste et totalitaire ».
C’est le piège qui nous est tendu, pseudo-nuances après coup à l’appui pour ne pas perdre prématurément ce qui lui reste de base dans le « peuple de gauche », avec lequel la gauche gouvernementale essaie de se refaire une santé, la droite tentant au même moment, sur le même terrain, de faire oublier ses difficultés et ses dissensions.
Face à un Hollande chef-de-guerre, alors que l’énième attaque contre le Code du travail est prévu avec le vote des sénateurs du Projet de loi sur le dialogue social et l’emploi, aucune armistice du monde du travail et de la jeunesse n’est concevable si l’on veut envisager la possibilité d’une nécessaire contre-attaque de notre classe. Une contre-attaque qui puisse non seulement mettre un coup d’arrêt à ces politiques, mais aussi dessiner la perspective d’une société absolument différente, ayant aboli la domination de classe, et qui serait organisée de sorte que l’ensemble des besoins sociaux puisse être rationnellement satisfaits. S’il y a une civilisation pour laquelle notre classe doit se battre, c’est celle-ci et nulle autre. Publié le 29 juin 2015 Emmanuel Barot et Jean-Patrick Clech
http://www.revolutionpermanente.fr/Guerre-de-civilisations-Mais-quelle-civilisation
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Il n’y aura pas de Simón Bolívar pour le monde arabe (Info Palestine)
Des Palestiniens se réunissent en hommage au défunt Président vénézuélien Hugo Chavez dans la Ville de Gaza le 7 mars 2013 - Photo : AFP
La gauche arabe aurait survécu si elle s’était affirmée sur de solides plateformes sociales, mais les regrets du passé ne suffiront pas à raviver la marée socialiste dans le monde arabe, écrit Ramzy Baroud.
Un groupe d’étudiants m’a récemment demandé de parler du socialisme dans le monde arabe. Ceci avec l’hypothèse de départ qu’il y a en effet un tel mouvement capable dans cette région de refondre des régimes par nature incompétents et totalement corrompus. Mais aujourd’hui un tel mouvement ou un ensemble d’organisations socialistes, n’existent que sur le papier.
Je me souviens d’une intervention que j’avais faite à Londres peu après que le Hamas ait été assiégé à Gaza en 2007.
« Le Hamas est le plus grand et le plus efficace mouvement socialiste en Palestine », ai-je dit à la surprise de certains et avec le visible assentiment d’autres. Je ne me référais pas à l’adhésion du Hamas à la théorie marxiste, mais plutôt au fait que c’était le seul mouvement politique et populaire qui par certains côtés avait réussi à diminuer la fracture entre les diverses classes sociales et économiques en les réunissant sur un programme politique radical.
Par ailleurs, c’était un mouvement en grande partie composé de fellahins (paysans) et de travailleurs de Palestine en majorité issus des camps de réfugiés. Si on les compare aux mouvements « socialistes » isolés, élitistes et en grande partie issus des milieux urbains en Palestine, la grande masse des islamistes dans les territoires occupés est aussi socialiste qu’un mouvement peut l’être – du moins dans ces circonstances.
Mais que devais-je dire à ce groupe d’étudiants, fait de jeunes et enthousiastes socialistes désireux d’assister à la montée en force du prolétariat ?
Un point de départ serait qu’il y a une différence entre le socialisme occidental et le « le socialisme arabe », qui est une expression inventée par les nationalistes arabes au début des années 50.
Une fusion entre les mouvements nationalistes et socialistes avait commencé à prendre forme, abou- tissant à la formation des partis Baas en Syrie et en Irak. L’idée était à l’origine portée par Salah al-Din al-Bitar et Michel Aflaq, fondateurs du parti Baas.
Beaucoup de nationalistes arabes étaient réticents à l’égard du socialisme dans sa version occidentale. Non seulement était-il intellectuellement à l’écart des contextes culturels et socio-économiques des peuples arabes, mais il était aussi peu ouvert sinon totalement chauvin. Beaucoup de socialistes occi- dentaux ont idéalisé la création et la signification d’Israël, une implantation coloniale qui réunit depuis plusieurs décennies les forces coloniales et néo-coloniales dans leur opposition aux aspirations arabes.
Mais le nationalisme arabe a également échoué, n’offrant aucune alternative assez puissante et ne proposant en pratique aucun changement sérieux de paradigme. Hormis quelques réformes agraires en Egypte après la révolte de 1952 contre le pouvoir royal - entre d’autres initiatives - le socialisme arabe n’a jamais pu s’extraire des idéaux sonnant bien ni des influences extérieures qui s’acharnaient à contrôler, influencer ou écraser ces mouvements.
Plus tard, cet échec est devenu bien plus marqué alors que l’influence de l’Union Sovié- tique commençait à s’affaiblir vers la fin des années 1980, jusqu’à son effondrement complet au début des années 90. Les socialistes arabes, qu’il s’agisse des gouvernements qui adoptèrent ce slogan ou d’organisations qui gravitaient autour des objectifs soviétiques, dépendaient trop de ces relations. Les Soviétiques se retirant de la scène, ils leur fut difficile de survivre à la domination de plus en plus pesante des Etats-Unis.
Cependant, cet échec n’était pas simplement le résultat de la disparition du bloc socialiste et de la refonte de la géopolitique régionale, mais il était également lié au fait que les pays du Moyen-Orient - sous l’influence ou en raison de la pression des hégémonies occidentales – vivaient une remise en cause. C’était la période de la montée en force de l’alternative islamique. C’était pour une part une réelle tentative de galvaniser les ressources intellectuelles de la région elle-même, et aussi dépendant de financements venant des riches pays arabes du Golfe et qui avaient pour fonction de garder sous contrôle cette vague islamique.
C’était l’époque où le nouveau slogan : « l’islam est la solution », devint dominant et s’imposa dans la psyché collectif de divers groupes intellectuels arabes musulmans dans l’ensemble du Moyen-Orient et au-delà, car il semblait une tentative de se rattacher aux propres références historiques et culturelles de la région. L’argument général était : le modèle américano-occidental comme le modèle soviétique ont échoué ou échouent en même temps que les régimes à leur botte, et il y a un besoin urgent d’une alternative.
Le socialisme arabe aurait pu survivre s’il s’était en effet appuyé sur des plateformes sociales fortes, relayées et soutenues par de larges mouvements populaires. Mais cela n’a pas été le cas.
D’une façon générale, il y avait une présence intellectuelle relativement forte de la gauche dans le monde arabe. Mais la gauche intellectuelle n’a jamais réellement franchi le pas du monde des théories et des idées - qui était l’apanage des classes instruites – vers le monde du travail ou avec les paysans et les hommes et femmes de la rue. Sans mobilisation des travailleurs, des paysans, et des masses opprimées, la gauche arabe avait peu à proposer excepté une rhétorique en grande partie exempte d’expérience pratique.
Il y avait naturellement des exceptions dans chaque pays arabe.
Les premiers mouvements socialistes en Palestine avaient une forte présence dans les camps de réfugiés. Ils étaient des pionniers dans toutes les formes de résistance populaire, une situation qui peut être expliquée par le caractère unique de la situation palestinienne et qui était assez contraire à la tendance plus générale dans la région.
Une chose importante à noter est que l’oppression tend à unir les groupes opprimés, aussi insurmontables que paraissent être leurs différences idéologiques. Du fait de cette oppression commune entre l’islam politique et la gauche radicale, il y avait un certain degré d’affinité entre les militants des deux groupes alors qu’ils partageaient les cellules de prison, étaient côte à côte torturés et humiliés.
Le tournant, cependant, pourrait bien être le début des années 1990 quand l’Union Soviétique s’est effondrée. Cela a ouvert un large espace politique tandis que l’argent du pétrole continuait à affluer. Beaucoup d’universités islamiques ont vu le jour partout dans le monde, et des dizaines de milliers d’étudiants à travers le Moyen-Orient ont bénéficié d’une formation supérieure dans divers domaines, depuis la charia islamique jusqu’à l’ingénierie.
Regardez le mouvement du Hamas à Gaza. Plusieurs de ses dirigeants et membres sont éduqués dans des domaines comme l’ingénierie et la médecine, et ce trait est commun à beaucoup de partisans des groupes islamiques en Palestine, en Egypte, au Maroc et ailleurs. Ainsi l’hégémonie dans l’éducation et l’articulation des discours politiques n’était plus aux mains des élites politiques ou intellectuelles. Et d’autre part, un programme politique faisant références aux idéaux islamiques était né.
Avec le temps, les socialistes ont été confrontés à des choix difficiles : ou vivre aux marges de la société - imaginez un intellectuel communiste non-conformiste et stéréotypé dans un café au Caire théorisant sur tout - ou rejoindre les ONGs et les institutions officielles ou semi-officielles afin de rester financièrement à flot ou dans le coup. Ceux qui ont opté pour ce dernier choix ont dû faire des compromis dans la mesure où certains d’entre eux sont maintenant des porte-parole pour les régimes mêmes qu’ils ont par le passé combattus.
Par conséquent, le pouvoir politique des socialistes en tant que groupe a considérablement diminué tout au long des années. Étant plus institutionnalisés, ils se sont encore plus éloignés des masses au nom desquelles ils ont pourtant continué à s’exprimer. En Egypte, il est difficile d’y trouver une seule organisation de gauche qui soit puissante et active. Il y a des « gauchistes » mais leur rôle se limite à tenter d’agiter le paysage politique actuel.
Le rêve à lui seul ne fera pas revivre une vague socialiste dans le monde arabe. Il y a peu de signes que le déclin soit prochainement inversé, ou qu’une interprétation locale du socialisme - pensez au mouvement considérablement réussi du bolivarisme en Amérique Latine – puisse rapprocher des objectifs nationalistes et des idéaux socialistes dans un mélange qui puisse fonctionner.
Mais le Moyen-Orient vit son plus grand bouleversement politique et social de ces cent dernières années. De nouvelles variables s’ajoutent régulièrement à l’équation multiforme. Tandis que le présent demeure sinistre, l’avenir semble porter en gestation de grandes possibilités.
* Ramzy Baroud est doctorant à l’université d’Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net