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Irak - Page 6

  • Les femmes réfugiées risquent agressions, exploitation et harcèlement sexuel lors de leur traversée de l’Europe (Amnesty)

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    Les gouvernements et organismes d’aide humanitaire manquent à leur devoir de fournir la protection la plus élémentaire aux femmes réfugiées arrivant de Syrie et d’Irak.

    De nouvelles recherches effectuées par Amnesty International montrent que les femmes et les jeunes filles sont exposées à des violences, à des agressions, à l’exploitation et au harcèlement sexuel à toutes les étapes de leur trajet, y compris sur le territoire européen.

    Le mois dernier, l’organisation a recueilli en Allemagne et en Norvège les propos de 40 réfugiées qui s’étaient rendues en Grèce depuis la Turquie, avant de traverser les Balkans. Toutes ces femmes ont dit s’être senties menacées et en danger pendant leur périple. Beaucoup ont indiqué que dans presque tous les pays qu’elles ont traversés, elles ont connu agressions physiques et exploitation financière, ont été touchées de manière inappropriée ou ont subi des pressions visant à les inciter à avoir des relations sexuelles avec des passeurs, des employés chargés de la sécurité ou d’autres réfugiés.

    « Après avoir connu l’horreur de la guerre en Irak et en Syrie, ces femmes ont tout risqué pour se mettre en sécurité avec leurs enfants. Mais à compter du moment où leur trajet commence, elles sont de nouveau exposées à la violence et à l’exploitation, sans grand soutien ni protection », a déclaré Tirana Hassan, responsable de la réaction aux crises à Amnesty International.

    Des femmes et des jeunes filles voyageant seules, et d’autres seulement accompagnées de leurs enfants se sont senties particulièrement menacées dans les zones et camps de transit en Hongrie, en Croatie et en Grèce, où elles ont été forcées à dormir aux côtés de centaines d’hommes réfugiés. Dans certains cas, des femmes ont quitté les zones désignées, choisissant de dormir dehors sur la plage parce qu’elles s’y sentaient plus en sécurité.

    Des femmes ont également dit avoir dû utiliser les mêmes salles de bains et douches que les hommes. Une femme a raconté à Amnesty International que dans un centre d’accueil en Allemagne, des réfugiés de sexe masculin allaient regarder les femmes lorsqu’elles utilisaient la salle de bains. Certaines ont pris des mesures extrêmes, arrêtant de s’alimenter ou de boire afin d’éviter de devoir aller aux toilettes lorsqu’elles ne se sentaient pas en sécurité.

    « Si cette crise humanitaire avait lieu où que ce soit ailleurs dans le monde, on s’attendrait à ce que des mesures pratiques soient immédiatement prises afin de protéger les groupes les plus vulnérables, comme les femmes voyageant seules et les familles ayant une femme à leur tête. Au minimum, cela impliquerait de proposer des installations sanitaires bien éclairées réservées aux femmes, et des zones séparées des hommes où elles puissent dormir en sécurité. Ces femmes et leurs enfants ont fui certaines des zones les plus dangereuses du monde, et il est honteux qu’ils se trouvent encore en danger sur le sol européen », a déclaré Tirana Hassan.

    « Si les gouvernements et ceux qui fournissent des services aux réfugiés ont commencé à mettre des mesures en place pour aider les réfugiés, ils doivent passer à la vitesse supérieure. Il faut en faire plus pour que les femmes réfugiées, en particulier les plus vulnérables, soient identifiées et que des processus et services spécifiques soient proposés afin de protéger leurs droits fondamentaux et leur sécurité. »

    Les représentants d’Amnesty International ont parlé à sept femmes enceintes qui ont évoqué le manque de nourriture et de services de santé essentiels, et décrit avoir été écrasées par les mouvements de foule aux frontières et aux points de transit pendant leur périple.

    Une Syrienne interviewée par Amnesty International à Lillestrøm, en Norvège, qui était enceinte et allaitait sa petite fille quand elle a entrepris le voyage avec son mari, a dit qu’elle avait trop peur de dormir dans les camps en Grèce car elle se savait entourée d’hommes. Elle a ajouté qu’elle avait passé plusieurs jours sans manger.

    Une dizaine des femmes qu’Amnesty International a rencontrées ont déclaré qu’elles avaient été touchées, caressées ou déshabillées du regard dans des camps de transit européens. Une Irakienne de 22 ans a dit à Amnesty International que lorsqu’elle se trouvait en Allemagne, un agent de sécurité en uniforme lui avait proposé de lui donner des habits si elle acceptait de « passer du temps seule » avec lui.

    « Pour commencer, personne ne devrait avoir à emprunter ces itinéraires dangereux. La meilleure manière pour les gouvernements européens d’empêcher les abus et l’exploitation aux mains des passeurs consiste à proposer des itinéraires sûrs et légaux dès le début. Pour ceux qui n’ont pas d’autre choix, il est absolument inacceptable que leur passage à travers l’Europe les expose à davantage d’humiliation, d’incertitude et d’insécurité », a déclaré Tirana Hassan.

    AUTRES TÉMOIGNAGES

    Exploitation sexuelle par des passeurs

    Les passeurs prennent pour cibles des femmes qui voyagent seules, sachant qu’elles sont plus vulnérables. Lorsqu’elles manquaient de ressources financières pour payer le trajet, les passeurs essayaient souvent de les forcer à avoir des relations sexuelles avec eux.

    Au moins trois femmes ont déclaré que des passeurs et des membres de leur réseau les ont harcelées, elles ou d’autres femmes, et leur ont proposé un trajet à prix réduit ou un passage prioritaire sur un bateau traversant la Méditerranée, en échange de relations sexuelles.

    Hala, une jeune femme de 23 ans originaire d’Alep, a déclaré à Amnesty International :

    « À l’hôtel en Turquie, un des hommes travaillant avec le passeur, un Syrien, m’a dit que si je couchais avec lui, je ne paierais pas ou que je paierais moins. Bien entendu, j’ai dit non, c’était dégoûtant. Nous avons toutes connu la même chose en Jordanie. »

    « L’amie qui était venue avec moi de Syrie s’est trouvée à court d’argent en Turquie, alors l’assistant du passeur lui a proposé d’avoir des relations sexuelles avec lui [en échange d’une place sur un bateau] ; elle a bien sûr dit non, et n’a pas pu quitter la Turquie, alors elle est encore sur place. »

    Nahla, une Syrienne de 20 ans, a déclaré à Amnesty Internationa :

    « Le passeur me harcelait. Il a essayé de me toucher quelques fois. Il ne s’approchait que lorsque mon cousin n’était pas là. J’avais très peur, d’autant plus qu’on entend tout au long du voyage les histoires de femmes qui n’ont pas les moyens de payer et se voient proposer la solution de coucher avec les passeurs en échange d’une réduction. »

    Être harcelées et vivre dans une peur constante

    Toutes les femmes ont dit à Amnesty International qu’elles avaient eu constamment peur durant leur trajet à travers l’Europe. Les femmes voyageant seules étaient non seulement prises pour cibles par les passeurs, mais sentaient en outre leur intégrité physique menacée lorsqu’elles étaient contraintes de dormir dans des locaux aux côtés de centaines d’hommes célibataires. Plusieurs femmes ont par ailleurs signalé avoir été frappées ou insultées par des membres des forces de sécurité en Grèce, en Hongrie et en Slovénie.

    Reem, 20 ans, qui voyageait avec son cousin âgé de 15 ans, a dit :

    « Je n’ai jamais dormi dans les camps. J’avais trop peur que quelqu’un me touche. Les tentes étaient toutes mixtes et j’ai été témoin de violences [...] Je me sentais plus en sécurité lorsque j’étais en mouvement, en particulier dans un bus, le seul endroit où je pouvais fermer les yeux et dormir. Dans les camps, il y a tellement de risques de se faire toucher, et les femmes ne peuvent pas vraiment se plaindre et ne veulent pas causer de problèmes susceptibles de perturber leur voyage. »

    Violences policières et conditions dans les camps de transit

    Des femmes et des jeunes filles rencontrées ont indiqué qu’un certain nombre de camps étaient très sales, que la nourriture y était en quantité limitée et que les femmes enceintes en particulier ne recevaient qu’un soutien restreint, voire pas de soutien du tout. Certaines femmes ont par ailleurs déclaré que les toilettes étaient souvent sordides et que les femmes ne se sentaient pas en sécurité car certains sanitaires étaient mixtes. Par exemple, dans au moins deux cas, des femmes ont été observées par des hommes alors qu’elles s’étaient rendues dans la salle de bains. Certaines femmes ont en outre été directement victimes de violences perpétrées par d’autres réfugiés, ainsi que par des policiers, en particulier quand des tensions sont apparues dans des lieux d’accueil exigus et que les forces de sécurité sont intervenues.

    Rania, une jeune femme enceinte âgée de 19 ans venue de Syrie, s’est confiée à Amnesty International sur son expérience en Hongrie :

    « Les policiers nous ont alors conduits dans un autre lieu, qui était encore pire. C’était plein de cages et l’air ne circulait pas. Nous avons été enfermés. Nous sommes restés là deux jours. On nous donnait deux repas par jour. Les toilettes étaient pires que dans les autres camps, j’ai l’impression qu’ils voulaient les garder dans cet état pour nous faire souffrir.

    « Lors de notre deuxième jour sur place, des policiers ont frappé une Syrienne d’Alep parce qu’elles les avaient suppliés de la laisser partir [...] Sa sœur a essayé de la défendre, elle parlait anglais. Ils lui ont dit que si elle ne se taisait pas, ils la frapperaient elle aussi. Une chose similaire est arrivée à une Iranienne le lendemain parce qu’elle avait demandé plus de nourriture pour ses enfants. »

    Maryam, une Syrienne de 16 ans, a déclaré :

    (En Grèce) « Des gens se sont mis à crier, alors des policiers nous ont attaqués et ont donné des coups de bâton à tout le monde. Ils m'ont frappée sur le bras avec un bâton. Ils s’en sont même pris à des enfants. Ils ont frappé tout le monde sur la tête. J’ai été prise de vertige et je suis tombée par terre, des gens m’ont marché dessus. Je pleurais et j’ai été séparée de ma mère. Ils ont appelé mon nom et je l’ai retrouvée. Je leur ai montré mon bras et un policier l’a vu et a ri, j’ai demandé à voir un médecin, et ils nous ont dit à toutes les deux de partir. » 18 janvier 2016

    https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/01/female-refugees-face-physical-assault-exploitation-and-sexual-harassment-on-their-journey-through-europe/

  • Les civils, premières victimes de la guerre contre Daech (JDD)

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    A travers leurs rapports accablants, diverses ONG le montrent : les populations civiles sont les plus touchées par la guerre en Syrie et en Irak. 4.000 civils auraient perdu la vie suite aux bombardements depuis janvier 2014. Les armées loyalistes syriennes et irakiennes sont les premières responsables. Mais les frappes étrangères aussi ont tué quelques civils.

    Selon le rapport des ONG britanniques Minority Rights et Ceasefire Centre for Civilian Rights, sorti il y a quelques jours, les premières victimes des bombardements contre Daech seraient les civils. Le rapport évoque 4.000 civils tués en Syrie et en Irak entre janvier 2014 et septembre 2015.

    Le directeur de l’ONG Ceasefire ("Cessez-le-feu"), Mark Lattimer, s’exprimait mercredi matin au micro de France Culture : "Le droit international exige que les belligérants fassent la distinction entre les cibles militaires et les zones civiles, mais on observe que les forces irakiennes lancent des opérations tous azimuts et pilonnent parfois des zones résidentielles. Du côté du gouvernement irakien on entend souvent ‘s’ils restent c’est qu’ils sont avec les terroristes’, mais souvent ils sont pris au piège, ils ne peuvent pas partir."

    Le rapport des ONG indique que la plupart de ces civils (près de 2.800) ont été tués par les forces irakiennes, celles-là même qui informent la coalition des cibles à viser lors des bombardements. Le programme est soutenu par l’Union Européenne et met en œuvre un système de surveillance qui permet aux civils eux-mêmes, en partenariat avec des militants des droits de l’Homme, de recueillir les informations sur place. Le rapport ajoute que des zones résidentielles, des écoles, des hôpitaux et des mosquées ont été détruits par des frappes.

    Human Rights watch, une autre ONG, pointe du doigt l’utilisation par le gouvernement syrien d’armes à sous-munitions qui font de très nombreuses victimes parmi les civils. "Les munitions non-explosées restées au sol constituent un danger mortel", ajoute l’association.

    Selon le rapport de Human Rights watch, "Le gouvernement (syrien) a également persisté à larguer de nombreux barils d'explosifs sur des zones civiles. […] Un groupe local a estimé que les attaques aériennes ont causé la mort de 3.557 civils dans le gouvernorat d'Alep en 2014." Pour reconquérir les territoires terroristes et imposer des négociations, le gouvernement syrien assiège des villes, comme Homs, Madamiyet et Daraya, affamant les populations civiles. Selon l’ONG, plus de 200.000 civils seraient affectés.

    Amnesty International elle aussi dénonce l’action des forces gouvernementales syriennes et irakiennes, mentionnant notamment les arrestations arbitraires opérées par le régime de Bachar El-Assad : "Les forces de sécurité arrêtent arbitrairement des milliers de personnes. Certaines de ces personnes ont été soumises à une disparition forcée, d'autres à de longues périodes de détention ou à un procès inéquitable. Les forces de sécurité pratiquent la torture et d'autres formes de mauvais traitements sur les détenus, de manière systématique et en toute impunité ; selon les informations disponibles, des milliers de détenus sont morts des suites de torture ou en raison de conditions très dures", peut-on lire sur le site d’Amnesty.

    Julie Paquet - leJDD.fr mercredi 02 décembre 201

    http://www.lejdd.fr/International/Les-civils-premieres-victimes-de-la-guerre-contre-Daech-762445

  • Blair, menteur et faussaire (Npa)

     

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    Douze ans après les événements, l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, a présenté de prétendues « excuses » à propos de la guerre en Irak de 2003.

    «Je présente mes excuses pour le fait que les informations que nous avons reçues étaient fausses. Je m’excuse aussi pour certaines des erreurs dans la planification et, évidemment, pour notre erreur à comprendre ce qui se passerait après le renversement du régime», ajoutant qu’il trouve «difficile de s’excuser d’avoir mis fin au pouvoir de Saddam»

    Nous ne versons pas la moindre larme sur Saddam Hussein, mais Blair oublie les men- songes répétés de ceux qui ont déclenché une guerre pour le pétrole, au premier rang des- quels George W. Bush et lui-même. Tony Blair «oublie» de mentionner que les renseigne- ments sur les prétendues armes de destruction massive en Irak ont été sciemment maquil- lés ou totalement inventés.

    Il «oublie» de mentionner que, dès mars 2002, comme vient de le révéler un quotidien britanique sur la base de documents américains, il était associé aux préparatifs de la guerre déclenchée un an plus tard (à l’époque, Blair proclamait sur tous les tons qu’il cherchait une solution diplomatique..). Bien naturellement, Tony Blair «oublie» aussi les victimes civiles irakiennes : des centaines de milliers de victimes des suites du blocus préalable à la guerre (dont de nombreux enfants), et pour ce qui est de la guerre elle-même, au moins cent mille tuéEs, des centaines de milliers de blesséEs, des milliers de disparuEs, des centaines de milliers de personnes déplacées et de réfugiés.

    Si Tony Blair sort aujourd’hui de sa boîte sur cette question, c’est qu’un rapport parle- mentaire britannique risque de remettre la question irakienne sur le tapis. Ses excuses en trompe-l’œil visent à prendre les devants. Au-delà de sa personne, malgré tous les discours humanitaires, les méthodes des dirigeants impérialistes n’ont clairement pas changé depuis 1914 : diplomatie sécrète et mensonges sur le dos des peuples !

  • La France expulse un jeune réfugié irakien fuyant la guerre (Basta)

    Twana, un jeune Irakien de 17 ans qui vivait en Syrie, avait trouvé le moyen de rejoindre l’Europe depuis la Turquie sans passer par le chemin dangereux de la traversée de la Méditerranée et de la route des Balkans et de Hongrie.

    Arrivé à Toulon le 16 septembre par un cargo sur lequel il avait pu embarquer, il s’est retrouvé renvoyé au bout de quelques jours vers la Turquie, sans avoir pu trouver refuge en France.

    « À son arrivée à Toulon, sans document d’identité, il déclare être mineur et vouloir aller en Angleterre rejoindre un proche. Il est transféré en zone d’attente de Marseille, lieu de privation de liberté, où il demande l’asile », rapporte l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), qui assiste les migrants dans les ports et aéroports français.

    Face à ce jeune sans document d’identité, les autorités françaises n’ont pas mis en cause son origine, mais son âge.

    Sur la base d’un test osseux, une pratique pourtant remise en question par plusieurs institutions dont la Commission nationale consultative des droits de l’homme (Voir notre article), elles déclarent que Twana a en fait 19 ans. « L’administration française décide encore une fois d’ignorer le principe, rappelé par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, selon lequel le bénéfice du doute doit être accordé à celui qui se déclare mineur tant que la preuve irréfutable de sa majorité n’est pas rapportée », précise l’Anafé.

    Conséquence : le jeune homme, après avoir émis le souhait d’aller en Angleterre, où il avait de la famille, est renvoyé par cargo vers le Turquie, « où il risque d’être arrêté pour avoir voyagé sans document », précise l’association qui « est aujourd’hui sans nouvelle de Twana. » « Il était parti de Syrie parce que plusieurs membres de sa famille ont été tués », souligne Laure Blondel, la coordinatrice générale de l’association.

    Au moment où la France s’est engagé à accueillir environ 30 000 réfugiés de Syrie parmi les 120 000 qui doivent être répartis à travers l’Union européenne, les autorités françaises viennent donc de renvoyer vers la Turquie un jeune homme irakien venu de Syrie, sans papier, ni soutien, ni famille.

    Par Rachel Knaebel 25 septembre 2015

    http://www.bastamag.net/Un-jeune-homme-irakien-retenu-en-zone-d-attente

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  • Irak : « Ni chiite ni sunnite… ils sont tous voleurs ! » (Npa)

    Même débarrassés de l’ancien dictateur qui a été renversé par l’occupation américaine en 2003, les Irakiens mènent toujours une vie cauchemardesque...

    La situation générale du pays reste marquée par le pillage continu, la corruption basée sur un système de quotas confessionnels ethniques, la dégradation des services publics, des attentats quasi-quotidiens qui frappent des centaines de citoyens tous les mois, surtout dans les quartiers populaires, des milices aux bras longs qui sévissent à Bagdad et pratiquent le kidnapping au quotidien, ainsi que des milliers de personnes détenues pour de longues périodes sans procès... Un pays dont le tiers est occupé par Daesh (l’État islamique) depuis plus d’un an, et où la population souffre sous leur pouvoir des pires formes d’oppression, où les femmes sont systématiquement soumises à la traite et au viol collectif, et où la condamnation à mort est devenue banale.

    Tout ceci s’accompagne d’un ­effondrement des recettes publiques provenant entièrement du pétrole ; de la migration des jeunes sans avenir vers l’Europe ; de l’aggravation de la pauvreté, environ 30 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, avec une grande disparité entre le Kurdistan, au niveau de pauvreté le plus bas, et le Sud à majorité chiite, au taux le plus élevé. Plus de trois millions de personnes ont été déplacées et enfin une guerre féroce « contre » Daesh se déroule à seulement 50 km de Bagdad, la capitale.

    Contre la corruption

    Tous ces drames ont coïncidé fin juillet avec un été anormalement chaud et des températures dépassant les 50 degrés. Cela a poussé de nombreux jeunes à manifester dans l’un des districts de Bassorah, contre la détérioration de la desserte en courant électrique et des services publics en général, contre la corruption rampante et l’enrichissement rapide des responsables locaux qui appartiennent à l’un des partis religieux au pouvoir.

    L’un des manifestants a été tué sur le champ, et un autre a fini par succomber à ses blessures. Ceci a provoqué des manifestations dans toutes les villes du Sud. Certains intellectuels, des artistes et des militants, ont alors appelé à une manifestation dans le centre de Bagdad sur la place Tahrir.

    Ce qui s’est passé a largement dépassé les attentes des initiateurs. Ce fut l’occasion de s’attaquer à tous les problèmes auxquels sont confrontés les citoyens, pas seulement l’affaire du courant électrique et de la détérioration des services. Les slogans dénonçaient même le partage confessionnel du pouvoir, partage qui sert de couverture à la corruption et permet à chaque partie impliquée de se taire à propos des vols et détournements commis dans les ministères des autres.

    Contre le confessionnalisme

    Les deux slogans les plus en vue furent « Ni chiite ni sunnite… ils sont tous voleurs ! » et « Au nom de la religion, ils nous ont dépouillés ». Depuis cette première manifestation du 31 juillet, les mobilisations n’ont cessé de croître à Bagdad et dans les gouvernorats du Sud, prenant de plus en plus un aspect radical contre le partage confessionnel du pouvoir, exigeant sa suppression et même la suppression du Parlement fondé sur le système des quotas, sur la corruption et les privilèges.

    Après le 31 juillet, les manifestations se sont succédées en s’élargissant et en se radicalisant. Cette radicalisation a même bénéficié du soutien de l’autorité suprême chiite, l’ayatollah Sistani, qui jouit d’une bonne réputation parmi les chiites et la majorité des Irakiens pour son rôle contre les tensions confessionnelles et son boycott des politiciens corrompus.

    La majorité des manifestants espérait qu’Haïder al-Abadi, le Premier ministre, satisfasse leurs demandes. Cependant, ses réformes timides sont vite apparues insuffisantes aux yeux des masses révoltées. Elles ont commencé à perdre leurs illusions à son égard, d’autant qu’il appartient au même parti que Maliki. Après les cinquième et sixième semaines, le mouvement le considère comme complice des grands corrompus, ou trop timoré pour les affronter.

    Ces manifestations ont brisé la barrière de la peur qui paralysait les masses irakiennes, même après la chute de Saddam. En outre, elles ont contribué à la naissance d’une nouvelle prise de conscience opposée au confessionnalisme, qui met tous les corrompus de toutes les confessions dans le même panier.

    Finalement, les foules ont commencé à s’organiser au sein de coordinations qui couvrent les régions du Sud, la capitale Bagdad, ainsi que Kirkouk. Des comités se forment au Kurdistan avec le projet de rejoindre le mouvement. Quelque chose a vraiment changé en Irak, même s’il est trop tôt pour se prononcer sur les perspectives de la protestation.

    Saïd Karim

  • Manifestations en Irak: le parlement, sous pression de la rue, vote des réformes anticorruption (Essf)


    Il aura fallu une vague de chaleur, plus de 50 degrés dans les rues de Bagdad, pour que soudain la guerre contre l’Etat islamique (EI) passe au second plan et pour que l’Irak refasse de la politique. Depuis le 31 juillet, des manifestations ont lieu dans la capitale, dans le grand port du Sud, Bassora, et dans les villes saintes chiites de Nadjaf et Kerbala. On y dénonce des coupures d’électricité insupportables par cette chaleur, et la corruption au sein de l’Etat, qui en est l’une des causes. Poussé par la rue, le premier ministre, Haïder Al-Abadi a présenté, dimanche 9 août, un ambitieux plan de réforme du fonctionnement de l’Etat. Le Parlement, sous pression, a approuvé, mardi 11 août, les mesures anticorruption présentées par le chef du gouvernement.

    Ce plan prévoit la suppression immédiate des trois postes de vice-premiers ministres et de vice-présidents, attribués par convention à un chiite, un sunnite et un Kurde. Ce système de répartition du pouvoir selon des lignes confessionnelles et partisanes est un héritage de l’occupation américaine et un symbole du profond dysfonctionnement de l’Etat irakien. Déjà, le vice-premier ministre Baha Al-Aradji, membre du mouvement chiite Sadr, a présenté sa démission. Une enquête sur des soupçons de corruption a été ouverte à son encontre.

    La principale victime de cette réforme serait le vice-président Nouri Al-Maliki, ex-premier ministre de 2006 à 2014, évincé quelques semaines après la conquête par l’Etat islamique (EI) de larges pans des provinces sunnites de l’ouest et du nord du pays. M. Maliki, secrétaire général du parti religieux chiite Dawa, auquel appartient M. Al-Abadi, reste puissant au sein de l’appareil d’Etat, dont il a contribué à façonner les travers autoritaires, clientélistes et confessionnels. C’est lui qui avait réprimé la première vague de manifestations spontanées d’inspiration libérale qu’avait connue l’Irak, fin 2011, en même temps que celles des zones sunnites. « On a l’impression que cette séquence pourrait tourner la page Maliki dans l’esprit de la population irakienne », estime Robin Beaumont, doctorant à l’EHESS.

    M. Al-Abadi souhaite également remplacer de hauts fonctionnaires de l’administration centrale et des provinces, hors des quotas confessionnels et partisans usuels. Il fusionne des ministères pléthoriques, où l’on plaçait des amis politiques.

    « Ils nous ont volés au nom de la religion »

    Les manifestations qui lui ont donné ce mandat fort ont été organisées notamment sur les réseaux sociaux par des fonctionnaires, des journalistes, des membres de la société civile, souvent jeunes, qui dénoncent les partis religieux au pouvoir : « Ils nous ont volés au nom de la religion », scandent-ils.

    Leur initiative a « pris » dans la population épuisée par la faiblesse de l’Etat, essentiellement parmi les chiites. « Depuis un an, tout est gelé au nom de la lutte contre Daech. Les services publics se délitent. Il n’y a plus de centre. C’est une lutte de tous contre tous pour des revenus qui baissent avec les prix pétroliers », analyse Loulouwa Al-Rachid, chargée de mission auprès de l’International Crisis Group en Irak.

    Des proches de l’ayatollah Ali Al-Sistani, principale autorité chiite d’Irak, à la parole rare, se sont rangés derrière la grogne populaire lors du sermon de la prière du vendredi, à Kerbala. Ils ont enjoint M. Al-Abadi à « frapper d’une main de fer  » les corrompus.

    Les observateurs s’attendent à ce que Nouri Al-Maliki, qui s’est déclaré favorable à cette réforme, ne se laisse pas écarter aisément. Le risque est grand, même si les parlementaires l’approuvent, qu’une telle réforme s’enlise.

    Le mouvement est d’ores et déjà soumis à des tentatives de récupération par des groupes religieux. Vendredi, la milice Asaïb Ahl Al-Haq, pro-iranienne, défendait à Bagdad, parmi les manifestants, une « mobilisation civile », pendant de la « mobilisation populaire » armée contre l’EI. « On a réussi à empêcher les miliciens de harceler les vrais manifestants. On n’allait pas laisser faire. On a distribué des drapeaux et pour l’instant, ça marche », dit Anasse Azzaoui, un manifestant.

    Louis Imbert
    Journaliste au Monde
    17 août 2015

    * « Irak : le Parlement, sous pression de la rue, vote des réformes anticorruption ». LE MONDE | 11.08.2015 à 10h38 • Mis à jour le 17.08.2015 à 00h37 :
    http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/08/11/le-premier-ministre-irakien-lance-des-reformes-sous-pression-de-la-rue_4720627_3218.html?xtmc=irak&xtcr=43

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article35730

  • Insurrection citoyenne en Irak (Orient21)

    Contre la corruption et la mainmise iranienne

    Malgré la guerre qui s’enlise contre l’organisation de l’État islamique (OEI), malgré les tensions attisées pour diviser sunnites, chiites et Kurdes, un mouvement citoyen voit le jour en Irak pour en finir avec un pouvoir corrompu et confessionnel. Il exprime, de manière fragile, une volonté de reconstruire une nation irakienne indépendante, loin des ingérences étrangères, y compris celles de l’Iran.

    «  Cette révolution, on pourrait l’appeler la révolution du thermomètre  », ironise Faysal, 38 ans, l’un des tout premiers manifestants de la place Tahrir à Bagdad. Faysal aime se présenter comme laïc et libéral, un courant selon lui majoritaire chez les manifestants de la place Tahrir. «  Ici, il n’y a que des jeunes qui ne veulent pas du mélange entre la religion et la politique et des personnes plus âgées qui ont milité à gauche durant des années  », explique-t-il. «  Dans le sud à Nadjaf et à Bassora, c’est différent, ils sont plus à l’écoute des partis religieux, mais ce qui nous rassemble tous, laïcs, religieux, apolitiques, c’est non seulement la lutte contre la corruption et contre les défaillances des services publics mais surtout un besoin de changement de système  ». «  La chaleur a eu du bon en Irak, elle a montré que la société civile irakienne est encore là. On ne parle plus de l’organisation de l’État islamique mais du peuple irakien  » se réjouit Mazen, 25 ans, lui aussi venu manifester sur la place Tahrir.

    Le rassemblement, spontané, a été provoqué par une vague de chaleur insupportable, sans l’électricité que les gouvernements irakiens successifs depuis 2003 avaient promis de rétablir. Or, 12 ans après l’invasion américaine, il n’y a en moyenne que trois heures d’électricité par jour, «  sauf chez les ministres  », note Mazen. Commerçant dans le quartier central de Karrada, il a fermé boutique pour aller scander des slogans comme «  Non aux voleurs, non au gouvernement, oui à l’Irak  ».

    Sous la pression de la rue, le premier ministre actuel Haïder Al-Abadi a proposé des réformes sans précédent. À commencer par la suppression des postes inutiles et de la gabegie de l’État. Il s’attelle ainsi à remplacer de hauts fonctionnaires de l’administration centrale et des provinces, tout en «  oubliant  » volontairement les quotas confessionnels et partisans usuels. La compétence sera désormais mise en avant.

    Le «  nouvel empereur  »

    «  Pourquoi avoir attendu 12 ans pour donner la priorité aux compétences et non au clientélisme  ? Les Irakiens ont été trompés durant des années, ils veulent que cela cesse  », s’exclame le journaliste et écrivain Sarmad Al-Taïe à Bagdad. Pour lui, cette crise est beaucoup plus profonde qu’un soulèvement contre l’incompétence des services publics. Il affirme que ce qui se joue actuellement relève d’une lutte interne entre deux courants contradictoires au sein des mouvements chiites : les nationalistes et les partisans de l’Iran. Si les manifestants sont volontairement descendus dans les rues, certaines organisations en ont profité pour tenter de les instrumentaliser. À l’instar du hachd al-chaabi  unités de mobilisation populaire  »), la milice soutenue militairement par l’Iran en la personne du général Ghassem Souleimani pour lutter contre l’organisation de l’État islamique. «  Cette milice est montée en puissance et se sent aujourd’hui beaucoup plus légitime et probante que les dirigeants actuels. Elle vise désormais une représentation politique et a cherché à utiliser ces manifestations pour renverser le pouvoir représenté par son rival, le premier ministre Haïder Al-Abadi  », analyse-t-il. Le journaliste va encore plus loin. Selon lui, cette lutte se mène directement entre le pouvoir iranien et le clergé chiite irakien. «  D’un côté le premier ministre Abadi a réussi à rallier la plus haute autorité chiite, Ali Al-Sistani, de l’autre le général Soleimani est soutenu par les courants islamistes et par Nouri Al-Maliki. Un changement de cap sans précédent est en train de s’opérer  », affirme le journaliste spécialiste des mouvements chiites.

    L’analyste politique Wathak Al-Kader abonde dans le même sens. «  Abadi a fait des concessions. Il a réussi un coup politique, celui de transformer ces manifestations en combat patriotique et non sectaire. Cela a augmenté sa popularité. La question se pose désormais de la réponse de l’Iran et du courant islamiste de son parti qui voit d’un mauvais œil son approche patriotique  », s’inquiète-t-il. De hauts gradés de l’armée irakienne, joints par téléphone et souhaitant rester anonymes, confirment l’implication non seulement militaire mais politique de celui qu’ils surnomment «  le nouvel empereur d’Irak  » : Ghassem Souleimani. Ce dernier se sentirait directement menacé par Haïder Al-Abadi qui, au détriment de son prédécesseur Nouri Al-Maliki, est en train de gagner la rue.

    Est-ce la fin de l’Irak tel qu’on l’a connu depuis 2003  ? Pour la première fois depuis le changement de gouvernement, les Irakiens contestent directement ce qu’ils considèrent comme étant l’obstacle majeur au développement : le système politique mis en place par les Américains, avec son paradigme arbitraire de quotas, de séparation des pouvoirs en fonction des confessions, encourageant ainsi un sectarisme perpétuel et sans autre alternative à long terme. Et la mainmise de l’Iran sur les affaires intérieures de l’Irak depuis le départ des GI. Même à Kerbala, fief chiite, les manifestants scandent désormais ce slogan : «  L’Iran dehors, Bagdad est désormais libre  !  »

    Rivalité entre Maliki et Abadi

    Mais une autre menace est à prendre au sérieux. Nouri Al-Maliki, ex-premier ministre, avait réagi aux manifestations dans un discours tenu le 9 août dernier. Il les avait comparées au soulèvement de Fallouja et de Ramadi dans le département d’Al-Anbar. «  Ces manifestations ne doivent pas se transformer en sit-in prolongé comme ce fut le cas dans la région d’Al-Anbar. Ces manifestations ne doivent pas demander la chute du gouvernement. Il faut réconcilier ce gouvernement, non pas le faire tomber. Si ce gouvernement tombe, rien n’empêchera de faire tomber le prochain, et que gagnera l’Irak  ? On regrettera ensuite l’époque d’aujourd’hui et on regrettera le bain de sang causé par cette chute  » a-t-il déclaré devant des centaines de militants. Un discours perçu comme un ultimatum envers les manifestants de Tahrir. «  Nous devons faire sortir le hachd al-chaabi du terrain politique  », a ainsi répondu le premier ministre actuel, fort de sa nouvelle popularité. «  Il faut qu’il y ait une barrière de séparation. Nous ne pouvons pas impliquer des combattants dans une rivalité politique  », a-t-il insisté.

    C’est justement en réaction au discours d’Al-Maliki que l’ayatollah Ali Al-Sistani, la principale figure religieuse du pays, a officiellement demandé à Abadi «  d’avoir le courage d’évincer les hommes qui participent à la corruption et à la gabegie de l’État  ». Le Parlement a ensuite soutenu Abadi en votant les réformes qu’il proposait. Le lendemain, les manifestants ne demandaient plus la chute du gouvernement, mais le maintien du premier ministre actuel. Maliki a ainsi perdu la bataille politique. Reste que sur le plan militaire, Haïder Al-Abadi est désavantagé par rapport à Nouri Al-Maliki qui bénéficie du soutien de l’armée et de forces paramilitaires comme le hachd al-chaabi et qui vient de se rendre à Téhéran, sans aucun doute pour chercher des appuis. S’il a officiellement soutenu Abadi dans ses réformes, dont la première est de supprimer son poste de vice-président, rien ne dit qu’il soutiendra son rival sur le terrain militaire. En parallèle, une commission parlementaire a désigné l’ancien premier ministre Nouri Al-Maliki et 35 autres personnes comme les responsables de la chute de Mossoul, la deuxième ville du pays, tombée aux mains de l’organisation de l’État islamique en juin 2014. Un outil de plus pour écarter l’ex-premier ministre.

    La fin d’un système  ?

    Et qu’en sera-t-il des Kurdes et des sunnites  ? Si ces derniers soutiennent de facto les réformes, c’est également pour revenir au rang d’acteurs à Bagdad et pour contrer l’influence de l’Iran. Quant aux Kurdes, comme à l’accoutumée, ils resteront les faiseurs de roi et choisiront le camp qui protègera leurs intérêts. Pour Sarmad Al-Taïe, c’est probablement la fin d’un système. «  Il se dit dans les couloirs du Parlement qu’un comité du parti Daawa va être organisé pour soutenir Abadi et éloigner le courant pro-Maliki et ainsi prendre un peu de distance avec l’Iran. On parle même de modifier la Constitution  », s’étonne le journaliste.

    Certes, les manifestations actuelles cachent une lutte interne entre les factions chiites, mais elles détermineront aussi la place des autres confessions et des ethnies sur l’échiquier politique. À moins qu’on ne les désigne désormais que par ce qu’elles ont en commun : la citoyenneté irakienne. Reste une question en suspens : quelle sera la réaction du «  nouvel empereur  », Ghassem Souleimani  ?

    Orient XXI  Feurat Alani 24 août 2015
    Journaliste et producteur chez Baozi production, il a vécu quatre ans à Bagdad, où il était notamment correspondant de I>Télé, Ouest France, La Croix et Le Point. Il collabore avec les émissions L’Effet Papillon et Spécial investigation (Canal +) ainsi que Arte Reportage (Arte).
    Site : Baozi prod
     

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  • Irak, un petit vent d’espoir (Lcr.be)

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    Basora

    Depuis la fin du mois de juillet, et malgré des attentats terroristes continus de l’Etat Islamique contre des civils irakiens, des manifestations populaires massives ont eu lieu dans la capitale Baghdad et plusieurs villes du sud pays pour dénoncer principalement la corruption et la faillite politique des partis politiques confessionnels au pouvoir en demandant notamment la dissolution du parlement, la fin de la domination du clergé sur la structure de l’Etat irakien et la modification de la Constitution de manière à mettre un terme aux quotas confessionnels.

    Les manifestations condamnaient également les pannes et coupures d’électricité continues, la détérioration des services publics et la non redistribution des profits de la vente du pétrole aux classes populaires.

    L’étincelle qui a provoqué cette colère généralisée, dont les sources sont beaucoup plus profondes, notamment l’autoritarisme croissant et absence de justice sociale avec plus de 35% d’irakiens vivant sous le seuil de pauvreté, fait suite à la répression par les services de sécurités et milices réactionnaires chiites liés au gouvernement d’une manifestation demandant la fourniture d’électricité dans une région au nord de la ville de Bassorah causant la mort d’un manifestant et faisant 4 blessés.

    Même si des partis conservateurs et alliés au gouvernement et des figures religieuses ont appelé à participer aux manifestations, sans mobiliser pour autant leurs membres, par opportunisme et tenter d’amadouer le mouvement, les manifestant-es, dans sa grande majorité composé de jeunes et avec une présence féminine importante, remettaient en cause le régime politique dans son entier…

    On pouvait en effet entendre dans ces manifestations des appels pour un Etat laic et non confessionnel, contre la division entre population sunnites et chiites, pour les droits des femmes et l’égalité, et une dénonciation claire des partis politiques confessionnelles avec des pancartes sur lesquelles on pouvait notamment lire « le parlement et l’Etat Islamique (ou Daech) sont les deux faces d’une même pièce », « Daech est né des entrailles de votre corruption » « l’Humain ne survit pas de la religion mais du pain et de la dignité », « au nom de la religion, ils agissent comme des voleurs », « non au confessionnalisme, non au nationalisme oui à l’humanité », « il n’y a pas de fin à la corruption dans un système confessionnel et nationaliste, etc…

    L’ancien premier ministre Nouri al-Maliki, dont les huit années au pouvoir, de 2006 à 2014, ont été entachées d’accusations de corruption, d’autoritarisme et d’aliénation de la population sunnite et qui a toujours une influence importante dans le régime irakien, surtout dans les services de sécurités e divers milices confessionnelles chiites, était particulièrement la cible des manifestant-es qui chantaient des slogans demandant qu’il soit jugé pour ses crimes et affaires de corruptions. Une commission d’enquête parlementaire irakienne a d’ailleurs jugé l’ancien Premier ministre et 35 autres personnes responsables de la chute de la deuxième ville d’Irak, Mossoul, tombée sans encombres aux mains de l’EI en juin 2014. Il a été notamment accusé, en tant que commandant en chef de l’armée, de chercher à centraliser le contrôle de l’armée dans ses services et d’avoir joué une part importante dans son affaiblissement en nommant notamment des commandants choisis pour leur loyauté plutôt que leur compétence.

    Des groupes de milices liés à l’ancien premier ministre al-Maliki et/ou bien à la République Islamique d’Iran (RII) n’ont d’ailleurs pas hésité à s’attaquer à des manifestants à l’arme blanche dans certaines villes comme Baghdad et Kerbala avec la neutralité bienveillante des forces de sécurité locales faisant plus d’une trentaine de blessés à Baghdad notamment et une dizaine à Kerbala notamment.

    En plus une large foule dans la ville de Kerbala, haut lieu symbolique du chiisme, n’a pas hésité également à dénoncer l’influence hégémonique de la République Islamique d’Iran sur le gouvernement irakien et ses interventions dans les affaires du pays en chantant « Kerbala est libre, Téhéran dégage! Dégage! » après que des groupes de milices confessionnelles chiites, nommés les « forces de mobilisations populaires », formés et structuré par le régime irakien avec l’assistance directe de représentants officiels de la RII de la pour combattre l’Etat Islamique, et des hommes du clergé shiite scandaient des slogans à la gloire du Guide suprême iranien Ali Khamenei. Les manifestant-es furent ensuite attaqués par ces milices.

    Quelques jours après, toujours dans la ville de Kerbala, des manifestant-es ont tenté de prendre d’assaut le bâtiment du gouvernement local de la province, mais ils ont été repoussé par les forces de sécurité.

    Ce mouvement populaire massif s’est accompagné aussi de grèves dans certains secteurs, particulièrement de l’énergie et de l’industrie, s’opposant aux privatisations and pour des meilleures conditions de travailles.

    Le gouvernement irakien dirigé par le Premier Ministre Haider al-Abadi, du mouvement fondamentaliste islamique chiite Dawa, a réagi à ces manifestations en faisant voter des nouvelles lois contre la corruption et a supprimé d’importants postes (notamment des trois vice-Premiers ministres et trois vice-présidents, dont Nouri al-Maliki) et de privilèges des ministres et députés pour tenter de mettre fin à ce mouvement. Le programme proposé par le Parlement porte également sur la « réduction immédiate et globale » du nombre très important de gardes du corps des officiels, sur la suppression des « provisions spéciales » allouées aux hauts responsables et enfin sur l’abolition « des quotas confessionnels ». Le plan propose que les responsables politiques ne soient plus choisis selon leur appartenance confessionnelle ou ethnique, mais selon « leurs compétences, leur honnêteté et leur expérience »…

    Ces mesures resteront néanmoins probablement seulement propagandiste et un moyen de calmer la colère croissante des classes populaires irakiens, parce que les principaux bénéficiaires du régime confessionnel sont ces mêmes députés qui ont voté ces lois.

    Il faut témoigner notre solidarité avec les masses populaires irakiennes, qui n’ont cessé de souffrir des oppressions locales, de la dictature de Saddam Hussein aux partis confessionnels et réactionnaires au pouvoir depuis 2005, en plus de l’EI, et des interventions régionales, de la RII et des monarchies du Golfe, et internationales impérialistes, particulièrement des Etats Unis de l’embargo à l’invasion et l’occupation militaire à partir de 2003, dans leurs luttes pour la démocratie, la justice sociale, l’égalité et contre le confessionnalisme.

    C’est un petit vent d’espoir qui souffle d’Irak dans une région dominée et écrasée par des dictatures sanguinaires et des forces réactionnaires.

    Joseph Daher 20 août 2015

    Pour voir des vidéos et photos des manifestations:

    https://syriafreedomforever.wordpress.com/2015/08/17/continued-protests-in-iraq-مظاهرات-مستمرة-في-العراق/

    https://syriafreedomforever.wordpress.com/2015/08/09/slogans-chanted-by-protesters-on-tahrir-square-in-baghdad-شعارات-في-التحرير-في-مدينة/

    https://syriafreedomforever.wordpress.com/2015/08/08/العراق-ينتفض-ضد-الفساد-و-الطبقة-السياس/

    Source : Syria Freedom Forever

    http://www.lcr-lagauche.org/irak-un-petit-vent-despoir/

  • Turquie/Irak: Massacre commis par l’armée turque au Sud-Kurdistan (Irak)

    Nouveau massacre commis par l’Etat turc

    Le gouvernement Turc commet ouvertement un crime contre l’humanité.

    Dans la nuit du 31 juillet au 1er août, des F 16 de l’armée turque ont bombardé Zergelê, un village kurde situé aux abords du Mont Qandil (Kurdistan Irakien). Dix (10) civils, dont une femme enceinte, ont perdu la vie. Des dizaines personnes sont grièvement blessées, dont 15 grièvement, tandis que plusieurs autres se trouvent encore prisonnières des décombres des habitations visées une par une par l’aviation turque durant plus d’une heure. Aprés le premier bombardement, les villageois accourus sur place pour secourir les blessés ont eux aussi été ciblés par les frappes aériennes Le nombre de morts et de blessés pourrait malheureusement s’accentuer.

    L’aviation turque poursuit ses opérations et survole continuellement les régions Kurdes de Gare, Zap, Xakurke, Metina et Haftanin. Sans faire de distinction entre résistants du PKK et civils, la Turquie s’obstine dans sa logique de guerre, avec un seul objectif, commettre d’autres massacres

    N’est-il pas temps de dire STOP à la coalition Daesh-Turquie ?

    Nous appelons l’opinion publique démocratique à protester contre l’Etat turc et son gouvernement qui bombardent depuis le 24 Juillet 2015 de façon systématique la guérilla ainsi que les civils kurdes.

    Combien de temps encore l’ONU, l’UE et les USA vont-ils garder le silence face à ces massacres de civils et à cette logique de guerre du Président turc Recep Tayyip Erdogan et de son premier ministre Ahmet Davutoglu ?

    Les Etats et les institutions internationales en coalition avec l’Etat turc ne voient-ils pas que celui-ci commet un crime contre l’humanité ?

    Quand vont-ils s’interroger réellement sur leurs relations avec l’Etat Turc qui massacre le peuple kurde et bombarde les bases du PKK, alors même que ce dernier est un rempart contre DAESH ?

    Nous appelons la communauté Internationale à dénoncer avec vigueur le massacre commis contre notre peuple et à être solidaire avec le peuple kurde dans sa lutte légitime contre la collaboration sanguinaire Daesh-Turquie.

    Congrès national du Kurdistan (KNK)
    1er août 2015

    KNK   1er août 2015
     
  • Irak, Syrie… – La contre-révolution et l’organisation de « l’Etat islamique » (ESSF)

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    Depuis juin dernier, le monde, à en croire les grands médias ou les dirigeants des principaux pays impérialistes, serait exposé à un danger inédit et imminent, n’affectant pas seulement la sécurité des pays de la région arabe, mais qui s’en prendrait à la « paix mondiale » et la « Sûreté nationale » des pays impérialistes de l’est et de l’ouest, avec à leur tête les Etats-Unis, à un point tel que le Conseil de Sécurité a adopté une résolution le 15 août 2014 (n°2170), en vertu du chapître 7 qui autorise le recours à la force contre l’organisation de l’Etat islamique et le Front Al-Nosra, que la résolution caractérise comme terroristes. La résolution prévoit des sanctions contre quiconque les soutiendra ou les aidera. Cette alerte du danger de l’organisation de « l’Etat islamique » intervient après que cette dernière eut mis en place l’Etat du califat islamique le 3 juillet de l’année passée.

    L’Irak, un pays dévasté

    L’Irak a subi un régime dictatorial et sanguinaire, à l’ombre du Baath depuis 1968, dirigé par Ahmad Hassan Albakr, puis Saddam Hussein. Ce pouvoir qui a été aux commandes d’un pays riche en ressources naturelles, particulièrement pétrolières, a écrasé le mouvement ouvrier et communiste, l’un des plus actifs et massifs dans la région ; il a tout fait aussi pour écraser le mouvement de libération nationale kurde, par des moyens brutaux, comme le recours aux armes chimiques contre des civils à Halabja.

    Le parti Baath au pouvoir dans le passé en Irak, se distingue, en dépit d’une ressemblance en matière de sauvagerie, de son parti frère et rival en Syrie, sous Assad le père, puis son fils héritier, par le fait qu’il était plus chauvin que le second car c’est un parti dont la légitimité se réclame de l’idée du nationalisme arabe chauvin. Il n’a pas hésité à accuser la majorité « chiite » et les Kurdes, soit l’essentiel des masses paupérisées et populaires et le terreau essentiel du mouvement ouvrier et communiste, d’être d’origine « iranienne » ou Safavides, comme cela est courant dans le discours chauvin crétin, pour les premiers, et des agents d’Israël pour les seconds.

    Trois décennies de guerres, de destruction et de dévastation

    L’Irak en tant que pays vit effectivement un état de guerre depuis 1980, soit trois décennies, avec des effets désastreux pour la société irakienne sur tous les plans. Le régime bourgeois et dictatorial de Saddam Hussein a mené sa première guerre, soit la première guerre du Golfe, contre l’Iran en 1980, une guerre qui a duré huit ans, et a entraîné une destruction massive en Irak. Les pertes dans l’infrastructure irakienne à la suite de cette guerre sont évaluées à 200 à 350 millions de dollars.

    Deux ans après la fin de la guerre du régime baathiste irakien contre l’Iran, ce même régime a envahi le Koweït au début du mois d’août 1990, à la suite d’un différend sur les champs de pétrole et d’un changement des politiques saoudiennes et des pays du Golfe à son endroit, passant de l’alliance à l’endiguement. L’impérialisme américain a utilisé cette invasion comme prétexte pour réaffirmer son hégémonie, non seulement dans la région, mais aussi à l’échelle mondiale, d’autant plus que cela était concomitant de l’effondrement du bloc de l’est et de l’Union soviétique, pour déclencher début 1991 une guerre dévastatrice contre l’Irak et de détruire ses forces armées au Koweït, lors de ce que l’on a appelé la seconde guerre du Golfe. Cela a entraîné une destruction supplémentaire des infrastructures irakiennes, estimée à 232 milliards de dollars environ. La seconde guerre du Golfe a été suivie d’un blocus impérialiste assassin, et l’un des plus meurtriers, en Irak qui a duré jusqu’à l’invasion impérialiste de l’Irak en 2003, soit la troisième guerre du Golfe qui a détruit le reste du pays et de la société irakiennes. A elles seules, la première et la seconde guerre du Golfe avaient causé la mort d’un million et demi de civils et de militaires.

    Les pertes supportées ou qui vont être supportées par l’Irak en raison de ces guerres sont évaluées à un trillion (mille milliards) et 193 milliards de dollars. En d’autres termes, les richesses pétrolières de l’Irak ont été vendues par anticipation, pour les 85 années à venir. Mais l’impérialisme américain a été défait en Irak et contraint de se retirer en 2011, après une résistance acharnée des masses irakiennes de toutes sensibilités politiques. Avant son retrait, cet impérialisme a mis en place un régime politique faible et corrompu reposant sur les quotas confessionnels qui n’a fait qu’exacerber le caractère catastrophique de la situation et préjudiciable à la majorité écrasante des Irakiens. En plus de l’injustice sociale et politique à laquelle se sont heurtés des secteurs larges d’Irakiens en raison des mesures d’exclusion confessionnelle, les politiques de « éradication du Baath » ont contribué à exclure des centaines de milliers de fonctionnaires, les militaires irakiens de l’ancien régime, ce qui a exacerbé chez beaucoup de ces derniers une hostilité illimitée envers le régime mis en place par l’occupation américaine, pas toujours en tant que réponse politique organisée à ce confessionnalisme, mais sous la forme d’une réaction confessionnelle, ce que n’ont fait qu’exacerber les politiques confessionnelles et corrompues de Nouri Al Maliki.

    La fondation

    Il est notoire et répété dans la plupart des écrits que la formation initiale du futur « Daech », était « le groupe d’unification et de combat » fondé par le Jordanien Abou Mossab Al Zarkaoui (Ahmad Fadhel Al Khalaïla) en 2004, après l’invasion américaine de l’Irak, où ont afflué un grands nombre de jihadistes pour résister à cette invasion. Le nom du groupe est devenu, après qu’il eût prêté allégeance à Ben Laden « Al Qaïda du Jihad au pays de la Mésopotamie ». Mais à la suite de l’assassinat de Al Zerkaoui le 7 juin 2006, a été annoncée le 15 octobre de la même année la constitution de « l’Etat islamique d’Irak ». Le 19 avril 2010, Abou Omar Al Baghdadi et Abou Hamza Al Muhajer se sont succédés à la tête de l’organisation, jusqu’à ce que soit enfin nommé Abou Bakr Al Baghdadi (Ibrahim Awad Al Badri Al Samraï) chef et qu’il se soit désigné comme calife, par la suite.

    « L’Etat islamique d’Irak » fut l’une des plus importantes organisations de la scène irakienne, d’autant qu’elle avait attiré des dizaines d’officiers du régime de Saddam Hussein, des baathistes, surtout après la disparition d’autres forces militaires où étaient enrôlés ces officiers, comme les phalanges de la Révolution d’Achrin, l’Armée islamique, l’Armée de Mohammad, l’armée de la Confrérie Naqchabandie. Cette dernière a des origines baathistes mais avait adhéré aux thèses islamistes pour se rapprocher d’un milieu social sunnite qui n’a toujours pas trouvé d’expression politique moderne. Sans parler d’autres groupes armés opposés à l’occupation américaine et au régime politique mis en place sur la base de quotas confessionnels. D’une part, ces groupes se caractérisaient par une surenchère religieuse ou confessionnelle qui avait permis leur émergence, d’autre part, la destruction sociale et économique du pays, et la discrimination confessionnelle et politique dont étaient victimes les sunnites par le régime confessionnel ont entraîné des contestations face aux inégalités croissantes. L’un de ces officiers baathistes, qui ont joué un rôle important pour améliorer la situation organisationnelle, militaire et de renseignement de l’Etat islamique d’Irak, est le colonel de l’Etat Major Hajji Bakr (de son vrai nom Samir AlKhalifawi), sans parler d’autres personnages moins connus, comme le brigadier Abou Mohand Al Sweïdani, les colonels Abou Muslim Al Turkmeni, Abdurrahim Al Turkmeni et Ali Aswad Al Jabouri, le lieutenant colonel Abou Amor Al Naïmi, le lieutenant colonel Abou Ahmad Al Alwani ,le lieutenant colonel Abou Abdurrahmane Al Bilawi, le lieutenant colonel. Abou Aquil Moussoul et Abou Ali Al Anbari. Ils font partie de l’instance dirigeante de l’Etat islamique.

    Cette fusion entre officiers batistes – formés au sein d’une régime despotique et dogmatique basé sur un crédo nationaliste chauvin et d’un courant tekfiri empruntant le voie salafiste jihadiste, de l’organisation Al Qaïda, dans les circonstances précitées de l’Irak d’alors, a conféré à l’organisation de « l’Etat islamique d’Irak », dont le nom deviendra par la suite « Etat islamique en Irak et au Levant » (Daech), une spécificité qui le distingue des autres organisation jihadistes traditionnelles. Le combat pour elle consiste à fonder un Etat (le Califat), dans sa forme la plus réactionnaire et féroce, hic et nunc, sur terre, suivant une stratégie militaire, politique et médiatique claire, en écrasant tout ce qui est démocratique et progressiste dans la société.

    Quoi qu’il en soit, la direction de Daech est majoritairement irakienne. Les vingt commandants les plus importants dans l’organisation sont tous irakiens, à l’exception d’un Syrien.

    La constitution de Daech

    Le régime syrien a compris dès le départ le danger que ferait courir la poursuite des manifestations pacifiques de masse ; pour cette raison, il les a dépeintes dès le début comme terroristes et tekfiries, et a mené une politique de provocation confessionnelle par la diffusion en continu par les appareils sécuritaires, surtout pendant la première année de la révolution, de vidéos sur les réseaux sociaux, puisque c’étaient eux qui étaient le plus prisés par les militants de la révolution, des scènes de torture et de meurtre perpétrés par les forces du régime contre les manifestants avec brutalité et en mettant en avant le caractère confessionnels de ces actes vus dans ces films,. Il a mené cette politique avec force cynisme et ruse. De même le régime dans la seconde moitié de l’année 2011 et au début de l’année 2012 a libéré des centaines de jihadistes détenus dans ses prisons et qui avaient été arrêtés à leur retour d’Irak.

    Le noyau originel du Front Al-Nosra s’activait déjà en Irak au sein de « l’Etat islamique d’Irak ». Ce dernier les a envoyés dans la seconde moitié de 2011 en Syrie, pour y constituer une branche d’Al Qaïda ce qu’Al-Nosra a fait avec succès, dont le nom a commencé à émerger au début de l’année 2012 et qui a acquis de la notoriété et de l’influence en raison du courage de ses combattants, et leur discipline alors. A ses débuts il n’avait pas de projet d’édification d’un Etat islamique, du moins pas en public, sans parler de son armement de qualité qui surpassait celui des brigades de l’Armée libre, tout cela a poussé de jeunes Syriens à le rejoindre.

    Depuis avril 2013, à la suite de l’ordre d’Abou Bakr Al Baghdadi, chef de l’Etat islamique en Irak de fusionner Al-Nosra avec l’Etat Islamique en Irak pour former une seule organisation, il y a eu une divergence entre les deux branches de la même organisation d’Al Qaïda en Syrie, l’une refusant de rejoindre Daech et l’autre l’ayant rejointe. Si les deux puisaient à la même idéologie religieuse réactionnaire et terroriste, cependant la divergence entre les stratégies et les intérêts l’a emporté pour se transformer en affrontement armé. Pour paraphraser le philosophe italien Antonio Labriola : « Les idées ne tombent pas du ciel et rien ne vient par les rêves ».

    Dans le débat entre les deux parties, il est utile de faire remarquer l’influence de cette « fusion », précitée entre des nationalistes baathistes et un courant salafiste jihadiste au sein de Daech. Abou Mohammad Al Adnani a répondu le 20 juin 2013 à l’invitation d’Ayman Al Zahouahiri de dissoudre Daech et restituer à chaque organisation son nom et les limites de son action, à savoir l’Etat islamique en Irak, et Jabha Al-Nosra en Syrie, en disant que : « Si nous acceptons la décision de dissoudre l’Etat (Islamique), c’est une reconnaissance des frontières de Sykes Picot » Effectivement, l’une des actions symboliques de Daech – le symbolisme et l’utilisation des médias font partie de la stratégie de cette organisations – fut d’effacer une partie des frontières qui séparent l’Irak de la Syrie, et de diffuser ces images à une large échelle, au début du mois de juin 2014.

    Ce mélange de « nationalisme » et islamisme extrémiste chez Daech va au-delà des frontières de l’Irak et de la Syrie, pour faire appel à la mémoire de l’empire musulman et évoquer un passé révolu. Abou Bakr Al Baghdadi lui-même a affirmé le 30 juillet 2013 : « Nous renouvelons l’ère de la Oumma (nation musulmane), nous ne saurions vivre sans avoir libérer les captifs musulmans en tous lieux, repris Jérusalem, être revenus en Andalousie et nous allons conquérir Rome » lors d’un discours flattant les sentiments nationalistes et religieux et se présentant comme un adversaire de l’Etat sioniste et l’Occident, bien que de façon très réactionnaire.

    Dans son message il affirme le penchant de Daech pour le combat et la violence, y compris dans le domaine de la prédication. Il insiste sur le fait que « le combat est une partie de la prédication aussi, et nous allons traîner les gens enchaînés paradis ».

    Dans son discours, Adnani a centré sur l’importance de l’édification de « l’Etat islamique » même si les conditions n’en sont pas réunies. Il y a ajouté une autre spécificité de Daech par rapport aux autres organisations jihadistes. Il ne prend pas position par rapport aux autres parce que ces dernières auraient décidé d’embrasser le « vrai » islam, la foi et la pratique de la religion, mais il en exige l’allégeance à l’Etat qu’il a l’intention d’édifier : « l’Etat islamique », avant même la proclamation de l’Etat du Califat. Alors que Al Zaouahiri appelait les Frères musulmans d’Egypte « mes frères », Adnani quant à lui dit d’eux dans un message intitulé « Le pacifisme est la religion de qui ? » du 31 août 2013 : « les Frères (Musulmans) ne sont qu’un parti laïc avec une pèlerine islamique, ils sont les pires et les plus répugnants des laïcs ».

    Donc nous notons une sorte de rupture, idéologique et politique entre Daech et toute une série de forces islamistes aux positions réactionnaires diverses, dont les forces jihadistes qui ont précédé comme Al Qaïda et sa branche syrienne. Nous avons déjà parlé des origines matérielles de cette rupture qui n’est pas issue seulement de divergences d’interprétation religieuse, comme le disent certains opposants libéraux dans leur analyse « confessionnelle » du conflit. Karl Marx écrivait dans sa préface à l’Economie politique : « nous ne jugeons pas une période d’après sa conscience, c’est au contraire la conscience qui va être expliquée par les contradictions de la vie matérielle ». Daech s’en distingue en Syrie en se basant essentiellement sur des dirigeants et des combattants dont la majorité ne sont pas Syriens, alors que la majorité des combattants et des directions du Front Al-Nosra sont d’origine syrienne. C’est ce qui peut expliquer en partie leur prise en compte la spécificité de la situation syrienne, en comparaison avec l’organisation Daech dont la majorité des directions et une large part des ses combattants ne sont pas Syriens. Par ailleurs ils se disputent le contrôle et l’influence matérielle, des sources de richesses, comme les puits de pétrole et les points de passages frontaliers.

    L’occupation rapide par Daech de Mossul en Irak le 10 juin 2014, son extension aux zones kurdes et yézidies, les massacres hideux commis à l’encontre des militaires et des civils ont été le préliminaire à la proclamation par l’organisation de ce à quoi il avait appelé ouvertement, l’établissement de l’Etat du Califat, le 29 juin 2014 et l’allégeance prêtée au chef de l’organisation, Abou Bakr Al Baghdadi, comme Calife, permettant à Daech une présence se partageant entre l’Irak et la Syrie, soit sur un tiers de la surface des deux pays.

    L’influence des groupes islamistes extrémistes a progressivement prévalu sur la scène de l’action armée dans les régions « libérées », en raison de la faiblesse de l’organisation et de l’armement de l’Armée libre et de l’abandon par les pays du groupe des « Amis du peuple syrien » des promesses qu’ils avaient faites de l’armer – du reste, il n’en avaient jamais eu l’intention, mais ils leur avaient offert des armes légères qui ne pouvaient les prévenir de l’extermination. Dans le même temps les pays de la région comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, la Turquie, sans parler d’importants réseaux soutenant le jihad islamique, dans les pays du Golfe et autres, ont pourvu les groupes islamistes extrémistes en armes et argent de façon illimitée, ce qui leur a permis d’imposer leur hégémonie, devenue évidente fin 2014 dans la plupart des régions qui sortent du contrôle du régime.

    Le développement de Daech et des islamistes extrémistes en Syrie suppose une désintégration sociale

    Il faut remettre la domination de la contre révolution croissante, dans les zones « libérées » et plus particulièrement de l’organisation de l’Etat islamique, mais aussi d’Al-Nosra et de Ahrar Al Cham et autres groupes jihadistes hyper réactionnaires, dans son contexte temporel, soit au printemps 2013 et l’annonce ultérieure de la constitution de Daech, le 9 avril 2013. Il faut également la relier à la situation sociale globale des masses syriennes, dans les zones libérées. Ces masses avaient souffert d’une guerre sanglante menée par les forces du régime qui avait détruit les infrastructures sociales, les quartiers et les municipalités et toutes les composantes de la vie, civile et agricole, lors d’affrontements avec des forces sous armées, sous organisées, et populaires, dénommées « Armée libre ».

    Pour dépeindre ce dont souffrent les masses des régions libérées au début de l’année 2013, les conditions objectives l’expliquent dans une certaine mesure, en ce qu’elles ont permis la progression des forces islamistes jihadistes réactionnaires avec à leur tête Daech. Un rapport publié sous le titre « Réalités socio-économiques à la lumière de la révolution syrienne » du 24 novembre 2013, par le « Centre syrien de recherches et d’études », résume ainsi la situation dans les zones « libérées » en mars de la même année :

    « Dans le cas de la Syrie, les opérations militaires, les bombardements, les arrestations, les déplacements et les exodes de masse, ont affecté la situation humanitaire et économique des Syriens. En dépit du rôle croissant de la société civile, la crise a entraîné une détérioration des relations sociales et la propagation de l’extrémisme et du fanatisme. Elle a affecté négativement les valeurs et les normes sociales, en attisant des idées et des comportements de vengeance. Tout cela a causé une perte énorme de l’harmonie, de la solidarité sociale et des ressources humaines au niveau socioculturel, bien difficile à compenser. Cela a contribué à l’augmentation des gains illicites, par l’utilisation de la violence, ce qui renforce des facteurs du développement inversé. »

    Bien sûr, le chiffre a cru depuis lors, plus de la moitié des habitants de la Syrie sont pauvres, dont 6,7 millions sont passés sous le seuil de la pauvreté depuis le début de la révolution et au printemps 2013, environ 2,3 millions de fonctionnaires et de travailleurs avaient perdu leur poste et leur emploi, le chômage s’établissant aux alentours de 50%.

    En réponse aux interrogations sur le rôle des travailleurs-qui ont participé aux manifestations dès le début de la révolution, mais à titre personnel en général en raison de l’absence de structures syndicales indépendantes, ou de partis politiques et révolutionnaires, puisque la loi de la clique au pouvoir n’autorise que le parti Baath ou des partis satellites, comme le Parti communiste de Bagdach et ses diverses scissions, toutes caractérisées par le même opportunisme et leur trahison de la lutte de la classe ouvrière, l’activité dans les milieux ouvriers- ce rapport indique que : « plus de 85 000 travailleurs ont été licenciés pendant la première année de la révolution. La moitié des licenciements concernent les gouvernorats de Damas et ses banlieues. Et ce nombre n’inclue pas les gouvernorats de Homs, Hama et Idlib où, selon les chiffres officiels, 187 entreprises du secteur privé ont été complètement fermées lors de la période allant du 1er janvier 2011 au 28 février 2012. Il convient de noter que ces chiffres n’ont pas une grande crédibilité, car le nombre d’ateliers et d’usines fermée est de l’ordre de 5000, sans parler des commerces, des marchés qui ont été totalement pillés et détruits, à Homs, Alep, et autres gouvernorats. »

    Ajoutons le nombre de logements entièrement détruits qui s’élevait au début de l’année 2013 à un demi million, et autant de logements partiellement détruits. Cette situation tragique a conduit en 2013 un tiers des habitants de la Syrie, essentiellement des régions révoltées, à se transformer en réfugiés dans les pays voisins ou en déplacés d’une région à l’autre, plus sûre, à l’intérieur du pays. Evidemment en 2014 la moitié des habitants étaient soit des déplacés soit des réfugiés.

    Dans cette situation socio économique de dévastation totale, de désintégration sociale, de désertification humaine, Daech essentiellement, ainsi que les groupes islamiques réactionnaires jihadistes, ont pu se développer et être hégémoniques. L’autre condition de leur développement a été la marginalisation et l’écrasement de l’Armée libre, considérée pour l’essentiel comme la forme populaire de la résistance, face à la violence et la sauvagerie du pouvoir baathiste, et le produit de la révolution populaire. C’est ce qu’ont fait Daech et Al-Nosra, et leurs pairs jihadistes.

    Le développement de Daech et de la contre révolution suppose l’écrasement du mouvement populaire et démocratique

    L’exemple de la ville de Raqqa, qui est la première à s’être libérée des forces de la clique au pouvoir le 4 mars 2013, est sans doute central pour mettre à jour les pratiques de Daech face au mouvement populaire. Cette ville a connu une grande émulation culturelle, politique et populaire à la suite de sa libération et jusqu’à ce qu’elle tombe sous l’emprise de Daech. Un reportage de l’envoyé du Sunday Telegraph, Richard Spencer publié le 30 mars 2014 indique que : « la ville de Raqqa est sous la domination des opposants des groupes libéraux. La ville située au nord de la Syrie est le théâtre de nombreux cercles de discussion philosophiques et politiques, au point que l’un des groupes participait à la plantation des arbres et des plantes vertes pour protéger l’environnement, dans une serre au centre ville. Les activités ont démarré avec une intensité et une vitalité impressionnantes. Les activistes ont lancé plusieurs campagnes (« nos rues respirent la liberté », « notre drapeau », « notre pain »), une exposition de travaux manuels et artistiques, dont les revenus allaient aux familles des martyrs, une campagne (« Notre Raqqa est un paradis »), une initiative qui se déroule tous les vendredis pour nettoyer une artère de la ville. »

    La situation à Raqqa était emblématique de la majorité des villes et des régions « libérées » avant que Daech ne la reprenne. En dépit des pratiques de nombreuses autres brigades islamiques, ou non islamiques, violentes à l’encontre de tel ou tel militant, de l’arrestation d’un tel ou d’un tel, ou d’exécutions arbitraires, les pratiques de Daech se sont distinguées de celles de ses pairs, par leur totalitarisme violent contre toute activité indépendante ou démocratique, imposé par la violence et la force de son idéologie, par l’imposition de pratiques sociales réactionnaires à la population sous sa domination.

    La commission d’enquête des Nations Unies a publié un rapport intitulé « Le règne de la terreur : vivre sous l’Etat islamique en Syrie », le 14 novembre 2014 où il est indiqué que l’organisation Daech « a diffusé la peur en Syrie en perpétrant des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ». Elle a demandé que ses dirigeants soient poursuivis devant la Cour Pénale Internationale. Le rapport qui a recueilli les témoignages d’environ 300 victimes et témoins oculaires, dit que l’organisation Daech « vise à dominer tous les aspects de la vie des civils sous son contrôle, par la terreur, l’endoctrinement, et la fourniture de services à ceux qui lui obéissent. De même, il mène une politique de sanctions discriminatoires comme les taxes ou les conversions forcées, sur la base de l’identité ethnique ou religieuse, la destruction des lieux de culte et l’expulsion systématique des minorités ». le rapport ajoute que Daech a « décapité ou lapidé des hommes de femmes et d’enfants en place publique, dans les villes et les villages du nord-est de la Syrie » et « exposé les cadavres des victimes sur des croix pendant trois jours, planté les têtes sur les grilles des parcs, en guise d’avertissement à la population sur les conséquence du refus de se soumettre à l’autorité du groupe armé ». Le rapport révèle les viols commis à l’encontre des femmes, qui poussent les familles à marier précipitamment leurs filles mineures, de peur qu’elles ne soient mariées de force aux combattants de Daech. Il pratique également publiquement dans des scènes visant à effrayer les habitants, l’application des « peines légales », en coupant les mains des « voleurs » ou la flagellation ou la crucifixion.

    Le rapport de cette commission révèle que cette organisation barbare, dont les étrangers sont la majorité des combattants, donne la priorité aux « enfants comme supports d’une loyauté à long terme, d’une adhésion idéologique, et comme un groupe de combattants dévoués qui considèrent la violence comme un mode de vie ».

     L’Etat « daechiste » … nous traînons les gens au paradis enchaînés

    A la différence des autres groupes salafistes jihadistes, Daech a un projet de construction d’un Etat et d’une société de type particulier, maintenant et pas dans le futur, par la force des armes et la violence. Après que cette organisation eût affronté l’Armée libre et les groupes jihadistes concurrents, afin d’étendre ses zones d’influence et son « Etat », il s’est occupé de garantir ses sources de financement, plus précisément les points de passage et les puits de pétrole. Il pratique une sauvagerie intense contre les tribus chaîtat à Dir Ez Zor, il en a tué des centaines et contraint à l’errance des milliers d’entre eux, pour faire main basse sur deux champs pétroliers en juillet 2014, l’un d’eux est le champ d’Al Amor, le plus grand champ de pétrole et de gaz de Dir Ez Zor. Le site de Middle East Online révèle dans un reportage du 13 août 2014 que Daech contrôle 50 puits de pétrole en Syrie et 20 puits de pétrole en Irak. Si leur nombre a quelque peu diminué avec le retour des forces gouvernementales irakiennes, dans le dernier mois de 2014, les recettes pétrolières quotidiennes de Daech sont estimées à trois millions de dollars. Il perçoit les impôts plus particulièrement auprès des commerçants, estimés à 60 millions de dollars par tête et par mois, Il exige des rançons pour les otages, vend des pièces archéologiques volées et est financé par ses sympathisants dans les pays du golfe et en Europe.

    En sus de l’utilisation de la violence et de la terreur, il utilise d’autres moyens pour gagner la faveur des habitants. Ainsi, après ses massacres commis contre les tribus Chaïtats à Dir Ez Zor, il a distribué le gaz, l’électricité, le carburant et la nourriture, pour obtenir le soutien des habitants sur place et parce que ces régions sont très pauvres. Après qu’il eût mis fin aux vols et puni les « voleurs », il a pu gagner un peu de soutien dans les milieux marginalisés et pauvres. Il a notamment commencé à payer des salaires « très faibles » aux chômeurs, et des salaires de 300 dollars à ses combattants, auxquels qui il assure un logement et la couverture des besoins élémentaires, tandis que la population vit dans des conditions très difficiles. Il est devenu ainsi attractif pour ces groupes socialement marginalisés dont les intérêts de classe n’ont pas trouvé de représentation politique adéquate.

    L’organisation Daech gère et intervient dans tous les détails de la vie quotidienne des gens dans sa capitale de Raqqa et dans les autres régions qu’il contrôle. Ses membres se déplacent – eux seuls ont le droit de porter des armes – dans les rues de Raqqa avec des Kalachnikovs ou des pistolets. Daech a chargé deux forces distinctes des forces de sécurité (la police islamique) du contrôle des femmes et des hommes. La brigade « Al Khansa » est composée de femmes de l’organisation qui portent des armes et ont le droit de fouiller n’importe quelle femme dans la rue tandis que le bataillon « Al Hasba » fait de même avec les hommes. Elles doivent aussi imposer la vision de l’organisation de la législation islamique.

    L’affaire ne se réduit pas à cela. Daech a formé également un gouvernement dont le siège est dans sa capitale de Raqqa, avec les ministres de l’Education, de la Santé, des Ressources hydrauliques et de l’Electricité, des Affaires religieuses et de la Défense, qui occupent les bâtiments qui étaient ceux du gouvernement syrien.

    La majorité des Syriens, dans les régions précitées, considéraient Daech en 2013 comme une organisation « étrangère » et « occupante » où comme l’a dépeint un activiste de Dir Ez Zor : « un mouvement colonisateur, comme Israël a occupé la Palestine avec les colons ». Malgré la persistance de cette approche chez la majorité des gens, Daech a pu trouver un support social important en 2014 dans ces régions, même s’il est resté relativement faible. Ce qui retient l’attention c’est ce sur quoi a insisté un activiste de la ville de Raqqa, sur le site « On égorge Raqqa en silence » que Daech n’avait apporté ni proposé aucune nationalisation ou loi limitant la cupidité des grands commerçants monopolistiques, avec lesquels ils ont de bonnes relations.

    Qu’est-ce que le « daechisme » ?

    Une étude rapide de l’évolution de Daech, en tant qu’organisation sortie de la matrice des courants salafistes jihadistes islamistes, aux orientations hyper réactionnaires, n’est pas suffisante pour expliquer la spécificité idéologique et pratique par rapport à la majorité de ce courant salafiste jihadiste, dont l’organisation la plus importante est celle, terroriste, d’Al Qaïda. Et pour autant ceci montre que l’apparition de Daech constitue premièrement une rupture totale avec ces groupes relevant du salafisme jihadiste, allant jusqu’aux liquidations physiques. Ceci d’une part, et d’autre part une tendance notable à la « daechisation » touche des pans entiers des organisations jihadistes elles-mêmes, dont la plus importante est le front Al- Nosra, qui semble être devenu deux fronts, l’un se rapprochant de Daech de par ses prises de position et pratiques, et l’autre resté fidèle à lui-même. Quant au mouvement d’Ahrar Al Cham il maintient dans une certaine mesure son identité salafiste jihadiste, bien que des brigades en son sein inclinent à adopter le « daechisme ». Mais le pire dans tout cela reste l’allégeance de groupe jihadistes réactionnaires à Daech et à son Califat dans des pays d’Afrique du Nord et dans d’autres régions.

    Certains penseront qu’il n’y a pas d’intérêt politique ou pratique à rechercher une autre caractéristique à Daech. Dans la mesure où il est une composante de la contre révolution réactionnaire. Mais ce phénomène « nouveau » ne peut être compris, comme nous l’avons vu plus haut, hors des conditions matérielles socio-économiques sur lesquelles il repose. Il n’est pas possible de s’y opposer politiquement sans comprendre ces conditions matérielles qui ont conduit à sa constitution et à l’élargissement de son influence, avant de passer à l’élaboration de politiques appropriées pour y faire face, du point de vue des classes exploitées et opprimées, c’est-à-dire d’un point de vue marxiste.

    Il est nécessaire de rappeler encore une fois que dans notre exposé du processus de la genèse de Daech, dans un contexte déterminé, comme force réactionnaire et contre révolutionnaire, et de l’élargissement de son influence en Irak et en Syrie, nous nous sommes concentrés sur le fait qu’une des causes essentielles de son émergence résidait dans les régimes en place eux-mêmes et leurs politiques réactionnaires brutales de marginalisation, sans parler de l’intervention impérialiste. L’occupation américaine de l’Irak, détruisant le reste d’infrastructure et de tissu social, a permis de créer les conditions de développements de tels mouvements. De même, « la guerre contre Daech » depuis de nombreux mois, dans laquelle les Etats Unis sont à la tête d’une alliance impérialiste, ne mènera pas à sa défaite, mais lui attirera des sympathies populaires plus grandes, puisqu’il sera considéré comme affrontant l’impérialisme américain, son premier ennemi.

    Nous pensons que l’approche du processus d’émergence de Daech, de sa spécificité par rapport aux autres mouvements jihadiste traditionnels précités, de cette apparition rapide et « surprenante » dans le cadre d’un processus révolutionnaire, du fait qu’il ait écrasé toutes les expressions de la révolution dans ses zones et ait imposé un mode de vie social et idéologique à ses habitants, la construction de « son Etat » incitent à une approche et à un examen du phénomène Daech à travers l’expérience fasciste, non pas comme cela s’est passé en détail dans les pays d’Europe, mais plutôt dans le cadre des nouveaux mouvements fascistes, dans un concept bien délimité et spécifique. Ce tournant dangereux dans le cours de la révolution syrienne, et dans l’histoire du pays, en a surpris beaucoup, et ainsi « brusquement le destin historique et le destin individuel de milliers d’êtres humains, puis de millions ensuite deviennent un. Les partis politiques ne se sont pas seulement effondrés, mais l’existence de grands groupes humains et leur existence matérielle est un enjeu de doute subitement » selon la description de la montée du fascisme dans le livre de l’intellectuel marxiste révolutionnaire Ernest Mandel, « Les éléments constitutifs de la théorie de Trotsky sur le fascisme ».

    Il est sûr que la définition qu’en a donné le Comintern (stalinien) dans les années trente du siècle passé, est l’acception commune que le fascisme n’est que « le pouvoir du capital financier ». Elle ne s’applique pas pour l’émergence de Daech, comme elle ne suffisait d’ailleurs pas pour interpréter le phénomène du fascisme en Europe, ou les nouveaux mouvements fascistes qui progressent dans les pays européens ou ailleurs.

    Trotsky a été le plus éminent intellectuel marxiste pour son explication et son analyse de l’émergence du fascisme en Europe. Il ne s’est pas contenté de dire que le fascisme « accède au pouvoir porté par la petite bourgeoisie », mais il a fourni une analyse plus approfondie, considérant que les couches sociales sur lesquelles s’appuie le fascisme sont ce qu’il appelle « poussière humaine  », à savoir les artisans et les commerçants des villes, les fonctionnaires, les employés, le personnel technique et l’intelligentsia, les paysans ruinés, selon la définition de Trotsky et on pourrait y ajouter les chômeurs.

    Dans son analyse du fascisme, Trotsky est parti d’une analyse de classe de la société, et d’une compréhension profonde de la loi du développement inégal et combiné où cohabitent des structures de production avec leurs rapports et leurs idéologies héritées des siècles passés avec des structures de production, des rapports et des idéologies plus modernes. Ernest Mandel a résumé dans son livre « Dynamique de la pensée de Trotsky » la compréhension profonde qu’avait Trotsky du phénomène fasciste : «  Trotsky a compris, à l’instar de quelques autres écrivains marxistes (Ernst Bloch, Kurt Tucholsky) la désynchronisation entre formes socio économiques et formes idéologiques, en d’autres termes, que des idées, des sentiments et des représentations très fortes de l’époque pré capitaliste continuent d’exister dans des pans importants de la société bourgeoise (surtout dans les classes moyennes menacées par la paupérisation mais aussi dans des rangs de la bourgeoisie, des intellectuels déclassés, et même dans des franges diverses de la classe ouvrière) ». Mieux que quiconque, Trotsky en a tiré les conclusions socio-politiques : dans des conditions de contradictions socio-économiques de classe croissantes de façon insupportable, des secteurs significatifs des classes et couches précitées – que Trotsky a qualifié avec sagacité de poussière humaine – peuvent fusionner pour former un mouvement de masse puissant qui, fasciné par un leader charismatique et armé par des secteurs de la classe capitaliste et leur appareil d’Etat, peut être utilisé comme un outil pour détruire le mouvement ouvrier, par la terreur sanglante et l’intimidation. »

    Trotsky a également insisté sur ce qui distingue le fascisme du bonapartisme et des autres formes de dictature, à savoir que le fascisme « est une forme spécifique « d’appareil exécutif fort » et de « dictature ouverte » qui se caractérise par la destruction totale de toutes les organisations de la classe ouvrière – y compris les plus modérées, dont les organisations social-démocrates, sans aucun doute. Le fascisme tente d’interdire matériellement toute forme d’auto-défense de la classe ouvrière organisée, par la pulvérisation totale de la classe ouvrière. Arguer du fait que la social-démocratie prépare le terrain au fascisme pour déclarer que la social-démocratie et le fascisme sont des alliés, et bannir toute alliance avec la première contre le second est donc une erreur »

    La caractérisation du phénomène fasciste, en tant que mouvement qui repose sur des masses de la « poussière humaine » s’applique totalement au processus de formation de Daech. Le fascisme se forme en général comme un parti-milices pour combattre l’Etat en place et établir un Etat fasciste. Et les fascistes, selon le chercheur italien Emilio Gentile : « se considèrent comme une élite (aristocratie) d’hommes nouveaux, nés dans la guerre et qui se doivent de prendre le pouvoir, pour renouveler une nation corrompue ». Le fascisme vise à organiser les gens « en tant que masses et non en tant que classes » et le chercheur affirme que les études historiques ont souligné que le fascisme ne cherche pas vraiment comme il l’affirme « à changer le monde, ni la société, mais à changer la nature humaine elle-même » en disciplinant les gens et en utilisant la violence brute.

    En ce sens, seulement, nous pouvons dire que Daech a beaucoup de traits de l’une des nouvelles formes de mouvements fascistes et que l’Etat du Califat est un Etat fasciste, d’un nature particulière dans des circonstances spécifiques.

    Conclusions

    Affirmer que Daech a une caractéristique fasciste, dans des circonstances de destruction et de désintération sociales, pose d’emblée la question des modalités d’intervention des forces révolutionnaires, si l’on considère qu’il s’agit d’un danger mortel pour le mouvement révolutionnaire et populaire. Quelles sont les positions et les formes pratiques de l’affrontement ? D’autre part, cela met à l’ordre du jour immédiat la constitution d’un front uni des forces révolutionnaires démocratiques et de gauche. Il soulève également la question des modalités d’action face à la clique au pouvoir qui écrase et détruit notre peuple et notre pays.

    L’état actuel du processus révolutionnaire en Syrie est très mauvais. La dépression du mouvement populaire est due aux attaques dévastatrices du régime d’Assad, aux massacres et aux déplacements forcés de millions de Syriens, ce qui veut dire que la moitié des Syriens sont aujourd’hui déplacés. S’y ajouter la montée en puissance des forces réactionnaires de la contre révolution, comme Daech, Al-Nosra, et autres aux dépens de l’Armée libre, et la réduction de l’espace du mouvement populaire, y compris dans les zones « libérées » du régime.

    Tout appel au repli, au silence et à la démission à des forces populaires révolutionnaires, qui signifie leur capitulation devant cette attaque féroce des forces diverses de la contre révolution – et qui se combattent entre elles –, serait désastreux et ne ferait qu’aggraver encore plus la situation dégradée de la révolution, au contraire de ce que croient certains. En revanche, nous considérons que la mobilisation des groupes, des coordinations et des organisations révolutionnaires, partout, pour poursuivre les mobilisations, les manifestations et toutes les formes de lutte du mouvement populaire, la résurgence de ce dernier, même s’il est faible et dispersé, c’est ce que nous devons réaliser de toutes nos forces. D’autant plus que le mouvement populaire est toujours vivant et a commencé à recouvrer sa vitalité, même dans les zones contrôlées par les forces jihadistes extrémistes comme le Front Al-Nosra.

    Mais nous avons besoin d’un outil pour réaliser cela. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un Front uni des forces révolutionnaires démocratiques et de gauche à même d’élaborer une stratégie d’action combative et centralisée reprenant les revendications de base de la révolution populaire. Dans les zones de l’Armée libre, ou de la résistance populaire armée, l’affrontement avec les forces réactionnaires, par les armes, n’est pas un luxe, mais une question de vie ou de mort pour la révolution et le mouvement populaire, en dépit de son manque d’armes sérieuses. Ce qu’elle a sa à sa disposition sera suffisant si ses forces sont unies sous une direction militaire et politique nationale et centralisée aussi. On ne peut borner la constitution de ce front uni au plan politique, il doit englober le militaire aussi. Et plus particulièrement car l’adversaire principal des forces révolutionnaires n’est pas seulement les forces réactionnaires de la contre révolution, c’est aussi la clique au pouvoir. Il faut toujours garder à l’esprit que la faire tomber est la condition préalable pour abattre ces forces fascistes et réactionnaires. Le maintien de ce régime, même superficiellement modifié, constituerait une défaite écrasante pour la révolution populaire et une victoire manifeste de la contre révolution. Il faut conjuguer nos efforts pour renverser le rapport de forces en faveur des classes populaires qui étaient et sont toujours les forces sociales motrices de la révolution, et en faveur des forces politiques révolutionnaires.

    La guerre impérialiste contre Daech a fourni aux impérialistes et leurs alliés régionaux un prétexte pour « reproduire » le régime d’Assad. Nous avons remarqué un regain des discours en faveur d’une solution politique en Syrie dans les dernier mois, saluée par les pays impérialistes, qui prétendent être amis du peuple syrien et dont le but n’a jamais été d’abattre le régime, mais de le pousser à un changement interne par en haut et une réorientation politique et la destruction des capacités économiques et militaires de la Syrie. De même nous voyons que les gouvernements d’Arabie Saoudite, du Qatar et de pays du Golfe, cœur et bastions de la contre révolution dans la région, avec le gouvernement de la contre révolution en Egypte ont tout mis en œuvre pour vendre cette solution politique pour remettre à flot le régime d’Assad. Tant et si bien que la coalition nationale, leur rejeton, s’est plainte publiquement de l’arrêt du financement saoudien et de pays du Golfe, depuis plus de six mois, afin de la pousser à rejoindre la solution politique maintenant en place le régime. Elle sera probablement amenée à le faire par la suite, compte tenu de sa nature opportuniste et corrompue. Notons qu’elle s’est abstenue de participer à la fin du mois dernier à la réunion de Moscou, à laquelle ont participé des groupes de la dite opposition de l’intérieur pour l’essentiel le Comité de coordination, aux positions ambiguës depuis le début de la révolution et des groupes venant de l’étranger sans poids réel sur le terrain. Moscou, Téhéran et l’Egypte semblent être chargés de parrainer ces tentatives, pour promouvoir la « solution politique » qui émane de démarches dont l’objectif n’est en réalité que de reproduire le régime.

    Nous ne pouvons nous opposer à aucune mesure qui vise à soulager les souffrances des masses populaires, sans pour autant oublier les revendications exprimées dans leur révolution populaire ; la « solution politique » en question impose la vigilance et la prudence des forces de la révolution, et impose de démasquer et dénoncer toute concession de ceux et celles qui sont ou en seront partie prenante dans des négociations de « solution politique » pour maintenir le régime dictatorial. Il faudra aussi combattre toute concession sur les libertés démocratiques, ou la revendication d’édifier un régime démocratique radical sur les ruines du régime dictatorial, ou de marchander les sacrifices des masses populaires pour abattre le régime et construire la Syrie de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de la justice sociale.

    Les marxistes révolutionnaires du courant de la gauche révolutionnaire, dans ce combat aux fronts multiples, sont attelés également à une tâche fondamentale pour laquelle ils oeuvrent sans relâche, à savoir la construction du parti ouvrier révolutionnaire et de masse.

    Ghayath Naïsse

    * Paru dans la revue en langue arabe Révolution permanente n°5, mars 2015.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34842