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Syrie - Page 4

  • Nouveautés sur "Amnesty International"

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    L'agence de l'ONU doit maintenir la pression sur le Qatar, car sa réforme sur le travail des migrants n'est pas à la hauteur

    Accord UE-Turquie : une tache honteuse sur la conscience collective de l’Europe

    Syrie. Il est temps que les dirigeants mondiaux fassent en sorte que les millions de victimes de la guerre obtiennent justice, vérité et réparation

    Palestine. Des éléments prouvent que les forces de sécurité palestiniennes ont violemment réprimé une manifestation pacifique à Ramallah

    Libye. Le coût humain de l’hypocrisie européenne par Matteo de Bellis

  • Moscou capitale du Proche-Orient (Orient 21)

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    En attendant Donald Trump…

    La Russie occupe désormais une place centrale sur l’échiquier proche-oriental. Sa présence militaire en Syrie, l’axe qu’elle a créé avec l’Iran et avec la Turquie en font l’interlocuteur obligé de tous les protagonistes de la guerre en cours. Mais elle est aussi prise dans les contradictions qui divisent ses alliés et elle attend avec une certaine inquiétude que le président Donald Trump décide de sa politique dans la région.

    « The Middle East : When Will Tomorrow Come ? » (Proche-Orient, quand demain arrivera-t-il ?) : c’est sous ce joli titre, presque poétique, qu’en cette fin d’hiver à Moscou, dans un luxueux hôtel au centre de la capitale à quelques encablures de la place Rouge et du Kremlin, plus d’une centaine d’invités venus de trente pays se côtoient pour débattre de l’avenir d’une région bouleversée par les guerres et les conflits, à l’invitation du Valdai Discussion Club, un think tank de politique internationale.

    Les participants sont plus divers que lors de la réunion de l’an dernier, avec plus de délégués des pays du Golfe. On y croise Moshe Yaalon, ancien ministre de la défense israélien, expliquant que la paix nécessite la création d’États confessionnels, sunnite, chiite ou alaouite (mais surtout pas d’un État palestinien) ou le général américain Paul Vallely tressant des couronnes à Donald Trump et évoquant sa récente rencontre avec Marine Le Pen à Paris. On peut y côtoyer Ali Nasser Mohamed, ancien président de la République démocratique et populaire du Yémen (Sud-Yémen), Nabil Fahmy, ancien ministre des affaires étrangères égyptien, Amr Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, ou encore Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Yémen. Annoncée, l’opposante syrienne Bassma Kodmani a été retenue par les négociations qui se déroulent à Genève. Autre défection, Seyed Hossein Mousavian, un ancien officiel du Conseil national de sécurité iranien, résident aux États-Unis : il craignait, après les décrets du président Trump, de ne pas pouvoir y retourner s’il partait en voyage.

    Intellectuels, chercheurs, responsables saoudiens ou iraniens, turcs ou égyptiens, irakiens ou américains, s’y retrouvent avec bien sûr une forte présence russe, dont Mikhaïl Bogdanov, ministre adjoint des affaires étrangères en charge du monde arabe, Valentina Matvienko, présidente du conseil de la Fédération russe (la chambre haute), et proche de Vladimir Poutine ou Vitaly Naumkin, directeur de l’Institut des études orientales, un des architectes de la conférence. Ce dernier quittera la conférence en urgence dès la fin de la première journée pour aller renforcer la délégation russe aux négociations sur la Syrie à Genève. L’Europe brille par son absence, comme le feront remarquer divers intervenants.

    Un rôle central dans les dossiers brûlants

    Une participation si hétérogène confirme que la Russie s’est acquis cette dernière année, grâce à ses victoires militaires en Syrie, une place centrale au Proche-Orient, reconnue par tous — y compris par ceux qui condamnent son soutien au régime de Damas. Elle s’enorgueillit de maintenir le dialogue avec toutes les parties, dans tous les conflits qui minent la région : ne joue-t-elle pas les bons offices pour éviter une escalade entre le Hezbollah et Israël sur le Golan, comme l’a confirmé la rencontre à Moscou le 9 mars entre Poutine et Nétanyahou ?

    Moscou est devenu l’un des centres où se négocient les dossiers les plus brûlants. Fin janvier, le Hamas et le Fatah y ont signé un accord pour la formation d’un gouvernement d’union nationale1. À la mi-février, la capitale a abrité la sixième conférence des Kurdes regroupant un certain nombre de groupes dans la mouvance du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) : Parti de l’union démocratique (PYD, Syrie), Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK, Iran), Parti démocratique des peuples (HDP, Turquie), mais aussi Goran ou l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), partis rivaux du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) — au pouvoir dans le Kurdistan irakien et absent de la conférence.

    Au début du mois de mars, le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov a reçu le premier ministre libyen Fayez Al-Sarraj, alors que la Russie maintient d’excellents rapports avec son principal adversaire, le général Khalifa Haftar.

    Pourquoi cet activisme ? Qu’est-ce qui fait courir Moscou ? Fiodor Loukianov, l’un des artisans intellectuels de la conférence et des commentateurs russes les plus respectés en politique internationale explique que l’objectif dépasse le cadre régional : « La Russie voit le Proche-Orient comme le terrain principal sur lequel elle peut accumuler un capital qui lui permettrait d’être reconnue comme une puissance sur la scène internationale. Malgré ses spécificités, le Proche-Orient est partie prenante d’une réorganisation du monde. » La Russie ne cache pas sa conviction que l’ère « post-occidentale » a commencé et elle veut accélérer le mouvement.

    « Travailler avec tout le monde »

    Cependant, cela ne signifie pas que « nous entamons une nouvelle “guerre froide” ; nous ne sommes pas en compétition avec les États-Unis comme l’était l’URSS, explique ce professeur russe de relations internationales, nous ne voulons pas d’un nouveau Yalta ». D’abord parce que le monde n’est plus bipolaire, mais multipolaire et, d’autre part, parce que l’on est conscient ici des limites de la « puissance russe » — notamment en termes économiques. Enfin parce que l’idéologie n’est plus une force motrice et que, comme le répètent avec insistance Lioukanov et nombre des interlocuteurs russes, « la règle du jeu international pour les prochaines années est l’instabilité. Il n’y a plus d’alliance durable, même pas l’OTAN ».

    L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, plutôt bien accueillie au Kremlin, accroît cette instabilité et les incertitudes. Pour l’instant, le président américain semble coincé entre ses velléités de rapprochement avec Vladimir Poutine, les tendances antirusses du Congrès, son discours sur « la guerre contre le terrorisme » et son hostilité viscérale à l’Iran. En attendant, le Kremlin profite de cette étrange transition en cours à Washington, mais adresse un message clair aux Occidentaux, relayé par Valentina Matvienko : « Le Proche-Orient est la ligne de front de la guerre mondiale contre le terrorisme, un mal global similaire à ce qu’a été le fascisme. Pour le vaincre, nous devons mettre de côté nos différences. » Et Bogdanov de préciser : « Nous devons en finir avec la démocratisation imposée de l’extérieur, sans rapport avec les cultures locales ». Mais, assure-t-il, nous devons aussi « travailler avec tout le monde », en Libye ou au Yémen, en Syrie ou en Irak, à l’exception bien sûr des groupes terroristes transnationaux, l’organisation de l’État islamique (OEI) et Al-Qaida. Il aurait pu aussi évoquer l’Afghanistan où Moscou, inquiète de l’installation de l’OEI dans le pays, a entamé des contacts avec des fractions des talibans qu’elle considère comme un contrepoids au djihadisme international.

    C’est sur le terrain syrien que les Russes ont remporté leurs succès les plus significatifs, il leur reste toutefois à prouver leur capacité à stabiliser la situation, à esquisser une solution politique. Pour cela, ils comptent d’abord sur le triangle laborieusement forgé Iran-Turquie-Russie. Comme l’explique un diplomate russe sous couvert d’annonymat, cette alliance est « contre-intuitive. Elle s’appuie sur des calculs tactiques, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne durera pas. Les intérêts à court terme de ces trois pays coïncident car ils ont des troupes sur le terrain et ils veulent trouver une solution. Et ils mesurent le poids financier d’un enlisement. » Pour permettre la signature d’un cessez-le-feu en Syrie, Moscou a réuni à Astana (Kazakhstan), à deux reprises, en janvier et en février 2017, les représentants du régime syrien et ceux de l’opposition armée — y compris des groupes salafistes jusque-là qualifiés par elle de « terroristes », comme Ahrar Al-Cham. Ce compromis a pavé la voie à la reprise des négociations politiques à Genève à la fin février entre le régime et les différentes forces de l’opposition.

    Des alliés imprévisibles

    Mais comment jongler avec les positions parfois antagonistes de ses propres alliés ? Un projet de Constitution soumis par Moscou indique que l’État syrien sera laïque, ce qui n’est pas du goût de l’Iran, et ne mentionne pas le caractère arabe du pays (une reconnaissance du fait kurde) ce qui indispose aussi bien Ankara que les nationalistes arabes. Pourtant, l’axe Moscou-Téhéran semble plus solide que l’axe Moscou-Ankara, les risques de renversement d’alliances étant peu probables dans le premier cas — l’espoir que l’accord sur le nucléaire iranien entraînerait une détente entre les États-Unis et l’Iran a fait long feu — que dans le second, Moscou n’oubliant pas que la Turquie est membre de l’OTAN.

    Autre allié imprévisible, Bachar Al-Assad, qui doit pourtant sa survie politique à l’intervention de Moscou. Alexander Aksenenok, un ancien ambassadeur russe en Algérie, vieux routier de la politique proche-orientale, ne cache pas ses critiques à l’égard des autorités syriennes. « La solution en Syrie doit être fondée, explique-t-il, sur le communiqué de Genève du 30 juin 20122 et la résolution 2254 du conseil de sécurité de l’ONU, prévoyant la mise en place d’un “organe de gouvernement transitoire”, qui serait capable d’“accomplir pleinement les fonctions de pouvoir exécutif”. Or Damas refuse, sous différents prétextes, de discuter de cette transition. » Ce point de vue, il l’a exprimé publiquement dans Nezavisimaya Gazeta, le 20 février 2017.

    Finalement, sous la pression de Moscou, la quatrième session des négociations de Genève qui s’est achevée le 3 mars semble avoir contraint Damas à accepter les principes d’une transition. Une petite avancée saluée par l’envoyé de l’ONU Staffan de Mistura qui a annoncé la reprise des négociations le 23 mars. Quant à l’avenir de Bachar Al-Assad selon Moscou, il devra être tranché plus tard, ce sera aux Syriens de décider. Existe-t-il sur ce point des divergences entre Téhéran, attaché au maintien à tout prix du président syrien, et Moscou qui serait plus souple ? Ou, comme l’expliquent certaines journalistes russes, des divergences entre les ministres de la défense et des affaires étrangères russes ? Il est difficile d’obtenir une confirmation de ces rumeurs.

    L’avenir est à la Maison Blanche

    Quoi qu’il en soit, pour Moscou la question n’est pas à l’ordre du jour, car l’avenir se décidera sur le terrain où la situation est mouvante. Malgré ses reculs, l’OEI reste puissante, comme l’est l’ancienne branche d’Al-Qaida, le Front Al-Nosra devenu Front Fatah Al-Cham. D’autre part, les tensions sont palpables entre la Turquie, le régime syrien et l’Iran sur le terrain — tensions que Moscou tente de déminer. Un exemple, la situation autour de la ville d’Al-Bab dont les troupes turques engagées en Syrie depuis le mois d’août 2016 se sont emparées avec leurs alliés syriens le 23 février. Elles ont menacé de reprendre Manbij, tombée aux mains des Forces démocratiques syriennes, un groupe dans lequel le PYD joue un rôle clef. Pour la Turquie, il s’agit d’empêcher à la fois l’unification des trois cantons du Kurdistan syrien et de porter un coup à une organisation considérée comme une simple succursale du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un ennemi aussi dangereux — si ce n’est plus — que l’OEI. Moscou a négocié, avec l’aide de Washington, un compromis : le PYD a évacué les environs des villages autour de Manbij, qui ont été remis aux mains du régime syrien.

    Une zone tampon est ainsi créée entre les Turcs et leurs alliés d’un côté, les Kurdes de l’autre, l’armée syrienne servant de force d’interposition ! Des affrontements ne sont cependant pas à exclure, d’autant que la Turquie a réitéré sa volonté de purger totalement Manbij des combattants kurdes et exige de participer aux opérations de reconquête de Raqqa, « capitale » de l’OEI. La réunion à Antalya (Turquie) de responsables militaires turcs, russes et américains le 7 mars avait pour but de définir une stratégie commune. Au même moment, on apprenait que les États-Unis avaient envoyé pour la première fois des marines dans la zone — où se côtoient au sol, en dehors des Syriens, des troupes iraniennes, turques, russes et américaines.

    Mais peut-on négocier l’avenir de Syrie « avec seulement des acteurs non arabes que sont l’Iran et la Turquie » ? s’interroge Loukianov. Interrogation d’autant plus légitime que la conférence de Valdai elle-même a pu entendre des critiques virulentes de la part de nombre de délégués arabes à l’égard de l’Iran et de son « expansionnisme ». Même si Moscou a pu obtenir une présence de la Jordanie aux négociations d’Astana — ainsi que celle des Émirats arabes unis3 —, l’absence de l’Arabie saoudite pèse. « Nous aurons besoin des États-Unis pour inclure l’Arabie dans les discussions, explique le sénateur Igor Morozov, membre de la commission des affaires étrangères de la chambre haute. Sinon, nous risquons d’assister à une reprise des combats et de l’aide de Riyad et Doha aux organisations armées. » Plus grave selon lui : le risque que l’administration Trump déclenche un conflit contre l’Iran, par Israël interposé. Ce choix anéantirait toute possibilité d’accord en Syrie et relancerait une guerre à grande échelle dans la région, avec un éclatement des États et l’exacerbation des conflits confessionnels. Malgré leurs succès, les Russes sont conscients du fait qu’une partie de l’avenir se joue à la Maison Blanche. Et personne ne sait quand demain arrivera au Proche-Orient…


    1 En réalité, l’accord semble avoir été «  survendu  » par les médias russes. Selon des sources palestiniennes, rien n’a vraiment avancé au cours de cette rencontre à Moscou qui n’était pas du tout prévue pour entériner un accord.

    3 Le rapprochement entre Moscou et les Émirats arabes unis est notable. En février, Sergueï Tchemezov, le chef de Rostec — plus grand conglomérat de défense de la Russie — a déclaré aux journalistes présents à l’exposition IDEX (International Defence Exhibition and Conference) à Abou Dhabi, que Rostec s’associait avec le ministère de la défense des Émirats arabes unis pour développer un chasseur léger de cinquième génération basé sur le MiG-29. Le développement devrait commencer en 2018, et la production démarrer sept à huit ans après.

  • Dominique Vidal: Syrie : Pourquoi Jean-Luc Mélenchon se trompe (Regards)

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    Dominique Vidal, spécialiste du Proche et du Moyen-Orient, a regardé Jean-Luc Mélenchon lors de l’émission On n’est pas couché du samedi 23 février. Il décrypte les analyses de Jean-Luc Mélenchon sur la Syrie, qui ont fait polémique.

    Il est rare que, dans une émission de grande écoute, la situation syrienne occupe une telle place : près d’un quart d’heure. Mais ce fut, hélas, le trou noir d’une intervention par ailleurs brillante de Jean-Luc Mélenchon [voir la vidéo ci-dessous ndlr].

    Car le candidat à l’élection présidentielle opère un grand écart incompréhensible dans son raisonnement. Dans un premier temps, il considère à raison qu’il n’y a pas de solution militaire à une crise politique et s’oppose donc à toute intervention militaire occidentale, en particulier française, en Syrie. Et on le suit. En revanche, mystère de la logique mélenchonienne, il soutient l’intervention russe. Et il le fait au nom de la lutte contre Daesh et de la solidarité envers les Kurdes assaillis par l’armée turque.

    L’intervention russe a pour but de sauver Bachar El Assad

    Malheureusement, je crois que Jean-Luc Mélenchon connaît mal le dossier. La Turquie est constante : de tout temps, elle s’est focalisée sur les Kurdes. Le fait qu’elle intervienne désormais en territoire syrien n’est qu’une question de degré. Il n’y a rien là de radicalement neuf.

    De surcroît, Jean-Luc Mélenchon tait la réalité de l’intervention russe. Tous les observateurs, en dehors des Russes, relèvent que l’action russe est principalement dirigée contre les opposants modérés au régime de Bachar El Assad. Le type de bombardement – le carpet bombing : tapis de bombes – s’inspire des actions de l’armée russe en Tchétchénie. L’aviation russe bombarde civils et militaires de façon indifférenciée. C’est très choquant. Un hôpital d’une ONG vient même d’en être la cible.

    J’ai accueilli récemment à l’Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo), pour un débat, l’ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov : il n’a pas même présenté le combat contre Daesh comme objectif de l’intervention de son pays en Syrie. Le but de celle-ci, a-t-il dit, c’est de sauver Bachar El Assad et son régime. Car, s’ils tombaient, ce serait la porte ouverte à une extension du djihadisme, notamment dans le Caucase. Qu’est-ce qui permet à Jean-Luc Mélenchon de dire que l’objectif des Russes est d’abattre Daesh ? D’autant que, je le répète, l’écrasante majorité des bombardements russes ne visent pas les djihadistes.

    Poutine ne défend que les intérêts de Moscou, du moins ce qu’il considère comme tels

    Jean-Luc Mélenchon a pris l’habitude de se faire l’avocat de Poutine, en Syrie comme en Ukraine. Visiblement, il croit déceler une continuité entre l’URSS et la Russie. Cette filiation est une vue de l’esprit. À supposer que l’URSS ait agi au plan international pour défendre des causes justes, Poutine ne défend plus ni ces causes, ni les valeurs qui les inspiraient. Poutine ne défend que les intérêts de Moscou, du moins ce qu’il considère comme tels. Car il y a un grand écart entre les véritables intérêts de la Russie et la manière dont le groupe dirigeant les conçoit.

    Je pense que Jean-Luc Mélenchon reproduit la même erreur d’analyse en ce qui concerne les régimes arabes. Le nationalisme arabe, laïque et socialiste a disparu depuis longtemps. Les régimes de Saddam, hier, ou d’Assad, aujourd’hui, n’ont aucun rapport avec ceux des années 1960-1970. La politique progressiste a été remplacée par une politique libérale, marquée par les dénationalisations. De véritables mafias dominent l’Irak comme la Syrie. Et la dimension laïque s’est réduite au point de n’être plus qu’une façade pour Occidentaux de passage. Saddam Hussein faisait de plus en plus référence à l’islam dans les dernières années de sa dictature. Et Bachar Al-Assad instrumentalise les minorités comme un fond de commerce politique. Il y a eu fondamentalement une rupture au tournant des années 1980. Étrangement, Jean-Luc Mélenchon semble l’ignorer.

    Propos recueillis par Catherine Tricot.

    regards.fr  Dominique Vidal  25 février 2016

    Lire aussi :

    Dominique Vidal : « Le « choc des civilisations », une idée fausse qui prend corps »

    http://www.anti-k.org/2016/12/22/denis-collin-campisme-linsondable-et-criminelle-betise-dune-partie-de-la-gauche-radicale/

    En finir avec les théories du super-impérialisme et de la division du monde en camps

    http://www.anti-k.org/2017/01/08/comment-m-melenchon-nie-le-peuple-de-syrie-et-ses-droits/

    Commentaires:

    Nous écrivions le 12/12/2016 un article sur le « campisme », il est intéressant de lire un point de vue semblable émis par un intellectuel qui ne se réfère pas à l’analyse classique anti-impérialiste contre tous les impérialismes (http://filiu.blog.lemonde.fr/).

     Le « campisme mélenchonien:

     Jean-Luc Mélenchon confirme ses approches erronées. Il n’y aurait ainsi qu’une seule grande puissance impérialiste, les USA, ce qui n’est pas cohérent avec sa prétention à être non-aligné. Il ne raisonne toujours pas en termes de classes sociales, mais en termes d’intérêts divergents des états.

    Il prétend donc défendre les intérêts de « La France » et des français en s’abstenant de toute critique à l’égard de la politique de la Russie. En dehors de toute cohérence du reste, jlm2017 se soumet à l’air du temps : « La vraie menace est du côté de la Chine, (…) car c’est là où, pour l’avenir, va se trouver l’adversaire principal. » dit-il aujourd’hui pour mieux stigmatiser les menées des « nord-américains »,  à juste titre, mais également pour détourner l’attention de la politique poutinienne, qui s’exprime en Syrie de manière barbare.

    jlm207  contredit ainsi les propos de son livre « qu’ils s’en aillent tous » page 129 : … « Selon moi, la France du XXI ème siècle devrait avoir avec la Chine une coopération avancée en matière économique, on peut facilement se comprendre, il y a entre nous une culture commune bien plus étendue et profonde qu’avec les nord-américains…

    La vision « géopolitique » campiste de jlm2017 à but électoraliste est patente dans ces errements, il négligeait hier les mécanismes impérialistes spécifiques des capitalistes chinois fondés sur la sur-exploitation des travailleurs – sans oublier la répression des minorités et l’écrasement du Tibet – pour sous-estimer maintenant les visées impérialistes russes menées par une oligarchie mafieuse et fascistoïde, fondées sur la reconquête par les interventions militaires.

    Ceci n’exonère en rien l’impérialisme dominant des Etats Unis, le plus violent et le plus criminel. Mais cette vision sommaire et fluctuante des « relations internationales » vise à se concilier tous les nationalistes, qui veulent occulter le fait que les intérêts des peuples sont différents des intérêts de leurs propres dirigeants, ce sont eux leurs principaux ennemis, ceux qu’ils doivent combattre solidairement.

    Voilà ce qu’il faut marteler à chaque occasion quand jlm2017 choisit de définir les intérêts de La France, de La Russie, de la Chine pour finir par défendre les intérêts de la caste fasciste des Assad, en avançant masqué. 

  • «Les Syriens ont osé faire le printemps dans cette partie aride du monde» (Al'Encontre.ch)

    Des centaines de personnes marchent à Damas, en mars 2011,
    au cri de «Deraa est la Syrie»

    Le 15 mars 2011, un rassemblement avait lieu à Damas.

    Trois jours après, les manifestations s’étendaient aux principales villes du pays, gagné par le «printemps arabe». Après six ans de guerre, des centaines de milliers de morts et des millions de réfugiés, un Aleppin réfugié en France se souvient du caractère inattendu et miraculeux de cette renaissance avortée.

    Le parfum du printemps me parvient jusque dans mon asile alsacien. Je reconnais bien ces fragrances enivrantes. Elles n’émanent pas de l’étrange pays où je suis réfugié depuis dix-huit mois. Car qui vit sous le ciel de ce pays, surtout dans l’atmosphère de la campagne présidentielle, sait bien que rien n’annonce, hélas, un printemps. Ce parfum me vient de mon pays, la Syrie, à 4000 kilomètres de distance et six ans après.

    Mais que reste-t-il du printemps syrien ? Il n’y a pas de réponse rapide à cette question qui vient comme un poignard se planter au fond du cœur. Beaucoup disent aujourd’hui, certains avec nostalgie ou regret, d’autres avec hargne et rancune, qu’il n’y a jamais eu véritablement de printemps en Syrie. Que notre pays était condamné à l’hiver dur et long des dictatures ou à l’été brûlant et fou de l’extrémisme musulman.

    Il y a six ans, à cette même époque de l’année, j’avais écrit sur ma page Facebook : «Nous sommes en mars, le printemps viendra-t-il chez nous aussi?»

    C’était peu après la révolution tunisienne commencée le 17 décembre 2010, suivie de la révolution égyptienne le 25 janvier 2011, et enfin de celles du Yémen et de la Libye en février. C’était le temps des soulèvements, appelé le «printemps arabe». Un moment de légende qui a balayé, en quelques jours, des régimes que l’on croyait définitivement installés comme une maudite fatalité pour leurs peuples. J’avais exprimé, en quelques mots, l’espoir que ce printemps révolutionnaire atteigne la Syrie. Je ne l’avais fait évidemment que par allusion car personne n’osait alors se déclarer ouvertement. Je n’avais d’ailleurs pas «d’amis» dans l’espace bleu de Facebook pour me lire, aimer ou commenter ma publication. Seul l’agent des renseignements chargé de surveiller chaque souffle émis par un Syrien pour mieux l’oppresser. Tous les Syriens évoluaient comme de misérables atomes solitaires, errant face à la terreur imposée par l’Etat sécuritaire. Le seul lien entre ces atomes isolés était l’agent des renseignements, cet être omnipotent installé dans les sous-sols de la torture comme dans nos esprits pour tout savoir et sanctionner.

    Et le printemps est arrivé en Syrie ! Il était authentique, je tiens à en témoigner. Je ne tente pas ici une présentation historique ou politique de ce qui s’est produit depuis le déclenchement de la révolution syrienne en mars 2011. Ce n’est pas le lieu, et je ne suis pas qualifié pour le faire. Je veux apporter le simple témoignage d’un homme qui a vécu un demi-siècle de sa vie en Syrie. Je veux affirmer qu’il ne s’agissait pas d’un printemps mensonger, ni d’une illusion, ni d’une tromperie, mais du seul véritable printemps qu’ait connu le pays dans l’histoire moderne. Il est important de le rappeler pour bien mesurer l’ampleur de la catastrophe qui s’est abattue sur la Syrie et les Syriens. Les images de villes détruites, de maisons écrasées sur la tête de leurs habitants, de corps déchiquetés, de cadavres de dizaines de milliers de prisonniers morts sous la torture, puis celles des enfants noyés lors de la grande vague de départs dans les embarcations de la mort ou des millions de pauvres gens entassés dans les camps de réfugiés. Toutes ces images qui envahissent les écrans de télévision et les pages de journaux ne suffisent pas à rendre compte du prix exorbitant que nous avons payé. Car elles ne reflètent que l’aspect dramatique de l’histoire, cette punition collective qui a frappé les Syriens, sans rien dire de ses causes ni expliquer le pourquoi de la catastrophe.

    Aux consciences honnêtes qui lisent ces mots et qui ne peuvent croire que la terreur de masse qui s’est abattue sur les Syriens n’est que la «guerre contre le terrorisme» menée par Vladimir Poutine et Bachar al-Assad, pour reprendre les mots de leur propagande. A ceux qui ne peuvent comprendre comment les événements ont si mal tourné. A tous, je voudrais dire que la seule raison de cette folie destructrice est que les Syriens ont osé faire le printemps dans cette partie aride du monde. Car leur révolte, dans cette région géostratégique si sensible, a introduit un facteur imprévu menaçant pour les intérêts établis par des puissances régionales comme l’Iran, Israël ou les pays du Golfe. Il s’agit là d’une faute mortelle. L’émergence de ce nouvel acteur aurait aussi pu provoquer des bouleversements géostratégiques pour de plus grandes puissances encore, tels les Etats-Unis, la Russie, la Turquie ou d’autres pays du Golfe. Il s’agit là encore d’une malédiction fatale. Dans les deux cas malheureusement, les Syriens ont représenté l’acteur de trop dont il fallait vite se débarrasser, ou tout au moins tenter de l’instrumentaliser un temps avant de le liquider. Il existe après tout trop de peuples dans le village planétaire, et il faut bien éliminer l’un d’entre eux de temps en temps.

    Il n’en reste pas moins que l’entreprise des Syriens en ce printemps a été une immense surprise pour tout le monde, y compris pour moi qui l’ai attendue toute ma vie. C’était un tel miracle humain que je n’y aurais pas cru si je ne l’avais vécu en direct jour après jour. Franchement, je ne connaissais pas ces jeunes et moins jeunes qui se sont emparés des rues avec leurs slogans, leurs chants et leurs danses, alors que je vivais parmi eux. Ils ne se connaissaient d’ailleurs pas entre eux car personne en Syrie ne connaissait l’autre. Parents, voisins, amis ou collègues, ils pouvaient être aussi indicateurs pour les services de renseignement, et la méfiance était de rigueur, même à l’égard des plus proches. Comment sont-ils parvenus à se rencontrer aussi vite ? Comment ont-ils osé découvrir leurs poitrines nues devant leurs camarades manifestants, face aux fusils des forces de l’ordre et aux couteaux des sbires du régime qui les fauchaient sans merci ? L’esprit civique que le régime du parti Baas s’est employé pendant cinquante ans à détruire par la peur, à écraser par le mensonge, à salir par la délation, comment a-t-il pu surgir soudain à la vie, avec autant de pureté et de spontanéité ? Comment les élèves obligés de scander tous les matins à l’école le slogan d’allégeance à la famille Al-Assad ont-ils pu le soir même descendre dans la rue pour appeler à la liberté et à maudire l’âme du despote père, fondateur de ce régime d’esclavage ? Les pauvres, pour qui la Syrie n’a jamais été généreuse ni clémente, ont rempli leur cœur d’un amour pur pour une patrie qui ne leur a rien offert. Je n’éprouvais moi-même aucun sentiment d’appartenance à la Syrie avant ce printemps-là. J’avais même honte d’appartenir à un peuple asservi, travaillant pour le compte de la famille Al-Assad. Comment me suis-je métamorphosé d’un jour à l’autre, comme des millions de Syriens ?

    La réponse est à la fois simple et étonnante : nous avons contracté soudain le virus de l’espoir qu’une autre vie est possible et que nous étions capables de l’inventer. Nous avons décidé tous ensemble, nous, les gens ordinaires, les étudiants, les ouvriers, les bouchers, les plombiers, les tailleurs, les avocats, les pharmaciens, les dentistes, les trafiquants de tabac, les intellectuels, les artistes, les vendeurs de mazout, les chômeurs et les repris de justice. Nous avons décidé qu’il était temps que nous prenions possession de notre pays, que nous cessions d’être des sujets apprivoisés et terrifiés pour devenir des citoyens libres. L’espoir ! Cette noble passion est notre péché originel. Nous l’avons commis avec ardeur et nous en avons payé le prix fort.

    Le lecteur français devrait comprendre cet esprit qui était celui de ses ancêtres, celui de la République et de la démocratie. Mais il faut être Don Quichotte pour porter ces idéaux du XIXe siècle quand on vit au XXIe. Vouloir être maître de son pays? Quelle arrogance pour un peuple! Comment avons-nous osé y penser? Nous ne savions pas que le principe de l’autodétermination des peuples appartient désormais au passé, quand la terre était vaste avant de se transformer en petit village planétaire dont chaque quartier, petit ou lointain, compte pour les grands propriétaires. On ne pouvait pas laisser les habitants décider librement de leur sort. Que ceux qui trouvent cette exagération émotionnelle injustifiée observent comment les armées de quatre grandes puissances sont mobilisées autour de Manbij. Cette petite ville (à 50 kilomètres au nord-est d’Alep) était pratiquement inconnue des Syriens eux-mêmes. Pour confirmer cela, rappelons comment l’ONU et son envoyé spécial, Staffan de Mistura, ont veillé à la déportation des habitants d’Alep-Est, après ceux d’autres petites villes autour de Damas! (Traduction Hala Kodmani; article publié dans Libération, en date du 15 mars 2017, titre de la réd. A l’Encontre)

    Mustafa Aljarf, pharmacien d’Alep, réfugié à Strasbourg

     Alencontre le 15 - mars - 2017
     
  • Mulhouse Syrie

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  • Syrie : pour le Haut-Commissaire des droits de l'homme de l'ONU, « le pays tout entier est devenu une chambre de torture » (ONU)

     

    A bord d’un navire italien, un père syrien et son fils attendent de voir un médecin après avoir été sauvés en mer Méditerranée. Photo HCR/A. D’Amato

    Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, a qualifié mardi le conflit en Syrie de « pire catastrophe commis par l'homme que le monde ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale ».

    S'exprimant lors d'une discussion de haut-niveau consacrée à la situation des droits de l'homme en Syrie organisée à Genève pendant la 34e session du Conseil des droits de l'homme, M. Zeid a déclaré que le pays tout entier est devenu « une chambre de torture: un lieu d'horreur sauvage et d'injustice absolue ».

    « En effet, tout le conflit - cette immense vague de sang et d'atrocités - a commencé par la torture: la détention et la torture, par des responsables de la sécurité d'un groupe d'enfants de Daraa qui avaient peint des graffitis anti-gouvernement sur un mur de l'école », a rappelé le Haut-Commissaire. « Au fur et à mesure que les manifestations se multipliaient, le gouvernement attaquait et faisait la guerre à son propre peuple - engendrant des mouvements rebelles, alimentant des extrémistes violents et préparant le terrain pour une guerre régionale et par procuration ».

    M. Zeid a de nouveau rappelé que son bureau et la Commission d'enquête se sont vu refuser l'accès en Syrie, et qu'aucun observateur international des droits de l'homme n'est admis dans les « lieux de torture » où se trouvent actuellement des dizaines de milliers de personnes.

    « J'ai rencontré récemment un groupe de femmes syriennes dont les membres de leurs familles ont été détenus ou sont portés disparus depuis des années. Certaines d'entre elles avaient elles-mêmes été détenues - ainsi que plusieurs membres de ce panel distingué », a dit le chef des droits de l'homme de l'ONU, rappelant que de nombreuses personnes ont été victimes de détention arbitraire, de torture, d'enlèvement et de disparition forcée en Syrie.

    Pour M. Zeid, la détention demeure pour beaucoup une question centrale en Syrie et peut déterminer le sort de tout accord politique. « Nous avons la responsabilité de soutenir la lutte des familles syriennes pour connaître la vérité. Ce n'est que lorsque le passé a commencé à guérir que le pays sera en mesure d'envisager un avenir solide », a-t-il dit, exhortant toutes les parties à mettre un terme à la torture, à mettre fin aux exécutions et à cesser les procès inéquitables par des tribunaux spéciaux et ad hoc. « Les acteurs humanitaires et les observateurs internationaux doivent avoir accès à tous les centres de détention », a souligné M. Zeid, exhortant également toutes les parties détenant des prisonniers ou des prisonniers à les libérer ou, au moins, à fournir les informations de base telles que les noms et localités des personnes en détention et le lieu d'inhumation des personnes décédées.

    Alors que le conflit syrien entre dans sa septième année, le Haut-Commissaire a déploré que même les appels désespérés du peuple d'Alep l'an dernier ont eu peu ou pas d'impact sur les dirigeants mondiaux dont l'influence aurait pu contribuer à mettre fin aux combats.

    « Les atrocités infligées à la communauté Yazidi par le groupe extrémiste Daesh - y compris l'enlèvement et la vente de filles et de femmes en tant qu'esclaves sexuelles - n'ont pas conduit à une action rapide et décisive pour assurer les responsabilités. Les vetos (au Conseil de sécurité) ont maintes fois repoussé l'espoir de mettre fin à ce carnage insensé et de renvoyer les crimes internationaux présumés à la Cour pénale internationale », a dit M. Zeid.

    Le Haut-Commissaire s'est toutefois félicité de l'adoption en décembre dernier par l'Assemblée générale de la Résolution 71/248 établissant un Mécanisme international, impartial et indépendant pour aider à l'enquête et aux poursuites des responsables des crimes les plus graves commis en Syrie depuis mars 2011. Le qualifiant de « progrès significatif », M. Zeid a assuré que son bureau est mobilisé « le plus rapidement possible pour mettre en place » cette instance qui collaborera avec la Commission d'enquête pour recueillir et analyser les preuves, préparer des dossiers détaillés sur les suspects individuels et constituer la base des procédures pénales contre les auteurs individuels de crimes.

    « Faire en sorte que les responsables rendent des comptes, établir la vérité et apporter des réparations doit se produire si le peuple syrien veut trouver la réconciliation et la paix », a souligné le Haut-Commissaire. « Cela ne peut pas être négociable ».

    14 mars 2017

    Lire aussi

    Après six ans de conflit, la souffrance des enfants en Syrie est plus profonde que jamais, selon l'UNICEF

    http://www.un.org/

  • Syrie, six ans déjà : “En 2011, nous étions heureux, et pleins d'espoir” (Télérama)

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    Réfugiée en Allemagne depuis 2015, la famille Kamil-Kassou s'est engagée corps et âme dans la résistance, avant de fuir quand la mort a fini par frapper trop près, trop souvent.
     
    Elle est au cœur du documentaire “Watani - My Homeland”, et l'accompagne parfois lors d'une projection, comme ce lundi de mars à Paris, à l'occasion des six ans de la guerre en Syrie.

    Pour la photo, ils se collent les uns aux autres. Les trois filles se sont fait belles. Sara, 9 ans, a une jolie robe et des collants roses ornés de cœurs. Helen, 14 ans, a maquillé ses yeux et lisse sa longue chevelure noire avec des mains ornées de faux ongles. « Helen voudrait être déjà une femme », sourit sa mère, Hala, elle aussi maquillée sous son élégant hijab gris. Farah, 10 ans, au look plus sportif, affiche un tee shirt à la mode « she’s a freak », et Mohamed, l’aîné, couve ses sœurs d’un regard protecteur, du haut de ses « presque 16 ans ».

    Aujourd’hui, lundi 13 mars, la famille Kamil-Kassou est à Paris, à l’invitation d’Amnesty International, pour assister à la projection du film Watani – My homeland, à 20 heures au Majestic Bastille, à Paris. Ce documentaire sur la famille, tourné par Marcel Mettelsiefen entre 2013 à Alep et 2015 à Goslar (Allemagne), est projeté dans le cadre du sixième anniversaire de la révolution syrienne.

    Il y a six ans, Hala et ses enfants vivaient encore dans leur ville, Alep. Quel souvenir gardent-ils de ce mois de mars 2011 ? « Nous suivions les informations à la télévision, les premières manifestations ont eu lieu à Deraa et à Homs. On s’organisait en secret pour commencer, nous aussi, à nous révolter », raconte Hala, engagée dès les premières semaines dans la rébellion avec son mari, Abu Ali. « Nous étions très heureux, se souvient-elle. Enfin, on pouvait parler, crier, demander la liberté, et espérer un meilleur avenir pour nos enfants. Nous étions pleins d’espoir. Jamais nous n’aurions imaginé une guerre si longue. Ni surtout, que Bachar n’hésiterait pas à bombarder son propre peuple. »

    Helen et Mohamed, les deux aînés, avaient alors 10 et 11 ans. Leurs souvenirs de cette période sont aussi très heureux. Abu Ali, leur père, les emmenait souvent manifester – avec des enfants, il était moins menacé d’arrestation par la police du régime. « C’était beau, tous ces gens ensemble, se souvient Helen. Un jour, il a fallu partir en courant vraiment vite parce que la police arrivait. » A la maison, Sara, à trois ans, frappait les images de Bachar avec sa chaussure. Ses souvenirs sont flous, comme ceux de Farah, alors âgée de 7 ans. « Mais elles n'oublieront jamais, dit Hala. Nos enfants ont grandi très vite dans cette guerre. »

    Mohamed se rappelle un jour à l’école, où sa maîtresse l’a désigné pour dessiner Bachar al Assad avec une légende affirmant « On t’aime ». Devant le refus catégorique du garçon de 10 ans, l’enseignante a appelé son oncle, qui est venu le gifler devant toute la classe – pour feindre la réprobation. « Si la maîtresse avait appelé la police, toute notre famille aurait été raflée », dit Hala. Helen insiste : « Tous ces moments étaient beaux, parce que nous étions avec mon père, unis, toujours ensemble. C’était mon ami, et j’étais sa confidente. »

    Si tous ces souvenirs sont si précieux aujourd’hui, c’est qu'Abu Ali n’est plus avec sa famille. Après des mois de combats acharnés dans Alep dévastée, où il commandait une katiba (un bataillon de rebelles civils), il a été emmené un matin par des hommes de Daech. Depuis, trois ans ont passé, et aucune nouvelle sûre n’est jamais parvenue sur son sort. Dans le film de Marcel Mettelsiefen, on voit Hala recevoir des informations contradictoires, et même des photos de cadavres qu’elle tente d’identifier... Ses enfants eux-mêmes lui disent de ne pas croire ces rumeurs...

    Hala, Mohamed, Helen, Farah et Sara se sont réfugiés à Goslar, en Allemagne. Depuis le printemps 2015, ils y construisent une nouvelle vie, sans pourtant cesser leur combat contre l’oubli de leur pays. Grâce au film de Marcel Mettelsiefen, qui a concouru aux Oscars, Hala a voyagé à Los Angeles, à New York au siège des Nations Unies, à Londres à l’invitation du Parlement, aujourd’hui à Paris. « Je veux raconter, parler, dire la vérité que j’ai vue et vécue. Mais c’est difficile car souvent, on ne veut pas m’entendre. Ainsi aux Nations-Unies, on m’a demandé dans mon discours de ne pas parler du régime, mais seulement des atrocités commises par Daech... », s’indigne-t-elle. « Je pensais que le monde ne savait pas, et qu’en sachant il ne pourrait rester silencieux. Mais en réalité, tout le monde sait ce qui se passe, mais personne ne fait rien. Our blood is very cheap », dit-elle en anglais, la voix vibrante. « Notre sang ne vaut pas grand-chose... »

    A Goslar depuis deux ans, la famille est désormais bien installée. Les enfants parlent un très bon allemand ; Hala, elle, révise ses prochains examens mais trouve la langue « difficile ». Les filles ont des amis allemands, Mohamed, lui, s’est surtout lié avec des Turcs ou des Syriens. De nombreux réfugiés sont arrivés après eux, et « aujourd’hui on entend parler autant arabe qu’allemand à Goslar », s’amuse le jeune homme. Pourtant, « le bruit des bombes nous manque à tous », affirme-t-il. « C’est le son de la vie quand leur père était avec nous », souffle Hala.
    En décembre, le terrible siège d’Alep les a replongés dans l’enfer. « Je n’ai pas dormi pendant des nuits entières puis, quand la ville est tombée, je suis restée enfermée à la maison deux semaines entières. Je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer. Tout espoir m’avait quittée. J’ai tout perdu : mon mari, ma maison, ma patrie », dit Hala.

    Mohamed, lui tremble de colère en évoquant les fidèles au régime qui « dansaient dans les rues d’Alep-Ouest et faisaient la fête pendant qu’à l’est, les gens mourraient sous les bombes. Mon pays n’existe plus, il s’est vendu aux Russes. La Syrie n’est plus la Syrie. » Plus tard, il se voit vivre en Allemagne, ou peut-être en Turquie. Helen, elle, rêve de Californie… mais « après Trump », lui conseille sa mère en riant. Farah se sent désormais chez elle en Allemagne, mais Sara, elle, imagine s'installer plus tard à Istanbul… Les trois plus âgés veulent devenir journalistes, pour « aider ceux qui souffrent », « témoigner de ce qui se passe dans le monde », « voyager ». Sara, elle, espère surtout avoir des enfants et s'occuper d'eux « aussi bien que ma mère ».

    Aujourd’hui, même s’ils sont excités de découvrir Paris (et rêvent par-dessus tout d’aller à Disneyland), accompagner le film de Marcel Mettelsiefen est douloureux. Ils ne veulent pas voir sa première partie, tournée en 2013 alors que la famille vivait presque seule dans un quartier déserté, à quelques centaines de mètres de la ligne de front. Abu Ali, bel homme portant fièrement son treilli, ses armes, et ses rêves de démocratie, y est trop présent. « C’est trop difficile de voir ces images », disent-ils en chœur.

    Abu Ali Kassou et Hala Kamil ont toujours vécu « les yeux ouverts ». Mariés jeunes, ils vivaient bien à Alep. Elle était ingénieure en mécanique, lui travaillait pour l’administration de la ville. Ils avaient une belle maison, des enfants joyeux, des amis, une famille. Ils s'aimaient. Aujourd’hui, Hala sait que son mari est probablement mort. La belle-mère d’Hala a perdu trois de ses quatre fils – Abu Ali, et deux de ses frères tués dans des bombardements. La vieille dame espère pouvoir passer bientôt en Turquie. « La guerre nous a tout pris, témoigne Hala. Il me reste une mission : expliquer ce que signifie n'avoir qu'un seul choix, partir ou mourir. Dire, encore et encore, que personne n’a envie d’être réfugié, mais que chacun doit agir pour ses enfants. Vos enfants à vous ont droit à l’air frais des parcs, au jeu, à une éducation, à un avenir. Les nôtres respirent la fumée des armes chimiques, et meurent sous les bombes… Que pouvons-nous faire, sinon chercher à fuir ? Quand tu pars de chez toi, tu perds tout. Tu deviens une machine. Tu dois seulement survivre. Et donner un futur à tes enfants. Quand nous avons accepté ce film, ce n’était pas pour montrer notre vie. Mais pour envoyer un message, montrer combien nous avions besoin d’aide. Aujourd’hui, je continue, parce que je dois agir, témoigner. Et si personne ne m’entend, moi j’aurai fait ma part. »

    Lire aussi:

    Youcef Seddik : “Ils ont laissé ma ville d’Alep se faire massacrer sous leurs yeux sans réagir”

    http://www.telerama.fr/

     

  • Syrie : le peuple syrien résiste dans le chaos (NPA)

    Les discussions de « Genève IV » sur l’avenir de la Syrie se sont achevées en fin de semaine passée avec peu d’avancées concrètes, pendant que sur le terrain les affrontements continuent...

    Ces « négociations de paix » sous l’égide de l’ONU ont mis face-à-face le régime et différents acteurs de l’opposition : le Haut Comité des négociations (HCN), principale délégation de l’opposition, et des opposants proches de la Russie, le « Groupe du Caire » et le « Groupe de Moscou ». Une fois réaffirmées les divergences de fond, les discussions se sont conclues le 3 mars avec l’acceptation d’un « agenda clair » incluant quatre points : la lutte contre le terrorisme, la gouvernance – thème flou pour évoquer une transition politique –, la Constitution et les élections. L’ONU prévoit un nouveau rendez-vous en mars.
    Parallèlement, mardi 28 février, la Russie et la Chine ont mis à l’ONU leur veto à des sanctions contre le régime Assad pour l’utilisation d’armes chimiques. C’est la septième fois que Poutine utilise son veto pour protéger le régime de Bachar el-Assad, rejoint par la Chine pour bloquer six de ces sept résolutions. La nouvelle proposition de sanctions suivait une enquête conjointe menée par les Nations unies et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), qui avait conclu en octobre que le régime syrien avait mené au moins trois attaques avec des armes chimiques en 2014 et 2015. Les enquêteurs ont déterminé que les djihadistes du groupe État islamique (EI) avaient eux aussi utilisé du gaz moutarde en 2015.


    Bombardements et attentats...


    Sur le terrain, le cessez-le-feu négocié le 30 décembre est quotidiennement violé, notamment par les bombardements de l’aviation du régime Assad et de son allié russe contre des régions où sont absents les djihadistes de l’EI et de Fateh al-Sham (initialement al-Qaïda en Syrie). Ils touchent particulièrement les civils. Les forces pro-régime continuent par exemple les avancées militaires et les bombardements sur la ville de Deraa.
    En même temps, Fateh al-Sham a revendiqué des attentats de kamikazes à Homs le samedi 25 février contre les services de renseignement du régime, faisant une quarantaine de morts dont Hassan Daaboul, le chef du renseignement militaire de Homs, un proche du dictateur Bachar el-Assad. En réponse, il y a eu une intensification des bombardements par les forces du régime contre le quartier assiégé d’al-Waer à Homs, aux mains de l’opposition.
    Ces attaques se sont produites au lendemain d’un autre jour sanglant en Syrie, où des attentats revendiqués par l’EI contre des forces de l’Armée syrienne libre (ASL) ont fait 83 morts, dont 45 civils, près d’Al-Bab dans le nord du pays.
    Plus récemment, dimanche 5 mars, l’EI a également perpétré deux attentats suicides dans la province d’Alep, tuant huit soldats du régime près de la localité de Deir Hafer et sept combattants de l’opposition armée à Azaz.
    Les forces de Damas ont repris la ville de Palmyre à l’EI, tandis qu’au moins 60 000 civils dans le nord de la Syrie ont fui les combats, marquant la double offensive, d’une part, des forces turques alliées à certains groupes de l’opposition armée et, d’autre part, des troupes du régime syrien appuyées par la Russie, chacune contre l’EI... mais en concurrence entre elles.


    Des forces démocratiques toujours présentes

    Malgré une situation toujours plus chaotique, des résistances civiles et démocratiques se poursuivent à la fois contre le régime et les forces fondamentalistes religieuses. Dans la campagne d’Alep, la population de la ville d’Atareb s’oppose depuis plusieurs semaines aux pratiques autoritaires de la nouvelle coalition « Hay’at Tahrir a-Sham » (HTS), dominée par les djihadistes de Fateh al-Sham. Des manifestations ont notamment eu lieu pour dénoncer les attaques du HTS contre le quartier général d’un groupe local de l’Armée syrienne libre (ASL), ou contre les tentatives djihadistes de prendre le contrôle de la boulangerie de la ville.
    De même, des conseils locaux sont toujours actifs.

    Au mois de janvier, des élections ont d’ailleurs eu lieu pour élire le conseil local d’Idlib. Il reste encore environ 300 conseils locaux dans les régions libérées, tandis qu’il en existait plus de 700 au début de l’année 2013.
    Cela démontre à nouveau que malgré la domination croissante de groupes militaires réactionnaires, les for- ces démocratiques civiles sont toujours présentes et actives, défiant les autorités lorsque les combats et les bombardements du régime et de son allié russe cessent. C’est pourquoi il est important de mettre un terme à la guerre qui ne profite qu’aux deux acteurs de la contre-révolution – le régime et les forces fondamentalistes réactionnaires – tout en refusant toute relégitimation sur la scène internationale d’Assad et de ses associés.


    Joseph Daher

     
  • Irak : la sale besogne des peshmergas contre la gauche kurde (Alternative Libertaire)

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    Miliciens YBŞ à Sinjar.cc Aranews.net

    Erdogan a le bras long, et tout est bon pour étrangler le Kurdistan. Après que son armée a envahi le nord de la Syrie, son allié Massoud Barzani met la pression sur le Sinjar, jusque là défendu par les milices de la gauche kurde.

    Le 3 mars, 500 peshmergas, les soldats du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) ont attaqué la ville de Khanasor, dans la région hautement symbolique du Sinjar, en Irak [1]. On a dénombré plusieurs morts et blessés. L’attaque a été repoussée, mais la vigilance reste de mise.

    Rappelons que le Sinjar est le foyer des Yézidis, une minorité religieuse considérée comme « satanique » par les djihadistes de Daech. A l’été 2014, les peshmergas qui tenaient la région s’étaient enfuis devant l’avancée de Daech, abandonnant les populations yézidies au sort que leur promettait les djihadistes : l’extermination pour les hommes, l’esclavage pour les femmes. La population yézidie n’avait dû son salut qu’à la contre-offensive spectaculaire menée par les combattantes et les combattants du PKK et des YPG-YPJ, qui avaient stoppé Daech et sécurisé le mont Sinjar.

    Par la suite, la gauche kurde a encouragé l’auto-organisation des Yézidis, qui se sont dotés de leurs propres unités d’autodéfense, armés et entraînés par le PKK : les YBŞ (hommes et femmes) et les YJŞ (femmes).

    Ce sont les YBŞ qui ont repoussé l’attaque des peshmergas, et en ont capturé plusieurs.

    Enclaves rouges en Irak

    Avec Maxmûr [2]ou les monts Qandil, le Sinjar constitue un des points d’appui de la gauche kurde en Irak, contrariant fort les pouvoirs en place à Bagdad, à Ankara et à Erbil, la capitale du GRK où règne Massoud Barzani, un potentat dans l’orbite d’Erdogan. En janvier, un rapprochement entre les présidents turc et irakien a ouvert la voie à cette tentative de reprise en main de Sinjar [3].

    On voit aujourd’hui le résultat.

    Triste spectacle que ces peshmergas, encensés l’an passé dans un film de BHL [4], qui tirent sur leurs rivaux de gauche, alors qu’à quelques dizaines de kilomètres de là, Daech poursuit ses exactions.

    Menace turque sur Manbij

    L’attaque du Sinjar éclate alors que l’armée turque et ses supplétifs islamistes de l’Armée syrienne libre (ASL) se sont emparés de la ville d’Al Bab le 27 février, après plusieurs mois de combats contre Daech. A présent, les troupes d’Erdogan visent la ville de Manbij, tenue par les Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition arabo-kurde). Pour déjouer cette menace, les FDS ont préféré reculer de plusieurs kilomètres, laissant les troupes de Bachar el Assad se glisser entre elles et les troupes turques. Russes et Américains ont avalisé ce tour de passe-passe pour limiter les affrontements.

    Et le fait est là. Al-Bab, Manbij, Sinjar : en plusieurs endroits, l’État turc et ses alliés démontrent que Daech n’est, pour eux, qu’un adversaire secondaire. Leur objectif premier est d’éradiquer la gauche kurde et d’étrangler ce symbole démocratique et anticolonialiste que constitue le Rojava/Fédération Démocratique du Nord de la Syrie [5].

    Guillaume (AL Montreuil), Étienne (AL 92), le 9 mars 2017

    9 mars 2017

    Notes:

    [1] « Clashes stop between Rojava Peshmerga, PKK affiliate fighters in Sinjar », sur Kurdistan24.net.

    [2] Lire « À Maxmur, l’autogestion est un sport de combat », Alternative libertaire, janvier 2017.

    [3] Allan Kaval, « Ankara et Bagdad renouent le dialogue sur le dos du PKK », Le Monde, 9 janvier 2017.

    [4] Bernard-Henri Lévy, Peshmergas, 2016.

    [5] La Fédération Démocratique du Nord de la Syrie englobe l’ensemble des territoires libérés par les FDS, qu’ils soient arabes, kurdes ou syriaques

    http://alternativelibertaire.org/

  • Kurdistan de Syrie : Rojava, le PYD et l’autodétermination kurde (ESSF)

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    Les Kurdes de Syrie, c’est-à-dire du Kurdistan-Ouest (Rojava) sont désormais devenus des acteurs incontournables du processus combiné de révolution, contre-révolution, guerre civile et autodétermination en cours en Syrie.

    Le PYD (Parti de l’Union démocratique) avait déjà de facto pris le contrôle dans les enclaves de Kobané d’abord, puis d’Afrin et de Jazira à la suite du retrait des forces du régime Assad en juillet 2012, et il avait déclaré l’autonomie dans cette région en janvier 2014 comme réaction à ce qu’il ne soit pas invité à la deuxième conférence de Genève. Mais c’est principalement avec le siège de Kobané par l’État islamique et à l’audacieuse résistance des Unités de protection populaire (YPG) et particulièrement des femmes combattant dans les rangs des YPJ que les forces liées au PYD et l’expérience d’autodétermination au Rojava ont obtenu une légitimité et jouissent d’un soutien au niveau international.

    Comme nous le savons, le siège de Kobané a finalement été brisé, avec le soutien de militants kurdes et turcs passant de force la frontière turco-syrienne, des peshmergas Irakiens et bien sûr des frappes aériennes étatsuniennes. Depuis, les Forces démocratiques de Syrie (FDS) dont les YPG constituent la principale force militaire, soutenus par les États-Unis et, dans une certaine mesure, par la Russie, jouent un rôle crucial dans la guerre contre l’État islamique.

    Nous essayerons d’exposer brièvement dans cet article les racines politiques du PYD, sa place dans le mouvement national kurde de Syrie, sa ligne idéologique, ses positions dans la révolution, ainsi que les principales modalités et difficultés du processus d’autodétermination en cours dans le Rojava.

    Le nationalisme kurde sous le Baath

    Le nationalisme kurde en Syrie représente un paysage fortement fragmenté. La multitude de partis dépasse de loin ce que l’on peut voir dans les autres parties du Kurdistan. S’il est difficile de suivre les perpétuels regroupements et scissions, on peut sans doute affirmer que plus d’une quinzaine de partis kurdes sont actifs actuellement. La plupart de ces partis sont originaires du Parti démocrate du Kurdistan de Syrie (PDKS) fondé en 1957 dont se sont rapidement dégagées des tendances « gauche » et « droite », qui ont scissionné pour former des partis distincts vers 1965. Les développements fractionnaires dans les partis kurdes d’Irak (pris comme modèles), les conditions d’activités clandestines, les accusations de collaboration avec le régime et les infiltrations et interventions des services de renseignements ont perpétué les scissions.

    Les divergences politiques provenaient principalement du ton employé envers le régime et des revendications politiques qui allaient de la reconnaissance des droits culturels, linguistiques et de citoyenneté à la reconnaissance constitutionnelle des Kurdes comme minorité. Toutefois il est important de souligner que l’autonomie n’a pratiquement jamais été revendiquée avant 2011 (à part le parti Yekiti). Notons cependant que la citoyenneté est une question cruciale étant donné qu’après le recensement exceptionnel de 1962 plus de 120 000 Kurdes se sont vu retirer leur nationalité et ont été classifiés soit comme ajanib (« étranger ») muni d’une fiche d’état civil spécifique, soit comme maktumin, non-enregistré, sans pièce d’identité et sans droits…

    Cette multitude de partis mena dans les années 1990 à des regroupements. Ainsi les partis proches du courant irakien-kurde de Jalal Talabani se regroupèrent dans l’Alliance démocratique kurde de Syrie (« Hevbendi ») alors que ceux liés à Mesut Barzani formèrent le Front démocratique kurde de Syrie (« Eniya »). Parmi les partis non originaires du PDKS, nous devons tout d’abord bien sûr compter le PKK et son « parti frère », le PYD, fondé en 2003. Le leader du PKK Abdullah Öcalan ainsi que toute son organisation avaient bénéficié du soutien de Hafez al-Assad – dans le cadre de sa rivalité avec son voisin turc – jusqu’à la fin des années 1990, les camps du PKK étant installés en Syrie depuis le début des années 1980. Ainsi la question kurde en Syrie n’était pas à l’ordre du jour du PKK et c’est seulement après que le régime eut cessé d’abriter Öcalan et la fondation du PYD que ce dernier commença à s’intéresser à la politique syrienne.

    Un autre parti important fut celui de Michel Temo, le Parti de l’Avenir kurde, fondé en 2005, qui privilégia la coopération avec l’opposition arabe au début de la révolution, mais son assassinat porta un coup sévère à son mouvement, qui scissionna. Le Parti de l’Union kurde de Syrie, connu sous le nom de Yekiti et né de la fusion de plusieurs groupes – dont un petit courant trotskiste qui se réclamait dans les années 1980 de la IVe Internationale, dirigé par le poète Marwan Othman [1], doit être aussi signalé comme force de gauche dans l’éventail politique kurde. L’intervention politique de Yekiti, plus ouverte, plus radicale, visant à mobiliser la communauté kurde, et pas seulement dans le Rojava, mais directement dans la capitale, avec un programme « lutte de classe », à partir de 2002, au lendemain du court printemps de Damas, a été importante au niveau de la confrontation avec le régime et de la politisation qui mena au « Serhildan » (révolte en kurde) de Qamishlo [2].

    De l’intifada kurde à la révolution syrienne

    Un événement clé fut donc la révolte de Qamishlo en 2004, désignée aussi comme l’intifada kurde, où pour la première fois des milliers de Kurdes, à la suite d’affrontements avec des supporters nationalistes arabes lors d’un match de football et une sévère répression de la police, sortirent dans la rue pour affirmer leur identité kurde et revendiquer leurs droits de citoyenneté. Le soulèvement ne fut pas limité à Qamishlo ou à la région du Rojava, mais gagna rapidement les quartiers kurdes de Alep et de Damas. Des statues du père Assad furent renversées, des commissariats, des établissements publics, des centres du Baath furent attaqués.

    C’est lors de ce serhildan que l’on assista pour la première fois, pendant plus de dix jours, à la mobilisation d’une jeunesse kurde radicale et indépendante des partis traditionnels du nationalisme kurde et que l’on reverra dans les premiers temps de la révolution. Aux côtés de cette jeunesse radicalisée, il faut préciser que c’est surtout Yekiti et le PYD qui furent le fer de lance des mobilisations (la chaîne de télévision lié au PKK, Roj TV, appelait ouvertement à l’insurrection). Mais la répression du régime fut féroce. Des organisations de jeunesse se formèrent au lendemain de la révolte, se distanciant du pacifisme des partis traditionnels – avec parfois une orientation de lutte armée, sans pour autant passer à l’acte. La perspective de l’autonomie gagna du terrain dans les consciences face aux revendications d’égalité des droits et de citoyenneté défendues par l’Alliance et le Front [3].

    Contrairement à ce que l’on pense, les premières mobilisations spontanées en 2011 dans le Kurdistan syrien eurent lieu, assez tôt, fin mars, principalement dans la ville d’Amuda, puis de Serekaniye. Si Bachar al-Assad essaya de calmer la situation en acceptant de donner la nationalité aux Kurdes possédant le statut « d’étranger » (mais non aux maktumin) cela ne fut pas suffisant pour renvoyer la jeunesse kurde chez elle. Comme dans le reste du pays, des comités de coordination se formèrent, le Mouvement de Jeunesse kurde (TCK) fondé dans le feu des événements de 2004 joua aussi un important rôle mobilisateur.

    Au niveau des partis ce furent principalement le Mouvement de l’Avenir, Yekiti et le Parti kurde de la liberté (« Azadi ») qui prirent part aux manifestations dès le début. Les autres partis ne rejoignirent le mouvement que dans le courant de l’été. Michel Temo, leader du Mouvement de l’Avenir fut le seul à participer au Conseil national syrien (CNS), fondé lors de la conférence d’Istanbul au mois de juillet. Cette position aurait permis de nouer des liens entre les oppositions syrienne et kurde, s’il n’avait pas été assassiné en octobre 2011. Ses funérailles se transformèrent en manifestations géantes à Qamishlo. Ces mobilisations accélérèrent l’entreprise de regroupement des partis kurdes originaires du PDKS, qui finalement se ralliaient à la révolte et formèrent, sous l’égide de Mesut Barzani, le Conseil national kurde de Syrie (ENKS), auquel se joignirent aussi Yekiti et Azadi. Ainsi ce fut le plus large rassemblement du mouvement national kurde en Syrie.

    Deux partis seulement se tinrent en dehors, le parti de Temo, toujours membre du CNS et le PYD. Ce dernier, qui se tenait en marge du soulèvement qui secouait tout le pays, ainsi que la région kurde, avait fondé dès le mois de septembre une coordination de différents partis arabes baathiste de gauche (« marxiste », « communiste », « léniniste ») et un parti araméen-chrétien. Leur orientation était plutôt de négocier avec le régime afin d’obtenir des acquis démocratiques, sans perspective de renverser le régime et – selon eux – sans risquer d’ouvrir la porte à une guerre civile. Des centaines de militants du PYD sortirent ainsi de prison en même temps que les militants djihadistes.

    Critiquant l’ENKS accusé de faire le jeu de la Turquie (en raison des rapports entre Barzani et Ankara) et du CNS qui ne donnait aucune garantie pour les droits du peuple kurde, le PYD opta ainsi pour une « troisième voie ». À travers son Mouvement pour une Société démocratique (Tev-Dem) regroupant les partis et associations de la société civile qui lui sont liés, il déclara la fondation du Conseil populaire du Kurdistan de l’Ouest, qui constituera la principale structure administrative dans le Rojava après que le PYD et les YPG y eurent pris le contrôle à la suite du retrait des forces du régime [4].

    Le PYD et le confédéralisme démocratique

    La fondation du PYD résulte d’une tendance à la décentralisation du PKK, parallèlement à un changement radical de perspective politique de la part d’Öcalan. Peu avant son arrestation en 1999, le leader du PKK avait abandonné l’objectif d’un Kurdistan indépendant et unifié (qui était désormais selon lui un « conservatisme ») et proposé un nouvel objectif stratégique reposant sur sa thèse de la « république démocratique ». Probablement formulée en vue d’ouvrir des négociations, Öcalan y proposait une résolution de la question kurde à travers la démocratisation de la Turquie, sans changement de frontière. Ainsi les objectifs étaient limités à la reconnaissance des Kurdes par l’État et au respect de leurs droits culturels (de même que la libération des prisonniers et l’autorisation des combattants de se réintégrer dans la vie civile).

    Toutefois, il s’est avéré rapidement qu’il n’était pas question de négociation de la part de l’État. De plus, avec la consolidation de la région autonome kurde en Irak à la suite de l’intervention américaine, le Kurdistan du sud (d’Irak) et le PDK de Barzani – rival historique du PKK – devenaient un pôle d’attraction pour le peuple kurde. Donc la perspective d’une résolution de la question kurde limitée à une démocratisation du régime turc contenait un réel risque politique pour le PKK. Öcalan a ainsi dû opérer à nouveau un changement de stratégie prenant en compte toutes les parties du Kurdistan [5]. La fondation du PYD en Syrie (2003) et celle du PJAK en Iran (2004), de même que le projet politique qui allait plus tard prendre le nom de confédéralisme démocratique, résultent de cette nouvelle approche. Ce projet ainsi que celui de l’autonomie démocratique qui le complète au niveau local est fortement inspiré des études du théoricien socialiste libertaire Murray Bookchin (qui participa au mouvement trotskiste dans les années trente aux États-Unis). Après une reconsidération du marxisme, Bookchin remplace la contradiction capital-travail par la contradiction capital-écologie et propose un combat anticapitaliste visant à une décentralisation des villes, une production locale de nourriture, l’utilisation d’énergies renouvelables. Dans le projet « communaliste » de Bookchin, ces petites villes autonomes administrées à travers des conseils démocratiques, formeraient entre elles des unités confédérales pour la résolution des problèmes dépassant les frontières de leur commune [6]. Toutefois, dans les différents textes programmatiques du PKK et les écrits d’Öcalan, ce à quoi correspondraient ces notions dans la pratique reste assez indéterminé : s’agira-t-il de la confédération des partis et organisations liés au PKK ou est-ce un projet plus vaste et inclusif ? Est-ce un projet multi-ethnique pour tous les peuples du Moyen-Orient ou bien un projet pour le Kurdistan et dont le protagoniste serait le peuple kurde ? L’autonomie signifie-t-elle un renforcement des administrations locales existantes ou bien s’agit-il d’un projet politique plus subversif [7] ? On peut multiplier les questions notamment au niveau des moyens à utiliser pour conquérir l’autonomie et des rapports avec les États concernés, sans parler de ceux avec le mode de production capitaliste…

    Ainsi que le souligne Alex de Jong dans son excellent article sur les évolutions idéologiques qu’a connu le PKK, les écrits d’Öcalan et les textes du PKK (dont Öcalan est « l’organe théorique-idéologique suprême » selon ses statuts) comportent un « potentiel du flou », ainsi il est possible de trouver toute sorte de réponses à ces questions et, avec tous les inconvénients que cela comporte, le caractère flou et inachevé de son projet politique peut s’avérer utile et l’ouvrir à des interprétations plus larges [8]. Mais en dehors de ceci, se dégagent de ces textes (et de la pratique des organisations liés au PKK) deux points essentiels. Le rejet de l’État-nation (remplacé par la « nation démocratique », concept flou encore une fois) et l’importance de l’écologie et de la libération de la femme (reposant parfois sur une identification femme-nature-vie), que l’on retrouve dans la Charte de Rojava.

    Rojava, potentialités et contradictions

    Le modèle d’administration présenté dans la charte ou le « contrat social » de Rojava (2014), qui a désormais pris le nom de Système fédéral démocratique de la Syrie du Nord et du Rojava, frappe par l’accent qu’il met sur l’importance de la démocratie (« auto-administration »), des droits des femmes et des enfants, de l’écologie, de la laïcité et bien sûr du caractère multi-ethnique de la région. Dans un territoire dont les différentes parties sont contrôlées par l’État islamique, par les bandes djihadistes d’Al Nusra et d’Ahrar al Sham et par le régime sanguinaire d’Al Assad, ce n’est pas rien. Le contrat qui est dit être accepté par les peuples kurde, arabe, arménien, syriaque (assyrien, chaldéen et araméen), turkmène et tchétchène, refuse l’État-nation, l’État religieux et militaire et l’administration centrale et se déclare comme une partie d’une Syrie parlementaire, fédérale, pluraliste et démocratique.

    La dimension multi-ethnique du régime au Rojava, qui a mené à la modification de son nom – Öcalan avait d’ailleurs proposé que ce soit juste « Fédération de la Syrie du Nord » [9] – est critiquée par des courants nationalistes présents dans l’ENKS. Ainsi le secrétaire général du Parti progressiste démocrate, Ehmed Suleyman, exprime dans un entretien réalisé en janvier 2015 qu’il ne s’agit pas d’un « projet pour les Kurdes. L’autonomie démocratique a été fondée avec les arabes, les Syriaques et les Tchétchènes. Nous ne pouvons pas résoudre la question kurde de cette façon. Notre peuple doit comprendre que ce qu’ils ont fondé n’appartiendra pas aux kurdes ». Contre cette perspective d’inclure les différentes ethnies dans le processus de construction de l’autonomie certains partis de l’ENKS défendent par exemple le déplacement des populations arabes installées dans le Rojava dans le cadre de la politique de la « ceinture arabe » dans les années 1970 [10].

    Si ce contrat est principalement limité à la structure administrative, la Charte adoptée auparavant par Tev-Dem en 2013, beaucoup plus détaillée, reflétait encore plus l’esprit libertaire bookchinien des idées d’Öcalan qui a fortement inspiré le modèle du confédéralisme démocratique. Par exemple les communes sont définies comme « les plus petites unités de la société et les plus efficaces. Elles sont constituées selon le paradigme de la société où règnent les valeurs de la liberté de la femme et la démocratie écologique sur la base de la démocratie directe ». Le système économique communal est dit être dominé par l’idée de justice sociale et vise à éliminer toutes les formes d’exploitation. Les « maisons du peuple » œuvrent à « la naissance de la culture de la démocratie communale ».

    Toutefois il n’est malheureusement pas suffisant de répéter le terme de démocratie pour que celui-ci fonctionne sans entrave. Car pour l’instant il s’agit d’une démocratie… sans élections. Si le pluralisme est loué au niveau des différents groupes ethniques, sa dimension politique est plutôt absente. Que le contrat social désigne les YPG comme forces armées de Rojava, reflète bien le fait que le PYD ne soit pas enclin à partager le contrôle des territoires qu’il dirige. L’imposition de l’idéologie d’Öcalan est aussi visible au niveau de l’éducation. Tous les enseignants de l’école primaire ou autre doivent auparavant passer par une formation basée sur les textes d’Öcalan et, par exemple, dans le canton de Jazira, dans des livres d’école primaire figurent des paroles d’Öcalan et des écrits concernant la vie des martyrs du PKK [11]. Mais mis à part ces exemples d’imposition d’une idéologie officielle dès le plus jeune âge (fait ressemblant très étrangement à l’expérience du kémalisme) les pratiques autoritaires à l’égard des autres partis kurdes et des groupes ethniques n’acceptant pas la domination du PYD ont été maintes fois dénoncées. Il y a eu des mouvements de protestation contre le PYD et ses pratiques, notamment à Amuda et Derabissyat en 2013, les forces de sécurités liées au PYD (les « asayish ») n’ont pas hésité à tirer sur la foule, en causant la mort de plusieurs manifestants [12]. Plus récemment, en août 2016 l’arrestation de Hassan Salih, dirigeant de Yekiti, a été un acte déplorable. Salih avait déjà été emprisonné pendant un an et demi en 2003 par le régime syrien, avec Marwan Othman, et leur libération avait réuni un cortège de 4 kilomètres de long avec la participation de plusieurs milliers de personnes [13]

    De plus, le fait que le régime se soit retiré (partiellement) du Rojava sans aucun conflit armé en laissant une grande partie de son artillerie et de ses munitions, tout en continuant à contrôler l’aéroport, la gare ferroviaire, des établissements étatiques, détenant un camp militaire au sud de Qamishlo et continuant à être présent à Hasseke, payant le salaire des enseignants (à part ceux des cours de kurde), est jugé par l’opposition kurde comme témoignant de la collaboration avec l’État syrien. S’il n’est pas possible d’exclure la thèse d’un certain compromis concernant le retrait de l’armée syrienne entre le PYD et le régime, soucieux de ne pas multiplier les fronts de combat, il nous semble difficile de parler à proprement dire d’une alliance entre les deux, ainsi que le montrent les récents conflits entre les forces (YPG et asayish) du Rojava et celles du régime soutenu par les milices assadiennes, de même que les bombardements de quartiers civils à Hasseke par l’aviation militaire syrienne.

    La situation est d’autant plus complexe que le PKK-PYD a pour la première fois obtenu l’occasion de concurrencer son rival historique d’Irak du Nord en construisant son propre « État », une structure administrative souveraine avec des frontières, pour l’instant toujours changeantes. La réalité d’un Rojava autonome, renforcé par la bataille héroïque de Kobané (qui constitue désormais un nouveau mythe fondateur pour le PKK), a permis à l’organisation, mutilée par l’emprisonnement de son leader et des années de négociation avec l’État turc sans résultat – s’étant de plus soldées par un bain de sang – d’ouvrir une nouvelle séquence de son histoire…

    Campisme et révolution permanente

    Les marxistes révolutionnaires n’ont pas le luxe de succomber à la tentation d’adopter confortablement une grille d’analyse campiste et une des prises de position qui en découle. Le campisme dans son sens classique désigne le fait de soutenir, dans des périodes de tensions et conflits géopolitiques, un des camps en présence, contre l’autre identifié à un mal absolu, sans prendre en compte les rapports de domination de classe en son sein. Le débat sur le campisme porte principalement sur le soutien par des forces de gauche, lors de la guerre froide, au bloc de l’Est ou de l’Ouest, respectivement au nom de l’anti-impérialisme ou de la démocratie. Une telle polarisation survient aujourd’hui concernant le conflit ukrainien et surtout la question syrienne entre les États-Unis/l’Union européenne et la Russie. Ce dont il est question dans notre cas, c’est, dans le cadre du processus combiné en Syrie, la défense, suivant la même mentalité campiste, d’un des camps en présence, c’est-à-dire des Kurdes dans leur projet d’autonomisation ou du soulèvement contre le régime, sans prendre en compte l’autre processus, en lui attribuant une importance secondaire ou bien en le plaçant dans une position adverse.

    Ainsi il ne nous est pas possible d’isoler le processus d’autodétermination kurde des dynamiques du soulèvement syrien et de porter un regard acritique envers le PYD-PKK, en jugeant comme secondaire les pratiques autoritaires et les atteintes aux droits politiques, qui sapent de plus les bases de son projet démocratique. Mais il n’est pas concevable non plus de refuser de prendre en compte le processus en cours au Rojava avec ses dimensions véritablement progressistes – qui n’ont pas leur pareil dans toute la région – et de minimiser les potentialités émancipatrices qu’elles comportent, en prétextant les rapports (en évolution permanente) avec le régime ou avec les États-Unis, qui comportent leur part de danger, ainsi que les contradictions que nous avons citées.

    Si la direction du Rojava est bien entendu responsable de ses actes et alliances, toutes ses contradictions doivent aussi être abordées dans le cadre des conflits historiques inter-ethniques entre les Kurdes et les arabes dans la région et de la rivalité entre les diverses directions du peuple kurde. Nous n’avons pas d’autre choix que de prendre la question avec toute sa complexité à bras-le-corps et d’élaborer une approche critique et constructive en même temps [14]. Celle-ci doit s’appuyer sur le socle de la communauté des intérêts des classes laborieuses kurdes, arabes et des autres peuples de la région et donc de la nécessité de l’imbrication des processus d’autodétermination et de révolution.

    Rien de nouveau en cela, l’argument principal de la perspective stratégique de la révolution permanente formulée par Léon Trotski au lendemain de la révolution russe de 1905, mais ayant déterminé (surtout par son absence) le cours de tous les soulèvements révolutionnaires, de la révolution française au « printemps arabe », met en évidence cette nécessité. Les processus révolutionnaires ayant pour objectif la libération nationale et l’instauration d’un régime démocratique s’affaiblissent et finalement échouent si des mesures collectivistes, anticapitalistes ne sont pas prises, si les aspirations des classes populaires – dont le soutien est primordial – ne sont pas prises en considération et déçues. Et de même lorsque des mouvements visant à une transformation radicale, égalitaire et libertaire de la société ne respectent pas les principes démocratiques sur les territoires qu’ils contrôlent, ne reconnaissent pas le droit à l’autodétermination des autres peuples, n’agissent pas avec une perspective anti-impérialiste c’est-à-dire en toute indépendance politique des forces mondiales et régionales, leur révolution est condamnée à s’éloigner de ses objectifs initiaux, et donc vouée à l’échec.

    Ainsi, une tâche principale pour la gauche radicale qui milite hors de l’espace de conflit, mis à part les indispensables actions de solidarité, est d’œuvrer au développement de cette conscience dans nos sociétés respectives contaminées par ce fléau idéologique – ressorti de sa tombe – qu’est le campisme, dont l’unique antidote demeure toujours la tradition de l’internationalisme prolétarien portée par le marxisme révolutionnaire.

    Uraz Aydin

    Inprecor n° 633-634 novembre-décembre 2016 :
    http://www.inprecor.fr/

    * Cet article a été initialement rédigé pour le numéro d’automne 2016 de Athawra Addaima (Révolution permanente), revue des militants marxistes révolutionnaires de la région arabe.

    http://www.europe-solidaire.org/

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