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  • Qatar. Des ouvriers du chantier de la Coupe du monde de football sont victimes d’abus (Amnesty)

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    Les travailleurs migrants employés sur le chantier du Khalifa International Stadium à Doha pour la Coupe du monde de football de 2022 sont victimes d’abus, y compris de travail forcé dans certains cas, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public jeudi 31 mars.

    Intitulé Le revers de la médaille. Exploitation sur un site de la Coupe du monde de football Qatar 2022, ce rapport met en lumière l’indifférence de la FIFA face au traitement révoltant réservé aux travailleurs migrants. Le nombre de personnes travaillant sur les sites de la Coupe du monde va presque être multiplié par 10 pour atteindre le chiffre de 36 000 environ au cours des deux prochaines années.

    « Les abus dont sont victimes les travailleurs migrants entachent la conscience du football mondial. Pour les joueurs et les fans de football, un stade de coupe du monde est un lieu qui fait rêver. Mais pour certains des ouvriers qui se sont entretenus avec nous, c’est un cauchemar, a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International.

    « Après avoir fait des promesses durant cinq ans, la FIFA a en grande partie manqué à son devoir d’empêcher que la Coupe du monde ne soit bâtie sur un socle d’atteintes aux droits humains. »

    Graves abus incluant la pratique du travail forcé

    Le rapport est basé sur des entretiens réalisés auprès de 132 ouvriers migrants des chantiers de rénovation du stade Khalifa, qui doit selon les prévisions être le premier stade terminé en vue du tournoi et accueillir la demi-finale de la Coupe du monde de 2022. Des entretiens ont également été réalisés auprès de 99 migrants travaillant sur l’aménagement paysager des espaces verts entourant le complexe sportif de l’Aspire Zone, où le Bayern Munich, l’Everton et le Paris Saint-Germain se sont entraînés cet hiver.

    Chacun des ouvriers employés sur les espaces verts et sur les chantiers de construction qui a parlé à Amnesty International a fait état d’abus de diverses sortes, notamment :

    • des logements sordides surpeuplés ;
    • avoir versé de grosses sommes (allant de 500  à 4 300 dollars) à des recruteurs dans leur pays pour obtenir un travail au Qatar ;
    • avoir été trompés quant à la rémunération ou au type de travail offerts (tous à l’exception de six d’entre eux ont perçu à leur arrivée un salaire inférieur à celui qu’on leur avait promis, parfois moitié moins) ;
    • ne pas avoir été payés pendant plusieurs mois, ce qui fait peser une forte pression financière et émotionnelle sur ces travailleurs qui ont déjà de lourdes dettes ;
    • des employeurs ne leur donnent pas de permis de séjour ou ne le renouvellent pas, ce qui leur fait courir le risque d’être arrêtés et expulsés en tant que travailleurs « fugueurs » ;
    • des employeurs confisquent les passeports des travailleurs et ne leur donnent pas de permis de sortie du territoire, ce qui les empêche de quitter le pays ;
    • des travailleurs ont reçu des menaces parce qu’ils s’étaient plaints de leur situation.

    Amnesty International a rassemblé des éléments prouvant que des cadres d’une entreprise de fourniture de main-d’œuvre ont menacé des migrants de leur imposer des pénalités afin de les obliger à travailler ; ils ont notamment menacé de retenir leur salaire, de les livrer à la police ou de les empêcher de quitter le Qatar. De telles pratiques constituent une forme de travail forcé aux termes du droit international.

    Les ouvriers, qui viennent pour la plupart du Bangladesh, d’Inde et du Népal, se sont entretenus avec Amnesty International au Qatar entre février et mai 2015. Quand les chercheurs d’Amnesty International sont retournés au Qatar en février 2016, certains ouvriers avaient été relogés dans de meilleures conditions et des entreprises ayant répondu aux observations d’Amnesty International leur avaient rendu leur passeport, mais d’autres abus n’avaient pas été réglés.

    « La situation des travailleurs migrants, qui sont endettés, qui vivent dans des campements sordides dans le désert et qui sont payés une misère,  tranche résolument avec celle des footballeurs de haut niveau qui vont jouer dans ce stade. Ces ouvriers ne veulent qu’une chose, que leurs droits soient respectés : recevoir leur salaire en temps voulu, pouvoir quitter le pays si nécessaire et être traités avec dignité et respect », a déclaré Salil Shetty.

    Du fait du système de parrainage en vigueur au Qatar, les travailleurs subissent des menaces et vivent dans la peur

    Les menaces utilisées pour faire travailler les ouvriers sont axées sur le système de parrainage en vigueur au Qatar appelé « kafala » ; en vertu de ce système, les travailleurs migrants ne peuvent changer de travail ou de pays que si leur employeur (ou « parrain ») les y autorise. La réforme de ce système de parrainage qui a été annoncée fin 2015 et qui a fait beaucoup de bruit ne va guère modifier les rapports de force entre les travailleurs migrants et leurs employeurs.

    Des ouvriers népalais ont expliqué à Amnesty International qu’ils n’avaient pas été autorisés à rendre visite à leurs proches après le séisme qui a frappé leur pays en avril 2015 et qui a fait plusieurs milliers de morts et provoqué le déplacement de millions de personnes.

    Quand Nabeel (son nom a été modifié afin de protéger son identité), ouvrier métallurgiste venu d’Inde qui a travaillé sur le chantier de rénovation du stade Khalifa, s’est plaint de ne pas avoir été payé pendant plusieurs mois, son employeur a réagi en le menaçant :

    « Il m’a insulté et m’a dit que si je me plaignais de nouveau je ne pourrais jamais quitter le pays. Depuis, je fais attention à ne pas me plaindre au sujet de mon salaire ou de quoi que ce soit d’autre. Bien sûr, si c’était possible je changerais de travail et je partirais du Qatar. »

    Deepak (son nom a été modifié afin de protéger son identité), ouvrier métallurgiste venu du Népal, a déclaré :

    « Ici, je vis comme si j’étais en prison. Le travail est difficile, on a travaillé de nombreuses heures sous un soleil de plomb. La première fois que je me suis plaint au sujet de ma situation, peu après mon arrivée au Qatar, le chef m’a dit "si tu veux te plaindre, tu peux, mais cela aura des conséquences. Si tu veux rester au Qatar, reste tranquille et continue de travailler" »

    Les normes relatives au bien-être des travailleurs sur les chantiers de la Coupe du monde ne sont pas appliquées

    Le Supreme Committee for Delivery and Legacy (SC), qui est l’instance responsable de l’organisation de la Coupe du monde de 2022 et de la rénovation du stade, a publié en 2014 des Normes de bien-être des travailleurs. Ces normes obligent les entreprises travaillant sur les chantiers de la Coupe du monde à accorder aux travailleurs de meilleures conditions de travail que celles prévues par la législation du Qatar.

    « Le SC a fait montre de son engagement en faveur des droits des travailleurs et ses normes de bien-être sont susceptibles d’apporter une solution. Mais il a du mal à faire appliquer ces normes. Compte tenu de l’apathie du gouvernement qatarien et de l’indifférence de la FIFA, il est presque impossible que la Coupe du monde puisse avoir lieu sans que des abus soient commis », a déclaré Salil Shetty.

    Il est temps pour la FIFA et les sponsors d’intensifier la pression

    Amnesty International demande aux principaux sponsors de la Coupe du monde tels qu’Adidas, Coca-Cola et McDonald’s de faire pression sur la FIFA pour qu’elle s’attaque au problème de l’exploitation des travailleurs sur le chantier du stade Khalifa, et pour qu’elle révèle son projet de prévention des abus sur les chantiers de la Coupe du monde.

    La FIFA devrait pousser le Qatar à rendre public un plan de réforme exhaustif avant que les travaux réalisés en vue de la Coupe du monde n’atteignent leur point culminant mi-2017.

    Il est notamment essentiel de retirer aux employeurs le pouvoir d’empêcher les travailleurs étrangers de changer de travail ou de quitter le pays ; de mener des enquêtes sérieuses sur les conditions de travail des ouvriers ; d’infliger des sanctions plus sévères aux entreprises qui commettent des abus. La FIFA devrait elle-même mener de manière régulière et indépendante ses propres inspections des conditions de travail au Qatar, et en rendre publics les résultats.

    « Le fait d’accueillir la Coupe du monde de football a permis au Qatar de se présenter comme une destination privilégiée pour certains des plus grands clubs du monde. Mais le football mondial ne peut pas fermer les yeux sur les abus commis dans les infrastructures et les stades où se joueront les rencontres », a déclaré Salil Shetty.

    « Si la nouvelle direction de la FIFA veut réellement tourner une page de son histoire, elle ne peut pas laisser un événement de cette ampleur se dérouler dans des stades construits par des travailleurs migrants soumis à des abus. »

    Les infrastructures au cœur du football mondial

    Le stade Khalifa fait partie du complexe sportif de l’Aspire Zone, où se situent le centre d’entraînement de l’Aspire Academy et le centre médical Aspetar qui ont été utilisés par certains des plus grands clubs de football du monde (voir le document d’information).

    « Certaines des plus grandes stars du football mondial s’entraînent peut-être déjà sur des terrains aménagés et entretenus par des travailleurs migrants exploités. Elles joueront probablement bientôt dans des stades construits par ces mêmes personnes », a déclaré Salil Shetty.

    « Il est temps que les dirigeants du football dénoncent à voix haute ces abus s’ils ne veulent pas être salis indirectement, qu’il s’agisse de marques mondiales comme le Bayern Munich ou le PSG, ou de sponsors de premier plan comme Adidas ou Coca-Cola. » 31 mars 2016

    Pour en savoir plus

  • Maroc. La centrale solaire de Ouarzazate: le triomphe du capitalisme «vert» et la privatisation de la nature (Al'Enconte.ch)

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    Par Hamza Hamouchene

    Ouarzazate est une belle ville du Sud du Maroc, qui vaut la visite. C’est une destination touristique importante et elle a été surnommée la «porte du désert». Elle est aussi un lieu prisé pour les tournages cinematographiques, tels les films Lawrence d’Arabie (1962), La momie (1999), Gladiateur (2000), Le royaume des cieux (2005) et une partie de la série télévisée Game of Thrones. Ouarzazate a encore d’autres choses à offrir et son nom a été récemment associé au mégaprojet solaire qui est supposé mettre fin à la dépendance du Maroc vis-à-vis des importations d’énergie, de fournir de l’électricité à plus d’un million de Marocains et mettre le pays sur une «voie verte».

    A en croire le discours du makhzen (terme qui renvoie au roi et à l’élite qui l’entoure), repris sans nuance ni réflexion critique par la plupart des médias de la région et du monde occidental, ce projet serait une excellente nouvelle et un grand pas vers la réduction des émissions de carbone et la lutte contre le réchauffement climatique. Il y a pourtant place pour un certain scepticisme. Les annonces officielles d’un accord «historique» lors de la COP 21 à Paris sont un exemple de ce genre de propos trompeurs.

    Ma récente visite à Ouarzazate m’a vite poussé à déconstruire le discours dominant sur ce projet. Et en particulier d’aller gratter sous la surface de termes tels que «propreté», «excellence», «réduction des émissions de carbone» afin d’observer et d’examiner la matérialité de l’énergie solaire. Le projet est étudié ici sous l’angle de la création d’une nouvelle filière, dont les effets se révèlent peu différents des activités minières déprédatrices existantes dans le Sud du Maroc. Comme l’explique Timothy Mitchell, l’analyse de matérialité d’un tel projet peut aider à identifier les dispositifs économiques et politiques que cette forme particulière d’énergie engendre ou entrave[1].

    L’an dernier, j’ai écrit une note critique sur le projet solaire Déserte et développé des arguments sur les raisons de son échec, montrant comment il était vicié dès le départ. Une approche similaire est nécessaire pour comprendre les implications politiques et socio-environnementales d’un projet considéré comme la plus grande centrale solaire du monde. La plupart des arguments développés sur le projet Déserte sont toujours valables. Le propos ici n’est pas d’être sévère ou cynique par principe, mais de mettre l’accent sur quelques questions et quelques points afin de contribuer à donner une perspective différente de celle donnée actuellement par les médias.

    Ce qui semble être le point commun de tous les reportages et articles écrits sur la centrale solaire est l’affirmation profondément erronée que toute avancée vers une énergie renouvelable doit être considérée comme bienvenue. Et que toute diminution de l’usage des combustibles fossiles, indépendamment de la façon dont elle est effectuée, permettra d’éviter la crise climatique. Il faut le dire clairement et d’entrée de jeu: la crise climatique à laquelle nous sommes confrontés n’est pas attribuable aux combustibles fossiles en soi, mais plutôt à leur utilisation non durable et nuisible pour alimenter la machine capitaliste. En d’autres termes, c’est le capitalisme qui est la cause et si nous voulons être sérieux dans notre lutte contre la crise climatique (qui n’est que l’un des aspects de la crise du capitalisme), nous ne pouvons pas éluder la question d’un changement radical dans nos façons de produire et de distribuer les choses, ainsi que dans nos modes de consommation. Et nous ne pouvons pas ignorer les questions fondamentales de l’équité et de la justice. Il ressort de tout cela qu’un simple passage de l’énergie fossile à l’énergie renouvelable, tout en restant dans le cadre capitaliste de marchandisation et privatisation de la nature au profit de quelques-uns, ne résoudra pas le problème. De fait, si nous continuons dans la même voie, nous finirons par exacerber les problèmes ou en créer tout une série d’autres, autour des questions de propriété de la terre et des ressources naturelles.

    Accaparement vert et économie de la réparation

    Le fait que le projet d’énergie solaire concentrée (ESC) de Ouarzazate implique l’acquisition de 3000 hectares de terres collectives pour produire de l’énergie, dont une partie sera exportée vers l’Europe, conduit directement à la notion d’accaparement vert (green grabbing) comme cadre d’analyse[2]. L’accaparement vert se définit comme l’appropriation de la terre et des ressources à des fins prétendument environnementales. Il implique le transfert de propriété, des droits d’utilisation et du contrôle des ressources qui étaient auparavant de propriété publique ou privée – ou pour lesquelles la question de la propriété ne se posait même pas – des pauvres ou de tous, pauvres inclus, aux mains des puissants. Cette question de l’appropriation est au cœur des deux processus, qui sont liés, de l’accumulation et de la dépossession[3].

    L’élément «vert» est devenu partie intégrante du business et de l’économie de la croissance dominante. Cette mutation est en partie liée au tournant néolibéral et à la neólibéralisation des espaces de gouvernance de l’environnement ainsi qu’à la privatisation et la marchandisation de la nature[4]. L’accaparement vert a d’abord été le reflet de ce que Fairhead et al. ont appelé l’«économie de la réparation». Le plan solaire marocain fait partie de cette économie qui «a été introduite subrepticement sous la rubrique «durabilité», mais dont la logique est claire: les pratiques non durables ici peuvent être réparées par des pratiques durables ailleurs, chacune des natures étant subordonnée à l’autre». Cela apparaît clairement dans les discours gouvernementaux visant à promouvoir un programme vert mondial reposant sur l’exploitation des ressources nationales. Mais ils s’appuient aussi sur un autre discours environnemental qui qualifie les terres rurales du Sud de marginales et sous-utilisées et par conséquent disponibles pour l’investissement dans l’énergie verte[5]. Cette création à usage productiviste de la marginalité et de la dégradation a une longue histoire qui remonte à l’époque coloniale française. C’est à ce moment-là que le discours sur la dégradation a été construit pour justifier tout à la fois la dépossession pure et simple de la terre et la mise en place de dispositions institutionnelles sur la base du principe que l’élevage extensif était au mieux improductif, et au pire destructeur[6].

    Ces discours continuent de façonner l’économie politique des terres de parcours au Maroc. Ils contribuent aussi à éliminer les propriétaires de petits troupeaux du secteur et à permettre la concentration des richesses dans quelques mains, tandis que le marché du bétail se marchandise et que les sécheresses deviennent chroniques.

    C’est exactement ce qui s’est passé sur le plateau choisi pour accueillir la centrale de Ouarzazate, que le cadre discursif a rendu «marginal» et ouvert à de nouveaux usages du marché «vert»: production d’énergie solaire dans ce cas au détriment d’un autre usage de la terre – le pastoralisme – considéré comme improductif par les décideurs. Cela s’est traduit par une vente du terrain réalisée à très bas prix.

    Les modalités de l’accaparement des terres

    Il est important de commencer par un examen chronologique de l’accaparement des terres et du dialogue communautaire[7]. L’Office National de l’Electricité (ONE) a d’abord visité le site près de Ouarzazate en 2007. Cela a abouti à l’annonce du plan solaire en 2009. Les représentants des terres collectives, trois pour la communauté d’Aït Oukrour, ont donné leur accord formel pour la vente en janvier 2010. La vente a été réalisée en octobre 2010, juste avant la visite royale un peu plus tard dans le mois pour donner le coup d’envoi officiel du projet de Ouarzazate[8].

    Les habitants des communautés environnantes n’ont jamais été informés du processus de sélection du site et il n’a pas été prévu dans les conditions de vente qu’ils soient consultés. Cela est dû à l’existence de diverses lois trompeuses d’origine coloniale ayant servi à concentrer la propriété des terres collectives aux mains d’un seul représentant des terres, qui est en général sous l’influence de puissants notables régionaux. De ce fait, les citoyens ordinaires n’étaient pas au courant de ce qui était en train de se passer lorsque le topographe est arrivé. C’est pourquoi ils ont commencé à poser des questions qui sont restées pour la plupart sans réponse.

    La première réunion publique concernant l’implantation de la centrale solaire a eu lieu en novembre 2010, un mois après l’annonce par le roi du projet de Ouarzazate. La réunion a consisté en une présentation formelle de l’étude d’impact environnemental dans l’hôtel 5 étoiles, le plus luxueux de Ouarzazate, devant un public constitué de fonctionnaires gouvernementaux, représentants d’ONG, associations de développement villageoises et représentants de la population locale. Les habitants eux-mêmes, en revanche, ont été empêchés de faire entendre leurs points de vue. De telles réunions, véritables mascarades de «consultation populaire» n’ont servi qu’à informer les communautés locales d’un fait accompli et non pas à rechercher leur accord[9].

    Le prix de vente des terres collectives à l’Etat a été d’un dirham le m2 (environ 10 centimes d’euros, partant du fait de la «marginalité» et la «non-productivité» de ces terres). A titre de comparaison, le prix de vente ou de loyer des terres collectives à Ouarzazate était à ce moment-là de 10 à 12 dirhams le m2. Les gens n’étaient pas contents de cette vente et pensaient que le prix était très bas. L’un d’entre eux a fait remarquer que «les gens du projet parlent de désert non utilisé, mais pour les gens d’ici, ce n’est pas un désert, ce sont des pâturages. C’est leur territoire et leur avenir est dans cette terre. Si tu prends ma terre, tu prends mon oxygène»[10].

    La terre avait pris de la valeur dans toute la région, du fait de la spéculation et d’une demande croissante de terre pour l’agrobusiness et les marchés commerciaux de bétail. La terre, vendue pour à peine un dirham marocain le m2 valait nettement plus. Et comme si les choses n’allaient déjà pas assez mal, la population locale, dupée, a été surprise de découvrir que l’argent de la vente ne leur serait pas remis mais serait déposé dans un fond des tribus au Ministère de l’intérieur. De surcroît, cet argent serait utilisé pour financer des projets de développement pour toute la zone. Ils ont donc découvert que la vente de leurs terres n’était pas une vente du tout mais un simple transfert de fonds d’un organisme gouvernemental à un autre.

    Le makhzen non content d’acquérir la terre au bénéfice de l’Etat marocain (les lignes de partage entre l’Etat et les holdings de la famille royale sont souvent floues), l’a de surcroît revendue à l’Agence marocaine pour l’énergie solaire (MASEN), société privée créée avec des fonds publics en octobre 2010 dans le but spécifique de mener à bien les programmes solaires marocains. Ce genre de privatisations dans le secteur de l’énergie renouvelable n’est pas nouveau, puisqu’en 2005, la société royale NAREVA a été créée pour prendre le monopole des marchés de l’énergie et du secteur environnemental et a fini par se tailler la part du lion dans la production d’énergie éolienne dans le pays[11].

     

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    En substance, la loi a été détournée pour permettre la vente de la terre à une entité privée par le biais d’organismes d’État. Par ce biais, le gouvernement a effectivement privatisé et confisqué la souveraineté populaire historique sur la terre et transformé les gens en simples bénéficiaires du développement; développement qu’ils sont littéralement en train de payer, si tant est qu’il se concrétise, bien sûr.

    Cette aliénation systématique de terres en faveur de prestataires déjà en lice affichant leurs références «vertes» reflète comment le néolibéralisme restructure les interactions homme-nature et les relations socio-économiques agraires, les droits et l’autorité. Elle constitue également l’un des aspects de «l’accumulation par dépossession», qui consiste à clôturer les biens publics au profit d’intérêts privés à but lucratif, ce qui entraîne une plus grande injustice sociale[12].

    Cependant, la situation a soulevé des contestations. Encouragés par la dynamique du Mouvement du 20 Février pour un changement radical qui a émergé en même temps que les révoltes arabes en 2011, les gens ont résisté de diverses manières (plaintes, sit-in, lettres …). Ils se sont mobilisés autour d’anciennes doléances concernant la terre, l’eau et leurs droits à bénéficier de projets économiquement rentables, comme le solaire et les mines qui parsèment le sud du pays.

    La privatisation de l’énergie solaire: le rôle des Institutions financières internationales (IFI)

    Environ neuf milliards de dollars ont été investis dans le complexe d’énergie solaire Noor à Ouarzazate, une grande partie provenant de capitaux privés des institutions internationales telles que la Banque européenne d’investissement, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Agence Française de Développement, le groupe bancaire KfW, adossés à des garanties publiques marocaines (au cas où MASEN ne pourrait pas rembourser).

    Il n’y a là rien de surprenant en ce qui concerne l’appui sans faille des institutions financières internationales (IFIs) à ce projet au coût élevé et à forte intensité de capital, car le Maroc se targue d’avoir l’une des économies les plus libéral(isé)es de la région. Il est très ouvert aux capitaux étrangers au détriment des droits du travail, et très avancé dans son ambition d’être pleinement intégré dans le marché mondial (en position de subordination, bien sûr). En fait, le Maroc a été le premier pays nord-africain à signer un programme d’ajustement structurel (PAS) avec le Fonds monétaire international (FMI) en 1983. Une abondante littérature a montré que les PAS ont causé des ravages économiques et sociaux dans les pays du Sud.

    Les prêts mentionnés ci-dessus sont partie intégrante de la stratégie de la Banque mondiale et d’autres institutions financières internationales pour le pays, où elles continuent de renforcer et justifier l’orientation néolibérale et l’approfondissement des politiques pro-marché. La Banque mondiale a un important programme de financement au Maroc qui couvre trois domaines spécifiques liés au développement du capitalisme «vert» au Maroc. Le premier de ces domaines est le soutien au Plan Maroc Vert 2008 (PMV) du gouvernement, qui définit le plan agricole du pays pour la période 2008-2020. Le PMV vise à quintupler la valeur des cultures orientées vers l’exportation et prévoit l’abandon des cultures céréalières de base, la promotion de l’investissement privé dans l’agriculture et la levée des restrictions aux droits de propriété privée. Le deuxième grand domaine de financement de la Banque mondiale au Maroc est à l’appui à l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) qui, selon certains militants et chercheurs marocains, a créé une société civile artificielle et non-indépendante qui contribue à approfondir la marchandisation et la privatisation du social[13]. Le projet d’énergie solaire figure dans le troisième axe de la Banque mondiale, qui englobe une série de nouvelles mesures et de prêts pour des projets spécifiques. Les niveaux de décaissement de la Banque mondiale au Maroc ont atteint des niveaux record en 2011 et 2012, l’accent étant mis sur la promotion par ces prêts des partenariats public-privé (PPP) dans des secteurs clés.

    Comme cela a été abondamment analysé, les PPP ne sont qu’un euphémisme pour des privatisations pures et simples, tout en s’appuyant sur des fonds et des garanties publics. Il s’agit essentiellement de privatiser les profits et de nationaliser les pertes. Le complexe Noor-Ouarzazate est construit et sera exploité, en tant que PPP avec un partenaire privé, ACWA Power International, une société saoudienne. Il est étrange que le mot «public» soit accolé à un tel partenariat alors que les autorités publiques n’ont aucun contrôle ou ni aucune action dans le projet. C’est une entreprise entièrement privée tant au niveau de la propriété que de la gestion, le makhzen transférant des fonds publics à une société privée et donnant des garanties pour payer les prêts MASEN au cas où celui-ci ne pourrait pas payer, au risque d’endetter davantage le pays et de le conduire à la faillite.

     

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    Le partenaire privé est responsable de la construction de l’infrastructure, de la production d’énergie et de sa vente à l’Office National de l’Electricité (ONE), ce dernier s’engageant à acheter l’électricité pour une période de vingt à trente ans. Les PPP ont été extrêmement coûteux pour les Marocains, y compris dans le secteur de l’énergie, où les entreprises privées (produisant plus de cinquante pour cent de l’électricité du pays) ont bénéficié de généreux contrats avec l’ONE depuis les années 1990. Le mécontentement populaire vis-à-vis de ces entreprises et ces partenariats a refait surface récemment. En octobre 2015, par exemple, d’énormes mobilisations ont eu lieu contre la société Amendais dans le Nord du Maroc contre les factures élevées de l’électricité. Il ne semble pas que la production de l’énergie solaire aille dans un autre sens: elle sera contrôlée par des multinationales uniquement intéressées à faire d’énormes profits au détriment de la souveraineté et d’une vie décente pour les Marocains.

    Dettes et financiarisation de la Nature

    Le coût de la production d’énergie avec la technologie du Solaire thermique à concentration (CSP selon son abréviation en anglais) est très élevé. Il est de 1,62 dirham par kWh (kilowattheure), contre environ 0,8 dirham pour le photovoltaïque (PV). La MASEN achètera l’énergie du consortium ACWA au prix fixé de 1,62 dirham marocains et le revendra au prix inférieur de la grille de tarification à l’ONE, fonctionnant donc à perte. Selon le président de la MASEN, Mustapha Bakkoury (également ancien secrétaire général de l’un des partis politiques les plus royalistes le Parti authenticité et modernité, PAM), l’Agence sera à perte pendant les dix prochaines années au moins jusqu’à ce que l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente disparaisse en raison de l’inflation (noter que ceci est seulement une spéculation). Pour couvrir cette perte pour les cinq prochaines années, elle a obtenu un prêt de la Banque mondiale de 200 millions de dollars, renforçant donc la dépendance vis-à-vis des prêts multilatéraux et de l’aide étrangère. Plusieurs articles ont signalé l’existence de certaines subventions à l’énergie non divulguées par le Roi Mohammed VI, afin d’éviter que le coût soit transféré aux consommateurs d’énergie. Un article de la Banque mondiale a estimé ces subventions à 31 millions de dollars par an. Mais il y a une certaine ambiguïté quant à la raison pour laquelle ces fonds sont nécessaires si l’ONE achète à la MASEN au prix de la grille de tarification.

    La monarchie marocaine a conçu son plan d’énergie renouvelable non seulement comme une initiative de développement économique, mais aussi comme une politique potentiellement orientée vers l’exportation ce qui libéralisera davantage son économie. Elle en attend aussi un rapprochement du pays avec l’Union européenne (UE) en aidant à augmenter le pourcentage des énergies renouvelables dans le panier énergétique de l’UE. Ce n’est pas par hasard que «le gouvernement marocain a conçu une nouvelle stratégie énergétique en 2009 essentiellement alignée sur la trilogie énergétique de l’Union européenne, à savoir la sécurité énergétique, la compétitivité et la durabilité environnementale»[14]. Le Maroc a adhéré à un certain nombre d’institutions et de programmes d’énergies renouvelables mondiaux et régionaux, parmi lesquels l’Agence internationale de l’énergie renouvelable et le plan solaire pour la Méditerranée. Il a également fait part de son intérêt à se joindre au projet Desertec de la région MENA, et enregistré son projet d’énergie renouvelable dans le cadre du Mécanisme pour un développement propre (MDP) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Le MDP fait partie de ce que l’on appelle le commerce du carbone et est l’une des fausses solutions proposées pour lutter contre le changement climatique. Les MDPs ont été créés pour permettre aux pays plus riches classés comme «industrialisés» de participer à des initiatives de réductions d’émissions dans les pays à bas revenus ou à revenus intermédiaires, ce qui est un moyen d’éviter des réductions directes d’émissions. Ce mécanisme, ainsi que d’autres tels que la REDD (réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts dans les pays en développement) et différents mécanismes compensatoires participent à donner un prix à la nature, à la marchandiser sous le label de «capitalisme vert». McAfee a décrit ce processus comme une tentative de vendre la nature afin de le sauver[15].

    Actuellement, on ne sait pas combien le projet va rapporter en termes de MDP, mais il faut faire attention à la façon dont ce commerce «vert» repose sur et reproduit la notion économique classique des coûts d’opportunité différentiels. En d’autres termes, les contributions à l’amélioration de l’environnement mondial devraient être recherchées lorsque cela revient moins cher. Pourtant, comme McAfee le souligne, cela dépend essentiellement des inégalités entre les propriétaires terriens les plus pauvres et les plus riches, entre les zones urbaines et rurales et entre le Sud et le Nord. Cette dépendance renforce les inégalités en fin du compte.

    L’idée que le Maroc emprunte des milliards de dollars pour produire de l’énergie, dont une part sera exportée vers l’Europe alors que la viabilité économique de l’initiative est à peine assurée, soulève des questions sur l’externalisation des risques de la stratégie européenne de l’énergie renouvelable vers le Maroc et d’autres économies en difficulté de la région. Cela revient à ignorer ce que l’on appelle la «dette climatique» ou la «dette écologique» qui est due par les pays industrialisés du Nord aux pays du Sud de la planète, compte tenu de la responsabilité historique de l’Occident dans le changement climatique. Au lieu de cela, la dette n’est considérée comme légitime que dans l’autre sens et joue un rôle de contrôle impérialiste et de subordination. Comme le fait remarquer David Harvey, des décennies de prêts faciles et d’accroissement de l’endettement sont souvent rapidement suivies par une économie politique de dépossession.

    Le projet est-il véritablement vert? La question de l’eau

    La technologie choisie pour la centrale solaire de Ouarzazate est l’énergie solaire thermique à concentration (ESC) avec des collecteurs cylindro-paraboliques. Cette technologie concentre le rayonnement dans des miroirs et sur un point focal où un liquide visqueux est chauffé. La chaleur collectée produit de la vapeur, qui est ensuite convertie en électricité par un générateur à turbine.

    L’étude d’impact social et environnemental réalisée par la MASEN en 2011 concluait que la technologie ESC avec collecteurs cylindra-paraboliques était celle qui avait le plus d’impact sociaux et environnementaux sur les régions étudiées. Il semblerait que la capacité de stockage thermique de cette option a primé sur toutes autres considérations relatives à cette technologie. Cette capacité permet la meilleure adaptation de la production d’énergie aux pics de demande, à savoir la fin de l’après-midi. Le concept est simple: on utilise l’énergie pour chauffer un produit (par exemple des sels fondus) pendant la journée, et ensuite on récupère l’énergie thermique pour continuer à faire fonctionner les générateurs après le coucher du soleil.

    Le plus gros problème posé par cette technologie est l’utilisation extensive de l’eau lors de la phase de refroidissement par voie humide. Contrairement à la technologie photovoltaïque (PV), l’ESC a besoin de refroidissement. Cela se fait soit par condenseurs refroidis par l’air (refroidissement à sec) ou par une consommation élevée d’eau (refroidissement par voie humide). La phase I du projet utilisera l’option humide de refroidissement et la consommation d’eau est estimée à deux à trois millions de mètres cubes d’eau par an[16]. La consommation d’eau sera bien moindre avec le refroidissement à sec (prévu pour la phase II): entre 0,73 et 0,88 million de mètres cubes. Les technologies photovoltaïques n’ont besoin d’eau que pour le nettoyage des panneaux solaires. Ils consomment environ 200 fois moins d’eau que la technologie ESC avec refroidissement par voie humide et quarante fois moins d’eau que ESC avec refroidissement à sec.

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    On ne peut que remettre en question la rationalité d’un tel choix dans une région semi-aride comme le Maroc qui souffre de stress hydrique aigu et dont les ressources en eau pourraient se tarir en 2040. Compte tenu de cette situation, qui est exacerbée par la grave sécheresse qui sévit actuellement (qui sera combattue par un plan gouvernemental de relance massif et onéreux), la question qui doit être posée est: où va-t-on trouver l’eau et cette utilisation de l’eau est-elle soutenable à moyen et long terme? La réponse est que la centrale utilise déjà l’eau d’un barrage situé à proximité, appelé Al Mansour Eddahbi. Selon les autorités, moins d’un pour cent de la capacité moyenne du barrage sera utilisée.

    Les apports d’eau au barrage varient entre 54 et 1300 millions de mètres cubes, avec une moyenne de 384 millions de mètres cubes (sur la base des vingt-cinq dernières années). Cette eau est habituellement utilisée pour l’irrigation, à raison de 180 millions de mètres cubes par an, l’eau potable à raison de quatre millions de mètres cubes par an, tandis que l’évaporation consomme une soixantaine de millions de mètres cubes par an.

    Même si l’installation solaire n’utilise qu’un pour cent de la capacité moyenne du barrage, la consommation d’eau reste importante et peut devenir un problème épineux en période de sécheresse extrême lorsque le barrage ne contient que 54 millions de mètres cube d’eau. Dans ces moments, les eaux du barrage ne sont pas suffisantes pour couvrir les besoins de l’irrigation et en eau potable, ce qui rend l’utilisation de l’eau pour la centrale solaire largement problématique et controversée. Ce problème est encore plus important si l’on prend en compte les besoins en eau de la ville de Ouarzazate, qui atteindront 840 millions de mètres cubes d’ici 2020, dont 808 seront alloués à l’agriculture et trente-deux à la fourniture d’eau potable.

    Au cours de l’enquête sur cette question de l’eau, nous n’avons trouvé aucun document mentionnant la vente ou l’achat d’eau par la MASEN. De toute façon, dans une région aride comme celle de Ouarzazate, cette appropriation de l’eau pour un programme prétendument vert constitue un autre accaparement «vert», qui va contribuer à l’intensification des dynamiques agraires en cours et des luttes pour la subsistance dans la région.

    Les contradictions du modèle de développement «durable» au Maroc

    Le Maroc va accueillir les négociations sur le climat (COP22) au mois de novembre de cette année et sa réputation internationale repose sur son plan d’énergie renouvelable. A cet effet, le complexe solaire de Ouarzazate sera utilisé comme un projet phare pour embellir la façade «verte» du makhzen et améliorer sa réputation internationale afin d’en tirer des retombées politiques et stratégiques au détriment d’un changement démocratique radical.

    Cependant, gratter légèrement sous la surface nous permet de voir ce qu’il y a derrière ce discours trompeur. Si l’Etat marocain était vraiment sérieux au sujet de ses qualités écologiques, pourquoi est-il en train de construire une centrale électrique au charbon, ce qui représente un écocide attendu pour la ville déjà polluée de Safi? Pourquoi ignore-t-il également les effets dévastateurs, environnementaux et sociaux de l’industrie minière dans le pays? Un exemple notable est celui de la longue lutte de la communauté d’Imider (à 140 kilomètres à l’est de Ouarzazate) contre une mine d’argent, fleuron du holding royal SNI (la mine d’argent la plus productive d’Afrique), qui pollue son environnement, accapare son eau et pille ses richesses.

    Conclusion

    Malgré l’attrait du mégaprojet solaire, il incombe à la gauche radicale et au mouvement environnementaliste pour la justice climatique de développer une approche critique de la propagande du makhzen et du discours international dominant autour de la gouvernance environnementale auquel elle est liée. Les militants doivent se poser les questions pertinentes, qui permettent de mettre l’accent sur la réalité de l’énergie solaire: qui possède quoi? Qui fait quoi? Qui obtient quoi? Qui gagne et qui perd? Et quel bien public collectif est desservi ? Répondre à ces questions dans une optique de justice distributive, tout en tenant compte de l’héritage colonial et néocolonial et des questions de race, classe et genre, fera apparaître de nombreux parallèles entre la centrale solaire ESC et les industries extractives, qui sont plus évidemment destructrices. Comme ces industries, l’occupation de l’espace par la centrale solaire est problématique, car elle remet en cause la souveraineté des populations sur leurs terres et les prive de leurs ressources dans le but de concentrer la valeur créée aux mains des cercles prédateurs du makhzen et des entreprises privées, marocaines et non marocaines.

    Si nous voulons concevoir et mettre en œuvre des projets réellement verts et équitables, nous devons arracher la nature des griffes des mécanismes du marché et reformuler le débat autour des questions de justice, de reddition de comptes et de biens communs loin des logiques du marché qui compartimentent, marchandises et privatisent la nature et nos moyens de subsistance. Mais la question centrale, c’est celle des formes d’engagement local véritable et de consultations appropriées où les communautés et les populations sont libres de donner ou de refuser leur consentement préalable et informé.

    Hamza Hamouchene, militant et chercheur, spécialiste des questions énergétiques, environnementales et climatiques au Maghreb. Texte traduit de l’Anglais par Lucile Daumas

     Alencontre le 31 - mars - 2016
     
    Pour les notes et bibliographie
     
  • Londres BDS (Ujfp)

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    Commentaire: Nous signalons que le dessinateur "Latuff" peut être qualifié d'antisémite car il a participé à un concours de dessins à Téhéran, au service des Mollahs.

  • Non, antisionisme et antisémitisme ne sont pas synonymes (Ujfp)

    Selon Manuel Valls, l’antisionisme est « tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël ».

    Prononcée le 7 mars lors du dernier dîner annuel du Crif (Conseil représentatif des juifs de France), organisme principalement dédié à la défense des gouvernements israéliens successifs auprès des autorités françaises, cette accusation vise à faire peser un soupçon indistinct d’infamie sur les mouvements de solidarité avec les Palestiniens. Voire à les criminaliser, comme on le constate avec la pénalisation des appels au boycott des produits israéliens en provenance des territoires occupés.

    Passons sur le fait qu’il est permis – et même valorisé – dans notre pays d’appeler à la guerre (en Irak, au Darfour, en Syrie, en Libye) mais illicite de protester par un boycott de consommation contre une politique coloniale. Intéressons-nous plutôt aux rapports entre sionisme et antisémitisme, en nous souvenant en premier lieu que la majorité des juifs du monde, et notamment les Français, furent opposés au sionisme jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale et que même alors, la majorité des juifs d’Europe ne choisit pas la Palestine après la shoah. Pas plus que les juifs russes fuyant les pogroms à la fin du XIXe siècle, dont seul 1 % se rendit en « Terre promise ».

    Quant aux juifs français engagés dans le soutien au capitaine Dreyfus, tous ne suivirent pas Théodore Herzl, fondateur du sionisme, qui fit de ce procès inique le déclencheur de son projet national. Lorsque Herzl affirmait que l’affaire Dreyfus marquait l’échec du modèle républicain d’intégration des juifs, d’autres voyaient dans le foyer national juif un « piège tendu par l’antisémitisme » [1]. Et c’est dans une logique tout impériale que Lord Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères lui apporta son soutien en novembre 1917, durant la Première Guerre mondiale.

    Que l’on puisse sans contradiction être prosioniste et antisémite devrait tomber sous le sens, puisqu’il s’agissait, dès l’origine, de débarrasser l’Europe de ses juifs, projet commun des uns et des autres avant que surgisse la folie hitlérienne. La dimension biblique comptait dans ce soutien, les courants évangéliques anglais de l’époque, comme leurs homologues contemporains aux Etats-Unis, voyant dans le rassemblement des juifs en Palestine l’actualisation du récit de l’ancien testament et le prélude à l’avènement du Messie.

    Que l’on puisse sans contradiction être prosioniste et antisémite devrait tomber sous le sens, puisqu’il s’agissait, dès l’origine, de débarrasser l’Europe de ses juifs, projet commun des uns et des autres avant que surgisse la folie hitlérienne. La dimension biblique comptait dans ce soutien, les courants évangéliques anglais de l’époque, comme leurs homologues contemporains aux Etats-Unis, voyant dans le rassemblement des juifs en Palestine l’actualisation du récit de l’ancien testament et le prélude à l’avènement du Messie.

    Les plus fervents et les plus radicaux des défenseurs d’Israël en toutes circonstances se recrutent d’ailleurs parmi ces évangéliques américains, lesquels véhiculent les plus classiques des stéréotypes antisémites tout en soutenant les plus durs des colons israéliens. L’avenir qu’ils réservent aux juifs laisse songeur quant aux alliances de l’Etat hébreu : selon l’interprétation évangélique de la Bible, les juifs devront en effet se convertir ou périr lors du Jugement dernier hâté par leur regroupement en Palestine.

    On peut certes être antisioniste par haine des juifs, qui pourrait le nier ? Mais on peut n’être pas moins antisémite et un sioniste ardent, ce que notre Premier ministre semble ignorer. Estimer que la création d’Israël fut une décision funeste, y compris pour les juifs, relève de la liberté d’opinion, au même titre que l’opinion contraire. Telles sont, stricto sensu, les significations des mots antisioniste et sioniste. Les deux positions, regards opposés mais également légitimes sur un événement historique, peuvent se nourrir de l’antisémitisme, comme elles peuvent y être totalement étrangères.

    Les saisies de terres, destructions de maisons, emprisonnements administratifs, extensions de colonies, voilà ce qui nourrit aujourd’hui la critique d’Israël et de sa politique du fait accompli. Si le sionisme historique est pluriel, sa forme contemporaine est monocolore, largement sous le contrôle des colons. Et l’antisionisme est pour beaucoup une simple opposition à la stratégie d’occupation des territoires palestiniens et aux exactions qui l’accompagnent.

    Voilà ce que cherche à masquer le Crif, principal porte-voix du gouvernement israélien en France, désormais détrôné dans ce rôle par le Premier ministre.

    RONY BRAUMAN
    Ancien président de Médecins sans frontières, professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris

    jeudi 31 mars 2016 par Rony Brauman

    http://www.ujfp.org/spip.php?article4818

  • L’Etat islamique : Produit du chaos, synthèse du pire Islamistes et Baasistes (Essf)

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    Alors que souvent, la population des pays arabes est exhortée à choisir entre les deux termes d’une fausse alternative, dictatures tortionnaire ou islamiste, Daesh a réussi à créer une sorte de synthèse entre les deux. Une synthèse pour le pire.

    L’organisation est née par couches successives, entre 2005 et 2010, en l’Irak (alors occupée par les USA), en fusionnant d’un côté une fraction de l’ancien appareil policier et de renseignement du régime tortionnaire de Saddam Hussein, de l’autre des militants à l’idéologie salafiste djihadiste.

    Ceci n’est pas contradictoire : alors que le parti Baas, dont une branche était au pouvoir sous Saddam Hussein en Irak (et une autre l’est toujours en Syrie), se prétendait officiellement « laïque », notamment à des fins de propagande internationale, il avait déjà intégré de nombreux sous-officiers de tendance salafiste depuis le début des années 1990. En effet, lors de sa première confrontation militaire avec les USA, en 1990/91 autour de la question du Koweït, Saddam Hussein avait fait le choix stratégique d’en appeler à la mobilisation « islamique » pour gagner un soutien dans le monde arabe.

    Lors du début de son implantation dans des villes du « triangle sunnite » au centre de l’Irak, la future organisation Daesh s’est surtout illustrée par son travail de renseignement intense, exploitant toutes les failles de la société locale afin d’identifier ses adversaires potentiels, les victimes potentielles de chantage, et ses alliés.

    En termes d’idéologie, Daesh est conforme aux variantes djihadistes de l’islam politique, dans leurs formes les plus « pures », voire les plus caricaturales, réduisant la religion musulmane à un marqueur identitaire contre « les infidèles ». L’organisation pousse cependant l’idéologie à l’extrême, cherchant à anéantir physiquement les Yézidis dans le nord de l’Irak et réduisant les femmes en esclavage sexuel. Daesh tue des homosexuels en les jetant du haut des immeubles, publiant des vidéos sur internet, impose un code vestimentaire aux femmes, et pratique des flagellations.

    Une économie parasitaire

    L’organisation ne dispose d’aucun « modèle économique », se contentant de pratiquer une économie de guerre parasitaire, fondée sur le pillage (par exemple des banques irakiennes dans les villes conquises) et la contrebande, par exemples de pétrole. Le tout s’accompagne cependant, comme pour d’autres courants islamistes, d’appels contre la « corruption » et le « vice moral », termes appliqués aux prix usuriers chez les commerçants, et d’un appel aux riches à pratiquer l’aumône.

    Une des bases du (relatif) succès de Daesh réside dans sa prétention à incarner une violence légitimée par le fait qu’elle serait une juste réponse à celle des pays dominants, présentés non pas comme impérialistes mais comme « croisés ». L’organisation pratique une mise en scène spectaculaire de l’extrême violence, mais la glisse parfois dans un habillage qui est censé faire allusion à la violence de ses ennemis. Des prisonniers égorgés étaient ainsi habillés en orange, pour évoquer l’habit des détenus de Guantánamo ; un pilote jordanien a été brûlé vif dans une cage, prétendument pour symboliser l’équivalence de l’incendie de bâtiments bombardés.

    Daesh se nourrit en partie de la violence réelle des interventions impérialistes, tout comme le groupe bénéficie du chaos politique créé en Irak, dont les USA partagent la responsabilité avec la dictature antérieure. Les ennemis de nos ennemis n’étant pas forcément nos amis, loin s’en faut, cette organisation constitue pour nous un ennemi mortel avec ses pratiques et son projet de société. Mais nous ne pouvons nous opposer à elle que dans une totale indépendance vis-à-vis de « notre » impérialisme...

    Bertold du Ryon

    « Etat islamique  : Produit du chaos, synthèse du pire ». Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 330 (31/03/2016) :
    https://npa2009.org/etat-islamique-produit-du-chaos-synthese-du-pire

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37585

     

  • Maroc : des détenus sahraouis en grève de la faim depuis le 1er mars (Essf)

    Aziza Brahim

    Le 1er mars, le défenseur des droits de l’homme sahraoui Naama Asfari et 11 de ses codétenus ont entamé une grève de la faim illimitée pour protester contre leur détention arbitraire.

    Alors que leur état de santé s’est détérioré, l’ACAT appelle la France à faire pression sur le Maroc pour que Naama Asfari et ses codétenus soient libérés.

    Le 15 mars, les grévistes de la faim avaient perdu en moyenne 7 kilos chacun. Ils souffrent pour la plupart de douleurs chroniques au cœur et aux intestins ainsi que d’une baisse de la tension artérielle. Après 17 jours de grève, aucun responsable pénitentiaire n’étant venu s’enquérir des revendications des détenus ces derniers ont décidé d’arrêter les consultations médicales, basées sur des mesures de poids, du pouls et de la tension.

    Cela fait trois ans que Naama Asfari et ses coaccusés ont été condamnés pour leur participation présumée au camp de protestation sahraoui de Gdeim Izik en novembre 2010 [1]. Au cours de l’évacuation forcée du camp, des affrontements ont éclaté entre l’armée et des manifestants sahraouis, au cours desquels neuf soldats marocains auraient trouvé la mort.

    Naama Asfari a été condamné pour meurtre alors même qu’il a été arrêté la veille du démantèlement. Torturé, battu, humilié, privé d’eau et de nourriture pendant sa garde à vue en 2010, il avait signé des aveux sous la torture. Ces aveux sont les seuls fondements de sa condamnation inique, dictée par un tribunal militaire : 30 ans de prison. Avec lui, 24 autres militants sahraouis ont subi un sort similaire et ont été condamnés à des peines allant de 20 ans à la réclusion criminelle à perpétuité. Les tortures qu’ils ont subies ainsi que leur procès ont été condamnés par plusieurs instances des Nations unies.

    Selon Hélène Legeay, responsable Maghreb/Moyen-Orient à l’ACAT, « la grève de la faim de ces militants sahraouis a déjà trop duré. Après trois ou quatre semaines de grève de la faim, des dégâts parfois irréversibles apparaissent. Comment la France peut-elle rester silencieuse face à des victimes de torture qui mettent leur vie en jeu pour réclamer justice, tout en réaffirmant qu’elle va décorer un responsable marocain soupçonné de complicité de torture ? » |2]

    Le mandat de la MINURSO, la mission des Nations Unies au Sahara occidental, sera renouvelé à la fin du mois d’avril. Il s’agit de la seule mission de l’ONU qui ne dispose pas d’un volet concernant les droits de l’homme, notamment du fait de l’opposition du gouvernement français.

    En février 2014, l’ACAT a déposé une plainte pour torture en France aux côtés de Naama Asfari et son épouse française, Claude Mangin. L’ACAT a aussi porté plainte contre le Maroc auprès du Comité contre la torture des Nations unies. , par ACAT France

    ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture)

    Communiqué de presse

    Notes aux rédactions :

    · [1] À partir du 9 octobre 2010, des milliers de Sahraouis d’El-Ayoun, Boujdour, Dakhla et Smara, des villes situées dans la partie du Sahara occidental sous administration marocaine, ont quitté leur résidence pour s’installer dans des campements temporaires à la périphérie des villes. Il s’agissait là d’une mobilisation collective spectaculaire destinée à protester contre les discriminations économiques et sociales dont les Sahraouis s’estiment victimes de la part du gouvernement marocain.

    · [2] Le 20 septembre 2015, François Hollande a annoncé qu’Abdellatif Hammouchi, le chef de la DGST marocaine, « se fera remettre la distinction d’officier de la Légion d’honneur au moment où ce sera souhaitable et opportun ».

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37583