Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Documents - Page 13

  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

    meme.jpg

     

  • "Nous payons les inconséquences de la politique française au Moyen-Orient" (Le Monde)

    JPEG - 11.5 ko

    JPEG - 7.4 ko

    Soyons réalistes, demandons l’impossible, clamaient dans les rues de Paris les utopistes de mai 1968. Etre réaliste aujourd’hui, c’est réclamer à ceux qui gouvernent d’aller aux racines de ce mal qui, le 13 novembre, a tué au moins 129 personnes dans la capitale française. Elles sont multiples, et il n’est pas question d’en faire ici l’inventaire. Nous n’évoquerons ni l’abandon des banlieues, ni l’école, ni la reproduction endogamique d’élites hexagonales incapables de lire la complexité du monde. Nous mesurons la multiplicité des causes de l’expansion de l’islamisme radical.

    Comme nous savons à quel point l’étroitesse des rapports entretenus dans tout le monde arabe entre les sphères politique et religieuse a pu faciliter son émergence, nous n’avons aucune intention simplificatrice. Mais, aujourd’hui, c’est la politique internationale d’une France blessée, et de l’ensemble du monde occidental, que nous voulons interroger.

    Sur l’islamisme d’abord. Depuis le début de sa montée en puissance, dans les années 1970, les dirigeants occidentaux se sont convaincus qu’il devenait la force politique dominante du monde arabo-musulman. Addiction au pétrole aidant, ils ont renforcé le pacte faustien les liant aux Etats qui en sont la matrice idéologique, qui l’ont propagé, financé, armé. Ils ont, pour ce faire, inventé l’oxymore d’un « islamisme modéré » avec lequel ils pouvaient faire alliance.

    Le soutien apporté ces derniers mois au régime turc de M. Erdogan dont on connaît les accointances avec le djihadisme, et qui n’a pas peu contribué à sa réélection, en est une des preuves les plus récentes. La France, ces dernières années, a resserré à l’extrême ses liens avec le Qataret l’Arabie saoudite, fermant les yeux sur leur responsabilité dans la mondialisation de l’extrémisme islamiste.

    Le djihadisme est avant tout l’enfant des Saoud et autres émirs auxquels elle se félicite de vendre à tour de bras ses armements sophistiqués, faisant fi des « valeurs » qu’elle convoque un peu vite en d’autres occasions. Jamais les dirigeants français ne se sont posé la question de savoir ce qui différencie la barbarie de Daesh de celle du royaume saoudien. On ne veut pas voir que la même idéologie les anime.

    Cécité volontaire

    Les morts du 13 novembre sont aussi les victimes de cette cécité volontaire. Ce constat s’ajoute à la longue liste des soutiens aux autres sanglants dictateurs moyen-orientaux – qualifiés de laïques quand cela convenait – de Saddam Hussein à la dynastie Assad ou à Khadafi – et courtisés jusqu’à ce qu’ils ne servent plus. La lourde facture de ces tragiques inconséquences est aujourd’hui payée par les citoyens innocents du cynisme à la fois naïf et intéressé de leurs gouvernants.

    L’autre matrice du délire rationnel des tueurs djihadistes est la question israélo-palestinienne. Depuis des décennies, les mêmes dirigeants occidentaux, tétanisés par la mémoire du judéocide perpétré il y a soixante-dix ans au cœur de l’Europe, se refusent à faire appliquer les résolutions de l’ONU susceptibles de résoudre le problème et se soumettent aux diktats de l’extrême droite israélienne aujourd’hui au pouvoir, qui a fait de la tragédie juive du XXe siècle un fonds de commerce.

    On ne dira jamais assez à quel point le double standard érigé en principe politique au Moyen-Orient a nourri le ressentiment, instrumentalisé en haine par les entrepreneurs identitaires de tous bords. Alors oui, soyons réalistes, demandons l’impossible. Exigeons que la France mette un terme à ses relations privilégiées avec l’Arabie saoudite et le Qatar, les deux monarchies où l’islam wahhabite est la religion officielle, tant qu’elles n’auront pas coupé tout lien avec leurs épigones djihadistes, tant que leurs lois et leurs pratiques iront à l’encontre d’un minimum décent d’humanité.

    Exigeons aussi de ce qu’on appelle « la communauté internationale » qu’elle fasse immédiatement appliquer les résolutions des Nations unies concernant l’occupation israélienne et qu’elle entérine sans délai la création trop longtemps différée de l’Etat palestinien par le retour d’Israël dans ses frontières du 4 juin 1967.

    Ces deux mesures, dont riront les tenants d’une realpolitik dont on ne compte plus les conséquences catastrophiques, n’élimineront pas en un instant la menace djihadiste, aujourd’hui partout enracinée. Mais elles auront l’immense mérite d’en assécher partiellement le terreau. Alors, et alors seulement, les mesures antiterroristes prises aujourd’hui en l’absence de toute vision politique pourraient commencer à devenir efficaces.

    Sophie Bessis et Mohamed Harbi (Historiens)

    Sophie Bessis est l’auteur de La Double Impasse. L’Universel à l’épreuve des fondamentalismes religieux et marchand (La Découverte, 2014) ; Mohamed Harbi est ancien membre puis historien du Front de libération nationale algérien (FLN).

  • L’Etat islamique et l’unification du monde avec le sang des victimes (Essf)

    Afficher l'image d'origine

    La question est arabe et nous devons rechercher une réponse rationnelle qui nous habilite à mener le combat contre ce danger absolu

    Abou Bakr al-Baghdadi a réussi à unifier le monde. Par le sang. De Beyrouth à Paris, les « kamikazes » de l’« État islamique » ont accompli un effroyable chaos insurpassable de tueries et de haine et les héritiers d’Al-Qaïda ont montré que le sanglant processus initié par les attentats du 11 septembre 2001 était en réalité un projet gigantesque capable de s’adapter aux circonstances tout en conservant sa constante fondamentale, à savoir la mission, pour reprendre l’expression du prédicateur Abou Bakr Al-Nâjî (l’un des grands théoriciens de « Dâ‘esh »), consistant à « administrer la sauvagerie ».

    L’ « administration de la sauvagerie » : ça n’est pas un chef d’accusation. Non : c’est le titre qu’ont peaufiné les théoriciens de Dâ‘esh pour présenter la vision qu’ils ont du monde. L’idée de « sauvagerie » fait partie de la « loi du sang » qui est la loi en vigueur dans cette armée islamiste qui rassemble des hommes et des femmes provenant de toutes sortes de nations et dont le but est de remettre à l’ordre du jour le califat islamique dans le style d’un Ibn Taymiyya ou d’un Muhammad Ibn Abdal-Wahhâb (fondateur du wahhabisme, ndt) et d’instituer un État du sang, de la sauvagerie et de la tyrannie.

    Le monde entier est pour lui un champ de bataille et tout est permis dans ses règles d’engagement des combats sans aucune sorte de restriction. Les prisonniers sont exécutés, leurs épouses et leurs enfants sont réduits en esclavage. La caméra devient une arme permettant de diffuser des scènes de sauvagerie surclassant et de très loin l’imagination du post-modernisme en matière visuelle, l’on y voit des gens sous les couteaux de coupeurs de têtes qui ne font aucune distinction entre civils et militaires. Tous les lieux conviennent pour verser le sang : les rues, les marchés, les théâtres, les mosquées, etc.

    Dâ‘esh a unifié le monde avec le sang de ses victimes. Mais le monde est impuissant et il ne désire pas unifier sa confrontation avec la sauvagerie daeshienne. La confrontation imbécile qu’ont inventée les États-Unis, lorsqu’une inspiration colonialiste perverse avait amené Bush à envahir l’Irak, était une confrontation entre deux sauvageries, c’est la raison pour laquelle il était naturel que la plus jeune de ces deux sauvageries, qui de plus se bat sur son propre terrain, soit (aujourd’hui) quasi victorieuse.

    Mais, allez-vous sans doute me demander : pourquoi le monde ne se serre-t-il pas les coudes ? Pourquoi ne s’unifie-t-il pas ?

    C’est une histoire qui a quelque chose à voir avec la sauvagerie du capitalisme, la convoitise colonialiste et la compétition autour de la partition du monde arabe.

    Cette question n’est pas adressée au monde, c’est-à-dire à l’Occident et à la Russie, mais bien au monde arabe qui perd son sang et qui est accablé par l’oppression et la tyrannie.

    C’est notre question à nous, et c’est nous qui devons y répondre les premiers, avant de demander une solidarité internationale qui est impossible dans les circonstances politiques internationales actuelles.

    L’attentat sauvage perpétré à Burj Al-Barajné le jeudi 12 novembre a été « complété » par une opération barbare à Paris au soir du lendemain. Deux actes barbares qu’il convient de condamner sans aucune hésitation et sans la moindre réserve. Mais en dépit de la douleur, de la colère et de la stupéfaction, en France, il faut que nous appelions un chat « un chat » : cet attentat n’était pas dirigé seulement contre Paris, mais bien en tout premier lieu contre les Arabes et contre les musulmans. Non pas seulement parce qu’il porte atteinte à leur image dans le monde, mais aussi parce qu’il expose la communauté arabe de France à de une épreuve considérable et parce qu’il contribue à faire monter le discours de droite fascisant en Europe. Le premier objectif des fous de mort de Dâ‘esh, c’est de nous tuer, nous (les Arabes et les musulmans), de nous contraindre à l’isolement et d’écraser la vie qui est en nous.

    La question est donc arabe et nous devons rechercher une réponse rationnelle qui nous habilite à mener le combat contre ce danger absolu qui veut éradiquer nos sociétés.

    Les réponses qui sont apportées aujourd’hui sont insuffisantes et impuissantes. Pire : elles servent, au final, les intérêts du terrorisme.

    La réponse communautariste n’est pas une réponse. En effet, le terreau sur lequel s’est développé Dâ‘esh en Irak était celui de la réponse stupidement communautariste apportée par le gouvernement de sinistre mémoire dirigé par Al-Maliki. Le fondamentalisme sunnite ne saurait être combattu en lui opposant un fondamentalisme chiite. La collision entre ces deux fondamentalismes a conduit nos sociétés à la folie, faisant de nous les otages de forces régionales et internationales. Lever contre Dâ‘esh des armes communautaires, c’est tomber dans un daeshisme à l’envers et cela ne fait que conforter et justifier la pensée fondamentaliste.

    Quant à la réponse par la tyrannie, c’est une recette assurée de la daeshisation de toute chose. Le choix n’est pas entre Assad et Dâ‘esh : l’un et l’autre sont des monstres et les deux sont des machines de destruction. Sans la tyrannie et sa prise d’appui sur les structures communautaires tant en Irak qu’en Syrie du temps du parti Baath, Dâ‘esh n’aurait pas pu s’étendre et devenir capable d’édifier une organisation suscitant la terreur et à la discipline de fer. Toute proposition de coalition à laquelle la tyrannie participerait et toute tentative de présenter la soldatesque sous les jours d’une « alternative » à Dâ‘esh ne feraient qu’accentuer la daeshisation de nos sociétés et à faire de guerres civiles de véritables modes de vie.

    Notre silence sur les collusions avec les monarchies du pétrole et du gaz qui exercent leur hégémonie sur les médias arabes et tentent de s’emparer de la culture arabe par leurs valeurs réactionnaires et leur diffusion de l’obscurantisme religieux est la traduction du fait que nous sommes restés incapables d’affronter cette obscurité. L’obscurantisme fondamentaliste ne saurait être notre allié dans cette bataille, puisqu’il est même, au contraire, la couveuse de la folie noire et l’une des sources de sa force et de son financement. Oussama Ben Laden est issu du sein de ce fondamentalisme, il est le porte-parole authentique de son projet qui est devenu la proie de la corruption après s’être transformé en appareil d’état. De la même manière, le fondamentalisme adverse qui gouverne l’Iran n’est guère en meilleur état. La tentative de renouer avec les sources de la religion (islamique) au moyen d’exégèses réactionnaires contemporaines constitue l’essence du problème.

    Les réponses (au terrorisme) majoritairement apportées en Egypte, en Syrie, en Irak et au Liban n’en sont pas et elles ne permettront pas à ceux qui les formulent de vaincre Dâ‘esh. En effet la guerre qui nous est imposée requiert des conditions qui diffèrent radicalement de cette réalité qui se décompose avec nous et qui contamine tout.

    Le premier problème c’est le fait que cette folie nous a fait perdre notre mémoire et qu’elle nous a fait oublier le combat féroce qui s’était déroulé dans les années 1960 entre le Congrès islamique dirigé par l’Arabie saoudite et le mouvement nationaliste arabe dirigé par l’Égypte nassérienne.

    La mémoire, ça n’est pas la nostalgie ni l’aspiration à l’époque de Nasser avec ses erreurs et ses péchés de tyrannie. Mais nous devons ne pas oublier que Nasser n’a pas été défait par les fondamentalistes, mais par Israël et ses alliés étatsuniens, et que cette folie a commencé par une alliance avec les États-Unis dans la dernière phase de la guerre froide.

    Cette analyse ne débouche pas sur le désespoir, mais sur l’après-désespoir. En effet, il est clair que les forces démocratiques et laïques ont été chassées de l’équation et qu’elles sont aujourd’hui dans un état de complète déréliction, et que donc compter sur un réveil soudain s’est terminé de manière mélodramatique avec le coup d’état militaire en Égypte, qui a surfé sur le refus populaire du pouvoir des « Frères » pour en finir avec la Révolution de janvier.

    Ce qui viendra, après le désespoir, c’est notre volonté de recommencer, modestement et en tenant compte des leçons de nos erreurs et en ayant la sagesse de ne pas réitérer les mêmes erreurs.

    Le début sera difficile, mais pas impossible. Et nous en avons vu des prémices au Liban au travers du mouvement populaire et jeune face à la crise des ordures. Nous assistons aujourd’hui à une ouverture de l’horizon avec le soulèvement en Palestine. Certes, les ordures encombrent encore les rues et la sauvagerie de l’occupation israélienne et son projet millénariste n’ont pas été dissuadés, et ce à quoi nous assistons aujourd’hui tant au Liban qu’en Palestine est une protestation qui ne s’est pas encore mutée en opposition, mais qui comporte la possibilité de cette mutation.

    Cette possibilité est un projet pour un nouveau départ qui ne commencera que lorsque nous disposerons d’une pensée nouvelle et d’une vision claire de la relation entre la liberté et la justice sociale.

    Grande est notre responsabilité. Nous n’avons pas le droit d’accepter de mourir en nous taisant.

    Elias Khouri* « L’unification du monde par le sang ». 16/11/2015


    http://souriahouria.com/lunification-du-monde-par-le-sang-par-elias-khouri-traduit-de-larabe-par-marcel-charbonnier/

    source : http://www.alquds.co.uk/?p=435742

    * Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36450

  • L’origine de l’Etat Islamique et la responsabilité de l’Occident en 5 points (CCR)

    99701640_o.jpg

    Qu’est-ce que l’Etat islamique ?

    Qu’est-ce que l’Etat islamique ? Dans quel contexte a-t-il surgi ? Comment se finance-t-il ? Quelle est la responsabilité des Etats-Unis et de l’Europe ? Cet article retrace quelques éléments clés sur la naissance et les caractéristiques du phénomène Daech.

    1.

    Impossible de comprendre le surgissement de l’État Islamique (EI), ni ce qui se passe actuellement au Moyen Orient, sans revenir sur les conséquences profondes, ni sur la large place des guerres en Irak et en Afghanistan.

    L’invasion et la guerre en Irak, entre 2003 et 2011, fut dirigée par les États-Unis en alliance avec le Royaume-Uni, l’État Espagnol ainsi que d’autres pays.

    Le principal argument utilisé pour justifier la guerre était que Saddam Hussein construisait des armes de destruction massive, mettant en danger les alliés des États-Unis dans la région ainsi que sa propre sécurité. Différentes enquêtes ont montré que c’était un mensonge complet, et que le gouvernement des États-Unis et du Royaume-Uni ont caché ces informations pour justifier la guerre.

    L’invasion de l’Irak faisait partie de la stratégie de « guerre contre le terrorisme » que Bush a déployée, de la main des néoconservateurs Américains avec l’objectif de tenter d’inverser la perte d’hégémonie des États-Unis, en inventant un nouvel ennemi, « l’axe du mal ». Ils se sont nourris de l’idéologie du choc des civilisations développée par le conservateur Samuel Huntington.

    2.

    Les États-Unis cherchaient à « redessiner la carte du Moyen-Orient » et « moderniser l’Irak » selon le « modèle Nord-Américain », ce qui impliquait la promesse de privatisations et de juteux marchés pour les multinationales grâce au pétrole.

    Cependant, la guerre a laissé un pays complètement dévasté, détruisant toutes les infrastructures basiques et les fondements du pouvoir de Saddam Hussein, sans réussir à consolider un nouveau pouvoir stable.

    On compte 150 000 personnes mortes des conséquences de la guerre (certaines sources multiplient pas trois ce chiffre), mais aussi des millions de déplacés et de réfugiés. A la fin de la guerre, la lutte entre les fractions religieuses rivales s’est intensifiée, encouragée par les États-Unis qui ont appuyé la majorité chiite, opprimée par le régime de Saddam, contre la minorité sunnite qui contrôlait jusqu’ici l’État. La chute du régime de Saddam Hussein a laissé 400 000 membres déchus de l’armée, et des fonctionnaires du parti Baas sans travail d’un jour à l’autre. Beaucoup d’entre eux furent enfermés à la prison d’Abu Ghraib où se déroulaient toutes sortes de vexations et de tortures.

    Après le retrait des troupes américaines, le gouvernement chiite a brutalement réprimé les sunnites et d’autres secteurs de l’opposition. Dans ce contexte de haine et de ressentiments, une force réactionnaire a surgi et a débouché sur la création d’Al Qaeda en Irak puis de Daesh, qui a pu recruter des ex-membres, voire officiers, de l’armée de Saddam Hussein joints aux islamistes sunnites radicalisés.

    Comme l’analysait la journaliste Olga Rodriguez, les prisons irakiennes pendant l’invasion américaine, avec ses tortures et vexations inimaginables ont constitué une « école » pour beaucoup de miliciens de Daesh, motivés par leur haine contre l’Occident.

    3.

    L’État Islamique d’Irak et du Levant, territoire qu’ils occupent en Syrie et au Liban, plus connu sous le nom de Daesh, s’est consolidé depuis 2013, en conquérant une grande partie du territoire en Irak et en Syrie. En 2014, ils annoncent la création d’un « Califat islamique ».

    L’idéologie de Daesh est théocratique et totalement réactionnaire, n’acceptant aucune déviation de ce qu’ils considèrent comme le respect des écrits de l’Islam. Ils partagent la méthode des châtiments, des décapitations et lapidations avec l’Arabie Saoudite, où tous ceux qui remettent en cause les valeurs traditionnelles, boire de l’alcool ou conduire une voiture pour les femmes, par exemple sont punis par l’enfermement en prison ou par des décapitations. Daesh a lui-même réalisé des lapidations de femmes accusées d’adultères.

    Daesh proclame une « guerre contre l’Occident » et une « guerre contre les infidèles », ces musulmans qui selon eux sont « déviants » des lois de l’Islam.

    Le récent attentat dans le quartier populaire de Beyrouth, revendiqué par Daesh, montre que ses attentats et ses méthodes réactionnaires sont utilisés (dans la majorité des cas) contre la population arabe et musulmane, mais aussi contre les Kurdes et tous les secteurs de la population en Syrie et en Irak.

    Daesh est une force contre-révolutionnaire et bourgeoise, avec une idéologie intégriste et des méthodes aberrantes contre les populations qu’il contrôle. Ce n’est pas une organisation, comme le Hamas en Palestine ou d’autres, qui en même temps d’avoir une idéologie théocratique, expriment à leur manière des mouvements de libération nationale.

    Sa principale source de financement se trouve parmi les représentants les plus puissants des bourgeoisies pétrolières d’Arabie Saoudite et du Qatar, avec la complicité des gouvernements de ces pays. Il se base aussi sur le contrôle du territoire, des saisies, vols et spécialement de l’usufruit des raffineries de pétrole, que le marché noir capitalise.

    Selon certains analystes, Daesh compte plus de 20 000 combattants étrangers, dont 3 500 viendraient des pays occidentaux, 1 200 français, 600 britanniques, belges et d’autres pays. La précarité, l’islamophobie et la répression que subissent une grande partie des musulmans des pays Européens, sème la haine dont se nourri cette organisation, et s’ajoute à cela les interventions et bombardements des pays comme la France et les États-Unis.

    4.

    La guerre en Syrie, qui a provoqué plus de 250 000 morts en 4 ans, est l’autre terrain où Daesh a pu se renforcer.

    Les intérêts locaux, régionaux et les puissances impérialistes qui s’imbriquent dans le conflit, abondent un terrain favorable pour l’avancement de l’État Islamique.

    L’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie appuient directement ou laissent faire les milices djihadistes qui combattent contre Al-Assad, comme Al Nosra en Syrie et Daesh. L’affrontement de l’Arabie Saoudite avec l’Iran est une coordonnée clé du conflit, qui a favorisé l’expansion de l’État Islamique, une force qui affronte les chiites iraniens. Dans le cas de la Turquie, l’offensive de Daesh contre les Kurdes, est aussi un élément crucial.

    Un document de l’intelligence militaire américaine qui a filtré montrait que les États-Unis avaient connaissance que se préparait la création d’un « califat » sunnite en Syrie, mais considéraient qu’il pourrait servir à éviter le renforcement d’Assad (soutenu par la Russie et l’Iran).

    De l’autre côté, les bombardements de la coalition dirigée par les États-Unis et les pays Arabes n’ont pas servi à vaincre Daesh, personne n’étant disposé pour le moment à s’embarquer dans une opération terrestre massive. Il était très couteux de répéter le désastre produit en Irak.

    5.

    L’échec des « printemps arabes » est une autre clé d’explication du cours contre-révolutionnaire qu’a pris la situation au Moyen-Orient, avec le renforcement des forces réactionnaires comme Daesh, la guerre en Syrie, la nouvelle offensive de l’État d’Israël contre le peuple palestinien ainsi que le tournant répressif et bonapartiste d’Erdogan en Turquie contre les Kurdes et la gauche radicale.

    L’actuel tournant guerrier de Hollande en France, l’intensification des bombardements en Syrie et l’augmentation des tendances xénophobes et islamophobes en Europe, n’ont que vocation à renforcer ce tournant réactionnaire.

    Traduction : Elise Duvel Publié le 19 novembre 2015 Josefina L.Martinez

    http://www.revolutionpermanente.fr/L-origine-de-l-Etat-Islamique-et-la-responsabilite-de-l-Occident

    Commentaire: Le CCR est un courant minoritaire du Npa

  • Nouveautés sur Orient 21

  • Nouveautés sur A l'Encontre.ch

    L’Etat islamique est aussi la créature du baasisme

    18 - novembre - 2015 Publié par: Alencontre

    Par Matthieu Rey L’émergence de l’Etat islamique (Daech) tient directement à deux expériences récentes – la guerre civile irakienne et la révolution syrienne – et à une matrice commune – le règne du parti Baas pendant trente ans. Il n’est pas anodin que ce nouvel acteur politique soit apparu en Irak et en Syrie, deux […]

    Attentats: «De quelle guerre s’agit-il?»

    18 - novembre - 2015 Publié par: Alencontre

    Par Etienne Balibar Nous sommes en guerre. Ou plutôt nous sommes tous désormais dans la guerre. Nous portons des coups, nous en recevons. Après d’autres, avant d’autres, hélas, prévisibles, nous en payons le prix et nous en portons le deuil. Car chaque mort est irremplaçable. Mais de quelle guerre s’agit-il? Il n’est pas simple de […]

    Attentats. «Ce n’est pas à l’amour de nos libertés» que les djihadistes s’en prennent

    17 - novembre - 2015 Publié par: Alencontre

    Par François Burgat «Ce n’est pas une armée, ce sont des criminels», «Ils en veulent à ce que nous sommes, pas à ce que nous leur faisons», «C’est à notre amour de la liberté qu’ils veulent s’en prendre», etc. La première fois que l’on m’a expliqué que «s’ils nous attaquent c’est qu’ils veulent s’en prendre […]

    Les ambitions régionales de la République islamique d’Iran

    17 - novembre - 2015 Publié par: Alencontre

    Par Babak Kia L’accord sur le dossier du programme nucléaire iranien conclu à Vienne le 14 juillet dernier par la République islamique d’Iran et le groupe des 5+1 (cinq Etats membres du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne) signe le nouveau statut de la mollahrchie au Moyen-Orient. Cet accord voulu par le Guide de la […]

    «A la fois contre Daech et contre Assad»

    16 - novembre - 2015 Publié par: Alencontre

    Par Jean-Pierre Filiu Au-delà de l’horreur qui nous a saisis, face au carnage des attentats du vendredi 13 novembre, il importe de dépasser la lecture au premier degré de la propagande djihadiste. Car Daech, le bien mal nommé «Etat islamique», ment avec autant de constance que les autres organisations totalitaires. Accepter que les attentats de Paris […]

    «Prendre parti pour une communauté contre une autre revient à tomber dans le piège que tend l’Etat islamique»

    16 - novembre - 2015 Publié par: Alencontre

    Entretien avec Pierre-Jean Luizard conduit par Jospeh Confavreux Les attentats commis à Paris vendredi, comme ceux de Beyrouth il y a quelques jours, ceux contre l’avion russe dans le Sinaï et ceux d’Ankara il y a quelques semaines, sont-ils le signe que Daech est en plein essor ou, au contraire, qu’il est menacé militairement sur […]

    France. «Sur les commandos qui ont mené les attaques du 13 novembre au soir»

    15 - novembre - 2015 Publié par: Alencontre

    Entretien avec David Thomson conduit par Joseph Confavreux David Thomson est journaliste à RFI (Radio France International), spécialiste du djihadisme. Il a récemment publié Les Français jihadistes, aux éditions des Arènes. Que peut-on dire des commandos qui ont mené les attaques à Paris vendredi soir? Il faut rester prudent, parce qu’on a pour le moment […]

     
  • Étiqueter les produits des colonies ne fait que renforcer l’occupation (AGP)

    Afficher l'image d'origine

    Quand le gouvernement israélien fait tout ce qu’il peut pour effacer la Ligne verte et soumettre l’économie palestinienne, le boycott des produits des colonies ne contribue guère à remettre en cause le régime.

    Pour comprendre la décision de jeudi du Parlement européen de soutenir, à une majorité écrasante, une motion défendant l’étiquetage des produits fabriqués dans les colonies de Cisjordanie, il nous faut revenir à un autre évènement qui s’est produit en Europe, quelques semaines en arrière.

    Il y a deux semaines, une chaîne de supermarchés du Luxembourg, « Cactus », a décidé de boycotter les fruits et légumes cultivés en Israël. La raison : les producteurs de légumes israéliens n’indiquent pas que leurs produits viennent des colonies. Résultat : après une pression des consommateurs contre la vente des produits des colonies, Cactus a décidé de ne plus vendre de produits israéliens du tout.

    Retour au Parlement : le sens de la décision d’étiqueter les produits, qui est appelée à devenir la politique effective de la Commission européenne, est double. D’un côté, nous voyons une nouvelle manœuvre diplomatique de la part de l’UE comme le résultat de son mécontentement devant une occupation qui dure, et d’un autre, un gouvernement israélien (et une direction de l’opposition) qui semble ne jamais se soucier d’y mettre fin.

    Vous croiriez entendre une personne semi-critique, au Luxembourg ou à Berlin, disant : « Je n’achète pas de produits des colonies ». Lui ou elle pourrait même ajouter : « Mais je ne suis pas anti-Israël. Au contraire. J’achète les produits israéliens qui ne sont pas entachés par le régime militaire ».

    Ceci en dépit du fait que la séparation entre les deux est totalement artificielle. Après tout, comment considérer un produit fabriqué à l’intérieur d’Israël, mais qui utilise des matières premières venant de Cisjordanie et envoie ses déchets dans une zone industrielle qui exploite les Palestiniens ? Comment est-on supposé considérer une banque dont le siège se trouve boulevard Rothschild à Tel Aviv mais qui accorde des prêts-logement pour des maisons dans des colonies en Cisjordanie ? Ou qu’en est-il d’un produit fabriqué entièrement en Israël, mais pour lequel la société paie des impôts qui finissent par se retrouver dans le budget de la Défense, dans la prochaine guerre contre Gaza, ou les démolitions de maisons dans la vallée du Jourdain ?
    Un optimisme à long terme ?

    L’Union européenne s’emploie à mettre en évidence la Ligne verte dans une réalité où Israël continue de l’effacer à chaque fois que ça l’arrange. L’UE veut faire comme s’il y avait deux régimes différents séparés – un, démocratique, légitime, en Israël, et un régime militaire sur une terre lointaine –, dans une réalité où il n’existe aucune distinction entre les deux régimes dirigés par le même gouvernement à Jérusalem.

    Comme Noam Sheizaf l’a écrit récemment, l’UE continue d’aider Israël à maintenir l’occupation tout en s’abstenant de mesures réelles pour en limiter les activités. Dans le même temps, elle dépense de l’argent pour des infrastructures destinées aux Palestiniens – ce qui devrait être une obligation d’Israël étant le seul dirigeant souverain des territoires occupés.

    Cependant, on peut se faire plus optimiste, et dire qu’il y a quelque chose d’encourageant avec ces tentatives de l’UE d’appuyer ses déclarations et d’essayer activement de nuire à l’économie des colonies. Il y a quelque chose de positif s’agissant de l’opinion israélienne contrainte de prendre en compte le fait que, même selon la loi israélienne, les colonies sont situées de l’autre côté des frontières du pays, et qu’elles sont une partie inséparable d’un régime unique qui maintient deux systèmes juridiques différents.

    On peut également dire que la mesure actuelle est seulement la première de beaucoup d’autres, et qu’alors que monte la pression par l’UE pour séparer les colonies du reste du pays, le maintien de l’occupation va devenir beaucoup plus difficile.

    Tout cela semble très loin de là où nous nous en sommes aujourd’hui, et ne fait certainement pas rapprocher les Palestiniens de la liberté, de l’indépendance et de l’égalité. La solution dont ils ont besoin se trouve quelque part entre deux États souverains, démocratiques, interconnectés, et un État pour les deux nations. Mais pour en arriver là, nous devons d’abord reconnaître le fait qu’il n’existe aujourd’hui qu’un seul État, qui comprend des îlots de prisons pseudo-autonomes pour les Palestiniens. C’est le même État des deux côtés de la Ligne verte.

    Jusqu’à ce que nous ayons intériorisé cette réalité, les Cactus du Luxembourg pourraient bien recommencer à vendre des produits israéliens.

    Haggai Matar est un journaliste israélien et militant politique. Après avoir écrit pour Ha’aretz et Ma’ariv (où il est devenu président de la section syndicale des journalistes), il est maintenant le coéditeur de Local Call,  le site + 972 en hébreu. Il a reçu le Prix Anna Lindh du Journalisme Méditerranéen 2012 pour ses articles sur +972 sur le mur de séparation.

    Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

    Haggai Matar

    Source: +972

    http://www.agencemediapalestine.fr/blog/2015/11/16/etiqueter-les-produits-des-colonies-ne-fait-que-renforcer-loccupation/

  • Leila Seurat, le Hamas au-delà des discours (Afps)

    Diplômée d’un doctorat en science politique, et du master de recherche « monde musulman » de Sciences-Po Paris, Leila Seurat est actuellement chercheure associée au Centre de Recherches Internationales (CERI/ CNRS). Son travail interroge le couple intérêt/idéologie à travers le cas du Hamas. Le mois dernier, elle a publié aux éditions du CNRS Le Hamas et le monde, préfacé par Bertrand Badie, qui fut son directeur de thèse. Loin des discours dogmatiques, des préjugés religieux, et de certaines idées reçues, l’ouvrage met en lumière la « boîte noire » du mouvement islamiste palestinien : stratège pragmatique, intransigeant et négociateur, parti de gouvernement.

    Thomas Vescovi, Conseil national de l’AFPS, mardi 3 novembre 2015

    Avant d’évoquer votre livre, et l’actualité, pouvez-vous expliquer ce qu’est le Hamas ?

    Le Hamas est la branche palestinienne des Frères Musulmans. Ces derniers étaient présents en Palestine bien avant la création d’Israël, puisque le frère de Hassan al-Banna, fondateur et théoricien du mouvement, avait réalisé un voyage en Palestine à la fin des années 1930 pour y ouvrir un bureau, à Jérusalem-Est. Les militants de ce mouvement vont d’ailleurs être très actifs dans la première guerre israélo-arabe, entre 1947 et 1949, et vont payer un lourd tribut. Cette précision est importante car les autres forces politiques palestiniennes accusent régulièrement le Hamas d’être arrivé sur le tard, de ne pas être « vraiment » nationaliste. En réalité, jusqu’en 1967, des militants du mouvement vont participer à différentes actions armées contre les forces d’occupation, particulièrement dans la Vallée du Jourdain.

    Pour contrer le caractère nationaliste du Hamas, le Fatah insiste sur la posture attentiste du mouvement jusqu’au déclenchement de la première Intifada. Or nous savons qu’en 1984, le cheikh Yassine avait été arrêté pour possession d’armes. Il est vrai que ses différents militants vont converger, au moment du déclenchement du soulèvement populaire de décembre 1987, pour quitter leur posture quiétiste et participer pleinement à la lutte armée. Le Fatah comme le Jihad islamique étaient nés d’une scission au sein des Frères Musulmans, critiquant leur immobilisme face à Israël.

    Le soir du déclenchement de la première Intifada s’organise une réunion, dans la résidence de cheikh Yassine, où est décidée la création du Hamas, officialisée deux jours plus tard. Il faudra attendre le mois d’août 1988 pour que la Charte du mouvement soit rendue publique.

    De par ses liens avec les Frères Musulmans, le Hamas est entouré d’une image négative, celle d’un mouvement islamiste, employant les armes du terrorisme. Dans quelle mesure le Hamas distingue-t-il, dans ses actions et son idéologie, le religieux du profane ?

    Ma thèse démontre qu’il n’y a pas de dichotomie entre les intérêts et l’idéologie. L’idéologie n’est d’ailleurs pas forcément religieuse. Une idée en soi n’est pas une idéologie, mais la manière dont elle est construite peut devenir une idéologie. De part la lecture des origines du conflit proposée par le Hamas, la Résistance devient ainsi une idéologie. Avec le déclenchement des « Printemps arabes », s’est constitué un nouveau discours, plaçant le Hamas au centre de l’énergie populaire des soulèvements, un précurseur, un exemple à imiter. L’élément principal n’était pas l’utilisation du religieux, mais la victoire électorale du Hamas aux législatives palestiniennes de 2006. Dans ce schéma, l’idéologie, qu’elle soit religieuse ou non, ne fait qu’accompagner, des intérêts contingents. Son caractère religieux n’en fait pas un mouvement différent des autres partis politiques. La singularité du Hamas par rapport aux autres mouvements issus des Frères Musulmans, c’est l’emploi de la lutte armée.

    Justement, quelle est la place d’Israël dans ce jeu idéologique ?

    Il existe un flou sur cette question. Certains dirigeants affirment que le Hamas n’entretient aucune forme de relation avec Israël, que ce soit de manière directe ou indirecte. Pour autant, d’autres dirigeants affirment que, pour les questions humanitaires ou celles relatives aux prisonniers, ils peuvent mener des négociations indirectes avec Israël. Le reste est considéré comme illicite. L’objectif est évidemment de se différencier dans l’opinion publique de l’Organisation de Libération de la Palestine. Concrètement, l’étude des différents dossiers montrent d’une part les tractations entreprises entre le Hamas et Israël sur différentes questions, avec souvent l’Egypte comme médiateur, particulièrement lorsqu’il est question de trêves ; d’autre part des cas où des dirigeants du Hamas se sont entretenus directement avec leurs homologues israéliens sans intermédiaire comme l’ont montré les négociations autour de la libération du soldat Gilad Shalit : Ghazi Hamad, vice ministre des affaires étrangères du Hamas représentait le Hamas et Girshon Baskin, un universitaire, Israël. Ce sont bien des négociations directes qui ont contribué à conclure cet accord d’échange de prisonniers.

    En 2006, le Hamas a remporté les élections législatives palestiniennes, sortant de l’opposition pour former à lui seul le gouvernement de l’Autorité Palestinienne. Comment le mouvement s’est adapté à ce nouveau contexte ?

    Il y a eu une première rupture en 2005. Au mois de mars, les accords du Caire, signés par toutes les factions palestiniennes, consacrent la participation du Hamas au jeu électoral. Jusque là, celui-ci ne participait qu’aux élections locales. Le Hamas avait ainsi refusé de participer aux élections législatives de 1996, considérant qu’un engagement dans ce processus signifierait une reconnaissance de l’Autorité Palestinienne, et une manière de légitimer les accords d’Oslo. Pour expliquer, cette volte face, il assure que désormais les accords d’Oslo sont morts ; la participation aux structures de l’AP ne peut donc plus les légitimer. Toutefois, il est évident qu’au delà du discours, l’objectif du Hamas était indéniablement de profiter des ressources offertes par l’Autorité Palestinienne, née de ces accords.

    Cette même année 2005 coïncide également avec la sortie d’Israël de la bande de Gaza. L’armée est cantonnée aux portes du territoire, et les colonies sont démantelées. Pour le Hamas, c’est une victoire de la résistance. C’est d’ailleurs sur ce point qu’il faut lire aujourd’hui les différences d’appréciation du soulèvement : pour le Fatah qui se situe plutôt dans une logique d’apaisement, la seconde Intifada a été un échec ; pour le Hamas au contraire qui prône l’élargissement de la mobilisation, la seconde intifada n’a été qu’un échec partiel puisqu’elle a quand même conduit à l’évacuation de la bande de Gaza.

    L’autre élément à souligner tient dans l’affirmation répétée du Hamas à la légitimité du gouvernement formé en mars 2006. Ce gouvernement, mené par Ismaël Haniyeh, va tenir onze mois. Une période courte mais considérée par le Hamas comme une apogée. Dans les faits, ce gouvernement a souffert du fait que quasiment tous les Etats arabes, ainsi que la communauté internationale, continuaient à considérer l’OLP comme seule et unique représentante du peuple palestinien. Arrive ensuite 2007, et la prise de Gaza par la force par le Hamas. Commence une période de discrédit pour le Hamas, notamment parce que le second gouvernement qui va être créé, mené par Salam Fayyad, est rapidement reconnu comme légitime par les Etats arabes et la communauté internationale.

    Les Printemps arabes ont signifié une redistribution de certaines cartes politiques pour le Hamas, puisque son chef Khaled Mechaal a quitté Damas, où le mouvement avait son leadership extérieur, au profit de Doha, au Qatar. Quelle est la situation depuis ?

    Les guerres qui ont lieu aujourd’hui au Moyen-Orient s’enlisent vers une confessionnalisation entre sunnites et chiites. Les ruptures sont à plusieurs échelles. D’abord l’axe chiite, Iran, Syrie, Hezbollah, qui soutenait financièrement le Hamas, est mis à mal. Des militants du Hamas ont participé à la lutte contre les troupes d’Assad, voire sur certains terrains, les combattants du Hezbollah. Ensuite, il faut aussi remarquer que ces divisions concernent aussi le monde sunnite, entre les Frères musulmans et les différentes mouvances se réclamant du salafisme, des quiétistes aux jihadistes. Ces luttes ont lieu au sein même de la bande de Gaza où des groupes qui se revendiquent de Daech bien que ne lui étant pas officiellement affiliés, combattent le Hamas.

    En février 2012, lorsque Mechaal a quitté définitivement Damas, il y a eu une période de flou, son bras droit Abu Marzouk essayant de faire réinstaller les bureaux au Caire. Finalement Doha a représenté une base plus stable pour le mouvement. La période de transition est terminée puisque le bureau politique du Hamas est en train de se reconstituer au Qatar. Un élément sensible de cette recomposition régionale est le rapprochement entre le Qatar et l’Arabie Saoudite, de moins en moins virulente à l’égard des Frères Musulmans. Pour les Saoudiens, la menace principale reste l’Iran. Ils essayent donc de fortifier leurs liens avec l’ensemble des acteurs politiques sunnites de la région, y compris du côté des Frères musulmans et du Hamas, afin d’empêcher ce dernier de consolider à nouveau ses relations avec la République islamique. Toutefois, ces signes ne constituent pour l’instant que les prémices d’un possible réalignement stratégique du Hamas et d’un rapprochement significatif avec l’Arabie saoudite qui n’a pour l’instant pas encore pris forme. Si en juillet dernier, Mechaal s’est rendu en visite à Doha, où il n’était plus le bienvenu depuis 2007, l’Arabie Saoudite nie ces rapprochements, indiquant que l’objet de sa visite n’était pas religieux et martelant que l’OLP demeure seul représentant du peuple palestinien.

    L’Iran avait en effet très mal accueilli la réorientation de politique étrangère préconisée par Mechaal. En juin 2013, le Cheikh Youssef al-Qardawi accusa dans un discours à la grande mosquée de Doha, en présence de Mechaal, l’Iran et le Hezbollah de faire le jeu des sionistes. Le même mois, dans un communiqué, Mechaal demandait solennellement à l’Iran de se retirer de Syrie. Les réponses iraniennes visent essentiellement Mechaal, devenu persona non grata à Téhéran, et non les dirigeants du Hamas à Gaza, puisque l’on sait que les figures des brigades des martyrs d’al Qassam, branche armée du mouvement, refusent la rupture avec leur financier iranien.

    L’Union Européenne considère le Hamas comme un mouvement terroriste. Celui-ci cherche-t-il à se faire accepter par l’Occident ?

    Le Hamas cherche à obtenir la reconnaissance. Depuis 2006, le mouvement a multiplié les tentatives pour obtenir cette légitimité obtenue par les urnes et pourtant « bafouée ». L’Union européenne est centrale dans ce travail de lobbying : à travers l’action diplomatique de ses députés, invités par la Fédération Internationale des Parlementaires ou par d’autres institutions européennes, le Hamas tente d’être reconnu en tant que gouvernement légitime. Des membres du Hamas et de son instance exécutive se rendent souvent en Europe via leur statut de député. C’est le cas de Mouchir al-Masri qui s’est rendu plusieurs fois à Genève entre 2012 et 2014. Néanmoins, ces visites se font exclusivement dans un cadre parlementaire, et il arrive fréquemment qu’elles soient annulées, lorsque l’étiquette de membre du Hamas est révélée publiquement. Ce qui est intéressant, c’est que ces pressions ne viennent pas seulement d’Israël ou de groupes soutenant Israël, mais aussi de l’OLP qui souhaite demeurer l’unique interlocutrice.

    Depuis plusieurs mois différents médias spéculent autour d’un accord entre Israël et le Hamas, via la médiation de Tony Blair, visant la mise en place d’une ligne maritime pour désenclaver Gaza. Tractation que l’OLP considère être une atteinte au projet national palestinien, les négociations ne se faisant pas sur Gaza et la Cisjordanie, mais uniquement sur Gaza. Qu’en est-il vraiment ?

    Il y a des faits avérés de discussions entre les Israéliens et le Hamas depuis l’hiver 2014 visant à une trêve de longue durée en échange d’une ligne portuaire depuis la partie turque de Chypre vers Gaza. Ne nous trompons pas, cela n’implique pas un port, mais une ligne portuaire. Les cargaisons seraient déchargées à plusieurs milles de la baie de Gaza, et les débats portent notamment sur qui contrôlerait ce point de connexion entre la ligne portuaire et Gaza. Par ailleurs, les négociations se font à Doha, donc même si un l’accord parvenait à être signé, rien ne peut présager que les autorités du Hamas à Gaza l’acceptent. Mais, vu la situation humanitaire désastreuse de la bande de Gaza, on peut imaginer qu’un accord soit accepté y compris par le Hamas de l’intérieur pour lequel l’assouplissement du blocus par Israël demeure une priorité. Ce qui est certain, c’est qu’en poursuivant de telles discussions avec Israël, le Hamas, depuis Doha, fait le jeu de l’État hébreu qui cherche à divise les Palestiniens et à échapper à l’édification d’un État.

    Le Hamas n’est-il pas concurrencé par d’autres mouvements palestiniens, à commencer par le Jihad islamique palestinien ?

    Politiquement non, puisque le Jihad islamique ne participe pas aux élections, et ne revendique pas, comme le Hamas, une large base militante. En revanche, sur la lutte armée, le Jihad islamique accuse le Hamas de ne plus être un mouvement de résistance, d’avoir accepté trop de compromis pour rester au pouvoir. Tout n’est pas soluble dans la résistance.

    Là où il y a concurrence également, c’est sur les liens avec l’Iran. Actuellement, Téhéran est sans doute plus proche du Jihad islamique, qui à l’inverse du Hamas n’a pas pris position en Syrie, et dans sa lutte contre Israël s’avère tout aussi efficace. Les salafistes quant à eux rejettent à la fois le Hamas et le Jihad Islamique, jugés pro-Chiites. Cela ne mérite cependant pas que l’on spécule, mais c’est une donnée à prendre en compte.

    Le soulèvement actuel semble se focaliser sur la Cisjordanie et les Palestiniens d’Israël. Comment le Hamas gère-t-il la bande de Gaza dans ce contexte ?

    Le Hamas a clairement affirmé son soutien au soulèvement, tout en refusant de lancer des roquettes. Ses forces de sécurité empêchent d’ailleurs toutes les autres factions armées d’opérer des actions contre Israël. Son soutien ne reste donc qu’au niveau du discours. Il y a deux choses à retenir. La première c’est que le Hamas est fatigué de ces trois dernières guerres à Gaza, particulièrement de la dernière. Il ne souhaite donc pas pour l’instant prendre part à la mobilisation. Par ailleurs, l’amplification du soulèvement en Cisjordanie peut également favoriser le Hamas dans sa volonté de décrédibiliser l’Autorité Palestinienne. Le Hamas cherche à tout prix à mettre en difficulté Abbas notamment sur la question de la gestion des Lieux Saints, jugé incapable de les protéger, et la coordination sécuritaire. Dernièrement, à Hébron, le Hamas a accusé des policiers palestiniens en civil d’empêcher les manifestants de lancer des pierres. En bref, selon lui, Abbas étoufferait l’avancée de l’Histoire, alors que le Hamas l’impulse.

    http://www.france-palestine.org/Leila-Seurat-le-Hamas-au-dela-des-discours?var_mode=calculhttp:

  • L’enquête sur l’assassinat du militant communiste Henri Curiel pourrait être relancée (Les Inrocks)

    Henri Curiel (Capture d'écran @FanceInter)

    Dans un témoignage posthume, le militant d’extrême droite René Resciniti de Says revendique l’assassinat du militant anticolonialiste Henri Curiel, en 1978. L’avocat de la famille a déposé plainte avec constitution de partie civile.

    Qui a tué le militant communiste et anticolonialiste Henri Curiel, le 4 mai 1978 dans l’ascenseur de son immeuble, à Paris ? Depuis trente-sept ans, cette question est restée sans réponse, car ses deux tueurs n’ont jamais été retrouvés, l’assassinat n’ayant été revendiqué que par un mystérieux “groupe Delta”.

    “Ces dernières années, René devenait bavard”

    Officiellement, l’affaire a été classée sans suite, après un non-lieu. Mais un nouveau témoignage pourrait relancer l’enquête. Pour la première fois, un homme revendique cette exécution dans un livre paru en mai dernier, Le Roman vrai d’un fasciste français, du journaliste Christian Rol (éd. La Manufacture de livres). Celui-ci a recueilli les confidences de René Resciniti de Says, dit l’Elégant, militant nationaliste, avant sa mort en 2012.

    “Ces dernières années, René devenait bavard… […] Sa mort a levé le contrat moral qui nous liait, explique le journaliste Christian Rol dans son avant-propos. S’il était exclu de publier quoi que ce soit de son vivant sans son aval, en revanche, rien ne s’opposait à ce que ce récit lui survive.”

    Parmi les secrets révélés dans ce livre, celui de la mort d’Henri Curiel, militant tiers-mondiste, cofondateur du mouvement communiste au Caire avant-guerre, exilé en France. Selon le témoignage rapporté par Christian Rol, René Resciniti de Says a abattu Henri Curiel de trois balles avec un comparse avant de disparaître dans la foule et de remettre l’arme du crime (un Colt 45) à un troisième homme, le tout sur ordre de Pierre Debizet, patron du SAC, la milice du parti gaulliste.

    “Un agent de Moscou à refroidir, c’est dans le cahier des charges”

    L’attentat est revendiqué auprès de l’AFP comme suit :

    “Aujourd’hui, à 14 h, l’agent du KGB, Henri Curiel, militant de la cause arabe, traître à la France qui l’a adopté, a cessé définitivement ses activités. Il a été exécuté en souvenir de tous nos morts. Lors de notre dernière opération, nous avions averti. Delta”.

    Dans Le Roman vrai d’un fasciste français, René Resciniti de Says assume son acte de manière totalement décomplexée :

    “A l’époque, c’est la guerre froide. Curiel nous est présenté comme le super-agent  de la subversion – même si à l’époque il n’avait aucune activité contre la France. Nous, on ne se pose pas de questions: un agent de Moscou à refroidir, qui plus est traître à la France en Algérie, c’est dans le cahier des charges.”

    Christian Rol reconnaît les limites de l’exercice qui consiste à rapporter ce témoignage, alors que le protagoniste est décédé : comment en vérifier la véracité ? Mais il affirme que celui-ci ne relève pas du délire mythomane, et précise même qu’il y a des acteurs toujours vivants de cette histoire : “Les protagonistes supposés de cette affaire, des amis de certains de mes amis, ne sauraient, évidemment, être cités sous leurs vrais noms… et encore moins être entendus. On ne plaisante pas avec ces gens-là…”

    “Des bouches pourraient s’ouvrir”

    Pour Me William Bourdon, avocat de la famille d’Henri Curiel, contacté par Les Inrocks, ce témoignage est susceptible de relancer l’enquête : “Il est essentiel : c’est la première fois que quelqu’un s’auto-désigne comme un des auteurs du crime, même si c’est post-mortem. On sait qu’il y a au moins deux auteurs, mais un crime politique comme celui-ci implique une organisation. Il est de bon sens de dire que si un des auteurs est décédé, ce n’est pas forcément le cas de ses complices.”

    Pour l’avocat, la plainte avec constitution de partie civile qui a été déposée auprès du doyen du juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Paris devrait conduire à la désignation d’un juge, ce qui n’avait pas été le cas précédemment car personne n’avait été identifié. 28/10/2015 | 11h34

    http://www.lesinrocks.com/lenquete-sur-lassassinat-du-militant-communiste-henri-curiel

    Lire aussi:

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Curiel

  • Syrie. La «guerre sainte» russe… dans l’attente de ses contrecoups (Al'Encontre.ch)

    Le vendredi 23 octobre 2015, à Vienne, étaient réunis les ministres des Affaires étrangères de la Russie, des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite et de la Turquie. Le statut de Bachar el-Assad dans une prétendue transition – Bachar se déclarant prêt à des «élections» (il en a l’expérience, comme Poutine!) – était l’objet affirmé de négociations, sans divergences sur le fond entre les Etats-Unis, la Russie… et l’Allemagne.

    Depuis le 30 septembre, après avoir bien préparé le terrain, Poutine s’est affirmé comme acteur de premier rang, pour l’instant, en Syrie. Ses forces armées sont même invitées en Irak par des porte-parole du gouvernement. Pendant ce temps, l’offensive cathodique nationaliste en Russie est plus intense que les bombes lâchées par les Sukhoï sur Daech. 

    Et l’échéance des sanctions économiques contre la Russie initiées en juillet 2014 – et liées à la «mise en œuvre des accords de Minsk» – approche. Un thème qui pourrait aussi être négocié dans le cadre de la relance de la politique «impériale» russe face à un impérialisme états-unien en déroute dans la région moyen-orientale. Pendant ce temps, de nouvelles fractions d’une population syrienne terriblement meurtrie cherchent refuge en se déplaçant dans un pays détruit ou en gonflant le «flux des réfugié·e·s». Nous publions ci-dessous un article de David Hearst qui vise à resituer la nouvelle politique du Kremlin dans cette région. Un début en fanfare dont la tonalité pourrait changer à moyen terme. (Rédaction A l’Encontre)

    Un an et demi après que Mouammar Kadhafi a été retrouvé caché dans une canalisation d’eaux usées et lynché, une vidéo mystérieuse en russe a été publiée sur YouTube, dans laquelle le Premier ministre Dmitri Medvedev était dénoncé comme un traître. Cette vidéo d’une heure à la réalisation remarquable et au casting haut de gamme de personnes interviewées, dirigé par l’ancien vétéran du KGB au Moyen-Orient Evgueni Primakov, semblait à l’époque être l’œuvre du FSB [Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie], le successeur du KGB.

    La thèse énoncée dans la vidéo était la suivante: Medvedev était un traître en ce sens qu’il avait signé les résolutions de l’ONU [résolution 1970 du 26 février 2011] autorisant l’intervention en Libye. Elle accusait le Premier ministre russe d’être faible et prêt à abandonner les intérêts de la Russie à une Amérique fourbe.

    Et les intérêts russes en Libye? Leonid Ivachov, général à la retraite et président de l’Académie russe des problèmes géopolitiques, les définissait ainsi: «Nous avons perdu un allié important, un partenaire stratégique important et des milliards ont été perdus pour notre économie et notre industrie de la défense.»

    La scène suivante montrait un groupe de travailleurs de l’usine d’ingénierie de KB Mashinostroyenia, à la périphérie de Moscou: «Outre les pertes matérielles, il y a également une perte de moral, quand on pense que tout ce pour quoi l’on travaille depuis tant d’années n’est plus nécessaire», raconte Leonid Sizov.

    La rage du FSB contre Medvedev soutient la thèse selon laquelle c’est le souvenir amer du cas libyen plutôt que les humiliations militaires russes plus éloignées en Afghanistan, au Kosovo ou en Tchétchénie qui ont motivé le projet actuel de Poutine de prendre le siège du pilote en Syrie.

    Dans d’autres instances, les commentateurs russes adeptes de la volte-face (servilement pro-occidentaux sous Boris Eltsine, avant de s’ériger en patriotes nationalistes sous Poutine) ont contesté et rejeté le Printemps arabe. Il était convenu qu’une telle chose n’existait pas. Tous ont affirmé que la Tunisie et la place Tahrir au Caire étaient des opérations spéciales de la CIA, comme l’avaient été les «révolutions de couleur» en Europe de l’Est.

    Ces mêmes analystes payés par le Kremlin estimaient que le renversement de Kadhafi n’avait rien à voir avec un soulèvement civil contre un régime brutal. Il s’agissait d’une prise du pétrole par des Américains assez stupides pour utiliser des miliciens comme intermédiaires, tout comme ils l’avaient fait en Afghanistan contre l’armée soviétique. Après tout, la Libye était le territoire des Russes en Afrique du Nord.

    Il y a plusieurs failles dans cette analyse, notamment l’hypothèse que tout ce qui se passe au Moyen-Orient est l’expression de la relation obsessionnelle de Poutine vis-à-vis de l’Amérique. Cependant, cela n’exclut pas les parallèles entre le comportement de Bush en Irak et le comportement de Clinton en Russie.

    L’arrogance avec laquelle Bush pensait qu’il pouvait briser puis remodeler l’Etat irakien en 2003, et que les obus jeffersoniens [allusion au rapport du président Thomas Jefferson – 1801 à 1809 – aux «Droits de l’homme»] de la démocratie seraient tirés par les canons des chars américains, a eu un précédent avec les efforts de l’administration Clinton pour remodeler l’Etat russe après 1992 [suite au retrait des troupes russes de pays Baltes et l’intégration de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque dans l’OTAN, soutien financier à l’administration Elstine]. Les deux projets, qui ont échoué, ont toutefois été le fruit de la même idéologie, selon laquelle après l’effondrement du communisme et avant l’émergence d’une flotte chinoise, tous les obstacles aux projections de puissance des Etats-Unis étaient levés.

    Poutine savait donc qu’il était en train de changer, actuellement, les règles du jeu en Syrie, mais il ne l’a pas fait sans préparer le terrain. Il s’est également affairé à créer des coalitions de volontaires [référence au terme coalition of the willing montée par les Etats-Unis à l’occasion de la guerre en Irak]. De manière décisive, la construction d’une coalition contre le groupe Etat islamique (Daech) avec Bachar el-Assad comme pièce maîtresse a été initiée en tant que démarche irano-russe après la percée des pourparlers sur le nucléaire. Mais Poutine avait besoin d’alliés arabes.

    Des alliés qu’il a trouvés en Jordanie, aux Emirats arabes unis et en Égypte. Mêlant des affaires avec encore plus d’affaires, Poutine a fait venir le roi Abdallah de Jordanie, le prince héritier des Emirats arabes unis Cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi à un meeting aérien militaire organisé août 2015 à Moscou. La Jordanie a récemment retiré son soutien aux forces rebelles syriennes sur le front sud [et vendredi 23 octobre 2015, la Jordanie, très dépendante militairement et financièrement des Etats-Unis, a annoncé la mise en place d’un «mécanisme de coordination» avec la Russie; Amman voudrait plus d’aide matérielle pour la «gestion des réfugiés» et craint des effets d’une chute brutale du régime de Bachar el-Assad, ses services sont toujours restés en contact avec Damas].

    De même, l’Egypte, qui a évité d’afficher un soutien pour Assad, soutient désormais ouvertement l’intervention russe au nom de ce dernier. Le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Shoukry a déclaré dès le 3 octobre 2015 que «l’entrée de la Russie, compte tenu de son potentiel et de ses capacités, est un élément qui contribuerait à limiter le terrorisme en Syrie et à l’éradiquer».

    S’exprimant sur Al Manar, la chaîne de télévision du Hezbollah, l’analyste russe et ancien diplomate Vitslav Matozov a assuré que la Russie a reçu le soutien d’un pays arabe qu’il n’a pas souhaité identifier. Il a fait fortement allusion aux Emirats arabes unis lorsqu’il a affirmé que «la position égyptienne en faveur des frappes est le reflet de la position d’Abou Dhabi». Il a ajouté qu’«il ne fait aucun doute que la voix du Caire est la voix de fond d’un Etat du Golfe autre que l’Arabie saoudite».

    La Russie dispose d’un quatrième allié dans le cadre de sa campagne de bombardement: Israël. Netanyahou a maintenu sa relation avec Poutine, advienne que pourra. A un moment donné, il a fait en sorte que Poutine retire de ses wagons à plate-forme une livraison de missiles surface-air S300 en partance pour l’Iran. Dimanche 4 octobre, Maariv a cité une source militaire israélienne qui a affirmé que la poursuite de la guerre civile en Syrie convenait aux intérêts israéliens. Il a indiqué que le maintien du régime d’Assad, qui jouit d’une reconnaissance internationale, soulage Israël du fardeau d’une intervention directe et d’une implication profonde dans la guerre qui fait rage. Il a noté qu’Israël est du même avis que la Russie et l’Iran sur cette question. Voilà une déclaration remarquable compte tenu du fait que l’Iran est le principal fournisseur du Hezbollah et que la Syrie d’Assad est son seul intermédiaire pour les missiles à longue portée capables de frapper Israël en son cœur. Voilà pour les alliés de Poutine au Moyen-Orient.

    Qu’en est-il de ses adversaires?

    Les trois pays non-occidentaux qui ont émis une déclaration conjointe condamnant les frappes aériennes russes sont l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, les principaux soutiens de l’opposition syrienne. La déclaration conjointe n’a pas été signée par l’Egypte, la Jordanie et les Emirats arabes unis, malgré la pression exercée par l’Arabie saoudite. Il s’agit là de signes clairs de la scission arabe. Des joutes aériennes ont déjà eu lieu entre des SU-24 russes et des F-16 turcs dans ce qu’Ankara a revendiqué comme relevant de l’espace aérien turc, et le Premier ministre turc Ahmet Davuto?lu a déclaré que l’armée de l’air turque recourrait aux règles d’engagement militaires, affirmant que «même si c’est un oiseau qui vole, il sera intercepté». [Des accords sont intervenus le 20 octobre 2015 pour «régler» l’utilisation de l’espace aérien; accords annoncés par Anatoli Antonov, vice-ministre russe de la Défense, et le porte-parole du Pentagone, Peter Cook.]

    Matozov a indiqué que les Russes ont bien compris l’opposition saoudienne aux opérations contre l’Etat islamique et l’ont attribuée à des liens étroits entre le royaume et Washington: revoici l’obsession russe. Ici encore, les Russes ne comprennent pas ce qui se passe au Moyen-Orient, où l’Amérique perd le contrôle de ses alliés et où tout le monde fait comme bon lui semble. Les Saoudiens sont furieux de la réticence d’Obama à lancer des frappes contre Assad après les attaques au gaz à l’extérieur de Damas [23 août 2013]. Riyad pense que si le royaume ne revendique pas le rôle de protecteur de la population sunnite majoritaire dans la région, Al-Qaïda ou l’Etat islamique le fera à sa place.

    On a donc deux des nations les plus riches du Golfe, la plus grande armée régionale qu’est l’armée turque, la majorité de la population en Turquie, au Liban, en Syrie, en Jordanie et dans le Golfe, ainsi qu’une partie importante de l’Irak, qui considèrent la Russie comme un agresseur impérial étranger. Ce qui représente une certaine opposition.

    La Russie n’a pas abandonné ses efforts pour leur vendre son intervention. Les frappes aériennes ont été applaudies par l’Église orthodoxe russe, qui a félicité Poutine pour la «guerre sainte» qu’il mène. «La lutte contre le terrorisme est un combat saint, et aujourd’hui, notre pays est peut-être la force la plus active au monde dans la lutte contre celui-ci», a déclaré Vsevolod Chaplin, chef du département des affaires publiques de l’Église.

    Cette pensée n’est pas nouvelle. Bush a utilisé quasiment les mêmes mots lorsqu’il a déclaré peu de temps après les attentats du 11 septembre que «cette croisade, cette guerre contre le terrorisme, va prendre du temps». C’est le cas, en effet. Le fait que la Russie commette la même erreur que Bush et Blair quatorze ans plus tard, jusqu’à utiliser les mêmes mots, est la preuve du danger d’encadrer la lutte dans un pays musulman en des termes religieux.

    Le dernier lancer de dés de Poutine en Syrie est une catastrophe ambulante, sans puissance de freinage. Si les avions soviétiques dans l’Afghanistan reculé se sont avérés être un aimant si puissant pour les combattants militants arabes, imaginez combien de recrues pourrait offrir à l’État islamique leur apparition dans le ciel syrien et irakien. Ne sous-estimez pas l’importance de ce dans quoi Poutine s’est embarqué: de mémoire d’homme, c’est la première fois que l’armée russe est employée pour jouer un rôle de combat au Moyen-Orient. Si les Israéliens ont détecté une présence russe aux côtés des forces égyptiennes combattant sous Nasser au lendemain de 1967, cela n’a toutefois jamais été reconnu officiellement. Maintenant, oui.

    Ce rôle de combat prive la Russie de la capacité de freiner le soutien apporté à Assad par l’Iran et le Hezbollah ou de négocier un rôle de transition à Genève. Cela ravive un conflit qui était en perte de vitesse et qui semblait se diriger vers une série de cessez-le-feu négociés localement, même en comptant les avancées de l’opposition au sud. Cela revient à répéter toutes les erreurs commises en Syrie et en Irak par les maîtres coloniaux américains, britanniques et français. Cela revient à aliéner davantage la population majoritaire de la région.

    Un commandant irakien nous a expliqué pourquoi ils ont été tant attirés par la proposition d’aide russe: «Ils [la coalition dirigée par les États-Unis] refusent de frapper les voitures privées, les mosquées, les ponts, les écoles, malgré le fait que les militants de Daech utilisent principalement ces lieux pour en faire leurs sièges.» «C’est une guerre exceptionnelle et notre ennemi n’a pas de règles», a soutenu un autre commandant, tandis qu’un troisième responsable s’est demandé: «Comment [pouvez-vous] me demander de respecter les règles alors que mon ennemi tue brutalement mon peuple tous les jours, asservit mes sœurs et détruit mes villes? Les Russes n’ont pas de lignes rouges, pas de règles compliquées et limitées, c’est pourquoi il nous serait facile de coopérer avec eux.»

    Que pourrait-il arriver? Comme le disent les Russes, poechali! («Allons-y!»). (Article publié sur le site de MEE en date 16 octobre 2015)

    Par David Hearst David Hearst a longtemps rédacteur de la rubrique dite étrangère du quotidien The Guardian avant d’être responsable du site en ligne MEE.

    Publié par Alencontre le 26 - octobre - 2015