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  • Nouveautés sur Association France Palestine Solidarité Rennes

     

     

  • Un mois de lutte contre Amendis (Cadtm)

     

    Quand les habitants du Tanger des quartiers populaires ont appelé la population à couper l’électricité le samedi 17 octobre 2015 et s’éclairer aux bougies, pour protester contre la hausse de la facture d’eau et d’électricité, le mouvement a été largement suivi dans les autres quartiers de la ville, et s’est poursuivi pour rassembler chaque samedi d’énormes manifestations populaires qui ont bravé les forces de répression. « La révolte des bougies » s’est propagée à d’autres villes du nord Ksar, M’Dik, Fnidek, et obligé les représentants du pouvoir, dirigeants, élus, responsables et… ceux de la société délégataire Amendis à parler un autre langage que celui de la matraque et des menaces.

    Le retour des « baltagis » |1|

    La dernière manifestation du samedi 14 novembre 2015, la 5e, depuis le début du mouvement parti de Tanger pour réclamer « dégage Amendis ».

    Malgré les promesses, les divisions, et le retour des « baltagis » à Tanger : entre pression et répression, les habitants continuent à réclamer « dégage Amendis ».

    À Tanger, pour ce 5e samedi de contestation contre Amendis, les habitants ont été bloqués par des bandes au service du pouvoir : les « baltagis », drapeau et portrait du roi brandis, ils ont bloqué les manifestants sortis de plusieurs quartiers populaires pour rejoindre le centre de la ville et continuer à réclamer le départ d’Amendis.

    Le débat sur le retour à la gestion publique de l’eau, électricité a été relancé grâce à ce mouvement citoyen qui a pris la rue et obligé le gouvernement à sortir de son silence, et mettre à nu sa complicité avec la gestion défaillante d’Amandis, les malversations, les promesses non tenues, le non respect du contrat, la cherté des factures, corruption et détournement, complicités avec les élus et le pouvoir.

    De nombreux articles et documents attestent contre Amendis

    Tandis que le mouvement se développe à d’autres villes et régions, les citoyens-manifestants réclament le retour à la gestion publique, à la dé-privatisation de l’eau et de l’électricité, et que de nombreux documents sont publiés |2| : ainsi le rapport de la cour des comptes qui est resté lettre morte.

    Pour en arriver à… un dialogue de sourds

    « Le contrat avec Amendis ne sera pas résilié » a déclaré le 1er ministre A. Benkirane le 17 novembre devant le Parlement.

    Ce n’est qu’après cinq semaines de lutte et de mobilisation massives et populaires, et malgré les multiples tentatives pour diviser le mouvement : promesses vaines, déclarations rassurantes, puis menaces et répression, ce n’est qu’après la dernière manifestation du samedi 14 novembre, que le roi dicte ses directives à son gouvernement et que son 1er ministre Benkirane annonce : « le contrat avec Amendis ne sera pas résilié », en précisant qu’aucune société marocaine n’est capable d’assurer ce service. Et de plus, Amendis exige 2 milliards de dh pour frais de résiliation !

    Le 1er Ministre appelle donc le peuple à se résigner et accepter le diktat d’Amendis !

    Peuple pris en otage par une multinationale

    Après les nombreuses manifestations parties de Tanger qui ont rassemblé par milliers et touché d’ autres villes du nord, exigeant de plus en plus fort :« dégage Amendis », et tandis que les citoyen-nes-manifestant-es armés de bougies, réclament le retour à la gestion publique, la déprivatisation de l’eau et de l’électricité…

    Il est bien triste de noter le faible soutien, voire l’absence de solidarité avec ce mouvement populaire par les nombreuses organisations marocaines politiques et syndicales, les mouvements sociaux des femmes, des jeunes, d’étudiants, de chômeurs, les nombreuses associations des Droits de l’Homme, de Défense de l’Environnement, du Bien Public, de Quartiers, de Juristes, Avocats, Juges, les Anti-Corruption… Entre querelles et divisions des directions, capitulations des dirigeants et désarrois des militants livrés seuls à l’éternelle question « Que faire »…

    La large mobilisation populaire initiée par le mouvement de 20 février 2011 dans le contexte des soulèvements des peuples de la région a déjà montré les grandes difficultés des organisations de lutte à s’enraciner et accompagner cette dynamique. Et c’est cette déception politique qui les gagne maintenant après l’extinction du mouvement... et l’espoir d’une Révolution dans une région aujourd’hui menacée de terreurs et de guerres causées par les différentes interventions impérialistes.

    Alors qu’est soulevée, ici et maintenant, par ce mouvement populaire, à travers cette lutte exemplaire et avant-gardiste, une question qui concerne toute la société à Tanger et dans la région, au Maroc, dans les pays du Sud comme du Nord et partout ailleurs dans le monde mondialisé.

    La population est prise en otage, entre une société multinationale qui dicte sa loi, et un pouvoir incapable de reprendre en main la gestion de l’eau et l’électricité, notre bien commun. Un pouvoir incapable de ramasser les ordures qui inondent les rues, ni soigner sa population, encore moins l’éduquer, préserver son environnement… à quoi sert-il, est-on bien obligé de nous demander ?

    Une leçon qui ne doit pas passer sous silence un appel à tous les peuples « privatisés », pollués, endettés, colonisés : nos ressources vitales, notre bien commun, notre souveraineté ne sont pas à vendre !

    Exigeons des comptes, organisons des audits citoyens, prenons en main notre avenir…

    18 novembre 2015 21 novembre

    Notes

    |1| Les casseurs de manifestations, apparus avec le Mouvement du 20 Février 2011 au Maroc

    |2| http://telquel.ma/2015/11/07/les-cinq-griefs-cour-comptes-amendis_1469338 et la cour des comptes : http://telquel.ma/2015/11/07/les-cinq-griefs-cour-comptes-amendis_1469338

    Auteur

     
    Souad Guennoun

    Architecte et photographe renommée, vit à Casablanca. Elle témoigne depuis plusieurs années des crises sociales du Maroc d’aujourd’hui : émigration clandestine, enfants des rues, situation des femmes, luttes ouvrières, etc.
    Elle filme les luttes menées contre la concentration des richesses, les restructurations d’entreprises provoquées par le néo libéralisme, les choix du régime monarchique visant à soumettre la population aux exigences de la mondialisation financière. Elle est membre d’ATTAC-CADTM Maroc.

  • La Prochaine Révolution en Afrique du Nord : La Lutte pour la Justice Climatique (Anti-k)

    Une manifestation contre l’exploitation du gaz de schiste à In Salah, sud de l’Algérie en février 2015. (Crédit Photo: BBOY LEE).

    Le changement climatique aura des effets dévastateurs sur l’Afrique du Nord. Il y aura des morts et des millions de personnes seront forcées de migrer.

    La lutte pour la survie et la justice climatique en Afrique du Nord Par Hamza Hamouchene et Mika Minio-Paluello

    Le désert ne cesse de s’étendre. Les récoltes sont mauvaises et les pêcheurs sont entrain de perdre leurs moyens de subsistance. Les pluies deviendront de plus en plus irrégulières, les ressources en eaux diminueront et les tempêtes seront plus violentes. Les étés seront très chauds et les hivers très froids. La sécheresse contraint déjà les villageois à abandonner leurs foyers et l’élévation du niveau de la mer est en train de détruire les terres fertiles. La chute de la production alimentaire et le tarissement des ressources en eau menaceront même les mégapoles comme le Caire, Casablanca et Alger. Les prochaines vingt années vont transformer fondamentalement la région.

    Ceci n’est pas un fait naturel. Le changement climatique est une guerre de classe, une guerre érigée par les riches contre les classes ouvrières, les petits paysans et les pauvres. Ces derniers portent le fardeau à la place des privilégiés. La violence du changement climatique est causée par le choix de l’exploitation continue des combustibles fossiles, une décision prise par les multinationales et les gouvernements occidentaux avec les élites et militaires locaux. C’est le résultat de plus d’un siècle de capitalisme et de colonialisme. Mais ces décisions sont constamment renouvelées à Bruxelles, Washington DC et Dubaï et plus localement à Héliopolis, Lazoghly et Kattameya, Ben Aknoun, Hydra et La Marsa.

    La survie des générations futures dépendra de l’abandon de l’exploitation des combustibles fossiles et de l’adaptation au climat qui est d’ores et déjà en train de changer. Des milliards de dollars seront dépensés pour essayer de s’adapter : trouver de nouvelles sources en eau, restructurer l’agriculture et réorienter la production vers de nouvelles cultures, construire des digues pour repousser les eaux salées et changer la forme et le style d’urbanisme des villes. Mais, cette adaptation serait dans l’intérêt de quelle catégorie de population ? Les mêmes structures autoritaires des pouvoirs qui ont, en premier lieu, causé ces changements climatiques sont en train de préconiser une stratégie pour assurer leur protection et faire davantage de profits. Les institutions néolibérales se prononcent clairement sur leur transition climatique tandis que la gauche et les mouvements démocratiques restent pour la plus part muets sur ce sujet. La question qui se pose : quelles seront les communautés exclues des cercles fermés et bien protégés de ces changements climatiques durs et pénibles?

    Comment le changement climatique transformera-t-il l’Afrique du Nord ?

    Le changement climatique provoqué par l’être humain est déjà bien une réalité en Afrique du Nord. Cette réalité est en train de saper et d’affaiblir les bases socio-économiques et écologiques de la vie dans la région et finira par imposer un changement des systèmes politiques.

    Les récentes sécheresses prolongées en Algérie et en Syrie ont constitué des événements climatiques chaotiques qui ont dépassé et submergé la capacité des Etats et de leurs structures sociales et institutionnelles actuelles, pourtant conçues pour s’en occuper. Les sécheresses sévères à l’est de la Syrie ont détruit les moyens de subsistance de 800 000 personnes et ont décimé 85% du bétail. 160 villages entiers ont été abandonnés avant 2011. Les changements dans le cycle hydrologique réduiront l’approvisionnement en eau douce ainsi que la production agricole. Cela signifie avoir recours à davantage d’importations alimentaires de denrées de base et des prix plus élevés dans les pays qui en sont déjà dépendants, comme l’Egypte. De plus en plus nombreux seront ceux qui connaîtront la faim et la famine.

    Le désert est en progression croissante, s’étalant de plus en plus sur les terres avoisinantes. Une pression immense s’exercera sur les rares ressources en eau, étant donné que la demande augmente plus rapidement que la croissance démographique. L’approvisionnement chutera à cause des changements dans les précipitations des pluies et l’intrusion de l’eau de mer dans les réserves d’eaux potables souterraines. Ces phénomènes sont les résultats du changement climatique ainsi que de l’usage excessif des eaux souterraines. Cette situation risque de mettre les pays du monde arabe au-dessous du niveau de pauvreté absolue en eau, qui se situe à l’échelle de 500 m3 par personne.

    La montée des niveaux de mers est actuellement en train de forcer les paysans à quitter leurs terres en Tunisie, au Maroc et en Egypte. L’eau salée détruit les champs fertiles du Delta du Nil en Egypte et du Delta de la Moulouya au Maroc, menaçant d’inonder et d’éroder de vastes étendues de peuplements côtiers, y compris des villes comme Alexandrie et Tripoli. Les mers elles-mêmes sont touchées par ce changement climatique. En effet, l’absorption de quantités de plus en plus importantes de dioxyde de carbone les rend plus acides, tuant ainsi les récifs coralliens. Cela va influer négativement sur la biodiversité dans la mer Rouge, détruisant ainsi les moyens de subsistance de dizaines de milliers de personnes qui travaillent dans les secteurs de la pêche et du tourisme.

    La chaleur estivale s’intensifiera. L’augmentation des températures et leurs effets « stressants » vont faire des milliers de morts, particulièrement les travailleurs ruraux qui ne peuvent pas éviter les travaux lourds et les activités d’extérieur. La fréquence et l’intensité des événements météorologiques seront extrêmes et plus importantes. Les tempêtes de poussière et les inondations dues au froid glacial menacent les citadins les plus pauvres, surtout les millions de migrants qui vivent dans des zones d’habitation informelle aux alentours des villes. Les réfugiés seront les moins bien-protégés, y compris les Soudanais en Egypte, les Maliens en Algérie, les Libyens en Tunisie et les Syriens au Liban. Faute d’améliorations majeures, les traditions et l’infrastructure urbaine actuelles qui comprennent les systèmes de drainage, les services d’urgence et les structures qui assurent le partage des ressources d’eaux, ne pourront pas être en mesure de faire face à tous ces problèmes.

    Le réchauffement climatique induit plus de maladies à cause des pathogènes d’origine hydrique qui sont propagés par des insectes venant des régions tropicales, atteignant ainsi des millions de gens qui n’ont été jamais exposés. Le paludisme (malaria) et autres maladies se déplaceront vers le Nord, menaçant et les humains et le bétail. Les parasites qui sont déjà présents en Afrique du Nord élargiront leur zone d’action, par exemple, les « leishmanies » risquent de doubler leur aire géographique au Maroc dans les prochaines années.

    Le chaos climatique coûte déjà des millions de vies et des milliards de dollars. La revue médicale « The Lancet » soutient que « la survie de collectivités entières est en jeu » dans le monde arabe.

    L’échec des dirigeants politiques

    Le changement climatique est attribuable à la combustion des carburants fossiles, à la déforestation et à des pratiques agricoles non-durables et insoutenables, encouragées par l’industrie agro-alimentaire. Le dioxyde de carbone et le méthane, qui sont rejetés dans l’atmosphère, sont des produits dérivés de l’activité industrielle des hydrocarbures. Le pétrole comme le gaz, le charbon et les minéraux sont extraits et consommés à grande échelle pour dégager des profits qui serviront les pouvoirs d’État. C’est le capitalisme extractiviste sous lequel nous vivons.

    Les émanations des dioxydes de carbone CO2 proviennent de la combustion des hydrocarbures – que ce soit en voiture, dans la cuisine ou au sein d’une usine – et du dioxyde de carbone (CO2) est relâché dans l’atmosphère. L’accumulation du CO2 réchauffe notre planète. Il existe maintenant un consensus solide au sein de la communauté scientifique qui soutient que si la température moyenne mondiale augmente de plus de 2 degrés Celsius au cours du 21ème siècle, les changements du climat sur notre planète seront à grande échelle, irréversibles et catastrophiques. Le temps presse et les possibilités d’agir se réduisent !

    Selon les sciences du climat, les scientifiques attestent que si l’humanité désire préserver une planète qui ressemble à la nôtre et où la civilisation s’est développée pour y vivre paisiblement, les niveaux de CO2 dans l’atmosphère doivent être réduits considérablement. Les niveaux actuels du CO2, estimés à 400 parties par million (ppm) doivent baisser au dessous de 350 ppm, bien que de nombreux experts soutiennent que tout niveau supérieur à 300 ppm est trop dangereux. Toute augmentation supplémentaire risque de déclencher des points de bascule climatiques comme la fonte du pergélisol (permafrost) et l’effondrement de la couche de glace du Groenland. Quand on atteindra un point de bascule (un seuil climatique), les émissions de carbone accéléreront le phénomène et le changement climatique pourrait échapper réellement à notre contrôle. Notre survie dépend de la décision de laisser 80% des réserves prouvées de combustibles fossiles dans le sol. Malheureusement, l’extraction de plus en plus forte des hydrocarbures fossiles et leurs transformations entrainent des rejets supplémentaires de deux ppm de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, chaque année.

    Les dirigeants politiques du monde entier ainsi que leurs conseillers et les médias se réunissent chaque année pour une autre conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP). Mais en dépit de la menace globale, les gouvernements autorisent l’augmentation des émissions de carbone dans l’atmosphère et permettent à la crise de s’aggraver. Le pouvoir des multinationales a détourné ces pourparlers de leurs véritables objectifs en s’assurant de promouvoir davantage de fausses solutions, bien lucratives. Les nations industrialisées (l’Occident et la Chine) ne veulent pas assumer leur responsabilité alors que les puissances pétrolières comme l’Arabie saoudite essaient de manipuler le processus. Les pays développés du Sud, bien qu’ils constituent la majorité, peinent à provoquer un changement malgré tous les efforts vaillants de pays comme la Bolivie et les petits États insulaires.

    La COP de Paris en décembre 2015 attirera beaucoup l’attention, mais nous savons, d’ores et déjà, que les dirigeants politiques ne permettront pas les réductions nécessaires afin d’assurer la survie de l’humanité. Il faudra que les structures des pouvoirs changent. L’action pour empêcher la crise climatique se tiendra dans un contexte parallèle à d’autres crises sociales.

    La crise et la pression d’en bas

    Le système sous lequel nous vivons connait une crise profonde qui génère plus de pauvreté, de guerres et de souffrances. La crise économique, qui a débuté en 2008, illustre parfaitement comment le capitalisme résout ses propres contradictions et échecs en dépossédant et punissant davantage la majorité. Plusieurs gouvernements ont sauvé les banques qui ont causé des ravages à l’échelle mondiale obligeant les plus pauvres à payer le prix fort. La crise alimentaire de 2008, ayant causé une famine et provoqué des émeutes dans le Sud, démontre quant à elle que notre système alimentaire est défaillant, car monopolisé par des multinationales qui ne cessent d’œuvrer pour maximiser leurs profits à travers une production exportatrice de monocultures, par l’accaparement des terres, la production des agro-carburants et la spéculation sur les produits alimentaires de base.

    L’enrichissement d’une élite qui dicte ses choix et règles sur toute la planète suscite à maintes reprises des révoltes et des rebellions. La vague de soulèvements arabes de l’année 2011 a inspiré des milliards de gens à travers le monde, s’étendant de la Tunisie et l’Egypte aux indignés en Espagne et en Grèce, aux mobilisations étudiantes au Chili, au mouvement Occupy contre le 1%, aux révoltes en Turquie, au Brésil et au-delà. Chaque lutte est différente et liée à un contexte spécifique mais toutes furent un défi contre le pouvoir de cette élite et contre la violence d’un monde néolibéral.

    Ceci est le contexte dans lequel nous sommes confrontés au changement climatique. La crise du climat est l’incarnation de l’exploitation capitaliste et impérialiste des peuples et de la planète. Laisser le choix des décisions, destinées à faire face au changement climatique, à cette élite insolente et immorale nous engagerait sur une voie vers la disparition de la planète. La lutte pour une justice climatique doit être profondément démocratique. Elle doit impliquer les communautés les plus touchées et doit être en mesure de répondre aux besoins vitaux de tous. Cette lutte est une démarche pour bâtir un futur où chacun de nous doit avoir suffisamment d’énergie et un environnement sain et sauvegardé pour les futures générations. Ce futur désiré serait en harmonie avec les demandes légitimes des soulèvements des populations en Afrique du Nord : souveraineté et dignité nationale, le pain, la liberté et la justice sociale.

    Les politiques du climat dans le monde arabophone sont contrôlées par les riches et les puissants

    Qui sont-ils ces participants à l’élaboration d’une réponse au changement climatique dans le monde arabophone ?

    Des institutions comme la Banque mondiale, l’Agence allemande pour la coopération internationale (GIZ) ainsi que les agences de l’Union européenne s’expriment avec force et se font entendre en organisant des évènements et en publiant des rapports. Elles invoquent les dangers d’un monde réchauffé et soulignent la nécessité d’une action urgente avec plus d’énergies renouvelables propres et des plans d’adaptation. Etant donné le manque d’alternatives, elles semblent avoir des positions relativement radicales par rapport à la position des gouvernements locaux et particulièrement quand elles parlent des conséquences sur les pauvres.

    Cependant, ces institutions sont alignées politiquement avec les puissants et leurs analyses du changement climatique n’intègrent pas les questions de classe, justice, pouvoir et histoire coloniale. Les solutions de la Banque mondiale sont axées sur le marché, sont néolibérales et adoptent une approche descendante (top-down). Elles redonnent le pouvoir à ceux qui possèdent déjà des fortunes sans s’attaquer aux causes profondes de la crise climatique. Au lieu de promouvoir les réductions nécessaires des émissions de gaz, elles offrent des permis pour des activités polluantes et des subventions aux multinationales et aux industries extractives.

    La vision du futur défendue par la Banque mondiale, la GIZ et une grande partie de l’Union européenne est marquée par des économies conjuguées au profit privé et à des privatisations supplémentaires de l’eau, des terres et même de l’atmosphère. Aucune référence n’est faite à la responsabilité historique de l’Occident industrialisé dans la provocation du changement climatique. Un silence inquiétant est entretenu sur les crimes de compagnies pétrolières comme BP, Shell et Total ainsi que sur la dette écologique due aux pays du Sud. Les sociétés nord-africaines qui vivent dans des pays, où la démocratie est absente, continueront de souffrir de l’assujettissement à l’autoritarisme des élites et multinationales qui maintiendront le statu quo.

    Le discours traitant ce sujet est très limité et extrêmement paralysant du fait que ces institutions néolibérales dominent la production du savoir sur les questions du changement climatique en Afrique du Nord. La majorité de la littérature et des écrits sur le changement climatique au Moyen-Orient et Afrique du Nord n’évoquent pas l’oppression ou la résistance des peuples. Il n’y a pas de place pour les peuples mais seulement pour les dirigeants et les experts autoproclamés. Le statu quo continuera de forcer les populations à se déplacer, de polluer les environnements et de mettre des vies en péril. Pour s’organiser et obtenir justice, il faudrait être capable de définir et de proclamer les problèmes actuels et leurs solutions.

    Le vocabulaire de justice autour des questions climatiques

    Comment peut-on combattre quelque chose si on n’est pas capable de la nommer et d’articuler ce qu’on désire à sa place ? Alors que la « justice environnementale » est en usage en arabe, la « justice climatique » ne l’est pas. Cette dénomination est largement utilisée en Amérique latine et dans les pays anglophones, mais elle sonne bizarre en arabe. Nous avons besoin de changer les systèmes énergétiques autour de nous. Pouvons nous alors parler de « justice énergétique » ou de « démocratie énergétique » ?

    Il nous faudrait un vocabulaire pour parler de ces questions et pour décrire la vision d’un futur sain pour lequel nous lutterons. Simplement l’action d’importer des terminologies et des concepts d’autrui ne marchera pas et ne trouvera pas d’échos favorables de la part des populations, si ces concepts ne sont pas issus des racines et des coutumes locales. Cependant, il est important et utile d’échanger des idées et des expériences avec des mouvements qui militent ailleurs dans le monde et d’apprendre d’eux.

    Ce livre évite de formuler des requêtes dans un cadre « sécuritaire » comme la « sécurité climatique » ou la « sécurité hydrique » ou bien la « sécurité alimentaire ». Un futur formulé autour de la « sécurité » soumettra nos luttes à un cadre conceptuel et imaginatif, qui, en fin de compte, renforcera le pouvoir répressif de l’État, axé sur la sécurisation et la militarisation (voire les extraits de l’article de la revue « The Lancet »).

    Plusieurs articles dans ce livre réclament la justice climatique, la justice environnementale et la démocratie/justice énergétique. On ne trouve pas une seule définition pour chacun de ces concepts, ce qui ne diminue pas leurs valeurs pour autant. Dans ces articles :

    ● la « justice climatique » consiste généralement à reconnaitre la responsabilité historique de l’Occident industrialisé dans l’avènement du réchauffement climatique, et ne perd pas de vue les vulnérabilités disproportionnées dont souffrent quelques pays et communautés. Elle admet aussi le rôle du pouvoir dans la provocation du changement climatique ainsi que dans les choix de ceux qui porteront le fardeau. La réponse aux changements climatiques doit prendre en compte les questions de classe, de race, du genre, de l’histoire des dominations coloniales et l’exploitation capitaliste qui perdure. La justice climatique signifie une rupture avec le statu quo (business as usual) qui protège les élites politiques mondiales, les multinationales et les régimes militaires. Son objectif est d’instaurer une transformation sociale et écologique et un processus d’adaptation radicaux.

    ● la « justice environnementale » est généralement centrée autour des besoins des communautés, en obligeant le secteur des combustibles fossiles et autres larges industries à rendre des comptes, et en progressant vers une relation durable et harmonieuse avec la nature. Elle reconnait qu’on ne pourrait pas séparer les effets de la destruction de l’environnement de leur impact sur les peuples. Elle admet aussi que les communautés démunies sont exploitées dans l’intérêt des puissants.

    ● la « démocratie énergétique » et la « justice énergétique » signifient la construction d’un futur où l’énergie est distribuée équitablement, contrôlée et gérée démocratiquement. Les sources d’énergie et les systèmes de transmission doivent être en équilibre avec l’environnement et les besoins des futures générations.

    Il revient au lecteur de voir si ces concepts sont pertinents et utiles en Afrique du Nord. Les descriptions élémentaires fournies ci-dessus ne sont nullement exhaustives et peuvent sûrement être enrichies par des expériences locales.

    Les objectifs de cette publication

    Le but de cette publication est d’introduire des perspectives nouvelles et libératrices, avancées par des intellectuels, activistes, politiciens, organisations et groupes de base progressistes et radicaux des pays du Sud. Nous avons choisi des essais, des entretiens et des déclarations dans lesquels les mouvements sociaux décrivent l’ennemi qu’ils combattent, la manière dont ils s’organisent et leurs revendications. Ils couvrent une large aire géographique, de l’Equateur jusqu’en Inde et de l’Afrique du Sud jusqu’aux Philippines. Nous avons aussi inclus six articles d’Afrique du Nord, qui concernent le Maroc, l’Algérie, l’Egypte et la région au sens large. Il est à espérer que ce livre contribue à l’économie politique naissante du changement climatique en Afrique du Nord, qui examinera les relations entre les industries des combustibles fossiles, les élites régionales et les capitaux internationaux.

    Notre objectif comporte quatre volets :

    1 Souligner l’urgence de la crise climatique en Afrique du Nord et insister sur la nécessité d’une analyse holistique et d’un changement structurel.

    2 Souligner les dangers d’un environnementalisme (écologisme) restreint et contrecarrer le discours néolibéral dominant autour du changement climatique, un discours qui est encouragé et promu par la Banque mondiale et autres institutions néolibérales.

    3 Soutenir la gauche en Afrique du Nord dans ses efforts pour articuler une réponse locale et démocratique face au changement climatique, une réponse qui intègre des analyses d’ordre politique, économique, social, écologique et de classe aussi. Etant donné les pressions de l’autoritarisme, de la répression massive et de la pauvreté généralisée, il est parfaitement compréhensible que la question du changement climatique n’ait fait l’objet que d’une attention limitée dans le passé par les mouvements sociaux en Afrique du Nord.

    4 Donner de l’espoir inspiré des mouvements et luttes des pays du Sud, et réfuter l’affirmation selon laquelle il n’y a rien à faire. La crise climatique découle des actions et décisions humaines qui peuvent être changées.

    Cette publication n’a pas la prétention de fournir toutes les réponses mais plutôt de soulever des questionnements et des défis. A quoi ressemble une réponse juste au changement climatique en Afrique du Nord ? Cela signifie-t-il une évacuation en masse et l’ouverture des frontières avec l’Europe ? Cela signifie-t-il le paiement de la dette écologique et une redistribution des richesses par les gouvernements européens, les multinationales et les riches élites locales ? Faudrait-il rompre radicalement avec le système capitaliste ? Qu’adviendra-t-il des ressources fossiles en Afrique du Nord, qui sont actuellement extraites en grande partie par les multinationales occidentales ? Qui devrait contrôler et posséder les énergies renouvelables ? Nous n’avons pas forcement cherché l’uniformité d’une position, et vous trouverez des perspectives différentes et mêmes contradictoires, mais à notre avis, elles offrent des points de départ pour des discussions importantes.

    Le contenu

    Section 1 : La violence du changement climatique

    Le livre commence par une section qui souligne l’ampleur de la menace posée par le changement climatique. Les extraits de « Santé et pérennité écologique dans le monde arabe : Une question de survie » soutiennent que la survie des communautés entières dans le monde arabe est en jeu. Le discours actuel sur la santé, la population et le développement dans le monde arabe a largement échoué en omettant de communiquer la gravité et le sens de l’urgence. Dans l’article de Mika Minio-Paluello sur la violence du changement climatique en Egypte, elle révèle le niveau brutal de la destruction que risque ce pays. Elle souligne que la violence climatique, qui est une violence de classe, est façonnée de manière à ce que les démunis paieront le prix fort et porteront le fardeau au lieu des riches et fortunés. La survie, selon elle, dépendra d’une adaptation à la transformation qui approche, mais cette adaptation est un processus profondément politique qui pourrait signifier l’émancipation ou davantage d’oppression.

    Dans l’article « Un million de mutineries », Sunita Narain démontre que nous ne sommes pas tous dans le même camp de lutte pour faire face au changement climatique. Alors que les riches veulent maintenir leurs modes de vie, il est impératif d’observer le changement climatique dans les visages des millions de gens qui ont perdu leurs maisons dans les ouragans et dans les mers dont les niveaux ne cessent de s’élever. Il convient clairement de garder à l’esprit que le sort des milliers qui ont péri suite à ces changements climatiques est attribuable aux riches qui ont échoué à réduire leurs émissions de gaz, dans leur poursuite de la croissance économique. Les solutions ne se trouvent pas dans les conférences des élites mais à travers de petites réponses à de grands problèmes qui viendraient de l’environnementalisme des mouvements des dépossédés. Pia Ranada, écrivant des Philippines, décrit un phénomène climatique extrême : le typhon qui a frappé récemment son pays. Elle soutient que les pays du Sud souffrent le plus du chaos climatique. Les pays développés qui ont brûlé une grande partie des combustibles fossiles et qui sont responsables des émissions de carbone qui en découlent, doivent indemniser les communautés et les pays touchés par le changement climatique, en leur payant une « dette écologique ».

    Section 2 : Changer le système pas le climat.

    La deuxième section pose trois questions : Quels sont les facteurs structurels qui contribuent au changement climatique ? Comment imaginons-nous un autre système différent du présent ? Est-il possible de reformer et améliorer les systèmes politiques et économiques actuels pour s’adapter au changement climatique ? Walden Bello, écrivant des Philippines, dans son article « Est ce que le capitalisme survivra au changement climatique ? », soutient que l’expansion du capitalisme a causé l’accélération de la combustion des carburants fossiles et une déforestation rapide, conduisant au réchauffement planétaire. Pour rompre avec cette trajectoire, il nous faudrait un modèle de développement équitable et à faible consommation et croissance, qui améliore le bien-être des populations et accroit le contrôle démocratique de la production. Naturellement, les élites des pays du Nord ainsi que des pays du Sud vont s’opposer à cette réponse globale. Bello estime que nous devrions considérer le changement climatique comme une menace pour notre survie mais aussi comme une opportunité pour engendrer les reformes sociales et économiques, longtemps reportées. Khadija Sharife examine dans son article « Les armes secrètes du changement climatique » comment les paradis fiscaux à l’étranger profitent aux sociétés pétrolières multinationales, aux politiciens corrompus et aux mécanismes du commerce du carbone. Tout cela au dépend des îles comme les Seychelles et les Maldives qui pourraient disparaître complètement avec la montée des niveaux des mers et océans.

    Alberto Costa, un économiste équatorien et un ancien ministre de l’énergie et des mines, se focalise sur le mode extractiviste d’accumulation comme un mécanisme de pillage colonial et néocolonial. Plutôt que de bénéficier des ressources naturelles, les pays qui en sont riches ont fini par souffrir de plus de pauvreté, de chômage et de pollution, d’une faible agriculture et davantage de répression. Dans l’article « Le sol pas le pétrole », Vandana Shiva défie l’idée selon laquelle l’industrialisation est du progrès et remet en cause la valeur qu’on donne à la productivité et au rendement. Elle maintient que notre dépendance envers les combustibles fossiles a « fossilisé notre réflexion ». Shiva appelle à une transition culturelle faisant partie d’une transition énergétique pour arriver à une ère au-delà du pétrole. Dans un système qu’on appelle en anglais « Carbon Democracy », un système ancré dans la biodiversité, tous les êtres vivants auront leurs justes parts du carbone utile et nul ne sera accablé par une part injuste des retombées du changement climatique.

    Malgré des décennies de négociations climatiques très médiatisées, les résultats sont un échec : le statu quo en dépit de la menace. Pablo Solon, qui était auparavant le négociateur en chef de la Bolivie sur la question climatique, décrit dans son article « Le changement climatique : Toute action n’est pas utile » comment les négociations climatiques officielles des Nations Unies ont été détournées par les multinationales, empêchant la prise d’actions nécessaires, afin de garantir les profits à venir. Il avance un plan de dix points pour les mouvements sociaux, qui consiste entre autres à la création d’emplois liés au climat, des mesures pour laisser 80% des combustibles fossiles dans le sol ainsi que soumettre le secteur énergétique au contrôle public et communautaire.

    Section 3 : Attention aux « fausses solutions »

    La troisième section examine comment ceux qui détiennent le pouvoir ont essayé de se servir de la crise climatique pour faire des profits et exacerber les inégalités en poussant à de fausses solutions. Dans l’article « Desertec : Accaparement des sources d’énergie renouvelable », Hamza Hamouchene plaide contre des projets solaires orientés à l’exportation qui placent les intérêts des consommateurs européens et des élites locales répressives au-dessus des intérêts des communautés locales. Il souligne la menace pour les sources d’eau et met Desertec dans le cadre d’un commerce international favorable aux entreprises et multinationales et dans le contexte d’une ruée pour plus d’influence et de ressources énergétique. L’article de Jawad. M sur le Maroc soulève des préoccupations sur la souveraineté nationale et le contrôle de l’énergie renouvelable par les multinationales. Jawad fait une critique du discours du « développement durable » , qui a été vidé de toute signification et a été assujetti aux marchés, et se prononce contre les partenariats publics privés.

    Écrivant depuis l’Afrique du Sud, Khadija Sharife et Patrick Bond révèlent l’échec du commerce du carbone et du Mécanisme du Développement Propre (MDP) à réduire les émissions. Ils exposent la réalité d’un racisme environnemental et de fausses solutions, qui permettent aux compagnies riches de continuer à polluer pendant qu’elles s’assurent de plus grands profits. Le commerce du carbone est une supercherie qui amène beaucoup à croire qu’on pourrait contrecarrer le changement climatique sans un changement structurel. Nous devons reconnaitre que les mécanismes du marché ne réduiront pas suffisamment les émissions globales. Pablo Solon dans un article intitulé « À la croisée des chemins entre l’économie verte et les droits de la nature » nous prévient qu’il ne faut pas se fier à l’économie verte pour notre salut. En privatisant et en poussant la marchandisation de la nature, nous courrons à sa destruction et la nôtre avec. Solon avance spécifiquement une critique du programme de Réduction des Emissions imputables à la Déforestation et à la Dégradation des forêts (REDD) qui selon lui est une autre excuse des riches pour polluer la planète.

    Section 4 : S’organiser pour survivre

    La dernière section se consacre aux manières dont les peuples se mobilisent pour un avenir meilleur et différent. La révolutionnaire égyptienne Mahie­nour El-Massry nous décrit comment le changement climatique est en train de menacer Alexandrie, sa ville natale, et nous parle de ses expériences sur le Delta du Nil et son travail avec les communautés et ouvriers qui sont sur le point de mire du changement climatique et de l’exploitation des entreprises. L’entretien réalisé par Hamza Hamouchene avec Mehdi Bsikri, journaliste et militant algérien, explicite pourquoi des milliers d’Algériens ont protesté contre les plans de fracturations hydrauliques pour extraire du gaz de schiste dans le désert algérien, et décrit comment ils se sont mobilisés contre le gouvernement et les multinationales pétrolières. Un autre petit article d’Alberto Acosta sous le titre « Le défi de l’Équateur » développe le concept sud-américain des « droits de la Terre-Mère » comme un moyen de défendre les droits des communautés et futures générations ainsi qu’une remise en cause des privilèges des puissants afin d’assurer la survie.

    Les mouvements sociaux à travers le monde ont reconnu que la menace du changement climatique transforme leurs luttes. La déclaration « Le changement climatique et la lutte de classes » du National Union of Metal Workers of South Africa (NUMSA – syndicat national sud-africain de la métallurgie) prend fermement position sur une juste transition vers une économie à faible émission de carbone qui est basée sur une propriété sociale, démocratique et contrôlée par les travailleurs. Le syndicat s’oppose à l’appropriation privée de la nature et considère que le changement climatique est une lutte majeure qui va unifier les classes ouvrières dans le monde entier. Pour eux, « nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre nos gouvernements » pour agir. La déclaration de Margarita, signée par plus de cent mouvements sociaux sur l’ile de Margarita au Venezuela en juillet 2014, engage à vivre en harmonie avec les écosystèmes de la terre et dans le respect des droits des futures générations à hériter d’une planète où la vie est possible. Elle appelle les mouvements à créer des fissures dans le système actuel qui n’est pas viable, à entreprendre des actions directes pour éradiquer les énergies sales et combattre les privatisations et l’agroalimentaire. Ce radicalisme et cette conscience progressiste de l’importance de l’environnement pour les humains étaient déjà présents dans les années 1970. Nous avons inclus un article par Aurélien Bernier à propos de la déclaration de Cocoyoc des Nations Unies en 1974, qui a formulé une critique radicale du « développement » , du « libre échange » et des relations Nord-Sud. Elle fut vite enterrée et effacée de l’histoire mais elle reste pour autant pertinente et demeure très urgente.

    Les Nord-Africains dont les vies seront le plus changées, le plus sont les petits paysans sur le Delta du Nil, les pêcheurs de Djerba, les habitants d’Ain Salah et les millions qui vivent dans des habitations informelles au Caire, à Tunis et à Alger. Mais ils sont écartés et empêchés de construire leur avenir. C’est plutôt des régimes militaires avec leurs commanditaires au Riyad, Bruxelles et Wash­ington qui formulent des plans climatiques et énergétiques. Les élites locales nanties collaborent avec les multinationales, la Banque mondiale et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Malgré toutes les promesses faites, les actions de ces institutions démontrent qu’elles sont les ennemies de la justice climatique et de la survie.

    Le changement climatique est une menace mais aussi une opportunité pour instaurer les reformes sociales et économiques qui ont été longtemps différées, déraillées ou sabotées par des élites cherchant à préserver ou accroître leurs privilèges. Ce qui est différent aujourd’hui est que l’existence même de l’humanité et de la planète dépende du remplacement de systèmes économiques basés sur l’appropriation de la rente, sur l’accumulation capitaliste et l’exploitation de classes avec un système ancré sur la justice et l’égalité.

    L’ampleur de la crise signifie qu’il nous faudrait rompre radicalement avec les structures existantes du pouvoir autoritaire et néolibéral. L’urgence laisse croire que nous manquons de temps pour changer le système, mais se fier à ceux qui nous gouvernent nous feraient faire deux pas en arrière pour chaque pas que nous faisons en avant. Nous devons nous inspirer plutôt des mouvements sociaux et des communautés en ligne de mire qui résistent et construisent des voies démocratiques afin de survivre dans un monde réchauffé.

    Ceci sera la lutte globale qui marquera le 21ème siècle.

  • Yémen. Quand les alliés saoudiens des Occidentaux font un carnage, on appelle ça une guerre. (CCR)

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    Selon un rapport des Nations Unies, depuis le début des bombardements de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite contre la rébellion houthiste en mars dernier, plus de 5700 personnes ont perdu la vie au Yémen. Le nombre de civils n’a pas été divulgué par l’ONU mais on parle de 830 femmes et enfants décédés. En octobre dernier Amnesty International estimait le nombre de morts à 4000, dont la moitié serait des civils. En tout cas, les ONG et organismes de défense des Droits de l’Homme s’accordent pour dire que les principaux responsables de ces vies perdues sont les pays de la coalition alliée des pays occidentaux.

    On estime également que 21,2 millions de personnes (82% de la population totale) ont besoin d’assistance humanitaire ; 3 millions d’enfants et des femmes enceintes ou allaitant se trouvent dans une situation de malnutrition. Près de 2 millions d’enfants ne peuvent pas aller à l’école non plus depuis mars.

    A cela il faudrait ajouter la pénurie de produits de base et d’aliments due en grande partie au blocus économique imposé par l’Arabie Saoudite.

    Depuis la mi-mars, également, on a près de 9000 cas de violation des Droits de l’Homme. D’ailleurs, en septembre dernier les pays du Golfe ont bloqué la mise en place d’une enquête indépendante des Nation Unies à ce propos.

    Les puissances impérialistes sont responsables et complices de ce drame qu’est en train de vivre le peuple yéménite. Non seulement elles soutiennent leur allié saoudien, qui intervient pour essayer d’éviter la progression des Houtistes chiites alliés de l’Iran, mais elles arment le royaume saoudien.

    En effet, lors de bombardements délibérés contre des populations civiles, Amnesty International affirme avoir trouvé des bombes de type MK 80, fabriquées par l’entreprise états-unienne General Dynamics. Amnesty accuse aussi la coalition menée par l’Arabie Saoudite d’utiliser des bombes à sous-munitions, également fabriquées par une firme états-unienne, Aerojet et Honeywell. Il faut rappeler que l’utilisation des armes à sous-munitions est interdite par une convention de l’ONU depuis 2010.

    Parmi les principaux fournisseurs d’armements à l’Arabie Saoudite et ses alliés on trouve les Etats-Unis, l’Allemagne, la Grande-Bretagne mais aussi la France, comme le « voyage d’affaires » de la mi-octobre de Valls dans la région pour vendre le savoir-faire belliciste français le démontre.

    Alors que les dirigeants des différentes puissances impérialistes ont exprimé leur indignation hypocrite face aux attentats de Paris la semaine dernière, au Yémen il ne s’agit pas simplement du connu « deux poids, deux mesures » face à la mort de civils dans des pays dominés par l’impérialisme, mais de la complicité explicite avec les bourreaux du peuple.

    Si nous dénonçons la responsabilité du gouvernement français avec ses guerres qui sont la source du terrorisme islamiste qui a débouché sur l’assassinat de dizaines de personnes à Paris, nous affirmons qu’en Syrie, au Mali, en Centrafrique, en Libye et au Yémen ce sont aussi avec « nos morts » qu’ils sont en train de payer « leurs guerres ». Philippe Alcoy

    http://www.revolutionpermanente.fr/Yemen-les-allies-saoudiens-des-Occidentaux-font-un-carnage

  • Syrie (Jeunes du NPA)

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    Derrière les bombes françaises, les profits de Total et de Dassault

    Hollande n’aura pas attendu longtemps après le 13 novembre pour annoncer le renforce- ment des interventions militaires de la France en Syrie. Il justifie l’intensification des frappes aériennes au nom de la lutte contre le terrorisme et l’État islamique. Mais ces interventions n’ont en réalité qu’un seul but : défendre les intérêts économiques des grandes entreprises françaises dans la région. La guerre, c’est un sacré business pour les capitalistes !

    Contrôler l’or noir Les hydrocarbures (gaz et pétrole) représentent le premier secteur d’in- vestissement étranger en Syrie. Total est fortement implanté dans le pays depuis 1988, mais a dû cesser son activité en 2011, à cause de l’instabilité causée par la révolte du peuple syrien face au régime d’Al-Assad. En plus des réserves gigantesques dans le sous-sol syrien (2,5 milliards de barils), les industriels du pétrole ambitionnent de faire de la Syrie une plaque tournante du commerce de gaz et de pétrole au Moyen-Orient.

    C’est pour garantir les intérêts de son géant pétrolier dans la région que l’État français intervient en Syrie depuis septembre 2015. Hollande n’a rien à faire du peuple syrien. Alors que ce dernier lutte depuis février 2011 contre le régime de Bachar al-Assad, Hollande a finalement décidé de faire de ce tyran son nouvel allié dans la région. C’est qu’entre 2011 et 2014, les pertes dans le secteur des hydrocarbures de Syrie se sont élevées à près de 16 milliards d’euros, et que pour Total cela n’a que trop duré.

    Pour rétablir la pompe à profits dans la région, les capitalistes et les États à leur service sont prêts à tisser des alliances avec des régimes plus pourris les uns que les autres. Com- me c’est le cas depuis des décennies avec l’Arabie saoudite, qui impose à sa population des lois équivalentes à ce que tente d’imposer l’État islamique en Irak et en Syrie.

    Tuer plus pour gagner plus Le chaos et la misère au Moyen-Orient, ça rapporte gros ! En 2015, les industriels français de l’armement terrestre, aérien et maritime ont multiplié les contrats au Moyen-Orient, notamment avec l’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar : pas moins de 17 milliards d’euros de contrats (deux fois plus qu’en 2014). Dassault est actuel- lement en négociations avec les Émirats arabes unis pour un nouveau contrat d’une soix- antaine d’appareils, pour quelques 12 milliards d’euros…

    Les industriels français n’ont jamais autant vendu d’armes que durant l’année 2015, et la France est même devenue le deuxième exportateur mondial après les États-Unis.
    Airbus, Dassault, DCNS (marine), MBDA (missiles), Thalès, Total : les grands patrons français se font leur beurre sur le dos des populations du Moyen-Orient qu’ils réduisent à la misère. Et l’État français répond toujours présent pour les servir. Leurs guerres ne sont aucunement la solution à l’horreur que constitue l’État islamique, elles en sont même une cause profonde. Face à cela, exigeons l’arrêt immédiat des opérations militaires en Syrie, et l’ouverture des frontières pour accueillir les populations victimes de Daesh !

    20 novembre 2015 Secrétariat jeune NPA

    http://www.anti-k.org/syrie-derriere-les-bombes-les-profits-de-total-et-de-dassault

  • L’Arabie saoudite, un Daesh qui a réussi: notre allié (Anti-k)

    Lors de chaque visite d’un "dignitaire" français, la timide interpellation de la presse concernant le non respect des droits de l’homme et de la femme est un « marronnier » qui n’affecte pas les applaudissements à propos des ventes d’armes et autres marchés conclus avec cette dictature odieuse. Peut-on faire la « guerre » à Daech tout en embrassant Salmane ben Abdelaziz Al Saoud (80 ans) qui le soutient par toutes sortes de filières et qui constitue sa base idéologique. Ces faits sont bien connus sauf des ignorants volontaires. Les saoudiens impliqués dans le attentats de 11 septembre avec ses 2977 victimes n’ont pas infléchi la politique américaine à leur égard, alors les morts du Bataclan !

    Daesh noir, Daesh blanc. Le premier égorge, tue, lapide, coupe les mains, détruit le patrimoine de l’humanité, et déteste l’archéologie, la femme et l’étranger non musulman. Le second est mieux habillé et plus propre, mais il fait la même chose. L’Etat islamique et l’Arabie saoudite. Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre. Mécanique du déni, et de son prix. On veut sauver la fameuse alliance stratégique avec l’Arabie saoudite tout en oubliant que ce royaume repose sur une autre alliance, avec un clergé religieux qui produit, rend légitime, répand, prêche et défend le wahhabisme, islamisme ultra-puritain dont se nourrit Daesh.

    Le wahhabisme, radicalisme messianique né au 18ème siècle, a l’idée de restaurer un califat fantasmé autour d’un désert, un livre sacré et deux lieux saints, la Mecque et Médine. C’est un puritanisme né dans le massacre et le sang, qui se traduit aujourd’hui par un lien surréaliste à la femme, une interdiction pour les non-musulmans d’entrer dans le territoire sacré, une loi religieuse rigoriste, et puis aussi un rapport maladif à l’image et à la représentation et donc l’art, ainsi que le corps, la nudité et la liberté. L’Arabie saoudite est un Daesh qui a réussi.

    Le déni de l’Occident face à ce pays est frappant: on salue cette théocratie comme un allié et on fait mine de ne pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste. Les nouvelles générations extrémistes du monde dit « arabe » ne sont pas nées djihadistes. Elles ont été biberonnées par la Fatwa Valley, espèce de Vatican islamiste avec une vaste industrie produisant théologiens, lois religieuses, livres et politiques éditoriales et médiatiques agressives.

    On pourrait contrecarrer : Mais l’Arabie saoudite n’est-elle pas elle-même une cible potentielle de Daesh ? Si, mais insister sur ce point serait négliger le poids des liens entre la famille régnante et le clergé religieux qui assure sa stabilité — et aussi, de plus en plus, sa précarité. Le piège est total pour cette famille royale fragilisée par des règles de succession accentuant le renouvellement et qui se raccroche donc à une alliance ancestrale entre roi et prêcheur. Le clergé saoudien produit l’islamisme qui menace le pays mais qui assure aussi la légitimité du régime.

    Il faut vivre dans le monde musulman pour comprendre l’immense pouvoir de transformation des chaines TV religieuses sur la société par le biais de ses maillons faibles : les ménages, les femmes, les milieux ruraux. La culture islamiste est aujourd’hui généralisée dans beaucoup de pays — Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Mali, Mauritanie. On y retrouve des milliers de journaux et des chaines de télévision islamistes (comme Echourouk et Iqra), ainsi que des clergés qui imposent leur vision unique du monde, de la tradition et des vêtements à la fois dans l’espace public, sur les textes de lois et sur les rites d’une société qu’ils considèrent comme contaminée.

    Il faut lire certains journaux islamistes et leurs réactions aux attaques de Paris. On y parle de l’Occident comme site de « pays impies »; les attentats sont la conséquence d’attaques contre l’Islam ; les musulmans et les arabes sont devenus les ennemis des laïcs et des juifs. On y joue sur l’affect de la question palestinienne, le viol de l’Irak et le souvenir du trauma colonial pour emballer les masses avec un discours messianique. Alors que ce discours impose son signifiant aux espaces sociaux, en haut, les pouvoirs politiques présentent leurs condoléances à la France et dénoncent un crime contre l’humanité. Une situation de schizophrénie totale, parallèle au déni de l’Occident face à l’Arabie Saoudite.

    Ceci laisse sceptique sur les déclarations tonitruantes des démocraties occidentales quant à la nécessité de lutter contre le terrorisme. Cette soi-disant guerre est myope car elle s’attaque à l’effet plutôt qu’à la cause. Daesh étant une culture avant d’être une milice, comment empêcher les générations futures de basculer dans le djihadisme alors qu’on n’a pas épuisé l’effet de la Fatwa Valley, de ses clergés, de sa culture et de son immense industrie éditoriale?

    Guérir le mal serait donc simple ? A peine. Le Daesh blanc de l’Arabie Saoudite reste un allié de l’Occident dans le jeu des échiquiers au Moyen-Orient. On le préfère à l’Iran, ce Daesh gris. Ceci est un piège, et il aboutit par le déni à un équilibre illusoire : On dénonce le djihadisme comme le mal du siècle mais on ne s’attarde pas sur ce qui l’a créé et le soutient. Cela permet de sauver la face, mais pas les vies.

    Daesh a une mère : l’invasion de l’Irak. Mais il a aussi un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique. Si l’intervention occidentale a donné des raisons aux désespérés dans le monde arabe, le royaume saoudien leur a donné croyances et convictions. Si on ne comprend pas cela, on perd la guerre même si on gagne des batailles. On tuera des djihadistes mais ils renaîtront dans de prochaines générations, et nourris des mêmes livres.

    Les attaques à Paris remettent sur le comptoir cette contradiction. Mais comme après le 11 septembre, nous risquons de l’effacer des analyses et des consciences.

    Kamal Daoud, chroniqueur au Quotidien d’Oran, est l’auteur de “Meursault, contre-enquête.”

    By KAMEL DAOUDNOV. 20, 2015

    http://www.anti-k.org/2015/11/21/larabie-saoudite-un-daesh-qui-a-reussi-notre-allie/

  • Le CLA avance un taux de suivi de plus de 70% : Grève dans les lycées (Algeria Watch)

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    Le Conseil des enseignants des lycées d'Algérie (CLA) a observé hier une journée de grève dont le taux de suivi a été estimé à plus de 70%, selon les membres du syndicat.

    Cette grève a été enclenchée après l'échec des discussions réunissant jeudi dernier les cadres du département de Nouria Benghebrit et les délégués du CLA. Refusant les promesses et exigeant des réponses concrètes, les membres du CLA se sont mobilisés hier pour faire entendre leur voix à travers le débrayage. Selon le secrétaire général du CLA, Idir Achour, des assemblées générales dans les établissements scolaires ont été organisées le jour de la grève afin de discuter des formes d'actions à mener à l'avenir. Il est fort probable que les grévistes durcissent leur mouvement en optant soit pour une grève de deux ou de trois jours par semaine, ou une journée renouvelable chaque semaine.

    Le SG du CLA a exprimé sa satisfaction quant à la mobilisation des adhérents de son syndicat ainsi que d'autres fonctionnaires. Il a affirmé que certains établissements moyens et primaires ont suivi le mot d'ordre du CLA. « Ils ont observé une grève en guise de soutien et de solidarité», a-t-il souligné. Il a également affirmé que cette action a été vivement soutenue par les fonctionnaires des corps communs en citant ceux des collectivités locales et de la santé.

    Idir Achour explique les motifs ayant poussé les fonctionnaires à entamer cette grève.

    «Nous voulons dire au gouvernement, non à la dégradation du pouvoir d'achat des fonctionnaires ; oui pour l'instauration d'un Observatoire national autonome pour le contrôle du pouvoir d'achat, et la valorisation du point indiciaire en fonction de la réalité des prix ». Il poursuit en disant « non à la remise en cause des différentes formules de retraite mais pour une retraite à 100% et après 25 ans de service effectif ».

    Les grévistes ont également réclamé de leur tutelle la promotion automatique des travailleurs qui réglera définitivement le problème et garantira la stabilité dans le secteur de l'Education nationale. Le syndicat refuse, dans ce sens, que des travailleurs de l'éducation soient induits en erreur concernant le nombre de postes de promotion avancé par la tutelle et qui ne sont en fait que de la poudre aux yeux, selon le syndicat.

    Le CLA réclame, par ailleurs, la concrétisation des promesses cosignées dans le PV du 7 mars dernier, l'intégration de tous les enseignants contractuels et la réintégration de ceux qui sont suspendus depuis 2013. Il exige la réintégration du secrétaire général de Saïda à son poste. Enfin, le syndicat revendique en outre, la construction de nouvelles infrastructures scolaires et le recrutement d'encadreurs pédagogiques qui assureront la stabilité dans les écoles.

    par M. Aziza, Le Quotidien d'Oran, 19 novembre 2015

    http://www.algeria-watch.org/fr/article/pol/syndicat/greve_lycee_bien_suivie.htm

  • Pierre Manent, philosophe : “L’effort civique n’est pas réservé aux musulmans” (Les Inrocks)

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    Entretien avec le philosophe Pierre Manent, qui appelle l’ensemble des citoyens à accepter la nouvelle hétérogénéité religieuse de la société française.

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    Quelle lecture faites-vous de cette vague d’attentats d’une ampleur sans précédent qui a touché notre pays ?

    Pierre Manent – La France est frappée de plus en plus durement, à des intervalles de plus en plus brefs. Nous sommes le seul pays européen, ou occidental, qui se trouve dans ce cas. En tout cas, nous sommes clairement le maillon faible dans l’ensemble euro-occidental. Nous sommes le maillon faible, ou le maillon exposé, parce que dans la guerre comme dans la paix nous nous sommes donné des buts trop ambitieux que nous n’avons pas les moyens d’atteindre, et cette disproportion entre les prétentions et les résultats est un principe de faiblesse.

    Dans la guerre d’abord. Nous sommes le seul pays occidental dont l’essentiel des forces armées opérationnelles est aujourd’hui engagé contre ce qu’il est convenu d’appeler le “terrorisme”, à la fois en Afrique de l’Ouest, au Proche-Orient et bien sûr en France même. Sans avoir augmenté nos moyens militaires, ou en ayant seulement ralenti leur diminution, notre gouvernement en fait un usage intensif qui les use et ne nous laisse pas de réserves. Dans la paix ensuite.

    Nous nous sommes donné à l’égard de l’islam un but qu’on peut trouver sublime mais qui résiste mal à l’expérience. Nous avons voulu à la fois être les plus ouverts possible, les plus respectueux possible, et en même temps nous attendions de cette ouverture et de ce respect que les musulmans se fondent dans la République, et que toute séparation entre musulmans et non-musulmans disparaisse. Nous avons escompté qu’ils seraient à la fois “entièrement eux-mêmes” et des citoyens français tout à fait comme les autres. C’était un cahier des charges trop lourd pour les uns et pour les autres. Il nous faut repartir sur des bases plus modestes et réalistes.

    Craignez-vous une stigmatisation de la communauté musulmane suite à ces événements ?

    Ce terme de stigmatisation ne me paraît pas pertinent. Franchement, dans le contexte, il ne veut pas dire grand-chose. D’ailleurs, si l’on veut bien ne pas accorder trop d’importance à quelques intempérances de langage de politiques intéressés, il est au contraire frappant que les Français, aussi bien après les attentats de janvier qu’ en ce triste mois de novembre, ont en général réagi avec beaucoup de sang-froid. Je crois sincèrement que peu de pays européens auraient été capables, en de telles circonstances, d’une telle maîtrise, d’un tel calme.

    La disposition qui s’installe, et que les événements intérieurs et extérieurs tendent à confirmer chaque jour davantage, c’est la méfiance. L’opinion qui me semble de plus en plus dominante parmi nous sur l’islam est à peu près la suivante: bien sûr l’immense majorité des musulmans sont pacifiques; en même temps, ils sont incapables de ramener à la raison ceux parmi eux qui ne sont pas pacifiques et qui se “radicalisent” ; comme en outre ils sont de plus en plus nombreux parmi nous, et très attachés à leurs mœurs qui tendent à les distinguer et même à les séparer des autres Français, il est clair désormais que leur intégration ou assimilation est un but hors de portée.

    Voilà, je crois, la conviction qui a cristallisé dans la dernière période. L’opinion moyenne des non-musulmans estime de plus en plus que la séparation sera impossible à surmonter, sauf si l’islam consent à une “réforme” plus ou moins radicale, ou si on le force à une telle réforme en lui imposant une règle de laïcité rigoureuse et contraignante.

    Quelques minutes après les attentats qui ont touché notre pays, plusieurs dirigeants politiques de droite et d’extrême droite ont immédiatement pointé la responsabilité de l’islam. Comment dépasser les amalgames et le risque de conflit communautaire ?

    Vous allez être surpris par la simplicité de ma réponse: il faut engager une conversation civique un peu sincère. Nous en sommes très loin. Sur ces questions, presque tout le monde use d’un langage codé. Les uns dénoncent le “communautarisme” ; les autres s’écrient : pas d’amalgame, halte à l’islamophobie ! Les uns et les autres tournent autour du sujet soit pour gagner des voix, soit pour éviter d’avoir à répondre à des questions difficiles, tous en tout cas pour se dispenser de réfléchir sérieusement aux questions qui se posent. Ce qui fait qu’en réalité, nous nous connaissons très mal.

    Je déplore que les musulmans s’expriment si peu ou alors seulement de manière défensive. Qu’attendent-ils de notre pays qui est le leur? Que pensent-ils de sa politique ? Comment entendent-ils participer à la vie commune ? Ils sont trop réservés ! S’ils prenaient davantage la parole, s’ils exprimaient leurs critiques et acceptaient les critiques, cela contribuerait beaucoup à faire tomber ou à diminuer la méfiance réciproque qui caractérise les relations entre musulmans et non-musulmans dans notre pays.

    Dans votre livre, vous évoquez une scission entre Européens et musulmans. Pourquoi l’islam pose selon vous un “problème nouveau” à notre société ?

    L’histoire a séparé le nord et le sud de la Méditerranée, la Chrétienté et l’Islam. C’est un fait. Dois-je rappeler les conquêtes musulmanes et les “reconquêtes” chrétiennes, les guerres contre les Turcs, la colonisation et la décolonisation ? Ce sont deux vastes ensembles humains qui ont eu des expériences très différentes et développé des civilisations fort distinctes, et très conscientes d’être distinctes.

    Or pour la première fois, avec l’installation d’une nombreuse population musulmane dans plusieurs pays européens, particulièrement en France, ces groupes humains aux expériences et aux mœurs fort distinctes ont à vivre ensemble dans l’égalité. Je souligne : dans l’égalité. C’est un défi inédit. Aujourd’hui les Européens s’organisent sur la base de plus en plus exclusive des droits de l’homme, des droits individuels, tandis que les musulmans restent attachés à des mœurs communes qui s’imposent comme naturellement à l’individu. Bien sûr ceci est schématique puisque les Européens ne sont pas simplement individualistes mais ont eux aussi des liens collectifs, et les musulmans de leur côté ne sont pas insensibles aux charmes de la société libérale, mais il reste ce fait déterminant que l’indépendance individuelle est appréciée assez différemment par les uns et les autres. En particulier l’indépendance des femmes et des jeunes filles. C’est un point de friction considérable entre musulmans et non-musulmans parmi nous.

    Une partie des terroristes impliqués étaient français. Comment peut-on répondre à la radicalisation d’une partie de notre jeunesse ?

    Nos sociétés éprouvent en général de grandes difficultés pour assurer la transmission non pas tant des connaissances que des formes de vie. Comment devenir un être humain capable de s’affirmer lui-même tout en rendant à chacun son dû, tout en “respectant les autres”? C’est d’autant plus difficile pour un jeune homme qui grandit pour ainsi dire entre deux traditions, deux langues, deux formes de vie, qui sont officiellement égales mais dont l’une se sent toujours mésestimée.

     

    Que faire avec la colère des jeunes hommes ? Comment l’éduquer, la rendre constructive plutôt que destructrice ? Je n’ai pas de réponse mais je voudrais souligner un point: les jeunes hommes, spécialement peut-être ceux issus de familles musulmanes, souffrent de l’absence de modèles “virils” dans notre société. Toute la pression publique vise à réprimer les manifestations de “virilité”. Il y a de bonnes raisons à cela. Mais on peut abuser des meilleures choses.

    Je crois que si l’on réfléchissait sérieusement à l’organisation d’un vrai “service civil” ou d’une “garde nationale”, on pourrait obtenir de bons résultats. Je pense à un effort sérieux auquel on consacrerait d’importants moyens humains et financiers : il s’agirait de volontaires, mais qui recevraient une éducation physique, éventuellement paramilitaire, mais aussi civique et historique, et recevraient un traitement modeste mais non ridicule. Ils auraient un uniforme. Leur temps de service leur vaudrait des avantages, par exemple pour la retraite. Ils seraient appelés pour des actions de protection civile, d’entretien de l’environnement et de garde des biens publics. Ils mettraient leur fierté à défendre ce qu’ils sont aujourd’hui tentés de détruire.

    Que notre société puisse accoucher de terroristes capables d’une telle boucherie vous fait-il perdre confiance dans nos capacités d’intégration ?

    Toutes les sociétés accouchent de délinquants ou de criminels. Le désir de détruire, de prendre plus que sa part, d’imposer sa volonté appartient à l’être humain. Nous maîtrisons tant bien que mal ces tendances ou pulsions. Certains n’y parviennent pas. C’est plutôt une question d’éducation que d’intégration. Ou alors il s’agit de l’intégration des différentes composantes de l’être humain. Nous ne nous en soucions pas suffisamment.

    Nous accordons une place disproportionnée à la transmission de connaissances au détriment de la formation du caractère. L’éducation civique, ce n’est pas seulement d’apprendre les articles de la Constitution, c’est aussi d’apprendre la fierté du citoyen. L’éducation religieuse, ce n’est pas seulement d’apprendre tel ou tel aspect ou contenu d’une religion, ou de plusieurs religions; c’est apprendre à se rapporter à un être plus grand que soi, apprendre une certaine qualité d’admiration ou de révérence. Notre éducation usuelle tend à laisser en jachère de grandes parties de nous-mêmes.

    Pourquoi considérez-vous que la laïcité n’est plus adaptée pour faire coexister les différentes “masses spirituelles” de notre pays ?

    La laïcité est un élément central de notre régime politique. Il importe de la préserver. Elle implique que l’institution religieuse et l’institution politique sont séparées, que l’État ne commande pas en matière de religion, et que les hommes religieux ne font pas la loi politique. Tout ceci est très bien. Mais cette laïcité, qui est la laïcité au sens authentique du terme, n’a pas d’effet direct sur la composition religieuse de la société.

    Or le problème qui se pose à nous, c’est celui de l’hétérogénéité religieuse de la société, hétérogénéité considérablement accrue avec l’installation de l’islam dans la société française. Beaucoup attendent de la laïcité ce qu’elle n’est pas conçue pour produire, à savoir la neutralisation religieuse de la société, une société dans laquelle la religion ne donnerait pas forme à la vie commune et serait en quelque sorte invisible. Dans un tel dispositif, les musulmans seraient présents mais comme s’ils n’étaient pas là. Tout cela est une fiction qui repose sur une interprétation erronée de l’expérience de la France républicaine.

    Dans votre livre, vous appelez de vos vœux la construction d’un nouveau compromis entre les citoyens français musulmans et le reste du corps civique. Sur quoi repose-t-il ?

    Nous nous sommes donné un projet trop ambitieux selon lequel les musulmans parmi nous seraient à la fois entièrement eux-mêmes et tout à fait comme les autres. Je me donne un projet plus modeste. J’accepte l’hétérogénéité de départ. Dans mon langage, qui est le langage classique de la sociologie, j’accepte que les musulmans s’installent parmi nous avec leurs “mœurs” propres que nous avons à accepter tout en fixant certaines limites. Certaines conduites en effet, qui sont autorisées par les mœurs musulmanes, sont contraires à nos lois, par exemple la polygamie. Elles doivent être interdites.

    J’explique cela plus en détail dans le livre, mais le point que je veux ici souligner est le suivant: je commence par accepter une certaine hétérogénéité intérieure qui n’est pas dans notre perspective habituelle qui vise un corps social homogène. En même temps, je n’en reste pas là, je ne souhaite pas que nous nous installions dans une société “multiculturelle” ou “communautariste”. Je souhaite que nous allions vers un bien commun auquel prendraient part toutes les composantes de la société française. Etant entendu que nous sommes aujourd’hui passablement séparés, je cherche à nous réunir par la voie politique de l’engagement civique plutôt qu’en nous efforçant de contraindre les musulmans à une réforme directe et immédiate de leurs moeurs qui ne me semble pas praticable. L’engagement civique des musulmans a pour condition qu’ils prennent leur indépendance financière, spirituelle et d’organisation à l’égard des pays du monde arabo-musulman qui ont aujourd’hui sur eux une influence à mes yeux très dommageable. Y sont-ils prêts ? Nous ne le saurons pas si nous n’essayons pas. L’effort civique n’est pas réservé aux musulmans. Tous les citoyens doivent participer à l’élaboration d’un projet collectif alors que la tendance dominante parmi nous est à la jouissance des droits individuels. Sommes-nous prêts pour un tel projet collectif ? Nous ne le saurons pas si nous n’essayons pas.

    Propos recueillis par David Doucet 17/11/2015 | 16h00

    http://www.lesinrocks.com/2015/11/17/actualite/pierre-manent-philosophe-faire-tomber-la-mefiance-reciproque-dans-notre-pays-11788356/

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  • Bombardements contre-productifs : « Le discours de François Hollande a été mal reçu par les Syriens » (Essf)

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    A l’heure où la France, notamment, bombarde Raqqa, le bastion du groupe Etat islamique en Syrie, le journaliste et ancien otage de l’EI Nicolas Hénin juge que ces frappes sont contre-productives.

    Pour Nicolas Hénin, la France, les Etats-Unis et la Russie font fausse route en optant pour une solution martiale. Dans une interview mardi dans l’émission Forum, le journaliste estime qu’il faut plutôt tirer les leçons du 11 septembre 2001 : « L’administration américaine a décidé d’envahir l’Afghanistan et l’Irak, d’émettre le Patriot Act et d’ouvrir (la prison) de Guantanamo. Tout cela, c’était des pièges. Il faut être absolument stupide pour imaginer que l’on a puni Ben Laden ou Al-Qaïda (avec de telles mesures). »

    Il faut par conséquent se méfier des actions prises sous le coup de l’émotion, avertit Nicolas Hénin : « Ces frappes sont contre-productives. Elles nous aliènent les populations locales (en Syrie), alors que la clé pour résoudre ce défi que représente l’Etat islamique est de se mettre les populations locales de notre côté ».

    Or, ajoute le journaliste, « le discours de François Hollande (lundi) a été particulièrement mal reçu par la population syrienne qui pourtant avait marqué – sur les réseaux sociaux – des témoignages fabuleux de solidarité envers les victimes de vendredi ».

    Création de zones de sécurité, « une priorité »

    Nicolas Hénin préconise la création de zones d’exclusion aérienne et des lieux sûrs au sol : « A partir du moment où l’on aura créé ces zones dans lesquelles les civils sont en sécurité, on aura d’une part réduit le défi posé par les flux de réfugiés et créé de l’espoir (…) Il faut désescalader cette violence ».

    « Les 130 morts de Paris sont absolument abominables, mais il faut garder à l’esprit qu’il y a, en moyenne, 200 morts chaque jour en Syrie depuis quatre ans », avertit enfin le journaliste, selon qui la propagande du groupe EI se poursuit aujourd’hui sur la base d’images de civils massacrés.

    Nicolas Hénin,

    16 novembre 2015* « Le discours de François Hollande a été mal reçu par les Syriens » :


    http://www.rts.ch/info/monde/le-discours-de-francois-hollande-a-ete-mal-recu-par-les-syriens

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36449