Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 5

  • Après Salah Hamouri, sa femme et leur enfant frappés par l’arbitraire israélien ! (Ujfp)

    SALAH-HAMOURI.jpg

    L’information connue de certains était restée jusqu’ici secrète.

    Jean-Claude Lefort, ancien député communiste a décidé de monter au créneau.
    "Décidément, on ne laissera pas tranquille Salah Hamouri", dénonce - t-il dans un communiqué. "Mais cette fois le cynisme est absolu : c’est sa femme, Elsa Lefort, enceinte de leur enfant, qui a été refoulée d’Israël !", continue M. Lefort, le père de cette jeune femme.

    Munie d’un visa délivré par les autorités israéliennes valable jusqu’en octobre 2016, elle a été refoulée à l’arrivée à Ben Gourion, après deux jours et nuits d’emprisonnement, au motif, non prouvé bien évidemment, que le Shin Beth la considérait comme une personne dangereuse pour la sécurité d’Israël et même terroriste !

    Pour signer la pétition

    Enceinte de plus de 6 mois, elle ne pourra plus prendre l’avion d’ici trois semaines. Le fait que l’enfant naisse à Jérusalem et non à Paris a son importance pour l’avenir de celui-ci.

    C’est pourquoi cet appel en urgence qui est adressé à des parlementaires et à des personnalités, appel destiné à soutenir les efforts effectués vers les autorités françaises qui, dans des circonstances parallèles, ne sont pas restées inactives pour aider nos compatriotes victimes d’arbitraire.

    Merci de diffuser auprès d’autres collègues et de retourner votre signature, si vous êtes d’accord naturellement, à : soutien.salah.elsa@gmail.com

    Bien cordialement,

    Jean-Claude Lefort lundi 18 janvier 2016

    Pour signer la pétition

    Après Salah Hamouri, sa femme et leur enfant frappés par l’arbitraire israélien !

    L’acharnement israélien contre Salah Hamouri continue obstinément. Trois ans après qu’il soit sorti de prison où il a passé 7 ans de sa jeune vie, sur la base d’un dossier vide, les dirigeants israéliens le poursuivent pour l’empêcher d’avoir une vie normale sur la terre où il est né : en Palestine. Des ordres militaires succèdent aux ordres militaires restreignant sa liberté de mouvement et d’études, cherchant à l’empêcher de vivre « normalement ».

    Et maintenant, en plus de ces attaques contre lui, c’est sur sa femme, enceinte de 6 mois et demi, que les foudres viennent de tomber brutalement, cyniquement, sans la moindre humanité, et en toute illégalité, en ce début 2016.

    Salah Hamouri et Eisa Lefort se sont mariés en mai 2014. A Jérusalem. Ceci après mille tracasseries administratives, résultats du fait que Jérusalem-Est, où ils habitent, est annexée illégalement et sous juridiction israélienne. Normalement, ce mariage étant dûment acte et enregistré, Eisa aurait du recevoir un « visa épouse » lui permettant de voyager librement non seulement en Israël et en Cisjordanie mais aussi l’autorisant à sortir pour aller à l’étranger et en rentrer. Demande a été faite pour ce visa et un premier refus est tombé après plus d’un an de démarches. Motif : « Votre mari est un danger pour Israël » et donc pas de visa pour vous ! Appel, rendant suspensive cette décision, a été fait. Eisa se trouvant néanmoins limitée dans ses mouvements et ne pouvant pas circuler à l’étranger sous peine d’être interdite d’entrée.

    Eisa travaille pour le Consulat général de France à Jérusalem et à ce titre elle a obtenu un « visa de service » délivré par le Bureau des Affaires Consulaires du Ministère des Affaires étrangères israélien lui permettant d’aller et venir sur place et à l’étranger, valable jusqu’au 12 octobre 2016.

    Le 21 décembre 2015, utilisant cette possibilité légale, elle est venue en France. Elle en est repartie le 5 janvier. Et à l’arrivée à l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv le 5, en milieu de journée, le cauchemar a commencé.

    Les autorités israéliennes l’attendaient avec un plan sordide, calculé à l’avance. Ils contestèrent la validité du visa de service au prétexte qu’elle n’avait pas de « visa épouse ». Ils la mirent en prison deux jours, sans le moindre ménagement malgré sa grossesse visible.

    Avec l’aide d’un avocat dépêché sur place, elle fit appel de cette décision inique. Réponse ? Cette fois ce n’était plus seulement son mari mais c’était elle-même qui était « dangereuse » aux yeux des autorités israéliennes ! Ceci étant écrit par le « juge » sous la dictée du Shin Beth lequel affirmait, sans la moindre preuve évidemment et pour cause, ce mensonge total aboutissant néanmoins à un déni de droit et à un arbitraire absolu. Elle fit de nouveau appel le lendemain, soit le 7 janvier, et la réponse du « tribunal » fut identique : « Vous êtes une terroriste » ! Ni plus ni moins. En conséquence. Eisa fut expulsée du territoire avec impossibilité, à l’heure qu’il est, d’y retourner.

    Eisa enceinte de 6 mois et demi ne pourra plus prendre l’avion d’ici 3 semaines. L’enfant « risque » donc de naître en France et ne pas avoir le « statut » de Jérusalémite ce qui sera d’emblée un obstacle pour lui pour son devenir.

    Il faut absolument empêcher ce terrible déni de justice et cet arbitraire inacceptable qui s’abat désormais sur la femme de Salah et sur leur enfant avant même qu’il ne soit né - un arbitraire qui ne repose sur strictement rien d’autre que des mensonges inventés de toute pièce par les services secrets israéliens.

    Nous en appelons avec force aux autorités françaises : la « justice » n’a rien à voir dans cette situation qui n’est en rien un « affaire intérieure » à Israël. Tout le stratagème cynique israélien est politique et il n’est rien d’autre. C’est la politique qui doit régler cette situation afin que Salah, Eisa et leur enfant puissent vivre ensemble, tous les trois, à Jérusalem et puissent circuler librement.

    Nous en appelons aux soutiens des élu-e-s et personnalités de toutes tendances, aux citoyen-ne-s, pour relayer cette exigence et soutenir les droits de cette jeune famille tels qu’en dispose les Conventions internationales. Israël ne peut pas ne doit pas, être au dessus des lois et du droit ! La liberté est universelle ou elle n’est pas.

    Justice et liberté pour Salah, Eisa et leur enfant !

    Contact : soutien.salah.elsa@gmail.com

     
     
  • Solidarité avec Ashraf Fayad (Afps)

    "Je suis l’expérience de l’enfer sur la planète Terre".Retour ligne automatique Le poète palestinien Ashraf Fayad a été condamné à mort pour "apostasie" par des juges d’Arabie saoudite. Il lui est notamment reproché d’avoir publié un recueil de poèmes en 2007, "Instructions internes", qui contiendrait des poèmes athées. (Cette condamnation à mort intervient après une première condamnation à quatre ans de prison et 800 coups de fouets).

    Nous vous invitons à participer à la soirée de solidarité en sa faveur qui se tiendra le jeudi 21 janvier 2016, à 20 heures au théâtre Toursky (espace Léo Ferré).

    Cette soirée est co-organisée par l’association le Scriptorium, le Théâtre Toursky, l’Union des Poètes & cie, la revue des Archers.

    Au cours de ce temps de solidarité, des poètes et des artistes français et étrangers liront des poèmes de Fayad Ashraf, ainsi que des poèmes en rapport avec le sujet, ponctués par des moments musicaux.

    Cette réunion s’inscrit dans une succession de manifestations qui ont eu lieu et vont se dérouler dans d’autres villes de France et régions du monde : Maison de la Poésie de Paris, Berlin, Strasbourg, Montréal...

    L’objectif de cette soirée est triple :

    - sensibiliser le public le plus large à cette cause pour faire annuler la sanction

    - témoigner de l’aspect irréductible de la parole poétique sous toutes les latitudes et dans toutes les sociétés humaines

    - envoyer à Ashraf Fayad le signe d’une présence solidaire en poésie

    La communauté poétique et littéraire a répondu favorablement à notre initiative.

    Nous avons à ce jour reçu le soutien des institutions suivantes : La Maison des Écrivains et de la Littérature, Le Printemps des Poètes, la Biennale des Poètes, les Amis de Richard Martin, le P.E.N. Club français, la Société des Gens de Lettres, le CipM, the World Poetry Movement.

    Pour rappel, une pétition en faveur d’ASHRAF FAYAD est en ligne sur change.org. Chacun peut, chacun doit la signer !

    Dominique Sorrente, président du Scriptorium et représentant de l’Union des Poètes & cie - Richard Martin, directeur du théâtre Toursky et directeur de la publication de la revue des Archers

    Association le Scriptorium, Théâtre Toursky, Union des Poètes & cie et revue des Archers - Marseille, jeudi 21 janvier 2016

    http://www.france-palestine.org/Solidarite-avec-Ashraf-Fayad

  • Yennayer ‘zo bet lidet ! (Le Peuple breton)

    fest-noz

    Pedet e oa mouezh-aotreet an UDB, Nil Caouissin, da lidañ ar bloavezh nevez (Yennayer) gant ar Gabiled e Roazhon. Un nozvezh leun a blijadur e koun Lounès Matoub. Ur varzhoneg skrivet e 1995 gant Fañch Péru, ezel eus an UDB, zo bet distaget gant Nicole Logeais ha Nil Caouissin ivez. Amañ eo kinniget deoc’h ar brezegenn en deus lennet Nil Caouissin evit ar gouel-se.

    Azul fellawen
    Demat d’an holl

    Ho trugarekaat a ran da vezañ pedet ac’hanon da lidañ Yennayer amañ ganeoc’h. E-pad pell em eus bevet e-maez eus Breizh. Gouzout a ouzon pegen talvoudus eo en em gavout a-wechoù gant ar re a zo perzh eus an hevelep sevenadur. Enoret on o tremen ar mare-se en ho touez.

    Un dra voutin hon eus d’an nebeutañ : Breizhiz kenkoulz ha Berbered, ur sevenadur pobl hag ur yezh hon eus ha ne fell ket deomp asantiñ koll anezho. Ne gred ket deomp e vefe ret bezañ heñvel evit bezañ kevatal ; ar c’hontrol eo, n’eus kevatalded ebet pa vez rediet ur bobl da zont da vezañ heñvel ouzh an trevadennour evit kaout gwirioù. Atav eo bet Unvaniezh Demokratel Breizh a-du gant ar pobloù minorel o stourm. En Istanbul e oan ma-unan e miz Du, e-kerzh an dilennadegoù evel enseller etrebroadel galvet gant an HDP.

    Ganeoc’h ivez hon eus liammoù abaoe pell. Ur chañs eo evidomp kaout ac’hanoc’h e Breizh en hor c’hichen. Diskouez a ra deomp n’omp ket hon-unan ha pegen hollvedel eo ar stourm evit an emrenerezh ha liesseurted ar sevenadurioù. Ur stourm evit an denelezh eo, estreget evit ur bobl bennak.

    Pa weler e klask gouarnamant Bro-C’hall lakaat an dud da veskañ an divvroadourien hag ar spontourien eo pouezusoc’h c’hoazh eget da gustum tremen mareoù evel-se ganeoc’h, ha kaout soñj eo ur gaou lavaret e vefe eus ur brezel etre ar sevenadurezhioù, rak e pep bro, e pep pobl, e vez kavet demokratourien ha faskourien, n’eus forzh peseurt levr e implijfent, ar C’horan pe unan all. An estren nemetañ a anavezomp eo an hini a nac’h ouzhimp ar gwir da vezañ disheñvel dioutañ. 17 janvier 2016

    Assegwas Amaggas

    Tanemirt

    Allocution de L'UDB, au Nouvel an Kabyle, Rennes

    http://lepeuplebreton.bzh/2016/01/17/yennayer-zo-bet-lidet/

  • Trois appréciations différentes de l’Etat islamique (Al'Encontre.ch)

    maxresdefault.jpg

    La plupart des personnes préfèrent se référer encore à l’auto-proclamé Etat islamique en utilisant l’acronyme de son nom précédent: ISIS [en anglais pour Etat islamique en Irak et en Syrie] – ou, plus exactement, «al-Sham», Grande Syrie – traduit approximativement par certains par «le Levant», l’acronyme devenant ainsi ISIL.

    • Au sujet de ce dénommé ISIS près de quarante livres (et ce n’est pas fini) ont été jusqu’ici publié en anglais dont les trois qui sont ici l’objet d’un compte rendu figurent parmi ceux qui se vendent le mieux au Royaume-Uni.

    Sur ces trois, celui de Patrick Cockburn est le plus ancien et l’un des premiers livres consacrés à ISIS. Publié originellement en 2014 sous le titre The Jihadis Return, puis à nouveau, en une édition mise à jour, sous le titre mentionné ci-dessus. Ce petit livre récapitule les opinions que cet auteur développe dans sa couverture des événements en Irak et en Syrie pour le quotidien britannique The Independent. Il est écrit dans un style journalistique tout à fait lisible par un auteur qui est familier avec cette partie du monde qu’il couvre depuis de nombreuses années (en particulier l’Irak). Le livre continent toutefois fort peu de références pour soutenir ces nombreuses affirmations qui ne proviennent pas de ses propres témoignages, lesquels sont dans l’ensemble assez anecdotiques.

    • Ce qui est pourtant le plus contestable dans ce livre relève du fort parti pris politique de son auteur, lequel transpire à la fin de la préface où Cockburn cite la déclaration de Joe Biden [vice-président des Etats-Unis] au sujet de l’absence de civils du «centre modéré» dans les rangs de l’opposition syrienne exclusivement composée de «soldats» selon le vice-président américain. Biden tentait de justifier le refus de l’administration américaine de fournir à l’opposition syrienne les armes défensives [surtout après août] qu’elle réclamait, principalement des armes antiaériennes et antichars. Le commentaire immodéré de Patrick Cockburn au sujet de la déclaration de Biden est très éloquent: «rarement les forces réelles à l’œuvre dans la création d’ISIS et la crise actuelle en Irak et en Syrie n’ont été aussi précisément décrites».

    Les lecteurs familiers avec la région sauront ce qu’il faut dorénavant attendre du livre. En effet, quelques pages plus loin, Cockburn cite un «agent des renseignements d’un pays voisin» anonyme (manifestement l’Irak, dont le gouvernement dominé par l’Iran soutient la Syrie d’Assad), selon lequel ISIS se réjouit lorsque des armes sophistiquées sont envoyées à des groupes opposés à Assad car il peut toujours les obtenir par la force ou par l’argent.

    Dans le même esprit, Cockburn explique qu’il ne pouvait voler directement vers Bagdad au cours de l’été 2014 car, lui a-t-on dit, ISIS avait des lance-roquettes antiaériens (qui se portent sur l’épaule) «destiné à l’origine à des forces opposées à Assad en Syrie» – une déclaration qui est fausse à double titre. Tout d’abord, parce que de telles armes n’ont pas été acheminées à des forces opposées à Assad en Syrie; ensuite, parce que les armes les plus sophistiquées qu’ISIS est parvenue à s’approprier sont celles qui ont été fournies par les Etats-Unis à l’armée irakienne, laquelle les a abandonnées de manière vile lors de la débâcle de l’été 2014.

    • Ce récit fallacieux est rejoint ensuite par une affirmation très discutable: «le consensus des gouvernements et des médias en Occident est que la guerre civile en Irak a été ravivée par les politiques confessionnelles de Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, à Bagdad. En réalité, c’est la guerre en Syrie qui a déstabilisé l’Irak…» Cette affirmation s’oppose au fait bien connu que l’ample mouvement de protestation qui a débuté dans les régions arabes sunnites en 2012 et qui a posé les jalons de l’expansion d’ISIS qui a suivi dans ces mêmes régions n’avait rien à voir avec la Syrie mais plutôt avec la direction confessionnelle prise par Nouri Mohammed Hassan al-Maliki [Premier ministre de 2006 à 2014 ; et vice-président en 2014-2015|, qui a été accélérée dès que les dernières troupes américaines ont quitté l’Irak.

    • La vérité est que Cockburn peut difficilement masquer son mépris pour les Arabes sunnites d’Irak, qu’il met tous dans le panier de la catégorie homogène «les sunnites» faisant face à des «shiites» non moins homogènes. Il nous affirme donc que «les sunnites» seront «de manière peu probable satisfaits» par l’autonomie régionale ainsi qu’une plus grande part d’emplois et de revenus pétroliers. Ils ne seront, selon lui, pas satisfaits par moins qu’une «contre-révolution pleine et entière dont l’objectif est de reprendre le pouvoir dans l’ensemble de l’Irak».

    On ne peut manquer de s’interroger sur comment un auteur informé comme Cockburn peut attribuer le fantasme d’une «frange agitée» des Arabes sunnites d’Irak à l’ensemble d’une communauté. Le fait est, toutefois, qu’il a pris ce fantasme comme un fait accompli dès lors qu’il affirme qu’à la suite de l’offensive d’ISIS en Irak, les dirigeants shiites «n’ont pas saisi que leur domination sur l’Etat irakien […] était terminée» et que «ne restait qu’une zone croupion shiite» – ce qui est en effet une déclaration exagérée surprenante.

    • Le biais de Patrick Cockburn est également flagrant au vu des deux poids, deux mesures dont il fait preuve lorsqu’il évalue les «théories du complot» selon leur provenance. Il écrit ainsi: «une théorie du complot que le reste de l’opposition syrienne ainsi que les diplomates occidentaux apprécient particulièrement, celle selon laquelle ISIS et Assad forment une ligue, s’est révélée fausse alors qu’ISIS remportait des victoires sur le champ de bataille». Remarquons en passant que Cockburn ne dit pas au lecteur par quelle logique les victoires d’ISIS sur le champ de bataille syrien signifient en elles-mêmes une réfutation de l’affirmation de l’opposition syrienne et des diplomates occidentaux que le régime Assad a favorisé l’établissement d’ISIS et son expansion en Syrie, afin d’affaiblir et de discréditer le soulèvement syrien. Cette affirmation a été faite à la lueur d’une conviction répandue selon laquelle les services de renseignement d’Assad ont manipulé des djihadistes d’Irak depuis que les Etats-Unis ont occupé ce pays en 2003.

    • Quoi qu’il en soit, le rejet catégorique cité ci-dessus de cette «théorie de la conspiration» contraste fortement avec l’indulgence dont témoigne Cockburn vis-à-vis d’une seconde «théorie» qui reçoit les suffrages du bord opposé. Se fondant sur l’allégation, qu’il attribue à nouveau à «une source de haut niveau irakienne»,  que la résurgence d’ISIS a été aidée par les services de renseignement militaires de Turquie, Cockburn écrit ceci: «cela pourrait être rejeté comme une théorie de plus du complot moyen-orientale, mais un trait des mouvements de type djihadiste tient dans l’aisance par laquelle ils peuvent être manipulées par les services de renseignement étrangers». En résumé, la facilité par laquelle ISIS peut être manipulée par les services secrets ne s’applique, dans la conception de Cockburn, qu’aux services turcs et non pas aux syriens!

    • Le mépris de Cockburn envers les Arabes sunnites d’Irak est en relation avec l’aversion dont il témoigne vis-à-vis d’autres composantes de ce qu’il appelle «la nouvelle révolution sunnite», c’est-à-dire l’opposition syrienne. Son résumé de la tragédie syrienne est d’une partialité sans vergogne envers cette dernière: «les Syriens doivent choisir entre une dictature violente, au sein de laquelle le pouvoir est monopolisé par la présidence et ses brutaux services de sécurité, ou une opposition qui tire dans la tête d’enfants pour des blasphèmes mineurs et qui envoie des images de soldats décapités aux parents de leurs victimes». Avec une telle description hobbesienne [Thomas Hobbes, auteur de Leviathan en 1651] des options en présence, où les atrocités et les crimes contre l’humanité réalisés par le Léviathan syrien – composé du spectre complet des forces armées d’Assad et de leurs alliés – sont oubliés avec complaisance alors que l’opposition est réduite à des tueurs d’enfants. Et cela alors que le régime syrien a tué bien plus d’enfants que l’opposition, toutes tendances confondues. De cette façon l’auteur ne dissimule en aucune mesure son choix personnel.

    • La mansuétude de Cockburn envers le régime Assad l’amène même à trouver «une certaine vérité» à l’un des mensonges les plus flagrants de ce dernier au sujet des manifestations pacifiques de mars 2011: «le gouvernement insiste sur le fait que les manifestations n’étaient pas aussi pacifiques qu’elles semblaient l’être et qu’à un stade précoce, leurs forces ont été soumises à des attaques armées. Il y a une certaine vérité à cela, mais si l’objectif de l’opposition était de piéger le gouvernement en une réponse punitive contre-productive, elle a réussi au-delà de ses rêves».

    Ainsi, Patrick Cockburn va jusqu’à donner du crédit à un argument familier de tous les régimes autoritaires qui font face à des mobilisations populaires, un argument qui est lui-même ancré dans les «théories du complot». Il affirme que «les révolutionnaires de 2011 avaient de nombreux défauts mais ils se sont montrés très compétents dans l’influence sur et la manipulation de la couverture médiatique. La Place Tahrir au Caire et, plus tard, la Place Maidan à Kiev sont devenus les arènes d’un mélodrame où se jouait, devant les caméras de télévision, l’affrontement du bien contre le mal.»

    En conclusion, Patrick Cockburn rend responsable les Etats-Unis de «se dérober face à la fourniture d’une aide militaire à ceux qui combattaient ISIS, tel que l’armée syrienne», ce qui signifie, bien entendu, l’armée du régime Assad. Ainsi, à la différence des cercles «anti-impérialistes» viscéralement opposé à toute forme d’intervention des puissances occidentales dans toute situation, au point qu’ils élèvent ce principe au rang d’un tabou religieux, et qui citent abondamment Cockburn au sujet de la Syrie, le reporter de l’Independent souhaite quant à lui que Washington soutienne le régime Assad. «Si les Etats-Unis avaient été sérieux dans leur combat contre les djihadistes extrémistes, ils se seraient alors rendu compte qu’il n’y avait guère d’autre alternative», affirme-t-il. De tous les positionnements sur la Syrie, l’idée implique ici que le soutien au régime Assad serait la meilleure façon pour Washington de combattre ISIS – une organisation qui fleurit sur le ressentiment sunnite contre les deux gouvernements soutenus par l’Iran, ceux de Damas et de Bagdad, ainsi que contre les Etats-Unis – est assurément la plus absurde.

    • Ceux et celles qui sont intéressés à un travail sérieux sur toute cette question sans les défauts de Cockburn devraient lire le livre écrit par Michael Weiss et Hassan Hassan – de loin le meilleur consacré jusqu’à aujourd’hui à ISIS. Les deux auteurs sont, comme Cockburn, des journalistes et écrivent pour un grand nombre de publications. «Néanmoins», leur livre est une recherche sérieuse, fondée sur des entretiens avec de nombreux acteurs de l’ensemble des parties impliquées dans la tragédie ou qui sont concernées par celle-ci – de militaires américains en passant par des responsables (ou anciens responsables) irakiens et syriens ainsi que de membres d’ISIS – ainsi que de nombreux experts.

    Le livre s’appuie sur de nombreuses références, y compris une grande quantité de rapports d’agences gouvernementales à ceux d’organisations des droits humains. L’expérience des auteurs et leur familiarité avec la Syrie sont qualitativement différentes de celle de Cockburn. Pour reprendre leurs mots, «l’un des auteurs est né en Syrie dans la localité frontière d’Albu Kamal, qui a été un portail pour les djihadistes se dirigeant vers l’Irak et aujourd’hui en venant. Le second auteur a réalisé des reportages dans le quartier de banlieue al-Bab d’Alep, alors un berceau de la société civile indépendante et pro-démocratique de Syrie; c’est aujourd’hui un fief lugubre d’ISIS, régit par la sharia.»                     

    • Les premiers chapitres de leur livre, Weiss et Hassan décrivent la montée d’Al-Qaeda en Irak sur la toile de fond de l’occupation américaine désastreuse du pays; la radicalisation d’Al-Qaeda en un «Etat islamique d’Irak»; la marginalisation qui a ensuite été la sienne grâce à une modification de la stratégie américaine, consistant à coopter les tribus Arabes sunnites ainsi que la façon dont cette dernière a été compromise par la politique confessionnelle d’al-Maliki dès qu’il a été libéré des contraintes de l’occupation américaine. Ils explorent ensuite la duplicité du régime Assad dans ses relations avec l’Irak sous occupation américaine et la manière dont celle-ci a préludé l’émergence d’ISIS dans une Syrie déchirée par la guerre. Alors que les deux auteurs décrivent le rôle direct du régime Assad dans la constitution de ce que l’on pourrait appeler la «djihadisation» du soulèvement syrien ainsi que la façon dont le régime a attisé le confessionnalisme en déchaînant une milice confessionnelle criminelle très tôt, outre leur évaluation du rôle de l’Iran et de ses émanations régionales dans leur soutien à Damas, ils montrent également comment les monarchies du Golfe ont joué un rôle clé dans la promotion de cette «djihadisation». De même, ils expliquent comment la corruption de l’opposition syrienne par l’argent du Golfe a facilité la propagation d’un ISIS qui projetait l’image d’un «Etat» appliquant la loi et l’ordre. Ils décrivent les contours de ce prétendu Etat islamique et fournissent un aperçu de ses combattants ainsi que sur la manière dont ils sont recrutés.

    • Ce dernier aspect est central au livre de Jessica Stern, une chargée de cours étudiant le terrorisme à l’Université Harvard, et J. M. Berger, un journaliste qui a écrit sur les djihadistes américains. Bien qu’il soit relativement dense, leur livre consacré à ISIS aurait un choix parfait pour la collection Pour les nuls. Il se lit en réalité comme une instruction destinée aux politiciens et au personnel de sécurité américains qui auraient quelque difficulté à situer le Moyen Orient sur une carte mondiale. Les compléments inévitables de ce genre sont les suivants: un glossaire qui comprend des définitions de termes basiques ainsi que d’autres moins communs, un appendice rédigé par un doctorant qui offre un survol historique recouvrant les quatorze siècles entre la création de l’Islam et ISIS en 24 pages.

    Le libre de Stern et de Berg contient beaucoup de rembourrage: de nombreuses répétitions et, par exemple, de nombreuses pages qui résument des articles ou des vidéos produits par ISIS. Il dit peut de chose sur les contextes irakien et syrien ainsi que sur le rôle joué par l’occupation américaine dans l’émergence d’ISIS, comportant seulement une allusion au sujet de la «bourde» de 2003. Quelques aperçus intéressants, tels la comparaison entre ISIS et d’autres «marques» du terrorisme apocalyptique suscitent la frustration en raison de leur brièveté. Le livre s’achève avec le conseil politique des auteurs sur la manière permettant de s’opposer à la propagande d’ISIS, où n’sont pas absentes certaines platitudes tels que la déclaration suivante, figurant à la dernière page: «le roi Abdullah de Jordanie, qui s’est montré extraordinairement courageux, affirme que combattre ISIS requiert que le monde musulman agisse de concert». Silence ou soupir! (Traduction A l’Encontre; ce texte a été rédigé pour une revue académique. Les citations des ouvrages sont traduites à partir des ouvrages en anglais et non pas de leur version française pour les deux premiers).

    Alencontre le 18  janvier 2016 Par Gilbert Achcar
     
    • The Rise of Islamic State: ISIS and the New Sunni Revolution, par Patrick Cockburn. Verso. L’ouvrage a été publié en français avec comme titre: Le retour des djihadistes. Aux racines de l’Etat islamique. Ed. Equateurs Documents, 2014.
    • Isis: Inside the Army of Terror, par Michael Weiss et Hassan Hassan. Regan Arts. 270 pp. Publié en français par Hugo Document (octobre 2015)
    • ISIS: The State of Terror, par Jessica Stern et J.M. Berger. Ed. William Collins. 2015. (Non traduit)

    http://alencontre.org/societe/livres/trois-appreciations-differentes-de-letat-islamique.html

  • Maghreb-Proche-Orient, une dépendance alimentaire toujours plus impitoyable (Orient 21)

    Tunis, marché central. Alexandre Moreau, 2009.

    Poussée démographique fulgurante, production agricole poussive, meilleurs régimes diététiques ont provoqué une formidable hausse de la demande alimentaire qui a profité aux grands exportateurs internationaux. L’extérieur fournit déjà 45 % des besoins de la région ; cela pourrait monter à 70 % en 2050 si un changement radical n’intervient pas d’ici là.

    Plus de 40 % de sa consommation provient des marchés internationaux. Et, à l’horizon 2050, les choses pourraient s’aggraver encore, compte tenu notamment des changements climatiques. Une telle fragilité est devenue l’un des risques majeurs d’une région qui n’en manque pas.

    Les politiques de soutien pour contenir les prix à la consommation des produits de base atteignent déjà leurs limites budgétaires. En 2012, rappelle Sébastien Abis, secrétaire général du Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam), 40 milliards de dollars ont été consacrés aux subventions alimentaires dans la région. En Égypte, plus de 3 % du produit intérieur brut (PIB) sont mobilisés à cette fin1. Une importante étude de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra)2 menée pour le compte de Pluriagri3 contribue à clarifier ces enjeux. Une rétrospective portant sur la période allant de 1961 à 2011, publiée début 2015, a été suivie en octobre d’une étude prospective sur les trajectoires à l’œuvre à l’horizon 2050 et sur les possibilités de freiner l’accentuation de la dépendance de la région aux importations alimentaires.

    Une demande multipliée par six, une production qui ne suit pas

    Du côté de la demande, entre 1961 et 2011, l’explosion démographique s’est accompagnée d’une évolution sensible des régimes alimentaires. Le développement économique et les politiques de maintien à des niveaux bas des prix à la consommation ont permis un rapprochement avec les niveaux européens.

    La part des huiles végétales et des produit sucriers a augmenté. Mais le régime alimentaire de la région garde des traits spécifiques, comme la place importante des céréales, particulièrement du blé, et la faible part des produits animaux. Le poids relatif des produits laitiers recule cependant au profit de la viande de volaille et des œufs.

    Au total, la demande de produits agricoles a été multipliée par six en un demi-siècle.

    La production, quoique en augmentation spectaculaire, n’a pas pu suivre. La production animale, multipliée par cinq, soit une croissance de 50 % de la production par habitant, a suivi globalement la demande en volume. L’évolution structurelle s’est adaptée à celle de la demande. Elle suggère, selon les chercheurs de l’Inra, «  une remise en cause de la tradition pastorale de la région  ». Multipliée par quatre, la production végétale n’arrive à suivre la demande intérieure ni en volume, ni en structure. Les productions de fruits et légumes soutenues par les politiques publiques visent pour leur part principalement la demande extérieure. Cette limitation relative des performances des agriculteurs de la région tient d’abord aux contraintes qui pèsent sur les ressources naturelles. L’aridité est forte. Les terres cultivables et l’eau sont rares.

    Sur les 1 300 000 millions d’hectares que compte la région, 84 millions seulement sont cultivés, soit déjà plus que les terres considérées comme cultivables. Les surfaces équipées pour l’irrigation ont globalement doublé (de 15 à 30 %), mais la concurrence avec les usages industriels et urbains de l’eau est de plus en plus forte. Le seuil de 80 % d’utilisation des ressources renouvelables en eau est fréquemment atteint. Parfois c’est pire. L’étude rappelle les expériences de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis qui ont mis en place au cours des années 1980 et 1990, grâce à la rente pétrolière, des programmes d’agriculture «  clé en main  », irrigués par leurs ressources en eau souterraine. Ils ont dû être abandonnés «  du fait de restrictions budgétaires, mais aussi à cause de la concurrence exercée par les villes et les industries sur la ressource en eau  ».

    Les défaillances des politiques agricoles notamment en matière d’investissement ont aussi leur part. Les industries agroalimentaires ont été largement délaissées. Elles sont toujours constituées principalement de micro-entreprises, limitées à la première transformation et les investissements étrangers sont particulièrement faibles.

    Une dépendance multipliée par quatre

    Un recours de plus en plus massif aux importations comble le déséquilibre entre offre et demande. La dépendance alimentaire nette de la région est passée de 10 à 40 % en cinquante ans. Elle est devenue l’un des plus gros importateurs mondiaux de céréales. Les importations de blé sont passées de 5 à 44 millions de tonnes. Les autres produits phares des régimes alimentaires ne sont pas en reste. Le volume des importations de plantes sucrières a été multiplié par quinze, celui des produits oléoprotéagineux par trente.

    La région ANMO polarise ainsi le tiers des achats mondiaux de blé. Tous les pays exportateurs de produits alimentaires, notamment de blé, lorgnent dans sa direction pour leurs surplus. Les États-Unis, les pays de l’Union européenne, l’Australie ont été rejoints par le Brésil et par les riverains de la mer Noire (Russie, Ukraine, Roumanie). Du côté des acheteurs, chaque pays agit seul et l’hypothèse d’une organisation d’achats solidaires permettant une taille critique semble «  farfelue  » (Sébastien Abis). Certains pays du Golfe (Arabie saoudite, Émirats arabes unis et Qatar), développent cependant une stratégie d’influence par la mise en place de hubs (centres de tri et d’aiguillage de la marchandise) logistiques pour l’agroalimentaire de la région.

    Une calorie sur deux est importée

    Au-delà de ces caractéristiques communes, l’étude met en relief des différences importantes entre sous-régions et pays. La Turquie fait figure d’exception, aussi bien pour sa production végétale que pour son industrie agroalimentaire. Sa dépendance globale, quatre fois moindre que la moyenne régionale, n’a pas augmenté. Son autosuffisance est assurée pour de nombreux produits. La Turquie exporte une part non négligeable de sa production. Pour les chercheurs de l’Inra, «  cette force de l’économie agricole turque liée au succès des politiques d’intensification agricole lancées depuis les années 1950  » donne cependant des signes d’essoufflement.

    À l’inverse, les autres pays de la Méditerranée qui avaient également une dépendance alimentaire de 10 % importent maintenant une calorie sur deux. La productivité du travail agricole reste limitée, particulièrement au Maghreb (mais elle a triplé en Égypte). L’équipement pour l’irrigation est faible, à l’exception des cultures intensives de fruits et légumes, largement tournées vers l’exportation. Les gaspillages et les pertes sont importantes, faute d’équipements et d’entretien pour les réseaux, les moyens de conservation, la logistique. La transformation industrielle de l’agriculture est également particulièrement faible. Mais la population rurale reste nombreuse compte tenu de la faible capacité globale de l’emploi dans les autres secteurs. «  L’agriculture, expliquent les chercheurs de l’Inra, devient alors, et notamment pour les jeunes générations, une situation professionnelle subie, ce qui limite l’attrait des agriculteurs pour les innovations et la modernisation de la production agricole  ». Cette spirale négative est une cause majeure de pauvreté d’une grande partie du monde rural et renforce les inégalités de revenus entre ruraux et urbains.

    Perspective alarmante

    À partir de cette analyse rétrospective, les chercheurs ont simulé les évolutions tendancielles à l’horizon 2050. Elles montrent que la dépendance aux importations risque de s’accentuer, notamment si les effets du changement climatique se font plus prégnants.

    Du côté de la demande, les projections ont pris pour hypothèse la simple poursuite de la tendance passée d’évolution des régimes alimentaires. La population devrait pour sa part augmenter de 50 % environ4.

    Du côté de l’offre, la réponse peut venir de l’amélioration des rendements, de l’extension des terres cultivées ou de l’augmentation de la dépendance. Si les rendements ne sont pas améliorés, la stabilisation de la dépendance supposera une augmentation de 71 % des terres cultivées à l’horizon 2050. C’est évidemment impossible.

    Les tendances concernant les rendements illustrent le poids du facteur climatique. Si le changement est modéré, l’évolution prévisible des rendements n’empêcherait pas une augmentation globale de la dépendance. Mais pas partout. Au Maghreb la production pourrait croître plus vite que la demande. À l’inverse, le Maghreb et le Moyen-Orient seraient particulièrement pénalisés par une accentuation des changements climatiques. Dans ce scénario, en 2050, la dépendance approcherait 70 % au Maghreb, au Proche et au Moyen-Orient.

    Les leviers possibles

    L’étude prospective montre la crise de la productivité agricole. À l’exception de la Turquie, elle continuerait à stagner dans le scénario climatique favorable et baisserait même dans le scénario défavorable. «  Ce résultat, alertent les chercheurs, met en évidence la possibilité d’un maintien, voire d’un renforcement, de la pauvreté (relative ou absolue) en milieu rural dans les différentes zones de la région  ».

    L’étude teste l’impact de trois leviers utilisables pour infléchir ces tendances : le progrès technique pour accroître encore les rendements, une amélioration des régimes alimentaires et une limitation des pertes et gaspillages en ligne de la production à la consommation. Pris isolément, chacun de ces leviers aurait un impact relativement faible. Conjugués dans une réforme d’ensemble, qui suppose des politiques publiques ambitieuses et des investissements coûteux, leur impact serait évidemment démultiplié. Néanmoins, ces mesures se perdraient dans les sables en cas de réchauffement climatique accéléré. C’est pourquoi, conclut l’étude, «  le levier le plus efficace pour limiter cette dépendance serait d’œuvrer pour freiner ce changement global, objectif que seuls des accords internationaux et des politiques climatiques vigoureuses seraient en mesure d’atteindre  ».

    La contradiction avec des stratégies de développement dominantes dans la région qui restent axées sur l’extraction pétrolière et gazière est évidemment un obstacle majeur, comme on a pu le vérifier encore lors de la COP 215.

    1Sébastien Abis, Géopolitique du blé, Armand Colin, 2015.

    2Pauline Marty, Stéphane Manceron, Chantal Le Mouël, Bertrand Schmitt, Système agricole et alimentaire de la région Afrique du Nord - Moyen-Orient, Inra, décembre 2014.

    3Pluriagri est une association formée par des acteurs des grandes cultures (Avril, Confédération des planteurs de betteraves, Unigrains) et par le Crédit agricole SA pour mener des études prospectives sur les marchés ou les politiques publiques.

    4La population de l’ANMO passerait de 460 millions d’habitants en 2008 à 700 millions en 2050

    5Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, Paris, décembre 2015.

    http://orientxxi.info/magazine/maghreb-proche-orient-une-dependance-alimentaire-toujours-plus-impitoyable,1144

  • Tunisie. Des actes de torture et décès survenus en détention font craindre un recul des gains obtenus après le soulèvement (Amnesty)

    tun.jpg

    De nouveaux éléments recueillis par Amnesty International, faisant état de cas de torture et de morts en détention, semblent indiquer la reprise d’une répression brutale, cinq ans après le renversement du précédent régime autoritaire par la « révolution de jasmin », point de départ d’une vague de soulèvements à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

    Lors d’une mission en Tunisie en décembre 2015, des représentants d’Amnesty International ont recensé plusieurs décès en garde à vue, ainsi que des allégations de torture durant des interrogatoires de police.

    « Il y a cinq ans, les Tunisiens se sont soulevés et ont rejeté les entraves de l’autoritarisme. Le régime de l’ancien président Ben Ali reposait notamment sur la torture et la répression ; celles-ci ne doivent pas devenir des caractéristiques de la Tunisie de l’après-soulèvement », a déclaré Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

    Selon des informations reçues par l’organisation, au moins six décès sont survenus en détention depuis 2011 dans des circonstances n’ayant pas donné lieu à de véritables enquêtes, ou n’ayant pas débouché sur des poursuites pénales lorsque des enquêtes ont eu lieu.

    Sofiene Dridi a été arrêté à son arrivée à l’aéroport de Tunis le 11 septembre 2015, après avoir été expulsé par la Suisse. En 2011, les autorités tunisiennes avaient émis un mandat d’arrêt contre lui pour agression violente.

    Sofiene Dridi a comparu le 15 septembre en bonne santé et a été transféré à la prison de Mornaguia après l’audience. Le 18 septembre, sa famille a été informée qu’il avait été conduit à l’hôpital. Ses proches lui ont voulu lui rendre visite mais le personnel médical a affirmé ne rien savoir. Lorsqu’ils se sont adressés au tribunal pour essayer d’obtenir de plus amples informations, on leur a dit qu’il était mort d’un arrêt cardiaque. Après avoir vu son corps à la morgue, ses proches ont signalé que son visage et son corps présentaient des hématomes. Son certificat de décès était daté du 17 septembre. À ce jour, sa famille attend encore de connaître tous les détails relatifs à la cause de sa mort.

    Amnesty International a par ailleurs reçu des informations sur des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements infligés à des personnes, y compris des femmes, incarcérées l’an dernier après leur arrestation sur la base d’accusations de terrorisme.

    D’après certains témoignages, des détenus ont été soumis à des décharges électriques, notamment sur les parties génitales, et ont été maintenus dans la position douloureuse dite du « poulet rôti », dans laquelle poignets et chevilles sont attachés à un bâton. Certains ont également été giflés ou forcés à se déshabiller, et leurs geôliers ont proféré des menaces contre leur famille afin de les forcer à signer de faux aveux.

    Amnesty International demande que l’ensemble de ces allégations fassent l’objet d’enquêtes indépendantes, que les résultats de celles-ci soient rendus publics, et que lorsqu’il existe suffisamment d’éléments à charge recevables contre une personne, celle-ci soit poursuivie. Dans les cas de mort en détention, l’enquête doit inclure une autopsie réalisée en bonne et due forme par un médecin légiste indépendant et impartial.

    « Trop peu a été fait pour réformer les forces de sécurité et pour amener les auteurs présumés de ces actes à rendre des comptes », a déclaré Said Boumedouha.

    « S’il est compréhensible que la sécurité est une priorité pour le gouvernement, compte tenu des attaques ayant ébranlé la Tunisie ces 12 derniers mois, il ne faut pas l’utiliser comme prétexte à un retour en arrière sur les modestes avancées obtenues sur le terrain des droits humains depuis le soulèvement. »

    Ces cinq dernières années, les Tunisiens ont adopté une nouvelle constitution comportant d’importantes garanties en matière de droits humains, ratifié des traités internationaux cruciaux pour la protection de ces droits, et organisé des élections présidentielles et législatives, tandis que les groupes de la société civile n’ont eu de cesse de se renforcer, après des années de répression sous le régime Ben Ali.

    Pourtant, au cours de l’année écoulée, les autorités ont adopté au nom de la sécurité une série de mesures inquiétantes qui pourraient mettre ces progrès en péril.

    Une nouvelle loi de lutte contre le terrorisme adoptée par le Parlement en juillet 2015 donne une définition trop large du terrorisme. Elle donne aux forces de sécurité des pouvoirs de surveillance très étendus, et a prolongé la période durant laquelle les forces de sécurité peuvent maintenir des suspects en détention au secret, la faisant passer de six à 15 jours, ce qui augmente considérablement le risque de torture.

    En novembre dernier, l’état d’urgence a été décrété pour la deuxième fois en 2015, après une attaque meurtrière contre des membres de la garde présidentielle à Tunis. C’est dans ce cadre que les autorités ont mené des milliers de descentes et d’arrestations, et placé des centaines d’autres personnes en résidence surveillée.

    Des parents de personnes recherchées pour terrorisme ont parlé à Amnesty International du harcèlement constant que leur font subir les forces de sécurité. Un homme de 65 ans dont le fils est un fugitif recherché sur la base d’accusations de terrorisme a déclaré que des membres des forces de sécurité enfoncent les portes du domicile familial presque toutes les nuits. Il a expliqué à quel point ces irruptions sont effrayantes pour les occupants de la maison, qui incluent ses deux autres fils, dont l’un présente des troubles mentaux, et deux petits-enfants en bas âge. Il a ajouté que des membres de la famille ont été convoqués à plusieurs reprises pour répondre à des questions, et que ses deux autres fils ont été frappés par des policiers lors de leurs interrogatoires.

    D’autres personnes ont parlé à Amnesty International de visites quotidiennes de policiers qui enfoncent des portes, volent parfois des effets personnels, et compliquent le quotidien de membres de ces familles qui travaillent et veulent une vie normale.

    Des personnes ont également indiqué avoir été abordées à maintes reprises par des policiers dans la rue. Un homme a dit avoir été questionné et arrêté plusieurs fois à cause de sa barbe. À une occasion il a été forcé à descendre d’un bus et interrogé au sujet de ses convictions et pratiques religieuses.

    Des lois limitant de manière arbitraire la liberté d’expression sont toujours en vigueur en Tunisie, et des personnes formulant des critiques - en particulier contre les forces de sécurité - sont poursuivies pour diffamation et « atteinte à la pudeur ». Les médias indépendants sont visés par des restrictions au titre de la nouvelle législation contre le terrorisme. Des journalistes couvrant des manifestations ou les répercussions des attentats se sont par ailleurs heurtés à des réactions violentes de la part de membres des forces de sécurité. En novembre, le ministère tunisien de la Justice a diffusé une déclaration selon laquelle les journalistes risqueraient des poursuites s’ils compromettaient les efforts du pays visant à combattre le terrorisme.

    Des organisations des droits humains et des avocats ont eux aussi essuyé des attaques pour avoir défendu les droits de suspects de terrorisme, et sont présentés comme des obstacles à la lutte contre le terrorisme dans le débat public, qui oppose de manière erronée les droits humains et la sécurité.

    « Les avancées tunisiennes en matière de droits humains paraissent de plus en plus ténues face à ces mesures rétrogrades », a déclaré Said Boumedouha. « Il existe un risque réel que cette réaction violente mal avisée ne fasse régresser la Tunisie jusqu’au point où elle se trouvait il y a cinq ans. »

    Complément d’information

    En 2011, Amnesty International a attiré l’attention sur les domaines nécessitant une réforme urgente en Tunisie. Ces réformes essentielles n’ont à ce jour pas encore été introduites. Si la Tunisie a adopté plusieurs nouvelles lois, notamment sur la torture et les médias, certains textes répressifs restent inchangés et permettent que des violations continuent à être commises. Les auteurs d’homicides illégaux de manifestants en réaction au soulèvement de 2011 n’ont pas suffisamment été amenés à rendre des comptes, et les autorités ont manqué à leur devoir de réformer les forces de police et de sécurité. Des actes de torture, en particulier en détention provisoire et durant les interrogatoires, continuent donc à être signalés et les juges et procureurs ne font pas grand chose pour obliger les autorités à répondre d’accusations de torture et d’agressions sur des manifestants et des journalistes. Les efforts en matière de justice de transition sont lents et entachés d’irrégularités. Les femmes continuent à se trouver en butte à la discrimination, dans la législation et dans la pratique, et les autorités ne les protègent pas suffisamment contre les violences liées au genre. Les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées sont privés de certains droits fondamentaux. 14 janvier 2016

    https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/01/tunisia-evidence-of-torture-and-deaths-in-custody/

  • Syrie : «Ici à Douma, la révolution reste vivace» (Souria Houria)

    237NCi0.jpg
    Ce berceau de la révolution fait face depuis cinq ans à un «siège psychologiquement épuisant».

    Si, dans la ville de la Ghouta, la résistance au régime sanglant de Bachar al-Assad ne faiblit pas, elle doit composer avec les tentatives de noyautage de l’Armée de l’islam.

    Entre deux bombardements meurtriers de l’aviation russe, les habitants de Douma ont été les seuls en Syrie à manifester il y a quelques jours en solidarité avec Madaya (Est), localité assiégée et affamée depuis des semaines par les troupes du régime de Bachar al-Assad. Subissant eux-mêmes depuis plus de deux ans le siège imposé à toute la région de la Ghouta, ils ont témoigné leur compassion tout en rappelant leurs propres souffrances. Depuis cinq ans, l’histoire de Douma, banlieue située à une dizaine de kilomètres au nord-est de Damas, résume la résistance et les errances de la «révolution»syrienne, comme s’obstinent à l’appeler ses habitants.

    «La révolution reste vivace ici et la population mobilisée contre le régime malgré ou à cause de tout ce qu’elle endure», affirme Jamal Fletani, joint sur place par l’application mobile Viber. Se désolant des 12 morts et des dizaines de maisons détruites par le raid du matin, le jeune homme précise qu’une heure après, les marchés de la ville sont bondés. Ce n’est pas le seul paradoxe qu’évoque l’ancien étudiant en génie mécanique à propos d’un «siège psychologiquement épuisant»,mais pratiquement surmonté. «Il y a bien longtemps que nous n’avons plus d’électricité, ni de chauffage, ni d’Internet, rappelle-t-il, mais heureusement l’antenne satellitaire fonctionne, et on n’est pas coupés du monde. Une méthode de recyclage des déchets a été inventée pour produire un carburant permettant d’alimenter les petits générateurs domestiques. Une fabrique de médicaments produit analgésiques, pommades et anti-inflammatoires. Elle a été créée grâce à la saisie des stocks d’une usine pharmaceutique implantée dans la région avant 2011.»

    En fait, le système de survie de Douma fonctionne surtout, comme ce fut longtemps le cas à Gaza, grâce aux tunnels creusés depuis les zones voisines contrôlées par les forces loyalistes. La corruption omniprésente et les trafiquants en tous genres permettent le passage des hommes, des marchandises, voire des armes.

    «Attaques chimiques».

    Les ressources ne manquent pas dans la riche plaine de la Ghouta, verger historique de la région de Damas, où presque chaque famille possède un bout de terre qu’elle a récemment planté de blé et peuplé de moutons. «Nous avons une autosuffisance alimentaire», souligne Jamal. Militant impliqué dans plusieurs initiatives de la société civile locale, il poursuit l’action et défend la mémoire de son père, Adnan Fletani, commerçant et figure politique influente de la ville, assassiné en 2014 par des inconnus qui l’ont traité de «collaborateur» en le mitraillant depuis leur voiture.

    Appartenant à l’Union socialiste, un ancien parti de tendance nassérienne (en référence à l’ex-président égyptien Gamal Abdel Nasser), bien implanté dans la région, le père de Jamal dénonçait trop fort l’extrémisme religieux grandissant et le financement des groupes armés de la Ghouta par les pays du Golfe. «Les islamistes de l’Armée de l’islam veulent nous imposer une dictature, à l’image de celle du régime», affirme aujourd’hui le fils, à propos de la formation armée créée par Zahran Alloush, le chef militaire tué fin décembre par un raid aérien russe. «Ils ont acheté ou volé la révolution», insiste-t-il.

    Comme les autres zones syriennes contrôlées par la rébellion, la Ghouta est dominée par les forces islamistes, mais la différence, c’est que tous ses combattants sont des Syriens, fils de la région. «L’appartenance et l’allégeance à la révolution, comme à la population locale, restent prioritaires, même parmi les salafistes de Douma», souligne Zeina, réfugiée depuis quelques mois en France.

    Ancienne militante communiste à Damas, la jeune secouriste volontaire a travaillé dans plusieurs localités de la Ghouta révolutionnaire avant que la zone ne soit totalement assiégée. «L’étau s’est fermé en août 2013, au lendemain des attaques chimiques qui ont tué plus de 1 500 personnes», rappelle Zeina. «Avant cela, comme je n’étais pas fichée par les forces du régime et pour ne pas attirer les soupçons, je me voilais la tête pour franchir les barrages de l’armée, puis, une fois arrivée au barrage des insurgés de la Ghouta, j’enlevais mon foulard.» Les opposants de tous bords, notamment les intellectuels laïcs, avaient trouvé refuge dans la Ghouta libérée. C’était le cas de l’avocate militante Razan Zaitouneh, qui vivait et travaillait avec son mari et ses amis depuis plus d’un an à Douma avant de disparaître fin 2013, enlevée sans doute par les hommes de l’Armée de l’islam qui se sont imposés dans la ville. «Mais Douma a été la ville pionnière à chaque étape de la révolution», rappelle Zeina.

    Verrouillage.

    La gigantesque manifestation du 25 mars 2011 à Douma, en solidarité avec Deraa (sud du pays) d’où est parti le soulèvement syrien, est citée par les militants comme une date historique. Les forces du régime ont fait preuve de retenue face à la protestation qui montait aux portes de Damas. Trois semaines plus tard, le centre de Douma a pris des allures de place Tahrir avec un rassemblement qui a duré plusieurs jours. Les manifestants ont ensuite marché sur la capitale, mais se sont heurtés au verrouillage du centre-ville par les forces de sécurité. La contestation s’est poursuivie et a gonflé de semaine en semaine avec une répression «raisonnable» jusqu’en juillet, quand l’armée a massivement investi Douma pendant une dizaine de jours, multipliant perquisitions et arrestations.

    La militarisation de la révolution a commencé à Douma dès l’automne 2011, lorsque les opposants ont porté les armes pour protéger les manifestations et empêcher l’accès des forces de répression. Celles-ci se sont mises alors à tirer à l’arme lourde contre les foules.

    «Divergences».

    C’est à Douma aussi que le premier conseil militaire de l’Armée syrienne libre (ASL) a vu le jour début 2012 et que les attaques contre l’armée du régime ont commencé. Une grande offensive lancée à l’été 2012 a fait de la Ghouta la première «zone libérée» du contrôle de Bachar al-Assad. La nécessité de palier les manquements des services de l’Etat a conduit les habitants à créer à Douma le premier conseil civil local pour gérer les hôpitaux, les tribunaux, les écoles… Les autres localités de la Ghouta ont suivi l’exemple de ces conseils élus démocratiquement, et qui reflétaient le pluralisme politique d’une région où se côtoient, nationalistes arabes nassériens, Frères musulmans et libéraux. Une sorte de République de Ghouta était née, non loin du cœur de Damas.

    «Reconquérir la Ghouta est aujourd’hui une impossibilité pour les troupes du régime, assure Jamal Fletani.

    Ils n’ont plus du tout les forces nécessaires pour affronter les 30 000 combattants locaux prêts à prendre les armes et à oublier leurs divergences pour défendre leur territoire.» Sans se faire d’illusions sur la rapidité de la solution politique qui doit s’amorcer dans les négociations parrainées internationalement, le jeune opposant se dit optimiste du moins sur un cessez-le-feu prochain qui soulagerait la population de Douma des attaques quotidiennes de l’aviation du régime de Bachar al-Assad. par Hala Kodmani

    http://souriahouria.com/syrie-ici-a-douma-la-revolution-reste-vivace-par-hala-kodmani/

  • Cinq ans après l’insurrection révolutionnaire en Tunisie, la dette léguée par Ben Ali ne doit plus être payée (Afriques en Lutt)

    Afficher l'image d'origine

    À l’occasion du cinquième anniversaire de la chute de Ben Ali, le réseau CADTM réaffirme son soutien au peuple tunisien toujours en lutte pour le respect de ses droits et dénonce la mainmise du FMI et de l’Union européenne qui continuent d’étrangler la Tunisie avec la dette. L’année 2016 sera décisive dans le combat pour l’annulation de la dette odieuse puisqu’une Commission d’audit de la dette pourrait être créée en Tunisie.

    Il y a tout juste cinq ans, le 14 janvier 2011, Ben Ali était chassé du pouvoir par le peuple tunisien. Les puissantes mobilisations qui ont démarré dans les régions de l’intérieur du pays ont, à la fois, provoqué la fuite de ce dictateur et ouvert la voie à d’autres soulèvements populaires dans d’autres pays de la région et même sur les autres continents, donnant notamment naissance au mouvement des « Indignés ».

    Grâce à ces luttes, le peuple tunisien a arraché plusieurs libertés fondamentales dont la liberté d’expression. Les partis politiques réprimés par la dictature sont sortis de la clandestinité, de vraies élections ont été organisées, une nouvelle Constitution a vu le jour, etc.

    Mais sur le plan social et économique, la politique est la même que celle menée par Ben Ali. Elle reste dictée par les Institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI en tête) épaulées par l’Union européenne. Sous couvert d’ « aide » à la Tunisie, ces créanciers extérieurs ont aggravé en réalité le poids de la dette et les inégalités en augmentant leurs prêts toxiques. Ces prêts sont débloqués par tranche en fonction de la bonne application par le gouvernement de mesures dictées par les créanciers. Au menu : gel du recrutement dans la fonction et les entreprises publiques, baisse de l’impôt sur les revenus des sociétés |1|, augmentation de l’impôt sur les revenus du travail entraînant une baisse conséquente du pouvoir d’achat des travailleurs et une montée en flèche de la pauvreté |2|, renflouement des banques, adoption d’une nouvelle loi sur le partenariat public-privé et remboursement intégral des dettes léguées par Ben Ali, malgré l’urgence sociale et le nature odieuse de ces dettes. Le service de la dette (5130 millions de dinars tunisiens soit 2,13 milliards d’euros) représente en 2016 l’équivalent des dix budgets suivants cumulés : santé, affaires sociales, emploi et formation professionnelle, développement, environnement, transport, enseignement supérieur et recherche scientifique, culture, affaires sociales et tourisme.

    Depuis le 14 janvier 2011, l’objectif des créanciers est clair : garder leur contrôle sur la Tunisie en utilisant l’arme de la dette et en plaçant leurs disciples aux postes clés. Rappelons que moins d’une semaine après la chute de Ben Ali, le nouveau gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Nabli, fraîchement débarqué de Washington où il officiait comme économiste en chef du département du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord de la Banque mondiale, déclarait dans sa première conférence de presse datée du 22 janvier 2011 que « La Tunisie remboursera ses dettes dans les délais |3| ».

    C’est ce qui s’est effectivement passé puisque la dette tunisienne à été payée dans les délais avec l’argent des nouveaux emprunts. 82% des nouveaux prêts contractés entre 2011 et 2016 ont ainsi servi à payer la dette contractée par le régime de Ben Ali, entraînant le doublement, en 5 ans, de l’encours de la dette publique qui est passé de 25 milliards de dinars (soit 11,2 milliards d’euros) à 50,3 milliards de dinars (22,6 milliards d’euros).

    Pour les créanciers, le peuple tunisien aurait donc le droit de se débarrasser du dictateur mais pas de la dette qu’il a contracté. Ce qui constitue une violation flagrante du droit international. Comme l’indique explicitement la doctrine classique de la dette odieuse de 1927 : « Si un pouvoir despotique contracte une dette, non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’État entier (…). Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir |4| ».

    Malgré l’existence de cette doctrine de droit international et les résolutions prises par le Parlement européen en 2012 et le Parlement belge en 2011 qualifiant explicitement la dette tunisienne d’ « odieuse », aucun acte concret n’a encore été posé.

    Mais l’année 2016 pourrait changer la donne puisqu’une proposition de loi tunisienne instituant une commission d’audit, s’inspirant des exemples équatorien et grec, sera déposée très prochainement à l’Assemblée des représentants du peuple par le groupe parlementaire du Front populaire (une coalition de partis politiques tunisiens). L’objectif est d’examiner tous les contrats des prêts depuis juillet 1986, date du premier programme d’ajustement structurel conclu avec le FMI et la Banque mondiale.

    Les audits de la dette sont des armes stratégiques entre les mains des débiteurs pour construire un rapport de force politique face aux créanciers en justifiant le non-paiement des dettes odieuses, illégales, illégitimes et insoutenables. Pour construire ce rapport de force politique, la population doit être associée à la réalisation de cet audit et à la diffusion de ses résultats. Les rouages de la dette doivent pouvoir être vulgarisés pour permettre à l’ensemble de la population de comprendre les enjeux autour de la lutte contre la « dictature de la dette » et se mobiliser dans la rue contre ce système. Il est dès lors essentiel de faire les liens entre la dette et les préoccupations sociales quotidiennes de la population. C’est l’objectif premier de la campagne « Droit de savoir la vérité sur la dette de la dictature. Auditons la dette, donnons une chance à la Tunisie » lancée en décembre dernier à Tunis par le Front populaire et l’association RAID (membre des réseaux CADTM et ATTAC), qui s’attache aussi à faire le lien entre la dette et les luttes en cours.

    Cinq ans après la victoire éclatante du 14 janvier, le peuple tunisien reste, en effet, fortement mobilisé. Les mobilisations sociales ont même atteint une ampleur sans précédent en 2015 touchant de nombreux secteurs : enseignement, transport en commun, chômeurs, entreprises du secteur public, du secteur privé (grandes distribution, industrie alimentaire, tourisme), lutte des diplômés chômeurs, etc. Le 12 septembre 2015, la population a même bravé l’état d’urgence décrété par le gouvernement en manifestant dans plusieurs villes de Tunisie contre le projet de loi dit de « réconciliation économique » qui vise à amnistier les corrompus du régime de Ben Ali. Effet boomerang, le succès de ces manifestations a permis la levée de l’état d’urgence quelques jours après |5|.

    Pour l’année 2016, le réseau CADTM continuera à soutenir les mobilisations sociales en Tunisie et se tient prêt à apporter son aide pour l’audit de la dette.

    Communiqué du réseau international CADTM

    http://www.afriquesenlutte.org/communiques-luttes-et-debats/article/cinq-ans-apres-l-insurrection