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  • Alain Ruscio : «Nous vivons un temps de révisionnisme colonial» (Algeria-Watch)

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    Le Soir d’Algérie : Votre ouvrage s’intitule Nostalgérie. Que recouvre ce néologisme et en quoi, selon vous, l’OAS et ses héritiers l’ont-ils confisqué ?
    Alain Ruscio : En fait, je précise dans l’ouvrage qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un néologisme. Ou alors il est ancien (né dans les années 1920/25). Il recouvre une réalité humaine respectable : l’attachement à une terre où les aïeux étaient venus s’installer et/ou une terre natale... Le drame commence lorsqu’on constate que l’immense majorité des Européens ne se sont jamais interrogés sur le sort de ceux dont la France coloniale était venue voler le pays, la terre et jusqu’à l’identité, de ceux qu’ils appelaient les «indigènes». Après 1962, il y a eu une véritable captation frauduleuse de ce sentiment humain par les ultras, les activistes, regroupés autour de l’OAS. Ils ont voulu «bloquer l’Histoire», comme l’avait écrit Pierre Nora en 1961. Ils ont évidemment échoué, car l’Algérie devait devenir inéluctablement indépendante. Mais ils ont réussi en partie, hélas, à «bloquer la mémoire», à la fourvoyer vers les impasses du révisionnisme.

    Aujourd’hui le FN s’applique à gagner une respectabilité. Pouvez-vous nous rappeler le rôle de Jean-Marie Le Pen, son père fondateur, dans la mouvance Algérie française ?

    Jean-Marie Le Pen a été élu député en 1956 sur les listes les plus à droite, le mouvement Poujade. Lui et ses amis ont toujours été parmi les plus ardents défenseurs – souvent dans la violence – de l’Algérie française. Si Le Pen n’a jamais appartenu formellement à l’OAS, on sait par exemple qu’il fréquentait les activistes, qu’il a par exemple rendu visite à Salan et Susini début 1961 à Madrid, là où est née cette OAS. On peut imaginer qu’il participa à la stratégie de mise en place de cette organisation.

    Qui étaient les alliés de l’OAS en métropole ?

    On ne peut comprendre l’efficacité de l’OAS en métropole sans avoir en tête la multitude de ses relais. D’abord dans les rangs ouvertement fascistes et pétainistes, comme Jeune Nation ou l’hebdomadaire Rivarol. Mais également chez de respectables parlementaires, qui menèrent légalement le combat Algérie française, en s’opposant de plus en plus durement aux évolutions gaullistes. Sans oublier des intellectuels de droite, historiens, écrivains, journalistes, qui furent d’efficaces relais. Enfin, on sait aujourd’hui que l’OAS avait infiltré une partie de l’appareil d’État, armée bien sûr, police…

    Qu’en est-il des rumeurs concernant le soutien actif de Valéry Giscard d’Estaing à l’OAS ?

    Avant d’effectuer ce travail, j’employais moi aussi ce terme de «rumeurs». Après recoupement des témoignages, que je cite dans mon ouvrage, j’ai acquis la conviction qu’il y eut un «duo» Giscard (ministre  des Finances)-Poniatowski (son chef de cabinet) qui eut des tendresses pour l’Algérie française, qui poussa cet attachement jusqu’à fournir des renseignements à l’OAS. Giscard a été accusé nommément et publiquement à plusieurs reprises, dès 1962. Les «barons» du gaullisme le haïssaient pour cela. Mais il n’a jamais répondu. Il reste par contre une interrogation à laquelle je n’ai pas encore répondu : pourquoi de Gaulle, qui était forcément informé, ne l’a-t-il pas évincé ?

    Comment expliquez-vous qu’il y ait eu paradoxalement beaucoup d’anciens résistants parmi les partisans de l’Algérie française ?

    Il y avait plusieurs raisons de s’engager dans la Résistance française, toutes respectables. Parmi elles, un nationalisme, plutôt de droite. N’oublions pas que le premier appel de de Gaulle, en juin 1940, appelait à ne pas désespérer car la grandeur de la France était liée à l’Empire. Beaucoup de ces hommes- et de Gaulle lui-même – furent incapables d’imaginer que la notion d’indépendance nationale pouvait s’appliquer aux «indigènes», ces «sous-hommes». D’où l’enchaînement infernal : immédiatement après la capitulation nazie, massacres du Constantinois (mai 1945), guerre d’Indochine (1946-1954), répression de Madagascar (1947), guerre d’Algérie (1954-1962).

    Vous dressez une sorte de typologie de l’activiste ultra. Qu’est-ce qui le caractérise ?

    J’aurais plutôt tendance à écrire cette formule au pluriel. Car il y eut en fait des typologies. Les gens de l’OAS furent des civils ou des militaires, des gros colons ou des petits commerçants, des gens qui n’avaient jamais fait de politique auparavant ou des fascistes éprouvés… En fait, ce qui les unissait était d’être «contre» : contre les droits des «indigènes», contre les initiatives des autorités de métropole, contre les intellectuels défaitistes, contre même le peuple de France, qui ne les comprenait pas. Et, par-dessus tout, contre l’indépendance de l’Algérie. A part quelques éléments politisés, la plupart des activistes n’avaient qu’un seul programme : tuer les «meneurs FLN», bloquer toute évolution, revenir au «joli temps des colonies»…

    Peut-on parler de peuple pied-noir, uni par une identité commune qui, comme certains l’ont affirmé, aurait majoritairement soutenu l’OAS ?

    Il y avait sans aucun doute une unité du peuple pied-noir. Et il faut bien constater, hélas, que la majorité de ce peuple a suivi l’OAS, persuadée que cette organisation serait tout à la fois leur bouclier et leur épée. Quand un monde s’écroule, on est tenté d’écouter ceux qui disent qu’ils vont tout sauver. C’est humain. Il faut ajouter que les rares Européens d’Algérie lucides - les communistes, interdits dès septembre 1955, les libéraux, les légalistes, les chrétiens progressistes - furent contraints au silence, soit par l’assassinat soit par l’exil précoce.

    Pour reprendre la question que vous soulevez dans votre ouvrage, pourquoi une telle mobilisation pour la restauration du passé colonial en France aujourd’hui ?

    Une partie de la population française vit mal, très mal, ce qu’elle considère comme un déclin de la France. Or, les colonies, il n’y a pas si longtemps, étaient associées dans l’imaginaire collectif à la grandeur du pays. Il y a là comme une plaie qui ne cicatrise pas.

    Si l’on ajoute à cela le fait que des millions de personnes, au XXIe siècle, sont issus de cette histoire coloniale, que les descendants d’Algériens, de Marocains, de Tunisiens, d’Africains, de Vietnamiens, vivent désormais sur notre sol, sont Français, il y a chez certains comme une crainte de perte supplémentaire d’identité. Un lobby post-colonial puissant, actif, utilise démagogiquement cette situation, entretient le malaise. On dépasse ici largement, hélas, les contours des anciens de l’OAS, ou même des militants du Front national : des polémistes de bas étage, mais aussi des intellectuels de prestige (de l’Académie française…), des politiques de la droite classique s’engouffrent dans la brèche. Nous vivons un temps de révisionnisme colonial. Mon ouvrage, parmi bien d’autres, est un cri, une invitation à entamer la reconquête de l’opinion. La contre-attaque est commencée, nous ne l’arrêterons pas.
    Propos recueillis par M.-J. R. Le Soir d'Algérie, 20 mai 2015

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    L’Organisation armée secrète ou la persistance de l’esprit revanchard

    Si la décolonisation des territoires appartient désormais à l’Histoire, l’idéologie coloniale, en revanche, n’a jamais cessé de hanter l’imaginaire d’une partie de la société française. Cette volonté de retour à un passé colonial mythifié s’exprime à travers la multiplication, ces dernières années, des commémorations et lieux de mémoire — 70 à ce jour — à la gloire de l’Algérie française et des chefs de l’OAS dont certains furent condamnés à mort et exécutés pour leurs actes criminels.

    Alain Ruscio dont les travaux font référence en matière d’histoire coloniale propose dans son ouvrage Nostalgérie, sous-titré L’interminable histoire de l’OAS (La Découverte) un rappel de l’origine, de la nature et des actions de cette organisation et de ses affidés.

    En arrière-fond, ces interrogations : «Pourquoi les anciens activistes et ultras sont-ils toujours écoutés ?»,

    «Pourquoi une telle mobilisation en France pour la restauration du passé colonial ?». L’un des signes de cette gangrène des esprits est l’accaparement par l’OAS et ses héritiers de cette notion de «nostalgérie» — nostalgie parfois teintée d’amertume de la terre natale —, synonyme d’Algérie heureuse, scellée dans la mémoire pied-noir. Elle est le socle d’une stratégie de reconquête commencée dès les premières années suivant les Accords d’Evian, avec le combat pour l’amnistie des anciens de l’OAS, poursuivie sous Giscard d’Estaing et Mitterrand jusqu’à la nouvelle génération de gaullistes et ses tentatives d’imposer une réécriture de l’Histoire dans le sens d’une reconnaissance du rôle positif de la colonisation.

    Les réseaux de soutien aux ultras pendant la guerre de libération font, dans cet ouvrage, l’objet d’une étude détaillée rappelant le rôle de chacun, de l’activiste de base jusqu’aux plus hauts représentants de l’Etat : «Ce réseau, des groupuscules d’extrême droite aux sphères gouvernementales, en passant par bien des éléments de l’appareil d’Etat, permet de comprendre l’exceptionnelle efficacité de quelques dizaines d’hommes disséminés sur le territoire de la métropole.»

    Le rôle trouble de Valéry Giscard d’Estaing dans l’aide apportée à l’organisation est ici évoqué. Quant à la population européenne d’Algérie, même s’il semble outrancier d’affirmer, comme le fait notamment l’opticien Alain Afflelou qu’en 1961 «tous les pieds noirs étaient dans l’OAS», on peut néanmoins parler d’une forte majorité du moins dans le soutien sinon dans l’engagement au combat. Quant à ceux qui condamnaient l’organisation — communistes, libéraux, quelques hommes d’église —, ils devaient se terrer pour ne pas être éliminés.

    Si l’OAS est née officiellement en février 1961 dans l’Espagne franquiste, une «culture de la milice», fruit d’une «mentalité d’assiégés», termes qu’Alain Ruscio emprunte à Gilbert Meynier, existe quant à elle depuis les tout premiers temps de la colonisation avec la milice africaine de Clauzel. Ces milices qui se reconstituent ponctuellement à l’occasion des grands affrontements sont, selon l’auteur, inhérentes aux communautés spoliatrices et minoritaires. On pense à la milice d’Achiary en 1945, aux unités territoriales à partir de 1955, etc. On voit dès lors combien le mythe de l’Algérie heureuse dans laquelle la ségrégation n’aurait jamais existé est illusoire. Pour autant Alain Ruscio refuse l’utilisation du mot apartheid qui appartient selon lui à un autre espace et un autre temps.

    Pas de séparation de droit donc mais un mur invisible qui dément le mythe pied-noir d’une amitié transcommunautaire généralisée. Et de citer Albert Memmi et Jean Amrouche pour qui il n’y a pas de situation coloniale sans racisme. L’auteur retrace toutes les étapes qui ont mené à la radicalisation meurtrière des ultras depuis la création de l’Oraf (Organisation de résistance nord-africaine) jusqu’à la «course à l’abîme» à partir de 1962.

    Qualifiée par Mitterrand – garde des Sceaux en 1956 — d’«organisation la plus criminelle», l’Oraf employait la stratégie de la terreur dans le but d’exaspérer les Européens par des attentats attribués au FLN. Aujourd’hui encore, des survivants de l’Oraf revendiquent fièrement les attentats à la bombe et autres crimes comme les assassinats aveugles par corps de métiers au nom d’une soi-disant logique défensive. La responsabilité de la gauche dans le processus qui mena au déchaînement des passions depuis l’abandon du projet Blum-Violette jusqu’à la capitulation de Guy Mollet n’est pas esquivée. De la même façon, comme le souligne l’auteur, la résistance française n’a jamais eu de vues émancipatrices en matière coloniale. On trouve parmi les partisans de l’Algérie française beaucoup d’anciens résistants. Ce n’est pas un hasard si Georges Bidault lança en mars 1962, juste avant les accords d’Evian, le CNR, Conseil national de la résistance, couverture de la dernière OAS. Et de fait, l’OAS se drape dans le mythe de la nouvelle résistance.

    L’histoire de l’organisation serait incomplète sans celle des hommes qui la composent. Alain Ruscio tente une typologie de l’activiste, un ensemble éclectique animé par un désir de vengeance et ayant en commun le front du refus. Eclectisme social – petits blancs «passant de l’anisette-kemia à la soirée plastic», civils métropolitains, policiers, étudiants, généraux, déserteurs —, mais aussi éclectisme idéologique puisque l’on y trouve aussi bien des pétainistes non repentis que d’anciens résistants de la France libre. Parmi ces ultras, beaucoup de soldats perdus se sont recyclés après la guerre, au Katanga, Cambodge, Liban, Biafra, certains dans les réseaux de Focard.

    D’autres terroristes sont devenus des notables, engagés dans l’extrême droite FN ou la droite classique. Aujourd’hui ils sont au premier plan du combat mémoriel à la gloire de l’OAS et de ses combattants, profitant du glissement à droite de la société française. L’ouvrage d’Alain Ruscio appelle à la vigilance. Par ce constant balancement entre passé et présent, il met en garde contre la survivance de cette idéologie raciste et fascisante des ultras de l’Algérie française. Il appelle chaque citoyen à lui substituer un combat pour le devoir de vérité. Par Marie-Joëlle Rupp

    Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS, Alain Ruscio, éditions. La Découverte, avril 2015.

    http://www.algeria-watch.org/fr/article/hist/colonialisme/temps_revisionnisme.htm

  • Nouveautés sur Association France Palestine Solidarité

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  • Accords de libre­‐échange : des accords coloniaux contre les peuples (ATTAC/CADTM Maroc)

    Attac Maroc vient de publier avec le soutien de la Fondation Rosa Luxemburg, un nouvel ouvrage :

    « Accords de libre­‐échange : des accords coloniaux contre les peuples ».

     

    En pleine crise économique mondiale, l’Union européenne essaie d’imposer à ses voisins du Sud et de l’Est, une nouvelle génération d’ accords de libre-­‐échange, dits Accords de libre-­‐échange complets et approfondis (ALECA) visant à renforcer l’ouverture de ces pays aux marchés mondiaux et à les arrimer plus solidement à l’Europe en mettant en place une harmonisation de leurs règlementations et législations avec les normes européennes. Le Maroc est le premier pays à négocier ce type d’accord pour la rive sud de la Méditerranée.

    Les retombées d’un tel accord sont considérables pour le pays et pour ses citoyens, qui, sans qu’ils n’en aient entendu parler ou aient pu exprimer leur point de vue sur la question, subissent au quotidien les conséquences d’une ouverture qui a complètement transformé les règles du jeu économique et social, mettant en péril l’avenir de son agriculture, de son tissu industriel, contribuant fortement à la crise structurelle de l’emploi et au niveau insupportable du chômage, aggravant les déséquilibres de ses comptes extérieurs et plaçant l’économie marocaine dans une dépendance accrue et sans défense face à une concurrence totalement déséquilibrée.

    A notre modeste niveau, nous souhaitons donner dans cet ouvrage collectif quelques éléments d’information et de débat, de façon à permettre aux citoyens de se saisir de ce dossier.

    Sommaire

    • Avant-­‐propos - 4
    • Le libre-­‐échange dans le contexte de la mondialisation libérale - 10
      Lucile Daumas
    • Les impacts des accords de libre-­‐échange conclus par le Maroc : Accentuation de la dépendance et pillage des ressources - 20
      Omar Aziki
    • Libre échange complet et approfondi : des accords néocoloniaux - 30
      Brahim Oubaha
    • Négociations des ALE : la démocratie au placard - 42
      Salaheddine Lemaizi
    • La question agricole au sein des accords de libre échange et de partenariat signés par le Maroc - 47
      Najib Akesbi
      Encart : Une histoire de tomates / Omar Aziki
    • Libre échange et santé des citoyens : haro sur des accords toxiques - 56
      Othman Mellouk
      Encart : Le cas du traitement de l’hépatite C, le Sofosbuvir : 600 000 patients marocains privés de ce médicament
    • Accord de Libre-­‐Echange Maroc-­‐UE : déséquilibre financier et endettement - 64
      Mimoun Rahmani
    • Circulation des personnes : un échange à sens unique - 74
      Lucile Daumas
    • Conclusion - 84
    • Bibliographie - 89
    Pour toute commande, s’adresser à : attac.cadtm.maroc chez gmail.com ou attacmaroc chez gmail.com 56 64 74 47 84 89

     

    ATTAC/CADTM Maroc

     

  • Qatar. Les réformes se font attendre (Amnesty)

    Alors que les droits sont bafoués dans le cadre des préparatifs de la Coupe du monde

    Plus d’un an après les promesses du gouvernement du Qatar de mettre en œuvre des réformes limitées afin d’améliorer les droits des travailleurs migrants, les espoirs de réels progrès s’estompent rapidement, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport publié jeudi 21 mai 2015.

    Intitulé Promising little, delivering less: Qatar and migrant labour abuse ahead of the 2022 Football World Cup, ce document présente une « feuille de score » qui évalue la réponse des autorités à neuf questions relatives aux droits fondamentaux des travailleurs migrants identifiées par Amnesty International. Un an après, on constate des progrès modestes sur cinq de ces questions seulement, les autorités n’ayant apporté aucune amélioration pour les quatre autres.

    « Le Qatar ne s’acquitte pas de ses obligations envers les travailleurs migrants.

    L’an dernier, le gouvernement a promis d’apporter des améliorations concernant leurs droits, mais dans la pratique, la protection des droits n’a pas connu d’amélioration notable », a déclaré Mustafa Qadri, chercheur sur les droits des migrants du Golfe à Amnesty International.

    Au cours des 12 derniers mois, peu de choses ont changé au niveau de la loi, de la politique et de la pratique pour les 1,5 million de travailleurs migrants au Qatar, qui demeurent à la merci de leurs parrains et de leurs employeurs. Sur des questions cruciales comme le permis de sortie, la restriction en matière de changement d’employeurs induite par la kafala (système de parrainage), la protection des employés de maison et la liberté de former ou de rejoindre un syndicat, on ne constate pas la moindre avancée.

    « L’absence de feuille de route comportant objectifs et délais pour mettre en place la réforme laisse planer de sérieux doutes sur la détermination du Qatar à lutter contre les atteintes aux droits humains dont sont victimes les travailleurs migrants. Sans une action rapide, les engagements qu’il a pris l’an dernier risquent fort d’être perçus comme un simple stratagème de relations publiques permettant à l’État du Golfe de se cramponner à la Coupe du monde de football de 2022 », a déclaré Mustafa Qadri.

    Sans une action rapide, les engagements qu’il [le Qatar] a pris l’an dernier risquent fort d’être perçus comme un simple stratagème de relations publiques permettant à l’État du Golfe de se cramponner à la Coupe du monde de football de 2022

    Mustafa Qadri, chercheur sur les droits des migrants du Golfe à Amnesty International.

    La FIFA (Fédération internationale de football) doit élire son nouveau président la semaine prochaine, le 29 mai. L’organisme régissant le football au niveau mondial a une vraie responsabilité : il doit accorder la priorité à la question de l’exploitation des travailleurs migrants au Qatar et demander aux autorités, à la fois publiquement et en privé, de mettre en œuvre des réformes cohérentes afin de protéger leurs droits.

    « La FIFA n’a pas lésiné en termes de temps, d’argent et de capital politique, pour enquêter sur la corruption présumée entachant les candidatures de la Russie et du Qatar, et pour établir le calendrier de la Coupe du monde. Elle doit encore s’engager véritablement pour que la Coupe du monde Qatar 2022 ne s’appuie pas sur l’exploitation des travailleurs et les atteintes aux droits humains, a déclaré Mustafa Qadri.

    « La FIFA doit travailler en étroite collaboration avec le gouvernement, le Comité suprême Qatar 2022 – l’organisme chargé de préparer la Coupe du monde au Qatar, les grandes sociétés partenaires et tous les responsables de l’organisation de la Coupe du monde, afin de prévenir les atteintes aux droits humains liées à la préparation de cet événement sportif. 

    La principale proposition de réforme du gouvernement en 2014, à savoir un système de paiement électronique des salaires destiné à modifier le versement des salaires aux migrants, est encore en phase d’application. De nombreux migrants interrogés par Amnesty International au cours des derniers mois se sont plaints de retards de paiement ou de non-versement des salaires.

    Le Qatar n’a pas atteint son objectif qui était de recruter 300 inspecteurs du travail d’ici la fin 2014.

    Les mesures visant à améliorer la sécurité sur les chantiers, à réglementer les agences de recrutement qui relèvent de l’exploitation, et à améliorer l’accès à la justice pour les victimes d’exploitation du travail, n’ont guère donné de résultat.

    Même si le Qatar avait appliqué toutes les réformes annoncées en mai 2014, cela n’aurait pas suffi pour remédier aux causes profondes de l’exploitation généralisée des travailleurs migrants.

    Dans un rapport publié en novembre 2013 (disponible en anglais), Amnesty International a révélé que les atteintes aux droits humains et l’exploitation que subissent les ouvriers migrants de la construction sont monnaie courante, et s’apparentent parfois à du travail forcé. Bien que le Qatar se soit depuis déclaré déterminé à s’attaquer à ce problème, pour de nombreux migrants la situation sur le terrain a très peu évolué.

    Ranjith, travailleur migrant sri-lankais interrogé par Amnesty International en 2015, n’a pas été payé depuis qu’il est arrivé au Qatar il y a cinq mois.

    Il n’a pas de carte d’identité, pas de contrat. Son logement, situé dans un camp de travailleurs dans la zone industrielle, est exigu et sale.

    « Je veux juste travailler et gagner de l’argent pour mon épouse et mes enfants ; à cause de mon parrain, je ne peux pas changer d’emploi. Si je me présente à la police, ils vont m’arrêter et m’expulser parce que je n’ai pas de papiers d’identité », a-t-il déclaré à Amnesty International.

    « La réalité est que plus d’un an et demi après qu’Amnesty International a dénoncé l’exploitation généralisée des travailleurs migrants, peu de mesures ont été prises pour s’attaquer aux racines du problème. La Coupe du monde Qatar 2022 se rapproche, et le temps presse d’effectuer ces changements, a déclaré Mustafa Qadri.

    « Avec le boom de la construction au Qatar et la population des travailleurs migrants qui devrait atteindre 2,5 millions, le besoin de réforme est plus pressant que jamais. »

    La réalité est que plus d’un an et demi après qu’Amnesty International a dénoncé l’exploitation généralisée des travailleurs migrants, peu de mesures ont été prises pour s’attaquer aux racines du problème.

    Mustafa Qadri

    N’ayant pas pour objectif de s’attaquer à l’exploitation du travail, l’action récente des autorités qatariennes fait s’interroger sur leur volonté de couvrir ces atteintes aux droits humains plutôt que de les éliminer.

    En effet, les journalistes et les défenseurs des droits humains qui enquêtent sur les conditions de travail des migrants au Qatar sont placés en détention et interrogés. Au cours du mois d’avril 2015, des journalistes menant des enquêtes sur l’exploitation des travailleurs migrants pour le compte de WDR (radiodiffuseur allemand) et de la BBC ont été placés en détention.

    « En tentant de réduire au silence ceux qui recueillent des informations sur les conditions de travail des migrants par des mesures de détention et d’intimidation, le gouvernement du Qatar montre qu’il s’inquiète davantage de son image que de la réalité que subissent les dizaines de milliers d’hommes et de femmes victimes d’atteintes aux droits humains », a déclaré Mustafa Qadri.

    21 mai 2015, 18:35 UTC

    https://www.amnesty.org/fr/articles/news/2015/05/mounting-risk-of-world-cup-built-on-abuse-as-qatar-fails-to-deliver-reforms/

  • Tournée BDS

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  • Maroc, la torture (Amnesty)

    Endémique, est utilisée pour arracher des «aveux» et étouffer les voix dissidentes

    Les coups, le maintien dans des positions douloureuses, l’asphyxie, les simulacres de noyade, ainsi que les violences psychologiques ou sexuelles font partie des méthodes de torture employées par les forces marocaines de sécurité afin d’extorquer des « aveux », de réduire des militants au silence et d’étouffer la dissidence, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public mardi 19 mai.

    Ce document, intitulé LOmbre de limpunité. La torture au Maroc et au Sahara occidental, révèle une réalité plus sombre que l’image d’ouverture présentée par les dirigeants marocains lorsqu’ils ont réagi aux soulèvements populaires de 2011 dans la région en promettant d’adopter tout un ensemble de mesures progressistes et une nouvelle constitution prohibant la torture.

    « Les responsables marocains renvoient l’image d’un pays ouvert, respectueux des droits humains.

    Mais tant que la menace de la torture planera sur les détenus et les voix dissidentes, cette image ne sera qu’un mirage », a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International.

    « Sous des apparences trompeuses, la torture est utilisée pour étouffer la contestation et entache certaines condamnations prononcées par la justice. Que vous remettiez les inégalités en question ou exprimiez vos convictions, vous courez le risque d’être victime de violences et d’actes de torture. »

    Le rapport se fonde sur 173 cas de torture et autres mauvais traitements infligés à des hommes, des femmes et des mineurs par des policiers et des membres des forces de sécurité entre 2010 et 2014.

    Figurent parmi les victimes de la torture des étudiants, des militants politiques de tendance de gauche ou islamiste, des partisans de l’auto-détermination du Sahara occidental, ainsi que des personnes soupçonnées de terrorisme ou d’infractions de droit commun.

    Le rapport montre que certaines personnes risquent la torture dès leur arrestation et tout au long de leur garde à vue. Trop souvent, les tribunaux ignorent les plaintes et continuent à s’appuyer sur des éléments de preuve obtenus sous la torture pour prononcer des jugements.

    Certaines personnes qui osent porter plainte et demander justice sont même poursuivies pour « dénonciation calomnieuse » et « fausse dénonciation d’une infraction ». L’impunité perdure malgré la promesse des autorités de respecter les droits humains.

    Torturés en détention - contraints à « avouer »

    Le rapport fait état de techniques de torture brutales employées par les forces de sécurité sur des détenus, telles que le maintien dans des positions douloureuses, notamment celle dite du « poulet rôti », où la victime est suspendue à une barre métallique par les poignets et les genoux.

    Mohamed Ali Saidi, 27 ans, est un des Sahraouis disant avoir été torturés par des policiers en détention, après leur arrestation en relation avec des manifestations qui avaient eu lieu à Laayoune, au Sahara occidental, quelques jours auparavant en mai 2013. Il a déclaré à Amnesty International :

    « Ils ont menacé de me violer avec une bouteille - ils ont amené la bouteille devant moi. C’était une bouteille de Pom’s [boisson non alcoolisée très populaire au Maroc] en verre [...] Ils m’ont fouetté la plante des pieds avec des cordes, tandis que j’étais suspendu dans la position du poulet rôti, et ils ont aussi trempé nos pieds dans de l’eau glacée [...] Alors que j’étais suspendu, ils m’ont mis une serviette dans la bouche et m’ont versé de l’eau dans le nez pour me faire étouffer. Ils ont ensuite versé de l’urine. Puis ils m’ont [...] déshabillé, me laissant en sous-vêtements, et m’ont fouetté les cuisses à l’aide de ceintures. »

    Abdelaziz Redaouia, un Franco-Algérien de 34 ans, a déclaré que des officiers l’ont torturé parce qu’il avait refusé de signer un rapport d’interrogatoire l’accusant d’infractions en relation avec les stupéfiants, après son arrestation en décembre 2013 :

    « J’ai pas voulu signer le procès-verbal et ils m’ont tapé. Ils m’ont rentré une menotte dans la joue et l’ont tirée comme s’ils allaient me la trouer. »

    Il a ajouté que les officiers lui ont enfoncé la tête sous l’eau, ont utilisé une batterie de voiture pour lui infliger des décharges électriques sur les parties génitales, et l’ont frappé sur la plante des pieds alors qu’il était suspendu.

    Manifestants et passants brutalisés

    Le rapport affirme que les forces de sécurité démontrent un sentiment d’impunité éhonté, frappant des manifestants en public afin d’adresser un avertissement au reste de la population. Ce document revient sur des dizaines de cas de violences policières contre des manifestants et des passants, au grand jour et à bord de véhicules.

    Abderrazak Jkaou, manifestant étudiant, a affirmé que des policiers l’ont frappé jusqu’à ce qu’il perde connaissance sur le campus la veille d’une manifestation à Kenitra :

    « Certains étaient armés de longs bâtons. Ils m’ont roué de coups sur tout le corps, de la tête aux pieds. Puis un policier en civil a serré des menottes dans sa main et m’a frappé entre les yeux. Je suis tombé, assommé.

    Ensuite, les autres sont arrivés et ont écrasé du pied ma vessie jusqu’à ce que j’urine. Ils m’ont frappé jusqu’à ce que je perde connaissance, puis m’ont jeté devant le campus à titre d’avertissement aux autres étudiants. Les étudiants pensaient que j’étais mort. »

    Si certains de ceux qui ont dit avoir été arrêtés et torturés étaient des militants connus, d’autres n’étaient que des passants. Khadija, dont le nom a été changé pour sa protection, a expliqué que des policiers l’ont agressée alors qu’elle marchait à proximité d’une action de protestation sur un campus à Fès en 2014 :

    « Des policiers antiémeutes sont arrivés derrière moi et m’ont fait trébucher. Je suis tombée et ils ont déchiré mon foulard et m’ont frappée. Puis ils m’ont traînée par les jambes, face contre terre, jusqu’à leur camionnette. Dedans, une dizaine d’autres attendaient. C’est à ce moment-là qu’ils m’ont frappée le plus fort. »

    Un système qui protège les tortionnaires, pas les victimes

    Le rapport évoque par ailleurs une nouvelle pratique alarmante : le fait d’invoquer la législation sur les « fausses dénonciations » ou la « dénonciation calomnieuse » afin de poursuivre des victimes de torture présumées qui s’expriment haut et fort sur ce qu’elles ont subi. En s’appuyant sur ces lois, les autorités marocaines ont ouvert des poursuites contre huit personnes ayant porté plainte pour torture au cours des 12 derniers mois.

    Aux termes du droit marocain, la « fausse dénonciation » est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison et d’une amende d’environ 440 euros, et la « dénonciation calomnieuse » d’une peine maximum de cinq ans d’emprisonnement. Les tribunaux peuvent en outre ordonner aux accusés de verser de larges sommes à titre d’indemnisation pour « dénonciation calomnieuse» ou « diffamation ».

    En 2014, deux jeunes militants, Wafae Charaf et Oussama Housne, ont été déclarés coupables et condamnés à deux et trois ans de prison respectivement pour « allégations mensongères » et « diffamation » après qu’ils ont porté plainte pour torture. Ils n’avaient même pas révélé l’identité de leurs tortionnaires présumés.

    Quatre des personnes poursuivies par les autorités marocaines ont porté plainte devant des tribunaux français du fait de leur double nationalité ou de leur statut de conjoint d’un ressortissant français. Il pourrait devenir impossible d’intenter ce type d’action en justice si l’Assemblée nationale française approuve un accord visant à faire en sorte que les tribunaux français ne soient plus compétents pour se prononcer sur des violations commises au Maroc.

    « Le Maroc est à la croisée des chemins : il peut opter pour un système judiciaire suffisamment robuste afin de s’attaquer aux auteurs de violations des droits humains, ou pour une justice qui protège ces derniers. Le gouvernement parle de réforme, mais les autorités semblent plus intéressées par l’application des lois luttant contre la diffamation que contre la torture. Si l’on veut que cela change, ce sont les tortionnaires qui doivent être traduits en justice, pas les victimes de la torture. Ceux qui dénoncent ces actes doivent être protégés, et non pas poursuivis », a déclaré Salil Shetty.

    Réaction du gouvernement

    Après qu’Amnesty International a présenté au gouvernement marocain une évaluation préliminaire des résultats de ses recherches, le gouvernement a catégoriquement rejeté ceux-ci dans une longue réponse. Il a mis en avant les efforts déployés par les autorités afin de combattre la torture, notamment les réformes juridiques prévues. Il n’a cependant pas abordé les questions essentielles soulevées par l’organisation en relation avec des allégations de torture spécifiques, telles que l’absence criante d’enquêtes dignes de ce nom.

    « Le gouvernement affirme que la torture appartient au passé. S’il a effectivement pris certaines mesures, même un seul cas de torture représente un grave échec. Nous en avons recensé 173 à travers le Maroc et le Sahara occidental, concernant des personnes de tous les horizons », a déclaré Salil Shetty.

    « Le droit marocain interdit la torture, mais pour que cela signifie véritablement quelque chose dans la pratique, les autorités doivent mener des enquêtes adéquates sur les allégations de torture plutôt que rejeter ces dernières d’emblée. »

    Stop Torture

    Ce document s’inscrit dans le cadre de la campagne mondiale Stop Torture d’Amnesty International, lancée en mai 2014 pour lutter contre la crise mondiale liée à la torture, et fait suite à d’autres rapports consacrés à cette pratique au Mexique, au Nigeria, aux Philippines et en Ouzbékistan.

    Le Rapport annuel 2014 d’Amnesty International sur la situation des droits humains dans 160 pays fait état d’un recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements dans 82 % des États examinés (soit 131 sur 160).

    La torture en chiffres

    173 - nombre de cas de torture et d’autres formes de mauvais traitements étudiés dans le cadre du nouveau rapport d’Amnesty International

    21 - années écoulées depuis que le Maroc a ratifié la Convention des Nations unies contre la tortureet autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

    8 - nombre de personnes poursuivies pour « dénonciation calomnieuse », « fausse dénonciation », « outrage » ou « diffamation » après avoir porté plainte pour torture ou signalé avoir été torturées au Maroc depuis mai 2014

    5 - nombre d’années d’emprisonnement auxquelles il est possible d’être condamné pour « dénonciation calomnieuse »

    1 - nombre de cas, parmi ceux étudiés par Amnesty International, dans lesquels un tribunal a annulé une condamnation après avoir reconnu qu'elle avait été prononcée sur la base d'« aveux » arrachés sous la torture en détention, et a libéré de prison la victime de torture

    1 - parmi les cas étudiés par Amnesty International, nombre de victimes de torture ayant bénéficié, dans le cadre de l’examen médical, d’une évaluation des séquelles psychologiques ou traumatismes dus à la torture

    0 - nombre de représentants de l’État marocain déclarés coupables de torture pendant les « années de plomb » (1956-1999)

    19 mai 2015, 09:53 UTC

    https://www.amnesty.org/fr/articles/news/2015/05/morocco-endemic-torture/

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  • Notes sur le livre d’Hèla Yousfi « L’UGTT une passion tunisienne » (Essf)

    ugtt-passion-tunisienne-hela-yousfi-nawaat

     

    Cet ouvrage a été publié en mars 2015 en Tunisie, avec le sous-titre « Enquête sur les syndicalistes en révolution 2011-2014 ».

    Une des principales différences entre la Tunisie et les autres pays de la région arabe tient à l’existence de l’UGTT.

    Mieux connaître cette organisation est d’autant plus nécessaire que l’UGTT fait souvent l’objet de jugements et affirmations péremptoires. D’où le parti pris de l’auteure : « Pour sortir de l’incantation, il nous faut délaisser quelque peu le monde des spéculations et redescendre sur terre en choisissant à cet effet un objet d’observation : l’UGTT elle-même » (p 12).

    Pour tenter d’y parvenir Hèla Yousfi s’est appuyée non seulement sur des sources écrites, mais avant tout sur plusieurs dizaines de témoignages de militant-e-s. Ceux-ci sont en général membres de l’UGTT et appartiennent à différents secteurs et régions de cette organisation. Son livre permet une déconstruction des discours ne prenant en compte que certaines des multiples facettes de l’UGTT. Il débouche sur la vision d’une organisation multidimensionnelle, à la recherche permanente d’un équilibre instable entre ses aspects contradictoires.

    Chercher à rendre compte en quelques pages d’un ouvrage en comportant 250 pages, nécessite de faire des choix laissant nécessairement dans l’ombre certains aspects. A chacun-e de compléter en lisant directement l’ouvrage.


    La présentation qui en est faite ci-dessous est constituée de deux grandes parties que chacun-e pourra lire dans l’ordre qui le convient le mieux :

    * L’une est avant tout historique ;
    * L’autre cherche à présenter le caractère contradictoire de certaines des facettes de l’UGTT. Elle est surtout basée sur le début du livre et le dernier chapitre.

    A propos de l’histoire de l’UGTT

    L’UGTT avant l’Indépendance

    Depuis sa fondation en 1946, l’UGTT ne s’est pas contenté d’une seule fonction revendicative mais s’est toujours simultanément « nettement engagée dans l’action politique » pour l’Indépendance, où elle a joué un rôle de premier plan (p11).

    L’UGTT entre 1956 et 2011

    Pendant toute cette période ont existé au sein de l’UGTT :
    * d’une part « un courant de soumission au pouvoir pouvant aller jusqu’à la quasi-intégration dans l’appareil d’Etat »,
    * d’autre part « un courant de résistance au pouvoir » contrôlant certaines structures intermédiaires et « qui prend le dessus en temps de crise » (p 56).
    Cette dualité a rendu possible « aux différents mouvements sociaux, malgré la proximité que la bureaucratie syndicale a entretenu avec le parti unique, de régulièrement trouver un appui structurel et politique auprès de l’UGTT ».
    La permanence de cet équilibre instable explique en grande partie pourquoi les crises internes de l’UGTT n’ont pas débouché sur de réelles scissions.

    Du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011

    Ce chapitre est étayé par un grand nombre d’entretiens généralement réalisés en janvier et février 2011. Il ressort de ce ceux-ci les éléments suivants :
    * « le mouvement protestataire est à ses débuts complètement spontané et sans leadership » (p 62),
    * « l’UGTT a accueilli et protégé le mouvement » (pp 62-64),
    * les syndicalistes ont « encadré » le mouvement (pp 65-70).
    Le soulèvement du bassin minier en 2008 est vu comme une « répétition générale » de celui de 2010-2011 (pp 77-79).

    L’auteure se livre ensuite à une analyse fouillée des débats ayant traversé l’UGTT pendant cette période (pp 79-97). Si nombre de syndicalistes « se sont empressés de rejoindre le mouvement populaire, les bureaux régionaux et le Bureau exécutif ont adopté une attitude attentiste, voire hostile au soutien du soulèvement » en se démarquant clairement des slogans dénonçant le pouvoir. (p81)

    La « tendance radicale » de l’UGTT anticipe sur le fait que :
    * d’une part la « tendance réformiste » représentée par le Bureau exécutif « allait éviter la confrontation avec le pouvoir » et rechercher un compromis avec lui,
    * d’autre part que si il existe « la pression nécessaire » pour faire basculer les rapports de forces en faveur du peuple, « la centrale finira par se plier aux revendications populaires » (p90).
    Progressivement, une série de structures intermédiaires de l’UGTT s’émancipent de la direction centrale. Elles appellent notamment à la grève sans son accord préalable et sans respecter l’obligation légale d’un préavis de 10 jours (p86). Pour tenter de sauvegarder sa « capacité de dialogue avec le pouvoir », le Bureau exécutif n’a pas d’autre choix que de couvrir « toutes les décisions prises à une échelle locale et/ou régionale » (pp88-89).
    Après des dizaines d’années d’omnipotence de la direction centrale de l’UGTT, on assiste à la préfiguration de nouvelles relations entre celle-ci et les structures intermédiaires (p98).

    Du 14 janvier 2011 aux élections d’octobre 2011

    Le 17 janvier, la direction de l’UGTT désigne trois représentants au gouvernement. Celui-ci est présidé par l’ancien Premier ministre de Ben Ali (p 102), ce qui provoque la colère de la population et de la base de l’UGTT.
    Soucieuse de « préserver le consensus et de protéger l’unité de l’organisation » (p107), l’UGTT « fait volte-face » (p106) : elle fait démissionner ses trois ministres dès le lendemain, et soutient désormais les mobilisations (pp102, 106 et 108).
    Simultanément, l’UGTT joue un rôle clé dans la mise en place d’un « Conseil national de protection de la révolution (CNPR) » (pp102, 110-112). Le CNPR s’appuie sur des comités locaux dans tout le territoire tunisien dans lesquels certains militants voient le possible embryon d’un « parlement représentatif des forces révolutionnaires » (p116).
    Mais le CNPR ne se transforme pas en un pouvoir alternatif : contestant la légitimité démocratique du gouvernement, c’est néanmoins à ce dernier que le CNPR demande de lui reconnaître légalement un pouvoir décisionnel. Mais « le gouvernement s’oppose vivement à cette demande et ne veut concéder au CNPR qu’un rôle consultatif » (p111).

    Le 27 février, l’ancien Premier ministre de Ben Ali quitte enfin le pouvoir. Son remplaçant, Beji Caïd Essebsi, crée une « Haute instance » qui « a pour objectif de dépasser l’opposition entre le CNPR et le gouvernement » (p113) :
    * La Haute instance n’a qu’un pouvoir consultatif et propositionnel en matière de loi électorale et d’organisation des élections.
    * « Le gouvernement reste ainsi le seul pouvoir exécutif et décisionnel ».
    Aux côtés de l’UGTT, sont représentées dans la « Haute instance » les principales organisations politiques et associatives du pays (p103). Ne revendiquant pas le pouvoir pour elle-même, l’UGTT joue néanmoins « un rôle politique de premier plan » (p103) consistant à « construire des consensus entre les différentes forces politiques et sociales » (p 105).
    Dans les témoignages recueillis, le rôle de l’UGTT était auparavant souvent présenté comme celui d’un « pouvoir » ou d’un « contre-pouvoir » (p108). L’accent est désormais mis sur la notion « d’autonomie » ou de « distance égale de tous les partis politiques et surtout du pouvoir, (...) de force d’équilibre, de superviseur qui contrôle l’action du gouvernement » (pp 108-109).
    Pour certains militants, la perception de l’UGTT a évolué « d’un acteur clé de la révolution à celle d’un acteur central du maintien du régime politique et économique » (p116).

    Au final, la direction de l’UGTT a poursuivi simultanément ou successivement de multiples objectifs parfois contradictoires (pp118-119) :
    * assurer simultanément la démocratisation du pays et la continuité des institutions,
    * refuser un choc frontal avec le pouvoir en place dans le but de conserver son propre pouvoir de négociation avec celui-ci,
    * utiliser sa proximité avec les mouvements sociaux pour faire pression sur le gouvernement et les grands choix politiques,
    * ne pas jouer pour autant un rôle de parti politique mais favoriser la négociation et la construction de consensus entre les différentes forces politiques et sociales.

    Depuis son origine, le rôle syndical de l’UGTT a toujours été entremêlé avec son rôle politique (p141).
    Du temps de la dictature, l’UGTT était même « le seul espace où les opposants politiques pouvaient s’exprimer » (p142). C’est notamment pour cette raison que la plupart des militants estimaient que l’UGTT devait s’interdire « d’entrer dans la bataille politicienne, car il y a toutes les tendances politiques au sein de l’UGTT, et que cela pourrait être dangereux » (p143).
    La grande différence depuis 2011 est que désormais les partis politiques « n’ont en principe plus besoin de l’espace syndical pour exister » (p145).

    Les principaux enjeux du congrès national de décembre 2011

    L’héritage de la période passée comporte notamment :
    * la compromission du Bureau exécutif avec le régime de Ben Ali au sujet de laquelle le Secrétaire général sortant fera une autocritique lors du congrès (pp167-168),
    * la corruption et le clientélisme interne (pp153-155, 171-172),
    * une tradition de votes dans les congrès reposant non pas sur les programmes mais sur des alliances entre réseaux sectoriels ou régionaux et courants politiques (170-171).

    La volonté d’un grand nombre de militant-e-s de l’UGTT est de remettre en cause le caractère hiérarchisé et centralisé de la centrale syndicale, se traduisant par le pouvoir hégémonique du Secrétaire général et du Bureau exécutif. C’est notamment sur ce dernier que repose le droit de signer le préavis de 10 jours rendant légale une grève, ainsi que la nomination des permanents syndicaux (pp 151-152). Cette préoccupation prend appui sur « l’épisode révolutionnaire qui a poussé certaines Unions régionales et Fédérations à prendre leurs décisions de manière autonome sans attendre l’approbation du BE » (p155).

    En sens inverse, deux mois après la victoire électorale d’Ennahdha, « le contexte de crise politique et les différentes campagnes qui ont pris l’UGTT pour cible ont renforcé les réactions les plus défensives afin de préserver l’organisation au dépens des impératifs de restructuration interne et/ou les défis socio-économiques » (p184).

    A l’intersection de ces deux préoccupations, il avait été décidé dans la foulée dans la foulée du 14 janvier que le non-renouvellement du mandat des membres du BE qui s’étaient compromis avec le pouvoir de Ben Ali s’opèrerait en douceur. Il suffisait pour cela de ne pas remettre en cause les dispositions statutaires interdisant plus de deux mandats successifs au BE (article 10), contrairement à ce que cherchait à faire le BE sortant juste un an auparavant (pp 131-138, 155, 172-173, 179). (1)

    En final, un peu moins d’un an après le 14 janvier 2011, "deux préoccupations majeures animent la plupart des congressistes interviewés :

    * Quel rôle l’UGTT doit-elle jouer dans la transition politique et quelle place doit-elle occuper dans le nouveau champ politique et syndical post-électoral ?
    * Sera-t-elle capable de faire évoluer ses structures, ses formes historiques de lutte pour s’adapter aux nouvelles réalités économiques et soutenir la processus démocratique dans le pays ?"
    (p152).

    Un des enjeux politiques est le refus que l’UGTT soit « instrumentalisée » par les partis politiques. « Même si notre mission est autant politique que sociale, on doit rester à égale distance de tous les partis politiques » expliquent nombre de syndicalistes (pp159-162 et 169). Parmi les défis organisationnels à relever figurent l’implantation dans le secteur privé (p156), la participation des femmes dans les instances de décision (p157-158) et la faible syndicalisation des jeunes (p158).

    Les principales décisions du congrès de décembre 2011

    Le congrès a été polarisé par l’élection du Bureau exécutif (pp 175-178).
    La principale différence avec le passé a été que la volonté politique de maintenir l’unité de la centrale a été « omniprésente » dans la constitution des listes en compétition. Elle l’a emporté sur « les considérations régionalistes et clientélistes qui avaient souvent pris le pas sur les autres enjeux » dans les congrès précédents (p178).
    Aucun membre du nouveau BE ne représente un courant politique en tant que tel. (2)

    Dans la continuité avec le passé figurent :
    * le poids prépondérant du BE sortant sur le déroulement du congrès (p181),
    * l’élection de la liste reposant sur le consensus entre le plus grand nombre de régions, de secteurs et de sensibilités politiques,
    * la présence dans cette liste de trois des quatre membres du BE sortant ayant le droit de se représenter,
    * la consécration du « pouvoir des grands secteurs de la fonction publique au sein de l’UGTT, et notamment l’Enseignement et la Santé » (p179),
    * le fait qu’aucune femme n’ait élue élue au BE (pp157-158, 178, 180).


    L’UGTT face au pouvoir islamiste (2012-2013)

    Ennahdha, qui commence à diriger le gouvernement au moment même où se tient le congrès de l’UGTT, se lance dès la mi-février 2012 dans une attaque frontale contre la centrale syndicale. Cherchant à « coopter les différents réseaux de l’ancien régime au niveau de l’appareil étatique » (p216), Ennahdha se retrouve par ailleurs en concurrence directe sur ce terrain avec Nidaa Tounes que Beji Caïd Essebsi met en place au premier semestre 2012 dans le but de revenir au pouvoir lors des élections suivantes.
    Face à cette « bipolarisation de la vie politique et les polémiques visant l’UGTT, sa direction n’a pas voulu participer à la mise en place d’une alternative politique aux deux pôles dominants. En revanche, elle a lancé le 18 juin 2012 une ’’initiative politique’’ visant à recréer un consensus entre les forces politiques, le gouvernement et la société civile pour s’entendre sur les grandes questions suscitant des divergences » (p217).
    Le rôle de « médiateur politique » (p218) que cherche à jouer la direction de l’UGTT contribue à « reléguer la question sociale au second plan » (p204).

    Au deuxième semestre 2012, la tentative de l’UGTT de trouver une solution consensuelle échoue, et l’offensive des hommes de main islamistes continue de plus belle avec notamment :

    * l’attaque du siège national de l’UGTT le 4 décembre 2012 (p188),
    * l’assassinat d’un premier dirigeant du Front populaire le 6 février 2013, puis d’un second le 25 juillet qui plonge la Tunisie « dans une crise politique grave ouvrant la voie à une nouvelle période de contestation de la légitimité des institutions » (p219).

    Dans ce cadre, « l’UGTT multiplie les rencontres pour chercher une issue à la crise.

    Elle ne se présente plus exclusivement comme une plateforme de dialogue mais comme une force de proposition ». En compagnie de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme, l’Ordre national des avocats et le syndicat patronal (UTICA), l’UGTT lance le 25 octobre un cadre de dialogue national auquel participent 21 des partis représentés à l’Assemblée. Un consensus se dégage entre les participants au dialogue pour le remplacement du gouvernement en place par un gouvernement provisoire ne dépendant pas des différents partis. Chargé de gérer les affaires courantes, celui-ci doit avant tout faire voter par l’Assemblée la nouvelle Constitution, puis organiser des élections législatives et présidentielles (pp 220-231).


    * En acceptant de démissionner du gouvernement, Ennahdha a évité d’en être éjecté durablement comme en Egypte.
    * Nidaa Tounès de son côté estime avoir toutes les chances de parvenir au pouvoir après les élections prévues en 2014.
    * L’UGTT a « renforcé sa place d’acteur incontournable du champ politique tunisien » (p231).

    Mais « le fait que le dialogue national ait concentré le débat exclusivement sur les enjeux politiques » entraine un clivage « qui traverse toutes les structures de l’UGTT autour de la place à accorder aux questions sociales ». La distance se creuse d’après l’auteure entre :
    * « les partisans d’une action limitée, négociée à petits pas, faisant reculer progressivement le pouvoir politique sans pour autant le renverser »,
    * « ceux qui, parce que la crise économique s’approfondit, parce qu’ils ont confiance dans le mouvement social, parce qu’ils croient de moins en moins qu’on peut négocier avec le pouvoir en place, veulent une attitude plus ferme qui peut mener à des actes de rupture » (p232).

     Le caractère contradictoire de chacune des facettes de l’UGTT

    Pour des raisons qui sont explicitées dans en note (3), je me suis autorisé à ajouter entre parenthèses le terme « revendicatif » à celui de « syndical » dans deux des extraits présentés dans le sous-paragraphe qui suit.

    Rôle revendicatif et rôle politique

    « L’UGTT ne mobilise pas les syndicalistes seulement pour la défense de leurs intérêts professionnels. Elle a toujours été et continue à être le lieu d’une action politique beaucoup plus large qui vise à articuler revendications socio-économiques, et libertés politiques individuelles et collectives » (p 233).

    Cette double fonction remonte à l’époque coloniale où l’UGTT était « nettement engagée dans l’action politique » pour l’Indépendance (p11).
    Après celle-ci, l’UGTT a été de plus pendant plus d’un demi-siècle « le seul espace d’action collective organisée en Tunisie qui a réussi tant bien que mal à résister aux tentatives du régime autoritaire de réduire à néant toute résistance dans le pays ». (p 16)
    Pour ces raisons, « l’UGTT est à la fois, et de manière indissociable, un mouvement syndical (revendicatif) et une organisation qui prétend à une mission politique et nationale » (pp 233-234).
    « Par moments ce sont les considérations politiques nationales qui s’expriment, et à d’autres moments, c’est l’aspect syndical (revendicatif) qui est mis en avant » (p234).
    Pour une partie au moins de ses membres, l’UGTT doit jouer un rôle de « contre-pouvoir » (p16) mais « ne vise pas la prise de pouvoir » (p11).

    En final, l’UGTT se comporte « ni comme une force politique destinée à prendre le pouvoir, ni comme un syndicat révolutionnaire capable de remettre radicalement en cause les choix économiques et sociaux adoptés par les élites au pouvoir. L’ampleur de son action politique lui échappe parfois, mais elle a montré qu’elle n’est pas et ne veut pas devenir un parti politique » (p235).

    Entre résistance et soumission

    Il a toujours existé dans l’UGTT « un courant de soumission au pouvoir pouvant aller jusqu’à la quasi-intégration dans l’appareil d’Etat », mais simultanément on y a toujours trouvé « un courant de résistance au pouvoir qui prend le dessus en temps de crise ». (p15)
    Dans ce cadre, l’UGTT a été avant 2011 à la fois « un refuge pour les mouvements sociaux, un espace de résistance (...) contre l’hégémonie exercée par le parti unique » et « un lieu de négociation permanente de l’équilibre tant politique que social ». (p 16)

    Entre affrontement et volonté de négociation

    « Tantôt ce sont des réactions offensives qui s’expriment et qui vont jusqu’à l’affrontement et parfois c’est la logique de médiations et de négociation qui l’emporte » (p234).

    L’action de l’UGTT repose sur « sa capacité à construire des compromis entre les défenseurs d’une rupture radicale avec l’ancien régime et les partisans d’une orientation réformatrice » (p235).
    « L’UGTT, en arrachant quelques concessions de la classe dirigeante au profit du mouvement protestataire, évite le risque d’un affrontement directe entre les anciennes et les nouvelles forces politiques et neutralise, selon les plus critiques, le potentiel d’une rupture radicale avec le régime » (p235).
    L’UGTT revendique une identité de «  »force d’équilibre« entendue dans le sens d’une force à la fois de pression et de négociation » dont une des constantes est « le refus de l’affrontement direct avec le gouvernement » (p235).
    « Dès lors, il n’est pas étonnant de voir l’UGTT affirmer de plus en plus nettement que seules des solutions consensuelles entre les différentes forces politiques et sociales peuvent sortir le pays de la crise » (p235).
    « L’UGTT affirme sa défense des revendications sociales, mais sans jamais oublier de faire pression pour établir un calendrier électoral » (p234). « Sa proximité des mouvements sociaux lui donne les moyens d’exercer une pression sur les choix électoraux et les grandes décisions politique » (p235).

    « Dialogue national » et base sociale de l’UGTT

    Pendant le deuxième semestre 2013, l’UGTT a joué un rôle décisif dans la mise en place d’une structure de dialogue incluant notamment le syndicat patronal.
    « L’UGT, qui accepte de faire un un front uni avec le patronat pour pouvoir trouver un équilibre négocié avec les différentes forces politiques et sociales, prend le risque de voir sa capacité d’action sociale s’affaiblir. Pire encore, elle se montre disposée comme par le passé à accepter une nouvelle vague de libéralisation économique proposée par les bailleurs de fonds moyennant des augmentations salariales dérisoires pour ses membres » (p237).
    Pour l’auteure le risque existe pour l’UGTT de se couper de forces attendant « une attitude plus ferme de la part de l’UGTT ». Celles-ci estiment qu’avec l’approfondissement de la crise économique, il est « de moins en moins possible de négocier avec les élites économiques et politiques en place » et placent leur confiance dans les mouvements sociaux (p238).

    Entre mode pyramidal de décision et système de pressions sur la direction

    * Aux lendemains de l’Indépendance, un « rapport organique » existait entre l’Etat et l’UGTT : le Président Bourguiba pouvait changer les secrétaires généraux, « les appeler aux commandes et les renvoyer comme il le fait pour ses ministres » (p37). Ce type de fonctionnement a été calqué par la direction nationale de l’UGTT sur les structures intermédiaires. Il se traduit par l’hégémonie du Bureau exécutif et du secrétaire général sur l’ensemble de l’organisation (p152).

    * Tout un système de pression sur la direction s’est mis en place pour faire contrepoids à la concentration du pouvoir entre les mains de la direction centrale de l’UGTT.
    Il s’est notamment affirmé à partir de 2008 dans le cadre de la lutte bassin minier. Il a fini par imposer sa volonté dans les semaines qui ont précédé le 14 janvier.
    Dans le chapitre centré sur ces deux épisodes, le mot « pression » revient à très nombreuses reprises dans les entretiens réalisés.

    Lors de la lutte du bassin minier, « les syndicalistes ont (...) fait pression sur les instances régionales de l’UGTT pour intervenir dans la libération des prisonniers ». « Nous avons fait pression sur le Bureau exécutif pour intervenir auprès du gouverneur » (p69). « Les syndicalistes de base ont imposé, grâce à leur pression, à certaines Unions régionales (...) ou à des secteurs (...) de soutenir le mouvement du bassin minier » (p77). A Redeyef, « il y a eu un changement grâce à la pression syndicale à l’intérieur des syndicats de base et aussi grâce à la pression qui vient de l’étranger, des délégations étrangères. Cette pression qui vient de l’intérieur et de l’extérieur a permis enfin de changer la position officielle de la direction syndicale... » (p78). Le secrétaire général Jrad « qui n’a pas l’habitude de céder a enfin cédé pour éviter l’implosion de l’UGTT (...) sous la pression intérieure » (p79).
    « Nous faisions des rassemblements devant l’UGTT pour faire pression, et le Bureau régional a négocié avec le gouverneur pour les prisonniers » (p82).


    Il en va de même après le 17 décembre 2010. Hélà Yousfi écrit à ce propos : « Cette pression engendre une crise au sein de l’organisation qui a pour résultat immédiat une rupture dans les circuits de décision formels classiques et une transgression de la hiérarchie syndicale », comme par exemple l’accord préalable du Bureau exécutif pour qu’une grève soit légale (p86).
    « Ce genre de décision n’aurait pas eu lieu » si préalablement « les structures de base et intermédiaires n’avaient pas fait pression » (p87) explique une militante.
    La direction de la centrale agit de façon comparable.. mais dans le sens inverse : elle « exerce une pression forte sur toutes les structures de manière à réduire leur souffle militant » (p87).
    « Cette dynamique de pression/négociation (...) a largement influencé aussi bien l’issue du mouvement de Redeyef en 2008 que celui de Sidi Bouzid ... » (p90).
    « Généralement quand la direction de la centrale voit que les différentes structures régionales et sectorielles adoptent (des) revendications, il y a une sorte de pression qui s’exerce sur le Bureau exécutif qui va finalement les adopter » (p94). « Sous la pression de ses structures, elle est obligée de suivre le mouvement » (p95).

    Entre clientélisme et résistance à la direction

    * Le clientélisme en vigueur au niveau de l’Etat avant 2011 avait trouvé son prolongement au sein de l’UGTT. « Le cadre syndical détaché auprès de la Centrale échappait aux contraintes du travail et accédait à un statut social qui lui procurait une certaine reconnaissance. Il devait alors agir en fonction de ce que le Bureau exécutif attendait de lui ». « Ce détachement pouvait être retiré au cours du mandat si le cadre décevait ou entrait en conflit avec la direction » (p153). Plusieurs témoignages figurant dans le livre donnent des exemples d’avantages matériels attribués aux permanents syndicaux (pp 153-155).

    * Au sein de l’UGTT, ont toujours existé des militant-e-s refusant de prêter allégeance à la direction. Cette situation s’est notamment exprimée par l’opposition à la suppression de l’article 10 des statuts interdisant plus de deux mandats successifs au Bureau exécutif.
    Cette volonté s’est accentuée lors du processus ayant précédé le 14 janvier 2011. « L’épisode révolutionnaire qui a poussé certaines Unions régionales et Fédérations à prendre leurs décisions de manière autonome sans attendre l’approbation du Bureau exécutif constitue un précédent intéressant qui préfigure de nouvelles relations entre les structures intermédiaires et et la direction central pouvant neutraliser la dérive hégémonique du Bureau exécutif » (p155).

    Entre attachement formel aux règles et arrangements de couloirs

    * « Tout est conçu au Congrès pour qu’aucun manquement à la procédure démocratique ne soit possible. Cette démocratie formelle et pointilleuse est la garantie d’une légitimité, rend incontestables les décisions prises par le Congrès et assure une marge de crédibilité au Bureau exécutif » (p173).

    * Mais simultanément « les votes ne sont pas orientés par les programmes proposés mais plutôt par les tractations politiques et les alliances » (pp 170-171). « Tous les moyens sont bons, de la cooptation des délégués moyennant des privilèges, à la manipulation des adhésions pour conquérir le pouvoir » (p171).

    Entre syndicalisation massive des femmes, et masculinité des structures

    « Si les femmes sont bien présentes à hauteur de 47 % dans les structures de base et dans les luttes syndicales, elles demeurent absentes des postes de direction syndicale. En effet, le fait de devenir membre du BE est verrouillé par des conditions de nombre de mandats antérieurs réalisés aux différents niveaux (local, régional, fédéral) de l’organisation. Une condition qui réduit le nombre de femmes éligibles et empêche leur arrivée au niveau de la direction centrale » (p157).
    Un débat est en cours qui pourrait déboucher sur un système de quotas au sein de l’UGTT, y compris au Bureau exécutif.

    Multiplicité des forces centrifuges et maintien d’un cadre collectif

    Une des explications proposée au fait que l’UGTT est parvenue à ne pas exploser en vol malgré les multiples contradictions qui la traverse est la volonté partagée de construire des consensus internes sur la base des rapports de forces existant à un moment donné :
    « L’UGTT, par sa composition et sa sociologie, a toujours été tributaire d’un équilibre souvent précaire entre des intérêts sectoriels, de considérations régionales et des enjeux politiques. De ce fait, ce n’est pas tant le clivage idéologique ou partisan qui oriente les décisions de la Centrale que sa capacité à construire des consensus entre des groupes aux intérêts divergents ». « C’est grâce à l’institutionnalisation du consensus comme mécanisme privilégié de régulation du conflit que l’UGTT a pu maintenir sa cohésion interne tout en conservant son pouvoir. Dès lors, les tergiversations et les tensions qui ont marqué la trajectoire de l’UGTT prennent tout leur sens » (p236).

    Notes :

    1. Note AB : Un responsable intermédiaire de l’UGTT me confie à l’époque « Le secrétaire général reste en place jusqu’au prochain congrès, mais nous l’avons mis sous camisole ».

    2. Note AB : Les membres du nouveau BE ont des affinités politiques diverses, actuelles ou passées, réelles ou supposées. Seule une minorité d’entre eux est actuellement membre d’un parti politique, mais aucun d’entre eux ne représente celui-ci en tant que tel.
    Jilani Hammami, dirigeant connu du PCOT n’ayant plus de responsabilités syndicales depuis des années, revendiquait une place dans le nouveau BE au nom de son parti (p176). Il a été écarté de la liste en situation de l’emporter. Hfaiedh Hfaiedh, pourtant tête de liste du même parti aux législatives deux mois plus tôt, a par contre été inclus sans aucun problème en tant que secrétaire général du syndicat de l’enseignement primaire.

    3. Note AB : Pour moi, le fait que l’UGTT ne se limite pas à la seule action revendicative ne constitue pas réellement une spécificité tunisienne. Nombreux sont les syndicalistes de part le monde qui considèrent qu’ils sont chargés d’une « double besogne » : la défense des intérêts immédiats des travailleurs ET « la transformation sociale ».
    Ce débat traverse périodiquement le syndicalisme depuis ses origines. Il se conjugue avec celui, tout aussi passionné, de savoir si cette deuxième dimension doit s’effectuer graduellement au sein du capitalisme, ou dans le cadre d’une rupture avec celui-ci.

  • Mobilisations téméraires des employées de maison au Liban (Orient 21)

    Face à l’exploitation et au mépris

    Elles sont des dizaines, voire des centaines de milliers à travailler au Liban comme domestiques. On peut les voir quelquefois accompagner des enfants à l’école, porter les courses de leurs employeurs. Soumises la plupart du temps à l’exploitation, en butte au mépris, elles ont commencé à s’organiser envers et contre tous, notamment contre le gouvernement qui refuse de reconnaître le syndicat qu’elles ont créé.

    Des femmes privées de protection sociale se réveillent dans nos maisons, sans qu’on sache comment elles vont. Silencieuses et travailleuses, à longueur de journée elles lavent, sèchent, repassent, cuisinent, pressent, cisèlent, hachent, épongent, gardent nos enfants et répondent «  ça va  » parce qu’elles n’ont pas d’autre réponse à donner, qu’on ignore tout de leur passé et de leur histoire, de leurs enfants qu’elles ont abandonnés au pays pour venir travailler au Liban. Elles sont un peu plus de deux cent mille, d’origine diverse : Philippines, Sri Lanka, Cameroun, Éthiopie, Népal…

    «  Si vous ouvrez tous ces étages maintenant  », nous dit Rose en indiquant un haut et large édifice, «  vous pouvez voir qu’il y a des filles dedans qui n’ont même pas le droit de se mettre devant les fenêtres et regarder ce qui se passe. C’est nous, qui pouvons être dehors, qui pouvons lutter pour elles. Sinon, qui va le faire  ? C’est pour cela que j’ai rejoint ce mouvement  ».

    Un syndicat pour les travailleuses domestiques

    Cette année, la célébration du 1er mai par les employées de maison au Liban a un goût particulier. Elle marque la formation — inédite dans le monde arabe — de leur syndicat le 25 janvier dernier, avec le soutien de l’Organisation internationale du travail (OIT), de la Confédération syndicale internationale (CSI) et de la Fédération nationale des syndicats, des ouvriers et des employés au Liban (Fenasol). Les employées de maison sont, pour la première fois dans l’histoire du pays, les porte-paroles de leurs propres revendications, que transmettaient jusqu’alors des ONG libanaises.

    Rose est la vice-secrétaire de ce tout jeune syndicat.

    Arrivée du Cameroun il y a une quinzaine d’années, âgée de 45 ans, elle a eu la chance de tomber sur une «  dame très correcte  » qui lui a accordé beaucoup de liberté. «  Je suis privilégiée par rapport aux autres, et cette liberté me permet d’être à l’écoute de mes camarades. De les recevoir chez moi. Ainsi suis-je devenue le leader de ma communauté. Avant la création de ce syndicat, je ne savais pas à qui ni où transmettre les multiples plaintes que je recueillais. C’est bien d’assurer un espace d’écoute, ça aide les employées à évacuer leurs souffrances, mais la loi est plus que nécessaire. C’est le seul garant de nos droits. Si la loi existe, je ne suis pas sûre que les gens se permettront de se comporter comme ils le font. La plupart des femmes arrivent au Liban sans savoir vraiment ce qui les attend. On nous promet du travail au Liban et on découvre les conditions ici. On tombe dans le bain. Tout ce qui nous souhaitons dans la création de ce syndicat c’est de nous rendre visible, de montrer que nous existons. Le Liban doit ratifier la convention de L’OIT1  !  »

    Cependant, en l’absence de reconnaissance institutionnelle, la souffrance que crée la servitude reste une plaie ouverte. Le ministère du travail refuse de légaliser le syndicat, ignorant la demande envoyée en janvier. Farah Salka, la coordinatrice générale de l’Anti-racism Movement (ARM) condamne le mépris du ministre actuel, Sejaan Azzi qui, dit-elle «   nous reçoit avec des insultes et des agressions verbales alors qu’il est censé, en tant que ministre, défendre les droits des employées… Il les terrorise  ! Je ne comprends pas sa réticence. C’est dans son intérêt de répondre à leurs réclamations parce que le syndicat existe, qu’il le veuille ou non.  »

    Lutter contre l’isolement du plus grand nombre

    Mais cette minorité de travailleuses domestiques cache difficilement la majorité silencieuse qui souffre d’un isolement parfois poussé à l’extrême, qui ruine leur santé mentale. Les suicides se multiplient. Les ambassades des pays fournisseurs de main d’œuvre ne soutiennent pas leurs ressortissantes. Certaines femmes sont privées de nourriture, battues, agressées sexuellement pendant des mois par leur patron2. Une jeune femme sauvée par l’association Kafa a ainsi été exploitée sexuellement par sa patronne qui l’a vendue à plusieurs hommes. Certaines se font traiter injustement de voleuses pour éviter à la fin du contrat de payer à l’employée le billet d’avion de son retour. Et quand elles souffrent de problèmes de santé graves, elles ne peuvent bénéficier d’aucun soin.

    De toutes les histoires recensées et subies, c’est la xénophobie qui fait le plus souffrir. Certaines femmes subissent des humiliations totalement gratuites, une surcharge de travail parfois inutile et épuisante. Privées d’intimité, il arrive qu’elles n’aient pas de chambre à elles  ; elles couchent alors dans la cuisine, le séjour, sur des lits pliants ou dans des balcons minuscules transformés en «  chambres de bonne  ». Les toilettes sont le seul lieu où il existe une porte qu’elles peuvent fermer. Rose a d’ailleurs refusé mon invitation à aller prendre un café sur la terrasse en face. Nous sommes restées debout sur le trottoir. «  Vous savez pourquoi j’évite d’aller dans des cafés  ?  », me dit-elle à la fin de l’entretien. «  Quand j’entends “hiye chou badda”, c’est-à-dire “qu’est-ce qu’elle veut commander  ?”, ça m’énerve  ! Le reste je m’en fous, on peut me cracher dessus dans la rue. Je lave à l’eau et ça part. Mais quand on parle de moi à la troisième personne, ça m’énerve  ! Je ne peux plus entendre ce mot de “hiye”.

    Dépersonnalisées et chosifiées, elles sont interdites de vie privée. L’argument qui revient souvent quand on interroge les familles qui défendent à leur employée de sortir seule est la peur «  qu’elle se lie à des hommes et qu’elle ramène des maladies  ». Le mépris social se superpose au mépris raciste. En marge des clichés les plus éculés (la laideur et la saleté), on interdit à l’employée toute sexualité afin d’éviter un contact avec une classe sociale inférieure et par conséquent jugée malsaine et porteuse de maladies.

    Autre interdit raciste et paradoxal : l’accès aux piscines et aux plages privées, de peur qu’elles ne «  salissent l’eau  » alors que par ailleurs ce sont elles qui cuisinent et qui donnent à manger aux enfants.

    La kafala infantilisante et esclavagiste

    La kafala3 légalise ce système esclavagiste qui déshumanise les employées. «  Il ne peut plus être maintenu, réplique Farah Salka. Ce “garant”, s’il devient l’agresseur, l’agressée ne peut pas porter plainte contre lui. Il faut trouver un autre moyen  ! La législation du travail au Liban — qui n’a pas bougé depuis l’indépendance en 1943 et qui nécessite des soins intensifs en grande urgence — ne prend pas en compte ces deux cent mille travailleuses immigrées. Le modèle libanais datant du mandat n’est pas le meilleur droit du travail au monde, mais au moins il comporte quelques bases essentielles, parmi lesquelles la limitation des heures de travail, les congés annuels, le congé de maternité, la possibilité de démissionner.  »

    Plus on s’éloigne de Beyrouth, plus ces personnes sont isolées, voire séquestrées. Les réseaux sociaux ont beaucoup contribué à sociabiliser les plus isolées et les plus vulnérables quand elles bénéficient du «  luxe  » d’y accéder. C’est ainsi que Tabel, atteinte de tuberculose, enfermée dans le local à poubelle de l’agence de recrutement alors qu’elle crachait du sang a pu alerter une amie grâce à des textos envoyés via un téléphone portable. C’est pour répondre à cet isolement que le Migrant Community Center (MCC) prépare l’ouverture d’une antenne à Jounieh et une autre à Saida.

    Face au désintérêt total et à l’abandon par les ambassades de leur ressortissants, le MCC, créé il y a trois ans en collaboration avec ARM assure un espace de formation, des cours de langues, des ateliers de toutes sortes (musique, yoga, couture), organise des rencontres, des réunions, des fêtes d’anniversaire, de mariage... Le centre met sur pied également des excursions, et certaines émigrées vivant au Liban depuis dix à vingt ans découvrent pour la première fois de leur vie d’autres villes que la capitale où elles résident.

    Reproduction des inégalités de genre

    Je demande à Rose de me parler de ses projets d’avenir. Elle respire profondément et me répond sans hésiter : «  rentrer chez moi et voir grandir mes petits-enfants.  ». Au sacrifice de leur propre vie de famille qu’elles ont quittée en abandonnant leurs enfants pour partir élever ceux des autres, ces travailleuses assurent d’une certaine façon un équilibre au sein des couples libanais. Le poids des traditions est en effet lourd pour une génération «  mondialisée  » et voyageuse et les repères difficiles à trouver.

    Les Libanaises refusent à présent de reproduire le schéma maternel et d’assurer les tâches domestiques, mais les hommes se croient «  dévirilisés  » quand ils sont sollicités. L’employée de maison est le remède contre les tensions que peuvent générer dans un couple les tâches ménagères. Dans la mesure où c’est un domaine classiquement réservé aux femmes et confondu avec le travail gratuit que nécessite l’épuisant et contraignant entretien des maisons, les choses se gèrent entre femmes. La violence que les femmes employeuses font subir à leurs employées égale en puissance celles qu’exercent les hommes sur leurs femmes au Liban.

    La reproduction des inégalités de genre est de ce fait déléguée aux femmes dans le secret des foyers, au sein de ce «  triplet  » partageant le même toit (les travailleurs immigrés de sexe masculin, pour leur part, ne sont jamais séquestrés à l’intérieur des maisons malgré des conditions de vie précaires). Les femmes libanaises n’ont en général pas accès à la politique  ; ou alors il s’agit de remplaçantes d’hommes absents, d’épouses, de filles ou de sœurs de personnalités politiques assassinées. Elles ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leurs époux et à leurs enfants, elles ne peuvent pas léguer leurs biens en héritage. Quand elles sont victimes de viols ou de violences conjugales, elles ne sont pas protégées par la loi. Que dire dès lors du sort réservé à des étrangères n’appartenant à aucune des communautés composant le pays, coupées de leur famille, abandonnées par leurs ambassades et non reconnues par l’État du pays qu’elle habite  ?

    Rita Bassil 13 mai 2015
     
     
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