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Les images accompagnant la chute des derniers quartiers libres d’Alep-est provoquent à juste titre des protestations dans le monde, hélas pas partagées par tous les leaders politiques. L’évacuation de près de 80 000 habitants et des combattants qui restaient encore dans ce minuscule réduit se fait dans les conditions les plus difficiles…
Après des mois de siège et des semaines d’assaut militaire, les habitants d’Alep ont dû se résoudre à accepter de quitter la ville, comme les insurgés syriens ont été obligés de le faire auparavant à Homs, Daraya et Zabadani… Ils n’ont pu résister aux bombardements incessants avec l’aide des avions russes, à la destruction de toutes les infrastructures et moyens de subsistance, et aux offensives au sol des troupes du régime et des milices dirigées par le pouvoir iranien de Khamenei/Rohani.
Le régime voulait que la reddition se passe sous son contrôle total en direction d’Alep-ouest, avec à la clé la disparition ou l’enrôlement forcé de nombreux hommes dans l’armée de Damas. Mais les insurgés et l’augmentation de la mobilisation dans le monde ont obtenu que l’évacu- ation finale se fasse vers la zone hors du contrôle du régime, au nord-est d’Alep. Cependant les plus grandes incertitudes continuent de régner sur cette évacuation de milliers d’habitants laissés dans le dénuement le plus total, et qui vont dans une zone qui sera probablement la prochaine cible de Bachar el-Assad.
Crime contre l’humanité
Le régime syrien est en fait résolu à éliminer toute opposition, à n’importe quel prix. Les innombrables crimes de guerre qu’il a commis (emploi d’armes interdites dont les armes chimi- ques, exactions multiples contre les populations civiles et les combattants désarmés, contre les infrastructures et personnels médicaux, abandon de toute protection des populations) consti- tuent un crime contre l’humanité se déroulant sous les yeux du monde, avec la complicité ou la passivité de quasiment tous les gouvernements.
Presque jusqu’au bout, les habitants d’Alep-est ont espéré un cessez le feu qui serait imposé par une « communauté internationale » sensible à leur martyr. Bien sûr, c’est l’alliance du régime avec Poutine et le pouvoir iranien qui les a écrasés sans aucune pitié. Mais cette alliance n’a fait que porter à l’apogée les outils géopolitiques accumulés depuis des années par toutes les grandes puissances : les justifications étatsuniennes, mais aussi britanniques et françaises aux interventions militaires massives dans le tiers monde au nom de la défense de leurs intérêts étatiques et de la « guerre au terrorisme ».
En ce même nom, le renoncement à l’essentiel des protections juridiques des législations portant sur les droits humains (torture, exécutions extra-judiciaires, emprisonnements sans procès, etc.). Pour justifier ces crimes, le droit à la désinformation médiatique la plus cynique. Et pour garantir ces politiques, le droit de veto à l’ONU qui permet à cinq grandes puissances de s’arroger la vie et la mort de populations entières.
Admiration, complaisance et aveuglement
Dans ce contexte, il faut dénoncer les prises de position scandaleuses de Marine le Pen et de François Fillon. Ils admirent Poutine pour sa capacité à incarner un pouvoir fort, qui ne s’em- barrasse pas de contingences « droits-de-l’hommistes » et qui défend sans états d’âme la « civilisation chrétienne ». En bons héritiers du colonialisme, ils assument que les peuples de la région arabes doivent être dirigés d’une poigne de fer.
Hélas, nous voyons à gauche des discours tendant à converger avec ce position- nement, remettant en cause les informations les plus vérifiées par les médias, cela au nom des manipulations passées. Malgré sa propension à jouer les victimes, avec d’autres, Jean-Luc Mélenchon persiste à propager le mensonge selon lequel il n’y aurait plus de démocrates dans la résistance à Assad, que les combattants d’Alep sont tous « les assassins de Charlie », voire assimilables à « des Waffen-SS »… passant par pertes et profits le fait que Daesh a été chassé d’Alep en 2014 ! Bref, qu’il n’y a plus rien à défendre dans l’insurrection syrienne. Les tortures et massacres de masse du régime sont relativisés, le fait que les bombardements du régime et de ses alliés épargnent Daesh pour se concentrer sur les zones où existent des coordinations citoyennes est nié.
Leur hypocrisie, nos solidarités
Mais nous ne sommes pas dupes des larmes hypocrites des membres du gouvernement socialiste qui disent défendre le peuple syrien, alors qu’ils en avaient le pouvoir et n’ont rien fait. Ni pour permettre aux Syriens insurgés de se défendre, ni pour empêcher l’aide humani- taire d’être accaparée par l’appareil du régime massacreur, ni pour accueillir dignement les centaines de milliers de réfugiés qui fuyaient la guerre en espérant trouver un asile, même provisoire, dans les pays d’Europe.
Nous ne devons pas nous résigner à accepter la perte de l’humanité élémentaire qui, seule, offre l’espoir d’un avenir meilleur.
Il faut saluer et amplifier les mobilisations citoyennes en solidarité avec les habitants d’Alep, exiger l’arrêt immédiat de tous les bombardements au Moyen-Orient, qui ne règlent en rien le problème de la montée de courants terroristes. Nous devons exiger la fin des sièges des villes syriennes, l’envoi d’aide humanitaire d’urgence. Nous devons consolider des liens de solidarité concrets avec les démocrates syriens. Et nous avons besoin d’une révolution complète des institutions internationales comme l’ONU, qui ne servent aujourd’hui qu’aux puissants.
Le régime syrien de Bachar Al-Assad est un système « autiste » qui « s’est construit pour n’avoir aucune interférence avec la population », analyse Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po.
La personnalité du dictateur y est aussi pour quelque chose, selon ce spécialiste de la Syrie, qui le qualifie de personne « à l’intelligence assez limitée ».
M. Filiu estime également que le rapport de force entre Bachar Al-Assad et son allié Vladimir Poutine n’est pas celui que l’on pense. Le président russe dispose d’une force diplomatique et militaire, mais le maintien du dictateur syrien engage sa crédibilité. Selon lui, si Al-Assad devait partir, « tout le monde considérerait que c’est une défaite pour Poutine. »
VIVE LA SOLIDARITÉ AVEC LA LUTTE DU PEUPLE PALESTINIEN POUR TOUS SES DROITS
Jeudi 15 décembre, des assassins ont tué par balles Mohamed Zouari alors qu’il quittait à bord de sa voiture son domicile à Sfax (pas moins de 20 impacts de balles). Nous, associations démocratiques et les partis politiques de l’immigration tunisienne en France, présentons nos sincères et tristes condoléances à la famille du martyr. Nous dénonçons ce lâche assassinat et toutes les agressions permanentes contre le peuple palestinien et les militants qui soutiennent sa cause, pour ses droits nationaux, contre l’occupant israélien, qui, dans le silence honteux et complice des pays européens mène une politique coloniale abjecte.
RASSEMBLEMENT JEUDI 22 DÉCEMBRE 2016 A 18 HEURES TOUS ENSEMBLE A LA FONTAINE DES INNOCENTS
Fontaine des Innocents - Châtelet Jeudi 22 Déc.2016 à 18h30
MARDI 20 DECEMBRE 2016 A 20H AU BAB ILO *: Toshikuni DOI, cinéaste de premier plan au Japon, sera de passage à Paris pour présenter plusieurs de ses films. Nous présenterons en sa présence, son film documentaire « BRISER LE SILENCE » au BAB ILO LE MARDI 20 DECEMBRE A 20H : Au printemps 2002, l’armée israélienne a...
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Cet article a été publié en version originale anglophone pour la première fois le 12 octobre 2016.
« La plus grande difficulté rencontrée est constituée par l’esprit de néo-colonisé qu’il y a dans ce pays.
Nous avons été colonisés par un pays, la France, qui nous a donné certaines habitudes. Et pour nous, réussir dans la vie, avoir le bonheur, c’est essayer de vivre comme en France, comme le plus riche des Français. Si bien que les transformations que nous voulons opérer rencontrent des obstacles, des freins » (Discours de Thomas Sankara du 4 avril 1986) |1|. – (1949-1987)
« De toutes les régions encore appelées le tiers monde, la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord est celle qui fait face à la crise de développement la plus sévère » |2|. – Gilbert Achar
L'oued Moulouya
Le Maroc est un modèle d’injustice climatique. Alors que ses propres émissions de gaz à effet de serre sont globalement insignifiantes – avec 1.74 tonnes métriques par habitant en 2011 comparé à 17 tonnes métriques aux Etats-Unis (voir Graphique) – le Maroc est parmi les pays les plus vulnérables dans le monde face aux impacts négatifs du changement climatique. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les ressources en eau et l’agriculture.
Comme la plupart des pays non producteurs de pétrole de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), le Maroc est l’un des moins susceptible de s’adapter aux impacts actuels et attendus du changement climatique. Ceci est dû à un manque de démocratie au Maroc, à une corruption endémique, une pauvreté généralisée, un niveau élevé des inégalités économiques, et un faible niveau de l’éducation. Comme l’explique Gilbert Achcar : « de toutes les régions encore appelées le tiers monde, la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord est celle qui fait face a la crise de développement la plus sévère » |3|.
Cet article tend à montrer comment l’État marocain n’a pas de position claire et indépendante relative aux questions environnementales globales et la crise climatique; et n’a pas réussi à développer sa propre stratégie dans le processus de négociation de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ce manque d’indépendance trouve son origine dans l’histoire du colonialisme français et dans la théorie de la modernisation d’après-guerre, ainsi que dans l’alliance des classes dirigeantes marocaines avec le capital étranger.
Est-ce que le régime marocain a une réelle perspective indépendante concernant les enjeux environnementaux dans le monde ?
Le régime marocain ne base pas ses politiques environnementales sur sa position en tant que pays victime d’injustices climatiques. Il ne s’est pas allié à d’autres pays du Sud pour réclamer son droit à la justice environnementale, pour réclamer la reconnaissance de sa dette écologique – une dette écologique historique que les pays du Nord et leurs grandes entreprises doivent à tous les pays pauvres du Sud. Plutôt que de développer sa propre approche en collaboration avec des pays du Sud semblables, le régime marocain continue d’adopter des positions similaires à celles préconisées par les puissances mondiales telles que la France et les États-Unis.
De plus, l’alignement du régime marocain sur les monarchies du Golfe, particulièrement l’Arabie Saoudite, est encore plus troublant en ce qui concerne la position des négociateurs marocains dans les négociations climatiques – en raison de la position très conservatrice de l’Arabie Saoudite dans ces négociations. Saïd Reem Al Mealla, co-fondateur du Mouvement Arabe de la jeunesse sur le climat, a expliqué juste avant la COP 21 à Paris : « La société civile arabe fait pression sur les pays arabes pour prendre une position collective plus forte lors des pourparlers de la COP21 à Paris mais c’est difficile, en particulier pour les États producteurs de pétrole. L’Arabie Saoudite est opaque et refuse de collaborer ce moment. Ils ont embauché une équipe de Relations Publiques pour gérer toute leur communications et nous trouvons qu’il est très difficile de se mettre en contact avec eux » |4|].
Même si le Maroc a pris part à toutes les Conférences des Parties (COPs) depuis leur lancement en 1995, il est difficile d’identifier une stratégie autonome ou une position politique claire chez les négociateurs marocains. Ilest aussi difficile d’identifier les alliés du Maroc : les pays arabes ? Les pays africains ? Le Groupe des 77 |5|, la Chine ? En raison de cette absence de vision claire, « nos » négociateurs sont perdus parmi plus de 20 groupes de pression.
En conséquence, la participation marocaine dans ces négociations n’est pas plus que symbolique. C’est la situation décrite par un négociateur marocain, qui a préféré l’anonymat, et qui a pris part aux négociations de la COP depuis plusieurs années : « Le changement climatique implique un grand nombre de réunions et beaucoup de voyages… On ne peut que s’interroger sur l’utilité de telles réunions. Même lorsqu’un accord est conclu, comme à Kyoto en 1997, l’accord n’est jamais pleinement appliqué et les objectifs ne sont jamais totalement atteints » |6|.
En outre il prétend que : « … ces réunions deviennent un véritable gaspillage de temps et d’énergie. D’après mon expérience, je sais que rien ne se passe avant la toute dernière minute des deux semaines de négociations. Je sais qu’il y aura des décisions décevantes, faites dans des salles cachées entre quelques délégués de pays importants et elles seront annoncées très tôt le lendemain matin »
D’autre part, étant donné l’absence d’une vision claire et l’échec de nos représentants à participer et à agir de manière indépendante, le rôle du Maroc dans la tenue de telles conférences internationales se limite aux questions logistiques ; c’est- un organisateur de fêtes chargé de préparer le lieu de la cérémonie et le décorer, de prendre soin des invités en assurant la restauration et la musique … »
“Le capitalisme vert marocain”
Le fait que les classes dirigeantes du Maroc n’aient pas de perspective claire et autonome sur la crise climatique ne les empêche pas de chercher de nouvelles opportunités pour accumuler plus de profits au nom de la protection de l’environnement.
La plupart des entreprises impliquées dans des projets de développement écologique, tant nationales qu’étrangères ont historiquement été responsables de la pollution de beaucoup d’écosystèmes locaux. Un exemple en est la Société Nationale d’Investissement (SNI), société de portefeuille dont le plus grand actionnaire est la famille royale. Elle se présente aujourd’hui comme un leader dans le développement durable au Maroc, particulièrement dans l’énergie éolienne. Cependant, non seulement son entreprise sucrière Consumar a été impliquée dans des désastres de pollution mais sa branche minière Managem et sa mine d’argent « Imider », localisée dans le sud du Maroc, a provoqué la contamination d’aquifères et elle est toujours en conflit avec la population locale concernant les ressources en eau |7|. La participation des classes dominantes dans les projets « verts » aujourd’hui n’est rien d’autre qu’une continuation des opérations de vol « légitimé », dans lesquels elles ont été impliquées depuis l’indépendance officielle du Maroc. Comme l’a bien décrit Frantz Fanon (1961) dans Les Damnés de la Terre :
« Il arrive que la décolonisation ait lieu dans des régions qui n’ont pas été suffisamment secouées par la lutte de libération et l’on retrouve ces mêmes intellectuels débrouillards, malins, astucieux. On retrouve chez eux, intactes, les conduites et les formes de pensée ramassées au cours de leur fréquentation de la bourgeoisie colonialiste. Enfants gâtés hier du colonialisme, aujourd’hui de l’autorité nationale, ils organisent le pillage des quelques ressources nationales. Impitoyables, ils se hissent par les combines ou les vols légaux: import-export, sociétés anonymes, jeux de bourse, passe-droits, sur cette misère aujourd’hui nationale. Ils demandent avec insistance la nationalisation des affaires commerciales, c’est-à-dire la réservation des marchés et des bonnes occasions aux seuls nationaux. » |8|. Dans notre contexte local, ceci revient à la “marocanisation” du vol des ressources marocaines.
Un discours anti-pastoral
Les classes dirigeantes au Maroc ont hérité du discours environnemental du colonialisme français, qui dans le cadre de sa « mission civilisatrice », a présenté les méthodes de subsistance traditionnelles des indigènes comme inefficaces et nuisibles à la terre. Ce discours prétend que pour conserver la terre et les autres ressources naturelles, la foresterie traditionnelle et les méthodes d’agriculture et de pâturage sur les terres collectives devraient être remplacés par l’agriculture moderne et la propriété privée. Ce discours colonial – appelez-le anti-pastoral, proto-conservateur, moderniste – était premièrement utilisé par les français en Algérie comme une justification technocratique pour déposséder les locaux de leur terre et ressources. Comme l’explique Davis, D.K. (2006):
« [Ce discours] était largement utilisé pour faciliter l’appropriation des terres collectives, un exemple classique de confiscation des biens communs si emblématiques dans le changement des relations sociales avec la nature entrepris pendant cette période du libéralisme classique et de la montée de l’économie mondiale. L’utilisation actuelle de ce discours néocolonialiste par la monarchie marocaine et les acteurs financiers internationaux a facilité la confiscation contemporaine des biens communs ; … l’utilisation de ce récit faisait des éleveurs marocains et des agriculteurs de subsistance comme des « hors-la-loi » … Cela a aussi été utilisé pour changer et réécrire de nombreuses lois et politiques au cours de la période coloniale. Dans ce processus, les usages traditionnels de la forêt et des terres par les Algériens ont été systématiquement criminalisés et la majorité de la population indigène a été marginalisée et appauvrie. Le même récit environnemental fut porté à la Tunisie en 1881 et au Maroc en 1912, avec les même effets.» |9|.
Ce premier discours colonial s’est fusionné avec ce qui est connu à présent comme la Théorie de la modernisation après la Seconde guerre mondiale. Désormais au nom du développement plutôt que de la mission civilisatrice, un nouveau groupe d’institutions financières internationales, telles que la Banque mondiale et le Fond monétaire international (FMI) ainsi que l’USAID, attaquent les formes de propriété collective comme étant inefficaces et poussent plutôt vers un modèle de propriété privée, capitalistique , avec une utilisation intensive de produits chimiques. Malgré que ceci a été présenté comme le chemin vers la prospérité pour tous, il n’a entrainé qu’une hausse des inégalités.
Comme l’explique assez bien K. Davis, ces nouveaux champions de la mondialisation capitaliste … « ont utilisé ce discours pour encourager les réformes dans la gestion des pâturages pendant 30 ans. Invoquant la thèse libérale de la « tragédie des communs » de Garrett Hardin qui prétend que toutes les terres communes seront nécessairement surexploitées et devraient donc être privatisées, l’USAID a fortement recommandée qu’au Maroc « les pâturages collectifs doivent premièrement être confisqués »… L’USAID affirme qu’il est nécessaire de clôturer les pâturages collectifs en raison de sa sévère dégradation, bien qu’il admet « qu’il n’y a pas de données fiables sur le degré de la dégradation actuelle »… Malgré ce manque déroutant de données démontrant le surpâturage et la dégradation des sols, l’USAID a conseillé le Maroc de privatiser les pâturages depuis les années 60 » |10|.
Au cours des deux dernières décennies, un autre discours technocratique de modernisation a émergé et a tenté de se présenté comme « vert ». Aujourd’hui, dans des milieux qui prétendent être progressistes, efficaces et innovants, la gestion environnementale est invoquée pour justifier les attaques sur la propriété collective et publique.
Malheureusement, dans le milieu universitaire marocain et dans les discussions publiques, la question de l’écologie politique est presque entièrement absente. Le fait que la publication et la recherche universitaire reste toujours faible n’aide pas à surmonter le discours dominant sur le « supposé » progrès capitaliste. « En 2009, le nombre de publications scientifiques marocaines n’a pas dépassé les 3100, loin derrière l’Afrique du Sud, l’Egypte, la Tunisie, l’Arabie Saoudite et l’Algérie » |11|.
Que dit la société civile marocaine sur les questions environnementales ?
Si les dirigeants et les classes dominantes sont incapables de développer une perspective indépendante et alternative sur le problème du changement climatique et de la crise environnementale mondiale, alors la question qui se pose est : Y-a-t-il un autre acteur dans le pays qui peut penser à cette perspective alternative, et plus précisément, la société civile est-elle capable de le faire ? Récemment, le Maroc a assisté à l’émergence de milliers d’associations dites de la société civile focalisées sur les problèmes environnementaux. La quantité et les activités de ces associations ont augmenté à l’occasion de l’organisation par le Maroc de la COP22. Le résultat est l’expansion des associations « mercenaires » profitant du sujet de la protection environnementale pour bénéficier de subventions. Par ailleurs, l’État intervient sérieusement pour tenir les ONGs éloignées des enjeux environnementaux majeurs considérés comme politiquement sensibles, et limiter leur champs d’intervention à la simple collecte des ordures et à la plantation d’arbres, comme on le voit dans la campagne de « Boundif » pour le nettoyage des plages |12|.
De plus, certaines organisations environnementales essayent de remédier à la négligence de l’Etat dans différents domaines, et à son incapacité à fournir des infrastructures de base telles qu’alimenter en eau des villages, construire des routes, ou aider les habitants à s’organiser en coopératives pour produire et distribuer des produits locaux.
Au-delà d’une connaissance insuffisante concernant les défis environnementaux mondiaux, un certain nombre de militants considèrent le débat sur ces sujets comme un luxe intellectuel, compte tenu du niveau de pauvreté et du manque de démocratie qui existe actuellement au Maroc. Ce groupe adopte une perspective « mécanique » qui peut être résumée de la manière suivante : nous devons militer d’abord pour établir une démocratie et réclamer des droits économiques et politiques. Quand ces conditions seront remplies, nous pourrons parler de protection de l’environnement et discuter de la crise climatique. Ceci était évident dans les manifestations du mouvement du 20 février, qui n’incluaient pas de demandes claires concernant le problème de l’environnement, à l’exception de quelques slogans liés à la répartition des richesses naturelles. (Voir photo)
Manifestation qui a eu lieu à Rabat en 2011 avec une pancarte où on peut lire ‘nous avons des phosphates et deux mers mais nous vivons une vie de misère »
Un chemin plein d’espoir : Vers un modèle de développement éco-socialiste
En 2009, j’ai participé au Forum Social Mondial (FSM) à Belém, capitale et plus grande ville de l’État de Pará dans le nord du Brésil aux portes du fleuve Amazone. Le forum de Belém était un des FSM les plus réussi grâce notamment à l’implication directe des brésiliens, avec plus de 140.000 participants, en particulier des peuples autochtones |13|]. Cette année-là, le FSM s’était principalement focalisé sur la crise environnementale mondiale, en la considérant comme un des pires aspects de la « crise systémique » et de la « crise de civilisation » auxquels le monde fait face aujourd’hui.
J’ai été témoin et j’ai été impressionné par la façon dont les ONG sociales et environnementales tiraient leurs forces de leur peuple et essayent de développer des alternatives basées sur leurs propres histoires et traditions, sans importer des solutions toutes faites venant de l’Ouest. Inspiré par cela, je crois qu’un défi fondamental auxquels sont confrontés les militants sincères et les ONG dans la région MENA est : comment construire un véritable mouvement de justice sociale et environnementale, relié au mouvement international, mais ne reproduisant pas la même relation néocoloniale avec les puissances occidentales que nos gouvernements maintiennent toujours ?
Le chemin pour construire un réel mouvement de justice environnementale au Maroc sera long et dur, mais il est devenu aujourd’hui à la fois inévitable et nécessaire de le tracer.
La première étape vers la construction d’un tel mouvement est de comprendre consciencieusement les dommages que les modèles de développement adoptés jusqu’à maintenant génèrent dans les systèmes environnementaux. Et ce, en fournissant des analyses critiques à partir d’une perspective de justice environnementale des plans économiques stratégiques qui se déroulent actuellement au Maroc ; et aussi en proposant des alternatives pratiques avec pour objectif de construire un modèle de développement progressiste, c’est-à-dire un modèle éco-socialiste.
Le point le plus important à souligner ici, est la contradiction structurelle entre les ressources naturelles limitées du pays et les choix stratégiques adoptés par les dirigeants du Maroc. La plupart des plans mis en place, tels que le Plan Azur pour le tourisme, le Plan vert marocain pour l’agriculture et le Plan Halieutis pour la pêche, non seulement ignorent l’impact des changements climatiques sur les ressources que le Maroc possède, mais renforcent leur épuisement en encourageant leur surexploitation. Les conséquences déjà visibles et celles potentielles de ces plans sur les ressources naturelles du pays, conjuguées à l’approche économique néolibérale et aux plans d’ajustement structurel mis en place depuis plusieurs décennies, ajoutées aux impacts actuels et futurs du changement climatique, conduisent à une imminente « convergence catastrophique » |14|, et constituent une véritable menace pour la nature humaine et non-humaine du Maroc.
Le second défi pour construire un grand mouvement de justice environnementale est de favoriser les connections et solidarités entre les véritables victimes de l’injustice environnementale locale et mondiale qui luttent chaque jour partout au Maroc pour protéger leurs droits et leurs territoires.
Pour citer quelques exemples :
À Ouarzazate/Imider, les communautés locales luttent depuis 2011 contre la surexploitation et la pollution de l’eau par une entreprise minière, ainsi que pour leurs droits historiques et leur souveraineté sur leurs propres ressources ;
À Bensmim, les villageois ont mené une lutte spectaculaire qui a duré plus de 10 ans pour défendre leurs droits relatifs à l’eau contre une entreprise de mise en bouteille appartenant à une multinationale soutenue par les autorités centrales ;
À Mohamedia, les habitants ont pris position contre un puissant lobby immobilier privé qui voulait “clôturer” et détruire leurs plages, plages déjà altérées par les industries locales, notamment par une digue construite pout les besoins d’importation de pétrole pour la raffinerie « Samir ». Nous devons nous rappeler que cette même raffinerie, la seule au Maroc privatisée dans les années 90, a été conduite vers la faillite début 2016 par ses nouveaux propriétaires privés ;
À Saadia, une coalition d’ONG locales menée par un ingénieur agronome local a révélé l’impact catastrophique d’un mégaprojet touristique peu judicieux qui nuisait à l’écosystème côtier et excluait et marginalisait les communautés locales ;
À Agadir/Ait Melloul, de petites ONG menées par d’anciens membres de l’association des diplômés chômeurs ont réussi à arrêter une usine très nuisible et polluante impliquée dans le recyclage d’huiles de cuisine.
Ces luttes sont, pour moi, une source d’espoir et d’inspiration. L’espoir que nous pouvons construire un grand mouvement populaire de justice environnementale de grande envergure au Maroc. Un mouvement agissant non seulement pour une véritable protection des écosystèmes locaux mais aussi pour une souveraineté réelle et totale des citoyens et des communautés locales sur leurs ressources naturelles et pour leur droit légitime de décider des utilisations appropriées de leur eau, leurs terres, leurs forêts, leur mer et leur soleil.
Casablanca, Octobre, 2016
Traduit par Trommons
Jawad Moustakbal
déc 19, 2016 Attac maroc
Cette publication est une mise à jour d’un article publié par le magazine “Perspectives” « n°9 août 2016 » édité par la Fondation Heinrich Boll.
|4| Pari, T. Here’s why Saudi Arabia is highly unpopular at Paris climate conference. [Online] Updated : December 10, 2015 4:53 pm. Available : http://indianexpress.com/article/bl… [28 May 2016
|5| « Le Groupe des 77 est la plus grande organisation intergouvernementale des pays en développement des Nations unies qui offre aux pays du Sud les moyens d’articuler et de promouvoir leurs intérêts économiques collectifs et de renforcer leur capacité de négociation commune sur toutes les grandes questions économiques internationales au sein de l’ONU et de promouvoir la coopération Sud-Sud pour le développement. » Pour plus de détails, visitez : http://www.g77.org
|6| Cette déclaration a été rédigée par le négociateur dans une présentation textuelle de son expérience personnelle dans ces négociations en faveur des étudiants d’une université américaine en 2014.
|7| Bouhmouh, N & Bailey, K.D. A Moroccan village’s long fight for water rights For four years, residents of Imider have held a sit-in against a mine they say is ruining their livelihoods. [Online]. Available : http://www.aljazeera.com/news/2015/… [28 May 2016
|8| Fanon, F. (2004) ‘On violence’. In : The wretched of the earth. New York : Grove Press. P. 47
|9| Davis, D.K. (2006). Neoliberalism, environmentalism, and agricultural restructuring in Morocco. The Geographical Journal, 172(2), p.93.
|11| Hicham, H. Recherche scientifique : des cerveaux mais des moyens dérisoires. Lavieco newspaper [online]. Available : http://lavieeco.com/news/societe/re… [28 May 2016
|12| Une campagne organisée chaque année par la « Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement » présidée par la princesse royale. Voir : http://www.fm6e.org
La chute d’Alep-Est a-t-elle été accueillie par des scènes de liesse dans les quartiers Ouest?
Les rebelles ont-ils empêché les civils de fuir la ville ? Poutine et Al-Assad ont-ils vraiment lutté contre Daech ? «Libé» trie le vrai du faux dans la grande guerre de l’intox en Syrie.
La Syrie est le théâtre terrible d’une guerre physique dévastatrice, mais aussi d’une guerre médiatique redoutable. Une guerre de mensonges, d’infos bidonnées et de propagande. Une guerre de mots, d’images et de vidéos. Les partisans de l’axe Damas-Moscou-Téhéran y excellent, mais les rebelles et leurs défenseurs utilisent les mêmes armes, à une échelle différente, moins massive. Tentative de décryptage des intox et exploration des zones grises de la post-vérité.
Les rebelles d’Alep sont-ils des terroristes ?
Il y a des jihadistes, mais ils sont très largement minoritaires sur un total de plus de 5 000 rebelles. Le groupe le plus radical est le Jabhat Fatah al-Sham, anciennement le Jabhat al-Nusra, la filiale syrienne d’Al-Qaeda. Dans les quartiers Est d’Alep, ses combattants étaient entre 150 et 250 lors du début du siège de la ville cet été, selon des ONG syriennes.
Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU en Syrie, avance, lui, le nombre de 900 jihadistes du Fatah al-Sham. «Le problème du Fatah al-Sham est qu’ils sont très visibles, explique un directeur d’ONG syrienne qui coordonne ses opérations depuis Gaziantep, en Turquie. Ils donnent l’impression d’être plus nombreux qu’ils ne le sont réellement. Dès qu’ils arrivent quelque part, ils mettent des drapeaux, montent des check-points : ils s’affichent.» Les commandants du Fatah al-Sham affirment qu’ils ne sont plus engagés dans le jihad international et ne souhaitent pas commettre des attentats hors de la Syrie. Mais les services de renseignements occidentaux n’y croient pas. Ils considèrent que la filiale syrienne d’Al-Qaeda est particulièrement dangereuse et reste déterminée à frapper des pays ou des intérêts occidentaux.
Le reste de la rébellion d’Alep-Est est formé de groupes de l’Armée syrienne libre (ASL) ou qui en sont issus.
Ces groupes se sont créés à partir de la fin 2011 en regroupant des soldats qui désertaient l’armée syrienne et des civils. Leur objectif n’a pas varié depuis : ils veulent chasser Bachar al-Assad du pouvoir et sont de farouches opposants de l’Etat islamique. La plupart ont reçu financements et armements de différents Etats, dont la Turquie, les Etats-Unis ou la France. Parmi ces rebelles figurent entre autres Fastaqim, une faction qui n’est active que dans la région d’Alep, Faylaq al-Sham et Jabhat Shamiya, une coalition de brigades.
Les islamistes du groupe Nourredine al-Zenki sont aussi présents. La majorité de ces rebelles sont originaires de la région. S’ils sont présents autour d’Alep, les salafistes d’Ahrar al-Sham ne sont pas dans les quartiers qui étaient assiégés. Installé dans la ville en 2013, l’Etat islamique (EI) en a été chassé début 2014 par une coalition de groupes rebelles. Certains d’entre eux, tel Nourredine al-Zenki, sont par ailleurs engagés au côté de l’armée turque dans des combats contre l’EI à quelques kilomètres à l’est d’Alep. Et s’apprêtent à lancer une offensive contre Al Bab, principal fief de l’EI dans la région.
Poutine et Al-Assad luttent-ils contre l’EI?
Non. Pour la simple raison que les jihadistes de l’Etat islamique ne sont pas présents à Alep-Est. Pourtant, lorsque Vladimir Poutine a lancé l’opération armée en Syrie, le 30 septembre 2015, sous couvert d’une invitation formelle du président Bachar al-Assad à intervenir (contrairement aux Occidentaux, qui ont fait une fois de plus œuvre d’ingérence illégitime, selon Moscou), «l’objectif militaire [n’était qu’]un soutien exclusivement aérien des forces armées syriennes dans leur combat contre l’EI», avait déclaré le chef de l’administration présidentielle, Sergueï Ivanov.
Mais dès le premier jour des frappes, les analystes qui se basent sur des sources ouvertes, tels Bellingcat, ont relevé que les informations délivrées par le ministère russe de la Défense ne correspondaient pas à la réalité du terrain. Selon l’Institute for the Study of War, un think tank basé à Washington, sur près de 150 frappes russes entre le 30 septembre et le 3 octobre, seule une quarantaine ont visé des sites où se trouvaient les combattants de l’EI. Le reste était dirigé contre l’opposition à Bachar al-Assad et quelques-unes contre le Front al-Nusra. Dès le début, le ministère russe de la Défense a choisi de communiquer massivement sur ses opérations, en publiant des vidéos des frappes. Ainsi 43 d’entre elles sont rendues publiques dans les quinze premiers jours. Officiellement, l’Etat islamique a été ciblé 30 fois. Mais seules 36 des 43 localisations ont été confirmées et… l’EI n’a été ciblé qu’une seule fois, selon le think tank Atlantic Council.
Accusé de désinformation par la coalition menée par les Etats-Unis, le ministère russe de la Défense change de stratégie et n’insiste plus sur les cibles de l’EI. Officiellement, la plus grande partie des frappes filmées vise désormais des «combattants» et des «terroristes». Et, de fait, il apparaît que l’Etat islamique n’est pas la cible privilégiée de l’armée russe. Au fil des semaines, l’information délivrée par les autorités russes apparaît de moins en moins fiable. Les briefings au ministère de la Défense se multiplient mais aucun chiffre n’est communiqué, ni sur le nombre exact de frappes russes ni sur la nature des cibles.
Lancée le 15 novembre, l’offensive contre Alep-Est a en outre renforcé l’EI ailleurs dans le pays. Au moins de manière temporaire. Le 11 décembre, les jihadistes ont ainsi réussi à s’emparer à nouveau de Palmyre, d’où ils avaient été chassés neuf mois plus tôt. La cité historique était mal défendue, l’essentiel des forces syriennes d’élite étant mobilisé sur le front d’Alep. Les soldats russes avaient eux aussi quitté Palmyre. Les soldats syriens ont fui devant l’offensive des jihadistes qui ont récupéré des armes lourdes dans les stocks du régime. Depuis, ils ont continué à avancer.
Le «dernier hôpital d’Alep» a-t-il existé ?
«Le dernier hôpital d’Alep»… l’information serait tellement fausse que les soutiens de Poutine se permettent d’ironiser. Ayant l’impression d’avoir lu si souvent que le dernier hôpital d’Alep avait été bombardé, ils remettent en question l’existence même des bombardements à Alep. «C’est intéressant mais le « dernier hôpital d’#Alep » a été « détruit » 15 fois en 6 mois. Record absolu !» a tweeté par exemple un dirigeant du Parti de Gauche le 13 décembre.
Un rapport de 2016 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les attaques contre les systèmes de santé dans le monde révèle pourtant que la Syrie compte le plus grand nombre d’attaques menées sur des infrastructures de santé. Depuis le début de l’année, de nombreux articles ont en effet relaté par exemple que «les deux plus grands hôpitaux d’Alep ont été bombardés» fin septembre, que «le plus grand hôpital d’Alep a été détruit» en octobre, ou encore que «l’un des derniers hôpitaux d’Alep-Est a été détruit» en novembre. En fait, les hôpitaux sont régulièrement et systématiquement ciblés. L’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM) a dénombré 117 attaques sur des infrastructures médicales d’Alep entre mars 2011 et novembre 2016. Depuis le début du conflit, plus de 750 membres des personnels médicaux seraient morts en Syrie, selon l’organisation.
Et si l’on a l’impression que les hôpitaux sont régulièrement détruits, ce n’est pas parce que c’est un complot, mais parce qu’un même hôpital a pu être bombardé plusieurs fois, détruit, remis en service et de nouveau bombardé. En avril, 14 infrastructures ont été ciblées à Alep. Du 28 avril au 1er mai, les hôpitaux d’Alep ont été bombardés sans discontinuer pendant quatre jours. Le 3 octobre, l’hôpital M10 a été bombardé pour la troisième fois en une semaine. Ce qui explique simplement pourquoi entre le 28 septembre et le 3 octobre, plusieurs articles ont relaté des bombardements sur cet hôpital. Un rapport de Médecins sans frontières (MSF) sur les bombardements sur l’hôpital d’Al-Quds, le 27 avril, explique bien que l’hôpital a été mis hors service mais a pu rouvrir partiellement vingt jours plus tard.
Pour des questions de sécurité, les hôpitaux sont désormais qualifiés par des noms de code (la lettre M, suivie d’un numéro) mais ces infrastructures sont en fait des hôpitaux de fortune.
«Il y a toujours la possibilité de soigner les malades, mais les équipes sont parties aux sous-sols pour se protéger», explique le docteur Ziad Alissa, président d’UOSSM France. L’organisation affirme aussi que certains hôpitaux, bombardés plusieurs fois, ont été annoncés détruits ou mis hors service alors que les équipes s’étaient réfugiées au sous-sol, «pour se protéger» et «ne plus être pris pour cible». Il n’y avait plus à Alep-Est qu’une quinzaine de médecins et d’infirmières ces derniers jours. Les deux derniers hôpitaux encore en service ont été détruits en novembre. Le communiqué de l’OMS explique toutefois que «quelques services de santé sont encore accessibles» : ce qui ne veut pas dire que les hôpitaux n’ont pas été bombardés.
Les rebelles ont-ils retenu des civils ?
Oui, assurent les Nations unies. «Certains civils qui tentent de s’enfuir sont apparemment bloqués par des groupes armés de l’opposition, notamment le front Fatah al-Sham», a ainsi affirmé le 9 décembre Rupert Colville, le porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Et d’ajouter : «Au cours des deux dernières semaines, le front Fatah al-Sham et les brigades Abou Amara ont apparemment enlevé et tué un nombre inconnu de civils qui avaient demandé aux groupes armés de quitter leur quartier afin d’épargner la vie de la population.» Toujours à Alep-Est, la faction Nourredine al-Zenki a, de son côté, indiqué en début de semaine qu’elle avait demandé à des civils de ne pas quitter leur quartier assiégé, les passages vers les zones contrôlées par le régime n’étant pas sûrs à cause des combats. Le matin du 30 novembre, des familles qui tentaient de fuir ont été tuées dans la Vieille Ville par des tirs d’artillerie. Le bombardement a fait 45 morts et des dizaines de blessés, selon les secouristes de la défense civile, les Casques blancs. Des vidéos du carnage ont été diffusées sur les réseaux sociaux.
Y a-t-il eu des scènes de liesse à Alep-Ouest ?
Les images d’une foule célébrant la «libération» de la partie rebelle d’Alep proviennent de la télévision officielle syrienne. Le plan serré de la caméra sur quelques dizaines de manifestants est un procédé connu pour amplifier l’importance d’une protestation ou en l’occurrence, d’une liesse populaire. «Comme vous, je n’ai vu et entendu ces manifestants qu’à la télévision», nous dit un habitant d’Alep-Ouest contacté par le biais de l’application WhatsApp. Son immeuble, proche de la ligne de front, a été touché par un obus tiré par les rebelles et le dernier étage du bâtiment a été détruit. «Bien sûr que nous sommes soulagés par la fin des combats, dit le sexagénaire, mais pas au point de faire la fête dans la rue. Pas après tout ce qu’on a vécu…» Depuis 2012, les quartiers Ouest d’Alep, contrôlés par les forces gouvernementales, ont été régulièrement frappés par des bombardements qui ont fait des centaines de victimes.
Les chrétiens d’Orient protégés par Poutine ?
Cet argument de la protection des chrétiens d’Orient est abondamment utilisé par Damas et Moscou depuis le début du conflit en Syrie. Outre qu’il s’inscrit parfaitement dans la rhétorique de la lutte contre l’islamisme conquérant et le jihadisme, dont les deux pays se vantent d’être les champions, chacun a instrumentalisé la protection de cette communauté à sa manière.
Le régime de Bachar al-Assad, issu lui-même de la minorité alaouite, s’est présenté comme le défenseur de toutes les «minorités» syriennes face à la majorité sunnite qui voudrait les écarter.
Exhiber des hommes d’Eglise devant les ambassadeurs occidentaux et les caméras est une tradition politique très courue à Damas. «Ces patriarches sont tous politisés. Ils sont d’ailleurs désignés par Al-Assad qui leur consent toutes sortes d’avantages personnels», rappelle Samira Moubayed, représentante en France de l’organisation Syriens chrétiens pour la paix. Opposée au régime, la chrétienne damascène raconte comment «les services de sécurité entretiennent la peur chez les chrétiens en leur disant que les islamistes vont venir les tuer tandis qu’ils répriment les opposants chrétiens, comme les autres».
Pour la Russie, après des années d’athéisme d’Etat, se positionner en protectrice des chrétiens du Moyen-Orient est redevenu un argument de sa diplomatie.
Elle reprend à son compte un rôle délaissé par l’Occident et lui permet de pousser ses pions dans la région. Sergueï Lavrov, son ministre des Affaires étrangères, en est l’un des principaux promoteurs. En mars 2015 à Genève, en marge d’une réunion de l’ONU, il avait fustigé le «génocide» des chrétiens d’Orient, comme le font les sites d’information prorusses qui parlent de «massacres». Une manière d’amplifier la menace pour mieux faire ressortir l’importance de son rôle protecteur. L’argument est porteur en France où la défense des chrétiens de Syrie et du Liban est une tradition historique. Et où tous les gouvernements doivent affirmer leur engagement en ce sens.
Une guerre pour le pétrole et le gaz ?
Cette idée, qui revient en particulier dans la rhétorique des mouvements d’extrême gauche, anticapitalistes et anti-impérialistes, apparaît comme un héritage idéologique des guerres d’Irak de 1991 et 2003, menées par les Etats-Unis. Tout comme ils ont renversé Saddam Hussein pour s’emparer de son pays qui abrite la quatrième plus grande réserve de brut au monde, les Occidentaux voudraient la chute d’Al-Assad qui résisterait à leurs convoitises. La comparaison ne tient pas. Le sous-sol syrien ne contient plus que des quantités insignifiantes de pétrole. La production dans le pays atteint à peine 30 000 barils par jour, soit dix fois moins que la consommation quotidienne. L’essentiel des importations vient d’Irak ou d’Iran, deux alliés du régime.
C’est l’EI qui contrôle la région pétrolifère la plus importante autour de Deir el-Zor, dans l’est du pays.
Les Russes ont accusé à plusieurs reprises la Turquie et les pays occidentaux d’acheter ce pétrole à l’EI. «Des tankers acheminaient du pétrole de Daech à plusieurs pays de l’UE», avait révélé l’ambassadrice de Russie à Bruxelles, avant de revenir sur ses affirmations. «Personne ne se bat pour des réserves de pétrole de quelque 2 milliards de barils de brut en Syrie», estime le consultant Moiffak Hassan. Ce dernier fait valoir en revanche l’importance du territoire syrien, un couloir clé pour des oléoducs et gazoducs arabes et iraniens vers l’Europe. «Un enjeu essentiel pour la Russie qui tient à maintenir ses parts de marché du gaz et la dépendance de l’Europe vis-à-vis d’elle face à ses rivaux, le Qatar et l’Iran, qui possèdent les deux plus grandes réserves de gaz au monde.» De plus, la Russie, via Soyuzneftgaz, a signé en 2013 un accord avec la Syrie, sans passer par le processus habituel d’appel d’offres, pour explorer l’offshore syrien. Si l’on veut donc parler de l’enjeu des hydrocarbures dans la guerre en Syrie, il implique surtout les intérêts de la Russie. Pas ceux des pays occidentaux.
L’ONU embarquée dans une intox russe?
Une vidéo de quelques minutes où Eva Bartlett, une journaliste «indépendante», est censée démonter «la rhétorique des médias traditionnels sur la Syrie» a été vue des centaines de milliers de fois. Russia Today (RT), la chaîne d’information financée par Moscou, l’a diffusée sur tous ses canaux, dans plusieurs langues. Sur le site francophone de RT, la vidéo avait été vue vendredi près de 600 000 fois. Une version diffusée sur Facebook comptait plus de 2,5 millions de vues. Bartlett y répond à un confrère norvégien lors d’une conférence de presse.
Elle affirme notamment que les médias ne sont pas crédibles car leurs seules sources viennent d’activistes, voire de «terroristes», que les images de victimes sont manipulées, que les habitants d’Alep n’ont jamais vu de Casques blancs – qui sont de toute façon des «terroristes» (ils ont été pressentis pour recevoir le prix Nobel de la paix) – et enfin que les élections (organisées dans les zones contrôlées par le régime) montrent que la population soutient massivement Bachar al-Assad. Le tout, avec le logo de l’ONU en fond. Ce qui fait le succès de cette vidéo, et lui donnerait sa légitimité, c’est que la conférence a tout l’air d’être organisée par les Nations unies. Ce qui n’est absolument pas le cas.
L’événement s’est bien tenu dans une salle de l’ONU mais a été organisé par la Mission permanente de la république syrienne aux Nations unies, l’équivalent de son ambassade qui, à ce titre, a le droit d’utiliser les salles de presse de l’ONU sans aucun contrôle de l’organisation. Kristoffer Ronneberg, le journaliste qui a interpellé Bartlett, s’y est rendu car l’ambassadeur de Syrie à l’ONU était attendu et a posé une question, «choqué par le manque de nuance dans la présentation» d’Eva Bartlett. Il a maintenant l’impression d’être devenu, à son insu, «une petite pièce dans une grande guerre de propagande». D’autant que Bartlett, qui se présente comme une journaliste indépendante écrit régulièrement sur Russia Today et des sites conspirationnistes et prorusses. Sur son site, elle soutient ouvertement le régime syrien.
Luc Mathieu, Veronika Dorman, Hala Kodmani, Pauline Moullot Souria Houria le 20 décembre 2016
Tout insurgé est un « terroriste », voire un « bandit ». Ou, variante de notre temps, un « jihadiste ». Le chien que l’on veut abattre a toujours la rage.
Il est trop tôt pour dresser un bilan humain de la tragédie d’Alep.
Les blessés n’ont pas fini de mourir et les tortionnaires sont à la tâche. Nous savons seulement que c’est un massacre, avec ses morts par centaines, presque tous civils – si ce mot à un sens quand une partie de la population a dû prendre les armes pour se défendre. Et nous savons qu’Alep, l’Assyrienne, la Byzantine, la Grecque, l’une des plus anciennes et des plus belles cités du monde, restera à jamais comme le lieu d’un crime commis de sang-froid par des hommes d’un absolu cynisme. Caligula, décidément, ne meurt jamais. Bachar Al-Assad peut, comme lui, s’écrier : « Qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent. »
Ce n’est donc pas ce rapport éternel et glacial au pouvoir qu’il nous faut interroger. Il est bien trop mystérieux. C’est le silence du monde.
Pourquoi les habitants d’Alep n’ont pas droit aux manifestations qui ont suivi le massacre de My Lai, la guerre d’Irak ou les bombes sur Gaza ? Sans doute parce que la propagande diffusée par le régime de Damas, reprise et amplifiée par Moscou, puis relayée dans nos régions, a été d’une redoutable efficacité. Et pourquoi donc ? Parce qu’elle est entrée en résonance avec nos doutes, nos peurs et nos confusions. Elle a atteint une société – la nôtre – meurtrie par les attentats de l’an dernier. Comme s’il suffisait aujourd’hui de dire « jihadistes » pour que la machine à comprendre s’enraye.
Car le discours qui a semé le trouble s’est construit à partir d’un amalgame et d’une contre-vérité.
L’amalgame, on le connaît. Il a mis dans le même sac Daech, les courants jihadistes présents à Alep et les rebelles, qui ne sont en rien jihadistes. Depuis plusieurs mois, il est de bon ton de mettre des guillemets à « modérés ». Cela peut s’entendre comme on veut. Des civils qui ont pris les armes ne sont plus des modérés en effet. Sont-ils pour autant devenus des jihadistes [^1] ? Évidemment non. C’est pourtant ce que les guillemets insinuent. Ils suggèrent aussi que la révolution aurait disparu, ou même qu’elle n’aurait jamais existé. Un peuple arabe qui se soulève contre son tyran n’est-il pas nécessairement fanatique ou jouet d’une manipulation ? La méconnaissance de la géographie de la Syrie a fait le reste. Alep, la rebelle, et Raqqa, fief de Daech, se sont peu à peu superposées dans les discours. Parce qu’il bombardait Alep, Poutine était devenu le meilleur combattant contre Daech qui, pourtant, n’y était pas.
L’amalgame est un classique de l’histoire.
Tout insurgé est un « terroriste », voire un « bandit ». Ou, variante de notre temps, un « jihadiste ». Le chien que l’on veut abattre a toujours la rage. Les insurgés de Budapest, en 1956, le peuple de Prague, en 1968, l’ont appris à leurs dépens. Eux aussi ont été « manipulés » par la CIA. Le pire est qu’il y a évidemment une part de vrai dans cette assertion. En période de troubles, les officines américaines ne sont jamais inertes. Comme il est vrai que l’Arabie saoudite et le Qatar ont envoyé des miliciens et des armes en renfort des rebelles. L’amalgame le plus sophistiqué ne fait que prendre la partie pour le tout. Et la conséquence pour la cause.
Quant à la contre-vérité, elle a été tout aussi dévastatrice.
Elle a fait de Bachar Al-Assad un rempart contre Daech. Il fallait donc sauver le soldat Bachar, quitte à l’absoudre de ses massacres à la Ghouta, à Alep, et demain, n’en doutons pas, à Idlib. Quitte à lui pardonner le gazage des populations civiles. La théorie du « moindre mal » a atteint là son plus haut degré de perfection. Mieux vaut Bachar que les « islamistes ». Mortel slogan ! Car non seulement le dictateur syrien a choisi de concentrer ses forces contre les rebelles qui pouvaient proposer une alternative à son pouvoir, mais il n’a jamais combattu Daech, hormis à Deir Ez-Zor, ville de la vallée de l’Euphrate proche des champs pétrolifères. Au contraire, pour la deuxième fois, il vient de laisser Daech s’emparer de Palmyre, pratiquement sans combattre. Il avait fait pire en décembre 2013, lorsqu’il avait fait bombarder les rebelles d’Alep quand ceux-ci repoussaient Daech. Mais il y a peut-être plus grave que les connivences de champ de bataille. Comment ne pas comprendre que les massacres d’aujourd’hui, et le sentiment d’abandon que peuvent éprouver les populations, sont l’aliment du jihadisme pour les années à venir ?
Et me direz-vous, les États-Unis dans tout cela ?
Ils sont des complices hypocrites et honteux. Pendant que les Russes font le travail, Obama se tait et Kerry s’indigne. Mais leur responsabilité historique est d’une autre ampleur. L’invasion de l’Irak en 2003 a semé le chaos dans la région. Leur soutien indéfectible à Israël nourrit le ressentiment arabe pour des décennies. Et leurs commerces avec le régime wahhabite de Ryad, tout occupé, lui, à assassiner le Yémen, est un pacte de pétrole et de sang qui, depuis 1945, placent les relations internationales sous le signe du cynisme. Mais, évitons ce que François Burgat appelle « l’anti-impérialisme pavlovien », car en attendant, c’est bien Poutine qui bombarde.
19 décembre 2016
[1] Le maire d’Alep-Est que nous avons rencontré parle de deux cents à trois cents jihadistes sur sept mille rebelles dans cette partie de la ville. D’autres sources nous ont parlé de six cents à huit cents jihadistes.
Pour revoir la soirée du 14 décembre à Mediapart, après la chute d'Alep
Invité du dernier MediapartLive, consacré à la Syrie, je prolonge ici mon coup de colère contre ces hommes et ces femmes qui se disent de gauche, donc solidaires en principe des luttes pour la justice partout dans le monde, et qui se déclarent favorables au régime des Assad, père et fils, principal responsable du désastre syrien.
Après des bombardements massifs par l’aviation russe qui ont duré quatre mois, l’armée de Bachar al-Assad et les milices chiites venues de toute part, mobilisées par les mollahs iraniens, ont donc fini par « libérer » Alep-Est.
La libérer de qui ? De ses habitants. Plus de 250 000 personnes sont forcés d’évacuer leur ville pour échapper aux massacres, comme avant eux la population de Zabadani ou de Darayya, et comme ce sera le sort, après eux, de bien d’autres Syriens si le « nettoyage » programmé, social et confessionnel, se poursuit dans leur pays, couvert par une grande campagne médiatique d’intoxication.
Qu’en Syrie même des nantis d’Alep, toutes confessions confondues, se réjouissent d’être débarrassés de la « racaille » – entendre les classes populaires qui peuplaient Alep-Est – n’est guère étonnant. On l’a souvent observé ailleurs, la morgue des classes dominantes est universelle.
Que des mollahs chiites d’un autre âge fêtent l’événement comme une grande victoire des vrais croyants sur les mécréants omeyyades, ou proclament qu’Alep était jadis chiite et le redeviendra, peut aussi se comprendre quand on connait leur doctrine aussi délirante que celle de leurs émules sunnites.
Enfin, qu’ici même, en France, en Europe, des hommes politiques et des faiseurs d’opinion d’extrême-droite ou de la droite extrême marquent bruyamment, de nouveau, leur soutien à Assad est également dans la nature des choses.
Ils n’ont que mépris pour les Arabes et les musulmans, et ils pensent aujourd’hui comme hier que ces peuplades doivent être menés à la trique.
Mais comment ne pas exploser de colère en lisant les déclarations favorables au régime des Assad, père et fils, proférés par des hommes et des femmes qui se disent de gauche, donc solidaires en principe des luttes pour la justice partout dans le monde ? Comment ne pas s’enrager en les entendant vanter l’indépendance, la laïcité, le progressisme, voire le socialisme d’un clan sans foi ni loi qui s’est emparé du pouvoir par un coup d’État militaire, il y a plus de quarante-cinq ans, et dont le seul souci est de l’exercer éternellement ? « Assad pour l’éternité », « Assad ou personne », « Assad ou nous brûlerons le pays », scandent ses partisans. Et cette gauche-là acquiesce sous le prétexte qu’il n’y a pas d’autre choix : c’est lui ou Daech.
Or les Syriens qui se sont soulevés en 2011 n’ont attendu personne pour dénoncer vigoureusement les groupes djihadistes de toutes origines et de toutes obédiences, Daech en particulier, qui ont infesté leur soulèvement après sa militarisation forcée. Ces groupes, totalement étrangers à leurs revendications de liberté et de dignité, n’ont d’ailleurs pas tardé à s’attaquer principalement aux forces vives de l’opposition, civiles et militaires, et à sévir contre la population dans les zones qu’ils ont réussi à contrôler. Ils ont ainsi conforté Assad dans sa propagande, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, et lui ont notamment permis de se présenter en protecteur des minorités confessionnelles.
Ces mêmes Syriens ont souvent par ailleurs exprimé leur méfiance vis-à-vis des instances qui ont prétendu, et continuent de prétendre les représenter, et qui se sont révélées d’une effarante médiocrité. Espérant une intervention militaire occidentale qui n’était, de toute évidence, jamais envisagée par l’administration d’Obama, inféodés à tel ou tel pays voisin (l’Arabie saoudite, le Qatar ou la Turquie), divisés entre eux et inexistants sur le terrain, ils ont été incapables de formuler un discours politique cohérent à l’adresse du monde.
Mais ni l’intrusion des djihadistes ni les défaillances de la représentation autoproclamée de la révolution - ni tout autre argument brandi pour justifier l’injustifiable - n’infirment ces deux données fondamentales : la première, que les Syriens avaient mille raisons de se révolter, et la seconde, qu’ils se sont révoltés avec un courage exceptionnel, faisant face, dans l’indifférence quasi générale, à la terreur sans bornes du clan au pouvoir, aux ambitions impériales de l’Iran et, depuis septembre 2015, à une intervention militaire russe agréée par les États-Unis, qui a déjà fait des milliers et des milliers de victimes civiles.
Alors, est-elle vraiment indépendante et anti-impérialiste cette « Syrie d’Assad » où l’Iran et la Russie agissent comme bon leur semble, conjointement ou séparément, et dont le destin dépend uniquement désormais de leurs accords ou désaccords ? Que les admirateurs de gauche de ladite Syrie lisent le traité léonin signé avec la Russie, le 26 août 2015, lui accordant des privilèges exorbitants et une totale et permanente immunité quant aux dommages causés par les raids de son aviation.
Peut-on sérieusement qualifier de laïque un régime qui s’est employé dès sa naissance, pour s’imposer et durer, à envenimer les relations entre les différentes communautés confessionnelles, qui a pris en otages alaouites et chrétiens, qui a lui-même présidé à la contamination de la société syrienne par le salafisme le plus obscurantiste, qui a manipulé à son profit toutes espèces de djihadistes, et pas seulement en Syrie ?
Est-ce du progressisme que de promouvoir le capitalisme le plus sauvage, appauvrissant et marginalisant des millions de citoyens, cette masse démunie qui survivait dans les faubourgs des grandes villes ?
C’est elle qui a été la principale composante sociale de la révolution, et c’est elle qui a été aussi la cible privilégiée du régime, avec son artillerie lourde, ses barils d’explosifs et son armement chimique. « Tuez-les jusqu’au dernier », réclamaient littéralement les chabbîha (nervis des Assad) depuis le début du soulèvement… et qu’on laisse la nouvelle bourgeoisie « progressiste » piller tranquillement les richesses nationales et entasser ses milliards de dollars dans les paradis fiscaux !
Faut-il encore, après tout cela, rappeler les crimes contre l’humanité commis par Hafez al-Assad, en toute impunité, durant ses trente ans de règne sans partage ?
Deux noms de lieu les résument : Hama où plus de 20.000 personnes, peut-être 30.000, ont été massacrées en 1982, et la prison de Palmyre, véritable camp d’extermination où les geôliers se vantaient de réduire leurs suppliciés en insectes. C’est de cette même impunité que certains, hélas de gauche, voudraient faire bénéficier Bachar al-Assad, le principal responsable du désastre, de ces plus de dix millions de déplacés, ces centaines de milliers de morts, ces dizaines de milliers de prisonniers, de la torture et des exécutions sommaires dans les prisons, de l’interminable martyre de la Syrie.
Et ce martyre, tant que les bourreaux ne seront pas vaincus et punis, préfigure tant d’autres dans le monde - un monde où la Syrie aura disparu.
Farouk Mardam Bey (historien et éditeur franco-syrien)
Dominique Vidal, spécialiste du Proche et du Moyen-Orient, a regardé Jean-Luc Mélenchon lors de l’émission On n’est pas couché du samedi 23 février. Il décrypte les analyses de Jean-Luc Mélenchon sur la Syrie, qui ont fait polémique.
Il est rare que, dans une émission de grande écoute, la situation syrienne occupe une telle place : près d’un quart d’heure. Mais ce fut, hélas, le trou noir d’une intervention par ailleurs brillante de Jean-Luc Mélenchon.
Car le candidat à l’élection présidentielle opère un grand écart incompréhensible dans son raisonnement. Dans un premier temps, il considère à raison qu’il n’y a pas de solution militaire à une crise politique et s’oppose donc à toute intervention militaire occidentale, en particulier française, en Syrie. Et on le suit. En revanche, mystère de la logique mélenchonienne, il soutient l’intervention russe. Et il le fait au nom de la lutte contre Daesh et de la solidarité envers les Kurdes assaillis par l’armée turque.
L’intervention russe a pour but de sauver Bachar El Assad
Malheureusement, je crois que Jean-Luc Mélenchon connaît mal le dossier. La Turquie est constante : de tout temps, elle s’est focalisée sur les Kurdes. Le fait qu’elle intervienne désormais en territoire syrien n’est qu’une question de degré. Il n’y a rien là de radicalement neuf.
De surcroît, Jean-Luc Mélenchon tait la réalité de l’intervention russe.
Tous les observateurs, en dehors des Russes, relèvent que l’action russe est principalement dirigée contre les opposants modérés au régime de Bachar El Assad. Le type de bombardement – le carpet bombing : tapis de bombes – s’inspire des actions de l’armée russe en Tchétchénie. L’aviation russe bombarde civils et militaires de façon indifférenciée. C’est très choquant. Un hôpital d’une ONG vient même d’en être la cible.
J’ai accueilli récemment à l’Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo), pour un débat, l’ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov : il n’a pas même présenté le combat contre Daesh comme objectif de l’intervention de son pays en Syrie. Le but de celle-ci, a-t-il dit, c’est de sauver Bachar El Assad et son régime. Car, s’ils tombaient, ce serait la porte ouverte à une extension du djihadisme, notamment dans le Caucase. Qu’est-ce qui permet à Jean-Luc Mélenchon de dire que l’objectif des Russes est d’abattre Daesh ? D’autant que, je le répète, l’écrasante majorité des bombardements russes ne visent pas les djihadistes.
Poutine ne défend que les intérêts de Moscou, du moins ce qu’il considère comme tels
Jean-Luc Mélenchon a pris l’habitude de se faire l’avocat de Poutine, en Syrie comme en Ukraine. Visiblement, il croit déceler une continuité entre l’URSS et la Russie. Cette filiation est une vue de l’esprit. À supposer que l’URSS ait agi au plan international pour défendre des causes justes, Poutine ne défend plus ni ces causes, ni les valeurs qui les inspiraient. Poutine ne défend que les intérêts de Moscou, du moins ce qu’il considère comme tels. Car il y a un grand écart entre les véritables intérêts de la Russie et la manière dont le groupe dirigeant les conçoit.
Je pense que Jean-Luc Mélenchon reproduit la même erreur d’analyse en ce qui concerne les régimes arabes.
Le nationalisme arabe, laïque et socialiste ( et pour le moins despotique Note du Blog) pour a disparu depuis longtemps. Les régimes de Saddam, hier, ou d’Assad, aujourd’hui, n’ont aucun rapport avec ceux des années 1960-1970. La politique progressiste (tellement progressiste que les gens se sont réfugiés dans l'Islam! Note du Blog) a été remplacée par une politique libérale, marquée par les dénationalisations.
De véritables mafias dominent l’Irak comme la Syrie. Et la dimension laïque s’est réduite au point de n’être plus qu’une façade pour Occidentaux de passage. Saddam Hussein faisait de plus en plus référence à l’islam dans les dernières années de sa dictature. Et Bachar Al-Assad instrumentalise les minorités comme un fond de commerce politique. Il y a eu fondamentalement une rupture au tournant des années 1980. Étrangement, Jean-Luc Mélenchon semble l’ignorer.
20/12/2016 Ivan Villa Propos recueillis par Catherine Tricot.