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  • Syrie: Gilbert Achcar & Assaad Al-Achi au Forum L'Autre Genève 28 mai 2016

    Syrie, printemps 2016, les derniers développements (Gilbert Achcar et Assaad Al-Achi au Forum L'Autre Genève, 28 mai 2016) from La brèche TV on Vimeo.

  • Tamazight, langue de France : le CMA appelle à la mobilisation (Le Matin.dz)

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    En 2001, un collectif de plus de 30 associations culturelles franco-amazighes, a entrepris une démarche en vue de faire cesser les discriminations qui frappent les citoyens de culture amazighe et de donner à Tamazight (la langue amazighe) les moyens publics pour assurer sa promotion.

    Cette démarche portait le titre significatif de « Citoyens à part entière, Tamazight à l’Education Nationale ».


    Au cours de la période 2002-2004, les représentants de ce collectif ont été reçus au Ministère de l’Education nationale et des promesses leur ont été faites concernant la prise en charge par l’Etat français, de l’ensei- gnement du berbère dans les lycées, notamment pour la préparation de l’épreuve de berbère au Bacca-lauréat.
     

    Plus d’une décennie plus tard, sous des gouvernements de gauche comme de droite, rien n’a bougé.

    Les enfants et jeunes Français d’origine amazighe continuent d’être privés de la langue d’origine de leurs parents tandis qu’on leur propose parfois avec insistance, l’apprentissage de la langue arabe, dans le cadre du dispositif ELCO (enseignement des langues et cultures d’origine).

    Aujourd’hui, Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Education nationale et Rifaine d’origine, affiche sa ferme volonté d’enseigner l’arabe dès le CP mais ne fait jamais mention de Tamazight qui va demeurer exclue de l’Ecole française. Nos enfants vont ainsi continuer à subir l’arabisation et l’islamisation en France.

    Conscients de cette situation gravement discriminatoire, nous appelons toutes les associations et personnalités amazighes intéressées, à venir échanger sur les initiatives à prendre rapidement dans le but de donner à notre identité linguistique et culturelle sa place légitime dans ce pays.

    La réunion est prévue le :

    Samedi 2 juillet 2016 à 13h30

    Espace Franco-Berbère Azul

    19, Place des Alizés, 94000 Créteil

    Métro : ligne 8, station Pointe du lac

    congres.mondial.amazigh@wanadoo.fr

    Et merci de bien vouloir transmettre cet appel aux personnes et responsables associatifs amazighs (Berbères, Kabyles, Chawis, Mozabites, Rifains, Chleuhs…) de France que vous connaissez.

    http://www.lematindz.net/news/21049-tamazight-langue-de-france-le-cma-appelle-a-la-mobilisaiton.html

     

  • Israël-Palestine. Ce qu’une membre du Conseil législatif palestinien a appris dans une prison israélienne (Al'Encontre.ch)

    La députée palestinienne Khalida Jarrar après sa libération de prison

    La députée palestinienne Khalida Jarrar après sa libération
    de prison.

    Par Amira Hass

    Khalida Jarrar, membre du Conseil législatif palestinien, a été emprisonnée sans procès, suspectée d’incitation et d’appartenance au Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Elle a été relâchée après 14 mois de détention.

    Des douzaines de Palestiniens qui ont été arrêtés pour des activités contre l’occupation israélienne sont ainsi relâchés chaque semaine. Les caméras qui accompagnaient la libération de Jarrar ont mis en évidence un processus qui a fait partie de la vie quotidienne de centaines de milliers de familles palestiniennes depuis 50 ans. Les premières paroles qu’elle a prononcées lors de sa libération exprimaient d’ailleurs la même chose que dit ou pense chacun des prisonniers relâchés: «C’est un jour heureux à cause de ma remise en liberté, mais c’est aussi un jour triste parce que je laisse derrière moi mes amis, les prisonniers avec lesquels j’ai vécu pendant plus d’une année.»

    Jarrar, qui dirige le comité pour les prisonniers au Conseil législatif, a consacré de longues années à agir en faveur des prisonniers palestiniens et à la lutte pour leur remise en liberté. «Les prisonniers ont perdu leur confiance dans le système politique», a-t-elle expliqué lors d’une conférence de presse suite à sa libération. «Ils détestent quand les politiciens se mettent en avant et font des promesses concernant leur libération alors qu’ils savent pertinemment que ces promesses sont creuses.» Elle a ajouté que les prisonniers ne croient pas non plus à la possibilité d’être libérés grâce à des échanges de prisonniers.

    Au moment de l’emprisonnement de Jarrar, le nombre de Palestiniennes prisonnières dans des prisons israéliennes a battu tous les records précédents – 61 prisonnières et détenues, dont 14 mineures. Dix prisonnières avaient été blessées au cours de leur arrestation, certaines grièvement. Cinq d’entre elles étaient des mineures.

    A cause du surpeuplement dans la prison de Hasharon, une aile supplémentaire a été ouverte dans la prison de Damon, où 20 femmes sont maintenant détenues.

    Avec précaution, Jarrar a expliqué lors de la conférence de presse: «Je sais qu’à cause de l’occupation, l’emprisonnement affecte l’entièreté de la société palestinienne, mais on devrait discuter si, par exemple, l’éducation ne pourrait pas être un moyen de lutte approprié et correct.»

    A l’initiative de la prisonnière vétérane Lina Jarbuni – dont Jarrar dit qu’elle a beaucoup appris – des prisonnières adultes gèrent une école dans les murs de la prison, avec des leçons d’anglais, d’hébreu et d’études sociales.

    Les prisonniers relâchés sont transportés dans une fourgonnette du service des prisons depuis le lieu de détention jusqu’à un des points de passage le long de la Ligne verte entre la Cisjordanie et Israël. En général on ne connaît pas l’heure exacte de leur arrivée au point de passage. La famille de Jarrar a appris qu’elle arriverait au passage de Jabara, au sud de Tulkarem, dans la matinée.

    Son mari, Rassan Jarrar, accompagné de plusieurs membres de la famille et des proches, sont arrivés au point de passage à 8h30 du matin. D’autres personnes qui voulaient lui souhaiter la bienvenue sont venues en bus depuis Ramallah, et ont emprunté la rue étroite vers le point de passage plutôt que de prendre la route directe qui passe à côté de la colonie de Avnei Hefez. Ils ont tous dû marcher à travers les arbres et les rochers sous une température proche de 38 degrés.

    Jarrar a expliqué plus tard qu’elle avait déjà été menée au véhicule du service des prisons à 8h30, mais qu’il y avait eu un retard inexpliqué. Elle avait donc préféré retourner chez ses amis en prison. Elle a été reconduite au véhicule après 10h30, et un gardien lui a menotté les mains et les pieds.

    Le trajet, qui prend en général 10 minutes, a duré une heure à cause de la circulation. Elle est restée menottée jusqu’à leur arrivée au barrage. Ceux qui l’attendaient pouvaient percevoir les signes de son arrivée. Des jeeps militaires faisaient des allers-retour entre le point de passage et ceux qui attendaient pour souhaiter la bienvenue à Jarrar.

    A 11h45, lorsque Jarrar est sortie du véhicule en portant un grand sac en plastique, ceux qui l’attendaient sont allés vers elle, malgré les avertissements de la police. Ils ont crié des salutations à la prisonnière libérée et encensaient la lutte du Front populaire.

    Aymen Oudeh, membre de la Knesset et président de la Liste conjointe [liste présentée par les quatre principales formations arabes], a utilisé son immunité diplomatique pour s’approcher de Jarrar et il a été le premier à lui donner l’accolade.

    Jarrar a expliqué aux journalistes que ce qui irrite le plus les prisonniers – à part les promesses creuses – est la séparation entre social et politique qui existe dans la société palestinienne. La réception qu’elle a reçue – aussi bien au point de passage que chez elle – ressemblait à une célébration privée du Front populaire. Seules quelques personnes qui étaient venues la saluer ne faisaient pas partie de cette organisation.

    «Demandez donc au Fatah pourquoi ils ne sont pas venus», lança quelqu’un. «Ce n’était pas prévu comme un événement fermé.» Mais samedi soir, au Conseil législatif, des milliers de personnes ont participé à la bienvenue de Khalida Jarrar. (Article publié dans Haaretz le 19 juin 2016; traduction A l’Encontre)

    Publié par Alencontre le 22 - juin - 2016

    http://alencontre.org/une-membre-du-conseil-legislatif-palestinien-dans-une-prison-israelienne

    Commentaire: Le FPLP est un parti avec lequel le NPA a de bonnes relations

  • « L’Algérie française, c’est fini mais… ça continue quand même ! » (El Watan)

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    Alain Krivine est un député européen, ancien porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (Nouveau Parti anticapitaliste).

    L’establishment français observe une sorte d’omerta quand il s’agit de dénoncer des biens mal acquis par des dirigeants algériens. Pourquoi ?

    Je crois que c’est dû à un problème plus général qui est la France-Afrique et qui structure les rapports avec toutes les anciennes colonies. C’est ce qui fait que tous les dictateurs et les non-démocrates, qui se sont enrichis dans la période post-coloniale, ont tous placé, en partie, leur argent en France, dans l’ancien empire colonial, ont acheté des immeubles, parfois acquis des biens extraordinaires. Le tout exécuté dans un silence complice. La presse en a parlé un peu, mais les gouvernements se sont tus parce qu’il s’agit d’intérêts stratégiques. Et en France, il faudrait compter aussi sur ce sentiment de culpabilité.

    C’est cette attitude qu’on retrouve dans le Parti socialiste, aujourd’hui au pouvoir, et qui a été coresponsable de la guerre coloniale, des assassinats et tortures et qui a fait voter les pouvoirs spéciaux. Chez la droite, ce n’est même plus de la culpabilité mais de la connivence. Et quand on a une alternance droite-gauche, alors tout le monde se tait sur ces phénomènes scandaleux d’enrichissement illicite. C’est cette collusion qu’on retrouve ces jours-ci dans cette affaire d’exploitation de gaz de schiste autorisée en Algérie alors qu’elle est proscrite en France.

    Levée de boucliers quand il s’agit d’anciennes colonies de l’Afrique subsaharienne ou centrale, omerta et impunité quand il s’agit d’Afrique du Nord : les liens sont-ils aussi forts ?

    Les liens sont forts. Il y a un phénomène avec l’Algérie que les Américains par exemple n’ont pas connu avec le Vietnam. Je parlais de culpabilité. Il ne faut pas oublier que le contingent était parti en Algérie. Il y a des milliers, des millions de Françaises et Français qui étaient liés directement à la guerre d’Algérie. Les soldats ont assisté pour la plupart à des scènes de torture, à la différence des soldats américains, ils se sont tus, ont complètement culpabilisé d’y avoir participé… D’où cette vague de silence.

    Le sentiment de culpabilité peut-il tout expliquer ? N’est-ce pas les appétits voraces, l’intéressement, la prédation qui motivent ces silences complices ?

    Oui. C’est certain. C’est pour cela qu’on parle de néocolonialisme parce que justement les liens coloniaux persistent à ce jour sur le plan économique. S’il n’y a pas de cogestion, il une cosolidarité avec les dirigeants algériens qui date de l’Algérie française et qui se traduit sur le plan économique.

    Qu’est-ce qui vous choque le plus dans ces rapports franco-algériens ?

    C’est l’existence de rapports coloniaux avec la direction algérienne. Avec sa bourgeoisie, sa bureaucratie et ses appareils pourris. Quand on voit ce qui se passe avec Bouteflika, c’est une caricature de démocratie ; quand on voit la répression qui s’abat sur les Algériens, les vrais démocrates, on se rend compte du degré de connivence avec les milieux politiques et dirigeants français. Et même si formellement l’Algérie française, c’est fini, ça continue quand même ! Il y a des bénéfices colossaux qui sont réalisés en Algérie par les entreprises françaises parce qu’entre autre la main-d’œuvre algérienne est bon marché, que les Algériens travaillent toujours pour nous.

    Techniquement, comment cette France-Afrique s’organise, agit avec et envers l’Algérie ?

    C’est un classique. Elle s’organise avec les milieux financiers, les banques… et puis après on met le vernis idéologique des droits de l’homme, des libertés, de la démocratie.

  • 12 Mars 1956 : Le PCF votait les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet (Lutte Ouvrière)

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    "Le gouvernement disposera en Algérie des pouvoirs les plus étendus pour prendre toutes les mesures exceptionnelles commandées par les circonstances, en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire": voilà ce que précisait le texte qui fut adopté à l'Assemblée nationale, le 12 mars 1956, par 455 voix, y compris celles des 146 députés du Parti Communiste Français, contre 76.
    Le gouvernement du socialiste Guy Mollet avait ainsi sollicité et obtenu des "pouvoirs spéciaux" afin de disposer en Algérie des moyens d'intervention qui lui sembleraient bons, sans même en référer à l'Assemblée nationale.
    Un gouvernement élu pour faire la paix...
    En janvier 1956, le front électoral constitué sous l'étiquette de "Front républicain", et composé essentiellement de socialistes et de radicaux, avait obtenu la majorité parlementaire en laissant entendre qu'il allait faire la paix en Algérie. Les formules volontairement floues permettaient toutes les interprétations.
    Le gouvernement se mit en place dans une situation marquée par l'opposition virulente de l'extrême droite d'Algérie. Celle-ci s'opposait à toute modification de la situation coloniale et dénonçait le "bradage" de "l'Algérie française" que préparait -selon elle- le nouveau gouvernement, à direction socialiste.
    Dès le début du mois de février, après un voyage à Alger au cours duquel il fut accueilli par des manifestations d'hostilité de la part de cette extrême droite, Guy Mollet obtempéra. Il nomma comme nouveau gouverneur d'Algérie un socialiste, Robert Lacoste, qui réclama aussitôt des renforts militaires, qu'il obtint sans tarder.
    ...mais qui accentua la guerre, avec la complicité du PCF.
    Le 28 février, tandis que Guy Mollet justifiait à la radio l'envoi de nouvelles troupes en Algérie, L'Humanité titrait: "Guy Mollet aux Algériens: guerre à outrance si vous ne déposez pas les armes" et réclamait qu'il entame des négociations et qu'il réalise la paix. Cette prise de position n'allait rendre que plus scandaleux le vote des pouvoirs spéciaux de ses députés, quelques jours plus tard.
    Le 12 mars, le PCF votait la confiance au gouvernement Guy Mollet et lui accordait les pouvoirs spéciaux qu'il réclamait. Lors de son discours à l'Assemblée nationale, Jacques Duclos, au nom du groupe communiste, justifia ce vote en expliquant: "Les pouvoirs spéciaux sont demandés, nous dit-on, pour aboutir rapidement à la paix et pour contraindre, si besoin est, les grands possédants d'Algérie à renoncer à leurs privilèges." Duclos précisait d'ailleurs que "d'autres déclarations différentes ont été faites aussi, et elles sont relatives à des mesures militaires que nous ne saurions approuver", preuve qu'il ne pouvait ignorer ce que cachaient ces "pouvoirs spéciaux".
    En fait, la direction du PCF s'engageait à ne pas gêner le gouvernement et à faire accepter sa politique par la population et par les travailleurs du pays. Il espérait que le soutien de ses députés au gouvernement Guy Mollet lui vaudrait, en retour, de réintégrer le jeu politique traditionnel, d'autant que le PCF, dans son souci d'apparaître responsable aux yeux de la bourgeoisie française, parlait de "paix en Algérie", mais se gardait bien de revendiquer le droit du peuple algérien à l'indépendance.
    Depuis 1947, avec la Guerre froide, le PCF avait été déclaré infréquentable par tous les autres partis. Après la mort de Staline, en 1953, sa direction avait espéré un changement d'attitude à son égard et n'avait pas ménagé ses offres de services. En vain. En 1954, Pierre Mendès-France avait même refusé d'inclure dans le total des voix pour son investiture celles des députés communistes. Au début de cette année 1956, l'espoir de mettre fin à cet ostracisme passait loin devant tout ce qui concernait le sort du peuple algérien.
    Fort de ce chèque en blanc, Guy Mollet allait rapidement intensifier les opérations militaires et il avait d'autant plus besoin de ce soutien que les manifestations de rappelés du contingent qui refusaient de partir se multipliaient, avec l'appui d'une partie de la population, notamment dans les gares.
    La guerre d'Algérie intensifiée
    Le 17 mars 1956, Guy Mollet signait avec son ministre de la Défense, Bourgès-Maunoury, celui de la Justice, François Mitterrand, et Robert Lacoste (gouverneur général de l'Algérie) un décret relatif à l'application de la justice militaire en Algérie. Ce décret donnait les pleins pouvoirs à l'armée, qui utilisa la torture à large échelle contre tous ceux qu'elle soupçonnait d'aider le FLN, et les assassina discrètement dans bien des cas. De 200 000 hommes début 1956, les troupes présentes en Algérie passèrent à 450 000 hommes en juillet, afin d'assurer le "quadrillage" de la population que Robert Lacoste réclamait depuis son arrivée en Algérie.
    Le slogan électoral "faire la paix", sur lequel les partis du Front Républicain s'étaient fait élire, avait laissé place à une guerre menée de façon de plus en plus féroce contre la population algérienne, avec la complicité tacite de la direction du PCF. Ce n'est finalement qu'en juillet 1956 (mais les rappelés étaient alors en Algérie) que les élus du PCF commencèrent... à voter contre la politique de Guy Mollet.
    Daniel MESCLA (LO, mars 2006)
  • L'assimilation à la hussarde des musulmans français : « Merci, très peu pour nous » (Pambazuka)

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    Des Antilles à l’Afrique du Nord, jusqu’au Moyen-Orient et à l’Asie du Sud-est, les Français sont majoritairement considérés comme des tortionnaires chevronnés, dont la langue gracieuse et raffinée ne sert pas tant à décrire une sauce crémeuse ou un décolleté plongeant, qu’à enrober les douleurs et les souffrances indicibles qu’ils infligent à des millions d’innocents.

    Les Français sont peut-être mieux connus, tant à leurs yeux qu’à ceux des Européens de l’Ouest et des US-Américains blancs, comme des créateurs de haute couture et des maîtres dans l’art culinaire dont le langage amoureux est particulièrement adapté à la romance. Cependant, les Américains blancs, comme les Allemands et les Britanniques, ont une relation d'amour-haine avec les Français, mais clairement faite de plus d’amour que de haine, comme en témoigne tout récemment la publication dans le New York Times d’une tribune de Marine Le Pen, leader du Front National d’extrême-droite.

    Mais dans le reste du monde – des Antilles à l’Afrique du Nord, de l’Ouest et centrale, jusqu’au Moyen-Orient et à l’Asie du Sud-est –, les Français sont majoritairement considérés comme des assassins et des tortionnaires chevronnés, dont la langue gracieuse et raffinée ne sert pas tant à décrire une sauce crémeuse onctueuse ou un décolleté plongeant sur une robe de soirée, et moins encore à faire la cour ou à flirter, qu’à enrober les douleurs et les souffrances indicibles qu’ils infligent à des millions d’innocents.

    Pourtant, la culture dominante française persiste à ne vouloir se voir qu’à travers ses propres yeux, et la plupart des Français sont scandalisés à l’idée même que quiconque dans le monde puisse seulement remettre en question l’image élogieuse et raffinée qu’ils ont d’eux-mêmes.

    BARBARIES COLONIALES

    Ce contraste est à la fois dû à l’histoire de la France et à sa politique actuelle. Commençons par l’Histoire : un rapport sur les atrocités coloniales françaises en Indochine pour les années 1930-33, suite au déclenchement de la mutinerie de Yên Bái en février 1930, recense certaines des méthodes monstrueuses de torture chères aux officiers français. Selon la célèbre militante française Andrée Viollis, les méthodes de torture incluaient – en plus de l’utilisation de l’électricité – la privation de nourriture, le bastinado (flagellation de la plante des pieds, aussi appelée falaka), les épingles introduites sous les ongles, les semi-pendaisons, la privation d’eau et l’usage de tenailles appliquées sur les tempes (pour faire jaillir les orbites), entre autres. Une méthode plus délicate comprenait l’utilisation d’ « une lame de rasoir [pour] couper la peau des jambes en longs sillons, combler la plaie avec du coton et brûler ce coton [1]. »

    En 1947-48, les autorités coloniales françaises se sont déchaînées à Madagascar, tuant et violant la population et incendiant des villages entiers, en guise de châtiment suite au soulèvement nationaliste malgache. Certaines des pratiques et spécialités de torture spécifiquement françaises qui furent employées contre le peuple de Madagascar incluaient les « vols de la mort », où des indigènes étaient jetés depuis des avions militaires au milieu de la mer, se noyaient et devenaient des « disparus ».

    Cette méthode meurtrière était une spécialité dont la France s’enorgueillissait tellement que les autorités coloniales françaises en Algérie continuèrent à y recourir plusieurs années plus tard, pendant la bataille d’Alger en 1956-57. Dans le cas de l’Algérie, les parachutistes français ont décidé de perfectionner cette méthode lorsque des cadavres d’Algériens ont commencé à refaire surface, exposant cette pratique. La modification consistait à attacher des blocs de béton aux pieds des victimes pour s’assurer qu’ils coulent définitivement (les généraux argentins soutenus par les Usa trouveront cela très utile dans leurs efforts pour réprimer la résistance à leur dictature à la fin des années 1970).

    Ce ne sont pas des méthodes de torture ad hoc que les Français ont élaboré sur place, mais des cruautés bien conçues et bien rodées. Dans l’Algérie du 19e siècle, le général Saint-Arnaud enfumait les révolutionnaires algériens dans des grottes et ses soldats violaient les femmes algériennes, comme le feront les soldats Français tout au long de la révolution algérienne, des années 1950 au début des années 1960.

    Les estimations des morts causées par les Français s’élèvent à un million de Vietnamiens et un million d’Algériens. Quant à Madagascar, on estime que plus de 100 000 personnes ont été tuées par les Français. Ce ne sont là que quelques exemples de la barbarie coloniale française dans certaines colonies, et en aucun cas une liste exhaustive. Le colonialisme français, sous le titre grandiose de « mission civilisatrice », a clairement échoué à civiliser, avant tout, les Français eux-mêmes. La « mission », semblerait-il, reste inaccomplie !

    CATHOLICISME LAÏQUE

    La question de la façon dont les Français sont perçus ne se limite pas seulement à l’histoire, mais reste pertinente dans le présent. Tandis que l’assimilation des indigènes aux coutumes du Français colonisateur a été le noyau du programme colonial français, cette philosophie est venue hanter les Français après qu’ils se sont partiellement retirés des colonies pour constater que les immigrants africains, arabes et indochinois, entre autres, n’étaient pas « assimilables » aux usages des « Français ». Il semble que seuls les immigrants allemands, russes, espagnols, italiens et certainement hongrois en France puissent être maintenant assimilés à la société française, mais pas les immigrés plus basanés et surtout non-chrétiens.

    Le massacre des Algériens français commis par la police française en octobre 1961, qui s’inspirait clairement de la spécialité des « vols de la mort » de l’armée française en Algérie et à Madagascar, a entraîné la mort de plus de 200 manifestants musulmans (certaines estimations vont jusqu’à 400) qui furent abattus ou jetés dans la Seine.

    Il a fallu attendre 1998 pour que le gouvernement français à dominante catholique [2] reconnaisse enfin que la police a tué à peine 40 des 200 à 400 Musulmans français assassinés. Les victimes du gouvernement français à dominante catholique considèrent ces actes barbares et cruels comme une des principales caractéristiques de la culture catholique française, voire comme une définition de celle-ci. Et non seulement n’est-ce pas une vue propre aux Musulmans français (les autorités coloniales françaises ont inventé la catégorie des « Français musulmans » dans l’Algérie du 19e siècle afin d’imposer légalement aux Algériens de renoncer à la « loi islamique », y compris la polygamie, pour pouvoir accéder à la pleine citoyenneté française), mais les Français juifs eux-mêmes ont également compris l’antisémitisme catholique français comme un élément central de la culture catholique française.

    Après tout, les Juifs français avaient été soumis par Napoléon à un « test pH » similaire – ou était-ce un test de « catholicité » ? – en 1806, visant à rassurer ses craintes au sujet des lois juives sur la polygamie et le divorce qui contredisaient les lois nationales françaises, et qui ne devaient plus être appliquées : c’était là une condition de l’émancipation juive. Bien sûr, ces lois de l’État étaient conformes à la monogamie catholique, mais pas à la polygamie juive. Pourtant, les Français continuent à se voir et à se présenter au monde et à eux-mêmes comme des amants sensibles et pensifs, des intellectuels engagés et des défenseurs du sécularisme ou « laïcité » !

    C’est ce dernier point qui fait désormais partie intégrante des campagnes sectaires et racistes officielles et officieuses des Catholiques français, « laïques » bien sûr, contre les Musulmans français, sans parler des musulmans hors de France. C’est là-bas que les Musulmans français sont considérés comme ayant en quelque sorte leurs origines géographiques, religieuses et culturelles, hors de France, une accusation qui n’est jamais portée contre les citoyens français d’origine immigrée italienne, allemande, russe, espagnole ou hongroise.

    Si les Catholiques français ont insisté pour que les Musulmans et Juifs algériens deviennent Français sous l’Algérie française (les Juifs français d’origine algérienne ont été considérés comme ayant réussi à effectuer cette transition avec succès depuis le décret Crémieux de 1870 qui les a légalement transformés en citoyens français et non plus Algériens, un statut qui a ensuite été révoqué sous le régime collaborationniste de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, révélant la fragilité de la tolérance catholique française), les mêmes Catholiques français insistent pour que les Français d’origine musulmane algérienne en France soient contraints à s’assimiler encore à une sorte de francité fantasmatique prétendument séculaire ou « laïque » et en aucun cas chrétienne.

    Il est difficile de savoir si les Bretons, les Corses ou les Basques et les Alsaciens – en 2011, Nicolas Sarkozy croyait que ces derniers vivaient toujours en Allemagne – se sont déjà entièrement assimilés à cette francité présumée ou s’ils sont toujours dans l’attente de nouvelles instructions.

    LES VALEURS DE LA REPUBLIQUE

    Au lendemain de l’attaque contre les bureaux du magazine Charlie Hebdo par deux Musulmans français, et l’attaque d’un supermarché juif français par un troisième (les origines géographiques des parents de ces hommes ont été immédiatement identifiées par les médias français comme significatives voire centrales dans leurs crimes), l’ancien président français d’origine catholique hongroise Nicolas Sarkozy (son grand-père maternel était un Juif grec qui s’est converti au catholicisme), a proposé « d’expulser tout imam [musulman français] qui soutient des points de vue qui ne respectent pas les valeurs de la République. »

    On ne sait pas si Sarkozy serait d’accord avec la proposition de l’expulser en Hongrie ou en Grèce s’il venait à épouser des vues « qui ne respectent pas les valeurs de la République ». De même, il reste difficile de savoir si cela devrait aussi être le sort réservé aux prêtres catholiques français et aux rabbins juifs français s’ils s’avèrent manquer de respect envers ces valeurs, bien qu’en se basant sur le statut des Juifs sous Vichy, il semble que les rabbins ne seraient pas épargnés non plus.

    Contrairement à la perception qu’ont la plupart des Catholiques français d’eux-mêmes, le problème avec la culture française contemporaine dominante catholique (« laïque ») est, avant tout, son manque de raffinement. Le racisme français s’exprime souvent de la manière la plus vulgaire, sans les moindres palliatifs ou euphémismes. En cela, les Français sont différents de leurs pairs des contextes Us-américain et britannique, où le racisme est souvent formulé dans un langage socialement plus acceptable, bien qu’il cache la même vulgarité raciste. La vulgarité du racisme catholique français, cependant, est plus similaire à celle du racisme juif israélien, qui n’a souvent que faire des périphrases et autres produits cosmétiques linguistiques.

    La politique et les crimes actuels du gouvernement français au Mali, en Libye et en Afghanistan, pour ne citer que les trois principaux lieux d'interventions militaires françaises, se poursuivent. Lorsque les troupes françaises ont ouvert le feu sur une voiture civile en Afghanistan en 2011, tuant trois civils, dont une femme enceinte et un enfant, le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, a exprimé sa « profonde tristesse » pour ces morts, mais a déclaré que les soldats avaient agi en légitime défense car la voiture avait « refusé de s’arrêter en dépit des sommations répétées. »

    Le soutien français actuel apporté aux djihadistes syriens, y compris l’aide de la France et de l’Otan, sinon l’encouragement, prodigués aux Français musulmans désireux de prendre part aux combats en Syrie, démentent l’horreur officielle des Catholiques français face à la montée de l’État Islamique et à ses pratiques de décapitation. Peut-être que les membres Français de Daech ont trop bien assimilé la culture catholique française, surtout en ce qui concerne l’intolérance et la décapitation – car la pratique « laïque » de l’État français d’exécution des criminels par décapitation par la guillotine s’est poursuivie jusqu’en 1977, la dernière personne décapitée étant par coïncidence un criminel français musulman.

    QUI DEVRAIT S’ASSIMILER ?

    C’est cette France qui accuse sa population musulmane de refuser de s’assimiler à ses usages, mais ne se demande jamais pourquoi elle ne devrait pas s’assimiler à leurs manières – puisque les Musulmans français font tout autant partie de la France et de sa culture que les Catholiques français et puisque la France n’est plus la propriété exclusive des Catholiques français qui pourraient en disposer à leur guise. Peut-être que les Catholiques français (devrions-nous simplement les appeler Gaulois ?) pourraient apprendre des Musulmans français une certaine forme de tolérance.

    Après tout, ce sont les Musulmans français qui ont subi et continuent du mieux qu’ils peuvent à supporter le racisme et l’intolérance des Catholiques français depuis des décennies. Les Catholiques français pourraient-ils à leur tour apprendre à supporter la tolérance des Musulmans français ? Aussi choquante que cette dernière idée puisse être aux yeux des Catholiques français et des racistes sectaires (qui sont bien sûr « laïques »), ces mêmes personnes n’ont jamais considéré leurs actions choquantes lorsque, en tant que minorité coloniale, ils ont cherché à forcer la majorité des colonisés à s’assimiler à leurs usages – quels que soient leurs usages, bien sûr.

    On ne sait pas vraiment si on attend des Musulmans français qu’ils adoptent la torture et les méthodes meurtrières des Catholiques français et leur intolérance « laïque » dans le cadre de leur processus d’assimilation. Si cela était effectivement requis, alors les trois seuls Musulmans français assimilés avec succès ne seraient autres que Cherif et Saïd Kouachi, les frères qui ont attaqué Charlie Hebdo, et Amedy Coulibaly, qui a attaqué le supermarché juif.

    De manière assez surprenante, le gouvernement français a refusé de reconnaître à quel point les frères Kouachi étaient des Français bien assimilés, et il a demandé au gouvernement algérien de les faire enterrer en Algérie, un pays où ils n’avaient jamais mis les pieds, plutôt qu’en France où ils s'étaient assimilés d’une manière exemplaire. Le gouvernement algérien a dûment refusé d’autoriser l’inhumation des deux Français sur son sol. La France a obtenu la même réponse du gouvernement du Mali, qui a rejeté une demande du gouvernement français de leur envoyer le corps du citoyen français Coulibaly pour qu’il y soit enterré.
    Malgré l’ampleur horrible des actes de ces trois hommes, leurs crimes restent numériquement modestes et pâles comparés aux bien plus cruelles monstruosités des Français catholiques et « laïques » qui ont atteint des proportions génocidaires à travers le monde. Cependant, si les frères Kouachi et Coulibaly avaient survécu, ils auraient encore eu besoin de beaucoup de leçons de cruauté et d’intolérance violente avant de pouvoir devenir entièrement assimilés à l’authentique francité catholique et laïque.

    Le reste des Musulmans français continuent à résister à l’assimilation à la francité catholique et « laïque » et à refuser de suivre l’exemple de l’intolérance des Français catholiques et « laïques » racistes et de leurs quelques émules musulmans. Pour la majorité des Musulmans français, la réponse à ces invitations catholiques françaises et laïques à l’assimilation est un « Non merci » explicite, ou plutôt, dans la langue raffinée des Français : « Merci, très peu pour nous ! »

    NOTES

    1] Andrée Viollis, SOS Indochine, p. 13. Également mentionnée, « Introduire un fil de fer en tire-bouchon dans le canal urinaire et le retirer brusquement. » Et, pour des femmes de 16 à 18 ans, « viols, pendaison par les orteils, flagellation sur les cuisses et la plante des pieds, introduction de nids de fourmis dans les parties intimes, leurs bras et leurs jambes attachés, jusqu’à ce qu’elles avouent faire partie d’un groupement communiste. »

    2] Il s’agit de la culture et de l’histoire chrétienne originelles, indépendamment de l’attachement à la foi, toute idée ou référence religieuse ayant été éradiquées avec succès par les voltairiens, malgré la résistance de Rousseau, Robespierre et Jaurès, entre autres. Aujourd’hui, les « racines judéo-chrétiennes » de la France sont néanmoins brandies par les athées les plus forcenés pour dénoncer l’Islam et les musulmans. Selon nous, les musulmans permettraient bien plutôt à la « fille aînée de l’Église » de renouer avec une identité, des traditions et des valeurs longuement enterrées.

    Il nous semble utile de préciser que l'auteur, né en Jordanie, est issu d'une famille palestinienne chrétienne.

    http://www.pambazuka.org/fr/l'assimilation-à-la-hussarde-des-musulmans-français

  • Insurrection citoyenne contre la corruption et le confessionnalisme en Irak (Orient 21)

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    Portraits d’une nouvelle génération de militants

    Sous des formes diverses, les mobilisations contre le gouvernement irakien se poursuivent. Elles reflètent l’émergence d’une nouvelle génération qui refuse le système politique confessionnel et la corruption des autorités.

    En mars 2016 le cœur de Bagdad battait au rythme d’un sit-in devant les murs en béton qui entourent la «  zone verte  », où se trouvent le siège du gouvernement central, les ambassades étrangères et où réside la totalité des nouveaux dirigeants irakiens. Le leader chiite Moqtada Al-Sadr s’était invité à cette manifestation, donnant au gouvernement une semaine pour se dissoudre au profit d’un gouvernement de technocrates, choisis selon leurs compétences et non leur affiliation à des partis à base communautaire. Le 1er avril, le premier ministre Haïdar Al-Abadi a présenté un nouveau gouvernement de seize ministres, dont quatorze choisis sur la base de leur«  compétence  » et de leur«  intégrité  » n’appartenaient à aucun parti. Les manifestants de la place Tahrir à Bagdad ont dénoncé un remaniement de façade et décidé en mai d’occuper le Parlement, insistant sur la nécessité de remettre en question les bases communautaires du système politique irakien mis en place sous l’occupation américaine en 2003 et de juger les politiciens irakiens coupables de corruption.

    La pression de la rue a fait bouger les lignes, mais la participation d’Al-Sadr ne fait qu’ajouter un chapitre à la protestation populaire, commencée le 31 juillet 2015, et qui se poursuit aujourd’hui. Lancée par des citoyens ordinaires et des militants politiques sur la place Tahrir de la capitale et dans tout l’Irak, elle exprimait l’exaspération générale des citoyens face à la corruption et à la mauvaise gouvernance des gouvernements post-2003.

    «  Pain, liberté et un État civil  »

    Ces protestations se sont rapidement muées en mouvement populaire de masse — soutenu même par l’ayatollah Ali Sistani, éminente personnalité religieuse — dénonçant le régime irakien et exigeant des réformes radicales. Depuis, tous les vendredis, des manifestants se rassemblent sur les places principales des grandes villes irakiennes comme Nadjaf, Nassiriya, Bassora  ; on y entend les mêmes slogans qu’au centre de Bagdad : «  Bismil din bagouna al haramiya  » (au nom de la religion nous avons été volés par des pillards) et «  khoubz, hurriyah, dawla madaniya  » (pain, liberté et un État civil). Les manifestants dénoncent la nature confessionnelle et corrompue du système politique fondé sur des quotas ethnoreligieux et qui a porté au pouvoir une élite incompétente, surtout constituée d’islamistes et de chiites conservateurs ou revenus d’exil, et préoccupés de leurs seuls intérêts.

    Les manifestants du vendredi, membres de groupes indépendants de la société civile ou militants de gauche, sont divisés au sujet de la participation des sadristes (partisans de Moqtada Al-Sadr), qui sont au cœur du mouvement. Falah Alwan et Houssama Al-Watani figurent parmi les plus sceptiques. Tous deux militants de longue date, Houssama Al-Watani étant l’aîné des deux, je les ai rencontrés dans leur bureau de la Fédération des conseils et des syndicats de travailleurs d’Irak, au centre de Bagdad. Ils estiment que le mouvement, d’abord séculier, a été instrumentalisé par les sadristes. Cette critique, exprimée également dans Saout al-Itijaj al-Jamahiri (La voix de la révolte populaire), une revue dédiée aux récentes mobilisations, est construite sur une vision non confessionnelle et marxiste de l’action politique. Selon Alwan et Al-Watani, toute référence à la religion constitue une aliénation et un obstacle à l’émancipation. Les deux hommes considèrent donc toute forme de partenariat avec les islamistes comme une menace pour le mouvement, «  une terrible erreur des gens de gauche, séduits par le populisme des islamistes  ».

    Mais la plupart des militants rencontrés à Bagdad se montrent beaucoup plus nuancés. Hina Edwar, leader de l’organisation Al-Amel et membre important de Shabakat al-Nisaal-Iraqiyat (Réseau des femmes irakiennes), principale plateforme des militantes indépendantes et des organisations pour la défense des droits des femmes, se montre pleine d’espoir quant à l’avenir des manifestations. Je l’ai rencontrée dans les bureaux d’Al-Amel à Kerrada, au centre de Bagdad, le jour même où elle s’est rendue au sit-in avec une délégation de militantes du Réseau des femmes irakiennes. Bien que critique du conservatisme et du populisme des sadristes, particulièrement concernant les questions de genre, Hina Edwar est favorable à leur participation, qu’elle estime positive. La présence dans la rue de la base prolétarienne et populaire du mouvement, poussée par Moqtada Al-Sadr, constitue pour elle une démonstration d’unité nationale et de citoyenneté qui arrive à point au moment où, après des semaines de mobilisation, un certain nombre de manifestants sont fatigués de descendre dans la rue tous les vendredis.

    Comme Hina Edwar, de nombreuses militantes féministes rencontrées à Bagdad insistent sur la nécessité d’associer le combat pour l’égalité des sexes à celui pour les droits sociaux. Pour les militantes du Réseau, la citoyenneté de tous, sans condition d’ethnie ou de religion, est la pierre angulaire de la défense du droit juridique des femmes.

    Saad Salloum, jeune écrivain défenseur des minorités ethniques et religieuse en Irak est sur la même position : il faut défendre en même temps l’égalité de tous sans considération de l’ethnie, de la religion ni de la confession, et l’égalité des sexes. Salloum est le rédacteur en chef du magazine culturel Masarat, dont les bureaux se trouvent dans le quartier chrétien de Kerrada. Salloum insiste pour associer le mouvement pour la justice sociale aux questions d’égalité ethnoreligieuses. Il travaille à la base pour promouvoir une «  culture de la diversité  » et une citoyenneté «  fondée sur l’égalité totale et sans condition  ».

    Pour une réforme globale du système politique

    Place Tahrir, se côtoient des militants radicaux, des poètes, des écrivains, des universitaires et des militantes des droits des femmes. C’est comme si les discussions passionnées qui avaient commencé dans les librairies de la rue Moutanabi étaient transportées tous les vendredis sur la place, résumées en slogans et banderoles. Vendredi 1er avril, dans l’après-midi, la mobilisation n’est pas très importante. C’est le jour de l’annonce de la formation d’un nouveau gouvernement par le premier ministre Haïdar Al-Abadi. Les jeunes femmes sont beaucoup moins présentes que les jeunes hommes. Celles qui sont là sont pour la plupart rassemblées sous la banderole qui proclame : «  la nomination de ministres en dehors des quotas est le premier pas vers une réforme globale  », formule créée par Jassim El-Helfi, un membre important du Parti communiste irakien.

    Un autre groupe, composé surtout de jeunes hommes, lance des slogans comme «  Nihayatkum qariba  » (votre fin est proche). Dhurgham Ghanem et Jamal Mahmoud, deux manifestants indépendants présents dans ce groupe, affirment qu’ils resteront mobilisés parce qu’ils ne sont pas satisfaits de ces «  réformes limitées  ». Tous deux déclarent que ce mouvement a forgé leur politisation et constitue un premier pas vers l’organisation de groupes de jeunes indépendants, dédiés à la justice sociale et au combat contre l’impérialisme. Selon Ghanem, «  cette mobilisation est la continuation d’un combat plus large contre l’impérialisme, car ce sont les forces impérialistes qui ont institutionnalisé le confessionnalisme en Irak par le système des quotas communautaires. C’est la conséquence directe de l’occupation de l’Irak et des politiques impérialistes destinées à ruiner et à détruire le pays.  »

    Les deux hommes font part de leur difficulté à trouver des financements pour poursuivre leurs activités en tant que militants indépendants. En outre, des membres de leur groupe — y compris Mahmoud — ont été victimes de violences et d’arrestations par la police et les services de sécurité.

    Cette violence des «  hommes de la sécurité  » de l’État a été subie par d’autres militants avec qui j’ai parlé à Bagdad, comme Dhurgham Al-Zaïdi, frère du fameux Mountazer, l’homme qui a jeté sa chaussure à la figure George W. Bush en septembre 2009. Militant indépendant et bien connu de la société civile, Dhurgam Al-Zaïdi a subi plusieurs fois la brutalité de la police après avoir participé aux manifestations du vendredi sur la place Tahrir. Dans le café Redha Alwan, sur la rue principale de Kerrada, il raconte que lui et de nombreux autres jeunes militants indépendants ont été attaqués par des inconnus sur le chemin du retour à la maison. Selon lui, ces hommes sont envoyés par des officiels du gouvernement pour affaiblir le mouvement de protestation populaire et traumatiser les militants radicaux. Ce qui n’empêche pas Al-Zaïdi de continuer son action à la base pour l’égalité sociale et contre la pauvreté. Il n’est pas affilié à un parti ni financé par quiconque. C’est un choix courageux, qui le rend plus vulnérable que les membres de groupes formellement organisés.

    Toutefois des protestataires ont aussi reçu un peu de soutien de parlementaires, telle la célèbre députée Shirouk Al-Abayaji. Avant de devenir députée de l’Alliance civile démocratique, un parti de gauche, Al-Abayaji était membre du Réseau des militants pour les droits des femmes, ainsi que militante sociale et écologiste. Quand je l’ai rencontrée à Bagdad, elle venait tout juste de prendre ses distances avec son parti et avait décidé de continuer son mandat comme députée indépendante. Al-Abayaji a soutenu les manifestants depuis le début du mouvement et organisé des discussions, tant dans des rassemblements publics que privés, avec les jeunes militants de la société civile de la place Tahrir.

    Moja et la pensée libre

    Continuant mon exploration des mouvements de base indépendants de la jeunesse irakienne, je suis allée à Nadjaf, à environ 180 kilomètres au sud de Bagdad, pour rencontrer Yasser Mekki et Mountazer Hassan, tous deux membres de Moja ( la vague). Passer la porte toujours ouverte de leur café-bibliothèque, c’est pénétrer dans un autre monde, contrastant avec l’atmosphère chiite conservatrice et traditionnelle de Nadjaf. Ce local de la rue principale de Koufa, encombré de livres et de pop art, est géré par des jeunes, hommes et femmes, la plupart étudiants des universités locales, qui louent ce deux-pièces avec leur propre argent. Ils m’ont accueillie chaleureusement et nous avons discuté de leur travail depuis quelques années. Un travail très varié qui revient en général, comme le dit Mekki, à «  former les gens à la pensée critique et à la liberté de penser  », à «  les pousser à lire autant que possible et des livres aussi variés que possible  » et à «  promouvoir une culture de liberté et d’égalité de tous, sans distinction de classe, de genre, d’ethnie ou de religion  ».

    Moja a beaucoup participé à la campagne nationale de la société civile «  Ana Iraqi, ana aqra  » (je suis Irakien, je lis) qui soutient l’alphabétisation et organise un événement culturel annuel avec distribution de livres sur la promenade Abou Nuwas, sur les rives du Tigre. Complètement indépendants des partis politiques et refusant tout financement, irakien ou étranger, les militants de Moja ont été à la pointe de la protestation contre la corruption et le confessionnalisme à Nadjaf. Ils distribuent aussi des livres enveloppés de papier-cadeau aux passants dans les rues de la ville, pour les encourager à lire de la littérature variée. Ils ont organisé des événements pour lever des fonds en faveur des familles de déplacés chrétiens ou sunnites fuyant l’occupation de l’Organisation de l’État islamique dans leurs villes du nord et de l’ouest de l’Irak. Afin de promouvoir le dialogue interreligieux et les droits des minorités, ils ont encouragé les habitants de Nadjaf à participer aux fêtes de Noël avec leurs compatriotes chrétiens, érigeant et décorant un sapin de Noël baptisé «  shejerah al-salam  » (l’arbre de la paix) dans la rue Al-Rawan, l’une des principales artères de la ville. Moja invite régulièrement des auteurs traitant de philosophie, de religion, de culture et de politique à présenter leurs œuvres et à débattre librement avec le public.

    En quelques années seulement, le groupe a réussi à gagner en notoriété et popularité et a même reçu le soutien de plusieurs figures importantes du clergé chiite de Nadjaf. Pourtant, il provoque aussi discrimination et rejet, y compris des menaces de mort de la part de milices religieuses conservatrices. Mountazer Hassan raconte comment le propriétaire du premier local loué a reçu des menaces de mort, et leur a demandé de partir juste avant l’ouverture au public. Il ne voulait pas prendre la responsabilité de louer à un «  groupe radical  ». «  Fermer et trouver un autre endroit a été assez douloureux pour nous, particulièrement après avoir passé autant de temps avec les volontaires pour repeindre les pièces et régler tous les détails pour l’inauguration  », dit Hassan. Les femmes de Moja sont encore plus exposées aux pressions et aux menaces, car discriminées à la fois à cause de leur sexe et de leur refus de se conformer aux normes de la société.

    Le mouvement de protestation populaire, dans la continuation de celui qui a émergé en 2011, est une réponse au désespoir et à la tension qui ont suivi la prise et l’occupation de Mossoul par l’OEI en juin 2014. Avec des banderoles et des slogans, des citoyens ordinaires, des manifestants politiquement impliqués ou indépendants expriment une vision politique en dehors des identités fondées sur les confessions ou les communautés. Ils dénoncent pacifiquement mais clairement le lien entre la montée de l’OEI, la corruption et le confessionnalisme  ; comme le dit l’une des banderoles les plus célèbres de la place Tahrir, «  Daesh et la corruption sont les deux faces d’une même pièce  ». Dans ce climat de militarisation, les jeunes de la place Tahrir et les groupes de base indépendants comme Moja apportent de nouvelles façons d’être irakien, créatives et pleines d’espoir, dans un pays traumatisé par des décennies d’autoritarisme, d’occupation militaire impérialiste, de guerre confessionnelle et de fragmentation du territoire.

     
  • Justice climatique (Observatoire des Multinationales)

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    Au large de la Tunisie, l’archipel des Kerkennah souffre des effets du changement climatique, de l’industrie pétrolière et de la répression

    L’archipel des Kerkennah, au large de la ville de Sfax en Tunisie, se trouve confronté à la fois au réchauffement climatique, qui menace d’engloutir une partie de leur territoire, et aux impacts de l’extraction pétrolière et gazière. Depuis le début de l’année, pêcheurs et diplômés chômeurs sont en révolte ouverte contre les multinationales présentes dans l’archipel. Leur lutte témoigne à cette manière des promesses non tenues de la révolution tunisienne et de l’influence continue des intérêts économiques occidentaux dans le secteur des énergies fossiles. Reportage et analyse de Hamza Hamouchene.

    Les Kerkennah sont un archipel de la côte est de la Tunisie, dans le golfe de Gabès, à 20 kilomètres environ au large de la ville de Sfax. Ses deux îles principales sont appelées Chergui et Gharbi. Lorsque l’on s’approche de leurs côtes en ferry, on est frappé par un paysage très curieux : l’eau est quadrillée par des lignes constituées de milliers de feuilles de palmiers. C’est ce que les Kerkenniens appellent charfia, une ingénieuse méthode de pêche vieille de plusieurs siècles, qui consiste à attirer les poissons dans un réceptacle où ils sont capturés.

    En raison de son climat aride, l’archipel ne permet qu’une agriculture de subsistance. L’activité économique cruciale est la pêche. Ces îles sont particulièrement renommées pour leurs poulpes, capturés entre octobre et avril grâce à une autre méthode typiquement kerkennienne, qui fait usage de bocaux.

    J’ai entendu parler pour la première fois de l’archipel des Kerkennah dans le cadre de recherches que je menais sur une entreprise pétrolière et gazière britannique, Petrofac, à propos d’accusations de corruption liée à l’acquisition par cette firme d’une concession de gaz à Chergui, en 2006, dans la Tunisie de Ben Ali.

    Malgré l’article inséré dans la nouvelle Constitution tunisienne qui affirme la souveraineté nationale sur les ressources naturelles et la transparence des contrats pétroliers et gaziers, les entreprises du secteur continuent, en raison du pouvoir des lobbies, d’afficher des profits mirobolants en toute impunité. Les communautés locales, quant à elles, en subissent les externalités sociales et environnementales.

    Mécontentement des pêcheurs et des « diplômés chômeurs »

    Je me suis rendu dans les Kerkennah en mars 2016, après avoir entendu parler du mécontentement grandissant de la population, dû au refus de Petrofac d’honorer ses engagements à financer un fonds pour l’emploi. Je suis arrivé par le ferry de Gabès tôt le matin. Une délégation menée par le ministre tunisien de l’Environnement, accompagné d’une équipe de télévision, était à bord. Étaient-ils eux aussi venus pour enquêter sur la mobilisation en cours depuis deux mois ? Des sit-ins avaient été organisés par les îliens devant l’usine de Petrofac, mettant la production partiellement à l’arrêt, afin de pousser l’entreprise britannique à honorer ses engagements en termes de développement local et de création d’emplois.

    Après un voyage d’une heure, nous sommes enfin arrivés. Nous avons pris un taxi pour la plage de Sidi Fraj, pensant nous diriger vers l’usine de Petrofac. À notre arrivée, nous nous sommes rendus compte que qu’il s’agissait en fait du siège social d’une autre entreprise pétrolière, Thyna Petroleum Services (TPS). Une manifestation était effectivement en cours, mais elle rassemblait des pêcheurs, et non pas les diplômés chômeurs auxquels nous nous attendions. Nous avons ainsi découvert que TPS, une entreprise britannico-tunisienne, exploitait elle aussi une concession pétrolière offshore à Kerkennah. Les pêcheurs protestaient contre une immense marée noire qui avait été provoquée, selon eux, par la une fuite d’un pipeline sous-marin. Des allégations démenties par TPS, qui affirme que la fuite provenait d’un puits dans une des plateformes de forage - j’en comptai six depuis la plage de Sidi Fraj - qui entouraient, en forme de demi-cercle, l’île de Chergui.

    Les pêcheurs étaient en colère, non seulement parce que la marée noire décimait les poissons, mettait en danger la biodiversité marine et remettait ainsi en cause leurs moyens de subsistance, mais aussi parce que TPS tentait d’en minimiser l’impact et même de la dissimuler au public. Ils affirmaient que ce n’était pas la première fois, mais la troisième ou quatrième fois qu’un tel incident se produisait. Ils nous accompagnèrent sur les côtes pour nous montrer où la substance noire (sans doute du pétrole) avait échoué sur la plages et comment, à certains endroits, elle avait été recouverte de sable afin d’être dissimulée. Exaspérés, les pêcheurs demandaient à TPS d’assumer ses responsabilités, et exigeaient des autorités tunisiennes qu’elles forcent l’entreprise à rendre des comptes.

    En réalité, le ministre de l’Environnement avait été envoyé sur l’île pour rassurer les pêcheurs et promettre aux habitants qu’une enquête aurait lieu, et que des mesures seraient prises pour réparer les dégâts. Cependant, il ne paraissait pas être présent tant pour répondre aux doléances des pêcheurs que pour protéger les intérêts de l’industrie pétrolière, en empêchant une escalade des protestations. D’autant plus qu’au même moment, une autre entreprise pétrolière et gazière était elle aussi cible de la colère de la population de l’île.

    Soulèvement contre Petrofac

    Dix ans après avoir acquis la concession de gaz de Chergui dans des conditions douteuses, et cinq ans après le soulèvement de la Tunisie pour le pain, la liberté et la justice sociale, l’entreprise pétrolière et gazière britannique Petrofac est en effet confrontée au mécontentement grandissant de la population dans l’archipel des Kerkennah. Les deux premières semaines d’avril, les îles ont été le théâtre d’une violente répression policière contre les manifestants qui ciblaient l’entreprise.

    Les manifestations et leur répression faisaient suite à la dispersion de sit-ins pacifiques organisés pendant deux mois par les militants de l’Union des Diplômés Chômeurs devant l’usine de gaz de Petrofac. Le but de ce sit-in était de mettre la pression sur l’entreprise britannique afin qu’elle reprenne le financement d’un fonds pour l’emploi qui permettait de couvrir leurs maigres salaires.

    Lors de me séjour dans l’archipel, j’ai eu l’occasion de parler avec plusieurs jeunes qui avaient participé au sit-in de février-mars. Au cours de ces discussions, j’ai perçu leur ressentiment et leur colère face à la situation qu’ils vivaient. Comment était-il possible d’être chômeur quand toute cette richesse issue du pétrole et du gaz est produite dans ces îles ? Qu’en est-il des promesses de la révolution de 2011 en matière de justice sociale et de dignité nationale ? Autant de questions que j’avais déjà entendues lors d’autres voyages en Tunisie, la Tunisie intérieure, loin des sites touristiques, la Tunisie du sous-développement, où les gens continuent de se battre contre la paupérisation, la corruption et les injustices quotidiennes.

    La Tunisie sous la coupe des lobbys pétroliers

    Si les activités de Petrofac dans l’archipel ont attiré l’attention, il n’en va pas de même des conditions dans lesquelles la firme a fait l’acquisition de 45% de la concession gazière de Chergui. Une série de documents obtenus par la Justice indiquent que Petrofac a versé des pots de vin à Moncef Trabelsi, beau-frère de l’ancien président Ben Ali, lequel a été condamné pour ces faits en octobre 2011 [1]. En revanche, l’entreprise qui aurait versé les 2 millions de dollars en cause a échappé à toute poursuite au Royaume-Uni et en Tunisie.

    Ce n’est pourtant pas la première fois que Petrofac est impliquée dans un scandale de corruption : un de ses anciens dirigeants a été accusé d’avoir payé un pot-de-vin de 2 millions de dollars pour obtenir un contrat au Koweït. Ce qui est particulièrement incroyable dans cette affaire est qu’après avoir été impliquée dans l’acquisition illégale d’une concession, Petrofac fasse aujourd’hui preuve d’un tel mépris envers le peuple tunisien en refusant d’honorer ses engagements et en soutenant la répression policière. Son patron en Tunisie, Imed Derouiche, a formulé des accusations particulièrement condescendantes à l’encontre des jeunes manifestants. Comment Petrofac peut-elle continuer à bénéficier d’une telle impunité ?

    Le fait est que le lobby du pétrole est extrêmement puissant en Tunisie. L’influence de l’industrie des énergies fossiles est tellement omniprésente que l’opacité et l’irresponsabilité y sont devenues la norme. Par exemple, personne ne sait si des activités de prospection ou d’exploitation de gaz de schiste ont lieu ou non dans le pays. Les opérations pétrolières dans le sud de la Tunisie - de Tataouine à la zone militaire fermée (sauf pour les entreprises pétrolières et gazières apparemment) – paraissent particulièrement opaques.

    Les autorités tunisiennes semblent considérer les pratiques de l’industrie pétrolière et gazière comme une sorte de boîte de Pandore qu’ils préfèrent ne pas ouvrir [2]. Malgré le processus révolutionnaire initié il y a plus de cinq ans, les mêmes méthodes répressives sont aujourd’hui employées par l’État, qui prend le parti des multinationales contre les demandes légitimes de populations qui souhaitent simplement mener des vies décentes.

    Un archipel en première ligne du changement climatique

    Les Kerkennah sont l’un des endroits les plus vulnérables de la Méditerranée. Ils se caractérisent par un climat semi-aride avec une saison très sèche en été, des températures élevées, une forte évaporation de l’eau, et un déficit d’eau moyen d’environ 1000 mm/an. La montée des mers en raison du réchauffement met en danger cet archipel, dont l’altitude maximale est de 13 mètres, avec la majorité des terres sous les 10 mètres. Plusieurs études ont déjà mis en lumière l’érosion et le retrait de la ligne de côte de plus de 10 centimètres par an. Selon une étude alarmante réalisée par le gouvernement tunisien sur l’impact du changement climatique dans le pays, l’archipel pourrait être transformé en un plus grand nombre de petites îles. 30% de sa superficie (environ 4500 hectares) se retrouverait immergée d’ici 2100.

    En moins de trois décennies, les zones que l’on appelle sebkhas (marais salants côtiers) qui constituent près de la moitié de la surface de l’archipel, se sont étendues de 20%. L’eau de mer s’infiltre dans les réserves d’eau souterraines et dans les sols. Tout ceci exacerbe la pénurie d’eau, qui tue les palmiers locaux et grignote les terres arables, augmentant ainsi la vulnérabilité alimentaire et économique de la population. On compte aujourd’hui des centaines de milliers de palmiers parsemés sur l’île. Ils représentent un joyau à protéger, d’autant qu’ils servent plusieurs usages : source d’alimentation, mais aussi d’outils pour la pêche et l’artisanat traditionnels, etc.

    La population des Kerkennah a fortement baissé dans les années 1980 en raison des sécheresses. Les îles n’étaient pas en mesure de soutenir des systèmes d’irrigation adaptés, et avec le déclin des réserves d’eau douce, beaucoup d’habitants ont dû partir pour le continent, à commencer par la ville voisine de Sfax. Aujourd’hui, la population de l’archipel est estimée à 15 000 personnes. Elle est multipliée par 10 au cours de l’été, quand les émigrés du continent et de l’étranger reviennent. En raison de la fragilité de l’écosystème et des contraintes climatiques et environnementales qui pèsent sur l’agriculture et la pêche, les autorités tentent désormais de promouvoir l’éco-tourisme ou « développement touristique soutenable ». Mais à ce jour, ces programmes n’ont pas été mis en route.

    Souveraineté sur les ressources naturelles et transition juste

    La violence du changement climatique n’est pas naturelle. Elle est liée aux choix des puissants de continuer à brûler des énergies fossiles. Ce choix est fait par les multinationales et par les gouvernements occidentaux, en coopération étroite avec les élites nationales et militaires du Sud, y compris en Tunisie.

    Dans une économique néolibérale comme celle de la Tunisie, où l’économie est subordonnée aux lois du marché, qui génère des inégalités, privatise le social, et échoue à créer des emplois productifs de qualité, les phénomènes habituels de la précarité et de l’instabilité seront sans doute exacerbées par le réchauffement climatique, qui agit comme un « multiplicateur de menaces ».

    La pollution marine à répétition causée par l’industrie pétrolière, couplée à la montée des températures des océans et à la pêche illégale, aura très certainement un impact délétère sur les activités de pêche, sur les écosystèmes et sur la biodiversité des Kerkennah. Un document préparé pour la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) évoque la possibilité que les modes de pêche artisanaux des îles (charfia) soient restreints. On parle même de fracturation hydraulique offshore au large des Kerkennah, ce qui viendrait encore ajouter aux menaces.

    La population des Kerkennah est dans l’obligation de s’adapter à une situation qu’elle n’a pas créée, et se trouve à la merci de pollueurs puissants et corrompus, dissimulés sous l’aile protectrice de la répression d’État. Afin que les îliens conjurent le danger de devenir un jour des réfugiés climatiques et reprennent le contrôle de leur vie, de leur environnement, de leurs ressources et de leur destin, l’industrie des énergies fossiles doit être mise au pas et sommée de rendre des comptes. La poursuite de ses activités destructrices revient à signer l’arrêt de mort de l’archipel.

    Restaurer un contrôle démocratique sur les ressources naturelles apparaît comme une étape vitale en vue d’une transition juste des énergies fossiles vers les renouvelables. C’est particulièrement vrai dans une perspective de justice climatique, qui se focalise sur la minimisation du fardeau du réchauffement sur les populations marginalisées, dépossédées et vulnérables. Après tout, des décisions aussi cruciales sur la nature, la structure et le sens même de nos systèmes énergétiques peuvent-elles être prises sans consulter les populations ?

    Hamza Hamouchene

    Cet article a été traduit de l’anglais et abrégé. La version originale a été publiée sur OpenDemocracy.

    [1Tous les détails de cet accord seront documentés dans un rapport qui sera publié prochainement, coécrit par Hamza Hamouchene, auteur de cet article, pour Platform London.

    [2L’exemple de British Gas (BG) est révélateur, il s’agit du plus grand producteur de gaz de la Tunisie, responsable d’environ 60% de la production nationale de gaz à travers ses opérations à Miskar et Hasdrubal. BG Tunisia contrôle 100% du champ gazier offshore de Miskar (le plus productif), qui se situe à 125 kilomètres des côtes dans le golfe de Gabès. Le gaz est ensuite traité à la centrale Hannibal, et transféré, via un contrat de long-terme, à la Société Tunisienne de l’Électricité et du Gaz (STEG), l’entreprise publique de gaz et d’électricité de la Tunisie, au prix du marché international et payé en devises. Le gaz tunisien est vendu aux Tunisiens comme s’il était une matière première importée !

    http://multinationales.org/Au-large-de-la-Tunisie-l-archipel-des-Kerkennah-souffre-des-effets-du

    Lire aussi:

    https://nawaat.org/portail/2016/04/19/reportage-a-kerkennah-les-raisons-de-la-colere/

  • PST Algérie

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