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Syrie : Concours criminel des puissances contre les résistances populaires (Npa)
Derrière les diverses propagandes étatiques de « lutte contre le terrorisme », se déploie en Syrie une offensive militaire pro-Assad qui se veut décisive pour mettre fin à l’insurrection populaire.
En même temps, le président turc Erdogan tente d’écraser les forces kurdes jusqu’en Syrie. Ces actions de guerre totale sont menées avec la complicité des puissances occidentales, en dépit de quelques condamnations rhétoriques. Et l’opposition syrienne est poussée dans des négociations pour se soumettre aux conditions du régime criminel d’Assad.
Ces dernières semaines, les forces armées du régime d’Assad ont fait des gains sans précédent dans la campagne nord d’Alep et ont encerclé les zones libérées de la ville, divisée entre le régime et divers groupes de l’opposition depuis l’automne 2012.
Le régime d’Assad bien appuyé...
Pour cela, le régime d’Assad a bénéficié des forces du Hezbollah libanais et des milices fondamentalistes chiites dirigées par l’Iran, soutenues par des bombardements massifs de l’aviation russe. Des dizaines de milliers de civils ont fui, cherchant refuge à la frontière turque, ou encore dans la ville de Afrin, dirigée par les forces kurdes du Parti de l’Union démocratique (ou PYD). Les bombardements russes ont également provoqué des destructions massives d’infrastructures civiles comme le dernier grand hôpital situé dans les zones libérées du nord d’Alep.
La réponse du président turc Erdogan à cette évolution de la situation a été de maintenir la frontière fermée, puis de bombarder à son tour les villes cette fois sous contrôle du PYD !
Dans les zones libérées d’Alep qui comptent encore environ 350 000 personnes, le conseil populaire local a mis en place un centre de crise pour fournir et préserver les besoins essentiels de nourriture et de carburant. Des manifestations populaires ont eu lieu dans les quartiers libres d’Alep demandant aux factions armées de l’opposition de la province de s’unir autour d’une bannière commune pour une Syrie libre.Au même moment des dizaines de milliers d’habitants de la ville de Deraa, au sud du pays, fuyaient l’avancée militaire des forces du régime au sol et les bombardements aériens combinés de l’aviation russe et du régime. L’un des hôpitaux de Médecins sans frontières (MSF) dans la province de Deraa a été bombardé le 9 février. Cette intervention russe qui a très peu ciblé Daesh, a en revanche été déterminante dans la progression des forces du régime d’Assad contre tous les autres opposants, et dans le désespoir qui pousse la population sur les routes. Il faut avoir l’aveuglement du journal l’Humanité pour considérer que l’intervention russe dans la situation est positive !
Genève III, Munich… pousser les Syriens à se mettre à genoux !
Comme les précédentes, la Conférence de Genève III en novembre a été un échec. Les forces armées du régime et ses alliés ont poursuivi leurs offensives militaires, poussant la Haute Commission de Négociations de l’opposition syrienne, mise en place à Ryad en décembre 2015, à se retirer des négociations. L’envoyé spécial de l’ONU, M. de Mistura, a fixé une nouvelle date pour le 25 février afin de réunir pour de nouveaux pourparlers entre le régime syrien et l’opposition à Genève.
Entre-temps, Russes et Américains se sont congratulés d’avoir conclu le 12 février à Munich un accord pour un cessez-le-feu... qui devait être effectif au bout d’une semaine. Il serait alors seulement envisagé de fournir un accès humanitaire aux villes syriennes assiégées. Mais le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a aussitôt ajouté que la cessation des hostilités ne s’applique pas à Daesh et Jabhat al-Nusra, garantissant ainsi que la guerre continuera.Avec le peuple syrien, contre toutes les formes de contre-révolution
Malgré leur rivalité, les interventions des États impérialistes et puissances régionales partagent un objectif commun : liquider le mouvement populaire révolutionnaire en Syrie commencé en mars 2011, et essayer de vaincre militairement Daesh.
Les progressistes et démocrates se doivent de condamner tous les projets impérialistes qui ont pour objectif de mettre un terme à la révolte populaire syrienne. En même temps, il nous faut nous opposer aux interventions des monarchies du Golfe et de la Turquie, qui avancent leurs propres intérêts politiques et veulent changer la nature de la révolution en une guerre confessionnelle, tout comme Assad et ses alliés.
Nous devons soutenir les demandes cruciales du peuple syrien, qui sont la fin des bombardements, la fin des blocus, la libération des prisonniers politiques et le retour des réfugiés et des populations déplacées internes. Nous devons soutenir ces poches d’espoir existant encore en Syrie et composées de divers groupes et mouvements démocratiques et progressistes opposés à toutes les formes de la contre-révolution, le régime d’Assad et ses alliés ainsi que les groupes fondamentalistes islamiques.
Joseph Daher et Jacques Babel
Mercredi 17 février 2016
Plus d’infos :
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Tunisie : « Nous avons perdu nos illusions, nos rêves sont réalistes » (Anti-k)
Rim Ben Fraj, 31 ans, est Tunisienne, blogueuse, traductrice, éditrice, diplômée précaire, membre du réseau des traducteurs Tlaxcala. Elle travaille comme journaliste freelance. Elle a bien voulu répondre à nos questions.
Milena Rampoldi : Quels sont les problèmes principaux de la jeune génération en Tunisie ?
Rim Ben Fraj : La marginalisation économique, sociale et donc politique et culturelle. La jeunesse qui a fait la révolution n’a aucune représentation parlementaire ni gouvernementale, il y a au moins 250 mille diplômés au chômage. Le chômage frappe jusqu’à 80% des jeunes dans certaines régions. La seule alternative qui se présentait -l’immigration clandestine –a été rendue impossible par le mur électronique de Frontex en Méditerranée. Les jeunes qui refusent de se faire recruter par « Daech » n’ont plus que la révolte comme issue. Mais même s’ils se révoltent, l’État n’est pas en mesure de satisfaire leurs revendications : une des conditions posées par la Banque mondiale pour les crédits à la Tunisie est le blocage de nouvelles embauches dans la fonction publique. De plus le niveau de beaucoup de diplômés chômeurs est plutôt bas, à cause de la politique de Ben Ali, qui a facilité le passage du lycée à l’université pour améliorer les chiffres de la Tunisie dans l’index du développement humain. La privatisation par étapes de l’’enseignement et la corruption généralisée n’ont fait qu’aggraver la situation.
Deux secteurs profitent de cette situation : les entreprises multinationales, principalement d’origine européenne, et les fondations occidentales, principalement allemandes et US. Les premières trouvent une main d’œuvre qualifiée bon marché pour travailler dans des usines proches du marché européen, les secondes recrutent des agents tunisiens pour mettre en œuvre leurs programmes d’influence (au nom de : droits humains, citoyenneté, womens’ empowerment, entrepreneuriat, médias citoyens etc.).
Pratiquement, cela veut dire que si tu as 25 ans, un niveau bac +3 et que tu cherches du travail, tu as le choix entre travailler dans un Call-center 6 jours sur 7 pour 300 euros par mois, ou pour une association subventionnée, sans contrat ni couverture sociale, pour 400-500 euros par mois. Daech paye à peu près les mêmes salaires. Nos députés viennent de se voter une augmentation de salaire, ils vont gagner 2 000 euros par mois.
La jeunesse marginalisée est constamment harcelée par la police, les pratiques policières de l’ère Ben Ali n’ont pratiquement pas changé : violences, détentions arbitraires, tortures et mauvais traitements, en un mot la HOGRA (mépris pour les déshérités) :
Un exemple : un jeune de Kasserine ou de Gafsa ou de Jendouba (des villes de la Tunisie profonde), se trouve sur l’avenue Bourguiba au centre-ville de Tunis, il est interpellé par la police et dès qu’on voit sur sa carte d’identité d’où il vient et qu’il n’est pas tunisois, dans le meilleur des cas on se contente de l’insulter et de lui ordonner de rentrer « chez lui » , mais bien souvent il passera une nuit en cellule. Comme dit mon père, « pour se déplacer dans ce pays on a besoin d’un visa. ».
Deuxième exemple : une femme de 30 ans rentre chez elle en taxi, seule ou accompagnée, vers minuit : elle est arrêtée par les flics qui lui demandent : « Pourquoi tu n’es pas encore chez toi à cette heure-ci ? » et la harcèlent au cas où elle rentre d’un bar, genre police des mœurs. L’interrogatoire commence : « Tes parents, ils sont au courant que tu bois de l’alcool ? C’est qui ce mec qui est avec toi ? Tu rentres avec lui ? Donne-moi le numéro de téléphone de ton père, on va lui dire que t’es saoule, tu sais que on peut te coller une affaire de prostitution ». L’un d’eux fait semblant d’écrire pour impressionner la victime. Celle-ci, si elle en a un, sort un billet de vingt dinars et ils s’en vont contents. Si elle n’a pas d’argent, elle va passer une heure à les supplier de la laisser repartir.
MR : Que serait une vraie révolution pour la Tunisie ? Comment changer ce pays ?
RBF : C’est la question à 100 000 euros ! Avant de se réaliser dans les rues, la révolution se fait dans les esprits. Et elle passe par la libération des corps. C’est un travail de longue haleine ; l’école nous a formatés pour devenir des « idiots spécialisés », des consommateurs endettés et des individus cloisonnés. La société nous enferme dans des cages. Le projet de Bourguiba – « je transformerai cette nébuleuse d’individus en une nation moderne » – a échoué, un peuple intelligent se retrouve opprimé par une caste de salopards ignorants. Chaque fois qu’il s’est révolté, il a été écrasé par ceux d’en haut et trahi par ceux qui prétendaient le représenter. Nous devons résoudre une contradiction : en nous coexistent un sentiment libertaire et un grand conservatisme, nous devons donc nous éduquer, nous rééduquer, encore et toujours.
MR : Quels sont les meilleures stratégies pour faire entendre la voix des opprimés dans le pays ?
RBF : Développer des projets coopératifs et horizontaux permettant de créer des alternatives économiques viables, qui permettent aux gens de vivre en autonomie. Communiquer largement sur les projets réussis et les outils nécessaires. Beaucoup de jeunes journalistes citoyens de la nouvelle génération semblent plus préoccupés par leur survie matérielle que par la diffusion d’informations à ceux et celles qui en ont vraiment besoin. Il faut développer des médias autonomes et alternatifs en « langue tunisienne », vu que le français et l’anglais sont difficilement compris par la majorité des Tunisiens. Et il ne faut pas rester enfermés dans Facebook, il faut retrouver les modes de communication directe.
MR : Comment est-ce qu’on peut se référer à l’égalitarisme islamique pour le combat ?
RBF : La plupart des partis se présentant comme islamistes, de la Turquie au Maroc en passant par la Tunisie, ne sont que des regroupements hétérogènes dirigés par une bourgeoisie affairiste voulant prendre la place des bourgeoisies bureaucratiques et policières au pouvoir. Leurs références à l’islam ne sont que des masques pour leurs intérêts de classe. L’islam pratiqué naturellement par les classes populaires, sans blabla idéologique, est plutôt égalitaire. Il fait partie des réflexes naturels dont il n’est pas nécessaire de parler pour qu’ils agissent.
MR : Comment est-ce qu’on peut lier la lutte marxiste pour la justice sociale avec la lutte islamique pour la justice sociale ?
RBF : Les idéologies ont fait assez de morts comme ça. La lutte pour la justice sociale ne doit pas s’arrêter à des frontières artificielles, elle doit se construire en partant des besoins communs à tous et à toutes, et pour la défense des biens communs.
MR : Quels sont les trois points forts de la jeunesse tunisienne que vous donnent de l’espoir pour continuer votre combat pour justice, solidarité, liberté, travail ?
RBF : Optimisme malgré tout, perte des illusions, remplacées par des rêves réalistes, et « Soumoud » (ténacité).
Rim Ben Fraj, 31 ans, est Tunisienne, blogueuse (http://othertoons.blogspot.com/) traductrice, éditrice, diplômée précaire, membre du réseau des traducteurs Tlaxcala. Elle travaille comme journaliste freelance. Elle a bien voulu répondre à nos questions.
Milena Rampoldi Écrivaine, traductrice, éditrice et militante des droits humains, Milena Rampoldi est née en 1973 à Bolzano/Bozen, dans le Haut-Adige/Tyrol du Sud italien, dans une famille bilingue et biculturelle. Elle est la fondatrice de l’association ProMosaik pour le dialogue interculturel et interreligieux, qui s’engage pour la paix et les droits humains. Elle est membre de Tlaxcala.
CADTM – 12 février par Milena Rampoldi , Rim Ben Fraj
http://www.anti-k.org/tunisie-nous-avons-perdu-nos-illusions-nos-reves-sont-realistes
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Syrie Solidarité!
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Nouveautés sur Agence Médias Palestine
Voeu anti-BDS: Communiqués
Les élus antiracistes et pour une paix juste ne peuvent que s’opposer à la condamnation de BDS Action citoyenne de boycott : on ne nous fera pas taire ! http://cnpjdpi.org/Action-citoyenne-de-boycott-on-ne-nous-fera-pas-taire.html Au Conseil de Paris … une étrange conception du droit international http://www.france-palestine.org/Au-Conseil-de-Paris-une-etrange-conception-du-droit-international Lettre de l’AURDIP au Maire de Paris http://www.aurdip.fr/lettre-de-l-aurdip-au-maire-de.html Voeu contre la criminalisation des citoyens...Voeu anti-BDS: Lettre d’une sénatrice honoraire au PS de Paris
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Ghislain Poissonnier, AURDIP, lundi 15 février 2016
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L’Union européenne ne sait proposer que le libre-échange à la Tunisie (Essf)
Cinq ans après les révolutions arabes, les eurodéputés spécialisés dans les questions commerciales s’apprêtent à adopter mardi une résolution qui veut faire de l’accord de libre-échange en chantier avec la Tunisie « un partenariat politique » pour soutenir la jeune démocratie tunisienne.
Mais les documents publiés en exclusivité par Mediapart, qui décrivent le point de départ des négociations déjà menées par la commission européenne à Tunis en 2015, laissent penser que les élus auront toutes les peines du monde à se faire entendre.
Ce projet d’« accord de libre-échange approfondi et complet » (ALECA ou DCFTA) entre l’UE et la Tunisie est dans l’air depuis la chute du régime Ben Ali en 2011. Mais Tunis avait voulu attendre les élections de 2014, et la soi-disant « stabilisation » de son paysage politique, pour enclencher cette négociation clé pour l’avenir du pays. Le processus a vraiment été lancé en mai 2015, lors d’une visite du premier ministre tunisien, Habib Essid, à Bruxelles. Un accord plus modeste, qui libéralise les droits de douane pour certaines industries, existe déjà depuis 1995. Cette fois, l’accord doit porter sur les droits de douane (à réduire un peu plus), mais surtout sur les normes et régulations (à rapprocher entre les deux régions).
Les eurodéputés qui suivent le dossier le promettent haut et fort : il n’est pas question de conclure un accord de libre-échange comme les autres. D’autant que les regains de tensions sociales, en janvier, ont rappelé à quel point la situation restait précaire en Tunisie, et les inégalités sociales colossales. « Cet accord ne peut pas être seulement commercial, il doit être politique, pour vraiment aider la Tunisie et les Tunisiens et soutenir leur développement économique », prévient Marielle de Sarnez (UDI-MoDem), rapporteure du texte. « C’est un partenariat politique qui vise à encourager la transition démocratique dans un contexte qu’on connaît troublé, renchérit un autre Français, le socialiste Emmanuel Maurel. Ce qui implique que l’accord soit asymétrique et progressif. »
« Asymétrique », c’est-à-dire que l’accord pourrait ouvrir davantage les marchés européens aux Tunisiens, que les marchés tunisiens aux Européens. « C’est d’abord pour la Tunisie », résume de Sarnez. « On ne va pas imposer aux Tunisiens des règles qu’on imposerait aux Américains ou aux Canadiens », assure Maurel. Et « progressif », parce que « l’état d’esprit de la négociation, ce n’est pas du tout d’imposer une ouverture là tout de suite maintenant, l’idée, c’est que la Tunisie en sorte gagnante ».
Le problème de ces discours prudents du côté du parlement européen, c’est qu’ils cadrent mal avec la réalité des négociations. Mediapart a pris connaissance des premières versions de dix chapitres du futur traité, rédigées en français par la commission. Ces textes – à télécharger en intégralité sous l’onglet Prolonger de l’article – ont été finalisés à Bruxelles en juillet 2015, et présentés aux experts tunisiens lors du premier « round » de négociations, en octobre 2015 à Tunis. La prochaine rencontre entre Européens et Tunisiens devrait avoir lieu « après Pâques », fait-on savoir du côté de la commission.
Dans son compte-rendu (pdf, 146.2 kB) des négociations d’octobre, la commission fait état de discussions encore « préliminaires » et – selon la formule habituelle – « ouvertes et constructives ». Mais les documents publiés par Mediapart, à analyser avec précaution puisqu’ils remontent à l’été dernier, montrent que la commission est arrivée à Tunis avec, dans ses bagages, un projet déjà avancé, extrêmement précis par endroits, qui semble calqué sur le modèle de n’importe quel traité de libre-échange conclu par l’UE. Difficile de voir quelles seront les marges de manœuvre offertes à la démocratie tunisienne pour négocier cet accord…
Certains jugeront l’anecdote révélatrice : à plusieurs endroits du texte, il est question du Maroc, et non de la Tunisie, ce qui laisse penser que le copié-collé de l’accord de libre-échange négocié avec Rabat semble avoir marché à plein (par exemple l’annexe 3 du chapitre sur les droits à la propriété intellectuelle, ou encore les articles 42 et 52 du chapitre sur les services).
À Tunis, des activistes s’inquiètent d’un texte où l’UE imposerait ses vues de A à Z. « Il faut bien comprendre le déséquilibre flagrant entre ces deux partenaires. On a un géant économique d’un côté, un État minuscule de l’autre. Le PIB par habitant est huit fois supérieur en Europe à celui en Tunisie », met en garde Azzam Mahjoub, un universitaire tunisien auteur d’un rapport l’an dernier sur le sujet pour une ONG, le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme. « La Tunisie représente 1 % à peine de l’ensemble du commerce extérieur de l’UE, alors que l’UE représente près des trois quarts du commerce extérieur pour la Tunisie… »
« Le gouvernement tunisien n’est plus provisoire, mais on ne peut pas dire qu’il soit stable pour autant. Il n’a pas encore formulé de vraie vision pour l’avenir, et il va falloir repenser le modèle économique du pays », prévient, de son côté, Abdeljelil Bédoui, membre du comité directeur du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, qui a été consulté par l’UE en amont des négociations. À ses yeux, « le modèle néolibéral, qui repose sur une logique marchande, ne peut pas réaliser les objectifs en matière économique et sociale qui ont été fixés dans la nouvelle constitution ». Bref, Tunis devrait d’abord engager un vaste débat sur le développement du pays, avant de s’engager dans une négociation périlleuse avec l’UE.
À la lecture des documents, l’accord en gestation, assez proche dans sa structure de textes comme celui conclu avec la Corée du Sud (en vigueur depuis 2011), insiste très souvent sur la nécessité d’un transfert – à sens unique – des normes européennes vers la Tunisie. C’est particulièrement net dans le chapitre consacré à la concurrence, où des pans du droit européen de la concurrence sont repris tels quels dans le texte (voir l’article 1.3, qui fait des traités européens et de la jurisprudence de la Cour européenne de justice les références en dernier ressort). Cela peut s’avérer constructif, s’il s’agit de contrer des cartels entre entreprises qui voudraient s’entendre sur les prix. Mais c’est plus problématique lorsque cela permet de bloquer toute aide d’État en soutien à un secteur ou une entreprise. La Tunisie consent à se doter, d’ici un laps de temps à négocier, d’une autorité indépendante chargée d’évaluer la légalité des aides d’État, conformément aux critères européens (article 3.1.b).
Ailleurs, la logique est identique, et c’est à chaque fois la Tunisie, sous couvert de « rapprochement des législations », qui semble devoir consentir les vrais efforts.
Dans le chapitre consacré à l’énergie : « Dans la mise en œuvre de ce chapitre, la Tunisie veille à rendre progressivement ses législations existantes et futures dans ce domaine compatibles avec l’acquis de l’UE quand nécessaire et approprié » (article 11). Ou celui sur les « mesures sanitaires et phytosanitaires » : « La Tunisie procède au rapprochement progressif de sa réglementation sanitaire et phytosanitaire à l’acquis de l’UE » (article 6). À l’inverse, cette toute première mouture du texte semble très peu contraignante pour l’UE. Dans le chapitre sur les investissements, les entreprises étrangères ne sont par exemple pas contraintes d’employer un minimum de travailleurs locaux (« Aucune Partie ne peut imposer (…) de recruter un nombre donné ou un pourcentage donné de ses ressortissants » : chapitre 2, section 1, article 7).
À ce stade, le texte ne contient pas de mécanisme d’arbitrage – ce système qui autorise une multinationale étrangère à attaquer un État en justice –, dit ISDS dans le jargon juridico-commercial. Un article le prévoit (article 4 du chapitre concurrence), mais il reste à compléter. À l’été 2015, la polémique faisait rage sur le recours à l’ISDS dans le traité avec les États-Unis (elle s’est depuis apaisée). Ce qui explique sans doute la prudence, alors, des négociateurs européens sur le sujet. Dans le même ordre d’idées, une section entière est prévue pour encadrer le « secret des affaires », autre dossier très sensible à Bruxelles, mais elle est là encore laissée vierge (section 3 du chapitre sur la propriété intellectuelle).
« Les négociateurs européens souhaitent le pur et simple transfert des normes de l’UE à la Tunisie. La marge de manœuvre laissée aux Tunisiens pour construire leur propre système normatif est très faible », s’inquiète Amélie Canonne, spécialiste des questions commerciales au sein de l’AITEC, une association française de solidarité internationale. Elle ajoute que « nous avons déjà entendu cent fois les promesses de transparence ou de consultation, mais dans les faits, c’est toujours l’UE qui impose sa rationalité et ses exigences aux pays plus faibles, qui n’ont rien à y gagner ».
En Tunisie, le débat ne fait que commencer. Il devrait s’intensifier cette année. « Pour le moment, le débat n’est pas sérieux. La Tunisie doit au moins mener sa propre étude d’impact sur l’offre présentée par l’UE », estime Abdeljelil Bédoui, du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux. « Pour l’instant, les seules études qui existent ont été commandées par l’Union européenne auprès d’un bureau d’études qui publie systématiquement des conclusions positives pour n’importe quel accord, avec n’importe quel pays. »
L’universitaire Azzam Mahjoub regrette lui aussi l’absence d’études en profondeur du sujet. « Les Tunisiens, ces cinq dernières années, ont eu vraiment d’autres chats à fouetter. Les gens sont plutôt prudents sur le sujet pour le moment. Mais il y aura sans aucun doute un débat houleux au niveau du parlement. » Pour lui, l’UE devrait opérer une différence, dans la manière dont elle négocie ses accords de libre-échange, « entre des États qui s’engagent résolument vers une certaine convergence avec les valeurs démocratiques de l’UE et les autres ». Il plaide pour des « accords de solidarité », qui iraient plus loin que la simple politique de voisinage de l’UE, et autoriseraient, pourquoi pas, un accès à certains fonds structurels d’ordinaire réservés à l’UE.
Il regrette également l’absence de stratégie collective – jusqu’à présent – du Maroc, de la Tunisie, de l’Égypte et de la Jordanie, qui tous ont négocié ou sont en train de négocier des accords de libre-échange avec l’UE. « Il ne faut pas toujours renvoyer la balle au camp adverse : il y a clairement un défaut de solidarité Sud-Sud, une coordination zéro, qui nous empêche de négocier dans de meilleures conditions avec Bruxelles », juge-t-il.
À l’instar du traité avec les États-Unis, les eurodéputés, tout comme leurs homologues à Tunis, auront le dernier mot : ils pourront valider ou rejeter le texte définitif sorti des négociations. Dans sa résolution (à télécharger ici (pdf, 490.5 kB)), qui devrait faire l’objet d’un vote très large, aux environs du 15 février, en commission « commerce international » du parlement européen, Marielle de Sarnez défend en particulier la création d’une « commission mixte » intégrant 15 eurodéputés et autant de députés tunisiens, afin de superviser le chantier (mais ce sont bien les experts de la commission européenne et du gouvernement tunisien qui sont en charge de la négociation technique).
La résolution réclame aussi la publication du mandat de négociation. Comme pour l’accord avec les États-Unis, dont le texte d’origine est longtemps resté secret, la commission assure être partante pour publier le mandat, mais renvoie la balle au conseil européen, où certaines capitales bloqueraient la publication du texte. L’Allemand Martin Schulz, président du parlement européen, s’est rendu en Tunisie, du 8 au 10 février.
Du côté de l’exécutif de Jean-Claude Juncker, où quelque 27 personnes travaillent, avec des degrés d’investissement divers, sur le texte, on assure partager le même souci d’un « accord asymétrique », et l’on rappelle que la politique commerciale de l’UE a toujours intégré des enjeux politiques et diplomatiques. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les premiers documents de la négociation permettent d’en douter.