Tarek Ammar Khodja travaille à la Poste depuis 16 ans en bordure d’Alger. Après les grèves de l’année 2011, des employés estiment que l’UGTA ne se sent pas concernée par les problèmes des travailleurs et ils créent un syndicat autonome, dont Tarek devient le chargé de communication. Ses problèmes commencent au mois de mars dernier.
Des inspecteurs se rendent sur son lieu de travail pour vérifier qu’il est présent. «Ils m’ont dit qu’ils venaient vérifier si je rejoignais bien mon poste de travail, et ils m’ont demandé ma pièce d’identité», raconte-t-il décrivant des scènes où les inspecteurs se moquaient ouvertement des employés.
Au fur et à mesure des semaines, des collègues, membres du syndicat autonome et en poste dans différentes directions, lui conseillent de se faire discret, son nom serait «dans le collimateur». «Avant, je n’avais jamais eu un seul problème, je suis un travailleur honnête, mais je n’étais pas syndicaliste», lance-t-il en souriant.
L’homme de 42 ans prend la parole dans les médias pour demander aux responsables le respect des promesses faites lors des deux grèves de 2013, mais l’élément déclencheur des représailles est un nouveau sit-in. «Le 7 juillet, mes collègues et moi avons observé un arrêt de travail de deux heures, car l’un de nos collègues avait été suspendu arbitrairement», explique-t-il.
Représailles
Ce jour-là, un haut cadre de la direction générale lui lance : «De quel droit t’exprimes-tu dans les journaux ?» Un autre jure même qu’il va «briser» les travailleurs qui vont «payer très cher» leur réclamation. «A partir de ce moment-là, tout est allé très vite», rapporte Tarek Ammar Khodja. Le lendemain de l’arrêt de travail, il est convoqué pour être auditionné.
Face à lui, trois cadres qui l’accablent de questions. «Ils m’ont demandé si j’appartenais à une organisation syndicale et l’un d’entre eux m’a provoqué pendant tout l’entretien», raconte l’employé. Le 9 juillet, il est suspendu et le lendemain il reçoit une convocation pour un conseil de discipline. Le 17 juillet, lors de la commission, il expose son passé professionnel, «irréprochable» selon un de ses collègues.
Rien n’y fait, il est licencié. Au cours de l’entretien, le directeur de la commission, responsable de la région d’Alger-Est, lui a même dit : «C’est à vous d’apporter la preuve de votre innocence». L’un des motifs officiels de licenciement est «menaces et injures à travers la presse». «C’est une chasse aux syndicalistes», s’insurge l’employé. Mourad Nekkache, 40 ans, est le président de ce syndicat autonome des travailleurs de la Poste. Il travaille dans une agence de Boumerdès depuis 15 ans. Il participe aux grèves de janvier, puis août de l’année dernière.
Après la dernière grève et alors que la tutelle promet de répondre aux sollicitations des employés, du jour au lendemain il comprend qu’il est surveillé au bureau. Tous ses gestes sont observés. Le personnel est réduit à coups de mutations, de congés, de récupérations. Mourad, lui, est maintenu en poste et doit faire face à la pression. Les clients sont toujours aussi nombreux. «J’ai de la chance, je n’ai fait aucune erreur. Je suis du genre pointilleux», rigole-t-il aujourd’hui.
Intérêt moral
Le 2 août dernier, ses supérieurs ont fini par le suspendre pour «avoir porté atteinte aux intérêts moraux de l’entreprise». Hier, il est passé devant une commission de discipline ; une «mascarade» selon lui. «Ils étaient six. Deux membres n’avaient aucune idée concernant le dossier, et comme ils ne voulaient pas entendre ma version des faits, ils ont suspendu la séance», raconte-t-il. Il doit encore attendre huit jours pour savoir s’il sera licencié ou non. Mais il ne se fait pas d’illusion.
«Cette entreprise ne veut pas de syndicat autonome, de gens qui demandent à ce que leurs droits soient respectés et que l’entreprise soit protégée, estime Tarek Ammar Khodja. Ils veulent nous faire passer pour des fauteurs de troubles, ils veulent faire croire que l’on cherche à détruire l’entreprise, mais c’est faux ! La gestion de la Poste aujourd’hui est catastrophique, les travailleurs n’ont pas de stylo, pas de chaise, on va droit dans le mur !»
Les deux travailleurs de la Poste sont peinés mais ils ne veulent pas «lâcher». Sur les réseaux sociaux, une photo de leurs collègues circule avec une pancarte : «Licenciez-nous tous !». «Ces méthodes-là ne font plus peur, on ne va pas se laisser faire», lancent-ils. Mais pour seule riposte, ils n’ont qu’un sit-in, «devant le ministère du Travail d’ici la fin du mois d’août». Ils ont peu d’espoir d’être réintégrés.
Vulnérables
Il y a plus d’un an, les sociétés de restauration Cieptal et Saha Catering avaient licencié 35 délégués du personnel à Hassi R’mel (Laghouat). «Toute la presse en avait parlé, la justice avait ordonné leur réintégration, mais aujourd’hui ils sont au chômage et certains ont quitté la région pour trouver du travail. Ces hommes n’ont ni la force ni les moyens de se battre contre une telle machine», raconte Yacine Zaïd, militant et ancien employé licencié pour ses activités syndicales. Il estime que rien ne protège les employés : «Les entreprises sont encouragées par l’absence de réaction du ministère du Travail ou de l’Inspection du travail.
Leur silence est un feu vert pour les licenciements, explique-t-il. Les autorités ne soutiennent jamais la création d’un syndicat et la justice est incapable d’obliger une entreprise à réintégrer des travailleurs licenciés abusivement !» Le sentiment est le même aux sein des effectifs de Sonelgaz. Au début du mois de juillet, Abdellah Boukhalfa, président du syndicat autonome, est révoqué après avoir organisé une réunion syndicale dans l’Est du pays.
Deux autres employés qui ont participé à la réunion sont suspendus et 25 autres reçoivent des questionnaires. «Les membres du syndicat ont bien déposé les dossiers pour faire enregistrer leur groupe, mais le PDG de Sonelgaz a décrété que ce syndicat n’était pas reconnu», explique Mourad Tchikou du Snapap. Sur les documents officiels envoyés aux 28 travailleurs, il est inscrit dans la case «motif» : «activité avec un syndicat non reconnu».
Si la Poste et Sonelgaz sont des entreprises publiques, le secteur privé n’est pas irréprochable. A Bethioua, près d’Oran, 6 délégués du personnel de l’entreprise turque de fabrication de pièces en métal Tosyali ont été licenciés il y a une semaine, après 4 mois de conflit. Au début de l’année, la direction des ressources humaines licencie 150 personnes. «Cette dame est entrée dans mon bureau, accompagnée d’un agent de sécurité, et m’a dit : ‘‘tu as 5 minutes pour partir’’», raconte un employé.
Les travailleurs décident de s’organiser pour dénoncer ce qu’ils estiment être des licenciements abusifs. Le syndicat officiel de l’entreprise reste silencieux. Il n’inspire plus confiance, et six employés sont choisis par leurs collègues pour les représenter. Une grève a eu lieu au mois de mai. «A ce moment-là, la DRH a voulu licencier 36 personnes. Elle n’a pas réussi», raconte l’employée qui assure que l’UGTA, l’Inspection du travail et même la wilaya ont été alertées.
Gendarmerie
Au début du mois d’août, les six délégués demandent aux responsables la mise en place d’une convention collective. Ils sont immédiatement convoqués en conseil de discipline. La direction refuse la présence des autres travailleurs pendant la réunion. «Ils nous ont licenciés tous les six en affirmant que la décision venait de Turquie», raconte Mohamed Bouzid, l’un des délégués. Les autres travailleurs se mettent alors en grève et bloquent l’usine.
Les responsables de l’entreprise demandent l’intervention des services de gendarmerie et portent plainte. Les forces de sécurité interviennent mardi avec une «vingtaine d’engins de type 4×4, des chasse-neige et un bus chargé de gendarmes», selon le journaliste oranais Salah Ziad. Plusieurs employés sont violentés et 19 d’entre eux sont arrêtés. Ils passent la nuit en garde à vue avant d’être présenté devant le procureur. Les 19 travailleurs devront se présenter au tribunal le 20 octobre prochain. Leïla Beratto le 22.08.14 | 10h00
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