Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Egypte - Page 2

  • Protests in Egypt after regime 'steals daily bread' from the poor (Socialist Worker)

    A protest over bread subsidies in the Egyptian city Desouk

    A protest over bread subsidies in the Egyptian city Desouk

    Demonstrations swept across Egypt yesterday, Tuesday, after the government’s Supply Ministry slashed the amount of subsidised bread available to the poor.

    Working class areas in Egyptian cities such as of Cairo, Alexandria, Minya and Desouk saw hundreds of angry protesters take to the streets.

    New regulations mean that each bakery is allowed to distribute only 500 loaves of subsidised bread. Previously they had distributed between 1,000 and 4,000.

    Each person can receive only three loaves, whereas previously they could get five.

    People now also have to show plastic smart cards to prove they are eligible, rather than paper documents. Many of the poorest do not have the smart cards.

    Social media reports suggested police had fired warning shots over the heads of demonstrators in the Imbaba area of Cairo.

    Saed, a worker at a government supplies office, told the Middle East Eye news website his office was stormed by protesters chanting against the government.

    “There were about 100 men and women. I cannot blame them. We face the same problems at our houses,” he said.

    Hundreds protested in Alexandria’s Attarin neighborhood, and dozens in Manshiya, cutting off the tramway. Other protesters in Assafra train station in Alexandria also blocked the tracks.

    Starving

    Cheap bread is the difference between starving or eating for millions of desperately poor people.

    The Egyptian Revolutionary Socialists said, “The hundreds and thousands who took part in protests today are setting an example of how to challenge the regime.

    “The regime steals their daily bread in the interests of protecting the profits and dividends of big business. Its security apparatus stops anyone speaking out against the policies of impoverishment that the regime has imposed, thinking it will not face any popular resistance.”

    The authoritarian regime of Abdel Fattah el-Sisi has implemented a series of attacks on working class people. They’re part of a deal to secure a £10 billion IMF loan in recent months.

    The government introduced a Value Added Tax last September, then cut fuel subsidies in November. The devaluation of the Egyptian pound meant it lost almost half its former value.

    But there is international backing for Egypt’s neoliberalism.

    Egypt’s minister of foreign affairs, Sameh Shoukry, met European Union foreign ministers on Monday to explain “the nature of the reform process undertook by Egypt”.

    A few days before the bread protests, former Egyptian dictator Hosni Mubarak was cleared of any wrongdoing in relation to the murder of hundreds of protesters during the 2011 revolution.

    There is no nationally coordinated resistance to Sisi, and repression prevents large-scale protests. But there are still some strikes and outbursts of protest like the one we have seen this week.

    The lid will not stay on major revolt indefinitely.

    by Anne Alexander and Charlie Kimber

    https://socialistworker.co.uk

  • Égypte. Les autorités recourent à des mesures de mise à l'épreuve à titre punitif pour harceler les militants (Amnesty)

    egypt.jpg

    Les autorités égyptiennes recourent de plus en plus à des mesures de mise à l'épreuve arbitraires et excessives pour harceler les militants, a déclaré Amnesty International le 6 mars 2017.

    Dans certains cas, des conditions extrêmes leur sont imposées et des militants ayant purgé leur peine de prison se voient contraints de passer jusqu'à 12 heures par jour au poste de police.

    Au titre du régime de la mise à l'épreuve en Égypte, les prisonniers et les détenus libérés doivent passer un certain nombre d'heures par jour ou par semaine au poste de police. Il s’agit d’une peine alternative à la détention provisoire ou qui vient s'ajouter à une peine de prison.

    Amnesty International a recensé au moins 13 cas dans lesquels les mesures de mise à l'épreuve étaient excessives ou imposées de manière arbitraire à des militants. Dans certains cas, les ordonnances de mise à l'épreuve ont en fait débouché sur une nouvelle incarcération.

    « Les autorités égyptiennes sanctionnent des militants en imposant des conditions de mise à l'épreuve excessives, voire absurdes, qui portent atteinte à leurs droits fondamentaux et s'apparentent parfois à une privation de liberté. Nombre d’entre eux, déclarés coupables ou inculpés en raison de leur militantisme pacifique, n'auraient jamais dû être incarcérés, a déclaré Najia Bounaim, directrice adjointe du programme Campagnes au bureau régional d’Amnesty International à Tunis.  

    « Les autorités égyptiennes se servent abusivement des mesures de mise à l'épreuve pour écraser la dissidence. Elles doivent lever toutes celles qui sont arbitraires et ordonner la libération immédiate et sans condition des militants détenus ou emprisonnés uniquement pour avoir exercé leurs droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique. »

    Les autorités égyptiennes sanctionnent des militants en imposant des conditions de mise à l'épreuve excessives, voire absurdes, qui portent atteinte à leurs droits fondamentaux.
    Najia Bounaim, directrice adjointe du programme Campagnes au bureau régional d’Amnesty International à Tunis

    Ce sont les juges qui ordonnent les périodes de mise à l'épreuve au moment du prononcé du jugement, mais ils laissent généralement à la police, sans aucun contrôle, le soin de fixer le nombre d'heures que les personnes visées doivent passer en mise à l'épreuve dans le cadre de leur condamnation.

    Au lieu d'exiger que les anciens prisonniers et détenus se présentent au poste, signent le registre et repartent, la police égyptienne finit par détenir des militants en régime de mise à l'épreuve jusqu'à 12 heures par jour. Pendant ce laps de temps, ils ne sont pas autorisés à quitter le poste, à recevoir des visites ni à communiquer avec d’autres personnes que les policiers.

    Les militants Ahmed Maher et Mohamed Adel, libérés au bout de trois ans de prison pour avoir pris part à des manifestations non autorisées, sont contraints de passer 12 heures par jour au poste de police, dans le cadre de la condamnation prononcée par un tribunal égyptien en décembre 2013. De ce fait, ils ne sont pas en mesure de travailler, de voyager, d'étudier ni d'exprimer librement leurs opinions.

    Dans au moins quatre cas recensés par Amnesty International, des militants ont été placés en détention une deuxième fois, alors qu’ils n'avaient pas enfreint les conditions de leur mise à l'épreuve

    En vertu du droit égyptien (Loi n° 99 de 1945), les personnes soumises à un régime de mise à l'épreuve doivent passer les heures fixées à leur domicile, afin d’être présentes lors de toute visite impromptue de leurs agents de probation. Cependant, au titre de la Loi sur la mise à l'épreuve, la police peut obliger les personnes concernées à passer ces heures au poste si elle estime qu’il est trop difficile de les surveiller chez elles. La loi sanctionne également ceux qui bafouent les règles de la mise à l'épreuve d'une peine d'un an de prison, sans préciser ce qui peut constituer une violation de ces règles. Or, les normes internationales exigent que les autorités expliquent, par oral et par écrit, les conditions régissant les mesures non privatives de liberté aux personnes qui y sont soumises, notamment leurs obligations et leurs droits.

    Les vastes pouvoirs conférés à la police, qui a toute latitude pour décider, sans contrôle, font que dans certains cas la mise à l'épreuve se transforme en détention, ce qui va à l'encontre de son objectif en tant que mesure non privative de liberté.

    Par ailleurs, les mesures de mise à l'épreuve favorisent d'autres violations des droits humains, comme la détention arbitraire, les mauvais traitements et les restrictions arbitraires des droits à la liberté de mouvement et d'expression, dont sont victimes les militants pris pour cibles dans le cadre de la répression menée contre la dissidence. Elles interfèrent avec la jouissance d'autres droits, dont le droit au travail, à l'éducation et à un niveau de vie suffisant.

    « Les mesures de mise à l'épreuve excessives et punitives sont en fait une forme de détention déguisée. Certains militants se retrouvent dans l'incapacité d'exercer leurs droits à la liberté d'expression, de réunion et de mouvement, même après avoir fini de purger leur peine. C'est un autre moyen pour la justice pénale égyptienne de réduire au silence et d'intimider les détracteurs du gouvernement », a déclaré Najia Bounaim.

    Aux termes du droit égyptien, des mesures de mise à l'épreuve peuvent être prononcées en lien avec tout un éventail d'infractions, dont des dispositions qui criminalisent le droit à la liberté de réunion pacifique et d'expression. Par exemple, un accusé reconnu coupable d’avoir « terrorisé la population » ou « porté atteinte à la sécurité publique » au titre de l'article 375 bis du Code pénal, qui énonce des infractions en termes vagues, doit purger entre un et cinq ans de prison assortis d'une mise à l'épreuve de même durée après sa libération.

    Parfois, les procureurs ordonnent une mise à l'épreuve, condition pour libérer l’accusé dans l'attente de son procès. L'ordonnance fixe alors un nombre d'heures et de jours qu’il doit passer sous surveillance de la police. L'autorité chargée de la détention de l'accusé est habilitée à mettre fin à sa mise à l'épreuve et à le placer de nouveau en détention s'il enfreint les conditions et les règles fixées. Cependant, la loi ne précise pas dans quels cas il y a violation de la mise à l'épreuve. La police tire parti de ce flou pour justifier le fait de réincarcérer les militants au motif qu'ils ne se sont pas présentés à leur agent de probation aux heures voulues. Le caractère ambigu des conditions les maintient sur leurs gardes en permanence et les dissuade de s'impliquer dans la vie publique ou des activités politiques.

    Exemples de cas :

    Anciens prisonniers

    Éminent militant politique et leader du Mouvement de la jeunesse du 6 avril, Ahmed Maher compte parmi les personnes placées en mise à l'épreuve sous surveillance de la police. Le 22 décembre 2013, le tribunal a condamné AhmedMaher, ainsi que les militants politiques Mohamed Adel et Ahmed Douma, à trois ans de prison assortis de trois ans de mise à l'épreuve après leur libération, et à une amende de 50 000 Livres égyptiennes (environ 2 940 euros) chacun, pour avoir pris part à une manifestation non autorisée. Après avoir passé trois ans derrière les barreaux, AhmedMaher s'est présenté au poste de police d'al Tagamu al Khamis le 5 janvier 2017 pour débuter sa période de mise à l'épreuve. La police lui a ordonné de passer 12 heures chaque nuit au poste, entre 18 heures et 6 heures du matin : il va donc passer une année et demie supplémentaire en détention policière, en plus de ses trois années de prison.

    L'avocat d’Ahmed Maher a déclaré à Amnesty International que son client se sent toujours en prison et que sa mise à l'épreuve sert à restreindre sa liberté de mouvement et à l'empêcher de s'impliquer dans des activités politiques ou d'exprimer ses opinions à la suite de sa libération. Il ne peut pas prendre soin de sa mère souffrante qui a besoin de soins médicaux. Il ne peut pas trouver de travail ni exercer sa profession d'ingénieur en génie civil, en raison des 12 heures qu'il passe chaque nuit au poste de police.

    L'avocat d’Ahmed Maher a expliqué que le jugement rendu à son encontre ne précisait pas les conditions de sa mise à l'épreuve et que la police a sans doute reçu des instructions de l'Agence de sécurité nationale afin de le détenir pendant 12 heures pour le surveiller.

    Son avocat a ajouté que pendant les quatre premiers jours de sa mise à l'épreuve, Ahmed Maher avait dû rester assis dans un couloir obscur devant une cellule au poste d'al Tagamu al Khamis sans lit, couverture ni éclairage. Il a par la suite été transféré dans une petite pièce froide, sous un escalier, mesurant 2 mètres sur 1,50 m. Au cours des 12 heures qu'il passe chaque nuit au poste, il lui est interdit d'utiliser des appareils électroniques, notamment son téléphone portable, et de recevoir des visites de sa famille. Certains policiers lui interdisent également d'utiliser les sanitaires. Il a demandé à rencontrer le responsable du poste pour porter plainte, mais sa requête a été rejetée.

    Mohamed Adel, l'un des leaders du Mouvement de la jeunesse du 6 avril condamné dans le cadre de la même affaire qu'Ahmed Maher à trois ans de prison et trois ans de mise à l'épreuve, est lui aussi ébranlé par des conditions abusives. Il a été libéré le 22 janvier 2017, après avoir passé trois ans en prison et a démarré sa période de mise à l'épreuve. Il passe 12 heures par jour, de 18 heures à 6 heures du matin, au poste d'Aga, dans le gouvernorat de Dakahlia. Il lui est interdit d'utiliser son téléphone portable, de regarder la télévision ou d'utiliser tout autre appareil durant ce laps de temps. Il a demandé que sa mise à l'épreuve soit levée pendant une journée pour se rendre au Caire, ce qui lui a été refusé.

    MohamedAdel a déclaré à Amnesty International qu'il a dû repousser son mariage, en raison de la durée de sa mise à l'épreuve, ce à quoi il ne s'attendait pas, car il pensait qu'il serait libre une fois sa peine de prison purgée. Il est étudiant à l'Université du Caire, mais il lui est impossible d’assister à ses cours trois fois par semaine car ses mesures de mise à l'épreuve s’appliquent dans un autre gouvernorat. MohamedAdel a déclaré qu'il ne peut pas exprimer ses opinions ni s'engager dans des activités politiques pacifiques, car il craint que les autorités ne considèrent cela comme une violation de ses conditions de mise à l'épreuve et n’engagent de nouvelles poursuites à son encontre.

    La mise à l'épreuve ouvre la voie au renouvellement de la détention

    Amnesty International s’est entretenue avec le militant Abd el Azim Ahmed Fahmy, connu sous le nom de Zizo Abdo, que la police a arrêté en mai 2016 pour incitation à participer à une manifestation non autorisée. Après avoir passé cinq mois en détention provisoire, il a été soumis à une mise à l'épreuve et devait passer deux heures, trois fois par semaine, au poste de Bolak el Dakrour, au Caire. Le 14 février 2017, un tribunal a ordonné la fin de sa période de mise à l'épreuve et son placement en détention pour 45 jours, au motif qu'il ne s'était pas présenté au poste aux heures fixées le 8 février. Son avocat a déclaré que Zizo Abdo ne s'était pas présenté au poste ce jour-là, parce qu'il avait été arrêté par la police quelques heures plus tôt dans un café, et détenu au secret pendant cinq heures. Le 26 février, le tribunal pénal du Caire a examiné le recours de Zizo Abdo contre sa réincarcération et ordonné sa libération conditionnelle assortie d’une mise à l'épreuve. 

    Zizo Abdo a déclaré que durant sa période de mise à l'épreuve, il s'est senti piégé entre la liberté et la détention, ne pouvant pas travailler, voyager, même en Égypte, ni exprimer son opinion sur les affaires publiques. Il s'est tenu à l'écart de toute activité politique par crainte d'être de nouveau placé en détention, si ses actes étaient interprétés comme une violation des conditions de sa mise à l'épreuve.

    Khaled el Ansary, Said Fathallah et Ahmed Kamal ont été placés en détention pour la deuxième fois le 22 octobre 2016 et sont actuellement en détention provisoire pour appartenance à un groupe interdit, « la Jeunesse du 25 janvier ». Les trois hommes ont passé sept mois en détention provisoire après leur arrestation le 30 décembre 2015.

    Le tribunal a tout d'abord ordonné leur libération conditionnelle le 1er août 2016 et fixé les conditions de leur mise à l'épreuve : ils devaient rester quatre heures, de 20 heures à minuit, trois fois par semaine, dans trois postes de police différents. Le 7 septembre 2016, le tribunal a réduit cette durée à deux heures, une fois par semaine. Le 20 octobre, le tribunal pénal du Caire a levé l'ordonnance de mise à l'épreuve visant les trois hommes. Deux jours plus tard, le service du procureur de la sûreté de l'État a fait appel de cette décision. Une autre chambre du même tribunal a examiné le recours et ordonné leur placement en détention pendant 45 jours, alors qu'ils n'avaient pas enfreint les conditions de leur mise à l'épreuve et avaient strictement respecté les heures où ils devaient se présenter au poste.

    Depuis, la détention des trois hommes a été renouvelée tous les 45 jours, la dernière fois le 25 février 2017. 

    Deux d’entre eux, Khaled el Ansary et Said Fathallah  ont entamé une grève de la faim pour protester contre le traitement qui leur est réservé. La mère de Khaled el Ansary a déclaré que les mesures de sa mise à l'épreuve ont un impact néfaste sur ses études universitaires, ainsi que sur le travail, la vie et les finances de la famille.

    6 mars 2017

    https://www.amnesty.org/

  • Égypte : prêt du FMI, attaques redoublées contre la population (Lutte Ouvrière)

    &NCS_modified=20160811174809&MaxW=640&imageVersion=default&AR-160819811.jpg

     

    La Grande-Bretagne vient de se porter garante pour 150 millions de dollars, dans le cadre du plan d’aide de 12 milliards du FMI obtenu par le gouvernement égyptien en novembre dernier.

    Ce prêt est censé aider le pouvoir égyptien à faire face à la crise monétaire vécue par le pays, qui s’est traduite, en novembre 2016, par la décision de laisser flotter la livre égyptienne, à la demande des grandes puissances financières. La monnaie égyptienne a alors perdu 50 % de sa valeur, ce qui a entraîné une explosion des prix de certains produits importés, dont le sucre qui a augmenté de 80 %, le blé, l’essence ou le coton.

    Les milliards promis par le FMI et la Banque mondiale, dont une partie a déjà été versée, s’accompagnent en outre, comme toujours, de l’obligation de mener de prétendues réformes, comme la réduction des subventions d’État sur l’électricité et le carburant. Le poids à supporter par la population est évidemment lourd, d’autant plus que la moitié des 90 millions d’Égyptiens vivent sous le seuil de pauvreté. L’électricité, qui connaît des baisses de tension et des coupures, a augmenté d’un tiers en quelques mois. Pour les petits paysans indépendants, c’est l’engrais, fabriqué à partir de matières premières importées, qui a augmenté de 50 %. Depuis début 2017, une TVA longtemps retardée s’applique sur de nombreux produits, hors produits de première nécessité comme le pain, qui reste subventionné pour les plus modestes.

    Début février, une grève a touché cinq établissements de la Misr Spinning and Weaving Company, la plus grande usine textile étatique de Mahalla-al-Kubra, dans le delta du Nil. Deux mille ouvriers et ouvrières y ont arrêté le travail pour réclamer le paiement de leurs primes en retard, l’intégration de leur prime mensuelle de 220 livres égyptiennes (LE) dans le salaire (environ 1 500 LE par mois pour ceux qui ont un contrat, soit quelque 90 euros), l’augmentation de leur prime quotidienne de panier de 7 à 10 LE, en raison de l’inflation et du programme d’austérité mis en place par le gouvernement. Les grévistes ont également exigé l’arrêt des poursuites contre les cinq représentantes désignées pour porter les revendications.

    Les autorités semblent au demeurant craindre d’autres manifestations du mécontentement ouvrier, tant elles sont promptes à déployer les forces de police, au moindre signe de rassemblement. Mais la politique du bâton, Sissi le sait, comme Morsi et Moubarak avant lui, ne nourrit pas et ne fait pas toujours taire les mécontentements.

    V. L. 01 Mars 2017
     
  • Nouveautés sur "Amnesty International"

    images.jpg

    Tunisie. Les violations des droits humains commises au nom de la sécurité menacent les réformes

    Syrie. Réaction du président Bachar el Assad au rapport d'Amnesty International sur la prison de Saidnaya

    Égypte. Fermeture d’un centre de réadaptation pour les victimes de torture

  • Du blocage économique à la contestation sociale dans l’Égypte de Moubarak (Cadtm)

     

    Le 17 décembre 2010, l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi dans la ville de Sidi Bouzid, en Tunisie, était l’étincelle déclenchant une spectaculaire vague révolutionnaire à l’échelle de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

    Des soulèvements populaires insurrectionnels ont lieu en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Yémen, au Bahreïn et en Syrie, ainsi que d’importantes mobilisations sociales dans la quasi-totalité des pays de la région, y compris dans l’État d’Israël. Ce processus a également eu des répercussions internationales, puisque le vaste mouvement d’occupation des places connu sous le nom de 15M dans l’État espagnol (parfois désigné à l’étranger par les termes de « mouvement des Indignés ») peut être vu comme un héritage du soulèvement égyptien, tandis qu’il a lui-même permis de renforcer la lutte contre l’austérité en Grèce et inspiré le mouvement Occupy aux États-Unis.

    En Égypte, six ans après le 25 janvier 2011 qui a marqué le début du soulèvement contre le régime de Hosni Moubarak, les revendications de liberté, de dignité et de justice sociale n’ont pas été satisfaites, bien au contraire. La situation politique est caractérisée par le retour des militaires sur le devant de la scène à travers une reprise en main autoritaire du pays et une poursuite du modèle économique rentier et de dépendance du pays aux puissances impérialistes et aux institutions financières internationales. Le mode de production capitaliste égyptien reste celui du capitalisme de connivence qui domine dans la région, favorisant l’enrichissement d’une minorité proche des cercles du pouvoir au détriment de la majeure partie de la population.

    À l’occasion de la date anniversaire du soulèvement égyptien, nous publions en deux parties une analyse de la situation politique et économique de l’Égypte. La première partie sera consacrée aux conditions économiques et sociales touchant le pays et sa population sous la présidence de Hosni Moubarak et qui ont conduit au soulèvement de 2011. Cette analyse se base en grande partie sur celle faite par Gilbert Achcar, auteur de l’ouvrage de référence Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, publié en 2013 |1|. La seconde partie, qui fera l’objet d’un prochain article, sera consacrée aux développements politiques et économiques de l’Égypte depuis le début du soulèvement.


    L’État capitaliste égyptien

    En Égypte comme dans les autres pays du Maghreb et du Machrek, l’État tire une part importante de ses ressources financières de ses rentes, c’est-à-dire de revenus qui ne sont pas obtenus d’une activité productive.

    Dans le monde arabe, on pense avant tout aux rentes extractivistes, en raison du statut de la majorité des États du Maghreb et du Machrek d’exportateurs nets d’hydrocarbures. En Égypte, les rentes sont composées de l’exportation du pétrole, mais aussi et surtout de l’exportation de gaz naturel. La Banque mondiale indique que, pour l’Égypte, la part des rentes dues aux ressources naturelles sur la période 2005-2008 était située, selon les années, entre 21,2 % et 26,5 % du PIB. Si cette part a diminué depuis 2009, elle était encore de 13,9 % en 2011 |2|.

    Les rentes dites « géographiques » |3| sont particulièrement importantes en Égypte : elles proviennent de l’utilisation des oléoducs et gazoducs, mais surtout des droits de passage du canal de Suez, qui rapportaient environ cinq milliards de dollars par an avant le doublement du canal finalisé à l’été 2015 (en 2010, les recettes totales de l’Égypte étaient inférieures à 40 milliards de dollars |4|).

    Enfin, les rentes dites stratégiques, ou géopolitiques, venant notamment des subventions militaires des États-Unis et des pays du Golfe, sont tout à fait significatives. Depuis la signature des accords de Camp David en 1978, l’Égypte reçoit deux milliards de dollars annuels de la part des États-Unis, dont 1,3 milliard est exclusivement destiné à l’armée |5|. De même, depuis la participation de l’Égypte à la guerre du Golfe contre l’Iraq en 1990-1991, le pays reçoit d’importantes rentes de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Koweït, sur lesquelles règne une certaine opacité. Ainsi s’ajoutent aux prêts bilatéraux consentis entre ces pays et l’Égypte plusieurs milliards de dollars de dons, de dépôts et d’investissements directs dans le pays. Tant dans le cas des États-Unis que dans celui des monarchies du Golfe, ces rentes semblent assimilables à des aides liées, c’est-à-dire conditionnées à l’achat de produits des pays d’où viennent les « aides ». Si ces dernières ne sont pas soumises à des échéances de remboursement, elles dépendent d’alliances stratégiques et politiques (coopération avec l’État d’Israël, soutien aux guerres impérialistes dans la région telles que les guerres du Golfe, etc.) et peuvent s’arrêter du jour au lendemain si l’Égypte met en œuvre des choix n’allant pas dans le sens de ses partenaires. Ainsi, suite à l’accession des Frères musulmans au pouvoir, les aides de l’Arabie saoudite se sont d’ailleurs ralenties – remplacées par celles du Qatar allié aux Frères musulmans – |6|, pour ne reprendre qu’une fois Mohamed Morsi renversé et remplacé par Abdel Fattah Al-Sissi. De même à l’automne 2016, les différends opposant l’Égypte à l’Arabie saoudite depuis plusieurs mois (sur fond de divergences sur l’action à mener dans les conflits en Syrie et au Yémen, et de rapprochement entre l’Égypte d’Al-Sissi et la Russie de Vladimir Poutine) ont été confirmés, Riyad annonçant l’arrêt des livraisons de produits pétroliers au Caire |7|.

    L’importance des rentes dans l’économie favorise – puis est alimentée par – le néopatrimonialisme. L’épuisement du modèle nassérien (basé sur une importante activité productive et une économie nationalisée) à la fin des années 1960 permet à Anouar el-Sadate d’entreprendre une libéralisation de l’économie dans les années 1970. Celle-ci va s’inspirer du modèle les monarchies du Golfe, dont les revenus du pétrole, considérables, permettent aux clans au pouvoir de se lancer dans les affaires et d’installer des États patrimoniaux dans la péninsule arabique. Bien sûr, la comparaison a ses limites : l’Arabie saoudite, pour ne citer qu’elle, est soumise à un pouvoir héréditaire théocratique et ultra réactionnaire (là où l’Égypte se prévaut d’avoir adopté un modèle républicain), et les rentes tirées des hydrocarbures sont bien plus importantes pour l’économie saoudienne que ne le sont celles de l’Égypte pour l’économie nationale. En Égypte, le modèle politique autoritaire de Gamal Abdel Nasser est maintenu par Sadate lorsque celui-ci arrive au pouvoir en 1970. L’armée joue un rôle politique majeur depuis le coup d’État de 1952. Ces facteurs vont faciliter le développement d’un modèle d’État néopatrimonial.

    Gilbert Achcar résume ainsi la définition du patrimonialisme telle qu’établie par Max Weber dans Économie et société : « Il s’agit d’un pouvoir autocratique absolu et héréditaire, qui peut néanmoins fonctionner avec un entourage collégial (parents et amis) et qui s’approprie l’État : sa force armée, dominée par une garde prétorienne (une force dont l’allégeance va aux personnes des gouvernants, et non à l’État), ses moyens économiques et son administration. » |8| Il continue en écrivant : « Le néopatrimonialisme se distingue du régime précédent par le fait qu’il s’agit d’un pouvoir républicain autoritaire institutionnalisé – au sens où l’exercice du pouvoir a, en termes wébériens, une dimension bureaucratique “légale-rationnelle” importante – avec un degré plus ou moins grand d’autonomie de l’État par rapport aux dirigeants politiques, qui restent susceptibles d’être remplacés. » |9| Ces régimes vont donc favoriser l’émergence d’un capitalisme de connivence (« crony capitalism » en anglais, également traduit par « capitalisme de copinage » ou « capitalisme de compérage »), dans lequel la bourgeoisie d’État, composée des cercles proches du pouvoir, est prépondérante par rapport à la bourgeoisie de marché traditionnelle : le népotisme et la corruption en sont des caractéristiques majeures.

    En Égypte, ces caractéristiques sont bien visibles à partir de la mise en place des politiques de libéralisation de l’économie connues sous le terme d’ « Infitah » (« ouverture ») sous Sadate, puis sous Moubarak. Si la libéralisation des années 1970 est avalisée par l’armée, qui était au pouvoir sous Nasser, c’est parce qu’en plus de maintenir le contrôle du complexe militaro-industriel égyptien sous sa seule responsabilité, ses officiers à la retraite ont la possibilité d’acquérir des entreprises et de vastes terrains privatisés afin d’y développer une activité économique civile (cette activité sera observée plus en détail dans la deuxième partie de cette analyse, qui fera l’objet d’un autre article). Rappelons que Sadate était l’un des officiers dits libres à l’origine du coup d’État de 1952, et que Moubarak est également issu de l’institution militaire. L’expression la plus emblématique du népotisme en Égypte est l’ascension de Gamal Moubarak, fils de Hosni Moubarak. Homme d’affaires, la libéralisation économique lui a permis d’amasser des sommes considérables. Or, c’est Gamal Moubarak lui-même et un cercle d’hommes d’affaires proches de lui qui ont entrepris la vague de privatisations sous le gouvernement dirigé par Ahmed Nazif, entre 2004 et 2011. De plus, Hosni Moubarak envisageait depuis le début des années 2000 que son fils Gamal prenne sa succession à la tête de l’État, cherchant ainsi à établir une hérédité du pouvoir et à s’émanciper partiellement du modèle républicain.

    L’Égypte est également marquée par une corruption importante. Ainsi, alors que l’ONG Transparency International estime dans un rapport de 2009 qu’il est positif que se mettent en place en Égypte plusieurs mécanismes assurant, en théorie, un système de poids et de contrepoids dans le système politique, elle tempère ces propos de manière significative, puisqu’elle fait le constat que ces mécanismes sont mal appliqués dans la pratique, ce qui les rend trop peu efficaces, voire entièrement inefficaces |10|. La même ONG donne à l’Égypte un indice de perception de la corruption de 3,1 en 2010 (où 0 signifie que la corruption est très importante, 10 que l’intégrité est très importante), plaçant l’Égypte à la 98e place mondiale |11|. À cette corruption s’ajoute un comportement économique particulièrement irrationnel de la part des gouvernants et de leurs « compères » composant la bourgeoisie d’État dans les systèmes patrimoniaux. À leur propos, Gilbert Achcar écrit à juste titre : « Leur rationalité économique de rentiers ne se déploie non dans le développement de la production, mais dans la maximisation du rapport de leur épargne placée à l’étranger. » |12| Ainsi en Égypte, le gel des avoirs de la famille Moubarak à l’étranger sera l’une des premières demandes du procureur général après la chute du gouvernement en février 2011 |13|. Les estimations quant au montant des avoirs détournés par la famille Moubarak varient, mais toutes se chiffrent en milliards de dollars. Les investissements à long terme dans des domaines de l’activité productive se font rares, la bourgeoisie d’État privilégiant en effet les activités spéculatives et commerciales (telles que celles liées aux secteurs de l’extraction gazière, de l’immobilier et du tourisme), tandis que la bourgeoisie de marché est marginalisée par ces pratiques économiques et politiques.


    Le fardeau de la dette publique

    Cette faiblesse des investissements publics et privés conduit les dirigeants égyptiens à se tourner vers les institutions financières internationales. Évidemment, en raison de la confiscation de la démocratie et des richesses du pays, les prêts des institutions financières ne pouvaient pas permettre au pays de faire face à ses difficultés. Ils n’en ont pas moins été accordés et se sont accompagnés de conditionnalités accélérant la mise en œuvre des politiques néolibérales, à travers les tristement célèbres plans d’ajustement structurel (PAS). Déjà en 1977, l’abandon de subventions alimentaires par l’État afin d’obtenir un prêt de la Banque mondiale avait conduit à d’importantes protestations qualifiées d’« émeutes de la faim », face auxquelles Sadate avait fait appel à l’armée, provoquant la mort de dizaines de manifestants et en blessant des centaines d’autres. Les subventions avaient finalement été rétablies. À la fin des années 1980, le pays doit faire face à une dette extérieure élevée, une inflation en forte hausse et une balance des paiements non soutenable. L’allégement de la dette consenti par le Club de Paris en 1991 suite à la participation égyptienne dans la guerre du Golfe ne permet pas de résoudre les problèmes du pays, qui met en place la même année un PAS sous l’égide du FMI et avec la participation d’autres institutions financières internationales telles que la Banque mondiale |14|.

    Dans la première moitié des années 1990, la baisse du déficit budgétaire et de l’inflation conduit les institutions financières internationales à considérer l’Égypte comme le bon élève de la mondialisation néolibérale. Cependant, en l’absence de modifications réelles dans le modèle économique du pays, les facteurs explicatifs de la croissance économique de l’Égypte restent les revenus des rentes et l’investissement dans des projets d’infrastructures gigantesques et inutiles, véritables « éléphants blancs » (tels que de nouvelles villes bâties au milieu du désert ou encore la vallée artificielle de Tochka |15|). L’investissement et les exportations augmentent peu. L’emploi devient de plus en plus informel, et donc précaire. La croissance du PIB ne conduit pas à une diminution des inégalités de revenus.

    Ces dettes multilatérales s’additionnent à celles contractées auprès des États occidentaux et des monarchies du Golfe. À la chute de Moubarak, la dette publique externe de l’Égypte s’élève à plus de 30 milliards de dollars, s’ajoutant à un endettement interne colossal. Le ministère des Finances indique ainsi que le service de la dette pour l’année fiscale 2010-2011 représentait 29,2 % des dépenses totales de l’État |16|, empêchant ainsi la mobilisation de ressources dans les secteurs prioritaire tels que ceux de la santé, de l’éducation ou du logement. Cette dette a servi au fonctionnement d’un État autoritaire et de ses forces armées, et à l’enrichissement d’une minorité de privilégiés – au premier rang desquels figure la famille Moubarak. La gauche égyptienne se bat pour son annulation, notamment à travers la Campagne populaire pour l’abolition de la dette, lancée en 2011 et particulièrement active en 2012 |17|. Cette revendication a rencontré un certain écho : dans une résolution du Parlement européen adoptée en mai 2012, les parlementaires avaient ainsi jugé « odieuse la dette extérieure publique des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient » et demandé aux créanciers européens de procéder à « un réexamen de la dette, et notamment de celle liée aux dépenses d’armement » |18|. Cependant, ces demandes sont restées lettres mortes : la dette odieuse de Moubarak continue d’être payée et les autorités européennes endettent la population égyptienne en collaborant avec le pouvoir autoritaire d’Al-Sissi.


    Une population pauvre en situation précaire.

    Si le taux de croissance moyen du PIB par habitant en Égypte est l’un des meilleurs de la région entre 1970 et 1990, les performances économiques du pays diminuent de manière importante après cette période. Les chiffres de la Banque mondiale indiquent ainsi que ce taux de croissance, sans être négatif (sauf en 1972 et en 1991), tend à diminuer sur la période 1970-2010. En 2010, le PIB par habitant était de 2803 dollars US courants en Égypte, alors qu’il était de 3835 dollars dans la région des pays à revenu moyen dont l’Égypte fait partie |19|.

    Dans ses rapports spécifiques au monde arabe, le PNUD propose de chiffrer la pauvreté à partir du seuil national supérieur de pauvreté, représentatif pour chaque pays du seuil permettant de couvrir les coûts de nourriture et de produits indispensables. En Égypte, 40,93 % de la population vivait sous ce seuil fixé à 2,70 dollars en parité de pouvoir d’achat (PPA) en 2004-2005 |20|. Rappelons ici qu’en contraste, les richesses de l’État sont partagées par la bourgeoisie d’État qui amasse quant à elle d’importantes sommes d’argent, sans les redistribuer ni les réinjecter de manière productive dans l’économie.

    Par ailleurs, Gilbert Achcar souligne la précarité (qui se distingue par une prépondérance « de l’informalité, du chômage et du sous-emploi » |21|) qui touche une part importante des populations arabes, y compris de la population égyptienne. La prépondérance du secteur informel est un facteur de précarité évident car les personnes travaillant au noir ne bénéficient pas de protection : elles n’ont ni contrat de travail, ni affiliation à la sécurité sociale. Selon des chiffres obtenus entre 2000 et 2007, ce sont 44,9 % de la population active qui ne sont pas inscrits à la sécurité sociale en Égypte |22|. Si, en 2010, les chiffres officiels du chômage sont de 9 % en Égypte |23|, Achcar souligne que ce chiffre est sous-estimé par rapport à la réalité, puisque les individus ayant exercé un travail ponctuel, donc à temps partiel (parfois pour une seule journée), et souvent informel, ne sont pas comptés en tant que chômeurs. Ainsi, le sous-emploi n’est pas comptabilisé dans les chiffres du chômage, alors même qu’il est extrêmement important au Maghreb et au Machrek. Achcar ajoute que la couverture sociale du chômage est pratiquement inexistante dans ces pays : si les chiffres officiels ne sont pas disponibles pour l’Égypte, il estime que près de 100 % des chômeurs ne reçoivent pas d’allocation dans le pays |24|. Enfin, il relève que le chômage et le sous-emploi sont très élevés chez les jeunes et chez les femmes. Si le phénomène est également présent dans nombre d’États industrialisés, il est particulièrement fort en Égypte. Les chiffres de l’Organisation internationale du travail (OIT) indiquent pour 2010 un taux de chômage de 26,3 % pour les jeunes âgés de 15 à 24 ans, et de 22,2 % pour les femmes dans leur ensemble |25|.


    Des conditions de vie alarmantes

    Dans ces conditions économiques et sociales déplorables, les droits humains fondamentaux de la population ne peuvent être satisfaits. La pauvreté, le chômage et la précarité ont évidemment des conséquences néfastes sur les conditions de vie, ce que l’on peut observer à travers des indicateurs tels que la santé ou l’éducation. Si ses critères ne sont pas exhaustifs, l’indice de développement humain (IDH) développé par le PNUD cherche à combler les lacunes du chiffrage de la pauvreté calculé uniquement par des statistiques économiques. Celui-ci prend notamment en compte l’espérance de vie de la population, et son niveau d’éducation. En 2010, l’Égypte se situait, avec un IDH de 0,620 (un indice tendant vers 0 représente un faible « développement humain », tandis qu’un indice tendant vers 1 représente un fort « développement humain »), au 101e rang mondial (sur 169 pays comptabilisés), et parmi les pays disposant d’un IDH « moyen ». Ces chiffres étaient par exemple inférieurs à ceux de la Libye (avec un IDH de 0,755), ou de la Tunisie (0,683) |26|.

    En termes de santé, c’est notamment la malnutrition, favorisée par la pauvreté, qui menace l’Égypte. Ainsi, les coupes dans les subsides alimentaires imposées par le FMI et la Banque mondiale sont particulièrement malvenues. À partir de 2005, l’insécurité alimentaire augmente de manière inquiétante en Égypte. Selon des chiffres établis entre 2006 et 2010, 29 % des enfants de moins de 5 ans souffrent d’un retard de croissance |27|. L’obésité (due à un manque de diversité du régime alimentaire) et les carences nutritionnelles sont deux autres conséquences de cette situation. De plus, si la Haute-Égypte, composée de zones rurales particulièrement pauvres, reste la région la plus touchée par l’insécurité alimentaire, la malnutrition se développe de plus en plus rapidement dans les zones urbaines de la Basse-Égypte et du Caire.

    La pauvreté conduit également les enfants à travailler : 7 % des enfants de 5 à 14 ans travaillent en Égypte |28|. Si les chiffres dont nous disposons ne permettent pas d’établir de lien de causalité, nous pouvons supposer que ce travail empêche certains d’entre eux d’accéder à l’éducation : dans la tranche d’âge de 15 à 24 ans, 18 % des femmes et 12 % des hommes sont analphabètes |29|.

    Ces conditions de vie nous éclairent sur la situation de l’Égypte à la veille du soulèvement. Les conditions de domination sociopolitique de la caste dirigeante et de ses cercles proches possédant les moyens de production ont empêché le développement des forces productives du pays et favorisé de manière préoccupante la pauvreté d’une partie importante de la population. Cela permet de comprendre l’insatisfaction de 22,8 millions d’Égyptiens par rapport à leurs conditions de vie, selon les chiffres d’un sondage mené par l’entreprise américaine Gallup entre 2005 et 2010 (bien sûr, ce sondage doit être observé avec précaution, mais la tendance générale est bien celle d’un nombre important et croissant d’Égyptiens insatisfaits de leurs conditions de vie) |30|. Face aux contradictions du modèle local du capitalisme, des mouvements sociaux auto-organisés vont naître dans les années précédant le renversement de Moubarak.

    Des mouvements sociaux annonciateurs d’une contestation large

    Si les conditions objectives d’un mécontentement généralisé semblaient réunies en 2010-2011, il était difficile d’évaluer quels acteurs seraient capables de porter la contestation de manière assez forte pour remettre en question de manière crédible les structures politiques et socioéconomiques. Cependant, estimer que l’immobilisme des sociétés arabes face aux régimes autoritaires serait un état immuable relève du « mythe de la passivité des peuples arabes, de leur inaptitude à la démocratie » |31|, un mythe profondément essentialiste. En Égypte, les années précédant la période révolutionnaire ont été marquées par des luttes sociales historiques, notamment à partir de 2004.

    Ces luttes se font en réaction aux conséquences de la libéralisation de l’économie. Comme nous l’avons écrit plus haut, cette politique est lancée dès les années 1970 et conduit l’Égypte à mettre en œuvre un important plan d’ajustement structurel à partir de 1991, conformément aux attentes du FMI et de la Banque mondiale. Ce plan prévoit la privatisation de plus de 300 entreprises, conduisant à de nombreux licenciements. En 2004, l’arrivée d’Ahmed Nazif à la tête du gouvernement prévoit l’accélération de ces privatisations sous l’égide d’un cabinet d’affaires composé des proches de Gamal Moubarak. Cette vague de privatisations s’accompagne de plans sociaux et de gels des salaires, qui vont conduire à d’importantes grèves et mobilisations dans les entreprises concernées, comme le rapporte l’union syndicale française Solidaires : « entre 2004 et 2008, plus de 1,7 million de travailleurs ont participé à 1900 grèves et autres formes de lutte » |32|. En 2004, l’augmentation des luttes sociales est de 200 % par rapport à l’année 2003 |33|. Notons que les luttes ne sont pas soutenues par les directions syndicales, puisque la seule fédération officiellement reconnue à ce moment-là est l’ETUF (Egyptian Trade Union Federation), qui est au service du régime. De nombreuses luttes concernent le secteur privé, même si le secteur public est le plus mobilisé. Ces luttes ouvrières s’accompagnent en 2004 d’un mouvement luttant sur le terrain de la démocratisation politique, Kefaya (« Ça suffit »). La grève du 6 avril 2008 sera d’ailleurs soutenue par différentes organisations d’opposition agissant sur un plan plus particulièrement politique : une dialectique entre mouvements sociaux et démocratisation politique cherche à s’établir, avec peu de succès cependant, puisque les organisations politiques ayant une existence significative avant 2011 ne se revendiquent pas du mouvement ouvrier (celles qui s’en réclament existent de manière marginale).

    En 2006, la grève victorieuse de plus de 20 000 salariés de l’usine de textile Misr, à Mahallah, va largement encourager le développement des luttes sociales. L’hégémonie de l’ETUF est de plus en plus mise à mal par l’auto-organisation des salariés grévistes. En 2007, la grève et le sit-in de plusieurs milliers de collecteurs d’impôts fonciers aboutissent à la satisfaction de leurs revendications (l’augmentation de leurs salaires qui avaient été gelés), puis à la création d’un syndicat indépendant qui sera le premier à être officiellement reconnu par l’État : le mouvement ouvrier s’organise et se renforce. De plus, le sit-in comme forme de protestation se généralise, avec des rassemblements devant des lieux emblématiques du pouvoir. Cette forme de contestation sera l’une des caractéristiques majeures du processus révolutionnaire égyptien à partir de 2011.

    Indéniablement, ces luttes sociales ont préparé la révolte. Si leur intensité varie selon les périodes, elles sont un facteur majeur pour comprendre le climat social et politique qui règne dans le pays depuis 2004 quand éclate le soulèvement du 25 janvier 2011. Ces grèves s’intensifient pendant les journées de protestation de janvier et février 2011. C’est ainsi lors d’une journée de grève générale, le 11 février, que Hosni Moubarak quitte le pouvoir (si, formellement, le dictateur est destitué par l’armée, c’est bien le mouvement populaire qui contraint les militaires à agir). Les grèves continuent après le départ du despote, y compris dans des entreprises qui n’avaient pas connu de mouvement social avant 2011. Les demandes vont de l’instauration d’un salaire minimum à des revendications plus locales de renvoi des responsables des entreprises, qu’elles soient publiques ou privées.

    25 janvier par Nathan Legrand


    L’auteur remercie Omar Aziki et Claude Quémar pour leurs relectures et suggestions.

    Notes

    |1| Gilbert Achcar, Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, Sindbad/Actes Sud, 2013, 432 p.

    |2| World Bank Data

    |3| Voir par exemple Bruno Cabrillac, « Les spécificités de l’économie égyptienne », Égypte – Monde Arabe, Première série, n°12-13, 1993.

    |4| International Monetary Fund, World Economic Outlook Database (October 2010). URL : http://www.imf.org/external/pubs/ft...

    |5| US Department of State, Foreign Military Financing Account Summary (2009-2015). URL : http://www.state.gov/t/pm/ppa/sat/c...

    |6| Gilbert Achcar, op. cit., p. 334.

    |7| Benjamin Barthe, « L’Égypte privée de pétrole par l’Arabie saoudite », Le Monde, 15 octobre 2016.

    |8| Gilbert Achcar, op. cit., p.91-92.

    |9| Ibid., p.92.

    |10| Transparency International, National Integrity System Study. Egypt 2009, p.13.

    |11| Transparency International, Corruption Perceptions Index 2010. URL : http://www.transparency.org/cpi2010...

    |12| Gilbert Achcar, op. cit., p.96.

    |13| Le Monde avec AFP, « L’Égypte demande le gel des avoirs de Moubarak et de sa famille à l’étranger », LeMonde.fr, 21 février 2011. URL : http://abonnes.lemonde.fr/proche-or...

    |14| Nathan Legrand, « Le FMI n’a tiré aucune leçon des révolutions arabes selon un ancien analyste de la Banque mondiale », 11 février 2016. URL : http://www.cadtm.org/Le-FMI-n-a-tir...

    |15| Séverine Evanno, « Égypte, le retour du rêve fou d’un vieux pharaon », OrientXXI, 6 janvier 2015. URL : http://orientxxi.info/magazine/egyp...

    |16| Voir http://www.mof.gov.eg/MOFGallerySou.... En Égypte, l’année fiscale commence le 1er juillet et prend fin le 30 juin.

    |17| Voir Noha El-Shoky (entretien avec), Renaud Vivien (propos recueillis par), « Le peuple égyptien subit la même politique néolibérale que celle menée par Moubarak », 11 janvier 2012. URL : http://www.cadtm.org/Entretien-avec...

    |18| Résolution du Parlement européen du 10 mai 2012 sur le commerce pour le changement : stratégie de l’Union européenne en matière de commerce et d’investissements pour le sud de la Méditerranée après les révolutions du Printemps arabe (2011/2113 (INI)), paragraphe 6. URL : http://www.europarl.europa.eu/sides...

    |19| World Bank Data.

    |20| PNUD, Arab Human Development Report 2009, p.114.

    |21| Gilbert Achcar, op. cit., p.42.

    |22| Roberta Gatti & alii, Striving for Better Jobs. The Challenge of Informality in Middle East and North Africa, World Bank Group, 2014, p.9.

    |23| Chiffres de l’Organisation internationale du travail (OIT), World Bank Data.

    |24| Gilbert Achcar, p.46.

    |25| Chiffres de l’Organisation internationale du travail (OIT), World Bank Data.

    |26| PNUD, Human Development Report 2010, p.144.

    |27| Unicef, The State of the World’s Children 2012. Children in an Urban World, février 2012., p.92.

    |28| Ibid., p.120.

    |29| Ibid., p.104.

    |30| Clemens Breisinger & alii, « Economie du Printemps arabe. De la révolution à la transformation et la sécurité alimentaire », Politiques alimentaires en perspective, n°18, IFPRI, mai 2011.

    |31| Alain Gresh, « Ce que change le réveil arabe », Le Monde diplomatique, mars 2011.

    |32| Solidaires, Solidaires International, n°7 (Égypte), novembre 2011, p.18.

    |33| Amr Hamzawy, Marina Ottaway, « Protest Movements and Political Changes in the Arab World », Policy Outlook, Carnegie Endowment for International Peace, 28 janvier 2011.

    Auteur.e

     
    Nathan Legrand

    Permanent au CADTM Belgique

  • Symptômes morbides (Actes Sud)

    sympt.jpg

    Trois ans après Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, Gilbert Achcar analyse le blocage du processus révolutionnaire déclenché en 2010 et le contre-choc régional.


    En Syrie d’abord, il montre comment le soulèvement populaire a été noyé dans les conflits régionaux et souligne l’écrasante responsabilité internationale dans le désastre, qu’il s’agisse des alliés du régime ou de Washington.

    La consolidation des assises du pouvoir et la montée d’un djihadisme dont Daech est le prototype le plus spectaculaire ont contracté l’espace dans lequel s’exprimaient les revendications populaires et imposé l’image d’un pays pris entre deux barbaries. L’intervention militaire russe, épaulant l’offensive terrestre du régime et des milices pro-iraniennes, a rétréci davantage cet espace.

    En Égypte ensuite, le coup d’État du général Sissi, tirant profit de la gestion calamiteuse par les Frères musulmans de leur victoire électorale, a réinstallé au pouvoir les forces dominantes sous Moubarak. L’armée, la police et les services de renseignement prennent leur revanche en réprimant les révolutionnaires, en étouffant les libertés et en acquittant les hommes de l’ancien régime. Mégalomanie, culte de la personnalité, répression de plus en plus féroce, néolibéralisme économique forcené, les ingrédients d’une crise future s’accumulent.

    L’auteur conclut par une réflexion sur les guerres civiles en Libye et au Yémen, sur le compromis tunisien et une évaluation sans complaisance de la situation de la gauche dans le monde arabe.

    Wikipedia

    Gilbert Achcar

    Vendredi 03 février 19h 

    Librairie l'Arbre à Lettres Bastille

    62, rue du Fb. Saint-Antoine

    75012 Paris

    http://www.arbrealettres.com/

    http://www.actes-sud.fr/

  • Egypte : six ans après, la révolution confisquée (Libération)

    986918-riot-police-officers-stand-guard-in-front-of-the-cairo-security-directorate-in-egypt.jpg

    Des policiers antiémeute au Caire, le 18 février 2016. Photo Mohamed Abd El Ghany. Reuters

    Le 25 janvier 2011, les Egyptiens entamaient leur soulèvement contre Hosni Moubarak, en place depuis trente ans. Aujourd’hui, la protestation semble bien loin : au nom de la sécurité, le président Al-Sissi ne cesse de restreindre les libertés.

    Voilà des semaines que les Egyptiens se préparaient à cette journée de célébration sous haute tension. Il y a six ans jour pour jour débutaient les premières manifestations appelant au changement de régime. Le 25 janvier 2011 est donc la date retenue pour célébrer la révolution qui a renversé le président Hosni Moubarak. Mais l’Egypte du président Abdel Fatah al-Sissi, ex-chef de l’armée, a aussi choisi cette date pour instaurer «la fête de la police» - le jour est désormais férié. Pour le pouvoir en place, la nation doit ainsi témoigner de «sa reconnaissance pour les efforts des hommes de la police égyptienne dans le maintien de l’ordre et les sacrifices qu’ils ont consentis». Profitant de cette occasion, les forces armées égyptiennes ont, pour leur part, adressé leurs vœux au chef de l’Etat.

    «Quel meilleur symbole de confiscation de nos libertés que celle de transformer la célébration du soulèvement contre la tyrannie en fête des forces de l’ordre !» commente amèrement Nadia. Ancienne étudiante en pharmacie, elle était parmi les dizaines de milliers d’Egyptiens qui ont passé plus de quinze jours autour de la place Tahrir l’hiver 2011. «Le régime actuel est devenu bien plus répressif que celui de Moubarak», note la trentenaire qui ne veut pas que l’on mentionne son vrai nom. Elle est loin d’être la seule. Par peur de la surveillance des services de sécurité et de la délation, les opposants, les intellectuels, voire les chercheurs étrangers, parlent seulement à condition de ne pas être cités. Dans les cafés bruyants du Caire, on doit parfois se chuchoter à l’oreille lorsqu’il s’agit d’évoquer la situation politique ou économique du pays.

    Semi-liberté

    Les restrictions sur les libertés et les droits de l’homme n’ont cessé de s’étendre en Egypte depuis l’arrivée au pouvoir, à l’été 2013, d’Al-Sissi. Visant dans les premiers temps les Frères musulmans - après la destitution de leur président, Mohamed Morsi, en juillet 2013 -, la répression s’est étendue à tous les opposants démocrates. Des dizaines de militants se sont retrouvés en prison pour des manifestations organisées sans l’approbation des autorités.

    Ahmed Maher, un des fondateurs du Mouvement de la jeunesse du 6-avril et icône du soulèvement de 2011, a ainsi purgé trois ans de prison pour des heurts en marge d’une manifestation. Libéré début janvier, il reste soumis à un régime de semi-liberté sous contrôle judiciaire : il doit retourner en détention tous les jours entre 18 heures et 6 heures. Ahmed Maher a été soutenu, pour sa «défense de la justice», par Mohamed el-Baradei, qui a «exprimé l’espoir que la flamme de la liberté ne s’éteigne pas». L’ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, prix Nobel de la paix, venait d’annoncer dans une interview à une chaîne du satellite arabe son retour sur la scène politique égyptienne après plus de trois ans d’absence. El-Baradei a démissionné de son poste de vice-président de la République pendant l’été 2013 après la répression féroce du sit-in des Frères musulmans par l’armée. Il est aujourd’hui menacé de déchéance de la nationalité égyptienne, une demande urgente en ce sens ayant été présentée officiellement le 9 janvier par un député. Ce dernier accuse l’ancien grand diplomate d’œuvrer à «la destruction de l’Egypte», notamment dans ses commentaires sur Twitter.

    «Cette demande reflète le mauvais chemin dans lequel on est engagé. Le fascisme monte», répond l’intéressé sur son compte. Cette passe d’armes n’oppose pas simplement un parlementaire zélé du parti au pouvoir et une figure nationale prometteuse de l’après-Moubarak. Elle est révélatrice d’un état d’esprit qui progresse dans la forteresse assiégée d’Al-Sissi. Au nom de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme, le pouvoir égyptien a adopté ces dernières semaines des lois resserrant l’étau, notamment sur les médias et les organisations de la société civile. Un «Conseil de surveillance des organes de presse» a été mis en place fin décembre pour enquêter sur le financement des médias et verbaliser ou révoquer ceux qui seraient considérés comme contrevenant aux exigences de «sécurité nationale». Les membres de ce conseil sont nommés par le Président lui-même.

    «Chantage»

    La loi sur les ONG, adoptée en novembre par le Parlement égyptien, a été dévastatrice pour les organisations de défense des droits de l’homme et des femmes. Elle oblige chaque association à demander le consentement du gouvernement pour mener ou publier tout travail de recherche ou recevoir des fonds de l’étranger. Les dizaines d’associations ou de centres de recherche subventionnés par des organisations américaines ou européennes sont étranglés, et leurs animateurs poursuivis.

    «Le pouvoir exerce un chantage sur la population en prétendant garantir la sécurité et la stabilité, observe la jeune Nadia. Sinon ce serait le chaos, comme en Libye ou en Syrie.» Malgré la crise économique sévère, la population égyptienne semble en majorité convaincue par cet argument et résignée sur son sort. Pour le sixième anniversaire de la révolution, chacun est invité à s’exprimer sur le hashtag #Notre révolution a été capturée. Mais tout en affirmant que la «révolution de janvier» 2011 continue, les partis d’opposition et les mouvements de jeunes n’osent plus appeler à manifester : ils craignent autant la répression que la démobilisation de la population.

    Claude Halini Envoyée spéciale au Caire
     
    http://www.liberation.fr/
     
    Lire aussi:

    Azza Soliman, le féminisme entravé

  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

    azaz.jpg

    • Syria
      A wide-ranging discussion on the situation in Syria, the Syrian revolution and the Left

      , by KHALIL Yusef, MUNIF Yasser

      Behind the humanitarian disaster of the Syrian civil war is a political crisis the Left urgently needs to understand.
      The Syrian tragedy is a key moral and political question today. Yet it has not been easy for leftists around the world to decide where they stand on Syria.
      To illuminate the (...)

    • Syrie
      Solidarité avec le peuple syrien ! Soutien à sa lutte pour la justice et la liberté !

      , par Avec la révolution syrienne (ARS), Souria Houria

      La chute d’Alep est une tragédie humaine et un désastre politique. Quant à ses conséquences, elles sont moins évidentes.
      Une certaine real politik va inviter à un lâche soulagement, sur le thème « le pire est à présent passé », « le retour à la paix devient possible »… avec conseil à celles et ceux qui ont (...)

    • Syria
      Syria: Aleppo’s forgotten revolutionaries

      , by MRIE Loubna

      Countless icons of the Syrian revolution who struggled for freedom between 2012-2014 have been ignored and erased from history by the western media, writes Loubna Mrie.
      In journalism and on social media, I often come across a narrative - from the Syrian regime’s most ardent supporters, to even (...)

    • Women, patriarchy
      Women in Egypt: Statement – The Asset Freeze of Nazra for Feminist Studies and its Founder and Executive Director is not an End to its Feminist Work

      , by Nazra for Feminist Studies

      The Asset Freeze of Nazra for Feminist Studies and its Founder and Executive Director is not an End to its Feminist Work
      North Cairo Elementary Court decided today, 11 January 2017, to freeze the assets of feminist and woman human rights defender Mozn Hassan, Founder and Executive Director of (...)

    • Palestine & Israël
      Israël : « Nous sommes dans une période de transition du régime politique »

      , par KRIVINE Alain, POJOLAT Alain, WARSCHAWSKI Michel

      Entretien. Militant révolutionnaire et antisioniste, Michel Warschawski a fondé avec d’autres militants de gauche le Centre d’information collective. Avec lui, nous revenons sur la situation du pouvoir israélien ces dernières semaines et les perspectives pour les militants pour la Palestine.
      Alain (...)

     

  • 1956, la crise de Suez (NPA)

    nasser.jpg

     

    Soixante ans après, retour sur ces événements qui ont constitué un moment charnière dans la mise en place d’un ordre mondial aujourd’hui disparu…

    Il y a 60 ans, à la fin du mois d’octobre 1956, la France et l’Angleterre organisaient secrètement avec Israël une intervention militaire contre le régime égyptien de Nasser qui, deux mois auparavant, avait osé défier les puissances occidentales en nationalisant le canal de Suez.

    Tandis qu’à l’ONU, on recherchait une solution diplomatique pour garantir la libre circulation sur le canal, Paris et Londres déployèrent leurs avions de chasse et leurs bâtiments de guerre au large d’Alexandrie, après trois mois de propagande guerrière contre Nasser, alors décrit comme le « nouvel Hitler ». Elles armèrent et couvrirent l’intervention de l’armée israélienne, qui occupa le Sinaï. Mais moins de 48 heures après que leurs parachutistes eurent sauté sur Port-Saïd, les gouvernements du socialiste Guy Mollet et du très conservateur Anthony Eden retiraient leurs troupes sur l’injonction des Etats-Unis et de l’URSS.

    L’événement annonçait la fin de l’influence de la France et de l’Angleterre au Moyen-Orient.

    Plus généralement, alors que le gouvernement socialiste de Guy Mollet, incapable de venir à bout de la révolte de la population algérienne, venait d’intensifier la « sale guerre » dans ce pays, il présageait la fin de la domination coloniale des vieilles puissances européennes, désormais supplantées de façon irréversible par l’impérialisme américain.

    Quant à l’Etat d’Israël, qui devait son existence et sa survie à la détermination des colons juifs pour qui, après le génocide nazi, il n’y avait pas d’autre perspective que la solution sioniste, il apparut à cette occasion, pour la première fois de façon très claire, comme un gendarme de l’impérialisme au Moyen-Orient.

    Alors qu’au même moment les chars russes écrasaient l’insurrection ouvrière hongroise, c’était aussi une expression du nouvel équilibre international qui naissait de la stabilisation des rapports de forces entre les Etats à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, un ordre basé sur le partage du monde et du maintien de l’ordre contre les peuples entre les deux grandes puissances victorieuses, la bureaucratie soviétique et l’impérialisme américain.

    Le Canal de Suez, sous la tutelle des puissances coloniales

    Long de 193 kilomètres et large de 300 mètres en moyenne, le Canal de Suez permet de raccourcir de 8000 kilomètres – distance du contournement de l’Afrique – la navigation entre l’Asie et l’Europe. C’est un élément stratégique fondamental pour les puissances occidentales car il est une des routes les plus rapides pour acheminer le pétrole du Moyen-Orient jusqu’en Méditerranée. Mais au-delà, sa nationalisation par Nasser le 26 juillet 1956 avait éclaté comme un défi insupportable à ceux qui se pensaient comme les maîtres du monde : « le défi qu’il vient de lancer à l’Occident », s’indignait l’éditorialiste du Monde le 28 juillet 1956, en parlant de cette décision de Nasser qu’il rapprochait de la nationalisation par Mossadegh du pétrole iranien, en 1951.

    Le diplomate Ferdinand de Lesseps, qui avait conçu le projet de canal et en avait négocié la réalisation avec le « vice-roi » d’Egypte Mohamed-Saïd, avait obtenu de celui-ci, le 30 novembre 1854, « le pouvoir exclusif de constituer et de diriger une compagnie universelle pour le percement de l’isthme de Suez et l’exploitation d’un canal entre les deux mers ».  Le 15 décembre 1858, il avait fondé la Compagnie universelle du canal maritime de Suez – ancêtre de la multinationale française Suez-Lyonnaise des eaux –, qui avait son siège social à Alexandrie et son siège administratif à Paris.

    La compagnie bénéficiait en outre d’une concession qui lui donnait le pouvoir de construire, entretenir et exploiter le canal pendant une durée de 99 ans à compter de son ouverture à la navigation. Société par actions, elle était possédée à 44 % par l’Etat égyptien et, pour le reste, par 21 000 actionnaires français.

    Les travaux qui commencèrent en avril 1859 furent achevés en novembre 1869.

    Travaux pharaoniques exécutés par plus d’un million et demi d’Egyptiens dont 120 000 – nombre cité par Nasser, dans son discours annonçant le 26 juillet 1956 à la radio la nationalisation du canal – moururent sur le chantier, la plupart du choléra.

    Ce qui aurait dû être une source de revenus pour l’Egypte précipita en fait sa ruine.

    L’Etat égyptien, qui s’était fortement endetté en achetant  la moitié des actions du canal, croulait sous cette dette. La Grande-Bretagne, qui s’était un temps opposée à la construction du canal, se saisit de l’occasion pour se remettre dans le jeu et racheter ses actions à l’Egypte, dont les finances furent néanmoins déclarées un peu plus tard en faillite. En 1876, le gouvernement égyptien fut placé sous la tutelle d’une caisse de dettes dont les administrateurs – deux Français et deux Britanniques, un Autrichien et un Hongrois – organisèrent les restrictions budgétaires, le licenciement des fonctionnaires et autres plans comparables à ceux imposés aujourd’hui à la Grèce ou à d’autres pays par la Banque mondiale, le FMI et la BCE. 

    Les réactions dans la population furent tellement vives que le gouvernement égyptien fut renversé par un groupe de militaires. En 1882, les troupes britanniques intervinrent sur place et prirent le contrôle de l’administration du pays.

    Après sa rupture avec l’Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale, l’Egypte devint un sultanat sous protectorat britannique mais en 1922, confrontée à des révoltes populaires de grande ampleur, la Grande-Bretagne renonça à son protectorat, tout en conservant une grande influence sur le régime du roi Fouad 1er. Et ceci, jusqu’au renversement du fils et successeur de ce dernier en 1952 par de jeunes officiers progressistes, au premier rang desquels s’imposa deux ans plus tard Gamal Abdel Nasser.

    La nationalisation du canal, un « défi lancé à l’Occident »

    Comme ce sera le cas plus tard avec les exploitations sucrières à Cuba, la nationalisation du Canal de Suez se fit en représailles à des pressions impérialistes, au refus en l’occurrence des Etats-Unis d’honorer la promesse de crédits qu’ils avaient faite à l’Egypte pour la construction d’un barrage sur le Nil, à Assouan. Le barrage devait doubler ou tripler la surface des terres irriguées et fournir de l’énergie hydro-électrique.

    Les relations internationales et les alliances étaient encore mouvantes dans le Moyen-Orient issu de la guerre.

    C’est ainsi que l’URSS avait voté dans le même sens que les Etats-Unis en faveur du partage de la Palestine à l’ONU et que la Tchécoslovaquie fut le premier Etat à livrer des armes à Israël.

    Le 24 février 1955 fut signé sous les auspices des Etats-Unis le pacte de Bagdad, une alliance militaire entre la Turquie et l’Irak, à laquelle adhérèrent ensuite la Grande-Bretagne, le Pakistan et l’Iran. L’Egypte, sollicitée de façon pressante, refusa de la rejoindre, essentiellement à cause de la présence de la Grande-Bretagne, l’ancienne puissance coloniale détestée de la population.

    Un autre grief contre Nasser fut qu’en novembre de cette même année 1955, il annonça officiellement avoir conclu un accord avec l’URSS pour des livraisons d’armes par la Tchécoslovaquie, destinées à faire face aux incidents frontaliers qui se multipliaient avec Israël. Enfin, Nasser affirmait publiquement son accord avec les principes adoptés lors de la conférence des « non-alignés » qui s’était tenue avec Tito et Nehru, en avril 1955 à Bandoeng.

    Le 19 juillet 1956, le secrétaire d’Etat américain, John Foster Dulles, faisait savoir que les Etats-Unis retiraient l’offre de prêt précédemment faite à Nasser et invitaient la Banque mondiale à en faire autant. L’URSS, de son côté, affirmait le 22 juillet qu’elle ne financerait pas le barrage.

    Le 26 juillet, Nasser annonçait à la radio, en terminant son allocution par un éclat de rire, que le canal de Suez était nationalisé. Les actionnaires, essentiellement anglais et français, de la Compagnie du canal seraient indemnisés et les droits de passage serviraient à financer le barrage. Plus tard, en septembre, la compagnie du canal renvoya ses pilotes en escomptant que les Egyptiens seraient incapables de s’en passer. Des pilotes égyptiens furent recrutés, se formèrent sur le tas et remplirent avec succès leur toute nouvelle tâche.

    Cette politique déterminée face à la vieille puissance coloniale anglaise valut à Nasser une popularité extraordinaire en Egypte même et dans l’ensemble du Moyen-Orient. C’était une forme de revanche pour les populations qui avaient subi tant d’humiliations de la part des puissances coloniales. Et pour ces dernières, une raison supplémentaire de vouloir se débarrasser de Nasser. 

    Telles furent les raisons véritables de l’intervention militaire franco-britannique contre l’Egypte. Mais les deux compères européens se livrèrent à une machination des plus perverses, négociée en secret avec les dirigeants israéliens pour tenter de légitimer leur forfait.

    Israël entre dans le jeu

    Les dirigeants israéliens réagirent immédiatement, comme les dirigeants français et britanniques, à la nationalisation du canal. Depuis la première guerre israélo-arabe, en 1948-49, la bande de Gaza était occupée par l’Egypte et les tensions territoriales entre les deux Etats étaient incessantes. A l’origine de l’Etat d’Israël, il y avait les foyers d’implantations juives que l’Angleterre, par la déclaration Balfour de 1917, avait autorisées… sur les terres déjà occupées par les Arabes palestiniens. Une stratégie du diviser pour régner en Palestine qui était alors une de ses colonies.

    Après la guerre, en 1947, une résolution de l’ONU, votée aussi bien par les Etats-Unis que par l’URSS, organisa le partage de la Palestine et la naissance de l’Etat d’Israël.

    Un an plus tard, les dirigeants israéliens, qui pouvaient compter sur la détermination des Juifs à s’assurer un refuge en Palestine, élargirent leur territoire à l’issue de la première guerre israélo-arabe.

    Les accrochages étaient réguliers à la frontière égyptienne. Les Palestiniens qui avaient été chassés de chez eux faisaient des incursions en territoire israélien pour récupérer une partie de leurs biens et l’Etat d’Israël organisait en retour des représailles en territoire égyptien. La tension monta encore d’un cran après les achats d’armes de l’Egypte à la Tchécoslovaquie. Israël profita de la situation pour obtenir de la France des avions de chasse et des chars AMX.

    Les dirigeants de l’Etat sioniste se saisirent de l’occasion de la nationalisation du canal pour justifier une intervention de leur armée en territoire égyptien. Ils allaient bénéficier d’un sérieux coup de main de la part des gouvernements français et britannique.

    Indignité de la gauche française

    Ces derniers auraient voulu non seulement reprendre le contrôle du canal de Suez, mais aussi renverser Nasser. Cependant, le Premier ministre britannique Anthony Eden hésitait, la majorité gouvernementale conservatrice était divisée. La bourgeoisie anglaise était soucieuse de préserver ses bonnes relations avec les Etats arabes. 

    En France, le Premier ministre était le socialiste (SFIO) Guy Mollet.

    Elu au sein du Front républicain au début de l’année 1956 en promettant de faire la paix en Algérie, il avait fait volte-face moins de trois mois plus tard après un voyage en Algérie où il avait été hué et malmené par des colons français et l’extrême droite. Le 12 mars 1956, son gouvernement s’était fait voter à une très large majorité, les voix des 146 députés du PCF incluses, les pouvoirs spéciaux qui donnaient à l’état-major de l’armée toute latitude et la liberté d’utiliser la torture. Il envoya en Algérie des renforts militaires malgré les manifestations d’appelés qui ne voulaient pas de cette sale guerre.

    Pour le ministre résident Robert Lacoste, il fallait « punir » Nasser qui hébergeait au Caire des dirigeants de la rébellion algérienne et dont la radio « La Voix des Arabes » soutenait les nationalistes algériens. Un homme se signalait aussi par sa détermination à intervenir, François Mitterrand qui était alors ministre de la Justice et prônait la défense de la civilisation contre « un émule de Hitler », en reprenant le leitmotiv de la campagne politique et médiatique qui s’était déchaînée pendant l’été à Paris. Si Nasser était identifié à Hitler ; le « laisser-faire » des puissances occidentales était comparé à la lâche capitulation, à Munich en 1938, des dirigeants français et anglais devant Hitler qui venait d’envahir la Tchécoslovaquie. Cette même analogie mensongère, un summum de mauvaise foi, fut d’ailleurs utilisée une nouvelle fois par Mitterrand, devenu alors président de la République, contre Saddam Hussein après l’invasion du Koweit en août 1990.

    Le « coup monté »

    En août, Guy Mollet obtint un large accord à l’Assemblée nationale pour une intervention militaire en Egypte. Seuls les députés du PCF et poujadistes s’abstinrent. 

    Alors qu’à l’ONU, les discussions tournaient autour de la recherche de solutions diplomatiques et négociées pour permettre un retour à la libre circulation sur le Canal de Suez, à Sèvres, en France, se tinrent le 24 octobre des négociations secrètes entre les dirigeants français, britanniques et israéliens. Il y avait entre autres Guy Mollet et le chef d’état-major des armées, Challe, un des futurs putschistes d’Alger en 1961, Ben Gourion, Shimon Peres et Moshe Dayan. 

    Le plan imaginé consistait en une première attaque de l’armée israélienne aboutissant à l’invasion du Sinaï, suivie d’un ultimatum franco-britannique ordonnant aux deux parties, Israël et Egypte, de retirer leurs troupes de chaque côté du canal pour y assurer la liberté de circulation, puis, après un constat prévisible de refus de l’Egypte, d’une intervention des troupes françaises et anglaises. 

    Le 29 octobre, comme prévu, les troupes israéliennes de Moshe Dayan pénétrèrent dans le Sinaï, appuyées par des avions de chasse français sous camouflage israélien, et progressèrent très rapidement et plus loin que prévu, dans l’ensemble du Sinaï  et jusqu’aux bords du canal de Suez. Le 30 octobre, les gouvernements français et britannique adressèrent leur ultimatum, comme convenu, aux états-majors israélien et égyptien pour leur intimer l’ordre d’arrêter les combats et, comme il était prévisible, l’Egypte refusa.

    Ce fut le prétexte au déclenchement de l’intervention. Dès le lendemain de l’ultimatum, le 31 octobre, les avions français et britanniques attaquèrent l’Égypte depuis Chypre et détruisirent tous les avions égyptiens au sol. Le 5 novembre, les troupes franco-britanniques débarquèrent à Port-Saïd au mépris de l’adoption la veille d’une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, exigeant un cessez-le-feu.

    Les Etats-Unis et l’URSS sifflent la fin de la partie

    Les Etats-Unis et l’URSS avaient déjà présenté le 30 octobre au Conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution ordonnant un cessez-le-feu et le retrait des troupes israéliennes du Sinaï, mais la France et la Grande-Bretagne y avaient opposé leur veto. De même Guy Mollet, Anthony Eden et Ben Gourion ignorèrent-ils la résolution votée le 4 novembre par l’Assemblée générale de l’ONU. 

    Le 5 novembre, au lendemain de la deuxième intervention des troupes « soviétiques » en Hongrie1, le maréchal Boulganine adressait à la France, à la Grande-Bretagne et à Israël un ultimatum dans lequel l’URSS menaçait d’intervenir contre leur agression « coloniale » de l’Egypte, avec toutes les armes dont elle disposait. Pour les dirigeants de la bureaucratie, l’affaire de Suez offrait une diversion, un écran de fumée qui leur permettait de masquer leur forfait contre la classe ouvrière hongroise en prenant la défense des peuples opprimés par le joug colonial. 

    Eisenhower, de son côté, était furieux que ses alliés soient intervenus sans aucune concertation avec le gouvernement américain. Le 6 novembre, les Etats-Unis vendirent massivement des livres sterling pour faire pression sur le gouvernement anglais. Celui-ci d’abord, puis le gouvernement français, acceptèrent le même jour le cessez-le-feu.

    L’Egypte accepta la présence le long du canal d’une force d’interposition de l’ONU à la place des forces françaises et anglaises, dont le retrait s’acheva le 12 décembre. Elle avait été défaite militairement, et même sévèrement, mais la victoire politique de Nasser était totale et fut un formidable encouragement  au nationalisme arabe. L’impérialisme anglais était supplanté au Moyen-Orient par l’impérialisme américain dont Israël devint le gendarme, le bras armé dans la région.

    Un nouvel équilibre mondial aujourd’hui révolu

    En ces mois d’octobre et de novembre 1956, c’est sur fond de la sale guerre d’Algérie que les vieilles puissances coloniales anglaise et française avaient lancé à l’assaut de l’Egypte leurs marines, avions de chasse et parachutistes. Les dirigeants de l’URSS, quoiqu’ils aient lancé un ultimatum pour exiger le retrait de ces troupes, n’étaient pas mécontents que l’attention soit détournée ailleurs que sur leur propre zone d’influence. Au même moment en effet, la bureaucratie « soviétique », toute déstalinisée qu’elle était, faisait intervenir contre la classe ouvrière hongroise son armée et ses  blindés pour écraser les insurgés qui se battaient pour un socialisme démocratique.

    A la guerre pour faire rentrer dans le rang les peuples qui se soulevaient contre le colonialisme correspondait dans leur zone, à l’Est de l’Europe, la répression des révoltes ouvrières.

    Ces dernières, comme les luttes de libération nationale, représentaient un danger pour l’ordre international et l’ordre social. Mais bien peu nombreux étaient ceux et celles qui dénonçaient les crimes des deux camps. Dans l’un et l’autre bloc, les crimes d’un camp servaient de justification à ceux de l’autre.

    Derrière la rivalité entre les deux blocs, derrière la « guerre froide » qu’avait déclenchée l’impérialisme américain pour tenter d’enlever à l’URSS sa mainmise sur les territoires qu’elle avait occupés à la fin de la guerre, il y avait en fait une alliance tacite contre les peuples. C’en était fini du partage officiel et déclaré du monde, que les craintes d’une révolution après la guerre avaient persuadé les dirigeants impérialistes et Staline de conclure à Yalta. Mais la convergence d’intérêts contre les peuples perdurait, en particulier face à la vague des révolutions anticoloniales.

    L’impérialisme bénéficiait d’un allié qui faisait la police contre les peuples et les travailleurs, en URSS même et dans son glacis, la bureaucratie stalinienne, un facteur réactionnaire indispensable au maintien de l’ordre international. Non seulement d’ailleurs par ses capacités d’intervention contre les travailleurs, mais également parce que le stalinisme, produit de la pression de la réaction contre la vague révolutionnaire qui avait suivi la Première Guerre mondiale, avait profondément perverti les partis et les idées qui se réclamaient du communisme.

    La guerre froide avait connu et connut encore des crises très chaudes où le monde se vit à deux doigts de la guerre mondiale – la guerre de Corée puis la crise des fusées à Cuba. Mais l’ordre international, le pouvoir des classes dirigeantes, se stabilisait et assura, sous cette forme, la perpétuation de l’exploitation des travailleurs et des peuples pendant plusieurs décennies.

    Aujourd’hui, 25 ans après la disparition de l’URSS, sous la pression de l’offensive de la mondialisation libérale et financière, ce monde a définitivement disparu, la page est tournée.

    Mis à l’épreuve de la nécessité de maintenir l’ordre mondial à lui seul, l’impérialisme américain apparaît fragilisé, son hégémonie menacée à plus ou moins longue échéance  par les nouvelles puissances impérialistes que sont la Chine, l’Inde, la Russie. La situation en Syrie où le bourreau de son peuple, Bachar al-Assad, a reçu l’appui de la Russie de Poutine sous les yeux complices des Etats-Unis et de l’Europe, est un révélateur de ce nouvel ordre mondial, fait de chaos et de violences, en proie aux forces les plus réactionnaires. Le monde des Trump, Poutine, Erdogan ou Le Pen.

    Tel est le résultat de l’offensive des classes dirigeantes pour reprendre systématiquement ce qu’elles avaient dû concéder aux travailleurs et aux peuples, les acquis de leurs luttes et de leurs révolutions. Les organisations et partis – sociaux-démocrates, communistes, anticolonialistes – qui avaient conduit ces luttes ont épuisé leurs forces, fait faillite, domestiqués d’abord puis intégrés à l’ordre dominant.

    Mais à travers les bouleversements entraînés par la mondialisation libérale et financière, la classe ouvrière a connu un développement considérable à l’échelle internationale. C’est elle qui détient les clés de l’avenir.

     
  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

    cropped-alep-university.jpg