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Irak - Page 4

  • Irak. Les autorités kurdes doivent mettre fin à la détention d'une femme yézidie qui a subi la captivité aux mains d'EI(Amnesty)

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    Milicienne yézidie

    Le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) doit immédiatement mettre fin à la détention arbitraire et honteuse d'une femme yézidie qui, après avoir subi la captivité aux mains du groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI), est détenue sans jugement depuis près de deux ans, a déclaré Amnesty International.

    Bassema Darwish, qui est âgée de 34 ans, mère de trois enfants et qui vivait dans le village de Babira, dans le gouvernorat de Ninewa, est détenue par le GRK depuis octobre 2014. Elle est accusée de complicité avec les forces d'EI qui ont tué trois membres des pechmerga (les forces armées du GRK) au moment où ces derniers atteignaient la maison où elle était retenue en captivité, à Zummar, dans le nord-ouest de l'Irak.

    « Les femmes yézidies enlevées par EI ont véritablement été victimes de graves violences, notamment de viol et d'esclavage sexuel. En ce qui concerne Bassema Darwish, sa libération de captivité n'a pas mis fin aux mauvais traitements. Au lieu de la maintenir en détention depuis près de deux ans en violation de ses droits, les autorités devraient veiller à ce qu'elle reçoive une aide médicale et psychosociale, afin de l'aider à surmonter les épreuves qu'elle a subies en captivité, a déclaré Philip Luther, directeur du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d'Amnesty International.

    « Le fait de la maintenir en détention sans jugement pour une durée indéterminée, sans même qu'elle ait réellement la possibilité de contester la légalité de sa détention, est cruel et illégal. Les autorités doivent soit la libérer immédiatement soit l’inculper d’une infraction dûment reconnue par la loi. »

    Des proches, des militants et des représentants des autorités ont dit à Amnesty International que Bassema Darwish a été enlevée par des combattants d'EI, en même temps que son mari et 33 autres proches, le 3 août 2014 alors qu'ils tentaient de fuir la ville de Sinjar. Elle était alors enceinte. Les captifs ont dans un premier temps été emmenés à Tal Afar, où les femmes et les enfants, parmi lesquels Bassema Darwish, ont été séparés des hommes. On ignore ce qu'il est advenu de 31 de ses proches.

    Elle est actuellement détenue dans la prison pour femmes et pour mineurs d'Erbil, et a donné naissance à une petite fille, Nour Hussein, pendant sa détention.

    Les combattants d'EI ont systématiquement commis des crimes  de droit international, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Des femmes et des filles yézidies ont été retenues en esclavage sexuel, violées, tuées et torturées. Certaines ont été forcées à regarder pendant qu'on tuait des hommes de leur famille, séparées de force de leurs enfants ou encore forcées à se convertir à l'islam.

    « Il est choquant que le Gouvernement régional du Kurdistan, qui a toujours condamné les atrocités infligées par EI à la communauté yézidie, maintienne en détention une victime de ces violences, en l'accusant d'infractions liées au terrorisme et en la privant de ses droits fondamentaux », a déclaré Philip Luther.

    Le responsable du département des enquêtes de la Direction de la lutte contre le terrorisme, avec qui s'est entretenue Amnesty International en août 2016, a déclaré que quand les forces pechmerga sont arrivées sur le site où Bassema Darwish était retenue en captivité, à Zummar, cette dernière les a trompées en disant que la maison était vide. Il affirme que des combattants d'EI cachés dans le bâtiment ont alors tué trois membres des pechmerga alors qu'ils entraient dans la maison.

    Selon lui, Bassema Darwish avait été « radicalisée », avait piégé les forces pechmerga, et était responsable de leur mort. Il a dit qu'elle était détenue au titre de la législation antiterroriste et que son cas avait été soumis à l'autorité judiciaire, qui devait encore fixer une date pour une audience.

    Des proches de Bassema Darwish ont dit à Amnesty International qu'elle a comparu devant un juge en août au moins une fois sans un avocat, et qu'on l'a forcée à signer quatre documents écrits en kurde, sans qu'elle ait pu en comprendre le contenu.

    La Direction de la lutte contre le terrorisme a rejeté la demande qu'avait présentée Amnesty International pour pouvoir aller voir Bassema Darwish en prison au cours d'un voyage dans le Kurdistan irakien en août. Les avocats qui ont voulu lui rendre visite en prison se sont également heurtés à un refus des autorités. Amy Beam, fondatrice de l'ONG humanitaire Amy, Azadi and Jiyan, a dit à Amnesty International que l'Asayich (le service de sécurité du GRK) lui a adressé des menaces à cause de ses initiatives visant à obtenir la libération de Bassema Darwish.

    Amnesty International a évoqué le cas de Bassema Darwish auprès des autorités à de multiples occasions, mais en vain, notamment tout récemment dans une lettre adressée au président du GRK, Masoud Barzani, le 26 août.

    « Bassema Darwish doit être autorisée à avoir accès sans restriction à ses proches, ses avocats et des observateurs internationaux indépendants. Son droit à un procès équitable, y compris le droit de contester la légalité de sa détention, d'être informée dans une langue qu'elle comprend des charges retenues contre elle, et de bénéficier d'une défense adéquate, doit être pleinement respecté », a déclaré Philip Luther.

    Amnesty International demande également au GRK de remettre en liberté Bassema Darwish jusqu'à ce qu'une juridiction ordinaire et civile se prononce sur le bien-fondé de toute accusation retenue contre elle, en tenant compte de son passé, de sa vulnérabilité et de ses responsabilités à l'égard de ses enfants.

    9 septembre 2016

    https://www.amnesty.org/fr/

  • Nouveautés sur "Amnesty International"

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    Égypte. Le refus de remettre en liberté un homme victime d'actes de torture et d'une disparition est scandaleux

    Les Nation unies demandent une enquête internationale sur de présumées violations des droits humains au Yémen

    Irak. Les exécutions ne permettront pas de résoudre les menaces à la sécurité

  • Irak Les exécutions ne permettront pas de résoudre les menaces à la sécurité (Amnesty)

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    L'exécution de 36 hommes en Irak dimanche 21 août signe une hausse alarmante du recours à la peine de mort par les autorités en réponse aux menaces à la sécurité auxquelles le pays doit faire face, a déclaré Amnesty International le 22 août 2016.

    Ces hommes avaient été déclarés coupables de l'homicide de 1 700 recrues à la base militaire de Speicher, près de Trikrit en juin 2014, à l'issue d'un procès collectif entaché de graves irrégularités qui n'a duré que quelques heures et reposait sur des « aveux » arrachés sous la torture.

    « Ces exécutions collectives marquent une hausse alarmante du recours à la peine de mort en Irak, a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe des recherches au bureau régional pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.

    « À maintes reprises, Amnesty International a souligné que les familles des victimes ont le droit de connaître la vérité et réclament justice pour les atrocités commises par le groupe armé se désignant sous le nom d'État islamique (EI). Cependant, exécuter des hommes qui ont été contraints de passer aux " aveux " sous la torture, sans avoir véritablement la possibilité de se défendre, ce n'est pas rendre justice.

    « Compter sur les exécutions pour lutter contre les menaces à la sécurité n'est pas judicieux. Loin de remédier aux causes profondes des attaques meurtrières, cela ne fera que perpétuer le cycle de la violence. La peine capitale est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, et il n'est pas prouvé qu'elle a un effet plus dissuasif sur la criminalité qu'une peine de prison. »

    Seuls des procès exhaustifs, équitables et transparents rendront justice aux victimes et à leurs familles.

    Amnesty International avait évoqué l'affaire Speicher lors d'une rencontre à Bagdad le 4 août avec la Commission spéciale du bureau du président mise en place en 2015 pour accélérer les exécutions, et avait explicitement demandé que le président ne ratifie pas les condamnations à mort prononcées contre ces hommes.

    Elle demande aux autorités irakiennes d'instaurer sans délai un moratoire officiel sur les exécutions en vue d'abolir la peine de mort. Dans l'intervalle, le Parlement doit rayer la peine de mort de la législation et respecter toutes les normes internationales qui s'appliquent à son usage.

    L'un des hommes exécutés a « avoué » avoir tué 60 recrues à Speicher après avoir reçu des menaces de viol visant son épouse et ses sœurs. Il a également été frappé à coups de câbles et a reçu des décharges électriques. Sur des images vidéo, on peut voir cet homme recevoir des coups de poing au visage lors de son interrogatoire et faire ses « aveux » à la télévision irakienne, un bleu visible sous l’œil droit. Alors qu'il s'est rétracté au tribunal, selon ses avocats, ses « aveux » ont été retenus pour justifier sa condamnation. Le tribunal n’a pas ordonné l’ouverture d’une enquête sur les allégations de torture formulées par cet homme et d’autres accusés.

    Complément d’information

    Quarante personnes ont été déclarées coupables du massacre de Speicher en février 2016. Le 31 juillet, le verdict a été confirmé pour 36 des accusés et le président irakien a ratifié les exécutions le 14 août.

    Les autorités irakiennes sont soumises à une pression politique et publique croissante pour accélérer les exécutions, notamment depuis l'attaque meurtrière à Karrada, quartier commerçant de Bagdad, le 2 juillet, qui a fait près de 300 victimes.

    Au lendemain de cette attaque, le ministère de la Justice a annoncé que sept exécutions ont eu lieu les 4 et 5 juillet. Il a déclaré que près de 3 000 prisonniers se trouvent dans le quartier des condamnés à mort.

    En outre, le Code pénal irakien a été modifié le 12 juillet, et il est désormais plus difficile pour les condamnés à mort de solliciter un nouveau procès.

    Depuis début 2016 en Irak, au moins 123 personnes ont été condamnées à mort et 81 au moins ont été exécutées. 22 août 2016

    https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/08/iraq-executions-will-not-eliminate-security-threats/

  • Guerre en Irak : le rapport qui accable Tony Blair (Lutte Ouvrière)

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    Après sept ans d’enquête sur la participation britannique à la guerre en Irak, la commission Chilcot a publié son rapport le 7 juillet.

    Les 6 000 pages de ses douze volumes ne contiennent pas de révélations. Mais, sous le jargon juridique et les euphémismes propres à ce genre de documents, on y retrouve à peu près tout, sur les mensonges de Blair et sur l’histoire de la guerre, minutieusement détaillée, bien que par le petit bout de la lorgnette, puisque la Grande-Bretagne n’y joua qu’un rôle secondaire, comparé à celui des États-Unis.

    Le rapport note d’abord que « ce fut l’administration américaine qui, à la fin 2001, adopta comme objectif numéro deux, après celui de chasser les talibans du pouvoir en Afghanistan, de s’occuper du régime de Saddam Hussein dans le cadre de sa « guerre globale contre le terrorisme ». Ce fut à ce moment qu’elle abandonna la stratégie du « containment » [le régime des sanctions économiques – LO] dont elle avait usé avant les attentats du 11 Septembre. » Et ce fut ainsi que Saddam Hussein devint officiellement un promoteur du terrorisme, allié d’al-Qaida, bref un homme à abattre.

    Tout un édifice de mensonges

    Les services spéciaux britanniques n’étaient pourtant guère convaincus. « En novembre 2001 », note Chilcot, « le JIC [le comité de coordination du renseignement britannique – LO] estimait que l’Irak n’avait joué aucun rôle dans les attentats du 11 septembre... et que l’existence d’une coopération pratique entre l’Irak et al-Qaida était “improbable”. » Malgré cela, ajoute Chilcot, « M. Blair proposa une stratégie visant à un changement de régime en Irak. Cette stratégie devrait être construite dans le temps jusqu’à arriver au point où il deviendrait possible de recourir à une action militaire “si nécessaire” sans pour autant perdre le bénéfice d’un soutien international ».

    À partir de là, Blair fit élaborer un édifice de prétendues preuves destinées à habituer l’opinion à l’idée de la nécessité d’une guerre contre l’Irak et à tenter d’emporter son adhésion.

    Dans sa conférence de presse tenue pour répondre au rapport Chilcot, Blair a résumé ainsi son point de vue : « Que l’on soit d’accord ou pas avec ma décision d’engager une action militaire contre Saddam Hussein, c’est une décision que j’ai prise de bonne foi... Je note que le rapport conclut clairement... qu’il n’y a eu ni falsification, ni utilisation illégitime des informations disponibles. »

    Or ce n’est pas ce que montre le rapport Chilcot. Au contraire, il détaille les manipulations auxquelles se livra le gouvernement Blair pour constituer ses fameux dossiers contre Saddam Hussein. Par exemple, on y trouve l’affaire David Kelly, un expert du ministère de la Défense, retrouvé mystérieusement suicidé après avoir révélé à la presse que l’affirmation de Blair, selon laquelle il suffisait de 45 minutes à Saddam Hussein pour mettre en action ses armes de destruction massive, relevait de la plus haute fantaisie. Il y a aussi l’affaire al-Marashi, un étudiant américain, auteur involontaire d’un chapitre d’un dossier de Blair : les services avaient tout simplement fait un copier-coller d’une ébauche de sa thèse trouvée sur Internet !

    Un mépris total pour les peuples

    Le deuxième aspect instructif de ce rapport est sa description des magouilles inextricables auxquelles se livrèrent Bush et Blair pour tenter d’avoir le soutien de l’ONU à une invasion, pour finalement s’en passer. On ne peut trouver meilleure illustration de la fiction du « droit international » et de la « communauté internationale » censés protéger les peuples. Le rapport montre que ce « droit international » n’est que la loi imposée par le plus fort, l’impérialisme américain, au reste de la planète et aux impérialistes mineurs qui, comme la Grande-Bretagne, préfèrent encore être de la partie pour augmenter leurs chances d’avoir leur part du butin lors du partage final.

    Le rapport porte aussi sur la politique désastreuse menée par les forces d’occupation en Irak : depuis la destruction des institutions civiles et militaires irakiennes, sous prétexte d’en finir avec le parti de Saddam Hussein, jusqu’à l’absence de tout projet pour reconstruire un pays détruit par 24 ans de guerre et de sanctions économiques, en passant par le soutien apporté aux forces religieuses chiites pour servir de contre-feu aux partisans de Saddam Hussein. On y trouve aussi les conséquences : la montée des milices religieuses et la guerre civile sanglante qui s’ensuivit.

    Quant à la population irakienne, à ses centaines de milliers de morts et ses millions de réfugiés, en tout, 51 pages lui sont consacrées, sans que rien ne soit dit sur ce qu’elle subit du fait de la politique criminelle des autorités d’occupation.

    Ce n’est pas le problème du rapport Chilcot, pour qui cette invasion criminelle par des grandes puissances pleines de mépris pour les intérêts de la population ne résulte que d’erreurs de jugement. Il multiplie les recommandations pour ne pas reproduire de telles erreurs, au cas où les puissances impérialistes s’aviseraient de nouveau d’envahir un pays pauvre ?

    Le rapport Chilcot s’arrête en 2009. Il faudrait y ajouter que la population irakienne a payé l’invasion par un retour en arrière de plusieurs décennies dans sa vie sociale, par une pauvreté insupportable aggravée par la corruption des partis religieux chiites et par une guerre civile qui n’en finit plus. Quant aux conséquences régionales de l’invasion, la montée des milices islamiques en Irak s’est étendue à la Syrie, donnant naissance à Daech. Par un effet boomerang, elle est revenue en Irak, tout en faisant des émules dans toute la région.

    Tout cela s’est produit parce que quelques stratèges de l’impérialisme, poussés par le lobby des majors du pétrole, ont jugé que Saddam Hussein, leur ancien homme à tout faire du temps de la guerre Iran-Irak, était devenu trop incontrôlable pour la stabilité de leur ordre régional ! Pour éliminer un foyer possible d’instabilité, ils en auront créé dix autres, avec le sang des populations prises en otage.

    Ce rapport Chilcot, rédigé par des notables de la bourgeoisie britannique, ne visait évidemment pas à dénoncer l’ordre impérialiste. Il n’en est que plus révélateur sur ce système de domination et d’oppression qui cannibalise les peuples et dont le renversement est plus urgent que jamais.

    François ROULEAU 03 Août 2016
     
  • Contre Daesh, une stratégie militaire vouée à l’échec politique (NPA)

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    Les États occidentaux, avec à leur tête les États-Unis, veulent montrer que l’État islamique (ou Daesh) est l’ennemi principal, car il constitue un facteur d’instabilité régionale et internationale, notamment avec les attentats terroristes en Europe...

    Les éléments qui ont nourri son développement sont à nouveau utilisés pour tenter d’y mettre fin militairement : soutien à des régimes et groupes autoritaires et confessionnels, politiques néolibérales et interventions militaires...

    Ainsi, en Syrie, les États-Unis ou la France concentrent leurs actions militaires contre Daesh, alors qu’un changement du régime autoritaire d’Assad n’a jamais été à l’agenda. Les alliés (Russie, Iran, Hezbollah et milices chiites fondamentalistes irakiennes) du régime poursuivent de leur côté leur assistance militaire à Damas pour éliminer toute forme d’opposition armée, démocratique (Armée syrienne libre) ou réactionnaire (Jabhat al-Nusra et Daesh), tout en continuant leurs exactions contre les civils syriens. Les raids de l’aviation russe le samedi 25 juin contre la localité d’al-Kouriyé, au sud-est de la ville de Deir Ezzor, ont par exemple tué 31 civils.

    En Irak, les combats contre Daesh sont menés par l’armée irakienne et ses groupes d’élite, mais aussi par des milices fondamentalistes chiites soutenus politiquement, économiquement et militairement par la République islamique d’Iran, et surtout détesté par des larges sections des populations sunnites d’Irak à cause de leurs exactions contre elles et leurs discours et pratiques confessionnels.

    En Libye, les États occidentaux ont poussé à la formation d’un gouvernement d’union, avec deux objectifs prioritaires : lutter contre Daesh et « l’immigration clandestine ». Les questions politique et socio-économiques sont quasiment ignorées. Plusieurs pays européens ont déjà promis plusieurs dizaines de millions d’euros en soutien à ce gouvernement... Cela ans oublier le soutien des États occidentaux, en particulier français, au régime égyptien présidé par le dictateur Sissi qui continue sa répression violente contre toute forme d’opposition, des mouvements de gauche aux Frères musulmans. Une répression tous azimuts qui a pour effet de créer de nouveaux Daesh en nombre dans le pays...

    En soutien aux mouvements démocratiques et non confessionnels

    Il ne suffit pas simplement de mettre fin militairement à toute capacité de nuisance de Daesh, au risque de le voir réapparaître dans le futur comme ce fut le cas dans le passé, mais de s’attaquer aux conditions politiques et socio-économiques qui permettent et ont permis son développement. Il faut se rappeler que Daesh, élément fondamental de la contre-révolution, a connu un développement sans précédent à la suite de l’écrasement des mouvements populaires, se nourrissant de la répression massive et violente des régimes et groupes autoritaires, souvent attisés par des discours et pratiques confessionnelles s’appuyant sur les haines religieuses.

    Les interventions des États régionaux et internationaux ont grandement contribué, et continuent par leurs politiques, au développement de Daesh. Les politiques néolibérales appauvrissant les  classes populaires, accompagnées de la répression des forces démocratiques et syndicales, sont bien sûr un élément fondamental du développement de Daesh.

    Il s’agit de lutter contre ces éléments, tout en soutenant des mouvements populaires de masse démocratiques et non confessionnels qui continuent à travers la région malgré des reculs importants, défiant à la fois les régimes autoritaires et les organisations fondamentalistes religieuses. C’est le seul moyen de mettre fin à ces deux formes de barbarie, au lieu de répéter des erreurs du passé contribuant à leur renaissance.

    Joseph Daher

     

  • Insurrection citoyenne contre la corruption et le confessionnalisme en Irak (Orient 21)

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    Portraits d’une nouvelle génération de militants

    Sous des formes diverses, les mobilisations contre le gouvernement irakien se poursuivent. Elles reflètent l’émergence d’une nouvelle génération qui refuse le système politique confessionnel et la corruption des autorités.

    En mars 2016 le cœur de Bagdad battait au rythme d’un sit-in devant les murs en béton qui entourent la «  zone verte  », où se trouvent le siège du gouvernement central, les ambassades étrangères et où réside la totalité des nouveaux dirigeants irakiens. Le leader chiite Moqtada Al-Sadr s’était invité à cette manifestation, donnant au gouvernement une semaine pour se dissoudre au profit d’un gouvernement de technocrates, choisis selon leurs compétences et non leur affiliation à des partis à base communautaire. Le 1er avril, le premier ministre Haïdar Al-Abadi a présenté un nouveau gouvernement de seize ministres, dont quatorze choisis sur la base de leur«  compétence  » et de leur«  intégrité  » n’appartenaient à aucun parti. Les manifestants de la place Tahrir à Bagdad ont dénoncé un remaniement de façade et décidé en mai d’occuper le Parlement, insistant sur la nécessité de remettre en question les bases communautaires du système politique irakien mis en place sous l’occupation américaine en 2003 et de juger les politiciens irakiens coupables de corruption.

    La pression de la rue a fait bouger les lignes, mais la participation d’Al-Sadr ne fait qu’ajouter un chapitre à la protestation populaire, commencée le 31 juillet 2015, et qui se poursuit aujourd’hui. Lancée par des citoyens ordinaires et des militants politiques sur la place Tahrir de la capitale et dans tout l’Irak, elle exprimait l’exaspération générale des citoyens face à la corruption et à la mauvaise gouvernance des gouvernements post-2003.

    «  Pain, liberté et un État civil  »

    Ces protestations se sont rapidement muées en mouvement populaire de masse — soutenu même par l’ayatollah Ali Sistani, éminente personnalité religieuse — dénonçant le régime irakien et exigeant des réformes radicales. Depuis, tous les vendredis, des manifestants se rassemblent sur les places principales des grandes villes irakiennes comme Nadjaf, Nassiriya, Bassora  ; on y entend les mêmes slogans qu’au centre de Bagdad : «  Bismil din bagouna al haramiya  » (au nom de la religion nous avons été volés par des pillards) et «  khoubz, hurriyah, dawla madaniya  » (pain, liberté et un État civil). Les manifestants dénoncent la nature confessionnelle et corrompue du système politique fondé sur des quotas ethnoreligieux et qui a porté au pouvoir une élite incompétente, surtout constituée d’islamistes et de chiites conservateurs ou revenus d’exil, et préoccupés de leurs seuls intérêts.

    Les manifestants du vendredi, membres de groupes indépendants de la société civile ou militants de gauche, sont divisés au sujet de la participation des sadristes (partisans de Moqtada Al-Sadr), qui sont au cœur du mouvement. Falah Alwan et Houssama Al-Watani figurent parmi les plus sceptiques. Tous deux militants de longue date, Houssama Al-Watani étant l’aîné des deux, je les ai rencontrés dans leur bureau de la Fédération des conseils et des syndicats de travailleurs d’Irak, au centre de Bagdad. Ils estiment que le mouvement, d’abord séculier, a été instrumentalisé par les sadristes. Cette critique, exprimée également dans Saout al-Itijaj al-Jamahiri (La voix de la révolte populaire), une revue dédiée aux récentes mobilisations, est construite sur une vision non confessionnelle et marxiste de l’action politique. Selon Alwan et Al-Watani, toute référence à la religion constitue une aliénation et un obstacle à l’émancipation. Les deux hommes considèrent donc toute forme de partenariat avec les islamistes comme une menace pour le mouvement, «  une terrible erreur des gens de gauche, séduits par le populisme des islamistes  ».

    Mais la plupart des militants rencontrés à Bagdad se montrent beaucoup plus nuancés. Hina Edwar, leader de l’organisation Al-Amel et membre important de Shabakat al-Nisaal-Iraqiyat (Réseau des femmes irakiennes), principale plateforme des militantes indépendantes et des organisations pour la défense des droits des femmes, se montre pleine d’espoir quant à l’avenir des manifestations. Je l’ai rencontrée dans les bureaux d’Al-Amel à Kerrada, au centre de Bagdad, le jour même où elle s’est rendue au sit-in avec une délégation de militantes du Réseau des femmes irakiennes. Bien que critique du conservatisme et du populisme des sadristes, particulièrement concernant les questions de genre, Hina Edwar est favorable à leur participation, qu’elle estime positive. La présence dans la rue de la base prolétarienne et populaire du mouvement, poussée par Moqtada Al-Sadr, constitue pour elle une démonstration d’unité nationale et de citoyenneté qui arrive à point au moment où, après des semaines de mobilisation, un certain nombre de manifestants sont fatigués de descendre dans la rue tous les vendredis.

    Comme Hina Edwar, de nombreuses militantes féministes rencontrées à Bagdad insistent sur la nécessité d’associer le combat pour l’égalité des sexes à celui pour les droits sociaux. Pour les militantes du Réseau, la citoyenneté de tous, sans condition d’ethnie ou de religion, est la pierre angulaire de la défense du droit juridique des femmes.

    Saad Salloum, jeune écrivain défenseur des minorités ethniques et religieuse en Irak est sur la même position : il faut défendre en même temps l’égalité de tous sans considération de l’ethnie, de la religion ni de la confession, et l’égalité des sexes. Salloum est le rédacteur en chef du magazine culturel Masarat, dont les bureaux se trouvent dans le quartier chrétien de Kerrada. Salloum insiste pour associer le mouvement pour la justice sociale aux questions d’égalité ethnoreligieuses. Il travaille à la base pour promouvoir une «  culture de la diversité  » et une citoyenneté «  fondée sur l’égalité totale et sans condition  ».

    Pour une réforme globale du système politique

    Place Tahrir, se côtoient des militants radicaux, des poètes, des écrivains, des universitaires et des militantes des droits des femmes. C’est comme si les discussions passionnées qui avaient commencé dans les librairies de la rue Moutanabi étaient transportées tous les vendredis sur la place, résumées en slogans et banderoles. Vendredi 1er avril, dans l’après-midi, la mobilisation n’est pas très importante. C’est le jour de l’annonce de la formation d’un nouveau gouvernement par le premier ministre Haïdar Al-Abadi. Les jeunes femmes sont beaucoup moins présentes que les jeunes hommes. Celles qui sont là sont pour la plupart rassemblées sous la banderole qui proclame : «  la nomination de ministres en dehors des quotas est le premier pas vers une réforme globale  », formule créée par Jassim El-Helfi, un membre important du Parti communiste irakien.

    Un autre groupe, composé surtout de jeunes hommes, lance des slogans comme «  Nihayatkum qariba  » (votre fin est proche). Dhurgham Ghanem et Jamal Mahmoud, deux manifestants indépendants présents dans ce groupe, affirment qu’ils resteront mobilisés parce qu’ils ne sont pas satisfaits de ces «  réformes limitées  ». Tous deux déclarent que ce mouvement a forgé leur politisation et constitue un premier pas vers l’organisation de groupes de jeunes indépendants, dédiés à la justice sociale et au combat contre l’impérialisme. Selon Ghanem, «  cette mobilisation est la continuation d’un combat plus large contre l’impérialisme, car ce sont les forces impérialistes qui ont institutionnalisé le confessionnalisme en Irak par le système des quotas communautaires. C’est la conséquence directe de l’occupation de l’Irak et des politiques impérialistes destinées à ruiner et à détruire le pays.  »

    Les deux hommes font part de leur difficulté à trouver des financements pour poursuivre leurs activités en tant que militants indépendants. En outre, des membres de leur groupe — y compris Mahmoud — ont été victimes de violences et d’arrestations par la police et les services de sécurité.

    Cette violence des «  hommes de la sécurité  » de l’État a été subie par d’autres militants avec qui j’ai parlé à Bagdad, comme Dhurgham Al-Zaïdi, frère du fameux Mountazer, l’homme qui a jeté sa chaussure à la figure George W. Bush en septembre 2009. Militant indépendant et bien connu de la société civile, Dhurgam Al-Zaïdi a subi plusieurs fois la brutalité de la police après avoir participé aux manifestations du vendredi sur la place Tahrir. Dans le café Redha Alwan, sur la rue principale de Kerrada, il raconte que lui et de nombreux autres jeunes militants indépendants ont été attaqués par des inconnus sur le chemin du retour à la maison. Selon lui, ces hommes sont envoyés par des officiels du gouvernement pour affaiblir le mouvement de protestation populaire et traumatiser les militants radicaux. Ce qui n’empêche pas Al-Zaïdi de continuer son action à la base pour l’égalité sociale et contre la pauvreté. Il n’est pas affilié à un parti ni financé par quiconque. C’est un choix courageux, qui le rend plus vulnérable que les membres de groupes formellement organisés.

    Toutefois des protestataires ont aussi reçu un peu de soutien de parlementaires, telle la célèbre députée Shirouk Al-Abayaji. Avant de devenir députée de l’Alliance civile démocratique, un parti de gauche, Al-Abayaji était membre du Réseau des militants pour les droits des femmes, ainsi que militante sociale et écologiste. Quand je l’ai rencontrée à Bagdad, elle venait tout juste de prendre ses distances avec son parti et avait décidé de continuer son mandat comme députée indépendante. Al-Abayaji a soutenu les manifestants depuis le début du mouvement et organisé des discussions, tant dans des rassemblements publics que privés, avec les jeunes militants de la société civile de la place Tahrir.

    Moja et la pensée libre

    Continuant mon exploration des mouvements de base indépendants de la jeunesse irakienne, je suis allée à Nadjaf, à environ 180 kilomètres au sud de Bagdad, pour rencontrer Yasser Mekki et Mountazer Hassan, tous deux membres de Moja ( la vague). Passer la porte toujours ouverte de leur café-bibliothèque, c’est pénétrer dans un autre monde, contrastant avec l’atmosphère chiite conservatrice et traditionnelle de Nadjaf. Ce local de la rue principale de Koufa, encombré de livres et de pop art, est géré par des jeunes, hommes et femmes, la plupart étudiants des universités locales, qui louent ce deux-pièces avec leur propre argent. Ils m’ont accueillie chaleureusement et nous avons discuté de leur travail depuis quelques années. Un travail très varié qui revient en général, comme le dit Mekki, à «  former les gens à la pensée critique et à la liberté de penser  », à «  les pousser à lire autant que possible et des livres aussi variés que possible  » et à «  promouvoir une culture de liberté et d’égalité de tous, sans distinction de classe, de genre, d’ethnie ou de religion  ».

    Moja a beaucoup participé à la campagne nationale de la société civile «  Ana Iraqi, ana aqra  » (je suis Irakien, je lis) qui soutient l’alphabétisation et organise un événement culturel annuel avec distribution de livres sur la promenade Abou Nuwas, sur les rives du Tigre. Complètement indépendants des partis politiques et refusant tout financement, irakien ou étranger, les militants de Moja ont été à la pointe de la protestation contre la corruption et le confessionnalisme à Nadjaf. Ils distribuent aussi des livres enveloppés de papier-cadeau aux passants dans les rues de la ville, pour les encourager à lire de la littérature variée. Ils ont organisé des événements pour lever des fonds en faveur des familles de déplacés chrétiens ou sunnites fuyant l’occupation de l’Organisation de l’État islamique dans leurs villes du nord et de l’ouest de l’Irak. Afin de promouvoir le dialogue interreligieux et les droits des minorités, ils ont encouragé les habitants de Nadjaf à participer aux fêtes de Noël avec leurs compatriotes chrétiens, érigeant et décorant un sapin de Noël baptisé «  shejerah al-salam  » (l’arbre de la paix) dans la rue Al-Rawan, l’une des principales artères de la ville. Moja invite régulièrement des auteurs traitant de philosophie, de religion, de culture et de politique à présenter leurs œuvres et à débattre librement avec le public.

    En quelques années seulement, le groupe a réussi à gagner en notoriété et popularité et a même reçu le soutien de plusieurs figures importantes du clergé chiite de Nadjaf. Pourtant, il provoque aussi discrimination et rejet, y compris des menaces de mort de la part de milices religieuses conservatrices. Mountazer Hassan raconte comment le propriétaire du premier local loué a reçu des menaces de mort, et leur a demandé de partir juste avant l’ouverture au public. Il ne voulait pas prendre la responsabilité de louer à un «  groupe radical  ». «  Fermer et trouver un autre endroit a été assez douloureux pour nous, particulièrement après avoir passé autant de temps avec les volontaires pour repeindre les pièces et régler tous les détails pour l’inauguration  », dit Hassan. Les femmes de Moja sont encore plus exposées aux pressions et aux menaces, car discriminées à la fois à cause de leur sexe et de leur refus de se conformer aux normes de la société.

    Le mouvement de protestation populaire, dans la continuation de celui qui a émergé en 2011, est une réponse au désespoir et à la tension qui ont suivi la prise et l’occupation de Mossoul par l’OEI en juin 2014. Avec des banderoles et des slogans, des citoyens ordinaires, des manifestants politiquement impliqués ou indépendants expriment une vision politique en dehors des identités fondées sur les confessions ou les communautés. Ils dénoncent pacifiquement mais clairement le lien entre la montée de l’OEI, la corruption et le confessionnalisme  ; comme le dit l’une des banderoles les plus célèbres de la place Tahrir, «  Daesh et la corruption sont les deux faces d’une même pièce  ». Dans ce climat de militarisation, les jeunes de la place Tahrir et les groupes de base indépendants comme Moja apportent de nouvelles façons d’être irakien, créatives et pleines d’espoir, dans un pays traumatisé par des décennies d’autoritarisme, d’occupation militaire impérialiste, de guerre confessionnelle et de fragmentation du territoire.

     
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    Image: Lénine et Trotsky en langue arabe

  • Les mobilisations actuelles en Irak, une lueur d’espoir depuis l’été 2015 (Essf)

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    L’Irak traverse actuellement une période de crise profonde et pluridimensionnelle, économique et politique.

    Que ce soit au niveau de la sécurité au plan social ou au niveau de son existence même dans le futur et de la pérennité d’une société connue pour sa composition mosaïque aux plans religieux, confessionnel et ethnique.

    Sous la bannière du « nouvel Irak » et de la démocratie moderne, des politiques et des mesures ont été mises en œuvre visant à créer des brèches profondes dans cette société. Elles ont facilité sa division verticale, ont généré la peur de l’autre et un sentiment d’insécurité totale, permettant la domination de Daech dans les régions déjà sous son contrôle. Il y a toujours la peur des gangs du crime organisé ou de milices que le gouvernement est incapable de contrôler. Cela a entraîné le pillage généralisé de l’économie, au cours des années qui ont suivi l’occupation de 2003, estimées à 300 milliards de l’ensemble des revenus du pétrole pendant ces années qui atteignent 900 milliards de dollars.

    La fracture confessionnelle et la corruption

    L’administration américaine s’est appuyée au sein du conseil de gouvernement formé par Bremer, « le gouverneur civil », sur un régime reposant sur le concept de « composantes » et non de citoyenneté. Les représentants du conseil de gouvernement ont été choisis en fonction des équilibres démographiques, et partant, sur l’hypothèse qu’ils seraient de véritables représentants de leurs confessions et de leurs ethnies. Les événements économiques et sociaux auront démontré le contraire pendant ces années, en raison de la dégradation des conditions de vie de la majorité des citoyens, en termes de salaires, de services ou de sécurité.

    Les premières bandes de l’organisation Al Qaeda et par la suite Daech, en passant par toutes leurs dénominations, n’ont fait qu’accentuer la fracture confessionnelle et créer la discorde entre des citoyens qui coexistaient et étaient mêlés par le mariage depuis des temps anciens. Elles ont ciblé et ciblent toujours les marchés bondés, les stations où les travailleurs attendent le matin dans les zones chiites. Ces explosions quasi quotidiennes en ont visé des dizaines de milliers ainsi que des sunnites qui coopèrent avec les habitants chiites. Quant aux gouvernements d’obédience confessionnelle chiite, ils ont adopté grosso modo la même posture, réprimant et se vengeant sans discernement ; bien des innocents de confession sunnite ont été emprisonnés sans motif pour de longues durées. Le confessionnalisme de Maliki a contribué à élargir le fossé, qu’il a utilisé pour recevoir, -du moins le pensait-il-, le soutien des ses coreligionnaires.

    Dans cette logique au sein de l’État des « composantes », la composante chiite, la composante sunnite ou la composante kurde, etc., devaient être représentées dans les différents gouvernements, après l’avoir été au conseil du gouvernement. Des quotas mis en place au sein de chaque ministère en faisaient le fief de tel ou tel. N’y était intégré que celui qui avait payé le ministre et son parti, auxquels il reverserait des montants convenus d’avance s’il voulait passer des accords avec eux.

    Les ministères se sont ainsi transformés de structures devant fournir des services aux citoyens en institutions ou entreprises se devant de garantir le plus grand pouvoir financier au ministre corrompu ou à son parti, qui avait besoin de financement pour couvrir ses dépenses. Tout ceci s’est passé d’une façon soudainement consensuelle entre les « représentants » des confessions, lorsqu’il y a eu coopération avec des pauvres et les tenants de telle ou telle confession. De même, ces représentants se sont mis d’accord pour fixer salaires, allocations et privilèges à un taux élevé, aux trois pouvoirs, -gouvernement, justice et parlement-, ainsi qu’aux fonctionnaires des échelons supérieurs appartenant forcément à leurs partis. Et ce, alors qu’un quart des habitants vit sous le seuil de pauvreté fixé à 2,2 dollars américains par jour. Le prix pour accéder à de tels postes s’était renchéri et ils étaient devenus des sources de profit. Il fallait ensuite travailler dur afin de rembourser le capital investi dans telle fonction ou tel ministère. Nous pouvons nous imaginer ce qu’étaient les services publics offerts par ce genre de politiciens. L’État a remplacé le souci des services en souci de fonctionnarisation selon un favoritisme partisan ou un corruption calculée. Le nombre de personnes travaillant dans le secteur gouvernemental et ses administrations a augmenté de façon exponentielle en huit ans. Le nombre de travailleurs dans la fonction publique a doublé plusieurs fois en huit ans pour dépasser les quatre millions (dont les forces armées et les fonctionnaires de l’Intérieur). Ceci a eu pour corollaire un absentéisme notoire, les études spécialisées indiquent que la présence au travail ne dépasse pas les trente minutes par jour. Cela ne concerne pas évidemment l’employé qui est contraint de se rendre quotidiennement au travail et d’y effectuer des heures de travail, mais l’administration déficiente et corrompue.

    En plus de ce « développement » naturel, on a affaire à une volonté politique arbitraire qui achète les loyautés par des allocations spécifiques pour tel ou tel influent dans sa zone ou sa confession. On a vu émerger des centres de forces tous reliés au Premier ministre qui se préparait à un troisième ou quatrième mandat.

    Le rapport de forces politique

    Les résultats électoraux du 30 avril 2014 ont été l’expression de ce rapport de forces. Il s’agissait des premiers scrutins après le retrait des forces américaines à la fin de l’année 2011 et des troisièmes élections législatives depuis l’agression américaine de 2003. 277 partis et courants, regroupés au sein de plus de trente blocs politiques, ont brigué les 328 sièges de députés, permettant à Maliki d’obtenir une large majorité, mais ne lui permettant pas d’être seul au pouvoir, comme il l’aurait voulu pour se libérer des chaînes des « quotas ».

    Ces élections ont été entachées d’accusations de fraudes et de pressions sur les électeurs, par une corruption flagrante, filmée et diffusée sur les réseaux sociaux. Ce sentiment a été renforcé par le mode de décomptes des voix effectué dans les bureaux de vote locaux effectués le soir même sans annonce des résultats globaux. Celle-ci n’a eu lieu qu’après le regroupement des urnes à Bagdad dans un seul centre. Les voix ont été recomptées et il a fallu trois semaines pour que les résultats soient proclamés, soit le 19 mai, laissant apparaître de grandes différences entre le nombre des voix de telle ou telle liste, entre le premier chiffre et le second. Le responsable des élections est un Office « indépendant », mais soumis aussi aux quotas confessionnels, ethnique et politiques.

    La Coalition de l’État de Droit dirigée par Nouri Al Maliki a remporté plus de 92 sièges, le Courant sadriste, le Bloc des Libres, dirigé par le jeune religieux Muktada Al Sadr, 33 sièges, et la Coalition du Citoyen dirigée par un autre jeune religieux, Amar Al Hakim, 30 sièges. Ces listes sont alliées à d’autres listes religieuses, au sein d’une autre, plus large, au Parlement, sous l’étiquette d’« Alliance nationale » qui y détient à elle seule plus de la moitié des sièges. Mais il y a une divergence en son sein, antérieure aux élections, concernant le feu vert donné à Maliki pour un troisième mandat, qui ouvrirait la voie à un mandat illimité ou non. Ces deux forces s’y sont opposées mais ne sont pas parvenues à une candidature alternative. Ces trois forces ont des rapports privilégiés avec l’Iran à des degrés divers.

    A la quatrième place on a la liste « Unis pour la Réforme », avec 25 sièges, dirigée par Oussama Al Fajita, (Islamiste sunnite), ex président du Parlement et frère aîné du gouverneur de Ninive (Mossul) Athil Al Najifi ; ensuite vient la liste de Coalition Nationale, 21 sièges, dirigée par Iyad Alaoui, opposant, ex baathiste visé par une tentative d’assassinat perpétrée par l’ancien régime alors qu’il se trouvait à Londres. Lors des élections de 2010, il s’était hissé au premier rang avec plus de quatre vingt dix sièges, bien avant Maliki alors ; mais des « arrangements » constitutionnels et juridiques ont été voulus par Maliki et renforcés par un accord irano-américain conduisant à son éviction et au choix de Maliki pour former le cabinet.

    Les deux principaux partis kurdes, le Parti Démocratique du Kurdistan, dirigé par Massoud Barzani, président de la région et résident dans la capitale, Erbil, proche de la Turquie, et l’Union Nationale du Kurdistan, dirigée par l’ex président de la République, Jalal Talabani, ont obtenu 19 sièges. Ce dernier a des rapports privilégiés avec l’Iran, bien qu’il accueille des opposants kurdes d’Iran, près de Sulaymania, sa ville stratégique.

    La Coalition Arabe (nationaliste sunnite) dirigée par Al Mutlaq, un ex Premier ministre, a remporté dix sièges, et « Diyali est notre identité », cinq sièges (dirigée par Salim Al Jubouri, actuel président du Parlement, du Parti Islamiste.

    Le Parti du Changement (Goran), parti kurde dissident de l’Union Nationale du Kurdistan depuis 2009, a obtenu neuf sièges et les partis de la Vertu (parti religieux chiite) et Alnakhab [Les élites], ont obtenu ensemble six sièges ; même chose pour la Coalition de la Réforme dirigée par Al Jaafari, ex Premier ministre avant Maliki, et ex Président du parti Dawa avant que Maliki n’en prenne la direction.

    Des blocs ont remporté les quelques sièges restants, comme l’Alliance Civique Démocratique : trois sièges. Le Parti Communiste Irakien n’en a remporté aucun alors qu’il constituait la base la plus organisée de cette alliance ; l’un de ses cadres éminents, Jassim Al Hulfi qui venait en troisième place sur la liste, a dû se désister en faveur de la femme qui venait après lui, en vertu du code électoral imposant des quotas féminins au parlement. Jassim Al Hulfi est l’un des initiateurs et des dirigeants du « mouvement populaire » de protestation actuel.

    Il y a cinq sièges réservés aux Chrétiens, dont l’un a été remporté par le Parti Communiste Irakien, un siège pour les Sabéens, un pour les Shabaks et un autre pour les Yézidis.

    La majorité des forces politiques étaient résolues à empêcher Maliki de briguer un troisième mandat, car il gouvernait seul et sabotait les accords politiques qui avaient permis son accession à la présidence du gouvernement pour la seconde fois et en raison de sa propension à déclencher crise sur crise. Notamment aussi parce qu’il avait contribué à approfondir la fracture confessionnelle entre chiites et sunnites, et qu’il avait une responsabilité dans les crises au Kurdistan, sans parler du fait qu’il avait utilisé l’argent public pour acheter des allégeances, ou utilisé le parquet pour contourner décrets et lois du conseil des ministres. La « Référence » (Haute autorité religieuse chiite) a acquiescé à cette demande populaire en refusant déjà depuis deux ans avant les élections de recevoir quiconque des politiciens beau parleurs qui se vantaient de son soutien, en premier lieu Maliki. Son porte parole disait : « Ce qu’on a testé, on ne le teste plus ».

    Maliki a tenté de récolter des soutiens à l’intérieur et à l’extérieur de la Coalition Nationale, pour garantir l’exercice d’un troisième mandat, en la proclamant le plus grand bloc parlementaire au parlement, dépassant en cela l’alliance qui était la sienne et dont elle est partie prenante, et ce dans une tentative de se débarrasser de l’opposition de son allié dans cette alliance ; mais il a échoué à rassembler plus de 115 appuis au Parlement. On a découvert qu’il était au courant de l’attaque de Daech sur Mossul, -ce qui n’a fait qu’aggraver les choses pour lui-, et qu’il n’avait rien fait pour y l’empêcher, espérant pouvoir profiter de cette attaque en mettant en difficulté les responsables sunnites, ses adversaires politiques, et d’apparaître comme le libérateur de Mossul, après peu de temps, mais l’impétuosité de l’attaque et la défection de l’armée,- composée de forces imaginaires dont la plupart des éléments avait été désignée par favoritisme, et qui n’étaient dans leurs casernes que les jours de paye-, l’impétuosité et l’imminence de cette attaque sur Bagdad (ils étaient à quarante kilomètres) ont confirmé le danger qu’il y a aurait à conserver Maliki au poste de Premier ministre une troisième fois.

    Un groupe de dirigeants historiques du parti de Maliki, le parti Dawa, ont fomenté un projet de renversement et ont eu recours aux forces de « l’Alliance Nationale ». Le Premier ministère a été remis à Haydar Al Abadi, avec le soutien large du parlement, rassemblant toutes les forces, à l’exception de celles gravitant autour de Maliki lui-même, estimées à 70 députés. Il a eu le poste de vice Président de la République, comme lot de consolation.

    Al Abadi était dans une position critique au niveau du Parlement car la majorité de son parti était dirigée par Al Maliki et ses soutiens les plus importants venaient de l’extérieur de son bloc, c’est à dire des Libres, du Citoyen et des autres, ce qui contribuait à l’enchaîner quelque peu, en dépit du « mandat » populaire qu’il avait reçu et du soutien de la « Référence » chiite à ce mandat, mais beaucoup de ses soutiens lui rappelèrent qu’il ne devait son poste qu’aux quotas confessionnels, dont était exigé le dépassement.

    Ce qui caractérise la situation politique en Irak depuis de longues années, c’est qu’opposition et partisans du premier ministre sont toujours au gouvernement ensemble. Il est rare de trouver un bloc parlementaire important en dehors du gouvernement, en raison d’une logique de consensus ou de quotas confessionnels et ethniques. C’est le cas pour le gouvernement d’Al Abadi, qui a été constitué après un accord sur un programme politique équilibré visant à apaiser les tensions ravivées par Maliki, la promesse de la promulgation d’une loi d’amnistie générale pour sauver les innocents et le proches des victimes, une loi qui ne concernait pas ceux dont les mains étaient maculées de sang. Il a été aussi promis d’agir sur « une base de vrai partenariat, de consolidation de l’unité nationale et dans l’esprit de la paix civile ». Al Abadi travaille à diligenter une loi pour la garde nationale, qui soit constituée sur une base territoriale, en tenant compte des revendications des masses dans les départements à majorité sunnite lors des rassemblements qui se sont poursuivis tout au long de l’année 2013 et qui ont été réprimés par Maliki par la force à la fin de cette même année. Tout ceci sur la base d’une économie déformée facilitant la propagation de toutes les maux qui rongent les régimes non démocratiques, surtout lorsque ces derniers reposent sur des accords confessionnels, religieux et ethniques compliqués, qui déchirent la société et l’État en même temps.

    Économie mono rentière et dépenses de consommation

    L’économie irakienne repose sur une seule marchandise qui représente 95 % de ses revenus, et ce depuis bien avant l’agression américaine [1]. Les avis des conseillers et des experts ont été vains, suggérant de ne rater aucune occasion pour diversifier les sources de l’économie en s’appuyant sur ces rentrées de liquidités faciles. Mais c’est le contraire qui s’est passé, la situation a évolué vers une augmentation des dépenses et à une dépendance de plus en plus grande envers les revenus du pétrole. Ainsi nous assistons à un déclin des capacités de production et la baisse de la contribution des secteurs des marchandises dans la génération du produit intérieur brut et une détérioration significative dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrie de transformation. Alors que « le plan de développement national pour les années 2010-2014 » considérait que l’industrie de transformation était l’une des activités importantes, mais l’investissement gouvernemental n’a pas dépassé 3,52%, avec un taux d’exécution de 23,3%, pas plus. Ceci s’est accompagné de dépenses de consommation croissantes et d’une ouverture des frontières aux produits étrangers sans protection du producteur local, et sans garantie de qualité et de sécurité pour le consommateur. L’augmentation des recettes pétrolières entre 2003 et 2014 de façon constante d’environ 14 milliards à 150 milliards a permis à ce que le Docteur Salah Yasser nomme l’élite politique, d’élargir le clientélisme et le népotisme et de développer les mécanismes d’absorption et de contrôle et « c’est dans ce cadre que s’est développée une couche bureaucratique au sein des franges supérieures du gouvernement, de l’armée et de la sécurité ». Cette catégorie a pu, de par sa position dominante dans les décisions prises dans les divers organismes gouvernementaux, détourner une grande part de la rente pétrolière croissante jusqu’à 2013. Le docteur Yasser évalue les pertes annuelles à 40 milliards de dollars. Cela représente par comparaison, quatre fois le budget de la Jordanie supposé suffire à onze millions de citoyens. Ceci a conduit naturellement à créer de grandes disparités entre les revenus, selon le dernier recensement des revenus de la famille irakienne pour l’année 2007, et tout ce qui s’est passé depuis n’aurait fait qu’accentuer ces disparités. Cette étude estime qu’un cinquième supérieur des familles dispose de 43% de l’ensemble des revenus du pays, tandis que le cinquième le plus pauvre dispose de 8% seulement avec des disparités supplémentaires à l’intérieur de ce cinquième entre départements, et entre zones rurales et urbaines. Des statistiques gouvernementales de l’année 2009 évaluent le taux de pauvreté en Irak à 23%, soit sept millions de personnes, un taux qui atteint 40% dans certains départements du sud supposés « gouverner » l’Irak depuis 2003 au travers de leurs représentants dans les partis religieux chiites. Ce taux atteint dans les campagnes de ces départements 60% comme dans celui de Wassit, 61% dans celui de Babylone et jusqu’à 75% dans celui de Muthenna. Les précédents gouvernements se sont appuyés sur la fonctionnarisation, comme nous l’avons dit plus haut, en en faisant une réponse non intelligente au chômage. Le nombre des fonctionnaires a augmenté à plus de quatre millions de fonctionnaires, auxquels il faut ajouter deux millions de retraités et environ un million de personnes touchant l’aide sociale, soit sept millions de personnes recevant entre 70 et 80% du budget de fonctionnement.

    En dépit des orientations claires de l’administration américaine, puis des orientations locales pour passer à une économie de marché, les entraves à la fourniture de l’électricité ont retardé les privatisations nécessaires à cette économie. On estime à 47 milliards de dollars les dépenses d’électricité alors que le coût des besoins de l’Irak s’élève à moins d’un quart de cette somme. L’inexistence de bénéfices pour la plupart des sociétés et des usines ne sont guère attractifs pour les capitalistes. Et dans des conditions de sécurité difficiles pour les acquérir, ils préfèrent investir dans les importations qui sont en hausse : de moins de dix milliards de dollars en 2003, elles sont passées à 58 milliards en 2010 et 75 milliards en 2014, sans protection du consommateur et selon un mode qui freine la croissance et augmente la dépendance.

    Mais les législations mises en place par le gouverneur civil Bremer, en facilitant le passage d’une économie de marché par « la libération » du commerce extérieur de toute contrainte, et la liberté de circulation des capitaux et des flux financiers à l’étranger, ont conduit, entre autres mesures, du même acabit, à faire exploser le chômage dont le taux a atteint cette année plus de 25%, selon une déclaration du ministre du Travail lui-même au mois de mars de cette année.

    Daech

    La politique de discrimination confessionnelle menée par les forces gouvernementales et les milices des partis confessionnalistes chiites ont entraîné à la fin de l’année 2012 des rassemblements hebdomadaires au cours de l’année 2013, exigeant la fin de la discrimination confessionnelle, la libération des personnes détenues depuis longtemps sans procès, la fin de la loi de « l’informateur secret » qui dispense tout informateur sur une autre personne d’être confronté publiquement avec cette dernière, ouvrant la voie à des calomnies délibérées, la fin de l’humiliation aux postes de contrôle que font subir des éléments confessionnels de l’armée exerçant dans des zones à majorité sunnite, et la mise en place d’une « garde nationale » avec des éléments de la population du département qui géreraient la sécurité interne eux-mêmes. Ces sit-in ont essuyé des diffamations et une répression sanglante dans diverses villes. La réponse à leurs revendications, reconnues généralement comme légitimes, a été renvoyée aux calendes grecques. Ces rassemblements ont été accusés d’honorer des agendas étrangers et ont été réprimés à la fin de l’année 2013, entraînant des affrontements entre des insurgés à Fallouja et les forces de l’armée qui en ont perdu depuis lors et jusqu’à maintenant toute maîtrise. Mais le carte des forces qui contrôlent Fallouja s’est rapidement modifiée. Au moment où les forces de l’État islamique en Irak, puis Daech par la suite, n’étaient qu’une simple minorité, la majorité des populations a refusé de la bannir de ses rangs à Fallouja à condition qu’elles n’exhibent aucune bannière. L’intransigeance de Maliki a conduit cette majorité à perdre en crédibilité vis à vis des populations. L’apport de volontaires extérieur à la ville a conduit Al Qaeda (qui deviendra l’État Islamique en Irak et au Levant-Daech) à devenir la force locale la plus soutenue et la plus organisée, jusqu’à modifier le rapport de forces au point qu’elle est devenue l’unique force hégémonique qui a contraint tout un chacun, soit à dissoudre son organisation, soit à lui prêter allégeance.

    L’ascension et la survie de Daech, après les bombardements aériens d’une large coalition internationale, le ralliement à sa cause de très jeunes lors de la prise de Mossul, son avancée rapide vers Bagdad sont dus essentiellement à l’absence de direction crédible dans ces zones, Maliki ayant contribué systématiquement à discréditer les directions sunnites. La percée de Daech n’est pas due à l’existence de « viviers », mais à l’absence de directions légitimes véritables dans ces zones. Pour nombre de confessionnels chiites, Daech est l’ennemi idéal. La logique de l’État des composantes, divisé verticalement, sur lequel reposait l’administration de l’occupation en Irak, ne reposait pas sur le principe d’une citoyenneté égalitaire, -les forces chiites y étaient bienvenues et utilisées dans son intérêt-, a préparé le terrain aux thèses de Daech. De même, le financement régional important s’est doublé d’un flux de volontaires extrémistes dont le passage en Irak a été facilité par l’absence de forces armées irakiennes capables de contrôler les frontières, Bremer ayant dissout l’armée et les forces de police. Le second responsable n’est autre que le régime autoproclamé « de l’abstention », le régime syrien. Lui aussi a facilité l’accueil, l’entraînement et le passage de tous les volontaires arabes et étrangers venant combattre l’Amérique, mais une part importante de ces derniers finissaient déchiquetés, se faisant exploser bien loin des forces d’occupation et au milieu des pauvres dans des zones à majorité chiite, pendant l’année 2003 et par la suite, jusqu’au déclenchement du mouvement populaire syrien, à tel point que Maliki lui-même a déposé plainte aux Nations Unies contre Bachar Al Assad pour cette raison. Dès que le régime syrien a affronté le soulèvement populaire syrien, Maliki a reçu l’ordre de l’Iran de faciliter le passage de « volontaires » de partis confessionnels chiites au prétexte de protéger les lieux saints sur le territoire syrien ; puis il y a eu le passage d’armes en provenance d’Iran à bord d’avions passant dans le ciel irakien au nez et à la barbe et en dépit de la volonté de l’Amérique. Dans le même sens, sinon comment pourrions-nous expliquer que Daech tout au long de l’été 2014 ait eu plus de mille kilomètres de frontières avec la région du Kurdistan, depuis le nord de l’Irak à Mossul, longeant la région jusqu’à Khanikin qui se trouve sur la frontière iranienne à l’est, et qu’il n’y ait pas eu de guerre entre Daech et la région sinon dans deux villes qui non contrôlées par le Parti Démocratique du Kurdistan très lié à la Turquie, tandis que Kirkouk et Khanekin sont sous l’influence de l’Union Nationale du Kurdistan proche de l’Iran. Dans la même idée, Hazem Al Amine, dans son article publié dans Al Hayet du 1-11-2015, et intitulé « Daech que Washington n’a pas combattu et que Moscou ne combattra pas » fait état d’une diminution de 50% des raids de la coalition internationale sur les positions de Daech et il ne faut pas oublier, ici, que le ralliement honteux aux gangs de Daech de résidus du Parti Baath sous la direction d’Ezzat Al Douri et le mot de bienvenue à leur égard lors de son discours public connu lors de la chute de Mossul entre leurs mains.

    Il y a une autre raison fondamentale qui explique la « résistance » de l’organisation Daech, c’est qu’en dépit du nombre d’ennemis qui veulent en finir avec lui, chacun de ces derniers veut avant tout l’utiliser pour combattre ses propres ennemis. Cela a été flagrant lorsque l’Iran a facilité le passage de combattants d’Al Qaeda d’Afghanistan en Irak pour combattre l’agression américaine les premières années. La Turquie a tenté d’utiliser Daech pour combattre les Kurdes qui avaient pris le contrôle de la majorité du territoire kurde, à la suite du retrait des forces du régime syrien pour se concentrer sur sa confrontation avec le soulèvement populaire en Syrie. De même Maliki qui a « fermé les yeux » sur la plus grande évasion de prisonniers d’Al Qaeda (environ cinq cent prisonniers), de la prison d’Abou Ghraïb et de Taji en juillet 2013 et qui ont fuit en Syrie pour tenter de modifier la nature de la lutte, la faisant passer d’une lutte de masses insurgées contre la dictature en place depuis des dizaines d’années en un combat confessionnel. Il a contribué à soutenir la même orientation en Syrie qui s’est appuyée sur la libération d’islamistes extrémistes en juillet 2011 coïncidant avec des vagues d’arrestations massives de militants de coordination des villes insurgées.

    Ajoutons-y la « sécurité » qui régnait dans les zones contrôlées par ces bandes, qui rappelle la peur des groupes du crime organisé qui sont de piètres amateurs face au « professionnalisme » de la cruauté que pratique Daech, alors qu’auparavant, elles dominaient et déambulaient, confiantes dans la corruption et la complicité des appareils de sécurité. Cette méthode a été suivie de mesures sociales populistes pour jeter de la poudre aux yeux. Mais maintenant après une longue période de contrôle de Daech sur ces zones, et la mise à nu de ses pratiques, y compris à l’encontre de la population sunnite qu’elle prétend représenter, il y a eu des signes de prise de distance, qui ne datent pas d’aujourd’hui entre ces habitants et Daech, à supposer qu’il y ait eu antérieurement une collusion entre les deux.

    Après la commission de crimes odieux, l’exode et la confiscation de l’argent et des biens des citoyens chrétiens à Mossul et ses environs, des massacres commis à l’encontre des Kurdes Yézidis, les rapts de citoyennes de cette minorité et leur soumission à l’esclavage sexuel, sans parler des massacres de Turkmènes chiites, ce fut le tour des Arabes sunnites dont ces bandes avaient prétendu défendre les droits. Après les exécutions visant des personnes telles les imams des mosquées qui se refusaient à prêter allégeance à Bagdadi, qui s’était auto proclamé calife, ou des militants qui avaient critiqué Daech sur les réseaux sociaux, Daech est passé à des exécutions collectives massives. Daech a cité les noms de 2070 exécutés de façon collective au début du mois d’août dernier, au motif qu’ils auraient refusé de collaborer ; leur dernière exaction en la matière remonte à la mi-novembre 2015, avec l’exécution de 30 citoyens dont des acteurs de l’information. Tout ceci sans parler de la discrimination honteuse et effrayante pratiquée par ces « tekfiris » contre les plus faibles et les plus fragiles.

    La femme, les enfants, les minorités, les déplacés dans une société machiste et violente

    Le contexte de dictature, les guerres incessantes menées contre les Kurdes depuis 1974, l’invasion américaine en 2003, la domination de partis religieux islamistes sur la vie politique et l’imposition de la mentalité machiste sur tous les aspects de la vie civile, ont entraîné une régression dans le domaine des libertés publiques, dont les principales victimes ont été les couches les plus faibles de la société, les femmes, les enfants et les minorités. A cette situation déplorable il faut ajouter la présence d’environ un peu plus de trois millions de déplacés qui ont fuit les zones de Daech, la majorité rejoignant la région du Kurdistan. Les femmes représentent plus de la moitié du chiffre total des déplacés et elles sont exposées, -en l’absence de loi et dans des conditions de vie précaires, la dissolution des mécanismes de protection sociale, l’absence de sécurité et l’explosion de la misère-, à une recrudescence de violence sociale et sexuelle. Par ailleurs, l’aide aux déplacés a disparu du budget d’austérité proposé pour l’année 2016.

    Les pressions exercées par des groupes religieux extrémistes pour déscolariser les fillettes et les marier de façon précoce, se sont étendues et il y a même eu une tentative de légiférer en ce sens, au début de l’année 2014 avant les élections. Des pratiques en déclin ont refait leur apparition, comme les « crimes d’honneur » dont les femmes du Kurdistan ne sont pas exemptées, alors qu’on pense qu’elles vivent dans des conditions plus progressistes socialement, le « mariage temporaire » comme le mariage de jouissance, le mariage coutumier et le mariage de « déplacement », toutes formes de mariage dont le premier objectif est d’assouvir les besoins sexuels masculins, très loin de ce qui peut rassembler deux personnes éprises en termes d’affection, d’amour et de sincérité.

    il faut y ajouter la tragédie massive et honteuse des femmes kurdes yézidies qui sont victimes de rapt et de vente perpétrés par les barbares de Daech. Hana Edouard, une militante des droits de l’homme, indique qu’il y a eu plus de trois mille femmes et fillettes yézidies kidnappées par Daech jusqu’à aujourd’hui, et elle appelle à les faire libérer, à protéger les rescapées et à leur offrir la réhabilitation requise par un suivi médical et psychique et leur réintégration dans la vie publique ; Il faudrait parler aussi des femmes qui ont subi des agressions sexuelles quotidiennes, les viols continuels perpétrés au nom du jihad-nikah, sans parler de l’utilisation des femmes, comme cela a été le cas au sud en ce début d’année, comme monnaie d’échange ou de compensation dans des cas de différends inter tribaux, comme s’il s’agissait d’une marchandises comme une autre ou d’une monnaie.

    Les enfants pauvres souffrent, notamment les orphelins dont le nombre peut être évalué à plus de cinq millions et sept cent mille, selon les statistiques de l’année 2006 tandis que d’autres, celles de l’UNICEF, indiquent qu’un tiers des enfants irakiens ne sont pas scolarisés, happés par le marché du travail à un âge précoce et privés des moindres attributs de la vie d’un enfant. Le phénomène des « enfants des rues » s’étend relativement, accompagné d’une augmentation de probabilité d’ d’agressions sexuelles et sont des objets aux mains du crime organisé.

    Les rassemblements de l’année 2013 revendiquaient l’arrêt de la torture et des viols à l’encontre des femmes emprisonnées. Des rapports font état d’arrestations par l’armée de femmes en tant qu’otages en lieu et place de leurs maris dans de nombreuses zones, dont celle de Mossul avant qu’elles ne tombe aux mains de Daech.

    Une étude réalisée par le ministère des Droits de l’Homme du gouvernement de la région du Kurdistan indique que plus de 40,7% des femmes entre 11 et 24 ans avaient été excisées et cette étude confirme les résultats de l’année 2011 qui indiquait que le taux d’excision était dans cette région de 44% contre 1 % dans le centre et le sud de l’Irak.

    Rappelons que les homosexuels ont souffert le pire en Irak, sous le contrôle des milices chiites à Bagdad et au sud, lorsque des dizaines d’entre eux ont été lapidés au printemps 2012, et subissent maintenant les assassinats perpétrés par les bandes de Daech.

    Nous ne pouvons ici nous contenter dans notre analyse de la situation actuelle en Irak de parler de ceux qui détiennent le pouvoir direct, tel l’État irakien actuel d’une part, et Daech d’autre part. Nous devons faire un détour en même temps sur les forces intérieures ou étrangères, qui jouent un rôle important dans les rapport de forces politiques et idéologiques actuels dans le pays. Nous pensons de explicitement au rôle de la Référence religieuse chiite, au rôle de l’Iran, au rôle des milices confessionnelles armées, notamment celles qui sont organisées dans ce qu’on appelle la mobilisation populaire et aborder la spécificité de la situation au Kurdistan d’Irak, puis nous aborderons la question du mouvement populaire, et les perspectives qu’il ouvre.

    La Référence-le « gouvernement du juriste théologien »-l’Iran-la « mobilisation populaire »

    Beaucoup de confessionnalistes sunnites et de nationalistes arabes se plaisent à mettre la Référence religieuse chiite dans le même sac que l’Iran et vont jusqu’à l’accuser d’agir en faveur des intérêts des appareils d’État iraniens. Nous allons expliquer en quoi cela relève de la naïveté ou de la sottise. Le premier exemple est celui de Maliki qui prospérait avec la bénédiction iranienne et agissait en fonction de ses intérêts régionaux en Syrie afin de raviver un combat dont l’un des aspects est celui de la lutte confessionnelle et sectaire. Idem en Irak tout au long de son second mandat (2010-2014) alors que la Référence recommandait d’éviter de reprendre une lutte confessionnelle lourde de dangers pour la coexistence pacifique. La Référence a boycotté Maliki et tous les politiques qui ne cessaient de tenter de l’approcher et de la courtiser. Sans parler de la position sur le troisième mandat de Maliki, - l’Iran a usé de toute son influence et de celle de son homme de mains en Irak, Kacem Slimani, chef de la brigade de Jérusalem, pour faire passer un troisième mandat pour Maliki-, qui était dans le collimateur de la Référence avec le slogan « L’histoire ne repasse pas deux fois le même plat ». La Référence a prêté son concours et soutenu les manifestations récentes. Elle a exigé que les mains des corrompus qui étaient la cause de ce désastre soient châtiées, soit une allusion plus que directe à Maliki et consorts. Maliki qui avait été accueilli comme un héros par Khamene’î, guide de la « révolution » iranienne et son juriste théologien ; Sans parler du fait que la Référence en la personne de Sistani avait proclamé depuis longtemps son souhait d’un « Etat civil », à l’opposé du gouvernement du « juriste théologien ».

    Certains ont profité de l’appel de la Référence à s’engager comme volontaires dans les forces de sécurité, le vendredi 13 juin 2014, soit quelques jours après la chute de Mossul et l’avancée rapide sur Bagdad, alors que les bandes de Daech étaient à 40 kilomètres au nord, des forces confessionnelles soutenues par l’Iran ont beaucoup utilisé cet appel pour se réarmer. Mais un simple coup d’œil à la « mobilisation populaire » nous enseigne qu’elle a plus de cinquante factions, diverses de par leur composition. Alors que certains sont à titre semi officiel sur les fronts, qu’une majorité de ses combattants sont détachés pour exécuter les plans de leurs partis politiques dans les villes, que beaucoup d’autres n’ont touché aucun salaire jusqu’à maintenant, d’autres meurent au combat, d’autres factions ont des noms fictifs et leurs chefs touchent tous les soldes. Les factions de la « mobilisation » ne sont pas un bloc homogène mais il se déroule en son sein une concurrence féroce pour attirer les volontaires, un phénomène qui reflète clairement les divergences entre partis politiques chiites. Au sein d’une même faction, les comportements diffèrent, certains sont là pour des considérants liés à la foi ou des considèrants de conscience nationale trans confessionnelle, et ils représentent la majorité de la base de la mobilisation populaire. Des milliers sont morts dans les combats contre Daech. A l’opposé, des considérants confessionnels et criminels président au comportement d’un autre nombre, qui font intervenir dans leur activité attentatoire à la sûreté des gangs du crime organisé dans les villes, à l’abri du péril de la mort sur le front, et sous la protection de brassards qui facilitent leur passage aux barrages de police et de l’armée, sans que l’État ne parvienne à les maîtriser.

    Par rapport aux manifestations qui n’arrêtent plus depuis mi-juillet dernier, nous trouvons les deux positions, la Référence a marqué son accord de façon claire depuis le début du mois d’août 2015 avec les manifestants et leurs revendications et elle a exigé du gouvernement qu’il frappe d’une main de fer les corrompus qui étaient à l’origine des pertes de l’Irak, qui se chiffrent en centaines de milliards. Elle a aussi exigé le dépassement des quotas partisans et confessionnels, pour ouvrir la voie à une réforme des institutions de l’État, afin que pour chaque poste soit désignée la personne idoine, même si cette dernière n’appartient à aucun des partis du pouvoir, et qu’il ne soit pas tenu compte de son appartenance confessionnelle ou ethnique. Elle a appelé à ne pas hésiter à se débarrasser de quiconque n’était pas adapté au poste, même s’il a le soutien de forces politiques. De son côté, l’Iran a contribué à alléger la pression sur les responsables irakiens qui lui sont proches et corrompus. Alors que la Référence, à l’instar des manifestations massives, a exigé une réforme de la justice. Madhat Al Mahmoud, Président du conseil suprême de la Justice qui a été loyal à Saddam, Bremer et Maliki, et que les manifestants voulaient juger, a reçu deux importants chefs de l’armée proches de l’Iran qui lui ont signifié leur soutien à l’« indépendance » de la justice.

    La région du Kurdistan

    L’ensemble de la région du Kurdistan vit un calme relatif et connaît un consensus politique rare en Irak, puisque les partis politiques kurdes ont participé aux élections législatives avec une liste unifiée. Le gouvernement est constitué des cinq parties principales au Parlement, le Parti Démocratique du Kurdistan, l’Union Nationale du Kurdistan, le mouvement du Changement et les deux mouvements islamistes. Mais les choses ont évolué avec la fin de la présidence de Massoud Barzani à la tête du Kurdistan, le 19 août 2015 à l’issue de deux mandats de quatre ans, et de deux années sur lesquelles il y a eu consensus et la crise continue jusqu’à maintenant en dépit des nombreuses réunions entre le Parti Démocratique du Kurdistan avec les autres partis, ou les réunions tenues à l’initiative des partis pour sortir de la crise. Alors que ces partis exigent la diminution des prérogatives présidentielles, et la transition vers un régime parlementaire et non présidentiel, avec bien des zones d’ombre, elles autorisent le Parti Démocratique du Kurdistan de prolonger le mandat de Barzani. Quant à Barzani, il exige que le président soit choisi par le peuple lui-même, par un scrutin direct.

    Le Kurdistan connaît des difficultés économiques dues aux tensions survenues fin 2013 et en 2014, puisque Maliki n’a pas versé les salaires des fonctionnaires de la fonction publique travaillant dans la région en raison de différends pétroliers et politiques. S’y ajoute la tension militaire et sécuritaire due à l’affrontement avec Daech et les dépenses de guerre, les forces kurdes ayant pu libérer un territoire plus grand que celui du Liban dans la dernière période, à l’exception de la libération de Sinjar survenue, elle, il y a quelques semaines. La région supporte un fardeau de plus deux millions et demi de réfugiés dans une région de huit millions d’habitants. Des divergences aiguës se sont faites jour dernièrement, dans la foulée des manifestations violentes visant le Parti Démocratique du Kurdistan, et réclament des réformes mettant fin à la corruption et garantissant le versement des salaires. Elles veulent une solution pour mettre fin à la crise politique représentée par la forme du régime politique et sa constitution, et la résolution de la question de la Présidence. Il s’agit d’un mouvement qu’on ne peut regarder isolément du processus révolutionnaire arabe commencé en 2011, en Tunisie et en Égypte pour s’étendre par la suite à d’autres pays arabes et maghrébins.

    Le « mouvement populaire » -les « places Tahrir »- le parlement du peuple

    Les manifestations et les mouvements populaires qui ont pris une nouvelle tournure, avec leur généralisation, ne sont pas partis de rien. Les manifestations se sont poursuivies avant et après le début de l’année dans des secteurs comme les sociétés d’ »auto financement »gouvernementales qui devaient depuis l’ancien régime se débrouiller financièrement car ces sociétés ne pouvaient payer les salaires de leurs employés. Les revendications les plus notoires viennent du secteur du textile, important en nombre. Mais la phase a redonné confiance était au mois de juillet, lorsque à Bagdad les trains ont été délaissés par les travailleurs et les chauffeurs de la société de transport des chemins de fer, dans les principaux axes de Bagdad, entraînant une affluence inhabituelle, et poussant le ministre à payer leurs salaires sur le champ.

    Mais l’étincelle fut le problème chronique de l’électricité dont on a de plus en plus besoin l’été en Irak, alors que la chaleur a dépassé plus d’une fois les cinquante degrés à l’ombre. Alors que la majorité des citoyens souffre de la canicule et des coupures d’électricité gouvernementale, et de la cherté de l’électricité produite par les générateurs locaux qui existent de façon anarchique dans les ruelles, la poursuite du faste et de la corruption restait le quotidien des hauts fonctionnaires. Une manifestation est parti à d’Al Madina, proche de Basra, une ville dont bien des citoyens sont morts en affrontant Daech, en tant que volontaires dans la « mobilisation populaire », sans que cela ne leur fasse mériter ne serait-ce qu’un peu d’électricité. Pire, les manifestations ont été réprimées et l’un des manifestants, Montadhar Al Halfi, de dix neuf ans, a été pourchassé et tué délibérément.

    S’en sont suivies les déclarations provocantes du ministre de l’Electricité, si éloignées de la réalité qu’elles ont entraîné le désespoir des citoyens. Une initiative d’intellectuels, de journalistes et d’artistes indépendants et de membres de partis proches dans leur majorité du Courant Démocratique civique, dont le Parti communiste représente la plus grosse force organisée. Cela a permis aux masses de reprendre confiance en elles. Les premières manifestations de solidarité le 29 juillet ont été suivies par d’autre manifestations les autres vendredis, encore plus nombreuses, d’autant plus qu’elles avaient reçu les encouragements de la Référence lors de son prêche du vendredi d’après, juste avant les manifestations le même jour, leur conférant une massivité et confiance. Il y avait dix fois plus de manifestants que le premier vendredi. En dépit du fait que les manifestations se poursuivent depuis quatre mois, elles n’ont pas disparu ; un jour elles sont plus fortes et un autre plus faibles et ce, dans tous les départements du sud et à Bagdad, et y compris dans des zones à majorité sunnite, récemment libérées, à Salaheddine et Diyali.

    La jeunesse a participé massivement à ces manifestations ; plus surprenante encore est la participation de personnes plus âgées mais non moins déterminées, issues d’un large éventail d’appartenances politiques et sociales, et de confessions diverses. Il y eut accord pour arborer un seul drapeau, le drapeau irakien, comme symbole d’un ensemble uni, et comme symbole de l’égalité des citoyens, sans prééminence de quiconque.

    Les manifestations ont vu coexister le Courant civique démocratique d’une part, et le Courant sadriste d’autre part. Ce dernier y a massivement participé au bout de quelques semaines, se démarquant des autres courants par une massivité et une organisation évidentes, même si l’on sait que la liste des accusés de corruption englobe certains de ses dirigeants au gouvernement. De surcroît les larges masses s’en référaient à la Référence religieuse dirigée par Sistani. Il y a une différence entre ce comportement et celui du courant des bandes d’Ahl Al Haqq, proche de Maliki et de l’Iran, qui a ressenti dès le début l’importance de ces manifestations et a tenté dès la première semaine de les contenir, même par la force. Cela révèle la sottise de la thèse mettant tous les courants de l’ »islam politique » dans le même sac et de traitant avec eux de la même façon.

    De façon générale, on peut considérer les manifestations actuelles comme la poursuite des manifestations du 25 février 2011 qui avaient été réprimées brutalement dans l’œuf, les initiateurs ayant essuyé des tirs nourris, les arrestations, la torture et des attaques au couteau, et même l’assassinat avec un silencieux de l’un des meneurs, le journaliste Hadi Mahdi, chez lui ; après avoir été arrêté et torturé, il avait été libéré et liquidé.

    Les revendications visent les fondements confessionnels du régime et les quotas confessionnalistes, surtout au sud à majorité chiite, car la majeure partie des masses ont compris que le régime des quotas est l’autre face de la corruption qui gangrène l’Irak, engendrant des pauvres en proportions plus importantes au sud. Les revendications incluaient l’accès à des services publics et la poursuite des corrompus, ainsi que la réforme de la justice.

    Ces manifestations sont la première action de masse, large et oppositionnelle depuis de longues années. A l’exception du soulèvement de 1991 qui avait failli faire tomber la dictature de Saddam, n’eût été l’intervention des forces américaines, et leur répression du soulèvement dans 14 départements sur 18, il faut revenir aux années cinquante pour parler de manifestations d’opposition de ce genre, d’un caractère national interconfessionnel, à quelques exceptions locales près dans les années soixante, essentiellement au Kurdistan d’Irak. Il a une orientation opposée à ce qui a été mis en place depuis 2003 à savoir les quotas et le le régime des composantes confessionnelles et ethniques. Le mouvement s’est révélé depuis le début l’existence d’un important potentiel de masse aux possibilités réelles qui a réussi jusqu’à maintenant à briser l’obstacle de la peur que les grands politiciens ont utilisé comme boucliers. Il a créé des brèches importantes dans la muraille des quotas. C’est sous leur influence que le parlement s’est accordé sur des réformes présentées par le chef de l’actuel gouvernement, Al Abadi, dont le renvoi de trois vices présidents de la République, notamment Maliki, et trois vices premiers ministres. Il en va de même pour des lois qui étaient des pierres d’achoppement depuis des années comme le Code du travail et la loi sur les partis politiques. La promulgation de la loi avait été retardée depuis des années. Les revendications des masses dans les départements ont imposé des démissions de hauts responsables, des poursuites en justice pour d’autres, et leur éviction de nombreux postes.

    La majorité des manifestants y participe à titre individuel, et sans être actifs au sein des nombreuses coordinations qui appellent aux mobilisations, sans participer à la prise de décision ou à l’élaboration des slogans. Tout passe par les réseaux sociaux, qui en dépit de leurs avantages (la réduction des distances et du temps, la facilitation des contacts et de la mobilisation), ne poussent pas à l’investissement individuel, à la participation réelle, et à des prises de décision collectives. Ces coordinations manquaient dans les premières semaines de coordination entre elles. Une difficulté dépassée par la création d’une tribune unique place de la libération à Bagdad ; depuis plusieurs semaines, elle vise à tenir un congrès de toutes les coordinations d’Irak le mois prochain, pour arriver à des visions et un programme d’action communs.

    La crise économique sera plus aiguë l’année prochaine pour les masses et sera à l’origine de nouvelles souffrances, notamment à cause de la poursuite de la baisse des prix du pétrole. La question de réformes radicales sera incontournable pour enrayer la corruption et le pillage mis en place par le régime des quotas confessionnels et pour en finir avec les basses œuvres des milices confessionnalistes et sectaires. Cela ne pourra se réaliser sans un regain de mobilisation et d’organisation des masses pour faire émerger une direction démocratique de masse, révolutionnaire, disposant d’un programme, et des outils concrets pour le mettre en œuvre.

    Saïd Karim, novembre 2015 Source : « La Révolution Permanente », janvier 2016.

    * Traduction de l’Arabe : Luiza Toscane.

    Notes

    [1je me suis inspiré, pour écrire cette partie de l’article, sur l’article du docteur Salah Yasser, intitulé « La réalité de l’économie irakienne… entre les discours idéologiques et les données choquantes », publié dans le numéro 374-375 de la revue « La nouvelle culture » (Al Thaqafa Al Jadida)

    http://www.europe-solidaire.org/