Compte rendu, par CADTM international, du lancement de la campagne.
Le 17 décembre à Tunis, le coup d’envoi de la campagne « Droit de savoir la vérité sur la dette de la dictature. Auditons la dette, donnons une chance à la Tunisie » a été donné.
Cette campagne, lancée par le Front populaire (coalition de partis politiques tunisiens) et l’association RAID (membre des réseaux CADTM et ATTAC), vise à médiatiser le sujet de la dette et créer un soutien populaire afin de réaliser un audit de la dette tunisienne.
Une proposition de loi portant création d’une Commission d’audit avec la participation de la « société civile », s’inspirant des exemples équatorien et grec, est en voie de finalisation et sera déposée début 2016 au Parlement tunisien.
Pour le lancement de cette campagne, pas moins de dix-neuf portraits ont été installés le 17 décembre sur 80 panneaux de 12 m2 dans 14 villes et 40 « sucettes » de 1,2 m2 dans quatre grandes villes de Tunisie. Ces affiches montrent des Tunisiennes et des Tunisiens sur leur lieu de travail : un épicier, un marchand ambulant, une enseignante, un maçon, une pharmacienne, un député, un étudiant, etc, accompagnées de citations comme « la dette tue la santé publique », « pas de souveraineté populaire sans audit de la dette », « payer la dette odieuse c’est blanchir de l’argent », « je veux vivre et travailler dans mon pays ».
Le choix de la date est symbolique puisqu’il y a tout juste cinq ans, le 17 décembre 2010, le peuple tunisien se soulevait contre le régime provoquant la fuite du dictateur Ben Ali le 14 janvier 2011.
Combien les Tunisien-n-e-s paient-il chaque année pour le remboursement de la dette ?
Combien représente le service de la dette par rapport aux budgets de l’éducation, de la santé, des affaires sociales ?
Pour quels projets, quelle type de politique s’est endettée la Tunisie ?
Quelle est la part de la dette héritée du régime dictatorial de Ben Ali ?
Quelles sont les conditions posées par la Banque mondiale, le FMI, l’Union européenne, le Qatar, pour octroyer leurs prêts ?
Quelle est la part odieuse, illégitime, illégale, insoutenable de la dette ? etc.
Autant de questions élémentaires devant déboucher sur une autre grande question : Doit-on payer la dette ? Si oui, quelle partie ?
Le lancement de cette campagne pour la vérité sur la dette tunisienne a logiquement été immédiatement soutenue par le CADTM et ATTAC dont plusieurs membres internationaux ont fait le déplacement pour animer une formation le 18 décembre à destination des députés tunisiens du Front populaire sur l’audit de la dette et intervenir lors de la conférence internationale sur ce sujet le 19 décembre en plein cœur de Tunis.
Ont répondu présent-e-s à l’invitation :
Omar Aziki (Secrétaire général d’ATTAC-CADTM Maroc),
Fatima Zahra El Belghiti (ATTAC-CADTM Maroc),
Claude Quémar (vice-président du CADTM France)
Renaud Vivien (co-secrétaire général du CADTM Belgique).
A ces représentants du CADTM et ATTAC s’ajoutent :
Marie-Christine Vergiat (eurodéputée du groupe de la Gauche Unitaire européenne/Gauche Verte - GUE/NGL)
Plusieurs personnalités tunisiennes dont :
Samir Cheffi (Membre du Bureau exécutif de l’UGTT – le principal syndicat),
Ahmed Seddik (président du groupe parlementaire du Front populaire),
Salem Ayari (Secrétaire général de l’Union des diplômés)
Fathi Chamkhi (député du Front populaire, auteur de la proposition de loi sur l’audit).
Les retombées médiatiques de cette conférence ne se sont pas faites attendre puisque un reportage était diffusé le soir même à la télévision nationale. Au total, neuf grands médias tunisiens (télévision et radio) ont fait le déplacement et couvert cet événement d’une importance cruciale pour le pays comme l’ont souligné les différents intervenant-e-s.
Ahmed Seddik (Front populaire
Le président du groupe parlementaire du Front populaire Ahmed Seddik a ouvert la conférence en insistant sur la dimension démocratique du travail d’audit. Réaliser l’audit de la dette constitue un droit démocratique fondamental des citoyen-ne-s pour connaître la vérité.
C’est également une question de transparence permettant de responsabiliser les dirigeants et d’empêcher la formation d’un nouveau cycle d’endettement odieux.
Le président a également mis en avant l’exemple du gouvernement équatorien qui, avec des représentants des mouvements sociaux équatoriens et internationaux, a réalisé en 2007-2008 un audit intégral de la dette publique sans demander l’autorisation de ses créanciers. Sur base du rapport d’audit, l’Équateur a fait l’économie de 7 milliards de dollars qui ont pu être utilisés pour augmenter les dépenses dans l’éducation et la santé au lieu de servir à payer la dette illégitime.
Il conclut en disant que l’audit contribuera à réaliser la transition démocratique et sociale à laquelle le peuple tunisien a droit.
Samir Cheffi (UGTT)
Le syndicaliste Samir Cheffi, membre du Bureau exécutif de l’UGTT, a ensuite pris la parole en affirmant que la gestion actuelle de la dette se fait au détriment de la population et que la dette doit servir l’intérêt général.
L’audit doit servir à identifier les parties odieuses et illégitimes de la dette avant de conclure que nous n’avons pas d’obligation de rembourser une dette qui a servi à une minorité de riches, et que ceux qui participent à la réalisation de l’audit servent l’intérêt du peuple tunisien.
Marie-Christine Vergiat (eurodéputée)
L’eurodéputée Marie-Christine Vergiat, qui apporte son soutien actif au peuple tunisien depuis de nombreuses années, a salué également l’importance de cette campagne en soulignant que le combat contre la dette odieuse et illégitime n’est pas un combat qui oppose les peuples du Sud à ceux du Nord. C’est un combat commun des peuples du Sud et du Nord contre l’oligarchie.
L’Europe est également durement frappée par la dette et les politiques d’austérité. La Grèce en est un parfait exemple.
Mme Vergiat a rappelé l’appel qu’elle avait lancé en 2011 avec d’autres députés européens pour soutenir la campagne en Tunisie demandant un moratoire et l’audit de la dette tunisienne |1|. Elle propose de relancer cet appel lorsque la proposition de loi tunisienne sur l’audit sera déposée. Cet appel qui avait été signé en mars 2011 par 120 parlementaires en Europe relayait à l’époque les revendications d’une partie de la « société civile » tunisienne et en particulier de RAID-ATTAC-CADTM Tunisie.
Elle conclut en dénonçant l’hypocrisie des créanciers qui, au lendemain de la chute de Ben Ali, avaient promis de verser 20 milliards d’euros d’aide à la Tunisie. Où est passé cet argent ? A t-il bien été versé ? En réalité, les créanciers n’ont pas tenu leurs promesses à l’image du gouvernement français qui avait promis de convertir une partie de ses créances en projets d’investissement mais qui n’a toujours rien fait. Pire, ces créanciers ont alourdi le poids de la dette en octroyant des prêts (et non des dons) qui ont servi à rembourser les anciennes dettes odieuses de Ben Ali.
Salem Ayari (Union des diplômés-chômeurs (UDC)
Salem Ayari (Secrétaire général de l’Union des diplômés chômeurs), a rappelé la situation de milliers de diplômés qui se retrouvent au chômage pendant des années, malgré le niveau de leur formation. La situation de ces diplômés est, en effet, liée directement aux choix politiques qui visent à diminuer les investissements publics dans les secteurs fournissant des emplois stables.
Traînés de stages en formations sous-payées, les diplômés tunisiens se retrouvent marginalisés et privés de stabilité. Il souligne que son organisation s’impliquera activement dans le campagne pour un audit.
Renaud Vivien (CADTM-Belgique)
Renaud Vivien, co-secrétaire général du CADTM Belgique, est intervenu pour partager son expérience comme membre de la Commission d’audit de la dette grecque qui a été mise en place par l’ex-présidente du Parlement grec en avril 2015 |2|.
Après avoir rappelé les causes principales de la dette grecque avant l’imposition du premier programme d’austérité par les créanciers en 2010, il a souligné les conséquences dramatiques de l’austérité et du remboursement de la dette cinq années plus tard : le PIB a chuté de 25%, 605 établissements scolaires ont été fermés, le chômage a explosé et... la dette publique est passée 113% en 2009 à 175 % en 2015.
Il a ensuite rappelé que les audits de la dette sont des armes stratégique entre les mains des débiteurs à condition d’y associer la population. L’audit permet, en effet, de renverser le rapport de force politique.
Grâce aux résultats de l’audit, nous pouvons dire aux créanciers : « Je n’appliquerai pas vos conditions car je n’ai pas à rembourser votre dette. J’apporte la preuve que la dette que vous me réclamez est illégale, illégitime, odieuse la dette est insoutenable pour le population ».
Il a conclu en soulignant des exemples récents de non-paiement de la dette comme l’Islande (pays de seulement 320 000 habitants) qui a remis en cause le paiement de sa dette illégitime malgré le chantage des créanciers qui a inscrit l’Islande sur la liste noire des organisations terroristes et lui ont fait un procès. Procès que ces créanciers ont perdu puisque le Tribunal saisi a confirmé qu’il n’existait pas d’obligation pour un État de rembourser les dettes du secteur privé |3|.
Fathi Chamkhi (Front populaire)
Fathi Chamkhi (député du Front populaire à l’origine de la proposition de loi pour un audit de la dette tunisienne) est revenu sur la situation tunisienne en soulignant le poids de la dette dans le budget 2016 qui met gravement en danger le développement de la Tunisie.
Il a illustré à quel point la dette est un instrument de domination néo-coloniale.
Il a dénoncé les mensonges du gouvernement et des pseudo experts économiques qui osent dire que la dette sert à payer les salaires des travailleurs tunisiens pénalisés par les grèves de l’UGTT.
Fathi Chamkhi a également dénoncé l’attitude du gouvernement qui la veille (le 18 décembre) a sollicité de la part du FMI un nouveau prêt qui sera assorti comme toujours de mesures anti-sociales |4|.
Il a conclu son intervention en donnant les grandes lignes de la proposition de loi sur l’audit de la dette tunisienne en voie de finalisation.
L’audit devrait être réalisé par un comité au sein de l’Assemblée ouvert à la « société civile » qui examinera notamment tous les contrats des prêts depuis juillet 1986, date du premier programme d’ajustement structurel en Tunisie.
Les rapports de ce Comité seront soumis chaque trimestre à l’Assemblée et les résultats seront présentés à la population tunisienne pour avis et prise de décision.
Omar Aziki (ATTAC-CADTM Maroc)
Le secrétaire général d’ATTAC-CADTM Maroc, Omar Aziki a fait le parallèle entre la situation en Tunisie et celle de son pays. Le remboursement de la dette (82 % du PIB) s’y fait là aussi au détriment de l’éducation et de la santé. Les mêmes acteurs y interviennent : FMI, Banque mondiale, Union européenne qui imposent leurs diktats aux pouvoirs publics locaux (avec l’accord tacite de ceux-ci).
Le FMI, qui réalise au moins trois visites par an au Maroc, impose en échange de nouveaux prêts, une réforme des retraites qui a déjà suscité des mobilisations de masse, sans oublier la suppression ou la diminution de subventions sur des produits de première nécessité (butane, farine, sucre).
Il conclut que les mouvements sociaux doivent répondre à ces attaques par la réalisation d’audits de la dette au Maroc comme en Tunisie.
Pour clôturer cette conférence au ton et au contenu combatifs
Le célèbre discours prononcé par l’ancien président du Burkina Faso Thomas Sankara sur la dette de 1987 |5| a été projeté, suivi d’extraits d’une pièce de théâtre tunisienne en ombres chinoises vulgarisant le système de la dette.
Cette conférence du 19 décembre n’est qu’un jalon de cette campagne qui va maintenant se poursuivre dans toute la Tunisie. Les portraits resteront affichés jusqu’au 17 janvier ainsi que dans le hall principal du Parlement tunisien.
Une caravane composée de militant-e-s et de député-e-s se déplacera dans sept villes pour aller à la rencontre de la population pour informer, sensibiliser, convaincre et mobiliser le maximum de personnes pour le soutien à l’audit de la dette.
Prochaines étapes : Le Kef, Siliana, Sidi Bouzid et Gafsa du 8 au 11 janvier suivies de Kairouan, Sfax et Nabeul du 15 au 17 janvier. Dans chacune de ces villes, une tente sera plantée dans l’artère principale où auront lieu des animations culturelles ainsi que la distribution de manuels sur l’audit et de livres sur la dette de la Tunisie.
Notes :
|1| http://cadtm.org/Appel-des-parlementaires-europeens,6560
|2| Lire le rapport préliminaire de juin 2015 http://cadtm.org/Rapport-preliminaire-de-la
Lire le deuxième rapport de septembre 2015 http://cadtm.org/Analyse-de-la-legalite-du
|3| http://cadtm.org/Le-tribunal-de-l-AELE-rejette-les
|4| http://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2015/pr15574f.htm