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  • 1965 : Mehdi Ben Barka est enlevé et assassiné (Alternative Libertaire)

    Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka, considéré par le général Juin comme « le plus dangereux adversaire de la présence française au Maroc » est enlevé par deux policiers français devant la brasserie Lipp à Paris. La découverte de toute la vérité sur la disparition et l’assassinat de ce militant anticolonialiste se heurte toujours aujourd’hui à la raison d’État.

    Mehdi Ben Barka est né à Rabat en 1920. Son histoire est fortement marquée par ces années du XXe siècle où les peuples colonisés luttent pour leur indépendance politique mais aussi pour la fin de la tutelle des ex-puissances coloniales, avec en perspective leur développement économique, social et culturel ; cela amène à préparer les nécessaires ruptures avec le système capitaliste qui est au cœur du colonialisme, mais aussi à repenser les rapports avec les États dits « socialistes ». Il ne se revendiquait nullement du mouvement libertaire mais de l’héritage socialiste, à travers la construction d’une force révolutionnaire clairement ancrée dans la lutte des classes et articulée avec les luttes pour l’émancipation des peuples.

    Du colonialisme au néocolonialisme

    Dès l’âge de 14 ans, Mehdi Ben Barka rejoint le Comité d’action marocaine qui deviendra ensuite le Parti national avant de se renommer parti de l’Istiqlal, c’est-à-dire parti de l’Indépendance. Étudiant, il milite à l’Association des étudiants nord-africains, dont il devient le président. Il fait partie des signataires du Manifeste de l’indépendance, rendu public le 11 janvier 1944 ; il en est d’ailleurs le plus jeune signataire. Il est alors emprisonné, comme les autres responsables du mouvement, puis sera licencié de son poste d’enseignant. A sa sortie de prison, il redynamise l’activité du parti de l’Istiqlal, dont il est devenu le secrétaire administratif. Il est dans le collimateur des dirigeants de l’État colonial et du Protectorat [1]. Déporté en mars 1951 au sud de l’Atlas, il est libéré en octobre 1954. Mehdi Ben Barka a joué un rôle majeur dans le mouvement qui aboutit à l’indépendance du Maroc, concédée officiellement à compter du 2 mars 1956.

    Quelques années plus tard, il analysera de manière critique les conditions dans lesquelles cette indépendance fut obtenue : « C’est au bout de cette évolution qui a mis objectivement à l’ordre du jour le rôle et les objectifs des masses laborieuses citadines, la nécessité de leur liaison avec les masses paysannes, le problème de la violence, non dans un cadre étroit, mais dans une perspective anti colonialiste de plus en plus large, qu’est intervenu le compromis d’Aix-les-Bains […] Pourquoi le mouvement de libération nationale n’avait pas compris, et fait comprendre, aux militants la raison fondamentale, les problèmes essentiels de l’exploitation coloniale, et par conséquent les exigences d’une réelle libération ? [ … ] L’histoire nous avait donné tous les moyens de faire le travail de clarification que nous devions faire en tant que révolutionnaires. Le compromis que nous avions passé avec le colonialisme, l’avons-nous présenté comme un compromis ? C’est-à-dire un accord par lequel nous avions à la fois gagné et momentanément perdu. »  [2]

    Son activité militante ne s’arrête pas à l’indépendance et en 1959 il fait partie des fondateurs de l’Union nationale des forces populaires qui s’affirme « progressiste et révolutionnaire ». Forcé à l’exil et à la clandestinité en juillet 1963, il est condamné à mort par contumace, à deux reprises, par le tribunal militaire royal.

    La tricontinentale

    Outre la dénonciation du régime d’Hassan II et la popularisation à l’extérieur du pays des luttes menées au Maroc, Mehdi Ben Barka agit aussi au plan international, notamment en préparant la conférence de la Tricontinentale [3] , qui doit avoir lieu à La Havane en janvier 1966, dont l’ambition était de réunir les représentants et représentantes des peuples Afrique, d’Asie et d’Amérique latine confrontés à l’impérialisme.

    Quatre points sont à l’ordre du jour [4]  : – Lutte contre l’impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme. – « Points chauds » de la lutte anti-impérialiste à travers les trois continents, particulièrement au Vietnam, à Saint-Domingue, au Congo, dans les colonies portugaises, en Rhodésie du Sud, en Palestine et dans le Sud-Arabique. – Solidarité anti-impérialiste parmi les peuples africains, asiatiques et latino-américains dans les domaines économique, social et culturel. – Unification politique et organique des efforts des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine dans leur lutte commune pour la libération et l’édification nationales.

    Même si les « régimes amis » (URSS, Chine…) ne permirent pas au mouvement de se développer de manière autonome, l’ordre du jour de cette conférence Tricontinentale montre comment les autorités de nombreux pays pouvaient s’inquiéter de sa tenue et se satisfaire de la disparition de son principal promoteur.

    Ben Barka, chargé de la préparation politique et matérielle de cette conférence, devait rencontrer un producteur et un réalisateur d’un film qui devait s’intituler Basta et qui devait être projeté à l’ouverture de la Conférence.

    L’enlèvement

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    Mehdi Ben Barka, « ce mort aura la vie dure, ce mort aura le dernier mot » (Daniel Guérin)

    Si ce sont bien deux policiers français, Louis Souchon et Roger Voitot, qui enlèvent Mehdi Ben Barka le 29 octobre, il est tout de suite emmené dans la maison d’un truand français, Georges Boucheseiche, à Fontenay-le-Vicomte. Celui-ci s’envole pour le Maroc le 1er novembre et y restera jusqu’à sa mort en 1972. Le prétendu producteur, George Figon, qui avait attiré Ben Barka au rendez-vous, se « suicide » le 17 janvier 1966.

    L’enquête de deux journalistes d’investigation du quotidien israélien Yediot Aharonot publiée en mars 2015 apporte d’implacables précisions sur ce que l’on soupçonnait déjà très fortement, à savoir l’implication directe du Mossad israélien. Au début des années 1960, les services de renseignements israéliens installent, en échange d’une coopération active dans l’élimination du FLN algérien, une base à Paris pour y planifier leurs opérations en Europe. Israël considérait ses relations avec le Maroc comme stratégiques et les deux pays avaient réussi à se trouver des intérêts communs. Le roi Hassan II facilite l’émigration des juifs marocains vers Israël en échange ­d’une aide technologique et de la formation des militaires marocains. En septembre 1965 ce deal permet à des agents du Mossad d’obtenir des informations capitales sur le sommet de la Ligue arabe qui se tient alors à Casablanca. C’est d’ailleurs en partie sur la foi de ces informations que l’armée israélienne recommanda au gouvernement de Levi Eshkol de lancer ce qui deviendra la guerre des Six-Jours en 1967.

    Israël est alors redevable d’une dette envers le Maroc, qui exige, en dédommagement de cette collaboration, la tête de Ben Barka. C’est ainsi que le Mossad réussit à localiser Ben Barka à Genève, au kiosque où il relevait son courrier. L’opération sera menée par les services marocains avec l’assistance technique du Mossad (fourniture de voitures et des passeports aux marocains et français impliqués dans l’affaire pour qu’ils puissent rapidement s’enfuir). C’est également le Mossad qui met au point l’embuscade de la réalisation d’un documentaire pour attirer Ben Barka à Paris.

    Ben Barka est séquestré et torturé, probablement à mort, à coups de brûlures de cigarettes, d’électrochocs et de simulations de noyade. Les services de renseignements israéliens font ensuite disparaître le corps, dissous à l’acide à l’aide de produits chimiques achetés dans plusieurs pharmacies, puis enterré en pleine nuit dans la forêt de Saint-Germain.

    Combat pour la vérité

    Ce fut un des nombreux combats menés par Daniel Guérin [5] . Une quête de la vérité, mais dans quels buts ? Béchir Ben Barka l’explique dans l’entretien de 1995 : « Ce qui nous poussait, qui poussait Daniel, c’était ce désir de justice mais pas uniquement la justice pour la justice. Ce qui le poussait à travers cette recherche de la vérité, outre cet acharnement à dévoiler toutes les responsabilités, c’était, je crois, la volonté de rester fidèle à un certain idéal et de rendre hommage à celui qui, pour beaucoup de peuples du tiers-monde, le représentait par son engagement ».

    Depuis cinquante ans, l’obstruction d’État est totale. Déjà en décembre 1981, Daniel Guérin concluait son livre par cette phrase : « Bachir [Ben Barka] a formulé le souhait que le changement politique, issu de l’élection présidentielle du 10 mai 1981, permette enfin de découvrir toute la vérité sur le meurtre de son père. » Trente-quatre ans plus tard, nous savons qu’il n’en est rien : Mitterrand ou Hollande n’ont rien fait de plus que Chirac ou Sarkozy. De Fabius à Buffet en passant par Duflot ou Mélenchon et bien d’autres, les ministres socialistes, communistes et écologistes ont défilé dans les ministères, pas un et pas une n’a dénoncé publiquement la scandaleuse chape de plomb maintenue sur cette « affaire d’État(s) » dont ils et elles sont ainsi devenu-e-s complices. Comble du ridicule, en 2014 puis en 2015 c’est l’avocat de la famille Ben Barka qui est traîné devant les tribunaux pour une pseudo « violation du secret de l’instruction ». La plainte émanait de l’une des personnes visées par les mandats d’arrêt internationaux [6] non suivis d’effet depuis des années.

    Relancer l’affaire

    Un nouveau Comité pour la vérité dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka a été formé. Comme le rappelle son manifeste, il y a urgence à relancer l’affaire car « aussi bien du côté marocain que sans doute du côté français, des témoins en possession d’une part de vérité sont encore en vie, les archives pouvant apporter des réponses doivent encore exister, en particulier celles de la CIA. » La Commission rogatoire internationale adressée au Maroc depuis septembre 2003, renouvelée au printemps 2005, n’a toujours pas été exécutée et les autorités politiques françaises refusent la levée du secret-défense sur la totalité des documents relatifs à l’affaire.

    Notre courant communiste libertaire est particulièrement attaché à cette lutte, notamment de par l’important rôle joué durant des années par notre camarade Daniel Guérin ; celui-ci a laissé, sur ce sujet comme sur bien d’autres thèmes, un héritage politique qui est une des références sur lesquelles se fonde l’activité d’Alternative libertaire. C’est dans ce prolongement que nous soutenons le Comité nouvellement reconstitué.

    Gisèle (AL Paris Nord Est) et Christian (AL Transcom)


    MEDHI BEN BARKA, MON PÈRE...

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    Bechir Ben Barka

    Bechir Ben Barka est le fils de Medhi Ben Barka. Il anime le Comité pour la vérité sur l’affaire Ben Barka. Dans cet entretien, réalisé en 1995, il résume les raisons qui ont amené à la mort de son père  [7].

    Medhi Ben Barka, mon père, a été interpellé devant la brasserie Lipp, le 29 octobre 1965, par deux policiers français. Il les a suivis puisqu’ils lui ont montré leurs cartes et, confiant, il est monté avec eux dans la voiture de service. Outre les deux policiers, un agent des services secrets français et un truand ont pris place dans la voiture qui les a menés à Fontenay-le-Vicomte dans la maison du truand. Mon père est entré dans la maison et après on ne sait plus ce qui s’est passé. On suppose qu’il a été assassiné mais on ne sait pas de quelle manière et on n’a jamais retrouvé son corps. [...] Il va y avoir une convergence d’intérêts pour mettre fin aux activités de mon père. Cette convergence va se remarquer parmi les protagonistes de l’affaire. En premier lieu, le ministre marocain de l’Intérieur, un agent des services français, des truands chargés de faire le sale boulot, des agents des services secrets américains et israéliens. […]

    Il y avait eu deux procès en 1966 et 1967 où les ravisseurs de mon père ont été jugés mais on n’a jamais pu répondre aux questions de fond car on s’est heurté à la raison d’État. En 1975, nous déposons une seconde plainte pour l’assassinat de mon père pour éviter que l’affaire soit définitivement close par prescription. Daniel Guérin avait découvert un élément nouveau. En 1966, lors de la première enquête, le soi-disant producteur de films était recherché par la police française et au moment où il allait être arrêté, il s’est "suicidé" de deux balles dans le dos. Dans sa mallette, on a retrouvé un questionnaire de type policier, destiné à l’interrogatoire de mon père. Et puis personne n’y a fait attention. Toujours est-il qu’en 1970 un deuxième questionnaire a été retrouvé mais avec des commentaires manuscrits. C’est Daniel Guérin qui a conclu que le scripteur n’était autre qu’un certain Pierre Lemarchand, ancien député gaulliste et un des anciens chefs des barbouzes. Malgré les promesses d’apporter dans les plus brefs délais les preuves de son innocence en justice, cette dernière n’a pas cru bon de le reconvoquer jusqu’à aujourd’hui.

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    Cabu dessine le procès de l’enlèvement de Ben Barka en octobre 1966 pour le Figaro. « Les fonctionnaires du SDECE, MM. Klein et Como, tels que le président Pérez a pu les voir. On reconnait à gauche les accusés et leurs avocats ; à droite la partie civile. »

    Deuxième blocage, celui du Sdece [8] qui se retranche derrière le secret-défense et refuse de fournir ses dossiers. Après l’élection de Mitterrand, Pierre Mauroy a ordonné aux services secrets d’ouvrir les dossiers. Mais ces derniers n’ont fourni que des éléments dont nous avions déjà connaissance. Vingt à trente ans après l’enlèvement de mon père, il n’y avait toujours pas une volonté politique de faire aboutir la vérité. Je dirais même qu’il y avait une volonté politique de ne pas faire apparaître la vérité. […]

     

    [1] Le Protectorat était alors le régime politique du Maroc ; l’État colonial français appliquait ce même régime à la Tunisie et aux pays de l’Indochine (Annam, Cambodge, Laos, Tonkin). Des « possessions » aux « départements », en passant par les « protectorats » ou les « territoires », le colonialisme n’est pas avare de mots pour maintenir sa domination.

     

    [2] Mehdi Ben Barka, Opinion révolutionnaire au Maroc ; cité par Bachir Ben Barka (« Mehdi Ben Barka, ou la politique du vrai »)

     

    [3] Mehdi Ben Barka était le président du Comité international préparatoire de cette conférence Tricontinentale.

     

    [4] Brieux Jean-Jacques, La « Tricontinentale », in Politique étrangère, n°1 - 1966 - 31 année. pp. 19-43.

     

    [5] Daniel Guérin, Ben Barka et ses assassins, 16 ans d’enquête, Plon, 1982.

     

    [6] Miloud Tounsi a été visé par un mandat d’arrêt international en 2007 dans le cadre de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka. Les quatre autres personnes sont le général Hosni Benslimane, chef de la gendarmerie royale marocaine, Abdelkader Kadiri, ancien patron de la Direction générale des études et de la documentation (renseignements militaires), Boubker Hassouni, infirmier et agent du Cab 1, une des unités des services marocains ultrasecrètes, et Abdelhaq Achaachi, également agent du Cab 1 (informations de l’Association de défense des droits de l’Homme au Maroc).

     

    [7] L’entretien entier est disponible sur : www.danielguerin.info

     

    [8] Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, renommé Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en 1982.

    http://alternativelibertaire.org/?1965-Mehdi-Ben-Barka-est-enleve-et

  • Syrie. La «guerre sainte» russe… dans l’attente de ses contrecoups (Al'Encontre.ch)

    Le vendredi 23 octobre 2015, à Vienne, étaient réunis les ministres des Affaires étrangères de la Russie, des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite et de la Turquie. Le statut de Bachar el-Assad dans une prétendue transition – Bachar se déclarant prêt à des «élections» (il en a l’expérience, comme Poutine!) – était l’objet affirmé de négociations, sans divergences sur le fond entre les Etats-Unis, la Russie… et l’Allemagne.

    Depuis le 30 septembre, après avoir bien préparé le terrain, Poutine s’est affirmé comme acteur de premier rang, pour l’instant, en Syrie. Ses forces armées sont même invitées en Irak par des porte-parole du gouvernement. Pendant ce temps, l’offensive cathodique nationaliste en Russie est plus intense que les bombes lâchées par les Sukhoï sur Daech. 

    Et l’échéance des sanctions économiques contre la Russie initiées en juillet 2014 – et liées à la «mise en œuvre des accords de Minsk» – approche. Un thème qui pourrait aussi être négocié dans le cadre de la relance de la politique «impériale» russe face à un impérialisme états-unien en déroute dans la région moyen-orientale. Pendant ce temps, de nouvelles fractions d’une population syrienne terriblement meurtrie cherchent refuge en se déplaçant dans un pays détruit ou en gonflant le «flux des réfugié·e·s». Nous publions ci-dessous un article de David Hearst qui vise à resituer la nouvelle politique du Kremlin dans cette région. Un début en fanfare dont la tonalité pourrait changer à moyen terme. (Rédaction A l’Encontre)

    Un an et demi après que Mouammar Kadhafi a été retrouvé caché dans une canalisation d’eaux usées et lynché, une vidéo mystérieuse en russe a été publiée sur YouTube, dans laquelle le Premier ministre Dmitri Medvedev était dénoncé comme un traître. Cette vidéo d’une heure à la réalisation remarquable et au casting haut de gamme de personnes interviewées, dirigé par l’ancien vétéran du KGB au Moyen-Orient Evgueni Primakov, semblait à l’époque être l’œuvre du FSB [Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie], le successeur du KGB.

    La thèse énoncée dans la vidéo était la suivante: Medvedev était un traître en ce sens qu’il avait signé les résolutions de l’ONU [résolution 1970 du 26 février 2011] autorisant l’intervention en Libye. Elle accusait le Premier ministre russe d’être faible et prêt à abandonner les intérêts de la Russie à une Amérique fourbe.

    Et les intérêts russes en Libye? Leonid Ivachov, général à la retraite et président de l’Académie russe des problèmes géopolitiques, les définissait ainsi: «Nous avons perdu un allié important, un partenaire stratégique important et des milliards ont été perdus pour notre économie et notre industrie de la défense.»

    La scène suivante montrait un groupe de travailleurs de l’usine d’ingénierie de KB Mashinostroyenia, à la périphérie de Moscou: «Outre les pertes matérielles, il y a également une perte de moral, quand on pense que tout ce pour quoi l’on travaille depuis tant d’années n’est plus nécessaire», raconte Leonid Sizov.

    La rage du FSB contre Medvedev soutient la thèse selon laquelle c’est le souvenir amer du cas libyen plutôt que les humiliations militaires russes plus éloignées en Afghanistan, au Kosovo ou en Tchétchénie qui ont motivé le projet actuel de Poutine de prendre le siège du pilote en Syrie.

    Dans d’autres instances, les commentateurs russes adeptes de la volte-face (servilement pro-occidentaux sous Boris Eltsine, avant de s’ériger en patriotes nationalistes sous Poutine) ont contesté et rejeté le Printemps arabe. Il était convenu qu’une telle chose n’existait pas. Tous ont affirmé que la Tunisie et la place Tahrir au Caire étaient des opérations spéciales de la CIA, comme l’avaient été les «révolutions de couleur» en Europe de l’Est.

    Ces mêmes analystes payés par le Kremlin estimaient que le renversement de Kadhafi n’avait rien à voir avec un soulèvement civil contre un régime brutal. Il s’agissait d’une prise du pétrole par des Américains assez stupides pour utiliser des miliciens comme intermédiaires, tout comme ils l’avaient fait en Afghanistan contre l’armée soviétique. Après tout, la Libye était le territoire des Russes en Afrique du Nord.

    Il y a plusieurs failles dans cette analyse, notamment l’hypothèse que tout ce qui se passe au Moyen-Orient est l’expression de la relation obsessionnelle de Poutine vis-à-vis de l’Amérique. Cependant, cela n’exclut pas les parallèles entre le comportement de Bush en Irak et le comportement de Clinton en Russie.

    L’arrogance avec laquelle Bush pensait qu’il pouvait briser puis remodeler l’Etat irakien en 2003, et que les obus jeffersoniens [allusion au rapport du président Thomas Jefferson – 1801 à 1809 – aux «Droits de l’homme»] de la démocratie seraient tirés par les canons des chars américains, a eu un précédent avec les efforts de l’administration Clinton pour remodeler l’Etat russe après 1992 [suite au retrait des troupes russes de pays Baltes et l’intégration de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque dans l’OTAN, soutien financier à l’administration Elstine]. Les deux projets, qui ont échoué, ont toutefois été le fruit de la même idéologie, selon laquelle après l’effondrement du communisme et avant l’émergence d’une flotte chinoise, tous les obstacles aux projections de puissance des Etats-Unis étaient levés.

    Poutine savait donc qu’il était en train de changer, actuellement, les règles du jeu en Syrie, mais il ne l’a pas fait sans préparer le terrain. Il s’est également affairé à créer des coalitions de volontaires [référence au terme coalition of the willing montée par les Etats-Unis à l’occasion de la guerre en Irak]. De manière décisive, la construction d’une coalition contre le groupe Etat islamique (Daech) avec Bachar el-Assad comme pièce maîtresse a été initiée en tant que démarche irano-russe après la percée des pourparlers sur le nucléaire. Mais Poutine avait besoin d’alliés arabes.

    Des alliés qu’il a trouvés en Jordanie, aux Emirats arabes unis et en Égypte. Mêlant des affaires avec encore plus d’affaires, Poutine a fait venir le roi Abdallah de Jordanie, le prince héritier des Emirats arabes unis Cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi à un meeting aérien militaire organisé août 2015 à Moscou. La Jordanie a récemment retiré son soutien aux forces rebelles syriennes sur le front sud [et vendredi 23 octobre 2015, la Jordanie, très dépendante militairement et financièrement des Etats-Unis, a annoncé la mise en place d’un «mécanisme de coordination» avec la Russie; Amman voudrait plus d’aide matérielle pour la «gestion des réfugiés» et craint des effets d’une chute brutale du régime de Bachar el-Assad, ses services sont toujours restés en contact avec Damas].

    De même, l’Egypte, qui a évité d’afficher un soutien pour Assad, soutient désormais ouvertement l’intervention russe au nom de ce dernier. Le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Shoukry a déclaré dès le 3 octobre 2015 que «l’entrée de la Russie, compte tenu de son potentiel et de ses capacités, est un élément qui contribuerait à limiter le terrorisme en Syrie et à l’éradiquer».

    S’exprimant sur Al Manar, la chaîne de télévision du Hezbollah, l’analyste russe et ancien diplomate Vitslav Matozov a assuré que la Russie a reçu le soutien d’un pays arabe qu’il n’a pas souhaité identifier. Il a fait fortement allusion aux Emirats arabes unis lorsqu’il a affirmé que «la position égyptienne en faveur des frappes est le reflet de la position d’Abou Dhabi». Il a ajouté qu’«il ne fait aucun doute que la voix du Caire est la voix de fond d’un Etat du Golfe autre que l’Arabie saoudite».

    La Russie dispose d’un quatrième allié dans le cadre de sa campagne de bombardement: Israël. Netanyahou a maintenu sa relation avec Poutine, advienne que pourra. A un moment donné, il a fait en sorte que Poutine retire de ses wagons à plate-forme une livraison de missiles surface-air S300 en partance pour l’Iran. Dimanche 4 octobre, Maariv a cité une source militaire israélienne qui a affirmé que la poursuite de la guerre civile en Syrie convenait aux intérêts israéliens. Il a indiqué que le maintien du régime d’Assad, qui jouit d’une reconnaissance internationale, soulage Israël du fardeau d’une intervention directe et d’une implication profonde dans la guerre qui fait rage. Il a noté qu’Israël est du même avis que la Russie et l’Iran sur cette question. Voilà une déclaration remarquable compte tenu du fait que l’Iran est le principal fournisseur du Hezbollah et que la Syrie d’Assad est son seul intermédiaire pour les missiles à longue portée capables de frapper Israël en son cœur. Voilà pour les alliés de Poutine au Moyen-Orient.

    Qu’en est-il de ses adversaires?

    Les trois pays non-occidentaux qui ont émis une déclaration conjointe condamnant les frappes aériennes russes sont l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, les principaux soutiens de l’opposition syrienne. La déclaration conjointe n’a pas été signée par l’Egypte, la Jordanie et les Emirats arabes unis, malgré la pression exercée par l’Arabie saoudite. Il s’agit là de signes clairs de la scission arabe. Des joutes aériennes ont déjà eu lieu entre des SU-24 russes et des F-16 turcs dans ce qu’Ankara a revendiqué comme relevant de l’espace aérien turc, et le Premier ministre turc Ahmet Davuto?lu a déclaré que l’armée de l’air turque recourrait aux règles d’engagement militaires, affirmant que «même si c’est un oiseau qui vole, il sera intercepté». [Des accords sont intervenus le 20 octobre 2015 pour «régler» l’utilisation de l’espace aérien; accords annoncés par Anatoli Antonov, vice-ministre russe de la Défense, et le porte-parole du Pentagone, Peter Cook.]

    Matozov a indiqué que les Russes ont bien compris l’opposition saoudienne aux opérations contre l’Etat islamique et l’ont attribuée à des liens étroits entre le royaume et Washington: revoici l’obsession russe. Ici encore, les Russes ne comprennent pas ce qui se passe au Moyen-Orient, où l’Amérique perd le contrôle de ses alliés et où tout le monde fait comme bon lui semble. Les Saoudiens sont furieux de la réticence d’Obama à lancer des frappes contre Assad après les attaques au gaz à l’extérieur de Damas [23 août 2013]. Riyad pense que si le royaume ne revendique pas le rôle de protecteur de la population sunnite majoritaire dans la région, Al-Qaïda ou l’Etat islamique le fera à sa place.

    On a donc deux des nations les plus riches du Golfe, la plus grande armée régionale qu’est l’armée turque, la majorité de la population en Turquie, au Liban, en Syrie, en Jordanie et dans le Golfe, ainsi qu’une partie importante de l’Irak, qui considèrent la Russie comme un agresseur impérial étranger. Ce qui représente une certaine opposition.

    La Russie n’a pas abandonné ses efforts pour leur vendre son intervention. Les frappes aériennes ont été applaudies par l’Église orthodoxe russe, qui a félicité Poutine pour la «guerre sainte» qu’il mène. «La lutte contre le terrorisme est un combat saint, et aujourd’hui, notre pays est peut-être la force la plus active au monde dans la lutte contre celui-ci», a déclaré Vsevolod Chaplin, chef du département des affaires publiques de l’Église.

    Cette pensée n’est pas nouvelle. Bush a utilisé quasiment les mêmes mots lorsqu’il a déclaré peu de temps après les attentats du 11 septembre que «cette croisade, cette guerre contre le terrorisme, va prendre du temps». C’est le cas, en effet. Le fait que la Russie commette la même erreur que Bush et Blair quatorze ans plus tard, jusqu’à utiliser les mêmes mots, est la preuve du danger d’encadrer la lutte dans un pays musulman en des termes religieux.

    Le dernier lancer de dés de Poutine en Syrie est une catastrophe ambulante, sans puissance de freinage. Si les avions soviétiques dans l’Afghanistan reculé se sont avérés être un aimant si puissant pour les combattants militants arabes, imaginez combien de recrues pourrait offrir à l’État islamique leur apparition dans le ciel syrien et irakien. Ne sous-estimez pas l’importance de ce dans quoi Poutine s’est embarqué: de mémoire d’homme, c’est la première fois que l’armée russe est employée pour jouer un rôle de combat au Moyen-Orient. Si les Israéliens ont détecté une présence russe aux côtés des forces égyptiennes combattant sous Nasser au lendemain de 1967, cela n’a toutefois jamais été reconnu officiellement. Maintenant, oui.

    Ce rôle de combat prive la Russie de la capacité de freiner le soutien apporté à Assad par l’Iran et le Hezbollah ou de négocier un rôle de transition à Genève. Cela ravive un conflit qui était en perte de vitesse et qui semblait se diriger vers une série de cessez-le-feu négociés localement, même en comptant les avancées de l’opposition au sud. Cela revient à répéter toutes les erreurs commises en Syrie et en Irak par les maîtres coloniaux américains, britanniques et français. Cela revient à aliéner davantage la population majoritaire de la région.

    Un commandant irakien nous a expliqué pourquoi ils ont été tant attirés par la proposition d’aide russe: «Ils [la coalition dirigée par les États-Unis] refusent de frapper les voitures privées, les mosquées, les ponts, les écoles, malgré le fait que les militants de Daech utilisent principalement ces lieux pour en faire leurs sièges.» «C’est une guerre exceptionnelle et notre ennemi n’a pas de règles», a soutenu un autre commandant, tandis qu’un troisième responsable s’est demandé: «Comment [pouvez-vous] me demander de respecter les règles alors que mon ennemi tue brutalement mon peuple tous les jours, asservit mes sœurs et détruit mes villes? Les Russes n’ont pas de lignes rouges, pas de règles compliquées et limitées, c’est pourquoi il nous serait facile de coopérer avec eux.»

    Que pourrait-il arriver? Comme le disent les Russes, poechali! («Allons-y!»). (Article publié sur le site de MEE en date 16 octobre 2015)

    Par David Hearst David Hearst a longtemps rédacteur de la rubrique dite étrangère du quotidien The Guardian avant d’être responsable du site en ligne MEE.

    Publié par Alencontre le 26 - octobre - 2015
     
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    Syrie-Russie. «Nouveaux colonialismes et crise des valeurs de la gauche»

    21 - octobre - 2015

     

    Par Raúl Zibechi La visite de Bachar el-Assad à Moscou n’a été révélée que mercredi 21 octobre au matin, par le porte-parole du Kremlin. «Hier soir, le président de la République arabe syrienne Bachar el-Assad est venu en visite de travail à Moscou», a annoncé Dmitri Peskov. Cette visite de Bachar el-Assad est le premier déplacement […]

  • La faute aux Palestiniens (CCR)

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    Quand Netanyahou dédouane Hitler de sa responsabilité dans la Shoah

    Dans son discours devant l’Assemblée du 37ème Congrès Sioniste, Netanyahou a réécrit l’histoire. Selon lui, Hitler ne voulait pas de l’extermination des juifs avant sa rencontre avec le mufti palestinien al-Husseini, qui l’aurait convaincu de « brûler les juifs », et donc inspiré la « solution finale »…
    Retour sur un révisionnisme utile au colon israélien.

    Pour l’augmentation de sa politique coloniale, raciste, de nettoyage ethnique, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou doit trouver des justifications théoriques, en puisant toujours plus loin dans le révisionnisme. D’abord, cet arrangement avec l’histoire est une outrance, et en quelque sorte une démonstration de la force et de l’impunité dont dispose le membre du Likoud. Celui-ci peut se permettre d’expliquer que le mufti de Jérusalem a conseillé à Hitler la solution des chambres à gaz, qui au départ ne voulait pas exterminer les juifs mais seulement les déporter. Ce n’est pas ce qui empêche Merkel de le recevoir juste après ses propos : celle-ci s’étant contentée de les nuancer quant à la responsabilité des nazis dans l’extermination de six millions de juifs.

    Ces propos ont néanmoins provoqué des réactions. De nombreux historiens ont pointé le mensonge évident que constituait cette version des faits. Il est connu qu’Hitler évoquait déjà « l’extermination de la race juive » à son discours du 30 janvier 1939 devant le Reichstag, que de nombreux juifs avaient déjà été exécutés avant novembre 41 (les 30.000 de Babi Yar en Ukraine par exemple), et que les tests de gazage avaient commencé en octobre 41, avant donc la rencontre Husseini-Hitler, qui aurait déterminé un changement dans la politique nazie selon Netanyahu.

    Cette théorie, s’appuyant sur les thèses du négationniste David Irving, tend à placer le mufti Haj Amin al-Husseini comme le précurseur, le principal responsable de la Shoah. S’il est établi que ce nationaliste palestinien était un antisémite extrême, effectivement partisan de la « solution finale » et qui recrutait des arabes pour les SS, il est considéré plutôt comme un « poids plume », mendiant l’aide d’Hitler pour débarrasser la Palestine du mandat britannique et empêcher la venue de juifs. Inverser les rôles relève de la même logique que les révisionnistes Soral et Dieudonné quand ils inversent les rôles dans le rapport entre Israël et Etats-Unis.Cela permet aussi de passer sous silence le rôle de certains grands patrons américains dans la diffusion des idées antisémites, comme Henry Ford, auteur du torchon antisémite Le Juif International au début des années 1920, et inspirateur d’Adolf Hitler pour le sociologue Michael Löwy.

    De même qu’il ne s’agit pas de nier qui était le réactionnaire mufti Husseini, nous ne nions pas non plus la présence de courants antisémites dans la culture arabe, plus ou moins importante selon les époques. Dans son livre « Les arabes et la Shoah », Gilbert Achcar examine les différents courants et idéologies qui ont traversé le « monde arabe », nuançant par le même coup les visions essentialistes de l’Orientalisme qui homogénéisent à outrance ce « monde arabe ». Cette étude minutieuse permet d’invalider la tendance à assimiler les « arabes » à l’antisémitisme, ce qui est un des piliers de l’argumentation israélienne pour justifier sa colonisation militaire : les palestiniens, les arabes, voudraient « l’anéantissement physique » des juifs et de leur Etat [1].

    Face au révisionnisme du Likoud, ou aux explications bourgeoises de la Shoah, nous réaffirmons que c’est bien le capital allemand qui est responsable, en ayant mis Hitler au pouvoir, avec l’assentiment des puissances impérialistes satisfaites de la solution trouvée pour écraser les organisations de la classe ouvrière dans les années 30. Ce sont ces mêmes puissances qui ont ensuite mis en place une politique coloniale après 47, avec la création de l’Etat d’Israël, en se servant justement de la Shoah pour justifier cette politique… Publié le 22 octobre 2015 G.Gorritxo

    [1] : pour approfondir cet aspect, nous conseillons les intéressantes notes de Julien Salingue sur le livre de G.Achcar : http://www.juliensalingue.fr/article-note-sur-les-arabes-et-la-shoah-de-gilbert-achcar-52285544.html

  • Aux lendemains des événements du 17 octobre 1961, El Moudjahid publie un article virulent (Babzman)

    octobre

    Dans son numéro du 1er novembre 1961, El Moudjahid ouvre ses pages sur les terribles massacres perpétrés dans les rues de Paris, durant les journées du 17 et 18 octobre précédentes. A commencer par le texte d’une déclaration faite par Benyoucef Benkhedda, au nom du GPRA, lors d’un discours prononcé à Tunis le 24 du même mois. S’ensuit un long plaidoyer sur les violences que subissent les Algériens de l’immigration depuis le début de la guerre. Cet article que Babzman vous propose dans son intégralité, est intitulé « La politique du crime ». Il n’est pas signé, comme la quasi totalité des articles d’El Moudjahid de l’époque, mais nous pouvons supposer qu’il s’agit d’une grande figure qui prêtait sa plume à cet organe. L’article est accompagné de la photographie d’un Algérien torturé en France.

    La politique du crime

    Depuis le début de la guerre d’Algérie, les Algériens résidant en France n’ont pas échappé aux mesures répressives qui frappent sans discernement l’ensemble du peuple algérien. Les brimades, les vexations et les humiliations de toutes sortes ont été le lot quotidien de l’émigration algérienne. Les méthodes policières qui ont été sadiquement mises au point en Algérie dans les cillas Susini et autres officines des parachutistes, gagnaient peu à peu les locaux de la DST et les commissariats de police en France. Perquisitions, arrestations arbitraires, tortures deviennent chaque jour davantage les moyens de choix des autorités françaises dans leur tentative de briser la volonté irréductible de l’émigration algérienne dans sa lutte inflexible pour défendre ses droits à la liberté et à la dignité et pour la réalisation d’un des objectifs politiques sacrés du peuple algérien : l’indépendance nationale.

    La violence et le droit

    Des millions d’Algériens ont fait le dur apprentissage de la résistance dans les geôles  colonialistes de France. Nombre d’entre eux ont connu dans leur chair et dans leur âme les affres de la torture.

    Depuis 1956, les familles algériennes entassées dans les bidonvilles de Nanterre et e Gennevilliers vivent dans un climat d’insécurité permanente à la merci des policiers et CRS qui organisent des ratissages périodiques avec une brutalité sans pareil.

    Cette terreur policière est loin de venir à bout de la détermination de nos compatriotes en France. Elle n’a fait que renforcer  leur combativité au sein du Front de Libération Nationale qui s’est imposé comme creuset où sont venues se fondre les forces vives de toutes l’émigration algérienne.

    Une lutte héroïque s’engagea alors sur le sol même de l’adversaire et les patriotes algériens ont apporté leur précieuse contribution au renforcement du combat libérateur.

    Dans son désarroi, le gouvernement français développe son système répressif. Les prisons étant insuffisantes pour contenir les dizaines de milliers de militants arrêtés, il a fallu ouvrir de véritables camps de concentration en France même : Larzac, Thol, Mourmelon, Neuville-sur-Ain.

    Parallèlement à ces mesures d’inspiration nazie, une vaste campagne d’intoxication est déclenchée au sein de la population française par le gouvernement français et ses émules ultra-colonialistes et fascistes.

    Colonialisme et fascisme

    Pour justifier une guerre d’extermination coloniale sans issue les gouvernements français successifs ont cultivé le mythe de la grandeur de l’Empire français et ont par là même favorisé le déferlement absurde des idées chauvines et racistes qui sont à l’origine du fascisme.

    Cet état d’esprit qui s’est progressivement développé en France atteignait insidieusement certaines couches de la Gauche française elle-même dont elle a paralysé pendant longtemps les traditionnels réflexes de défense des valeurs fondamentales de démocratie et de liberté.

    Les explosions racistes survenus dernièrement à Metz où les parachutistes sous l’œil complaisant de la population civile, se sont livrés à d’odieux lynchages donnent une idée de la situation dramatique des Algériens en France.

    Par des mesures coécrives et arbitraires le gouvernement français a cru trouver les moyens susceptibles de masquer son refus de s’engager dans la voie d’une solution négociée de la guerre d’Algérie. C’est là la véritable solution capable de résoudre tous les problèmes y compris celui des Algériens de France.

    Jusqu’à présent, le gouvernement français s’est acharné à noyer dans le sang la lutte juste d’un peuple pour sa libération. Au lieu de s’engager dans une décolonisation effective, le gouvernement français donne des dimensions gigantesques à la répression. Dans la logique belliqueuse, il a généralisé ses méthodes de génocide et les applique dans toute leur sauvagerie, en France même.

    L’ère du racisme

    Le gouvernement français en instaurant le 5 octobre 1961 couvre-feu pour les Algériens de la région parisienne a érigé en système de la discrimination raciale.

    Par l’extrême gravité de ces décisions les autorités françaises ont ouvert la porte à tous les excès et ont donné la possibilité et les moyens légaux à tous les courants racistes et fascistes de donner libre cours à leur fureur haineuse et à faire le jeu de ceux qui veulent approfondir le fossé qui sépare Algériens et Français.

    Refusant de s’incliner devant ces mesures scélérates et pour attirer l’attention de l’opinion public française et internationale, les Algériens ont décidé, sous l’égide du FLN de manifester pacifiquement, dans l’ordre et la discipline. Des dizaines de milliers de travailleurs, d’étudiants, de femmes et d’enfants algériens sont descendus dans les rues de Paris pour crier leur indignation contre les mesures d’exception à caractère racial qui les frappent.

    Le vrai visage de la police et des forces de la répression est apparu dans toute sa hideur au service d’un système où le lynchage devient légal, la violence et la brutalité de règle.

    Les événements qui viennent de se dérouler dans la région parisienne donne une image de ce qu’est la guerre d’Algérie et des exactions que subit quotidiennement le peuple algérien depuis sept longues années de guerre.

    Ce déferlement de fureur aveugle contre des manifestants désarmés n’est-il pas le signe éclatant de la faillite totale du colonialisme et l’expression évidente des soubresauts de son agonie ?

    Aux yeux du monde entier, ces tragiques événements illustrent une fois de plus le génocide perpétré par le colonialisme français contre le peuple algérien.

    Alors que des perspectives de négociation commencent enfin à apparaître, les chances risquent d’être sérieusement compromises. Et c’est le gouvernement français qui portera la lourde responsabilité de tels agissements.

    On a toujours affirmé que le colonialisme et ses méthodes sont les meilleurs fourniers du fascisme. L’expérience que vit actuellement la France en est la meilleure preuve. Au fur et à mesure que s’intensifient la guerre d’Algérie et la répression colonialiste, le fascisme s’implante de plus en plus solidement en France. Les institutions républicaines sont minées, les dernières libertés démocratiques menacées.

    Certains Français conscients ont compris cette vérité essentielle. Malgré les débordements racistes d’une fraction de la population française, il s’est trouvé cependant des voix pour s’élever avec vigueur et protester  contre la politique du pire. Un grand nombre d’organisations démocratiques ont pris clairement position contre les violences policières et le racisme. Elles sont sorties du cadre habituel des protestations purement formelles pour entreprendre des actions concrètes afin de mettre un terme à ces mesures d’exception et à ce règne de terreur raciste.

    Les manifestations organisées par l’UNEF, la déclaration des intellectuels français, les pétitions des ouvriers donnent un souffle nouveau à l’action anticolonialiste. Cette prise de conscience laisse espérer un engagement plus positif du peuple français pour faire prévaloir la seule solution susceptible de mettre fin à la guerre d’Algérie, celle d’une négociation immédiate avec le GPRA, car cette lutte sur la paix qui s’impose aujourd’hui plus impérieuse que jamais, sert non seulement les intérêts véritables des peuples algériens et français, mais elle est aussi le moyen le plus sûr de briser la marée fasciste qui déferle sur la France.

    Quant au peuple algérien, convaincu de l’issue victorieuse de son combat, tout en réaffirmant son désir de parvenir à une solution juste et rapide, par al voie de la négociation, demeure farouchement résolu à poursuivre la lutte jusqu’à la liquidation totale du colonialisme.

    In El Moudjahid N° 86, du 1er novembre 1961

    http://www.babzman.com/aux-lendemains-des-evenements-du-17-octobre-1961-el-moudjahid-publie-un-article-virulent/

  • Nouveautés sur Association France Palestine Solidarité

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  • Syrie-Russie. «Nouveaux colonialismes et crise des valeurs de la gauche» (Al'Encontre.ch)

    Bachar el-Assad le 20 octobre au Kremlin rencontre Vladimir Poutine

    Bachar el-Assad le 20 octobre au Kremlin rencontre
    Vladimir Poutine

    La visite de Bachar el-Assad à Moscou n’a été révélée que mercredi 21 octobre au matin, par le porte-parole du Kremlin. «Hier soir, le président de la République arabe syrienne Bachar el-Assad est venu en visite de travail à Moscou», a annoncé Dmitri Peskov. Cette visite de Bachar el-Assad est le premier déplacement à l’étranger depuis 2011, date du soulèvement, en mars, du peuple de Syrie contre la dictature des Assad. Vladimir Poutine était entouré au Kremlin de son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, du premier ministre Dmitri Medvedev et de Nikolaï Patrouchev, ex-patron du FSB (services secrets) et secrétaire du Conseil de sécurité de Russie.

    Après les remerciements plus que protocolaires, Bachar el-Assad a exprimé sa «reconnaissance» à la Russie. Car cette dernière défend «son unité et de son indépendance. Le plus important, c’est que tout cela se fait dans le cadre de la législation internationale.» Bachar a souligné que «les pas politiques effectués par la Fédération de Russie depuis le début de la crise n’ont pas permis au terrorisme de se développer selon un scénario beaucoup plus tragique (…). Chacun comprend que les actions militaires supposent ensuite des étapes politiques.» Pour l’heure Poutine sauve plus Bachar de la débâcle qu’il n’écrase Daech. Les déclarations sur la «transition politique» servent de décors, actuellement. (Rédaction A l’Encontre)

    Lorsque la visibilité se restreint au minimum en raison de puissantes tempêtes qui obscurcissent la perception de la réalité, c’est peut-être une bonne chose d’élever le regard, d’escalader le versant afin de trouver des points d’observation plus vastes, pour discerner le contexte dans lequel nous nous mouvons. En ce moment, alors que le monde est traversé de multiples contradictions et intérêts, il est urgent d’aiguiser les sens afin de pouvoir observer plus loin, ainsi que vers l’intérieur.

    En des temps de confusion où l’éthique fait naufrage, où les points de repère élémentaires disparaissent et que s’installe quelque chose de semblable à un «tout se vaut» qui permet de soutenir n’importe quelle cause pour autant qu’elle s’oppose à l’ennemi principal, au-delà de toute considération de principes et de valeurs. Des raccourcis qui aboutissent à des impasses, tel celui qui revient à réunir Poutine et Lénine, pour prendre un exemple presque à la mode.

    L’intervention russe en Syrie est un acte néocolonial, qui place la Russie du même côté de l’histoire que les Etats-Unis, la France et l’Angleterre. Les colonialismes bons, émancipateurs, n’existent pas. On aura beau justifier l’intervention russe en utilisant l’argument qu’elle freine l’Etat islamique et l’offensive impériale dans la région, il n’en restera pas moins qu’il s’agit d’une action symétrique utilisant des méthodes identiques et des arguments semblables.

    La question que je considère centrale est la suivante: pourquoi entend-on des voix de la gauche latino-américaine en soutien à Poutine? Il est évident que nombreux sont ceux qui ont placé leurs espoirs en un monde meilleur dans l’intervention de grandes puissances comme la Chine et la Russie, avec l’espoir qu’elles freinent ou qu’elles défassent les puissances encore hégémoniques. Cela est compréhensible, eu égard aux méfaits commis par Washington dans notre région [Amérique du Sud]. Mais c’est une erreur stratégique et une déviation éthique.

    Je voudrais éclairer cette conjoncture, particulièrement critique, en faisant appel à un document historique: la lettre qu’Aimé Césaire a adressée, en octobre 1956, à Maurice Thorez (secrétaire général du Parti communiste français). Le texte a été écrit lors d’un zigzag de l’histoire, peu après le XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique au cours duquel les crimes du stalinisme furent dénoncés publiquement; soit le même mois que le soulèvement du peuple hongrois contre le régime bureaucratique pro-russe (qui se solda par plusieurs milliers de morts) et que de l’agression coloniale contre l’Egypte suite à la nationalisation du canal de Suez [en octobre Israël envahit la bande Gaza et le Sinaï et atteint la zone du canal; dès le 31 octobre la France et le Royaume-Uni bombardent les aérodromes de l’Egypte; début novembre des troupes françaises interviennent au sol; les Etats-Unis vsent à désamorcer la crise» et à avancer leurs pions; l’URSS soutient Nasser et construit une influence dans la région].

    Césaire quittait le parti (PCF) suite à un congrès honteux lors duquel la direction fut incapable de faire preuve de la moindre autocritique face aux révélations de crimes que, dans les faits, elle soutenait. Il naquit à la Martinique, tout comme Frantz Fanon, dont il fut l’enseignant de secondaire. Il fut poète et fondateur du mouvement de la négritude dans les années 1930. En 1950, il écrivit un Discours sur le colonialisme qui eut un grand impact au sein des communautés noires. Sa lettre à Thorez fut, pour reprendre les mots d’Immanuel Wallerstein, «le document qui expliqua et exprima le mieux la distanciation entre le mouvement communiste mondial et les divers mouvements de libération nationale» (dans son introduction au Discours sur le colonialisme [publié dans l’édition espagnole de 2006 parue chez l’éditeur] Akal, p. 8). Il y a trois questions qui, dans sa lettre, éclairent la crise des valeurs de la gauche que nous traversons actuellement.

    • La première tient au manque de volonté de rompre avec le stalinisme. Césaire se révolte contre le relativisme éthique qui prétend conjurer les crimes du stalinisme «par quelque phrase mécanique». C’est en effet au moyen d’une phrase fétiche, répétée, qui affirme que Staline «commit des erreurs». Assassiner des milliers de personnes n’est pas une erreur, même si l’on tue au nom d’une cause supposée juste.

    La plus grande partie de la gauche ne fit pas un bilan sérieux, autocritique, du stalinisme qui, ainsi que cela a été écrit dans ces pages [dans le journal mexicain La Jornada], va bien au-delà de la figure de Staline. Ce qui a donné vie au stalinisme est un modèle de société centré sur l’Etat et sur le pouvoir d’une bureaucratie qui se transforme en bourgeoisie d’Etat, qui contrôle les moyens de production. On continue de miser sur un socialisme qui répète ce modèle vieux et caduc de centralisation des moyens de production.

    • La deuxième question est que la lutte des opprimés «ne peut pas être traitée comme une partie d’un ensemble plus important», affirme Césaire, car existe une «singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème». La lutte contre le racisme, ajoute-t-il, est d’une «tout autre nature que la lutte de l’ouvrier français contre le capitalisme français et ne saurait en aucune manière être considérée comme une partie, un fragment de cette lutte» [subordonné à cette dernière].

    Sur ce point, les luttes anticoloniales et antipatriarcales relèvent du même ordre. «Ces forces ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer.» Aujourd’hui encore nombreux sont ceux qui ne comprennent pas que les femmes ont besoin de leurs propres espaces, à l’instar de tous les peuples opprimés.

    Césaire affirme qu’il s’agit de ne «pas confondre alliance et subordination», une chose très fréquente lorsque les partis de gauche prétendent «assimiler» les revendications des différentes sections de ceux d’en bas en une cause unique, au moyen de la sacro-sainte unité qui ne fait rien d’autre qu’homogéniser les différences, installant de nouvelles oppressions.

    • La troisième question qu’éclaire la lettre de Césaire, d’une actualité qui provoque la colère, est en rapport avec l’universalisme. Plus exactement, avec la construction d’universaux qui ne soient pas eurocentristes, au sein desquels la totalité ne s’impose pas aux diversités. «Il y a deux manières de se perdre: par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’“universel”.»

    Nous sommes toujours loin de bâtir «un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers», ainsi que l’écrivait Césaire il y a soixante ans.

    Ceux qui misent sur des pouvoirs symétriques à ceux qui existent, excluant et hégémoniques, mais de gauche; ceux qui opposent aux bombes mauvaises des Yankees les bonnes bombes des Russes suivent le chemin tracé par le stalinisme faisant table rase du passé et des différences, au lieu d’œuvrer à quelque chose de différent, pour un monde qui contient d’autres mondes.

    (Traduction A L’Encontre, article publié le 16 octobre dans le quotidien mexicain La Jornada. L’intégralité de la lettre d’Aimé Césaire peut se lire ici. Sur les impérialismes et la Syrie, nous renvoyons aux deux textes publiés sur ce site en date du 16 octobre: Ni Daech, ni Assad, pour une paix juste et du 19 octobre: «Empêcher l’effondrement du régime Assad»)

    Publié par Alencontre le 21 - octobre - 2015Par Raúl Zibechi
     
  • Israël-Palestine. «Pas de paix tant que l’occupation continue» (Al'Encontre.ch)

    Marwan Barghouti devant un tribunal de Tel-Aviv, en 2003

    Marwan Barghouti devant un tribunal de Tel-Aviv, en 2003

    Une grande partie des médias présente la situation à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et à Gaza comme une «soudaine explosion» qualifiée sommairement – avec un inuendo dépréciatif – d’«Intifada des couteaux». Or, au printemps 2015, dans un rapport des consuls généraux de l’Union européenne, présents en Israël et dans les territoires occupés, portant sur l’année 2014, ces derniers insistaient sur «la polarisation et la violence», sans commune mesure depuis 1967 ou la fin de la seconde Intifada (2005) à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Ce document, intitulé EU Heads of Mission (HOMS) Report on Jerusalem, a été publié en anglais et peut être consulté à l’adresse suivante: http://www.eccpalestine.org/wp-content/uploads/2015/03/EU_HOMS_REPORT_ON_JERUSALEM-2014.pdf.

    Il ressort, pour faire court, que: «Aussi longtemps que le statut de la ville ne sera pas résolu, un accord global entre Israéliens et Palestiniens ne sera pas possible. Ce point n’a jamais été aussi pertinent que cette année. […] Au cours de l’année 2014, la situation s’est gravement détériorée à Jérusalem dans pratiquement tous les domaines couverts par les rapports précédents.

    »L’expansion de la colonisation s’est poursuivie, y compris dans les zones très sensibles; des politiques très restrictives sur les constructions palestiniennes à Jérusalem ont été maintenues avec force et ont été suivies par des vagues de démolitions et d’expulsions; l’éducation pour les Palestiniens reste inéquitable; les Palestiniens continuent d’affronter des difficultés pour bénéficier des soins de santé; l’économie de Jérusalem-Est ne montre aucun signe d’amélioration. De surcroît, Israël a remis en vigueur des mesures punitives, comme la révocation des droits de résidence et la démolition des habitations des Palestiniens impliqués dans des attentats.»

    Le constat a été confirmé. Et les mesures répressives de l’Etat israélien se sont accentuées: blocus de Jérusalem-Est traité comme de fait intégré à Jérusalem-Ouest, revendication ouverte que les corps de Palestiniens tués ne seraient pas restitués aux familles (une pratique existant depuis longtemps, mais rarement revendiquée, le «cimetière des numéros» se trouve dans un camp militaire israélien tenu secret), encouragement au port d’armes pour les citoyens et citoyennes (à l’exception des citoyens arabes israéliens), tirs à balles réelles indiscriminés étayés par la loi, etc. Les médias qui dénoncent la violence de jeunes Palestiniens, poignardant des Israéliens, font une différence qualitative entre une exécution effectuée par un drone israélien et une attaque avec un couteau. «S’opposer à la violence» – quand bien même lutter contre une occupation militaire relève d’un droit légitime – impliquerait de dénoncer tout ce genre de violences. Le climat créé par les autorités et pas seulement par quelques groupes nationalistes et/ou intégristes extrémistes aboutit à ce que Dahlia Scheindlin décrit ainsi: «Jérusalem est devenu un mini-Etat policier et une capitale fantôme» (site israélien +972, 20 octobre 2015).

    Zev Sternhell, membre de l’Académie israélienne des sciences et lettres, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, commençait ainsi une longue tribune publiée dans Le Monde du 13 octobre: «C’est contre la colonisation continue des territoires conquis en 1967 que se révoltent une fois de plus en ce moment les Palestiniens. Ils comprennent que la colonisation vise à perpétuer l’infériorité palestinienne et rendre irréversible la situation qui dénie à leur peuple ses droits fondamentaux.»

    Marwan Barghouti, détenu dans une prison israélienne de haute sécurité depuis 2002, a transmis au quotidien anglais The Guardian le texte que nous publions ci-dessous. Il est en syntonie, sur le fond, avec Zev Sternhell. (Rédaction A l’Encontre)

    Par Marwan Barghouti:

    L’escalade de violence actuelle n’a pas commencé lorsque deux colons israéliens ont été tués le 3 octobre. Cette escalade a commencé il y a bien longtemps et a continué durant des années. Chaque jour, des Palestiniens sont tués, blessés et arrêtés. Chaque jour, la colonisation avance, le siège de notre peuple à Gaza se prolonge, l’oppression persiste. Alors que beaucoup veulent que nous nous sentions écrasés par les conséquences potentielles d’une nouvelle spirale de violence, je demande – comme je le plaidais en 2002 – de nous occuper des causes fondamentales de cette situation: la négation de la liberté des Palestiniens.

    Quelques-uns ont suggéré que la raison pour laquelle un accord de paix n’avait pu être atteint résidait dans le manque de volonté du président Yasser Arafat [mort en novembre 2004] ou l’incapacité du président Mahmoud Abbas [élu en janvier 2005]. Or, les deux étaient prêts et capables de signer un accord de paix. Le problème réel est qu’Israël a choisi l’occupation et non la paix, a utilisé les négociations comme un écran de fumée pour camoufler l’avance de son projet colonial. Chaque gouvernement dans le monde est conscient de ce simple fait et néanmoins beaucoup prétendent que revenir aux recettes ayant échoué dans le passé pourrait faire aboutir la liberté et la paix. Cette absurdité est répétée sans cesse tout en en attendant des résultats différents.

    Il ne peut y avoir de négociations sans un compromis avec Israël impliquant un retrait complet des territoires palestiniens occupés en 1976, y compris Jérusalem-Est; sans mettre fin totalement à tous les aspects de la politique coloniale; sans la reconnaissance du droit inaliénable du peuple palestinien, y compris son droit à l’autodétermination et au retour; et sans la libération de tous les prisonniers palestiniens. Nous ne pouvons coexister avec l’occupation et nous n’allons pas capituler face à elle.

    On nous a demandé d’être patients et nous l’avons été, donnant chance après chance à ce qu’un accord de paix soit atteint. Peut-être est-il utile de rappeler au monde que notre dépossession, que notre exil forcé et notre transfert [sur d’autres terres et dans d’autres pays] et finalement notre oppression durent maintenant depuis près de 70 ans. Nous représentons l’unique question qui reste à l’agenda de l’ONU depuis la fondation de cette dernière. On nous a dit que si nous avions recours à des moyens pacifiques et aux canaux diplomatiques, nous recevrions l’appui de la communauté internationale pour mettre fin à l’occupation. Toutefois, au même titre que durant la période qui s’est ouverte en 1999 [accord de Charm el-Cheikh signé entre les représentants de l’OLP et de l’Etat israélien], la communauté internationale échoue à nouveau à prendre quelques initiatives significatives, que ce soit en mettant en place un cadre international pour appliquer la loi internationale et les résolutions de l’ONU ou que ce soit en prenant des mesures assurant que les responsabilités soient établies, en incluant le boycott, les désinvestissements et les sanctions, mesures qui ont joué un rôle crucial pour que le régime d’apartheid [sud-africain] soit éliminé.

    Ainsi, en l’absence d’une action internationale pour mettre fin à l’occupation israélienne et à l’impunité du pouvoir israélien, ou même pour assurer notre protection, que nous demande-t-on de faire? Rester là et attendre que la prochaine famille palestinienne soit brûlée [incendie la nuit de la maison d’une famille palestinienne dans le village de Douma, le 31 juillet, un enfant et trois membres de la famille sont décédés], qu’un autre enfant palestinien soit tué [référence est faite à Mohamed Abu Khdeir, kidnappé par des colons et brûlé vif, le 4 juillet 2014], qu’une nouvelle colonie soit construite? Le monde entier sait que Jérusalem est la flamme qui peut inspirer la paix et aussi provoquer la guerre. Pourquoi dès lors le monde reste coi alors que les attaques israéliennes contre le peuple palestinien dans la ville qui est le lieu saint des musulmans et des chrétiens, en particulier pour ce qui a trait à la Mosquée Al-Aqsa, continuent sans relâche. Les actions et les crimes de l’Etat israélien non seulement détruisent la solution des deux Etats sur les frontières de 1967, mais violent la loi internationale. Ils menacent de transformer une solution politique viable en une guerre religieuse sans fin qui minera la stabilité dans cette région qui subit déjà des bouleversements sans précédent.

    Personne sur terre n’accepterait de vivre sous l’oppression. Par définition, les êtres humains aspirent à la liberté, luttent pour la liberté, se sacrifient pour la liberté, et la liberté du peuple palestinien lui est due depuis longtemps. Pendant la première Intifada [commencée en décembre 1987], le gouvernement israélien a lancé une politique de «briser les os pour briser la volonté» [la formule fait référence à l’ordre d’Yitzhak Rabin, alors ministre de la Défense, de «briser les os» des lanceurs de pierres], mais génération après génération, le peuple palestinien a donné la preuve que sa volonté était inflexible et cela n’a pas besoin d’être testé.

    La nouvelle génération palestinienne n’a pas attendu l’aboutissement de discussions de réconciliation pour concrétiser une unité nationale que les partis politiques [Fatah et Hamas] ont échoué à concrétiser. Cette nouvelle génération s’est élevée au-dessus des divisions politiques et de la fragmentation géographique [entre les divers «bantoustans» créés par le système de colonisation israélien en Cisjordanie, à quoi s’ajoutent le statut de Jérusalem-Est et la césure entre la Cisjordanie et Gaza]. Cette génération n’a pas attendu des instructions pour exiger ses droits et accomplir son devoir: résister à l’occupation. Elle le fait sans armes, tout en devant s’affronter à l’une des plus puissantes forces militaires dans le monde. Dès lors, nous sommes convaincus que cette liberté et cette dignité doivent triompher et nous vaincrons. Le drapeau que nous avons brandi avec fierté à l’ONU [le drapeau palestinien a été déployé à l’ONU pour la première fois après l’Assemblée générale fin septembre 2015] va flotter un jour sur les murailles de la vieille ville de Jérusalem pour signaler notre indépendance.

    J’ai adhéré au combat pour l’indépendance de la Palestine il y a 40 ans et je fus incarcéré pour la première fois à l’âge de 15 ans. Cela ne m’a pas empêché de plaider pour la paix en accord avec la loi internationale et les résolutions de l’ONU. Mais Israël, la puissance occupante, a méthodiquement détruit cette perspective année après année. J’ai passé 20 ans de ma vie dans les prisons israéliennes, y compris les 13 dernières années, et ces années m’ont rendu encore plus certain de cette vérité inaltérable: le dernier jour de l’occupation sera le premier jour de paix. Ceux qui veulent la paix ont besoin d’agir, d’agir maintenant, pour que survienne ce moment. (Article publié dans The Guardian, le 11 octobre 2015, traduction A l’Encontre)

    Publié par Alencontre le 21 - octobre - 2015
     
  • La mosquée: encore une autre bataille dans la lutte pour la libération nationale (Ujfp)

    La mosquée al-Aqsa en danger - Résumé du rapport annuel de l’Institution Internationale al-Qods (QII) - septembre 2012

    Samah Jabr est Jérusalémite, psychiatre et psychothérapeute, dévouée au bien-être de sa communauté, au-delà des questions de la maladie mentale.

    Si la lutte pour le sanctuaire d’Al-Aqsa est perçue en Occident comme une cause alimentée par un Islam fanatique, les Palestiniens la perçoivent comme une bataille parmi d’autres dans leur lutte contre une occupation coloniale et ses injustices et violations incessantes des droits humains fondamentaux.

    Il est indéniable que beaucoup d’entre nous considèrent Al Aqsa comme sainte et sacrée, même si le Président palestinien considère comme sacrée la coordination de la sécurité avec Israël ! Mais même ces Palestiniens qui ne voient pas en Al Aqsa un lieu saint le considèrent comme un magnifique monument historique national, qui leur fournit des souvenirs de ces pique-niques auxquels nous avions l’habitude de participer avec nos grands-mères quand nous étions jeunes, et comme un immense atout pour les enfants qui autrement seraient privés d’un endroit pour jouer. Le sanctuaire d’Al Aqsa continue d’être un foyer, un lieu d’attachement chaleureux, et un sanctuaire psychologique pour les Palestiniens – qu’ils soient ou non musulmans pratiquants –, contraints de vivre sous un système d’apartheid qui fait d’eux des étrangers dans leur propre ville.

    Au beau milieu de cette lutte pour préserver l’identité de la mosquée et du sanctuaire comme musulmane et arabe-palestinienne, les Palestiniens se trouvent de plus en plus isolés des régimes et institutions arabes et musulmans défaillants de toute la région. Le Président égyptien vient de rouvrir l’ambassade israélienne en Égypte et il a appelé, depuis la tribune des Nations-Unies, à l’expansion de l’accord de paix égyptien avec Israël en y intégrant les autres pays arabes.

    Les modifications israéliennes du statut d’Al Aqsa incluent l’imposition d’heures de visite séparées pour les musulmans et pour les juifs, et l’expansion des travaux d’excavation secrets sous la mosquée. Ces modifications interviennent en violation de l’accord de paix de 1994 entre les autorités jordaniennes et israéliennes donnant aux premières le contrôle sur le sanctuaire, parmi d’autres sites islamiques ; la réticence jordanienne à réagir face à ces violations n’est qu’une invitation à Israël à s’approprier le site. Israël viole déjà, et le droit international, et les sept résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui condamnent la tentative d’Israël d’annexer Jérusalem-Est – notamment les Résolutions 478 et 476 qui dénoncent la proclamation, par Israël, de Jérusalem comme sa capitale éternelle et indivisible.

    Ce ne sont plus seulement les extrémistes israéliens qui poussent à l’appropriation du sanctuaire et de l’enceinte de la mosquée. Les déclarations sur la démolition des sites islamiques en tant que sites païens, et sur la reconstruction du Mont du Temple en leur lieu et place, ne sont plus un discours chez les jusqu’au-boutistes uniquement.

    Des ministres et des membres de la Knesset, tels que le ministre de la Sécurité intérieure Gilad Erdan, le ministre de l’Agriculture Uri Ariel, et la membre de la Knesset Miri Regev, exigent maintenant de changer le statu quo afin de permettre aux juifs de venir prier dans le sanctuaire. Tsypi Hotovely, autre membre de la Knesset, qui a marqué son dernier jour de femme célibataire par une visite au sanctuaire, a pris une photo devant le Dôme du Rocher, se référant à lui comme au « site le plus sacré du judaïsme ».

    Moshe Feiglin, vice-président du parlement israélien, du parti Likoud, a déclaré il y a un an : « Je ne demande pas l’égalité au Mont du Temple ; il n’y a aucune égalité – il est à nous, et à nous seuls ». En outre, le mouvement religieux qui se développe rapidement profite du soutien israélien, gouvernemental, politique et financier – de même que du soutien des forces militaires israéliennes. Pendant ce temps, les autorités israéliennes font tout ce qu’elles peuvent pour interdire aux organisations et institutions palestiniennes musulmanes, tels le Murabiteen, le Murabitat et le mouvement islamique en Israël, toute action juridique et pacifique pour protéger l’identité musulmane du site.

    Les craintes des Palestiniens à propos de la mosquée ne sont pas déconnectées de la réalité. En 1967, dans les deux premiers jours de l’occupation de Jérusalem-Est, l’armée israélienne a entrepris précipitamment la démolition du quartier palestinien appelé Quartier marocain, dans la Vieille Ville, et celle de la mosquée Sheikh Eid, qui avait été construite sur l’École Afdalieh, l’une des plus anciennes écoles islamiques. Tout cela a été détruit pour ouvrir l’espace pour la place du Mur des Lamentations. Plus de cent familles palestiniennes ont reçu l’ordre de quitter leurs maisons, et celles qui ont refusé ont été ensevelies sous leurs propres maisons quand les bulldozers ont rasé le quartier.

    En 1994, la déclaration sur l’importance juive revendiquée pour la mosquée Ibrahimi a provoqué un massacre de fidèles palestiniens et une division spatiale de la mosquée. Peu après, les autorités israéliennes ont fermé 520 entreprises autour de la Vieille Ville et fermé aux Palestiniens la principale route qui traverse la ville afin de sécuriser un passage par un usage exclusif pour la population juive.

    Les craintes des Palestiniens se fondent sur l’expansion juive rapide dans la ville, la construction de petits commerces et du « Musée de la Tolérance » sur le cimetière islamique historique de Mamanullah, l’appropriation de maisons à Silwan et Sheikh Jarrah, et la réalisation du tramway et des téléphériques sur la terre palestinienne afin de rendre plus accessible la Vieille Ville de Jérusalem aux colons. Pendant ce temps, les Palestiniens sont traités comme des résidents temporaires dans la ville de leurs grands-parents, et punis pour leur lien biologique avec tous ceux qui défient l’occupation par la démolition de leurs maisons et la privation de leurs cartes de résidence.

    Les sentiments pandémiques de l’islamophobie ont fait que la communauté internationale – qui a décriée bruyamment la destruction de ruines et de temples antiques par les Talibans et ISIS – que cette communauté internationale est devenue sourde et muette devant les destructions israéliennes.

    Les autorités israéliennes offrent librement leur concours aux groupes religieux et aux bandes de colons pour qu’ils s’approprient tout Jérusalem, en refusant aux Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza occupées l’accès à la ville et à ses lieux saints. Même les habitants palestiniens de Jérusalem-Est sont séparés par des restrictions sur le sexe et l’âge quand ils souhaitent entrer à la mosquée et ils sont contraints de laisser leurs papiers d’identité à la porte, pour les récupérer un moment plus tard à un poste de police.

    Israël a fait tout ce qu’il a pu pour briser le lien spirituel et émotionnel des Palestiniens avec Jérusalem. Mais leur politique a conduit à l’effet inverse. La lutte pour la mosquée qui s’est engagée dans chaque ville, chaque commune et chaque village de la Palestine, démontre aujourd’hui que nous sommes conscients qu’il ne s’agit pas seulement de culte ou de religion, mais qu’il s’agit aussi de résister à une occupation illégale qui resserre son emprise sur Jérusalem-Est, qui s’empare de ce qui est le plus précieux pour tous les Palestiniens, qu’ils soient chrétiens ou musulmans.

    mercredi 21 octobre 2015 par Samah Jabr