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  • Tours Palestine

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  • La terrifiante amnésie d’Obama et de Hollande (A l'Encontre)

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    Nous publions ci-dessous la feuille distribuée par le Mouvement pour le socialisme (MPS) à l’occasion de la conférence donnée, le 24 novembre 2015 à l’Université de Genève, par Garance Le Caisne, auteure de Opération César. Au cœur de la machine de mort syrienne (Stock, 2015). Cette conférence est organisée par le Groupe Syrie Amnesty UNIGE et l’Association FemmeS pour la démocratie.

    L’enquête – Opération César – revient sur le rapport de ce photographe de la police militaire syrienne qui a fourni à l’opposition syrienne 45’000 clichés de corps détenus provenant d’une vingtaine de centres de détention à Damas. Pour réaliser cet ouvrage Garance Le Caisne a rencontré César et des rescapés de la machine de mort de la dictature. Ce dossier sert aussi de solide preuve pour les procès engagés contre Bachar el-Assad pour «crimes contre l’humanité». Un engagement qu’avait pris le gouvernement Hollande et qui est «oublié» aujourd’hui. Comme si les crimes de Daech à Paris et la «guerre» du néo-général Hollande devaient aboutir à faire silence sur ceux du régime des Assad. Est-il possible, y compris pratiquement, de «construire une transition politique et démocratique» avec celui qui a détruit un pays et écharpé sa population? Les opérations guerrières s’accompagnent toujours de déclarations officielles dont la validité n’est étayée que par un esprit et une pratique «d’état d’urgence». (Rédaction A l’Encontre)

    Si divers signes l’annonçaient depuis des mois, ces dernières semaines un tournant s’est opéré, clairement, dans la politique des puissances impérialistes envers Bachar el-Assad. Au-delà de divergences, propres à la tentative de redéfinir leur «présence» dans le chaotique Moyen-Orient, un accord se construit sur le maintien de Bachar el-Assad lors d’une dite transition politique en Syrie. Même si des approches différentes sur la voie à choisir existent, encore, entre Obama et Hollande.

    Dès lors, une priorité unilatérale est donnée par les gouvernements de France, du Royaume-Uni, des Etats-Unis (et d’autres) au combat contre la force barbare et terroriste de Daech (dit Etat islamique). La Russie de Poutine et l’Iran de l’ayatollah Ali Khamenei ainsi que du président Hassan Rohani sont à l’œuvre depuis longtemps pour soutenir la dictature des Assad et de ses mafias. Cela aussi bien en fournissant des troupes («Gardiens de la révolution» islamique), qu’en sponsorisant les milices chiites du Hezbollah libanais, et en livrant des armes diverses (la Russie en tête). Tout cela ne peut qu’alimenter l’adhésion à une opposition «djihadiste» de la part jeunes membres de secteurs majoritaires la population syrienne (en exil ou encore dans le pays) qui ressentent et vivent les multiples formes de la dictature – de plus en plus monstrueuse – de Bachar comme étant exercée par une «minorité religieuse», les alouites.

    Depuis le 30 septembre 2015, au nom de la lutte contre Daech, les chasseurs russes bombardent surtout les positions des diverses forces qui combattent la dictature et luttent contre Daech. Autrement dit, Poutine vise: à renforcer la position de la Russie dans cette partie de la Méditerranée (port de Tartous dans la région la plus contrôlée par le régime de Bachar el-Assad), à projeter l’impérialisme russe dans cette aire marquée par les désastres humains et politiques qui découlèrent de l’intervention des Etats-Unis en Irak en 2003. Ce faisant, le Kremlin remet en selle Bachar.

    En outre, le pouvoir poutinien trouve ainsi une carte pour négocier, dès fin janvier 2016, la levée des sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis contre la Russie, suite à l’annexion de la Crimée et à son soutien aux «indépendantistes du Donbass» ukrainiens qui s’affrontent à l’oligarchie représentée par Porochenko. Un conflit armé entre brigands des deux bords dont la très large majorité des populations paie un prix énorme.

    La mollahrchie iranienne et la Russie, comme le confirme la visite de Poutine à Téhéran le 23 novembre, font ensemble des «affaires». Moscou vend des missiles sophistiqués et des centrales nucléaires à Téhéran. Et ils se coalisent pour assurer leurs intérêts régionaux mutuels. Poutine ne se réjouit peut-être pas de la relance future de l’exportation de pétrole iranien qui ne poussera pas le prix du baril de pétrole à la hausse. Mais ce désavantage est secondaire et pas immédiat. Et Poutine peut faire bénir ses avions et ses navires de guerre par le patriarche de l’Eglise orthodoxe afin de mener «une guerre sainte» contre les «ennemis d’Assad». De quoi nourrir d’une enveloppe «religieuse» une opération militaire et politique! Et de quoi, en miroir, valider la dimension apocalyptique prônée par Daech.

    Avec en arrière-fond la permanence de la structure du régime des Assad, il ne faut pas oublier qu’au nom d’une «transition démocratique» en Syrie et d’une «stabilité» régionale aussi bien la Maison-Blanche que le Kremlin appuient la dictature de l’ex-maréchal Abdel Fattah al-Sissi en Eygpte. Un militaire-président qui fait taire, par la répression violente et des massacres, toute opposition. Quant aux Etats-Unis et à la France, ils arment le Royaume des Saoud classé parmi les ennemis les plus décidés des droits démocratiques et nourrissant institutionnellement un islamisme hyper-réactionnaire: le fondamentalisme wahhabiste.

    Protéger leurs intérêts en appuyant les dictateurs

    Pour cette nouvelle «coalition internationale» qui prend forme le seul ennemi est Daech. Cela fait le jeu du régime dictatorial des Assad. Passe donc par pertes et profits le sort réel d’une population épuisée, déchirée et emportée dans une gigantesque vague de réfugié·e·s internes et externes. La raison de fond pour «l’Occident» est bien résumée dans la revue états-unienne Foreign Policy, en date du 20 novembre 2015: «Cette nouvelle phase considère que les terroristes sont des acteurs non étatiques et adoptera la perspective que si nous avons un système international construit autour d’Etats forts souverains – quelles que soient leur brutalité ou leur indifférence envers les droits humains – la vie (sic) deviendra beaucoup plus difficile pour les groupes armés non étatiques.» Laissons de côté le cynisme de cette affirmation. En fait, il n’y a rien de nouveau, sur le fond, dans l’appui donné par les dominants des Etats-Unis, de l’URSS passée ou de la Russie d’aujourd’hui – ou encore de la France: Sarkozy invitait à la tribune le 14 juillet 2008 Bachar el-Assad et soutenait Ben Ali en Tunisie – à des régimes dictatoriaux ou autoritaires, sans même parler de leur installation aux manettes gouvernementales.

    Revenons à la Syrie: les chabiha – les milices mafieuses du régime Assad– qui sont-ils? Rien d’autre, aujourd’hui, que des groupes terroristes semi-non étatiques qui terrorisent y compris la population des zones contrôlées par Assad. Et quand bien même la police militaire de Bachar – entre autres les moukhabarat – sera d’ordre étatique, en quoi leur barbarie serait-elle différente de celle de Daech? Pire, ils obéissent aux ordres d’un tyran qui planifie, avec une minutie analogue au régime nazi ou stalinien, les tortures et exécutions.

    Assassiner et torturer plus de 300’000 personnes voilà la méthode du régime Assad pour, prétendument, lutter contre «les terroristes». Car, dès mars 2011, tous les opposant·e·s ont été qualifiés de «terroristes», donc «d’acteurs non étatiques», par la dictature au pouvoir. Une dictature qui n’a cessé d’utiliser les «fondamentalistes islamistes», puis Daech pour tenter de briser tous ceux qu’elle caractérise de «terroristes».

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    Une amnésie criminelle: «César» est effacé

    Le gouvernement Hollande a-t-il oublié qu’une «enquête pénale pour “crimes de guerre” a été ouverte en France visant le régime de Bachar el-Assad, pour des exactions commises en Syrie entre 2011 et 2013»? (Le Huffington Post, 30 septembre 2015 et l’AFP) La rédaction de cette publication, membre du groupe Le Monde, continue ainsi son explication: «L’enquête se base notamment sur le témoignage de « César », un ex-photographe de la police militaire syrienne qui s’était enfui de Syrie en juillet 2013, en emportant 55’000 photographies effroyables de corps torturés. Mercredi matin, une source judiciaire a précisé que l’enquête était ouverte pour “crimes contre l’humanité” et non “crimes de guerre”… La qualification de crimes contre l’humanité vise des faits d’enlèvements et de tortures commis par le régime syrien. […] Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a invoqué mardi “la responsabilité d’agir contre l’impunité” à propos de l’ouverture de cette enquête. “Il est de notre responsabilité d’agir contre l’impunité”, a déclaré Laurent Fabius qui se trouve à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies [26 septembre–1er octobre 2015], en dénonçant des “crimes qui heurtent la conscience humaine”.[…] Lors d’une conférence de presse à Paris en mars 2014, plusieurs photos d’une cruauté insoutenable, provenant d’une carte-mémoire emportée par “César”, avaient été projetées. […] L’annonce de cette enquête intervient alors que la crise syrienne est au centre de l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Mardi, le président américain Barack Obama a insisté sur le départ du président syrien Bachar el-Assad pour vaincre les jihadistes de l’Etat islamique alors que la Russie insiste au contraire pour le maintenir au pouvoir. De son côté, le président François Hollande a affirmé lundi à l’ONU qu’“on ne peut pas faire travailler ensemble les victimes et le bourreau”, excluant ainsi Bachar el-Assad d’une solution politique au conflit.» (Idem)

    Mais, la «realpolitik» du gouvernement «socialiste» Hollande-Valls l’a conduit à renoncer, une fois de plus, à leurs «promesses», à leurs «principes», logés dans une rhétorique de faussaire. Elle prend, aujourd’hui, les accents d’un «chef de guerre» dont toute l’action fait le lit de l’extrême droite (Front national de Marine Le Pen) et aboutit à la stigmatisation des musulmans.

    Un reniement qui renvoie au refus du pouvoir français – parmi d’autres – d’aider matériellement la résistance populaire syrienne en lui fournissant les armes nécessaires pour se défendre contre les tirs des chars blindés d’Assad et les hélicoptères et avions larguant des barils de TNT (explosif).

    La «coalition internationale contre Daech» bombarde Raqqa, la «capitale de Daech». Sans «dommages collatéraux», pour utiliser le vocabulaire des états-majors? Hala Kodmani, une journaliste syrienne étroitement liée aux réseaux résistants, a démontré combien la population subissait aussi ces attaques (voir son article publié sur le site alencontre.org en date du 19 novembre 2015).

    Il n’y aura pas de lutte effective contre Daech sans donner la priorité à l’appui aux forces populaires syriennes. Donc sans une lutte conjointe, pour une «paix juste et un régime démocratique», contre le régime Assad. Sans faire le procès aussi bien des terroristes de Daech que celui, promis, d’Assad, car «on ne peut faire travailler ensemble les victimes et le bourreau». (MPS, 23 novembre 2015)

    Publié par Alencontre le 24 - novembre - 2015
     
  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

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  • Géopolitique : Ces (nombreux) pays que l’existence de Daech arrange bien (Essf)

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    Olivier Roy, spécialiste de l’islam, estime que certains acteurs dans la région n’ont pas intérêt à le voir disparaître : l’Irak, la Turquie, l’Arabie Saoudite, l’Iran, Israël et Bachar al-Assad. Interview.

    Sara Daniel et Marie Limonier – Comment peut-on lutter efficacement contre Daech ?

    Olivier Roy – La question de la lutte contre Daech est rendue plus complexe du fait que certains acteurs dans la région n’ont pas intérêt à le voir disparaître. Ils trouvent dans son existence un intérêt par défaut : il n’est pas leur ennemi principal mais secondaire.

    En Irak, les tribus sunnites ont eu recours à Daech pour se protéger des exactions des milices chiites ; les chiites d’Irak, eux, ne veulent pas prendre Falloujah ou Mossoul. Pourquoi ? Parce que ça les obligerait à intégrer politiquement les Arabes sunnites, ce que leur demandent les Américains depuis dix ans. Les milices chiites irakiennes se battent pour leur territoire, donc Daech ne prendra jamais Bagdad. Mais ils ne veulent pas reconquérir le territoire sunnite pris par Daech, ça ne les intéresse pas. Les chiites irakiens ont à mon avis intériorisé l’idée que l’Etat irakien est une construction artificielle élaborée par les Anglais dans les années 1920 pour mettre les sunnites au pouvoir. Alors, sans avoir forcément le projet de créer une république chiite, ils s’installent dans un provisoire. Ce qui arrange tout le monde.

    En Turquie, Erdogan est extrêmement clair : l’ennemi, ce sont les Kurdes. Point. On ne va donc pas les aider à casser Daech pour renforcer les Kurdes ce qui permettrait au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de se créer un sanctuaire et de reprendre la lutte armée en Turquie. D’ailleurs, les Kurdes ne cherchent pas à écraser Daech, seulement à défendre leurs nouvelles frontières. Pour les Kurdes d’Irak, la menace principale c’est la reconstitution d’un Etat central fort à Bagdad, qui pourrait contester l’indépendance de fait dont jouit le Kurdistan irakien aujourd’hui. Daech en empêche la création. Des mauvaises langues prétendent que Barzani a laissé Mossoul tomber dans les mains de Daech. Il préfère un Mossoul dans les mains de Daech qu’un Mossoul dans les mains du gouvernement irakien.

    En Syrie, Bachar al-Assad, qui a eu un moment intérêt à favoriser l’émergence de Daech, aimerait désormais se poser en ultime rempart contre le terrorisme islamique, et regagner aux yeux de l’Occident la légitimité qu’il a perdue en réprimant la population syrienne aussi violemment que son régime l’a fait.

    Pour les Saoudiens, l’ennemi principal n’est pas Daech, qui n’est que l’expression d’un radicalisme sunnite qu’ils ont toujours soutenu idéologiquement. Ils ne font donc rien contre, leur ennemi étant avant tout l’Iran.

    Les Iraniens, quant à eux, veulent contenir Daech, mais pas forcément l’anéantir, pour ne pas à avoir à administrer un territoire sunnite et parce que son existence lui permet de jouer un rôle capital sur la scène internationale.

    Pour les Israéliens, Daech c’est génial : des Arabes qui tapent sur des Arabes et réciproquement ! Ils ne peuvent que se réjouir de voir le Hezbollah se battre contre des Arabes, la Syrie s’effondrer, l’Iran être empêtré dans une guerre, tandis que la question palestinienne devient une cause secondaire.

    Donc aucun acteur régional n’est prêt à en découdre au sol pour reprendre les terres sunnites de Daech ?

    Non. Et à la différence de l’après-11 septembre, les Etats-Unis non plus... Washington se contente de faire du « containment », à coups de bombes et de drones. Et pourtant, une guerre ne se gagne pas sans infanterie au sol.

    La France, peut-être elle seule, voudrait éradiquer Daech. Mais elle n’a pas de quoi mener une telle guerre sur deux fronts, et dans le Sahel et au Moyen-Orient. Mais la position de Daech est devenue difficile : il tient plus par défaut que par une dynamique de conquête. Son succès était fondé sur une avancée fulgurante et un effet de terreur qui visait à sidérer l’ennemi.. Mais l’expansion de Daech est bornée, parce que le mouvement a atteint la limite des zones où les populations arabes sunnites voient en lui un défenseur...

    Bloqué au Moyen-Orient, Daech se lance donc dans une fuite en avant : le terrorisme globalisé. Et même s’il n’y aura pas d’offensive au sol contre lui, l’escalade dans lequel il s’est lancé peut pousser acteurs locaux et internationaux à négocier et à trouver un compromis entre les intérêts de chaque puissance régionale qui cessera de faire de Daech un moindre mal.

    Propos recueillis par Sara Daniel et Marie Lemonnier*

    Source:

    http://o.nouvelobs.com/food/20151112.OBS9305/l-ere-du-temps-4-damien-boudier-le-chef-qui-monte.html

    * Olivier Roy, spécialiste de l’islam et fin connaisseur du djihadisme, est professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. Il est notamment l’auteur de « La Peur de l’islam » (L’Aube, 2015) et de « L’échec de l’Islam politique » (Points, 2015).

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36478

  • Hisham Almiraat, en jugement au Maroc (Global Voices)

     
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    Hisham Almiraat, médecin et longtemps animateur de la communauté Global Voices, va passer en justice la semaine prochaine au Maroc, accusé de “menaces à la sécurité intérieure de l'Etat”.

    A côté de Hisham Almiraat dans le box des accusés, quatre autres défenseurs de la société civile — l'historien Maâti Monjib, les journalistes Samad Iach et Mohamed Elsabr, et le militant de la liberté d'expression Hicham Mansouri. Les défenseurs de la liberté d'expression et des droits des médias estiment largement que l'affaire est une tentative du pouvoir marocain de faire taire ceux qui en critiquent les politiques et les pratiques.

    Les pièces à conviction contre Hisham Almiraat, auteur pour Global Voices depuis 2009 et dont il a été directeur du plaidoyer de 2012 à 2014, comportent son témoignage pour “Their Eyes on Me” (“Ils m'ont à l'oeil”), un rapport de recherche sur la surveillance technique au Maroc, publié par l'ONG de Londres Privacy International en collaboration avec l’Association des Droits Numériques, un groupe marocain de la société civile qu’Almiraat a contribué à créer.

    Almiraat et sa collègue Karima Nadir, vice-présidente de l'association, ont été interrogés par la police judiciaire marocaine (BNPJ) à Casablanca en septembre 2015. Les autorités les ont questionnés sur leur activité et leurs relations avec Privacy International. Le ministère de l'Intérieur a ensuite porté plainte à propos du rapport sus-mentionné sur la surveillance in Maroc.

    Almiraat a consacré la plus grande partie de son âge adulte à travailler à l'amélioration de la vie et du bien-être de ses compatriotes, tant comme défenseur de la société civile que comme médecin. Etudiant puis médecin urgentiste le jour, Almiraat tenait son blog, écrivait pour Global Voices, et a co-fondé les projets de médias sociaux Talk Morocco et  Mamfakinch. Ce dernier a été constitué par Almiraat et une équipe de collègues défenseurs des droits humains en vue de renforcer la couverture médiatique des soulèvements sociaux au Maroc en 2011-12, et a joué un rôle central pour galvaniser le soutien de l'opinion au mouvement contestataire.

    Pendant cette période, Almiraat et ses collègues de Mamfakinch étaient la cible de logiciels de surveillance qui se sont introduits dans leurs ordinateurs et leur faisaient craindre que leurs communications soient sur écoute. Des craintes confirmées ensuite par une recherche du Citizen Lab de l'Unversité de Toronto. En juillet 2015, des fuites de dossiers de la société italienne de logiciels de surveillance Hacking Team ont établi que le Conseil Supérieur de la Défense Nationale, une institution publique marocaine, avait acheté le logiciel de Hacking Team en 2012.

    Almiraat a oeuvré au cours du temps à consolider un environnement médiatique robuste dans son pays, et à tenir son gouvernement comptable de ses engagements dans les normes internationales des droits humains de liberté d'expression et de protection de la vie privée.

    La communauté Global Voices est solidaire de Hisham et invite ses lecteurs à travers le monde à soutenir sa cause sur les médias sociaux, et à lire et diffuser ses articles, que l'on peut trouver ici et ici [Bon nombre ont été traduits en français]. Nous publierons sous peu de nouvelles informations sur l'affaire, ainsi qu'une déclaration publique de soutien.

    Ellery Roberts Biddle 16 Novembre 2015
     
  • Vu de Russie. Pour la paix en Syrie, Bachar El-Assad doit partir (CI)

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    Le président syrien doit se retirer pour permettre la création d’une coalition nationale contre l’EI et ouvrir la voie à des élections avec participation de toutes les forces politiques du pays, écrit cet historien russe.

    Le cauchemar de Paris a montré au monde deux choses. Premièrement, ce mouvement qui s’attaque à l’humanité est diabolique – inutile d’espérer négocier avec lui ni même obtenir une trêve. L’organisation Etat islamique (EI) ne peut qu’être anéantie et doit l’être. Deuxièmement, devant cette menace commune, les Etats doivent écouter la voix de la raison et oublier leurs différends et leurs réticences. Il faut, par exemple, comprendre que les Américains n’enverront jamais de kamikazes dans le métro de Moscou, tandis que ces monstres islamistes le feront volontiers.

    Tous les derniers coups portés par l’EI – à Bagdad, à Beyrouth, à Paris, dans le ciel du Sinaï – le sont sous la même bannière : “Vengeance pour la Syrie !” Les bombardements français ont infligé des dommages minimes aux djihadistes, mais qu’à cela ne tienne ! Il leur faut montrer à tous ceux qui oseraient s’en prendre au califat que le châtiment sera terrible. Quant à la Russie, ces monstres la haïssent tout particulièrement : alors qu’ils avaient enfin réalisé leur vieux rêve de califat, les Russes sont venus les frapper dans le dos.  

    Voilà donc la Syrie détruite et inondée de sang. Elle est aujourd’hui au cœur de tout, le théâtre de tous les excès de l’EI. On comprend pourquoi la diplomatie internationale est ainsi focalisée sur la question syrienne. Qui irait contredire l’idée que tous ceux qui veulent éliminer les djihadistes de la scène politique doivent aujourd’hui unir leurs forces ? Alors où est le problème ? Pourquoi a-t-on l’impression que l’actuel projet de résolution du conflit syrien risque de suivre le même chemin que le “plan de paix de Kofi Annan” [de mars 2012], aujourd’hui oublié, et sur lequel Moscou avait à l’époque fondé tant d’espoirs ? Une seule réponse : toutes les solutions achoppent sur Bachar El-Assad.

    La position officielle russe est la suivante : nous ne sommes pas cramponnés à Assad, nous voulons seulement que le peuple syrien puisse choisir son président lors d’élections libres. En attendant, Assad est un président légitimement élu. L’argument est fallacieux et peu convaincant. Premièrement, la légitimité d’Assad est pour le moins controversée : tout le monde sait qu’il n’a pu prendre les rênes du pays que parce qu’il était le fils de l’ancien président, lui-même arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat.

    Deuxièmement, où pourraient se dérouler ces élections ? Dans les zones contrôlées par le pouvoir ? Cela ne représente pas plus du quart du territoire syrien. Alors de quelles élections parle-t-on ? Ou bien pense-t-on qu’en six mois l’armée régulière aura libéré la Syrie et vaincu tous ses ennemis, l’EI comme le Front Al-Nosra [affilié à Al-Qaida], mais aussi [le groupe armé salafiste] Ahrar Al-Sham et l’Armée syrienne libre ? Difficile à imaginer.  

    En quatre ans, l’armée régulière, équipée d’armes russes sophistiquées, n’a pas pu mater ceux qu’Assad appelle les bandes de terroristes, de criminels et de mercenaires, qui ne disposent pourtant que d’armes légères. Les djihadistes ont fait leur apparition en Syrie il y a à peine deux ans. L’armée d’Assad se battait les deux années précédentes contre l’Armée syrienne libre, composée de déserteurs qui avaient trouvé refuge en Turquie et de groupes disparates issus de l’opposition laïque et islamiste modérée. Ces groupes, sans commandement unique et sans armes lourdes, ont non seulement réussi à tenir l’armée en respect, mais ont même pris le contrôle de plusieurs villes. Quand l’EI est entré en Syrie, on se battait déjà dans la banlieue de Damas et dans le centre d’Alep.

    Conclusion : il y a quelque chose qui cloche avec l’armée régulière. Inutile d’escompter que l’appui aérien russe entraîne une métamorphose des troupes syriennes au sol qui libéreraient la Syrie comme par magie. En admettant même que ce miracle ait lieu et que toute la Syrie se retrouve à nouveau sous le pouvoir du régime d’Assad, qui irait voter ? Plusieurs millions de Syriens se sont réfugiés en Turquie, au Liban, en Jordanie et maintenant en Europe – sont-ils des citoyens de seconde zone ? Et comment réunir les conditions nécessaires à la tenue d’élections dans un pays à moitié détruit ou dans des camps de réfugiés ?

    Des élections en l’état ? Une farce

    Poursuivons. Qui seraient les candidats ? Assad n’a pas été écarté, il serait donc candidat et assuré de remporter au moins 90 % des suffrages partout où son pouvoir est toujours reconnu. C’est le seul résultat que pourraient assurer les baasistes, tenants d’un régime totalitaire et policier. Mais surtout comment imaginer que ceux que l’on voudrait associer à un “règlement politique”, à savoir l’opposition modérée, ceux qui se sont soulevés contre Assad en 2011, pourraient accepter de participer à une telle farce ?

    Enfin, à supposer qu’une fois encore un miracle ait lieu et que les ministres des Affaires étrangères des puissances internationales et la diaspora syrienne parviennent à un accord dans un quelconque hôtel européen, comment cela serait-il perçu par ceux qui se battent l’arme au poing en Syrie (je parle évidemment de l’opposition, des insurgés) ? Ces gens combattent depuis quatre ans, ils ont fait couler le sang, vu tomber leurs camarades, et voilà qu’Assad leur ordonnerait de déposer les armes, de disparaître ou de se repentir pour vivre encore une fois sous ce même régime…

    La solution : protéger les alaouites de représailles

    Alors que faire ? Il faut assurer la sécurité des territoires contrôlés actuellement par l’Etat syrien. Eriger un mur de fer autour Damas et Lattaquié et protéger les alaouites de représailles sanglantes. Pour Vladimir Poutine, c’est là une question d’honneur, ce sera son mérite pour la postérité. En échange de quoi, Assad devra désigner un successeur (même de son entourage alaouite) et se retirer officiellement pour le salut de sa nation exsangue.

    On me rétorquera que cela entérinera la partition de la Syrie. Mais pas du tout. Au contraire, ce serait l’unique chance d’opposer à l’EI, avec l’opposition modérée, débarrassée d’Assad, un front uni. Une coalition allant des baasistes au groupe Ahrar Al-Cham pourrait être créée. A plus long terme, un nouveau système politique serait bâti, sur le modèle multiconfessionnel libanais par exemple. Utopique, me direz-vous ? Pas plus que la solution préparée actuellement (probablement sans même y croire) par les ministres des grandes puissances. Publié le Georgui Mirski

  • "Marxistes et religion, hier et aujourd’hui" par Gilbert Achcar

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    1. L’attitude théorique («philosophique») du marxisme classique en matière de religion combine trois dimensions complémentaires, que l’on trouve déjà en germe dans l’Introduction à De la critique de la philosophie du droit de Hegel du jeune Marx (1843-1844):

    - d’abord, une critique de la religion, en tant que facteur d’aliénation. L’être humain attribue à la divinité la responsabilité d’un sort qui ne lui doit rien («L’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme.»); il s’astreint à respecter des obligations et interdits qui, souvent, entravent son épanouissement; il se soumet volontairement à des autorités religieuses dont la légitimité se fonde soit sur le fantasme de leur rapport privilégié au divin, soit sur leur spécialisation dans la connaissance du corpus religieux.

    - ensuite, une critique des doctrines sociales et politiques des religions. Les religions sont des survivances idéologiques d’époques révolues depuis fort longtemps: la religion est «fausse conscience du monde»; elle l’est d’autant plus que le monde change. Nées dans des sociétés précapitalistes, les religions ont pu connaître - à l’instar de la Réforme protestante dans l’histoire du christianisme - des aggiornamentos, qui restent forcément partiels et limitées dès lors qu’une religion vénère des «écritures saintes».

    - mais aussi, une «compréhension» (au sens wébérien) du rôle psychologique que peut jouer la croyance religieuse pour les damné/es de la terre. «La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.»

    Ces trois considérants débouchent, au regard du marxisme classique, sur une seule et même conclusion énoncée par le jeune Marx: «Le dépassement (Aufhebung) de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence de son véritable bonheur. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions sur sa condition, c’est exiger qu’il soit renoncé a une condition qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole.»

    2. Pour autant, le marxisme classique n’a pas posé la suppression de la religion comme condition nécessaire et préalable de l’émancipation sociale (le propos du jeune Marx pourrait se lire: afin de pouvoir surmonter les illusions, il faut d’abord mettre fin à la «condition qui a besoin d’illusions»). En tout état de cause, tout comme pour l’État, pourrait-on dire, il ne s’agit pas d’abolir la religion, mais de créer les conditions de son extinction. Il n’est pas question de prohiber «l’opium du peuple», et encore moins d’en réprimer les consommateurs. Il s’agit seulement de mettre fin aux rapports privilégiés qu’entretiennent ceux qui en font commerce avec le pouvoir politique, afin de réduire son emprise sur les esprits.

    Trois niveaux d’attitude sont ici à considérer :

    • Le marxisme classique, celui des fondateurs, n’a pas requis l’inscription de l’athéisme au programme des mouvements sociaux. Au contraire, dans sa critique du programme des émigrés blanquistes de la Commune (1874), Engels a raillé leur prétention d’abolir la religion par décret. Sa perspicacité a été entièrement confirmée par les expériences du XXe siècle, comme lorsqu’il soutenait que «les persécutions sont le meilleur moyen d’affermir des convictions indésirables» et que «le seul service que l’on puisse rendre encore, de nos jours, à Dieu est de proclamer l’athéisme un symbole de foi coercitif».

    • La laïcité républicaine, c’est-à-dire la séparation de la religion et de l’État, est, en revanche, un objectif nécessaire et imprescriptible, qui faisait déjà partie du programme de la démocratie bourgeoise radicale. Mais là aussi, il importe de ne pas confondre séparation et prohibition, même en ce qui concerne l’enseignement. Dans ses commentaires critiques sur le programme d’Erfurt de la social-démocratie allemande (1891), Engels proposait la formulation suivante: «Séparation complète de l’Église et de l’État. Toutes les communautés religieuses sans exception seront traitées par l’État comme des sociétés privées. Elles perdent toute subvention provenant des deniers publics et toute influence sur les écoles publiques.» Puis il ajoutait entre parenthèses ce commentaire: «On ne peut tout de même pas leur défendre de fonder, par leurs propres moyens, des écoles, qui leur appartiennent en propre, et d’y enseigner leurs bêtises!»

    • Le parti ouvrier doit en même temps combattre idéologiquement l’influence de la religion. Dans le texte de 1873, Engels se félicitait du fait que la majorité des militants ouvriers socialistes allemands était gagnée à l’athéisme, et suggérait de diffuser la littérature matérialiste française du XVIIIe siècle afin d’en convaincre le plus grand nombre.

    Dans sa critique du programme de Gotha du parti ouvrier allemand (1875), Marx expliquait que la liberté privée en matière de croyance et de culte doit être définie uniquement comme rejet de l’ingérence étatique. Il en énonçait ainsi le principe: «chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez». Il regrettait, en même temps, que le parti n’ait pas saisi «l’occasion d’exprimer sa conviction que la bourgeoise “liberté de conscience” n’est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que lui [le parti] s’efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse».

    3. Le marxisme classique n’envisageait la religion que sous l’angle du rapport des sociétés européennes à leurs propres religions traditionnelles. Il ne prenait pas en considération la persécution des minorités religieuses, ni surtout la persécution des religions de peuples opprimés par des États oppresseurs appartenant à une autre religion. À notre époque marquée par la survivance de l’héritage colonial et par sa transposition à l’intérieur même des métropoles impériales - sous la forme d’un «colonialisme intérieur», dont l’originalité est que ce sont les colonisés eux-mêmes qui sont expatriés, c’est-à-dire «immigrés» - cet aspect acquiert une importance majeure.

    Dans un contexte dominé par le racisme, corollaire naturel de l’héritage colonial, les persécutions de la religion des opprimé/es, ex-colonisé/es, ne doivent pas être rejetées seulement parce qu’elles sont «le meilleur moyen d’affermir des convictions indésirables». Elles doivent être rejetées, aussi et avant tout, parce qu’elles sont une dimension de l’oppression ethnique ou raciale, aussi intolérable que le sont les persécutions et discriminations politiques, juridiques et économiques.

    Certes, les pratiques religieuses des populations colonisées peuvent apparaître comme éminemment rétrogrades aux yeux des populations métropolitaines, dont la supériorité matérielle et scientifique était inscrite dans le fait même de la colonisation. Mais ce n’est pas en imposant le mode de vie de ces dernières aux populations colonisées, contre leur gré, que sera servie la cause de leur émancipation. L’enfer de l’oppression raciste est pavé de bonnes intentions «civilisatrices», et l’on sait à quel point le mouvement ouvrier lui-même fut contaminé par la prétention bienfaitrice et l’illusion philanthropique à l’ère du colonialisme.

    Engels avait pourtant bien mis en garde contre ce syndrome colonial. Dans une lettre à Kautsky, datée du 12 septembre 1882, il formula une politique émancipatrice du prolétariat au pouvoir, tout empreinte de la précaution indispensable afin de ne pas transformer la libération présumée en oppression déguisée.

    «Les pays sous simple domination et peuplés d’indigènes, Inde, Algérie, les possessions hollandaises, portugaises et espagnoles, devront être pris en charge provisoirement par le prolétariat et conduits à l’indépendance, aussi rapidement que possible. Comment ce processus se développera, voilà qui est difficile à dire. L’Inde fera peut-être une révolution, c’est même très vraisemblable. Et comme le prolétariat se libérant ne peut mener aucune guerre coloniale, on serait obligé de laisser faire, ce qui, naturellement, n’irait pas sans des destructions de toutes sortes, mais de tels faits sont inséparables de toutes les révolutions. Le même processus pourrait se dérouler aussi ailleurs: par exemple en Algérie et en Égypte, et ce serait, pour nous certainement, la meilleure solution. Nous aurons assez à faire chez nous. Une fois que l’Europe et l’Amérique du Nord seront réorganisées, elles constitueront une force si colossale et un exemple tel que les peuples à demi civilisés viendront d’eux-mêmes dans leur sillage: les besoins économiques y pourvoiront déjà à eux seuls. Mais par quelles phases de développement social et politique ces pays devront passer par la suite pour parvenir eux aussi à une structure socialiste, là-dessus, je crois, nous ne pouvons aujourd’hui qu’échafauder des hypothèses assez oiseuses. Une seule chose est sûre: le prolétariat victorieux ne peut faire de force le bonheur d’aucun peuple étranger, sans par là miner sa propre victoire.»

    Vérité élémentaire, et pourtant si souvent ignorée: tout «bonheur» imposé par la force équivaut à une oppression, et ne saurait être perçu autrement par ceux et celles qui le subissent.

    4. La question du foulard islamique (hijab) condense l’ensemble des problèmes posés ci-dessus. Elle permet de décliner l’attitude marxiste sous tous ses aspects.

    Dans la plupart des pays oùl’islam est religion majoritaire, la religion est encore la forme principale de l’idéologie dominante. Des interprétations rétrogrades de l’islam, plus ou moins littéralistes, servent à maintenir des populations entières dans la soumission et l’arriération culturelle. Les femmes subissent le plus massivement et le plus intensivement une oppression séculaire, drapée de légitimation religieuse.

    Dans un tel contexte, la lutte idéologique contre l’utilisation de la religion comme argument d’asservissement est une dimension prioritaire du combat émancipateur. La séparation de la religion et de l’État doit être une revendication prioritaire du mouvement pour le progrès social. Les démocrates et les progressistes doivent se battre pour la liberté de chacune et de chacun en matière d’incroyance, de croyance et de pratique religieuse. En même temps, le combat pour la libération des femmes reste le critère même de toute identité émancipatrice, la pierre de touche de toute prétention progressiste.

    Un des aspects les plus élémentaires de la libertédes femmes est leur liberté individuelle de se vêtir comme elles l’entendent. Le foulard islamique et, à plus forte raison, les versions plus enveloppantes de ce type de revêtement, lorsqu’ils sont imposés aux femmes, sont une des nombreuses formes de l’oppression sexuelle au quotidien - une forme d’autant plus visible qu’elle sert à rendre les femmes invisibles. La lutte contre l’astreinte au port du foulard, ou autres voiles, est indissociable de la lutte contre les autres aspects de la servitude féminine.

    Toutefois, la lutte émancipatrice serait gravement compromise si elle cherchait à«libérer» de force les femmes, en usant de la contrainte non à l’égard de leurs oppresseurs, mais à leur propre égard. Arracher par la force le revêtement religieux, porté volontairement -même si l’on juge que son port relève de la servitude volontaire - est un acte oppressif et non un acte d’émancipation réelle. C’est de surcroît une action vouée à l’échec, comme Engels l’avait prédit: de même que le sort de l’islam dans l’ex-Union soviétique, l’évolution de la Turquie illustre éloquemment l’inanité de toute tentative d’éradication de la religion ou des pratiques religieuses par la contrainte.

    «Chacun - et chacune - doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels» - les femmes porter le hijab ou les hommes porter la barbe - «sans que la police y fourre le nez».

    Défendre cette liberté individuelle élémentaire est la condition indispensable pour mener un combat efficace contre les diktats religieux. La prohibition du hijab rend paradoxalement légitime le fait de l’imposer, aux yeux de ceux et celles qui le considèrent comme un article de foi. Seul le principe de la liberté de conscience et de pratique religieuse strictement individuelle, qu’elle soit vestimentaire ou autre, et le respect de ce principe par des gouvernements laïcs, permettent de s’opposer légitimement et avec succès à la contrainte religieuse. Le Coran lui-même proclame: «Pas de contrainte en religion»!

    Par ailleurs, et pour peu que l’on ne remette pas en cause la liberté d’enseignement, prohiber le port du foulard islamique, ou autres signes religieux vestimentaires, à l’école publique, au nom de la laïcité, est une attitude éminemment antinomique, puisqu’elle aboutit à favoriser l’expansion des écoles religieuses.

    5. Dans un pays comme la France, oùl’islam fut pendant fort longtemps la religion majoritaire des «indigènes» des colonies et où il est depuis des décennies la religion de la grande majorité des immigrés, «colonisés» de l’intérieur, toute forme de persécution de la religion islamique - deuxième religion de France par le nombre et religion très inférieure aux autres par le statut - doit être combattue.

    L’islam est, en France, une religion défavorisée par rapport aux religions présentes depuis des siècles sur le sol français. C’est une religion victime de discriminations criantes, tant en ce qui concerne ses lieux de culte que la tutelle pesante, empreinte de mentalité coloniale, que lui impose l’État français. L’islam est une religion décriée au quotidien dans les médias français, d’une manière qu’il n’est heureusement plus possible de pratiquer contre la précédente cible prioritaire du racisme, le judaïsme, après le génocide nazi et la complicité vichyste. Un confusionnisme mâtiné d’ignorance et de racisme entretient, par médias interposés, l’image d’une religion islamique intrinsèquement inapte à la modernité, ainsi que l’amalgame entre islam et terrorisme que facilite l’utilisation inappropriée du terme «islamisme» comme synonyme d’intégrisme islamique.

    Certes, le discours officiel et dominant n’est pas ouvertement hostile; il se fait même bienveillant, les yeux rivés sur les intérêts considérables du grand capital français - pétrole, armement, bâtiment, etc. - en terre d’Islam. Toutefois, la condescendance coloniale à l’égard des musulman/es et de leur religion est tout autant insupportable pour elles et eux que l’hostilité raciste ouvertement affichée. L’esprit colonial n’est pas l’apanage de la droite en France; il est d’implantation fort ancienne dans la gauche française, constamment déchirée dans son histoire entre un colonialisme mêlé de condescendance d’essence raciste et d’expression paternaliste, et une tradition anticolonialiste militante.

    Même aux premiers temps de la scission du mouvement ouvrier français entre sociaux-démocrates et communistes, une aile droite émergea parmi les communistes de la métropole eux-mêmes (sans parler des communistes français en Algérie), se distinguant notamment par son attitude sur la question coloniale. La droite communiste trahit son devoir anticolonialiste face à l’insurrection du Rif marocain sous la direction du chef tribal et religieux Abd-el-Krim, lorsque celle-ci affronta les troupes françaises en 1925.

    L’explication de Jules Humbert-Droz à ce propos, devant le comité exécutif de l’IC, garde une certaine pertinence:

    «La droite a protesté contre le mot d’ordre de la fraternisation avec l’armée des Rifains, en invoquant le fait que les Rifains n’ont pas le même degré de civilisation que les armées françaises, et qu’on ne peut fraterniser avec des tribus à demi barbares. Elle est allée plus loin encore écrivant qu’Abd-el-Krim a des préjugés religieux et sociaux qu’il faut combattre. Sans doute il faut combattre le panislamisme et le féodalisme des peuples coloniaux, mais quand l’impérialisme français saisit à la gorge les peuples coloniaux, le rôle du P.C. n’est pas de combattre les préjugés des chefs coloniaux, mais de combattre sans défaillance la rapacité de l’impérialisme français.»

    6. Le devoir des marxistes en France est de combattre sans défaillance l’oppression raciste et religieuse menée par la bourgeoisie impériale française et son État, avant de combattre les préjugés religieux au sein des populations immigrées.

    Lorsque l’État français s’occupe de réglementer la façon de s’habiller des jeunes musulmanes et d’interdire l’accès à l’école de celles qui s’obstinent à vouloir porter le foulard islamique; lorsque ces dernières sont prises comme cibles d’une campagne médiatique et politique dont la démesure par rapport à l’ampleur du phénomène concerné atteste de son caractère oppressif, perçu comme islamophobe ou raciste, quelles que soient les intentions affichées; lorsque le même État favorise l’expansion notoire de l’enseignement religieux communautaire par l’accroissement des subventions à l’enseignement privé, aggravant ainsi les divisions entre les couches exploitées de la population française - le devoir des marxistes, à la lumière de tout ce qui a été exposé ci-dessus, est de s’y opposer résolument.

    Ce ne fut pas le cas pour une bonne partie de celles et ceux qui se réclament du marxisme en France. Sur la question du foulard islamique, la position de la Ligue de l’Enseignement, dont l’engagement laïque est au-dessus de tout soupçon, est bien plus en affinité avec celle du marxisme authentique que celle de nombre d’instances qui disent s’en inspirer. Ainsi peut-on lire dans la déclaration adoptée par la Ligue, lors de son assemblée générale de Troyes en juin 2003, ce qui suit:

    «La Ligue de l’Enseignement, dont toute l’histoire est marquée par une action constante en faveur de la laïcité, considère que légiférer sur le port de signes d’appartenance religieuse est inopportun. Toute loi serait soit inutile soit impossible.

    Le risque est évident. Quelles que soient les précautions prises, il ne fait aucun doute que l’effet obtenu sera un interdit stigmatisant en fait les musulmans. [...]

    Pour ceux ou celles qui voudraient faire du port d’un signe religieux l’argument d’un combat politique, l’exclusion de l’école publique n’empêchera pas de se scolariser ailleurs, dans des institutions au sein desquelles ils ont toutes chances de se trouver justifiés et renforcés dans leur attitude. [...]

    [L’] intégration de tous les citoyens, indépendamment de leurs origines et de leurs convictions, passe par la reconnaissance d’une diversité culturelle qui doit s’exprimer dans le cadre de l’égalité de traitement que la République doit assurer à chacun. À ce titre, les musulmans, comme les autres croyants, doivent bénéficier de la liberté du culte dans le respect des règles qu’impose une société laïque, pluraliste et profondément sécularisée. Le combat pour l’émancipation des jeunes filles, en particulier, passe prioritairement par leur scolarisation, le respect de leur liberté de conscience et de leur autonomie: n’en faisons pas les otages d’un débat idéologique, par ailleurs nécessaire. Pour lutter contre l’enfermement identitaire, une pédagogie de la laïcité, la lutte contre les discriminations, le combat pour la justice sociale et l’égalité sont plus efficaces que l’interdit.»

    Dans son rapport du 4 novembre 2003, remis à la Commission sur l’application du principe de laïcité dans la République (dite Commission Stasi), la Ligue de l’Enseignement traite admirablement de l’islam et des représentations dont il fait l’objet en France, en des pages dont on ne citera ici que quelques extraits:

    «Les résistances et les discriminations rencontrées par “les populations musulmanes” dans la société française ne tiennent pas essentiellement, comme on le dit trop souvent, au déficit d’intégration de ces populations mais bien à des représentations et à des attitudes majoritaires qui proviennent en grande partie d’un héritage historique ancien.

    La première tient à la non-reconnaissance de l’apport de la civilisation arabo-musulmane à la culture mondiale et à notre propre culture occidentale. [...]

    À cette occultation et à ce rejet s’est ajouté l’héritage colonial [...] porteur d’une tradition de violence, d’inégalité et de racisme, profonde et durable, que les difficultés de la décolonisation, puis les déchirements de la guerre d’Algérie ont amplifiée et renforcée. L’infériorisation ethnique, sociale, culturelle et religieuse des populations indigènes, musulmanes des colonies françaises a été une pratique constante, au point de retentir dans les limitations du droit. C’est ainsi qu’en ce qui concerne l’Islam, il a été considéré comme un élément du statut personnel et non comme une religion relevant de la loi de séparation de 1905. Durant tout le temps de la colonisation, le principe de laïcité ne s’est jamais appliqué aux populations indigènes et à leur culte à cause de l’opposition du lobby colonial et malgré la demande des oulémas qui avaient compris que le régime de laïcité leur rendrait la liberté du culte. Comment s’étonner dès lors que pendant très longtemps la laïcité, pour les musulmans, ait été synonyme d’une police coloniale des esprits! Comment veut-on que cela ne laisse pas des traces profondes, tant du côté des anciens colonisés que du pays colonisateur? Si de nombreux musulmans aujourd’hui encore considèrent que l’Islam doit régler les comportements civils, tant publics que privés, et, sans revendiquer de statut personnel, ont parfois tendance à en adopter le profil, c’est que la France et la République laïque leur ont intimé de le faire pendant plusieurs générations. Si de nombreux Français, parfois même parmi les plus instruits et qui exercent des responsabilités en vue, se permettent des appréciations péjoratives sur l’Islam dont l’ignorance le dispute à la stupidité, c’est qu’ils s’inscrivent, le plus souvent inconsciemment et en s’en défendant, dans cette tradition du mépris colonial.

    Un troisième aspect vient faire obstacle à la considération de l’Islam sur un pied d’égalité: c’est que religion transplantée, il est aussi une religion de pauvres. À la différence des religions judéo-chrétiennes dont les pratiquants en France se répartissent sur l’ensemble de l’échiquier social, et à la différence en particulier du catholicisme historiquement intégré à la classe dominante, les musulmans, citoyens français ou immigrés vivant en France, se situent pour l’instant, pour une grande majorité, en bas de l’échelle sociale. Là encore, la tradition coloniale se poursuit, puisque à l’infériorisation culturelle des populations indigènes s’ajoutait l’exploitation économique, et que celle-ci a longtemps pesé aussi très fortement sur les premières générations immigrées, tandis qu’aujourd’hui leurs héritiers sont les premières victimes du chômage et de la relégation urbaine. Le mépris social et l’injustice qui frappent ces catégories sociales affectent tous les aspects de leur existence, y compris la dimension religieuse. On ne s’offusque pas des foulards sur la tête des femmes de ménage ou de service dans les bureaux: il ne devient objet de scandale que s’il est porté avec fierté par des filles engagées dans des études ou des femmes ayant le statut de cadres.»

    L’incompréhension manifestée par les principales organisations de la gauche marxiste extraparlementaire en France à l’égard des problèmes identitaires et culturels des populations concernées est révélée par la composition de leurs listes électorales aux élections européennes: tant en 1999 qu’en 2004, les citoyen/nes originaires de populations naguère colonisées - du Maghreb ou d’Afrique noire, en particulier - ont brillé par leur absence dans le peloton de tête des listes LCR-LO, contrairement aux listes du PCF, parti tant de fois stigmatisé pour manquement à la lutte antiraciste par ces deux organisations. Ce faisant, elles se sont également privées d’un potentiel électoral parmi les couches les plus opprimées de France, un potentiel dont le score réalisé en 2004 par une liste improvisée comme Euro-Palestine a témoigné de façon éclatante.

    7. En mentionnant «ceux ou celles qui voudraient faire du port d’un signe religieux l’argument d’un combat politique», la Ligue de l’Enseignement faisait allusion, bien entendu, à l’intégrisme islamique. L’expansion de ce phénomène politique dans les milieux issus de l’immigration musulmane en Occident, après sa forte expansion depuis trente ans en terre d’Islam, a été, en France, l’argument préféré des pourfendeurs/ses de foulard islamique.

    L’argument est réel: à l’instar des intégrismes chrétiens, juif, hindouiste et autres, visant à imposer une interprétation rigoriste de la religion comme code de vie, sinon comme mode de gouvernement, l’intégrisme islamique est un véritable danger pour le progrès social et les luttes émancipatrices. En prenant soin d’établir une distinction claire et nette entre la religion en tant que telle et son interprétation intégriste, la plus réactionnaire de toutes, il est indispensable de combattre l’intégrisme islamique idéologiquement et politiquement, tant dans les pays d’Islam qu’au sein des minorités musulmanes en Occident ou ailleurs.

    Cela ne saurait, cependant, constituer un argument en faveur d’une prohibition publique du foulard islamique: la Ligue de l’Enseignement a expliqué le contraire de façon convaincante. Plus généralement, l’islamophobie est le meilleur allié objectif de l’intégrisme islamique: leur croissance va de pair. Plus la gauche donnera l’impression de se rallier à l’islamophobie dominante, plus elle s’aliènera les populations musulmanes et plus elle facilitera la tâche des intégristes musulmans, qui apparaîtront comme seuls à même d’exprimer la protestation des populations concernées contre «la misère réelle».

    L’intégrisme islamique est, cependant, un phénomène très différencié et l’attitude tactique à son égard doit être modulée selon les situations concrètes. Lorsque ce type de programme social est manié par un pouvoir oppresseur et par ses alliés afin de légitimer l’oppression en vigueur, comme dans le cas des nombreux despotismes à visage islamique; ou lorsqu’il devient l’arme politique d’une réaction luttant contre un pouvoir progressiste, comme ce fut le cas dans le monde arabe, dans la période 1950-1970, quand l’intégrisme islamique était le fer de lance de l’opposition réactionnaire au nassérisme égyptien et à ses émules - la seule attitude convenable est celle d’une hostilité implacable aux intégristes.

    Il en va autrement lorsque l’intégrisme islamique se déploie en tant que vecteur politico-idéologique d’une lutte animée par une cause objectivement progressiste, vecteur difforme, certes, mais remplissant le vide laissé par la défaite ou la carence des mouvements de gauche. C’est le cas des situations où les intégristes musulmans combattent une occupation étrangère (Afghanistan, Liban, Palestine, Irak, etc.) ou une oppression ethnique ou raciale, comme de celles où ils incarnent une aversion populaire à l’égard d’un régime d’oppression politique réactionnaire. C’est aussi le cas de l’intégrisme islamique en Occident, où son essor est généralement l’expression d’une rébellion contre le sort réservé aux populations immigrées.

    En effet, comme la religion en général, l’intégrisme islamique peut être «d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle», à la différence près qu’il s’agit dans son cas d’une protestation active: il n’est pas «l’opium» du peuple, mais plutôt «l’héroïne» d’une partie du peuple, dérivée de «l’opium» et qui substitue son effet extatique à l’effet narcotique de celui-ci.

    Dans tous ces types de situations, il est nécessaire d’adapter une attitude tactique aux circonstances de la lutte contre l’oppresseur,ennemi commun. Tout en ne renonçant jamais au combat idéologique contre l’influence néfaste de l’intégrisme islamique, il peut être nécessaire, ou inévitable, de converger avec des intégristes musulmans dans des batailles communes - allant de simples manifestations de rue à la résistance armée, selon les cas.

    8. Les intégristes islamiques peuvent être des alliés objectifs et circonstanciels dans un combat déterminé, menépar des marxistes. Il s’agit toutefois d’une alliance contre-nature, forcée par les circonstances. Les règles qui s’appliquent à des alliances beaucoup plus naturelles, comme celles qui furent pratiquées dans la lutte contre le tsarisme en Russie, sont ici à respecter à plus forte raison, et de façon plus stricte encore.

    Ces règles ont été clairement définies par les marxistes russes au début du XXe siècle. Dans sa Préface de janvier 1905 à la brochure Avant le 9 janvier de Trotsky, Parvus les résumait ainsi:

    «Pour faire simple, en cas de lutte commune avec des alliés d’occasion, on peut suivre les points suivants: 1) Ne pas mélanger les organisations. Marcher séparément, mais frapper ensemble. 2) Ne pas renoncer à ses propres revendications politiques. 3) Ne pas cacher les divergences d’intérêt. 4) Suivre son allié comme on file un ennemi. 5) Se soucier plus d’utiliser la situation créée par la lutte que de préserver un allié.»

    «Parvus a mille fois raison» écrivit Lénine dans un article d’avril 1905, publié dans le journal Vperiod, en soulignant «la condition absolue (rappelée fort à propos) de ne pas confondre les organisations, de marcher séparément et de frapper ensemble, de ne pas dissimuler la diversité des intérêts, de surveiller son allié comme un ennemi, etc.». Le dirigeant bolchevique énumérera maintes fois ces conditions au fil des ans.

    Les mêmes principes furent défendus inlassablement par Trotsky. Dans L’Internationale communiste après Lénine (1928), polémiquant au sujet des alliances avec le Kuomintang chinois, il écrivit les phrases suivantes, particulièrement adaptées au sujet dont il est ici question:

    «Depuis longtemps, on a dit que des ententes strictement pratiques, qui ne nous lient en aucune façon et ne nous créent aucune obligation politique, peuvent, si cela est avantageux au moment considéré, être conclues avec le diable même. Mais il serait absurde d’exiger en même temps qu’à cette occasion le diable se convertisse totalement au christianisme, et qu’il se serve de ses cornes [...] pour des oeuvres pieuses. En posant de telles conditions, nous agirions déjà, au fond, comme les avocats du diable, et lui demanderions de devenir ses parrains.»

    Nombre de trotskystes font exactement l’inverse de ce que préconisait Trotsky, dans leur rapport avec des organisations intégristes islamiques. Non pas en France, où les trotskystes, dans leur majorité, tordent plutôt le bâton dans l’autre sens, comme il a été déjà expliqué, mais de l’autre côté de la Manche, en Grande-Bretagne.

    L’extrême gauche britannique a le mérite d’avoir fait preuve d’une bien plus grande ouverture aux populations musulmanes que l’extrême gauche française. Elle a mené, contre les guerres d’Afghanistan et d’Irak, auxquelles a participé le gouvernement de son pays, de formidables mobilisations avec la participation massive de personnes issues de l’immigration musulmane. Dans le mouvement antiguerre, elle est même allée jusqu’à s’allier à une organisation musulmane d’inspiration intégriste, la Muslim Association of Britain (MAB), émanation britannique du principal mouvement intégriste islamique «modéré» du Moyen-Orient, le Mouvement des Frères musulmans (représenté dans les parlements de certains pays).

    Rien de répréhensible, en principe, àune telle alliance pour des objectifs bien délimités, àcondition de respecter strictement les règles énoncées ci-dessus. Le problème commence cependant avec le traitement en allié privilégié de cette organisation particulière, qui est loin d’être représentative de la grande masse des musulmans de Grande-Bretagne. Plus généralement, les trotskystes britanniques ont eu tendance, à l’occasion de leur alliance avec la MAB dans le mouvement antiguerre, à faire l’opposé de ce qui est énoncé ci-dessus, c’est-à-dire: 1) mélanger les bannières et les pancartes, au propre comme au figuré; 2) minimiser l’importance des éléments de leur identité politique susceptibles de gêner les alliés intégristes du jour; et enfin 3) traiter ces alliés de circonstance comme s’il s’agissait d’alliés stratégiques, en rebaptisant «anti-impérialistes» ceux dont la vision du monde correspond beaucoup plus au choc des civilisations qu’à la lutte des classes.

    9. Cette tendance s’est aggravée avec le passage d’une alliance dans le contexte d’une mobilisation antiguerre à une alliance électorale. La MAB n’a, certes, pas adhéré en tant que telle à la coalition électorale Respect, animée par les trotskystes britanniques, ses principes intégristes lui interdisant de souscrire à un programme de gauche. Mais l’alliance entre la MAB et Respect s’est traduite, par exemple, par la candidature sur les listes de Respect d’un dirigeant en vue de la MAB, l’ex-président et porte-parole de l’association.

    Ce faisant, l’alliance passait à un niveau qualitativement supérieur, tout à fait répréhensible, lui, d’un point de vue marxiste: autant il peut être légitime, en effet, de nouer des «ententes strictement pratiques», sans «aucune obligation politique» autre que l’action pour les objectifs communs - en l’occurrence, exprimer l’opposition à la guerre menée par le gouvernement britannique conjointement avec les États-Unis et dénoncer le sort infligé au peuple palestinien - avec des groupes et/ou des individus qui adhérent, par ailleurs, à une conception foncièrement réactionnaire de la société, autant il est inacceptable pour des marxistes de conclure une alliance électorale - type d’alliance qui suppose une conception commune du changement politique et social - avec ce genre de partenaires.

    Par la force des choses, prendre part àune même liste électorale avec un intégriste religieux, c’est donner l’impression trompeuse qu’il s’est converti au progressisme social et à la cause de l’émancipation des travailleurs... et des travailleuses! La logique même de cette espèce d’alliance pousse celles et ceux qui y sont engagés, face aux critiques inévitables de leurs concurrents politiques, à défendre leurs alliés du jour et à minimiser, sinon cacher, les divergences profondes qui les opposent à eux. Ils en deviennent les avocat/es, voire les parrains et marraines auprès du mouvement social progressiste.

    C’est ainsi que Lindsay German, dirigeante centrale du Socialist Workers Party britannique et de la coalition Respect, a signé dans The Guardian du 13 juillet 2004, un article qualifié de «merveilleux» («wonderful») sur le site web de la MAB. Sous le titre «Un insigne d’honneur» («A badge of honour»), l’auteure défend énergiquement l’alliance électorale avec la MAB, en expliquant que c’est un honneur pour elle et ses camarades de voir les victimes de l’islamophobie se tourner vers eux, avec une justification surprenante de l’alliance avec la MAB. Résumons-en l’argumentaire: les intégristes musulmans ne sont pas les seuls à être anti-femmes et homophobes, les intégristes chrétiens le sont également. D’ailleurs, de plus en plus de femmes parlent pour la MAB dans les réunions antiguerres (comme dans les meetings organisés par les mollahs en Iran, pourrait-on ajouter). Les fascistes du BNP (British National Party) sont bien pires que la MAB.

    «Certes, poursuit Lindsay German, certains musulmans - et non musulmans - ont, sur certaines questions sociales, des vues qui sont plus conservatrices que celles de la gauche socialiste et libérale. Mais cela ne devrait pas empêcher de collaborer sur des questions d’intérêt commun. Insisterait-on dans une campagne pour les droits des gays, par exemple, pour que toutes les personnes qui y participent partagent le même point de vue sur la guerre en Irak?»

    L’argument est tout à fait recevable s’il ne concerne que la campagne antiguerre. Mais s’il est utilisé pour justifier une alliance électorale comme Respect, au programme beaucoup plus global qu’une campagne pour les droits des gays et des lesbiennes, il devient tout à fait spécieux.

    10. L’électoralisme est une politique à bien courte vue. En vue de réaliser une percée électorale, les trotskystes britanniques jouent, en l’occurrence, un jeu qui dessert les intérêts stratégiques de la construction d’une gauche radicale dans leur pays.

    Ce qui les a déterminés, c’est d’abord et avant tout, un calcul électoral: tenter de capter les votes des masses considérables de personnes issues de l’immigration qui rejettent les guerres en cours menées par Londres et Washington (notons, en passant, que l’alliance avec la MAB s’est faite autour des guerres d’Afghanistan et d’Irak, et non autour de celle du Kosovo - et pour cause!). L’objectif, en soi, est légitime, s’il se traduit par le souci de recruter parmi les travailleurs et travailleuses d’origine immigrée, par une attention particulière prêtée à l’oppression spécifique qu’ils/elles subissent, et par la mise en avant, à cette fin, de militant/es de gauche appartenant à ces communautés, notamment en les plaçant en bonne position sur les listes électorales. Tout ce que n’a pas fait l’extrême gauche française, en somme.

    Par contre, en choisissant de s’allier électoralement - même si ce n’est que de façon limitée - avec une organisation intégriste islamique comme la MAB, l’extrême gauche britannique sert de marchepied à celle-ci pour sa propre expansion dans les communautés issues de l’immigration, alors qu’elle devrait la considérer comme une rivale à combattre idéologiquement et à circonscrire du point de vue organisationnel. Tôt ou tard, cette alliance contre-nature se heurtera à une pierre d’achoppement, et volera en éclat. Les trotskystes devront alors affronter ceux-là mêmes dont ils auront facilité l’expansion pour le plat de lentilles d’un résultat électoral, dont il est loin d’être sûr, en outre, qu’il doit beaucoup aux partenaires intégristes.

    Il n’est qu’à voir avec quels arguments les intégristes appellent à voter pour Respect (et pour d’autres, dont le maire de Londres, le labouriste de gauche Ken Livingstone, bien plus opportuniste encore que les trotskystes dans ses rapports avec l’association islamique). Lisons la fatwa du cheikh Haitham Al-Haddad, datée du 5 juin 2004 et publiée sur le site de la MAB.

    Le vénérable cheikh explique qu’ «il est obligatoire pour les musulmans qui vivent à l’ombre de la loi des hommes d’agir par tous les moyens nécessaires pour que la loi d’Allah, le Créateur, soit suprême et manifeste dans tous les aspects de la vie. S’ils ne sont pas en mesure de le faire, il devient alors obligatoire pour eux de s’efforcer de minimiser le mal et de maximiser le bien.» Le cheikh souligne ensuite la différence entre «voter pour un système parmi un nombre d’autres systèmes, et voter pour choisir le meilleur individu parmi un nombre de candidats dans un système déjà établi, imposé aux gens et qu’ils ne sont pas en mesure de changer dans l’avenir immédiat».

    «Il ne fait pas de doute, poursuit-il, que le premier type [de vote] est un acte de Kufr [impie], car Allah dit “Il n’appartient qu’à Allah de légiférer”», tandis que «voter pour un candidat ou un parti qui gouverne selon la loi des hommes n’implique pas d’approuver ou d’accepter sa méthode». Il s’ensuit que «nous devons participer au vote, avec la conviction que nous tentons ainsi de minimiser le mal, tout en soutenant l’idée que le meilleur système est la Charia, qui est la loi d’Allah».

    Le vote étant licite, se pose alors la question de savoir pour qui voter. «La réponse à une telle question requiert une compréhension profonde et précise de l’arène politique. Par conséquent, je crois que les individus doivent éviter de s’impliquer dans ce processus et confier plutôt cette responsabilité aux organisations musulmanes éminentes [...]. Il incombe donc aux autres musulmans d’accepter et de suivre les décisions de ces organisations.»

    En conclusion de quoi, le vénérable cheikh appelle les musulmans de Grande-Bretagne à suivre les consignes électorales de la MAB et termine par cette prière: «Nous demandons à Allah de nous guider sur le droit chemin et d’accorder la victoire à la loi de notre Seigneur, Allah, dans le Royaume-Uni et dans d’autres parties du monde.»

    Cette fatwa se passe de commentaire. L’opposition profonde entre les desseins du cheikh sollicité par la MAB et la tâche que les marxistes se fixent, ou devraient se fixer, dans leur action auprès des populations musulmanes est flagrante. Les marxistes ne sauraient chercher à récolter des votes à n’importe quel prix, tels des politiciens opportunistes prêts à tout pour être élus. Il est des soutiens, comme celui du cheikh Al-Haddad, qui sont des cadeaux empoisonnés. Il faut savoir désavouer ceux dont ils émanent: la bataille pour l’influence idéologique au sein des populations issues de l’immigration est d’une importance beaucoup plus fondamentale qu’un résultat électoral, aussi exaltant soit-il.

    La gauche radicale, de part et d’autre de la Manche, doit revenir à une attitude conforme au marxisme dont elle se revendique. Faute de quoi, l’emprise des intégristes sur les populations musulmanes risque d’atteindre un niveau dont il sera fort difficile de la faire reculer. Le fossé entre ces populations et le reste des travailleuses et des travailleurs en Europe s’en trouverait élargi, alors que la tâche de le combler est l’une des conditions indispensables pour substituer le combat commun contre le capitalisme au choc des barbaries.

    Le 15 octobre 2004.

    G. Achcar, politologue, professeur à la School of Oriental and African Studies de l'Université de Londres

    http://www.npa2009.org/content/marxistes-et-religion-hier-et-aujourdhui-par-gilbert-achcar

  • Syrie: Craintes pour la vie du défenseur de la liberté d'expression Bassel Khartabil, détenu dans un lieu secret et qui risque la peine de mort (FLD)

    Bassel Khartabil, un défenseur de la liberté d'expression détenu dans des conditions qui s'apparentent à une disparition forcée, risque d'être condamné à mort, ont déclaré aujourd'hui 36 organisations locales et internationales.

    Sa femme a reçu des rapports non confirmés déclarant qu'un tribunal militaire l'a condamné à mort. L'endroit où il se trouve devrait être immédiatement divulgué et il devrait être libéré sans condition, ont ajouté les organisations.

    Les services de renseignements militaires ont arrêté Bassel Khartabil le 15 mars 2012. Il a été détenu au secret pendant 8 mois et a été torturé et maltraité. Il fait face à un procès militaire à cause de ses activités pacifiques en faveur de la liberté d'expression. Un juge militaire a interrogé Bassel Khartabil pendant quelques minutes le 9 décembre 2012, mais il avait dit à sa famille n'avoir rien entendu de plus à propos de cette affaire. En décembre 2012, il a été transféré à la prison Adra à Damas, où il a été détenu jusqu'au 3 octobre 2015, puis il a été transféré vers un lieu qui n'a pas été révélé et depuis, il n'y a aucune nouvelle de lui.

    Sa femme aurait reçu ces informations de sources venant des services de renseignements militaires; cela indique que depuis sa disparition, il a été jugé par un tribunal militaire au siège de la police militaire à al-Qaboun, qui l'a condamné à mort. Les tribunaux militaires en Syrie, sont des tribunaux exceptionnels où les procès se déroulent à huis clos et ne respectent pas les normes internationales en matière de procès équitable. Les accusés n'ont aucun représentant légal et les décisions de la cour sont des obligations et il n'est pas possible de faire appel. Les personnes traduites devant de tels tribunaux et remises en liberté ensuite ont déclaré les procédures sont superficielles et qu'elles ne durent souvent que quelques minutes.

    Bassel Khartabil est développeur de logiciel; il mettait son expertise technique au service de la liberté d’expression et de l’accès à l’information via l’internet. Il a reçu de nombreux prix, y compris le prix d’Index on Censorship pour la liberté numérique pour 2013 et ce pour avoir fait usage de la technologie en vue de promouvoir un internet libre et ouvert. Son arrestation et sa détention arbitraire semblent directement liées à son travail légitime et pacifique en faveur des droits humains, ont déclaré les organisations.

    Les appels à sa libération ont été publiés par ce groupe depuis son arrestation et ont été relayés par le groupe de travail de l'ONU sur les détentions arbitraires en avril 2015.

    Les autorités syriennes devraient:

    1. Révéler immédiatement l'endroit où se trouve Bassel Khartabil et lui permettre de voir un avocat et sa famille;
    2. Garantir qu'il soit protégé de tout acte de torture et de mauvais traitements;
    3. Le libérer immédiatement et sans condition.
    4. Libérer toutes les personnes détenues en Syrie pour avoir exercer leur droit légitime à la liberté d'expression et d'association.

    https://www.frontlinedefenders.org/node/30152