En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Au Yémen, les orphelins sont laissés à leur sort (Reuters)
Plongé dans la guerre civile depuis deux ans, le Yémen est frappé également par la famine. Rien ne semble apaiser les deux parties qui s'opposent
Le Yémen est un trou noir que seuls des chiffres effrayants viennent tristement éclairer. Deux ans après avoir été chassé de la capitale Sanaa par les rebelles Houthis , Abd Rabbo Mansour Hadi reste le président "légitime" mais réside le plus souvent à Ryad, en Arabie saoudite. Il est devenu le spectateur impuissant et lointain de ce que certains appellent "le bourbier yéménite". Selon les toutes dernières estimations de l'ONU, les combats auraient fait plus de 10.000 morts, majoritairement des civils dont au moins 1.546 enfants,dans un pays où près de 50% des 27 millions d'habitants ont moins de 18 ans. De son côté le Haut Commissariat aux Réfugiés (UNHCR), rappelle que 21 millions de Yéménites, soit 82% de la population, sont dans un besoin urgent d'assistance humanitaire. Il y aurait en outre près de trois millions de déplacés.
A l’initiative de Handicap International, six organisations humanitaires françaises non gouvernementales (ONG) - Médecins du Monde, Care, Solidarités international, Première urgence internationale et Action contre la Faim - sont montées au créneau cette semaine, après l’annonce de l’ONU invoquant "la pire crise humanitaire" et "un grave risque de famine" pour ce pays, déjà l’un des plus démunis au monde. Onze millions de personnes vivent dans les zones disputées où les combats font rages. Les Nations-Unies font état de 325 attaques, soit près d’un bombardement par jour que Jean-Pierre Delomier, directeur de l’action humanitaire de Handicap, dénonce comme "la preuve d’un mépris absolu pour la vie des civils". L’organisation CARE s’alarme "des zones grises" où la famine aurait frappé et Médecins du Monde rappelle que "les humanitaires sont confrontés chaque jour à la détresse des civils sans accès aux soins". Aujourd'hui, vingt et un million de Yéménites vivent sous assistance humanitaire et près de 3,5 millions de jeunes sont déscolarisés. Soit le double en deux ans. "Toute une génération risque de voir son avenir compromis", a prévenu la porte-parole du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) pour le Yémen, Shabia Mantoo.
Sept trêves depuis le début du conflit
Les frappes aériennes n'épargnent pas les pêcheurs nombreux dans la région. Toujours selon le UNHCR, les petites embarcations sont visées sans sommation. Le 15 mars, un hélicoptère Apache a pilonné un bateau de pêcheur près de la côte de Al Hudaydah, faisant deux morts et en blessant cinq autres. Un autre bateau a été pulvérisé par un missile, dans la même région et le même jour cinq pêcheurs ont péri, touchés par un missile de la Coalition, commandée par l'Arabie saoudite et parti-prenante du conflit depuis le 26 mars 2015, près de la côte de Ad Durayhimi, toujours dans le district de Al Hudaydah.
Il y a eu sept trêves arrangées par l'ONU depuis le début du conflit et l'ex-Secrétaire d'Etat américain John Kerry. Mais selon l'ONU, les belligérants refusent de négocier. L'enjeu est crucial pour les Saoudiens qui cherche ainsi à contrer leur grand rival iranien, accusé de soutenir les rebelles Houthis. Barack Obama n'était pas très bien disposé à leur égard et ils semblent compter davantage sur Donald Trump qui semble mieux disposé à leur encontre. Jusqu'à présent, Washington fournit les armes à la coalition et l'assiste en ravitaillement aérien et en renseignements. La question est de savoir si l'administration Trump va augmenter cette aide. Ce qui serait perçu selon Joost Hiltermann et April Alley de l'International Crisis Group, "comme un signal fort de sa déterminationface à l'Iran".
L'ancien Président Ali Abdallah Saleh s'est rallié aux Houthis alors que pendant longtemps il les a combattus.
Saleh avait été obligé de laisser sa place en 2012, après un accord politique passé avec les Saoudiens qui lui garantissaient en échange l’immunité à vie. Il n'a clairement pas abandonné l'idée de revenir au centre du jeu politique yéménite. Pendant ce temps-là, le Président "légitime" Hadi campe sur ses positions et affirme qu'il ne remettra le pouvoir qu'à un "président élu". Deux ans, jour pour jour, après le début du conflit, il persiste à exiger une reprise du processus politique.
Alors que l’Etat islamique se sert de civils comme boucliers humains, des dizaines, voire des centaines d’entre eux auraient été tués par des frappes aériennes de la coalition. Une enquête a été ouverte.
Ayman a d’abord été marqué par l’odeur. «Elle était atroce, si forte qu’on a hésité à avancer», dit-il. Quand il s’est approché avec d’autres habitants du quartier al-Jadida de Mossoul, il a découvert une scène d’horreur. Des dizaines de cadavres, d’enfants, de femmes, d’hommes, de personnes âgées, coincés sous les gravats de maisons écroulées. «Nous avons retiré environ 200 corps des décombres. Mais il en reste», affirme-t-il.
Ayman habite de l’autre côté de la rue où se serait produite la pire bavure de la coalition internationale depuis le début de son intervention contre l’Etat islamique, il y a deux ans et demi. Aucun bilan précis n’a été fourni mais il s’élève au minimum à plusieurs dizaines de morts, peut-être plusieurs centaines, selon des témoignages d’habitants.
Dans un communiqué, la coalition menée par les Etats-Unis a reconnu avoir procédé à des frappes aériennes dans «la zone correspondant aux allégations de victimes civiles». Elle affirme avoir agi à la demande des forces contre-terroristes irakiennes (CTS) déployées dans ce quartier de Mossoul-Ouest. Une enquête a été ordonnée. L’armée irakienne a de son côté affirmé dimanche qu’aucun signe de frappe aérienne n’était visible. Elle accuse l’Etat islamique d’avoir piégé et fait exploser les bâtiments. «Il n’y a pas eu de bombardement. Ce sont les jihadistes qui les ont détruits», explique un haut gradé des CTS. La veille, dans le New York Times, un général des CTS affirmait l’inverse, reconnaissant que des frappes aériennes avaient bien été demandées à la coalition.
«A chaque fois, c’est pareil»
Les bombardements ont visé des maisons et des bâtiments situés derrière la mosquée Fath el-Ali, à proximité du principal supermarché du quartier. Les premiers remonteraient au 17 mars et d’autres auraient suivi. «Pendant plusieurs jours, les forces antiterroristes nous ont interdit d’y aller, à cause des combats. On n’a pu enlever les premiers cadavres qu’à partir de jeudi», explique Ayman. Vendredi, les secouristes de la Défense civile de Mossoul se sont rendus sur la place. «Nous avons retiré 85 cadavres», dit l’un d’eux. Selon lui, le bilan final s’établirait à plus de 100 morts. Le quartier était toujours bouclé et interdit à la presse dimanche par les forces irakiennes.
Dans son communiqué, la coalition affirme avoir frappé des combattants et des «équipements» de l’Etat islamique. D’après des habitants du quartier, les civils étaient dans les caves tandis que des jihadistes étaient postés sur les toits. «A chaque fois, c’est pareil. Je l’ai souvent vu ces dernières semaines, les combattants de Daech étaient en face de chez moi. Dès qu’ils tirent, deux ou trois missiles visent le bâtiment où ils sont», poursuit Ayman.
Ce samedi, plusieurs habitants d’Al Jadida se sont regroupés à la sortie sud de Mossoul, au carrefour d’Al-Aagrab, à quelques kilomètres de leur quartier, sur la route de Bagdad. Certains ont décidé de fuir et de s’installer chez des proches ou dans un camp de réfugiés, d’autres, comme Ayman, attendent de remplir des jerricans de fuel avant de rentrer chez eux. Tous racontent la violence des combats entre l’EI et les forces irakiennes.
«C’est ma sœur»
«Le quartier n’est qu’une immense ruine. C’est infernal, il y a sans arrêt des bombardements. Ce n’est pas possible que des avions frappent pour ne tuer qu’un ou deux jihadistes alors que des civils sont dans les maisons», explique une femme au voile noir pailleté. «J’ai perdu trois membres de ma famille comme ça. Un bombardement a anéanti leur maison parce qu’un sniper yéménite était sur le toit», poursuit-elle.
Samedi, les forces irakiennes ont annoncé que l’offensive à Mossoul était suspendue, en raison du nombre de victimes civiles. Elle n’est en réalité que ralentie, des combats se déroulant toujours à la lisière de la vieille ville. La résistance de l’EI a toutefois poussé l’Etat-major irakien à revoir ses plans. «L’objectif est désormais d’encercler la vieille ville, et de laisser un passage pour que les jihadistes puissent sortir. On les attendra dans les quartiers où les rues sont plus larges. Nous avons le temps», assure le colonel Falah, commandant de la 1ère brigade de l’ERD.
Samedi en fin d’après-midi, une famille est arrivée au carrefour d’Al-Aagrab. Elle aussi venait du quartier Al-Jadida. Une heure et demi plus tôt, elle s’était réfugiée dans une pièce de la maison. «On s’était cachés là pour se protéger mais un obus a explosé. Un mur s’est écroulé et nous est tombé dessus», explique Mizer Alewi, la vingtaine. Il ne sait pas qui a tiré l’obus, des forces irakiennes ou de l’EI. Quatre personnes ont été tuées.
La famille a été emmenée à une station-service transformée en dispensaire. La mère est assise par terre, elle a du mal à se tenir droite, elle pleure. Elle est entourée d’enfants, dont le plus jeune n’a pas deux ans. Ils sont pieds nus, recouverts de poussière, hagards. L’un d’eux a le crâne bandé. Derrière lui, sur une civière, un corps est enveloppé dans un sac en plastique bleu. «C’est ma sœur», dit Mizer Alewi.
Luc Mathieu Envoyé spécial à Mossoul
liberation.fr – Par Luc Mathieu, Envoyé spécial à Mossoul —
Les héros qui se sont exprimés vendredi sur nos écrans de télévision ne nous ont certes rien appris.
Ils ont fait beaucoup plus que cela. De faits relégués à l’histoire des historiens, à moitié oubliés, déformés, tronqués, maltraités, noircis ou volontairement occultés par la parole bourguibiste, ils ont fait une histoire toujours vivante, une histoire présente, une histoire qui marche encore, une l’histoire réelle et vraie, parce qu’elle vit, qu’elle est présente et qu’elle marche encore, malgré ses béquilles.
Ce 24 mars, l’IVD a réussi un grand coup.
On doit s’en féliciter. Pour la première fois depuis l’indépendance, ceux qui ont résisté les armes à la main contre la colonisation et le bourguibisme émergeant ont pu témoigner publiquement, de leurs luttes, de leurs souffrances et de la répression dont ils ont été l’objet au lendemain des accords de l’Autonomie interne. Les témoignages de ces quelques survivants, qui résistent à la mort comme ils ont résisté à l’oppression, qui n’ont plus d’âge mais toujours bonne mémoire, seront probablement pris avec précaution par les historiens de profession. Ils disent pourtant une vérité historique essentielle : l’indépendance n’a pas été conquise par la fameuse « politique des étapes » chère à Bourguiba, ni par son génie diplomatique, ni par son habileté négociatrice. Elle a été conquise par les armes, les armes de nos fellaghas, les armes algériennes, les armes nassériennes, les armes de Dien Bien Phu. C’est par la violence et la révolution que l’occupation coloniale a été défaite, c’est par une contre-révolution dans la révolution que Bourguiba, soutenu par l’UGTT, appuyé par la France, a instauré sa dictature, écrasant les plus valeureux parmi nos résistants.
Nous savions tous cela et les héros qui se sont exprimés vendredi sur nos écrans de télévision ne nous ont certes rien appris.
Ils ont fait beaucoup plus que cela. Ils ont fait beaucoup plus que nous apprendre quelque chose que nous n’aurions pas su. De faits relégués à l’histoire des historiens, à moitié oubliés, déformés, tronqués, maltraités, noircis ou volontairement occultés par la parole bourguibiste, ils ont fait une histoire toujours vivante, une histoire présente, une histoire qui marche encore, une l’histoire réelle et vraie, parce qu’elle vit, qu’elle est présente et qu’elle marche encore, malgré ses béquilles. Ils ont remis cette histoire-là d’où elle n’aurait jamais dû sortir, c’est-à-dire au cœur de la politique du présent, au cœur de notre révolution au présent, au cœur du long combat encore inachevée pour la libération.
Mais rien n’est encore joué. Tout est fragile.
Cet acquis, nous le devons généralement à la révolution du 17 décembre. Nous le devons particulièrement à l’IVD qui l’a réalisé pratiquement, malgré l’hostilité persistante des singes restaurationnistes et le boycott opiniâtre des forces organisées de la gauche. Nul doute par ailleurs que la diplomatie française, inquiète de voir déterrer les crimes coloniaux et exiger des réparations, n’ait également multiplié les pressions sur les responsables de l’IVD. Aussi bien les rapports de force dans lesquels l’IVD a été mise en place que les rapports de forces actuels imposent des limites à son action et balisent hélas le discours qu’elle s’autorise. Il est regrettable ainsi, bien que compréhensible, que, ce 24 mars, aient prédominés dans les propos de ses animateurs les thèmes « transitionnistes » de la réconciliation et des droits de l’homme, accolés à la recherche de la vérité historique et à la réhabilitation des anciens combattants.
Les violences qu’ont subies ces femmes et ces hommes dont nous entendons aujourd’hui les témoignages, celles qu’ont subies ceux qui sont morts ou qui ont disparus, ne sont pas plus réductibles à une atteinte aux droits de l’homme que l’assassinat de Salah Ben Youssef n’a été une atteinte aux droits de l’homme. Ce sont, dans leur ensemble et dans leur continuité, des faits d’une guerre politique menée par l’Etat colonial puis relayée par un Etat bourguibien soucieux de mettre un terme à une dynamique décoloniale qui pouvait menacer son autorité, c’est-à-dire l’ordre social sur lequel il reposait.
La colonisation n’est pas simple atteinte aux droits de l’homme.
Et la dictature bourguibienne, dont Ben Ali a repris à sa manière l’héritage, a été un système global d’oppression et non seulement la multiplication d’atteintes aux droits de l’homme. Dès lors que signifie la « réconciliation » ou, selon une formule de l’IVD, la recherche de la vérité historique pour nous réconcilier avec nous-mêmes ? L’histoire dont nous ont parlé les anciens fellaghas ou les membres de leurs familles appartient-elle désormais à un passé sans rapport avec le présent ? Leurs combats seraient-ils désormais obsolètes, hors du temps actuel ? Nous savons bien que ce n’est pas le cas.
Ce langage de la réconciliation me fait penser à une autre « transition », considérée comme ayant réussi, sans doute parce qu’elle a empêché une révolution. J’ai en tête l’avènement de l’Espagne démocratique qui a succédé à la dictature franquiste. On y a beaucoup parlé aussi de « réconciliation » et de mémoire réconciliée. Dans ce cadre, relate le critique italien Enzo Traverso, fut décidé en octobre 2004 « de faire défiler ensemble, lors d’une fête nationale, un vieil exilé républicain et un ex-membre de la Division Azul que franco avait envoyée en Russie en 1941 pour combattre à côté des armées allemandes[1] ». Seul le cadavre d’une révolution peut se réconcilier avec la contre-révolution.
J’ose espérer que « se réconcilier avec nous-mêmes » dans l’esprit de l’IVD signifie tout autre chose. Que par réconciliation, il faille entendre des retrouvailles. Celles des combattants séparés par tant d’années et tant de défaites, la réintégration des luttes anticoloniales menées contre Bourguiba au cœur des combats présents pour la libération. Sans cela, les témoignages que nous avons entendus lors de la dernière audition publique de l’IVD resteront de simples mots et, quand bien même ils seraient enterrés décemment, les squelettes sans sépultures resteront sans sépultures.
Enzo Traverso, Le passé mode d’emploi. Histoire, mémoire, politique, éd. La fabrique, Paris, 2006, p.51
Sadri Khiari
Membre fondateur du Conseil National des Libertés en Tunisie (CNLT) et d'ATTAC-Tunisie (RAID). Co-fondateur en France du Parti des indigènes de la république. Sadri est aussi l’auteur de nombreux articles sur la Tunisie et d’un ouvrage intitulé Tunisie, le délitement de la cité, éditions Karthala, Paris, 2003. Voir également « La révolution ne vient pas de nulle part », entretien avec Sadri Khiari conduit par Beatrice Hibou, in Politique africaine, n°121, éd. Karthala, Paris, mars 2011, disponible en français et en anglais. Il a publié également Sainte Caroline contre Tariq Ramadan. Le livre qui met un point final à Caroline Fourest, éditions LaRevanche, Paris, 2011, La Contre-révolution coloniale en France. De de Gaulle à Sarkozy, éditions La Fabrique, Paris, 2009 et Pour une politique de la racaille. Immigrés, indigènes et jeunes de banlieue, éditions Textuel, Paris, 2006. "Malcolm X, stratège de la dignité noire", éditions Amsterdam, Paris, 2013. Artiste-peintre et dessinateur, collaborateur régulier du magazine tunisien de bandes dessinée, "LAB 619".
Une circulaire de 1973 interdit le mariage des musulmanes avec des non-musulmans, alors que les hommes ne sont pas concernés par une telle restriction. Une inégalité dénoncée par un collectif d'associations.
C'est un texte qui date de l'ère Bourguiba, mais qui ne reflète pas les efforts pour l'émancipation féminine du premier président de la République tunisienne. Depuis 1973, une circulaire du ministère de la Justice empêche la célébration du mariage des Tunisiennes musulmanes avec des non-musulmans. Tandis qu'aucune interdiction de ce type n'existe pour les hommes.
Une soixantaine d'associations ont lancé ce lundi un appel à la retirer. "Il est aujourd'hui inadmissible qu'une simple circulaire, de valeur juridique quasiment nulle (...), commande la vie de milliers" de Tunisiennes, a martelé lors d'une conférence de presse Sana Ben Achour, juriste et présidente de l'association Beity.
Un certificat de conversion exigé du futur époux
Un certificat de conversion du futur époux est actuellement exigé pour le mariage de toute Tunisienne, considérée a priori comme musulmane et désireuse d'épouser un non-musulman. Si elle se marie à l'étranger avec un non-musulman sans ce papier, son mariage ne peut être enregistré en Tunisie.
Il n'existe pas de statistiques fiables et précises sur ces situations, mais ce texte "remet en cause un droit fondamental pour tout être humain: le choix libre du conjoint (...). Cette prohibition est une souffrance pour des milliers de Tunisiennes et leurs familles", qui sont "privées de leur droit fondamental à la sécurité juridique", déplore le collectif dans un communiqué.
En contradiction avec la Constitution de 2014
Pour Wahid Ferchichi, de l'Association tunisienne de défense des libertés individuelles (Adli), il est déjà problématique que la circulaire identifie ces Tunisiennes comme étant musulmanes, alors qu'"aucun certificat ne prouve la religion" en Tunisie. Et la circulaire est en contradiction avec la Constitution adoptée trois ans après la Révolution de 2011. Ce texte prône la liberté de conscience et l'égalité entre les citoyens.
Malgré cette nouvelle Constitution, la loi tunisienne reste discriminatoire pour les femmes, notamment en matière d'héritage.
L’attentat de Londres a finalement été revendiqué par Daech.
Mais comment comprendre cet acte meurtrier et tous ceux qui l'ont précédé sans s'interroger sur le rôle de l'impérialisme, à commencer par l'impérialisme britannique, au Moyen-Orient ?
Il est évident que l’attaque qui a causé plusieurs victimes à Londres ce mercredi est un drame et que nous nous solidarisons avec elles et leurs familles. Mais dans un contexte où les attentats sont toujours prétextes à une union nationale plus forte et à un renforcement sécuritaire, où des personnalités politiques comme Manuel Valls, il y a plus d’un an, n’hésitent pas à déclarer qu’« expliquer c’est excuser », il est réalité primordial de comprendre le rôle des grandes puissances au Proche et Moyen-Orient.
Des interventions meurtrières à l’émergence de forces réactionnaires
S’il n’existe pas de lien corrélatif mécanique entre les interventions impérialistes anglo-américaines, françaises, etc., et l’émergence d’Al Qaeda et de Daech, la déstabilisation du Moyen et Proche-Orient est évidemment un terreau fertile à l’émergence de mouvances obscurantistes comme la dictature des talibans en Afghanistan, Al Qaeda et Daech.
Ce serait un raccourci simpliste que d’analyser l’émergence de ces forces réactionnaires comme l’émanation directe de Washington et ses alliés. Mais ces puissances impérialistes ont joué un rôle majeur dans la situation chaotique que connaissent ces régions du Proche et du Moyen-Orient.
À la suite du 11 septembre 2001, les États-Unis, mais également d’autres puissances impérialistes telles que la France, le Royaume-Uni et le Canada, ont mené une « guerre contre le terrorisme » sans merci, en Afghanistan en premier lieu, puis en Irak dès 2003. La stratégie militaire en œuvre était une « guerre punitive et préventive ». Après l’invasion de l’Irak et le renversement de Saddam Hussein, l’objectif de la Maison Blanche a été d’exacerber les conflits larvés entre différents courants religieux pour éviter une alliance entre sunnites et chiites face à l’impérialisme nord-américain. Ces interventions incessantes ont causé parmi les populations locales des dizaines de milliers de morts directes – sous les bombardements, pris en étau entre la coalition internationale et les forces réactionnaires – mais aussi indirectes, par l’exil, la misère et la famine. Cette région, et notamment du fait de sa richesse en matières premières, est le lieu où depuis plus d’un siècle, les puissances mondiales et leurs relais régionaux se livrent une bataille barbare et impitoyable.
Cette instabilité géopolitique exacerbée depuis 2001 et le chaos généralisé ont permis l’émergence et le renforcement de mouvances islamistes radicales. Avant 2003, Al Qaeda et Daech n’existaient pas en Irak ni en Syrie. Aujourd’hui, les talibans sont plus forts que jamais en Afghanistan, maintenant les populations sous une chape de plomb.
Une guerre asymétrique
Ce contexte instable, directement issu de l’interventionnisme des grandes puissances et de la « guerre préventive » menée par l’administration Bush et ses alliés – où le Royaume-Uni et la France figurent au premier rang - puis perpétuée sous Obama, ont été un terreau fertile à la radicalisation, au désespoir et à l’emprise des mouvances islamistes radicales.
Ce même schéma est en train de se répéter en Syrie, plongée dans le chaos après la contre-révolution sanglante menée par Bachar El Assad au début des années 2010 et intensifiée par les interventions impérialistes de la coalition internationale.
Il s’agit d’une forme de terrorisme qui ne dit pas son nom, en cela qu’elle est menée par des puissances qui se proclament démocratiques et qui opposent l’art de la guerre et de la violence légitimée de fait, au Proche et au Moyen-Orient, à des attaques terroristes perpétrées sur le sol des pays impérialistes mais aussi périphériques qui lui sont alliés.
Ainsi la notion même de terrorisme est arbitraire et repose sur des présupposés propres aux pays occidentaux, tels que la loi, l’ordre, la sécurité… Mais qu’en est-il lorsque ce sont ces mêmes pays occidentaux qui participent à semer la terreur dans des pays plus lointains ? Cette barbarie capitaliste doit cesser, car une nouvelle fois, ce sont leurs guerres et nos morts. L’attaque de Londres en est un nouveau témoignage.
Il aura fallu la chute d’Alep pour que quelques milliers de Français manifestent, dans le froid de décembre, à Paris et en province, leur soutien au peuple syrien.
Jusque-là et depuis plusieurs années, les rassemblements de solidarité avaient été des plus clairsemés…
Et pourtant la Syrie constituait, a priori, une de ces causes qui, d’ordinaire, mobilisent ceux des Français qui sont les plus sensibles aux luttes des peuples. Une révolution populaire massive et pacifique. Une répression sanglante. Une lente descente aux enfers dans la guerre civile. Des ingérences étrangères en série : miliciens du Hezbollah, pasdarans iraniens, avions russes, sans oublier les djihadistes et leurs banquiers…
Et le bilan est connu : plus de 350 000 morts avec, sur plusieurs villes dont Alep, des mois de bombardements intensifs. Et 11 millions de déplacés. Un record absolu : près de la moitié de la population syrienne a dû quitter ses foyers, dont la moitié s’est réfugiée à l’étranger…
Je voudrais tenter brièvement de revenir les principaux blocages – je ne parle pas ici des hommes politiques, de leurs partis et des médias, mais de l’opinion – nous ont gêné et nous gênent encore dans la mobilisation en faveur du peuple syrien.
Le premier facteur, c’est évidemment l’essoufflement du mouvement de solidarité en général.
La Palestine en sait quelque chose, qui reste pourtant la cause la plus mobilisatrice en France. Mais elle souffre de sa marginalisation sur la scène régionale et internationale comme de la recrudescence de la propagande israélienne, relayée en France par un pouvoir qui est allé jusqu’à criminaliser la campagne BDS. Des dizaines de milliers d’hommes et de femmes ont sauvé l’honneur de notre pays en prenant directement en mains l’accueil des réfugiés, mais, pour ces « justes », combien d’« injustes » ralliés au consensus xénophobe ? Et que dire des Yéménites ? Et des Sahraouis ? Et des Kurdes de Turquie ? Et des Darfouris ?
Le deuxième facteur, c’est la complexité des événements de Syrie.
Tout a commencé comme dans les autres « révolutions arabes » : un peuple se soulevant pacifiquement contre la dictature qui l’opprime depuis des décennies afin de pouvoir continuer à piller son pays. Sauf que Bachar Al-Assad, contrairement à Ben Ali et à Moubarak ne s’est pas résolu à fuir. Il a fait les seules choses qu’il sait faire, et bien faire : réprimer dans le sang les révoltés, tirer dans le tas à balles réelles, torturer systématiquement les prisonniers avant de les exécuter sans procès, faire ainsi régner son ordre. À force de subir le pire, une partie de l’opposition a choisi la lutte armée. Et, progressivement, des islamistes en tous genres ont squatté la révolution, avec le soutien de l’Arabie saoudite et des émirats du Golfe. Enfin est apparue Daesh, née de la persécution des sunnites irakiens par le nouveau gouvernement chiite installé par l’Occupant américain. Cette militarisation de la Résistance et la menace djihadiste ont détourné bien des démocrates de la solidarité avec le peuple syrien, dans le contexte obsessionnel de la lutte contre le terrorisme. Parmi ceux qui ont été jusqu’à refuser de condamner les bombardements sur Alep, la plupart invoquaient cet argument.
Le troisième facteur, c’est la méconnaissance de l’histoire du baasisme en Irak et en Syrie
et notamment du caractère autoritaire et prédateur de ces pouvoirs. Le discours nationaliste et, à certains égards, socialiste des dirigeants baasistes, les acquis sociaux de leurs premières années au pouvoir, leur refus des Pactes occidentaux et – surtout – leur alliance avec l’Union soviétique ont longtemps aveuglé l’opinion internationale. Et pourtant, derrière la façade progressiste, ces régimes ont vite changé de nature : les bourgeoises nationales y ont vu un instrument pour reprendre et amplifier le pillage de l’Irak comme de la Syrie, au prix d’une radicalisation de leur caractère dictatorial. D’année en année, le pouvoir réel est devenu, derrière la fiction d’une alliance, celui du seul parti Baas, appuyé sur les Moukhabarat, ces services à la botte du seul numéro un. La répression des minorités et des opposants, l’emprisonnement sans jugement, la torture généralisée sont devenus le quotidien des deux pays martyrs. Faut-il rappeler que, durant toutes ces décennies, Daech, justification ultime de l’horreur, n’existait pas ?
La réalité, c’est que le nationalisme arabe, laïque et socialiste a disparu depuis longtemps.
Les régimes de Saddam hier ou d’Assad aujourd’hui n’ont plus aucun rapport avec ceux des années 1960-1970. La politique progressiste a été remplacée par une politique néo-libérale, marquée par les dénationalisations. De véritables mafias à caractère clanique dominent et pillent l’Irak comme la Syrie. Et la dimension laïque de ces régimes s’est réduite au point de n’être plus qu’une façade pour Occidentaux de passage. Saddam Hussein faisait de plus en plus référence à l’islam dans les dernières années de sa dictature. Et Bachar al-Assad instrumentalise les minorités comme un fond de commerce politique. Il y a eu fondamentalement une rupture au tournant des années 1980. Étrangement, certains semblent l’ignorer.
Le quatrième facteur, c’est la fausse image d’un régime soi-disant anti-impérialiste.
L’exemple de l’action syrienne dans la question palestinienne est pourtant lumineux. Hafez al-Assad commence, on l’oublie souvent, par abandonner les Palestiniens à la répression du roi Hussein pendant Septembre noir : ministre de la Défense, il retire les trois brigades de blindés syriens qui avaient pénétré en Jordanie au secours de l’OLP et subi d’efficaces attaques jordaniennes. Il devient néanmoins président au terme d’un coup d’État et, trois ans plus tard, il mène le combat – en vain – pour libérer le Golan de l’occupation israélienne. Ce sera le dernier : l’armée syrienne n’a pas tiré depuis un coup de fusil contre Israël – en 44 ans ! Certes, en 1976, il envoie ses troupes au Liban, mais c’est pour sauver le pouvoir phalangiste : cette intervention commence par le massacre du camp palestinien de Tall al-Zaatar. Des années durant, l’armée syrienne défend les positions chrétiennes, en échange de quoi elle peut étendre sa mainmise sur le Liban. Et, en 1982, lors de l’invasion israélienne, elle n’y oppose aucune résistance. Pis : en 1983, elle organise l’assaut contre Yasser Arafat assiégé à Tripoli. Vous avez dit anti-impérialiste ?
Le cinquième facteur, c’est la confusion entre la Russie et l’URSS :
visiblement, certains défenseurs du régime de Bachar al-Assad croient déceler une continuité entre les deux. Cette filiation est une vue de l’esprit. Le régime russe n’a plus rien à voir avec le régime soviétique, désormais fondé sur trois piliers : les services, les oligarques et l’Église orthodoxe. Si Vladimir Poutine a eu le mérite de reconstruire un État que Boris Eltsine avait détruit, il a échoué à lui donner les moyens d’une politique capable de répondre aux besoins et aux aspirations populaires. La Russie dépend plus que jamais de ses exportations de pétrole et de gaz, qui pâtissent de cours internationaux encore bas. Sans compter les conséquences des sanctions occidentales consécutives au comportement russe en Ukraine. Du coup, les aventures de Moscou en Ukraine et en Syrie coûtent très cher au peuple russe. Or, à supposer que l’URSS ait agi au plan international pour défendre des causes justes, ce qui n’est bien sûr que partiellement vrai, Vladimir Poutine ne défend plus ni ces causes, ni les valeurs qui les inspiraient. Il ne défend que les intérêts de Moscou, du moins ce qu’il considère comme tels. Car il y a un grand écart entre les véritables intérêts de la Russie et la manière dont le groupe dirigeant les conçoit.
Si Farouk m’avait donné un peu plus de temps, j’aurais ajouté, à ce sujet, un développement sur la vigueur de la propagande russe.
Il est devenu banal de souligner le rôle – effectivement croissant – de sites comme RT ou Sputnik. Mais je pense aussi aux vecteurs traditionnels. Un exemple : la soirée consacrée à Vladimir Poutine par France 2 le 15 décembre dernier. De l’émission « Un jour, un destin », de Laurent Delahousse, il n’y avait, comme d’ordinaire, pas grand chose à dire. Mais elle était suivie d’un documentaire pas banal : « Poutine, le nouvel Empire » se présentait comme un véritable hymne au puissant chef du Kremlin – une hagiographie digne de la Corée du Nord…
Voilà quelques uns des facteurs qui expliquent, selon moi, la confusion qui règne dans l’opinion sur la situation en Syrie. Une fois encore, la méconnaissance du passé contribue à rendre illisible le présent…
Mardi 21 mars 2017, les discriminés politiques se sont rassemblés à la Kasbah.
Ils ont été accueillis par un cordon sécuritaire pour les maintenir bien loin de la Présidence du gouvernement. Très vite la tension est montée d’un cran… Même si le ministère de l’Intérieur a reconnu ses crimes d’espionnage, de torture et de discrimination contre des centaines de militants en 2015, les négociations n’ont pas abouti à la réparation des préjudices. De Bizerte, Kef, Sidi Bouzid et Sfax, quatre militants racontent le calvaire de la dictature qui continue jusqu’à aujourd’hui.
Mardi 21 mars 2017, les discriminés politiques se sont rassemblés à la Kasbah. Ils ont été accueillis par un cordon sécuritaire pour les maintenir bien loin de la Présidence du gouvernement. Très vite la tension est montée d’un cran. Les policiers ont aspergé, en plein visage, les militants de la première ligne par des aérosols lacrymogènes. Devant le refus de toute reprise des négociations, les discriminés politiques ont annoncé une semaine nationale de protestation du 15 au 22 mars, après avoir suspendu une grève de la faim de 33 jours. Ils réclament leur recrutement dans la fonction publique après des années de harcèlement par la police politique de Ben Ali. En 2015, le ministère de l’Intérieur a reconnu ses crimes d’espionnage, de torture et de discrimination à l’embauche contre des centaines de militants. Cependant, les multiples négociations n’ont pas abouti à la réparation des préjudices. De Bizerte, Kef, Sidi Bouzid et Sfax, quatre militants racontent le calvaire de la dictature qui continue jusqu’à aujourd’hui.
Amina Ben Amor, discriminée… depuis la naissance
« Mon premier interrogatoire, je l’ai eu à l’âge de huit ans. Deux hommes sont venus à l’école pour m’interroger sur mon père, Abdelaziz Ben Amor, qui vivait dans la clandestinité après une condamnation à six ans de prison en 1991. Ils étaient grands et gros et je ne comprenais pas trop ce qu’ils voulaient de moi. Accompagnés d’une assistante sociale, ils m’ont interpellé dans une salle vide, en présence du directeur de l’école. Ils voulaient avoir des informations sur mon père. Je répétais ce que ma mère m’a appris à dire aux étrangers. L’un d’eux s’est rendu compte que je ne disais pas la vérité. Il m’a giflé et c’était la gifle que je n’oublierais jamais. Après, j’ai été tabassée des centaines de fois au lycée et surtout à l’université. Cette première gifle me fait encore mal. Elle est le début d’un parcours de répression et d’injustice qui continue jusqu’à aujourd’hui ».
A 33 ans, Amina Ben Amor est veuve et mère d’une fille de 10 ans. Après une maîtrise d’anglais obtenue à Sfax en 2005, elle passe près de 20 concours pour accéder à la fonction publique. Toujours refusée, Amina ne se doutait de rien jusqu’au jour où un policier lui jette à la figure « tu n’auras jamais un poste dans la fonction publique ! Ton nom est sur une liste noire ! » se rappelle-t-elle. Amina se tourne, alors, vers le secteur privé. En 2007,elle décroche un poste d’assistante à British Gaz. « Ils étaient satisfaits de mon travail et j’étais en bon terme avec mes supérieurs et mes collègues, jusqu’au jour où le directeur m’annonce, avec regret, la décision de me licencier. Il n’avait pas d’arguments pour s’expliquer … Il avait honte, mais j’ai compris ». Déçue, Amina se radicalise. Elle se consacre pleinement au militantisme au sein de l’Union des diplômés chômeurs. En 2011, lors d’un sit-in des forces de l’ordre à Sfax, un ancien policier politique l’interpelle dans la rue et lui avoue avoir été chargé de sa surveillance et qu’elle pourrait même citer son nom devant un juge « si un jour justice sera faite » ironise Amina.
Kaouther Ayari, fugitive sous Ben Ali, discriminée en démocratie
« Entre 2004 et 2009, ma vie était un cauchemar interminable. j’étais recherchée sans mandat d’amener. Les policiers ont harcelé ma famille à Menzel Bourguiba. Ils ont terrorisé ma mère, confisqué les papiers de mon frère, interrogé ma sœur quotidiennement au poste de police. Ils m’ont interdit de poursuivre mes études et m’ont poursuivie partout. J’étais obligée de devenir SDF ou plutôt une fugitive qui doit se débrouiller toute seule sans mettre en danger la vie des autres. Tous mes rêves d’études et de carrière se sont brisés sous les bottes de l’uniforme policier. Mais j’ai gardé le sourire car je savais que le peuple allait se révolter ».
Qui ne se rappelle pas des discours enflammés de la jeune femme frêle sur la place Mohamed Ali, durant les premiers jours du janvier 2011 ? Kaouther Ayari, 37 ans, militante de gauche et mère d’une petite fille de 7 ans, est une figure des discriminés politiques. Sa première manifestation date de 1996 quand elle était encore élève. Depuis son jeune âge, Kaouther a pris l’habitude de voir sa famille discriminée des aides sociales car son père refusait la carte d’adhésion au RCD. Avec ses dix frères et sœurs, elle avait une seule idée en tête; réussir ses études et travailler pour aider sa famille. Mais son adhésion à l’UGET, à l’Union des jeunes communistes puis au Parti des travailleurs lui a coûté cher.
En 2007, elle se marie et déménage à Jerba pour échapper à la répression. Mais sa réputation d’opposante au régime la poursuit. De retour à Tunis en 2009, la répression a repris des plus belles. « J’étais contrainte à déménager tous les deux mois. Les policiers me poursuivaient partout. Évidemment, j’étais interdite de voyage, de travail et de vie tout simplement ». En 2015, le nom de Kaouther Ayari figure sur la liste des discriminés politiques reconnus comme tels par le ministère de l’Intérieur. Depuis, Kaouther n’attend pas. Elle est dans tous les sit-ins, toutes les manifestations et toutes les grèves de la faim pour réclamer ses droits.
Safouen Bouzid, le harcèlement judiciaire après la révolution
Je participé au sit-in de la Kasbah. Je pense qu’en plus du fait que je sois fiché avant la révolution, le système insiste à me punir parce que j’ai participé à faire tomber le gouvernement de Mohamed Ghanouchi. Menzel Bouzayane, d’où je viens est l’une des régions qui ont fait réussir la révolution. Nous avons résisté à la répression et organisé la résistance dans toute la région. Quelques jours avant le départ de Ben Ali, nous avons confisqué les archives du poste de police de la ville. Mon nom figure sur la liste noire des opposants à poursuivre, à harceler et à empêcher de travailler. J’ai envoyé ces documents à la commission qui a pris en charge le dossier au sein du gouvernement tout en sachant qu’elle ne va rien faire. Je sais que je suis encore blacklisté ».
Depuis ses années de lycée, Safouen Bouzid, 33 ans, participe aux manifestations organisées par le bureau local de l’UGTT pour la cause palestinienne et contre l’invasion américaine de l’Irak. En 2001, il est admis à la Faculté des lettres de Sousse et devient membre de l’UGET. Il réussi une seule année d’études en français avant de devenir une cible de la police politique. « En 2011, dans les archives de la faculté, j’ai trouvé les preuves qui attestent que la police police était derrière toutes ces années de redoublement ». En 2005, Safouen est l’un des leaders de l’Union générale des étudiants tunisiens qui s’est opposée ouvertement au Sommet mondial de la société de l’information organisé par Ben Ali. Après plusieurs manifestations qui ont accompagné l‘appel du 18 octobre, Safouen et des dizaines de militants sont contraints de passer à la clandestinité pour échapper aux arrestations.
Dès le 24 décembre 2010, Safouen prend en charge la mobilisation de Bouzayane contre la dictature. Après le 14 janvier, il organise avec d’autres jeunes de Bouzayane, Thala et Kasserine le premier sit-in de la Kasbah « avant qu’il soit confisquer par les partis politiques et des syndicalistes corrompus » regrette-t-il. Retour au bercail, Safouane ne quitte plus Bouzayane où il organise une centaine de sit-ins pour le travail et le développement dans sa région. Il récolte plusieurs procès dont trois en cours avec des chefs d’accusation lourds tels que la désobéissance civile, l’agression d’un fonctionnaire public, l’entrave à la liberté de travail et provocation d’incendie dans des locaux non habités. « Je reçois régulièrement des propositions d’asile à l’étranger mais je refuse de jeter l’éponge » affirme-t-il malgré la fatigue.
Mouadh Harbaoui, dernière génération des discriminés politiques
« Je n’oublierais jamais le jour où Achref Barbouche, actuellement conseillé auprès du ministre de l’Éducation, voulait me persuader de renoncer à l’UGET et de rejoindre le RCD pour pouvoir travailler. En 2008- 2009, nous étions étudiants dans la même faculté au Kef. Il m’a clairement fait comprendre que si je continuerais à militer contre Ben Ali, je finirais par crever. Cet imminent conseillé était le rapporteur de la police à la fac. Maintenant, il est au pouvoir alors que je suis au chômage. La discrimination est le fait qu’un rapporteur de la police accède au travail alors que d’autres étudiants sont punis pour leur militantisme »
Mouadh Harbaoui, 30 ans, du Sers ( 30 km du Kef) était membre de l’UGET depuis 2006. Il réussit sa première année de préparatoire à Bizerte avec mention bien. Pour des raisons de santé, il demande une année sabbatique pour ne pas perdre les quelques avantages de bourses et de logement gratuit.. D’après lui, sa demande était refusée parce qu’ il appartenait à l’UGET. « Le médecin de la fac m’a carrément dit que j’aurais dû aller à l’UGET pour obtenir un certificat valide ». Au bout de quelques semaines, il a été éliminé des cours. « Je me suis retrouvé dans la rue et j’ai perdu espoir de devenir ingénieur » regrette-t-il. L’année suivante, Mouadh s’inscrit au Kef où il obtient une licence en E-services avec la mention très bien. Durant ses années d’étude, il essaye de passer inaperçu même s’il continue à faire partie de l’UGET. Pensant qu’il n’était plus dans le collimateur du système, il passe avec confiance le concours de la CAPES. Mais il ne réussit pas. Après quelques échecs, Mouadh commence à se poser des questions. « Je voyais mes amis réussir et convoqués par différentes administrations, pas moi. J’étais pourtant parmi les premiers de ma promotion. Mais j’ai compris par la suite que mes choix personnels sont la cause de l’injustice que je vis ».
Journaliste indépendante, spécialiste en mouvements sociaux et nouvelles formes de résistance civile. Je m'intéresse à l'observation et l'explication de l'actualité sociale et économique qui passe inaperçue
Les armes se sont tues il y a trois mois [décembre 2016].
Alep-Est la rebelle est retournée dans le giron de l’armée syrienne. La chape de peur et de silence qu’impose le régime Assad aux zones sous son contrôle écrase de nouveau les quartiers orientaux de la ville. Mais au sein de l’opposition syrienne, le choc de la défaite continue de faire du bruit. Comment expliquer la débandade des groupes armés, que personne ou presque n’a vue venir? Comment Alep-Est a-t-elle pu sombrer, en un mois, entre le 15 novembre et le 15 décembre, alors qu’une ville comme Daraya, située dans la banlieue de Damas, a résisté près de quatre ans au siège des loyalistes?
Le débat continue d’agiter le camp anti-Assad. «Alep n’est pas tombée militairement, c’est le résultat d’une décision internationale. La ville aurait pu résister encore six mois, il y avait plein d’armes. Mais des quartiers entiers ont été abandonnés, en vertu d’accords secrets», assure Abdelahad Steifo, vice-président de la Coalition nationale syrienne, la principale formation de l’opposition, incriminant, sans le dire, la Turquie, qui, à partir de l’été 2016, s’est rapprochée de la Russie, alliée de Damas.
«On a perdu parce que la révolution n’a pas réussi à offrir un espoir à la population, objecte Ossama Shorbaji, directeur de l’ONG Afaq, qui dispense des formations dans les zones aux mains des insurgés. Il y avait trop de bandits et de profiteurs parmi les groupes armés. Prenez les prisons des groupes rebelles. Il y avait beaucoup moins d’abus et de violences que dans celles du régime. Mais ce n’était pas non plus un modèle dont on pouvait être fier.»
Complot de l’extérieur? Effondrement de l’intérieur? Le sort d’Alep bascule les 26 et 27 novembre 2016, quand le front oriental de la ville s’effondre subitement, au niveau de Massaken Hanano. Ce quartier résidentiel, tracé au cordeau, avait pourtant la réputation d’être facile à défendre. Des immeubles de haute taille, à la vue bien dégagée. De quoi résister aux bombardements, tout en permettant à des snipers embusqués de barrer la route des assaillants.
«Une honte et un mystère»
«La chute de ce front, c’est une honte et un mystère, clame Ossama Shorbaji. Je connais l’un des types qui le commandait. Après avoir repoussé un premier assaut, il a demandé des renforts. Rien n’est venu. Voyant que la route était ouverte, les troupes pro-Assad s’y sont engouffrées. Ce qui a donné le signal de la débâcle.»
La thèse la plus crédible expliquant l’abandon de Massaken Hanano est le conflit entre Noureddine Zinki, un groupe armé islamiste, et Tajamu Fustakim, une brigade plus modérée, estampillée Armée syrienne libre (ASL), soutenue par les Etats-Unis et ses alliés arabes. Peu avant le lancement de l’offensive du régime, Zinki, qui avait reçu par le passé des armes des Etats-Unis avant de tomber en disgrâce du fait de ses exactions, a fait main basse sur les dépôts d’armes de son rival.
Menée en collaboration avec le Front Fatah Al-Cham, une faction djihadiste issue d’Al-Qaida, cette attaque a plombé le moral des hommes de la brigade Fustakim, l’une des mieux équipées d’Alep. «Nous tenions près de 90 points de confrontation, le long de la ligne de front, témoigne Zakariya Malahifji, le conseiller politique de la formation. Du jour au lendemain, nos combattants se sont retrouvés privés de munitions. Ahrar Al-Cham – un groupe salafiste – nous en a fourni un peu, mais ça n’a pas suffi. Si Zinki et Fatah Al-Cham ne nous avaient pas attaqués, Alep ne serait pas tombée.»
A tout le moins, pas aussi vite. Car pour rasseoir son pouvoir sur la deuxième ville du pays, Damas n’a pas lésiné sur les moyens. Toutes les armes et techniques de guerre testées ces cinq dernières années à travers la Syrie ont été déployées contre les 45 km2 d’Alep-Est, causant des centaines de morts parmi les civils. Bombes «régulières», bombes incendiaires, bombes à fragmentation, bombes chimiques, bombes perforantes, bombes-barils, etc.
Selon le Syrian Network for Human Rights, une organisation de défense des droits de l’homme, 4045 barils explosifs se sont écrasés sur Alep-Est en 2016, dont 225 durant les deux premières semaines de décembre. Cible privilégiée de ce blitz: les hôpitaux. La Syrian American Medical Society, pilier de l’assistance aux médecins d’Alep, a recensé soixante-dix attaques contre des infrastructures de santé durant la seconde moitié de l’année 2016. Démenti par Damas et Moscou, l’usage d’armes prohibées par les conventions internationales, comme les projectiles à sous-munitions ou le gaz chloré, est démontré par un faisceau d’indices convergents, compilés dans un minutieux rapport, «Breaking Aleppo», du think tank américain Atlantic Council: vidéos, récits, attestations de médecins, débris de projectiles, etc.
Cynisme
Dans un rapport séparé, l’ONG Human Rights Watch a montré comment les attaques au chlore se sont déplacées, entre la mi-novembre et la mi-décembre, de l’est vers l’ouest du secteur rebelle, accompagnant la progression des forces pro-Assad. «Toutes les méthodes utilisées pour briser Daraya et, avant cela, la vieille ville d’Homs ont été répétées à Alep sur une plus grande échelle», affirme Atlantic Council dont le rapport rappelle que la destruction de l’hôpital de Daraya avait brisé la résistance de la population de cette banlieue de Damas et précipité sa chute en août.
Instruits par ce précédent, les défenseurs d’Alep-Est auraient pu faciliter le départ d’un maximum de civils. Leur nombre, estimé à 250 000 par l’ONU, était probablement plus proche de 150 000 ou 200 000, comme l’ont montré les statistiques du dénouement final (110 000 personnes réfugiées dans la partie ouest, sous contrôle gouvernemental, 35 000 évacués vers des zones rebelles, dans la campagne environnante et un nombre inconnu resté sur place). Inciter une partie d’entre eux à quitter Alep aurait allégé le fardeau pesant sur les combattants.
Mais cette voie n’a pas été prise. Par incapacité à planifier et naïveté, des commandants pensant jusqu’à la dernière minute que leurs parrains occidentaux empêcheraient le siège de la ville. Par cynisme aussi. Bien que minoritaires (quelques centaines sur 7000 ou 8000 combattants), les extrémistes de Fatah Al-Cham avaient réussi à répandre leurs idées au-delà de leurs rangs, au moyen notamment de camps d’entraînements gratuits, organisés à l’été 2016. Les derniers jours des combats, certains de leurs hommes et d’autres brigades radicales, comme Abou Amara, ont empêché des habitants de se réfugier à l’ouest de la ville.
Le virage diplomatique de la Turquie a aussi déstabilisé les groupes armés. Dès août, Ankara a obligé des centaines de combattants à quitter les provinces d’Alep et d’Idlib pour rejoindre celle de Djarablus, plus à l’est, en vue d’une offensive contre l’organisation Etat islamique. Un signe de désengagement qui a fait boule de neige. «Des gens se sont réveillés avec les soldats sous leurs fenêtres, raconte un connaisseur d’Alep-Est, qui requiert l’anonymat. Les rebelles avaient décampé ou retourné leur veste.»
Après la victoire de leur camp, les médias pro-Damas ont voulu voir dans le passage à l’ouest de quelques figures d’Alep-Est le signe que les rangs rebelles étaient infestés d’espions. Au sein de l’opposition, on tend à minorer cette thèse. «Ce qui est sûr, c’est que les armes étaient là, mais que la tactique et la volonté manquaient, insiste Ossama Shorbaji. J’étais sur place une semaine avant le début du siège – juillet 2016. Les rebelles n’avaient même pas préparé un réseau de tunnels sérieux.»
Certains groupes, comme Noureddine Zinki, se concentraient sur leurs business de guerre. Dès l’encerclement d’Alep-Est achevé, ses hommes ont confisqué les stocks de cigarettes de la ville pour les revendre au compte-gouttes une fois les prix envolés. L’arsenal de Tajamu Fustakim, saisi par Zinki début novembre, a été retrouvé intact et inutilisé par les forces pro-régime après leur victoire. «Les groupes armés ont fait plein d’erreurs, mais on avait pu préserver un vrai espace de liberté, tempère Salah Al-Ashkar, 28 ans, un documentariste et militant révolutionnaire resté à Alep jusqu’au bout et aujourd’hui réfugié à Gaziantep, en Turquie. En 2014 et 2015, on a réussi à monter des pièces de théâtre dénonçant les profiteurs du soulèvement. On a fait même des manifestations contre le Front Fatah Al-Cham.»
Et c’est là, en définitive, que réside le principal échec des mutins d’Alep. «Ils sont restés une minorité, ils n’ont pas su convaincre la population de la validité de l’alternative qu’ils prétendaient incarner», concède Assaad Al-Achi, directeur de l’ONG Baytna Syria. «On doit retravailler sur nous-mêmes», conclut Ossama Shorbaji, qui veut toujours croire que «la révolution recommencera dans quelques années». (Article publié dans Le Monde daté du 23 mars 2017, p.2, titre de A l’Encontre)
le 22 – mars – 2017 – Damas, 21 mars 2017 – Par Benjamin Barthe
«Négociations de paix» à Genève le 23 mars. Bachar et la «paix des cimetières»
Par Benjamin Barthe, Marc Semo, et Madjid Zerrouky (à Paris)
Le fracas de la guerre refait trembler Damas. De violentes explosions retentissaient mardi 21 mars, pour le troisième jour consécutif, près du centre de la capitale syrienne, épargnée par les combats ces deux dernières années. Les affrontements ont débuté dimanche, par une offensive rebelle contre la place des Abbassides, un immense rond-point situé à deux kilomètres de la vieille ville. Repoussés par les forces progouvernementales, les assaillants sont repartis à l’assaut mardi, sous une pluie de roquettes.
En transformant le coin nord-est de la capitale en ville morte, les insurgés poursuivent deux objectifs: faire étalage de leur force à la veille de la reprise des pourparlers de paix de Genève, prévue jeudi 23 mars, et alléger la pression sur le front de Qaboun et de Barzeh, deux quartiers plus au nord que les troupes pro-Assad essaient d’encercler. «Les rebelles ne chercheront pas à avancer beaucoup plus loin, prédit Saïd Al-Batal, un ancien militant révolutionnaire de la Ghouta, la banlieue orientale de Damas, venu se réfugier à Beyrouth il y a un an et demi. Ils n’en ont d’ailleurs pas les moyens militaires.»
L’offensive est conduite par Faylaq Al-Rahman, une coalition de brigades à dominante islamiste qui se revendique de l’Armée syrienne libre, la branche modérée de l’insurrection. La poussée est partie de Jobar, un quartier de l’est de Damas adjacent à la place des Abassides, qui échappe depuis quatre ans au contrôle des loyalistes. Deux autres formations armées, plus radicales, participent aux combats: les salafistes d’Ahrar Al-Cham et les djihadistes de Fatah Al-Cham, l’ex-branche syrienne d’Al-Qaida.
Trouver une issue politique
Ce sont de ses rangs que proviennent les deux kamikazes ayant ouvert les hostilités en fonçant contre les positions du régime, en lisière de Jobar, au volant d’engins blindés bourrés d’explosifs. La déflagration a détruit le QG des loyalistes dans le quartier et interrompu leur réseau de communications. Profitant d’un début de panique dans les rangs de leurs adversaires, les rebelles de Qaboun sont passés à l’attaque, s’emparant de plusieurs positions dans la zone industrielle.
«Ils cherchent à desserrer l’étreinte du régime, qui les pilonne depuis un mois, dit Mohamed Abdel Rahman, un journaliste pro-opposition, basé à Douma, une ville voisine. Ils redoutent de subir le même sort que Daraya et Mouadamiya», deux banlieues de Damas qui, après des années de siège, ont dû baisser les armes et dont les combattants ont été transférés à Idlib, dans le nord de la Syrie.
Les combats sont d’autant plus importants que Qaboun abrite un réseau de tunnels par lequel transite le ravitaillement en armes et en nourriture de la Ghouta. «C’est une affaire de vie ou de mort, prévient Saïd Al-Batal. Si Qaboun tombe ou se retrouve encerclé, toutes les zones rebelles de l’est de Damas, où plusieurs centaines de milliers d’habitants résident, seront asphyxiées. Qaboun est la route du Castello de la Ghouta», ajoute-t-il, en référence à l’ultime voie d’approvisionnement d’Alep, dont la capture par les forces prorégime, en juillet, a préfiguré la chute de la ville, six mois plus tard.
Autant dire que l’évolution de la situation sera suivie avec attention par les participants aux discussions de Genève. Opposants et partisans du régime se retrouvent sur les bords du lac Léman pour la quatrième fois en un an pour tenter, grâce à la médiation de l’ONU, de trouver une issue politique au conflit. «Des choses ont commencé à bouger lors des dernières discussions», note un diplomate. La précédente session, achevée le 3 mars après huit jours de discussions indirectes sans avancées notables, avait permis aux différentes parties de se mettre d’accord sur un agenda. «Le train est prêt, il est en gare, les moteurs chauffent. On a juste besoin d’un coup d’accélérateur», avait alors déclaré l’émissaire des Nations unies, Staffan de Mistura.
Bien que les représentants de l’opposition armée aient boycotté la dernière réunion d’Astana, au Kazakhstan, dédiée aux questions militaires, et que les autorités syriennes aient refusé de le recevoir à Damas en fin de semaine dernière, le diplomate italo-suédois se veut optimiste. Quatre thèmes sont à l’ordre du jour et seront discutés en parallèle. Lors de la précédente session, le représentant de Damas avait obtenu que la lutte contre le terrorisme soit ajoutée aux trois autres sujets au cœur des négociations: la formation d’un organe de transition, l’élaboration d’une nouvelle constitution et la préparation d’élections.
Cette feuille de route est celle fixée par la résolution 2254 des Nations unies, votée par le Conseil de Sécurité en décembre 2015 et soutenue par Washington comme par Moscou. Les positions des parties restent néanmoins diamétralement opposées, notamment sur le sujet de la transition. Pour le régime comme pour les Russes, il s’agit d’ouvrir le gouvernement actuel à quelques opposants, triés sur le volet, sans remettre en cause le pouvoir de Bachar Al-Assad. Pour l’opposition, au contraire, le processus doit conduire à la mise à l’écart du dirigeant syrien. (Article publié dans Le Monde daté du 23 mars 2017, p.3, titre de A l’Encontre)
Un précédent article sur la Syrie a cherché à mettre en évidence la nature oppressive et liberticide du régime dans lequel le peuple syrien évolue depuis 47 ans comme facteur d’explication du soulèvement populaire[1].
S’il s’agit là en effet d’un élément de première importance, des causes économiques ont également pu aggraver le mécontentement populaire, sans toutefois le déclencher directement. À partir des années 1990, l’épuisement des réserves de brut du pays provoque une baisse majeure des revenus du pétrole, soutien vital de l’économie syrienne[2]. Le pays, encore très agricole, est également confronté à plusieurs vagues de sécheresse. C’est dans ce contexte que Bachar el-Assad entame, en 2005, une libéralisation économique dont les conséquences s’avèreront désastreuses pour la majorité des Syriens. La forte hausse des investissements étrangers, en provenance notamment des pays du Golfe, ne profite guère qu’à une minorité bourgeoise et urbaine constituée sous les ors du régime. Les campagnes sont sacrifiées. Les privatisations, la suppression des subventions agricoles et la sécheresse paupérisent les populations, qui n’ont d’autre choix que l’exode rural. Ainsi, tandis que la part des ouvriers agricoles dans la population active passait de 30 à 14%, le chômage passait de 2,3 à 14,9% de 2000 à 2011 selon les chiffres officiels – 20 à 25% selon d’autres sources. La classe moyenne se rapproche rapidement du seuil de pauvreté, les revenus ne suivant pas le rythme d’une inflation galopante, qui atteint officiellement 17% en 2008[3].
L’explosion des inégalités, bien qu’ayant certainement joué un rôle dans la genèse de la contestation, ne peut cependant pas être retenue comme l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. C’est au mieux un facteur aggravant. En effet, l’hypothèse économique seule n’explique pas la nature des revendications et les slogans des syriens insurgés. Comme l’écrivent Adam Baczo, Gilles Dorronsoro, et Arthur Quesnay dans Syrie, anatomie d’une guerre civile :
« Pourquoi des individus peu politisés, ne disposant d’aucune structure de mobilisation, décideraient-ils de braver un système répressif particulièrement violent ? »
Alors qu’une grande partie de la population s’était rendue au désespoir économique, politique et social, c’est bien la chute des régimes tunisiens et égyptiens en 2011 qui va faire renaître un espoir de changement. Durant la période où le Printemps arabe essaime, les syriens suivent les événements avec passion sur les chaînes étrangères – notamment France 24, la BBC, Al Jazeera, Al Arabiya – et internet. L’identification du peuple syrien aux peuples arabes insurgés contre des régimes autoritaires devient vite évidente. « Plus on recevait d’informations sur les manifestations qui se déroulaient ailleurs, plus le fait de manifester nous semblait réaliste »[4]. Malgré tout la série de facteurs évoqués précédemment, c’est bien l’espoir d’émancipation suscité par les mouvements révolutionnaires arabes, qui a été le déclencheur des premières manifestations.
On présente souvent les événements qui sont survenus en mars 2011 à Deraa comme l’étincelle de l’insurrection. Pourtant, la page Facebook « Révolution syrienne 2011 » est créée dès le 18 janvier et le 31, une première manifestation réunit une centaine de personnes à Damas. Ils se rassemblent en silence, bougie à la main, avec des écriteaux sur lesquels est inscrit « oui à la liberté ». Les manifestants seront encerclés puis arrêtés par les services de sécurité. Le jour même, Bachar el-Assad, à l’occasion d’une interview pour le Wall-Street journal, déclare que les sociétés arabes ne sont pas prêtes pour la démocratie et que les Syriens ne sont ni égyptiens ni tunisiens et qu’ils ne se révolteront pas[5]. Deux jours plus tard, une nouvelle manifestation à Bab Touma est violemment dispersée. Sur les réseaux sociaux, les appels à manifester fleurissent et ensemencent à tel point que des internautes sont arrêtés et que les accès à Facebook et Youtube sont bloqués. Le 17 février, Bachar el-Assad annonce une série de mesures sociales pour tenter d’enrayer la montée des contestations. Les accès à Facebook et Youtube sont rétablis fin février. Cela permet au régime de cibler les militants de l’opposition et de les arrêter.
C’est alors que surviennent les événements de Deera, qui feront basculer la situation. Tout commence fin-février, quelques jours après la chute d’Hosni Moubarak en Egypte. Un groupe d’écoliers de la ville est arrêté par le Moukhabarat pour avoir tagué sur les murs de l’école des slogans anti-Assad. L’incarcération des jeunes détenus se prolongeant, un groupe de parents, emmenés par un cheikh de la petite ville, se rend chez le chef de la branche locale de la Sécurité, Atef Najib – un cousin de Bachar el-Assad. Celui-ci ignore les supplications des familles et leur répond :
« Oubliez vos enfants et allez retrouver vos femmes. Elles vous en donneront d’autres. Et puis, si vous n’êtes pas capables de leur faire des enfants, amenez-nous vos femmes. On le fera pour vous »[6] .
Dans ce village conservateur et connu par avoir toujours été loyal aux Assad, ces propos provoquent une indignation générale. Le 15 mars, un premier rassemblement est organisé pour obtenir la libération des enfants, ce qui inaugure une série de manifestations de plus en plus massives. Les forces de sécurité tirent sur la foule pacifique et tuent. L’enterrement des victimes se transforme en émeutes. Bachar el-Assad refuse de pénaliser son cousin pour calmer les habitants de Deera et en guise de réponse aux protestations, envoie son armée qui mate violemment les rassemblements pacifiques.
Si la révolte de Deera n’a pas été l’étincelle de la révolution syrienne, elle a été incontestablement le catalyseur de luttes éparses, entraînant la propagation de la contestation dans tout le pays. C’est à ce titre qu’elle est le premier épisode majeur du soulèvement syrien. Dès le 18 mars s’organise dans tout le pays, en soutien aux habitants de Deraa, la première des « manifestations du vendredi », qui sera baptisée – selon le choix des internautes sur la page Facebook Révolution syrienne 2011 – « Vendredi de la dignité ». Le slogan de cette première manifestation – « Dieu, la Syrie, la Liberté et c’est tout » – est un détournement du slogan nationaliste du régime « Dieu, la Syrie, Bachar et c’est tout » (Allah, Suriyya, Bachchar w bass). Ces manifestations hebdomadaires et pacifiques sont immédiatement réprimées dans le sang. Pourtant, elles ne cesseront jamais d’avoir lieu, partout dans le pays, durant les années qui suivront.
Le 24 mars, le gouvernement décide de jouer à nouveau la carte de l’achat de la paix sociale par de nouvelles concessions économiques et la levée à venir de l’état d’urgence, en vigueur depuis 1963. Le 25 mars, dit « Vendredi de la fierté », les manifestants se rassemblent à la sortie des mosquées à Damas, Deraa, Homs, Lattaquié, Alep et Hama pour répondre que « Le peuple de Deraa n’a pas faim », affirmant explicitement le caractère politique et non-économique des revendications. La mobilisation de Hama – ville dont les habitants ont été massacrés par dizaine de milliers en 1982 après s’être soulevés – et de Lattaquié – ville majoritairement alaouite et théoriquement acquise au régime – ont une forte portée symbolique.
Le 30 mars, le gouvernement réplique en organisant une série de « manifestations spontanées » pro-régime encadrées par les moukhabarat – manifestations habituellement organisées à l’occasion de l’anniversaire ou d’un déplacement du président[7]– où des centaines de milliers de fonctionnaires, ouvriers, enseignants et écoliers, tous tenus d’être présents, doivent y dénoncer « le complot terroriste inspiré de l’étranger », dont « le Mossad et ses chiens »[8]
Sous le slogan « Uni, uni, uni, le peuple syrien est uni », faisant explicitement référence à une union entre les communautés religieuses, malgré les morts, les arrestations et la torture, les manifestations de l’opposition ne faiblissent pas. Alors que les manifestants brandissaient jusque-là le drapeau national, commence alors à apparaître l’ancien drapeau syrien de 1932 (vert-blanc-noir à trois étoiles rouge), celui là même qui sera ensuite adopté par l’armée syrienne libre.
Le siège fin-avril de Deraa, ceux de Homs et Rastan plus tard, la découverte au mois de mai d’une fosse commune – la première d’une longue série – poussent déjà certains soldats à désobéir aux ordres et à déserter. Le 25 mai, le corps torturé d’un enfant de Deraa de 13 ans arrêté lors d’une manifestation pacifique, Hamzeh Ali al-Khatib, est rendu à ses parents. Les photos de l’enfant torturé à mort, émasculé et recouvert des marques des sévices font le tour du pays et du monde entier via les réseaux sociaux. Le 27 mai est alors baptisé « Vendredi Hamzeh al-Khatib » et le visage de l’enfant devient le symbole des manifestations qui submergent désormais le pays.
Un soulèvement unanimiste
Le ferment de la mobilisation se développe, dès le début de l’année 2011, au cœur d’espaces privés dans lesquelles on commente l’actualité entre personnes de confiance. En effet, les regroupements de plus de trois personnes et les discussions politiques sont criminalisés. La seule réunion autorisée est la prière du vendredi, expliquant ainsi que de nombreuses manifestations auront pour point de départ les mosquées. Ces espaces offrent l’occasion d’élaborer un point de vue, une stratégie, une grammaire et des revendications communes. Ces dernières sont nationales, trans-communautaires, unanimistes et universalistes[9]. La nature des slogans permet d’affirmer que ceux qui s’engagent dans la contestation veulent dépasser les clivages communautaires, religieux et sociaux. Le caractère unanimiste des revendications est d’autant plus évident pour les contestataires du fait qu’ils sont jeunes, ont étudié dans les mêmes universités et ne se retrouvent pas dans les oppositions idéologiques et communautaires qui avaient sous-tendu les mobilisations des années 1980.
Dans le contexte du Printemps arabe, c’est le choix de revendiquer sous forme de manifestations pacifiques qui s’impose, stratégie qui sera maintenue des mois durant, malgré la violence de la répression. Dans un pays très majoritairement musulman et où personne ne saurait être plus grand que Bachar el-Assad, un slogan comme « Dieu est le plus grand » (Allah Akbar) n’est non seulement pas à sur-interpréter sur le plan confessionnel, mais est de fait hautement subversif. C’est la raison pour laquelle certains chrétiens n’hésitent pas à le scander quand ils manifestent. La polysémie des quelques symboles d’origine religieux utilisés permet de fédérer la population insurgée qui refuse de se diviser par des appartenances politiques partisanes. Arabes et Kurdes, musulmans et chrétiens manifestent ensemble sous des slogans appelant à l’unité face à Assad tels que « Sunnites et alaouites, unis, unis, unis » ou celui choisi pour le vendredi 20 mai « Azadi », mot kurde signifiant liberté. Le 17 juin est baptisé « vendredi Salah al-Ali », du nom d’un alaouite ayant dirigé la révolte syrienne contre le mandat français en 1919. Le 12 juillet, le père jésuite Nebras Chehayed publie son appel aux évêques de Syrie à soutenir les manifestants : « Nos autels sont tachés de sang »[10]. Dans ce contexte unanimiste, c’est le drapeau national de 1932 qui s’impose comme celui de la contestation. Après avoir réclamé la « liberté », la « dignité » et « l’unité », face à la violence de la répression, les revendications deviennent plus radicales et les slogans « Dégage ! » ou « Le peuple veut la chute du régime » apparaissent.
S’organiser face à la répression
« Après la chute des régimes tunisien et égyptien, nous avons commencé à discuter entre nous des moyens utilisables. Nous savions que le régime syrien était beaucoup plus fort, avec de redoutables services de sécurité. Aussi, nous n’avons pas fait comme dans les autres pays »[11].
L’omniprésence des Moukhabarat et la violence du régime envers les opposants imposent rapidement la forme de la contestation. L’occupation de place est suicidaire, comme en attestent les dizaines de morts suite à la tentative sur la place de l’Horloge à Homs le 17 avril. L’infiltration des réseaux militants par les services secrets impose des marches contestataires improvisées et quelques fois spontanées. Les premières actions, marches, flash mob, réunions, se déroulent sur des temps très courts. La stratégie consiste à varier les lieux le plus possible. Les cortèges sont composés principalement d’hommes jeunes. Les femmes, moins nombreuses, sont regroupées au centre ou à l’arrière pour être protégées.
A Alep, les contestataires proviennent majoritairement des quartiers populaires, mais aussi de façon moins importante, des quartiers bourgeois de l’Ouest. La menace de représailles, d’arrestation ou la désapprobation de proches amènent de nombreux manifestants à quitter leur famille et leur emploi. C’est en particulier le cas dans les milieux sociaux plus aisés dont les jeunes se rendent dans les quartiers auto-construits et sous-administrés pour rejoindre la révolution. De plus, les larges rues des quartiers riches sont plus difficiles à tenir face à la police. Par ailleurs, dans les villes kurdes et dans le quartier kurde au Nord d’Alep, le PYD réprime les manifestations à partir de septembre 2011[12]. Les protestataires kurdes défendant une révolution unanimiste et dépassant les clivages communautaires se rendent donc dans les quartiers majoritairement arabes pour manifester.
Dans chaque ville, les lieux de contestation sont souvent choisis pour la faible présence policière ou la faible probabilité d’y être reconnu. Les quartiers où se déroulent les manifestations ne sont donc pas nécessairement les lieux de vie des protestataires. L’anonymat est un préalable et de nombreux syriens manifestent le visage couvert. Les mobilisations débutent dans des petits groupes de confiance – amis, étudiants, voisins, famille – puis s’élargissent peu à peu. Les liens qui unissent les manifestants deviennent si forts qu’ils forment, selon les témoignages, une seconde famille. Rejoindre les rangs insurgés sous entend d’accepter de braver un risque individuel et collectif très coûteux. La violence inouïe du régime soude les protestataires dont certains, recherchés activement basculent dans la clandestinité et se coupent de leurs anciens cercles sociaux. Le processus révolutionnaire est pour la plupart des syriens une expérience pratique intense de refondation de soi.
Les rapports sociaux sont profondément modifiés, surtout pour les femmes. Particulièrement dépolitisées jusque-là, leur engagement leur confère une légitimité importante; elles sont considérées comme des égales dans les institutions révolutionnaires. Elles endossent des rôles jusque là inédits pour elles, ce qui participe à « transformer les rapports de genre au sein de la sphère privée »[13]. Suhair Atassi, opposante de longue date, dirige la Commission générale de la révolution syrienne, une coalition des comités locaux tandis que la Coordination des comités locaux (CCL), est dirigée par l’avocate et militante Razan Zaitoune. Fatma (nom d’emprunt), habitante de Idlib non politisée jusque-là, s’engage sur les réseaux sociaux et crée le groupe Facebook « Liberté Idlib » (Huriyya Idlib). Couturière, elle réalise également des masques pour les manifestants. Elle recueille des témoignages et correspond avec les chaînes de télévision étrangères. Devenue localement célèbre, elle est élue au Conseil du gouvernorat d’Idlib. Adiba, originaire d’un quartier riche d’Alep quitte sa famille et son mari, établit un dispensaire, une école et un centre de distribution d’aide, ce qui la rend populaire. Elle divorce en 2012 et se remarie avec un ami engagé dans la révolution. Elle est élue en avril 2013 au Conseil de quartier puis nommée à sa tête[14].
Les femmes sont particulièrement présentes sur les réseaux sociaux et lors de la phase de contestation pacifique. Compte tenu des risques associés au fait de manifester dans les rues, le sit-in à domicile filmé[15] devient un mode d’action féminin répandu. Plusieurs dizaines de participantes se réunissent dans un salon, entourées de banderoles, de portraits de martyrs et de drapeaux révolutionnaires. Elles y lisent des communiqués condamnant les violences du régime et expriment leur solidarité avec les manifestants ou y entonnent des chants révolutionnaires. Le rôle des femmes a tendance à se restreindre avec la militarisation du conflit.
A la peur, se mêlent l’excitation de participer au changement et au bouillonnement politique auquel chacun prend part en créant les structures d’auto-organisation. Le capital social de chacun est renversé : l’engagement dans le processus révolutionnaire prend le pas sur l’appartenance à la communauté alaouite, à la bourgeoisie proche du régime ou au Parti Baath.
Les foyers de la contestation sont multiples et sont loin de ne concerner que les zones délaissées socialement par le pouvoir. Deir ez-Zor, Lattaquié ou Deraa, les lieux de la construction historique du Parti, loyaux à la famille Assad depuis toujours, deviennent des bastions de la révolte.
L’une des particularités du cas syrien, est le rôle majeur des nouveaux moyens de communication dans la genèse et la propagation de la contestation : téléphones portables, internet et séquences vidéos publiées sur les réseaux sociaux. Dès le départ, le régime met en place un embargo médiatique sur la couverture des manifestations et diffuse une propagande relayée par les médias officiels. Aux journalistes – privés de rapporter la réalité des faits – se substituent rapidement de très nombreux jeunes insurgés qui assurent une couverture permanente et intensive des évènements. Les manifestations sont systématiquement filmées et les séquences affluent par milliers sur Youtube et les réseaux sociaux[16]. Ceux qui s’improvisent journalistes publient quasiment en temps réel, à l’aide de smartphones et de petites caméras. Il en résulte une quantité d’archives visuelles considérable. Ces vidéos de cortèges rassemblant des centaines, voire des milliers d’insurgés, sont avidement visionnées par les sympathisants du mouvement en Syrie et à l’étranger.
Ce phénomène, qui augmente encore le sentiment de la légitimité de la mobilisation est un facteur déterminant dans l’incitation à rejoindre les rangs de l’opposition. La vision de centaines puis de milliers de personnes rassemblées amène le spectateur à penser que le risque individuel diminue, à la faveur d’un risque assumé collectivement. Les protestataires prennent rapidement conscience de l’impact des images et de leur pouvoir mobilisateur. Un soin particulier est pris à rendre facilement intelligible leurs revendications.
Afin de prévenir tout risque de détournement des images, chaque vidéo commence par un plan sur un écriteau indiquant le lieu, la date de l’évènement, ainsi que le slogan du vendredi. Face aux accusations complotistes du régime, les manifestants mettent en avant l’aspect pacifique de leur mobilisation et démontrent l’illégitimité de la violence de la répression. Slogans, chants et danses sont autant de preuves filmées de la cohésion interne et de la détermination du mouvement. Certains regorgent d’ingéniosité pour faire passer des messages à leurs compatriotes ou à la communauté internationale. Les habitants du village insurgé de Kafrnabel, dans le nord de la Syrie, se font connaître par leur sens de l’humour. Des vidéos tournées sur fond d’humour noir mettent en évidence l’absurdité de la position de certains pays étrangers ou encore les usages de la violence commise par Assad[17]. Ils mettent également en lignes des clichés de manifestants posant avec des banderoles aux divers slogans sarcastiques à l’adresse des Occidentaux[18]. La ville de Binnich, se distingue par ses fresques humaines adressant des messages au régime ou aux étrangers. Le groupe de comédiens à l’origine de cette initiative réalise également un puzzle géant dont chaque pièce rappelle un massacre perpétré par le régime, le tout mis ensemble représentant une main formant le V de la victoire.
Des artistes réalisent des actions filmées dans l’espace public. En juillet 2011, un groupe organise depuis les hauteurs de Damas, un lâcher de balles de ping-pong sur lesquelles était écrit le mot « Liberté »[19]. Au mois de novembre, ils réalisent également sur le mont Qassioun qui domine la capitale une inscription lumineuse visible de Damas : « Dégage! »[20] La vidéo favorise la diffusion des actions protestataires. Ainsi, le lâcher de balles de ping-pong génère plusieurs actions de ce type dans d’autres villes, comme à Hama, Alep ou Tell. Suite à l’attaque meurtrière survenue à l’université d’Alep le 15 janvier 2013, premier jour des examens, des étudiants de la faculté de médecine lancent « la campagne des examens du sang ». Ils versent de l’encre rouge dans plusieurs endroits du campus[21]. De même, des activistes versent du rouge dans une fontaine de Damas pour symboliser le sang des manifestants[22].
Des campagnes de réappropriation de l’espace public sont réalisées par des graffeurs. Ils créent la page Facebook Grafite Syrian Revolution[23] ou encore la page « Freedom Graffiti week Syria »[24] inspirée de la page égyptienne « Mad Graffiti week » et réalisent des vidéos explicatives des techniques qu’ils utilisent.
Les chanteurs ne sont pas en reste. Ibrahim Qachouch, militant de Hama, se rend célèbre en écrivant des chants révolutionnaires satyriques. Ses paroles sont scandées sur des airs célèbres pendant les manifestations, d’abord à Hama, puis dans tout le pays. «Yallah irhal ya Bachar» («Allez dégage Bachar!»)[25] devient l’un des chants les plus populaires de la protestation. La 4 juillet 2011, le parolier qui animait les foules est retrouvé mort dans l’Oronte, ses cordes vocales arrachées. Les images de son corps mutilé font le tour du pays et génèrent l’indignation.
L’annonce du passage à la désertion d’un soldat fait également systématiquement l’objet d’un enregistrement vidéo. Après s’être identifié, carte d’identité à l’appui, le déserteur, expose à visage découvert les raisons de son départ et invite les autres membres de l’armée à faire de même[26].
Les journalistes de la révolution, devenus souvent correspondants pour la presse étrangère, sont traqués par le régime. La diffusion des images, efficace sur le plan de la mobilisation, a cependant un coût humain élevé.
La riposte du régime : diviser, criminaliser, démobiliser, exterminer
L’appareil sécuritaire du gouvernement syrien, épuré constamment grâce à la surveillance de ses agents et à la compétition entre les services de renseignement, reste loyal au régime. De plus, les nombreuses désertions que connait l’armée de Bachar el-Assad seront plus que largement compensées par le flux de combattants du Hezbollah et de l’Iran venus en soutien pour réprimer la contestation.
Face au soulèvement pacifiste qui agite le pays, la première stratégie de Bachar el-Assad consiste à diviser le mouvement contestataire. Tout d’abord, comme nous l’avons vu, il propose une série de concessions économiques et sociales à une partie de la population. A Deraa, il libère les quinze adolescents torturés puis démet le gouverneur. Dix jours plus tard, face à l’ampleur des manifestations, il destitue le gouverneur de Homs. Les mesures sociales annoncées par le gouvernement ne trouvent aucun écho au sein de la population qui répond que « le peuple de Deraa n’a pas faim ». Quelques mesures sont prises à l’attention du clergé sunnite, tel le rétablissement de l’autorisation du port du niqab pour les institutrices. Cependant, les imams étant perçus comme des agents du régime, leur soutien à Bachar el-Assad n’a guère d’effet sur la contestation.
Surtout, le président présente le soulèvement comme le fait de sunnites qui seraient financés par l’étranger. Stigmatisée par le régime comme étant le terreau d’un terrorisme islamique, la population sunnite est particulièrement ciblée par les services de sécurité. Dans cette logique, le régime fait le choix de négocier avec des mouvements dont l’idéologie est explicitement identitaire pour en faire des protagonistes supposés de la contestation.
Il ménage les minorités : Chrétiens, Druzes, Alaouites et Kurdes. Après des décennies de refus, il accorde subitement la nationalité syrienne à 150 000 Kurdes et libère des prisonniers politiques appartenant à cette communauté. Il conclut un accord avec le PKK, interdit dans le pays depuis 10 ans, dont il autorise à nouveau les activités sur le territoire syrien, ainsi que le contrôle sur les enclaves kurdes du nord du pays, en échange de la répression des manifestants kurdes. Le régime finance des milices alaouites et tente de former des milices druzes. Les opposants provenant des minorités sont arrêtés comme tout un chacun. Par exemple, un activiste pacifiste druze du nom de Chadi Abu Raslan est arrêté et torturé à mort pour avoir collé au dos de son téléphone portable le drapeau syrien pré-baasiste[27]. Mais alors que les manifestations dans les villes sunnites sont réprimées par des tirs à balles réelles, les manifestations dans les villes druzes ou alaouites sont dispersées à l’aide de gaz lacrymogènes. Le régime fait courir des rumeurs de massacres commis par des groupes islamistes et met en garde les minorités contre le péril sunnite qui pourrait survenir s’il n’était pas là pour les défendre.
Ainsi, pour donner corps à son propos et s’assurer de l’effective division de l’opposition, Bachar el-Assad favorise sa radicalisation en éliminant ses éléments modérés démocrates et laïques et en relâchant les radicaux islamistes.
Alors qu’il tente d’éliminer sans ménagement les militants unicistes et non violents – qui prennent en défaut la propagande du régime dénonçant un complot de groupes armés islamistes extrémistes – fin mars 2011, il libère de sa prison de Saidnaya 150 djihadistes impliqués dans le conflit irakien, dont certains ont combattu avec al-Qaida[28]. Ces combattants islamistes constitueront le commandement de plusieurs groupes armés émergeant début 2012, notamment le Jabhat al-Nosra. L’utilisation d’acteurs violents pour diviser et mieux régner est une stratégie dont la famille Assad a toujours fait usage.
Plusieurs figures modérées de l’opposition sont assassinées, comme Mechal Tamo, opposant et figure de l’opposition kurde. En effet, le fondateur du parti kurde Le Courant du futur, considérant les Kurdes comme faisant partie intégrante du peuple syrien, défendait au sein du Conseil National Syrien qu’il avait contribué à créer, une co-citoyenneté arabe et kurde syrienne faisant valoir les mêmes droits pour tous[29].
La violence inouïe à laquelle les manifestants sont confrontés a pour but de les dissuader de s’engager d’avantage dans la contestation. Aucun parti, association ou syndicat n’étant à l’origine de la mobilisation, le régime ne peut cibler précisément un quelconque leader pour juguler la contestation. Il tente donc de dissuader les manifestants en augmentant la prise de risque associée à un engagement dans les rangs du soulèvement. Les médecins sont officiellement interdits de prendre en charge des manifestants blessés. Ceux qui désobéissent sont abattus. La torture est systématisée, les manifestations sont écrasées brutalement et la violence s’exerce de plus en plus collectivement et radicalement. Le rapport César – issu des documents exfiltrés par un fonctionnaire syrien ayant fait défection et expertisés par Human Rights Watch – contient les photos d’au moins 11000 cadavres de personnes torturées à morts en moins de deux ans rien que dans les prisons de Damas[30]. Le dernier rapport d’Amnesty international fait état d’au moins 13000 personnes tuées dans la prison de Saidnaya en 5 ans. Les proches des contestataires sont menacés, ce qui motive de nombreuses entrées dans la clandestinité.
Cependant face à l’ampleur de la contestation, l’appareil sécuritaire est rapidement débordé et le gouvernement doit s’appuyer sur des milices formées de chabbiha opérant hors de toute procédure régulière pour terroriser la population.
Les témoignages de hauts-gradés déserteurs rapportent comment, dès le début du soulèvement, le régime crée des commissions parallèles aux structures officielles dont le but est d’organiser l’escalade de la violence afin d’accélérer la militarisation de l’opposition et ainsi justifier sa répression dans le sang. Elle planifie par exemple la dissémination d’agents armés parmi les manifestants qui tirent sur la foule et créent la panique. Un général déserteur de l’armée prend l’exemple de la manifestation du 1er juillet à Hama :
« Aucun des manifestants n’était armé. Mais, alors que la foule était parvenue sur la place de l’Oronte, à près de 300 mètres de l’endroit où je me trouvais, des coups de feu ont éclaté. Ils provenaient, selon une enquête de la police à laquelle j’ai eu accès, d’une vingtaine d’éléments, 22 exactement, de la Sécurité militaire, auxquels s‘était joint un membre de la Sécurité d’Etat. Tous adjudants-chef et tous kurdes alaouites, ils avaient été amenés d’al-Yaroubieh, puis répartis et dissimulés en plusieurs endroits. Mohammed Muflih comme moi- même avons été surpris de cette intervention injustifiée. Elle contrevenait à toutes les consignes et elle s’est soldée par des dizaines de morts ! »[31].
Ces comités organisent également des attentats spectaculaires visant à éviter le ralliement des minorités et à dissuader les Syriens de rejoindre la protestation.
Devant la propagation rapide et massive de la contestation, le régime déploie son armée en renfort de la police et des services de renseignement : chars, tirs d’artillerie, sièges des quartiers insurgés, voire de villes entières, bombardements, le tyran déclare la guerre à son peuple et commet des destructions massives. Le régime s’attache à maintenir un niveau de violence toujours très supérieur à celui de ses opposants. La multiplication des foyers de contestation rend les opérations difficiles et après avoir assiégé et massacré les habitants d’une ville insurgée durant quelques jours, l’armée se retire pour aller purger un autre lieu mobilisé. Deraa, Banyas, Homs, les quartiers sunnites de Lattaquié, Hama, Rastan et bien d’autres villes subissent des offensives extrêmement violentes, puis sont laissées livrées à elles-mêmes dans les décombres. Human Rights watch dénombre 207 morts à Homs rien que pour le mois de septembre 2011 et à la fin de l’été, les bombardements sur Homs font 200 victimes parmi les manifestants en 3 jours seulement[32]. L’efficacité relative de cette stratégie pour faire taire la contestation ainsi que les désertions au sein de l’armée amènent le régime à mettre en place un blocus des villes insurgées pour affamer la population et à systématiser les bombardements qui ont l’avantage de provoquer moins de désertions car ne ils confrontent pas directement l’armée aux civils. L’excuse systématiquement invoquée par Bachar el-Assad pour justifier cette politique de la terre brûlée est la présence supposée de « groupes terroristes » qui seraient à l’origine des insurrections.
Finalement, à la fin de l’année 2011, l’armée complètement dépassée se voit contrainte d’abandonner de nombreux territoires, d’évacuer la plupart des villes en rébellion et les forces de l’ordre ne se rendent plus dans les quartiers auto-construits d’Alep et de Damas où sont concentrées les contestataires – dont nombre d’entre eux sont passés dans la clandestinité – et les administrations autogérées révolutionnaires. Un ingénieur de Deraa rapporte son expérience :
« A l’automne 2011, lorsque j’ai vu ma photo à la télé et ma tête mise à prix, tout a basculé pour moi. Je me suis réfugié dans le quartier de Tariq al-Sad à Deraa, où la police ne rentrait plus en raison de la présence de révolutionnaires armés. Il s’agissait d’un lieu bien protégé où les révolutionnaires se rassemblaient, s’organisaient. J’ai pu rejoindre un groupe et continuer mes activités sur internet »[33].
Au printemps 2012, quand le gouvernement décrète que tous les hommes aptes à combattre doivent rejoindre l’armée, de nombreux appelés refusant de rejoindre les casernes sont contraints d’entrer eux aussi dans la clandestinité sous peine d’être fusillés. Face à l’extrême violence de la répression et l’impossibilité de négocier avec un régime qui refuse de laisser la place, les insurgés sont confrontés à un choix restreint : l’exil, la lutte armée ou la mort.
Militarisation du conflit
La présence de groupes armés reste très marginale jusqu’à l’été 2011. Le passage à la lutte armée ne se généralise que fin 2011. Il se fait à partir d’initiatives locales spontanées qui s’inscrivent dans la plupart des cas dans la continuité des groupes d’autodéfense qui se sont constitué durant l’été et qui protègent les manifestations des milices du régime. Pistolets et fusils à chevrotine apparaissent et permettent aux cortèges de se déplacer plus sereinement et à nouveau en nombre. Lorsque les déserteurs commencent à rejoindre les contestataires et à assurer leur protection, les manifestations prennent une ampleur considérable – notamment à Homs – et l’armée se voit contrainte d’évacuer certains quartiers dont les habitants reviennent grossir les rangs insurgés.
Pour autant, l’usage des armes fait débat au sein des groupes de défense. Pour certains, la garantie de la réussite du mouvement contestataire réside dans sa forme non-violente. D’autres consentissent à un usage purement défensif visant à permettre la marche des cortèges dans de meilleures conditions de sécurité. Enfin, le déroulement des évènements dans les autres pays arabes insurgés amènent certains révolutionnaires à penser que le chute du régime ne peut avoir lieu qu’en menant une offensive armée contre ses positions clés. Au sein des comités locaux révolutionnaires, ces trois positions traversent les débats stratégiques sur les formes de luttes à adopter avec en surplomb l’ensemble des risques qu’entraine un passage à la lutte armée. Finalement, le même modèle se répète dans tout le pays :« après avoir tenté de protéger les manifestations, les protestataires prennent les armes avec l’aide de déserteurs en réaction aux opérations du régime »[34].
Les premières opérations armées visent des postes militaires isolés, des patrouilles et des commissariats. Les objectifs vont de la libération de prisonniers politiques à la saisie d’armes et parfois jusqu’au retrait de l’armée dans certains quartiers. Objectifs parfois difficiles à atteindre en raison de l’inexpérience des insurgés et surtout du manque lancinant de moyens qui perdurera tout au long du conflit :
« Recherchés par la police, nous étions réfugiés à l’extérieur de la ville et la décision d’attaquer directement l’armée à Azaz et a été un choix collectif. Nous avions d’abord essayé de protéger les manifestations avec des armes. Celles du 15 et du 23 février 2012 ont été des succès avec plus de 17000 personnes dans les rues d’Azaz. Mais le régime a ensuite envoyé beaucoup de soldats avec des chars, des douchka (mitrailleuses lourdes). Manifester est devenu suicidaire tant il y avait des arrestations. La population a fui la ville. C’est ainsi qu’on a décidé d’attaquer. Nous savions que nous étions recherchés et ce n’était qu’une question de temps avant d’être pris. Mais notre groupe était très mal organisé, avec seulement deux pistolets, trois AK-47 et quelques bombes artisanales. Il nous a fallu du temps pour nous préparer. La première attaque contre un poste de police à Azaz a échoué faute d’organisation et de munitions. Sur 300 personnes de notre groupe, seuls 60 avaient une arme. La seconde attaque a également été un désastre. Nous avions des RPG mais ils n’ont pas fonctionné et nous avons du nous enfuir devant les chars »[35].
Un cercle vertueux se met en place pour la rébellion, la multiplication des lieux insurgés et le ralliement de nombreux révolutionnaires et de déserteurs entrainent une multiplication des groupes armés (plusieurs centaines) qui débordent un régime dont les ressources et l’encadrement s’avèrent insuffisants. Les affrontements se normalisent dès l’hiver 2011-2012 installant durablement la logique insurrectionnelle au sein des groupes rebelles qui limitent souvent leur action à la défense de positions contre l’armée du régime. Les déserteurs aident les insurgés à créer les premiers bataillons d’ampleur : la Katibat Khalid ibn al-Walid et la Katibat al-Faruq. Plutôt que de mener des attaques frontales, les groupes armés profitent des replis des forces du gouvernement et ciblent les zones où le régime ne dispose pas de troupes suffisantes. En février 2012, les villages du nord d’Alep sont libérés. Au début de l’été 2012, c’est au tour d’Azaz, de al-Bab et d’autres villages de passer aux mains des rebelles. En juillet et août, l’insurrection prend le contrôle de plusieurs quartiers de Damas puis de la moitié d’Alep. En dix-huit mois, les insurgés libèrent plus de la moitié du territoire syrien. A la fin de l’été, le régime d’Assad semble sur le point de tomber. Deir ez-Zor et Raqqa passent également sous le contrôle de l’insurrection. Privée d’armement lourd et d’équipement anti-aérien, l’Armée syrienne libre ne peut s’engager avec les quelques kalachnikovs que les déserteurs ont emporté avec eux contre les dernières villes-bastions du régime lourdement armé et dans lesquelles l’armée officielle se retranche.
Le conflit s’installe alors dans la durée et l’issue dépend désormais de la capacité de chaque camp à mobiliser des ressources sur le long terme. Progressivement, le conflit se territorialise et des fronts apparaissent. D’aspect diffus et en mosaïque, l’espace du conflit prend en 2013 un aspect plus territorial avec l’émergence de fronts ainsi que de zones insurgées et de zones sous contrôles du régime géographiquement stabilisées. Les révolutionnaires contrôlent principalement des régions du nord et du sud du pays, non loin des frontières. L’utilisation de l’aviation pour détruire les bases arrières des rebelles, afin d’empêcher leur approvisionnement, va s’avérer être une tactique efficace pour le régime. Mais c’est l’afflux de centaines de milliers de combattants étrangers iraniens et du Hezbollah qui expliquera un recul très franc du front révolutionnaire en 2013 et 2014. En effet, l’armée du régime, dépassée et affaiblie par les désertions, sous-traite désormais son action militaire à des milices étrangères. Une modification progressive de l’anatomie interne de l’opposition va se faire à la faveur du régime qui reprend à l’automne 2014 l’essentiel des régions du nord. Fin 2014, les fronts se stabilisent.
La militarisation et tous ses maux sont une conséquence directe de la façon dont le régime a répondu à la contestation. Mais même sur ce terrain, à l’été 2012, les révolutionnaires ont été en passe de renverser Assad. L’intervention de puissances étrangères ont cependant profondément changé la donne, avec à la clé un prolongement de l’état de guerre civile. Contrairement à l’Egypte, à la Tunisie et à la Libye où les insurgés ont rapidement pu conquérir les institutions suite à la chute de leur régime, l’installation dans la durée du conflit en Syrie oblige les quartiers et villes rebelles à s’administrer eux-mêmes. En effet, les blocus, l’état de siège ou l’abandon des zones insurgées par le régime de Damas contraint les civils à créer leurs propres institutions et à s’autogérer. Comités de coordination, comités locaux, cours de justice, hôpitaux, circuits alimentaires, le peuple insurgé livré à lui même s’organise[36].
Libéralisation de l’économie et des conditions de travail.
Du nord au sud du Maroc, nous vivons une conquête « coloniale » d’un genre nouveau par le pouvoir du capital-financier-supra-national-international pour s’approprier ce qui ne l’a pas encore été : terres, mers, forêts, sols, air, vent, soleil… Domaines qui étaient jusque-là encore préservés. Une rapidité incroyable… D’autant plus accélérée que le Maroc se prépare à recevoir la COP 22 à Marrakech (ndlr : La COP22 s’est déroulée du 7 au 18 novembre 2016) et veut être reconnu (par les pays du Nord) comme modèle pour les pays du Sud avec de grands projets dits « verts ». Ce greenwashing officiel offre au capitalisme, en plus des ressources naturelles, une main d’oeuvre exploitable et corvéable à merci.
Fenêtre sur les dictatures invisibles La mère qui se sacrifie exerce la dictature de l’asservissement. L’ami attentionné exerce la dictature de la faveur. La charité exerce la dictature de la dette. Le libre marché te permet d’accepter les prix qu’on t’impose. La liberté d’opinion te permet d’écouter ceux qui émettent des avis en ton nom. Le droit de vote te permet de choisir la sauce à laquelle tu seras mangé. Eduardo Galéano – (Montevideo 1940-2015)
Les grands patrons agricoles au Maroc comme en Europe sont en compétition pour conquérir les parts de marché pour écouler leurs produits agricoles industriels bourrés de pesticides et génétiquement suspects. Leurs gouvernements respectifs les soutiennent par l’adoption du modèle agro-exportateur productiviste aux multiples effets destructeurs sur la paysannerie, les liens ruraux, les cultures de subsistance, la qualité alimentaire, et l’environnement.
Nous devons refuser ce modèle de l’agrobusiness et recouvrer notre souveraineté alimentaire et notre plein droit de produire nos produits alimentaires de base sur nos terres. Pour cela, nous devons mener des combats collectifs à l’échelle mondiale, régionale et locale dans des réseaux, des collectifs, des coordinations, etc. regroupant ouvriers, ouvrières, paysans, consommateurs et tous les militants et les militantes de la cause populaire.
Le libre marché permet d’affamer les peuples
Alors que les libertés syndicales et le droit de grève sont menacés, le gouvernement marocain annonce le retrait de la caisse de compensation et le gel des salaires déjà bien maigres pour faire face à la cherté de la vie. Il poursuit la privatisation et le démantèlement des secteurs publics et sociaux de base, la mise à mort de l’agriculture paysanne locale au profit du secteur privé : un immense agrobusiness destiné à l’exportation. Pour cela, il met en place les politiques dictées et imposées par la Banque mondiale, le FMI, l’OMC. Il favorise l’accaparement des richesses du Maroc, fait augmenter la dette et prépare le pays à une ouverture totale au capital international.
Luttes sociales, division syndicale, répression… La dette sociale s’allonge encore et encore
Après une année de lutte avec diverses formes de mobilisations locales, régionales et nationales des enseignant.es stagiaires des centres régionaux d’Éducation et de Formation, le bras de fer se poursuit contre les réformes. Cela pour défendre l’enseignement public face à un gouvernement qui n’a rien à promettre d’autre… que la matraque… |1| sans qu’il réussisse à stopper cette marée humaine, jeune, joyeuse et rebelle.
Les luttes des enseignants stagiaires n’ont pas empêché la casse imposée (par la BM et FMI) de l’enseignement public. Cela pendant qu’écoles, lycées et instituts privés de label international se délocalisent, se multiplient et se concurrencent pour s’arracher la formation des jeunes élèves, étudiants, élites des classes riches formatées aux normes du capitalisme prédateur. Le coût de la scolarité endette à vie les familles qui rêvent d’un avenir radieux pour leur progéniture, convaincues que l’enseignement public gratuit ne mène qu’au chômage et à la misère. La longue lutte des « étudiants chômeurs » en est la preuve. Elle qui se poursuit depuis les années dites d’austérité, quand l’État se préparait aux privatisations et n’embauchait plus dans le service public. Car il faut d’abord payer les dettes alors que les caisses de l’État sont vides, de plus en plus vides… |2| et les quelques paniers distribués par le « roi des pauvres » ne suffisent pas à soulager la misère et apaiser la faim de son peuple.
« La charité exerce la dictature de la dette »
Les disparités se creusent dans un Maroc à une seule vitesse : marche ou crève. C’est la loi du plus fort dans une planète devenue marchandise, de plus en plus inaccessible pour le plus grand nombre des laissés-pour-compte que le capital financier achève par le crédit, et le microcrédit : petit-crédit, pour soigner, scolariser, monter un petit projet pour survivre… Les nombreuses victimes sont majoritairement femmes, analphabètes, malades… ne pouvant bénéficier d’aucun service social de base, exclues du moindre droit à l’enseignement, à la santé, que l’État doit à ses citoyens. |3|
Sous prétextes que « les entreprises supportent des charges accablantes au Nord », elles viennent exploiter le Sud
Elles se délocalisent dans leurs anciennes colonies. La crise du capitalisme international n’est qu’un nouveau prétexte pour accumuler plus, exploiter sans entrave avec la garantie que les gouvernements du Sud au pouvoir sauront assurer et faire fructifier les profits des multinationales, voire même les aider à les rapatrier au Panama : dernier scandale d’évasion de capitaux impliquant la monarchie marocaine. Le surnommé « roi des pauvres », compte parmi les plus riches de ce monde. Le peuple a eu beau crier « Mais où est donc passé l’argent du peuple ? À Panama et dans les fêtes », le scandale a été étouffé à coups de bâton, une fois de plus, et les affaires continuent de plus belles.
Nouveaux Eldorados : les zones franches industrielles
Des contrats en masse |4|, le ministre de l’Industrie invite les multinationales |5| à investir les nouvelles zones franches, leur garantissant un impôt à 0 %. Industrie textile, automobile, aéronautique et autres sont invitées à venir exploiter généreusement une main d’oeuvre marocaine jeune, hautement diplômée, non syndiquée et sans droit.
Politiques anti-populaires, austérité, répression, division et bureaucratie syndicale pour prévenir les mobilisations et luttes ouvrières
Au nord, dans la zone industrielle de Tanger où sont installées des usines multinationales, les luttes ouvrières ont éclaté en février 2015 pour arracher des droits élémentaires : l’application du code du travail et le droit syndical. Une nouvelle génération d’ouvriers, jeunes, formés, conscients est au combat.
Zones franches de Tanger, zones de non-droit : les luttes ouvrières s’organisent
Cette zone, érigée à l’extérieur de la ville, modèle une nouvelle exploitation ouvrière au-dessus des lois, des droits, des territoires et des frontières. Le 1er mai 2015 à Tanger, passant outre les consignes des bureaucraties syndicales, les militants qui ont manifesté pour faire entendre leurs revendications ont été sauvagement dispersés et tabassés. Pourtant la lutte syndicale menée par les ouvriers de la société américaine ECI, fabricant des câbles électriques pour voitures et appareils électroniques – située dans zone franche de Tanger Automotive – a obligé la direction de la société américaine à négocier et indemniser les ouvriers licenciés. Une autre lutte ouvrière importante a éclaté dans la même zone industrielle à l’usine Renault-Nissan qui exploite 6 000 travailleurs. Cette usine française et à capitaux marocains, montée en 2012, a été la première usine installée dans la toute nouvelle zone industrielle de Tanger, à proximité du nouveau port. Destinée à monter les voitures pour le marché africain et européen, elle fait des bénéfices juteux, mais les ouvriers n’en tirent aucun profit. Les conditions de travail y sont déplorables et les salaires très bas. Le conflit a éclaté quand les ouvriers syndiqués à l’UMT |6| ont dénoncé leurs conditions de travail et menacé d’entrer en grève pour l’application de leurs droits. Sur les 6 000 ouvriers, plus de 600 se sont syndiqués et ont appelé à deux jours de grève. Face à la détermination et l’unité des travailleurs, la direction de Renault a été obligée d’ouvrir des négociations.
La crise du capitalisme international n’est qu’un nouveau prétexte pour accumuler plus et exploiter sans entrave
Agadir, dans le sud, est une autre région qui connaît des luttes ouvrières nombreuses et importantes. Les résistances ont lieu dans l’agriculture et la pêche contre le Plan Maroc vert et le Plan Halieutis dont le but est d’ouvrir ces secteurs vitaux à la concurrence et au capital international. Les attaques contre le droit syndical sont des pratiques courantes dans toutes les grandes entreprises capitalistes étrangères qui « investissent » au Maroc. Dans le secteur de l’agrobusiness ce sont des groupes français (Soprofel où des ouvriers mènent une lutte contre leur licenciement, Azura…), espagnols (Donna export, Emporio Verde…) et marocains (Bennani Smires, Kabbage…).
La société états-unienne « Atlas Berry Farms » installée à Larache au nord et à Agadir au sud, produit fraises et myrtilles destinées exclusivement à l’export. Un bureau syndical s’est constitué en juin 2013 dans le cadre de la Fédération nationale du secteur agricole à Agadir. Les responsables d’Atlas Berry Farms se sont déchaînés sur les syndicalistes en :
- imposant un contrat CDD d’un mois aux ouvriers sans leur consentement.
- faisant appel aux autorités locales et à la gendarmerie qui sont venues à la ferme pour établir des PV contre les ouvriers, après les avoir menacés et même agressés. 25 ouvriers ont été licenciés. Après plusieurs grèves et sit-in les ouvriers ont été indemnisés mais le syndicat n’existe plus dans cette société. Les investisseurs étrangers imposent leur loi, celle du plus fort. Au Maroc ils sont soutenus et bénéficient de la complicité des autorités et de l’inspection du travail.
« Le libre marché te permet d’accepter les prix qu’on t’impose. »
Dette coloniale et dette sociale : deux faces d’une même médaille
Pendant et après la guerre, le Nord venait recruter dans ses anciennes colonies du Sud la main d’oeuvre corvéable à merci, sans droit, sans lois, sans syndicats, pour effectuer les travaux les plus pénibles : mines, automobile, etc. Ils étaient logés-entassés dans les lugubres foyers type Sonacotra… Ensuite, quand les ouvriers survivaient, ils étaient renvoyés sans retraites, ni indemnités, usés, vieux, seuls, analphabètes, silicosés |7|. Certains sont retournés au pays, soutenus par les syndicats en France, ils ont pu arracher quelques sous en guise de reconnaissances, mais pas leurs droits. Dans la région de Ouarzazate, les mineurs d’Imini sont soutenus par ces anciens mineurs.
Les investisseurs étrangers imposent leur loi, celle du plus fort. Au Maroc, ils sont soutenus et bénéficient de la complicité des autorités et de l’inspection du travail
Au Maroc, les gisements de phosphate étaient exploités par de puissantes sociétés françaises qui, après l’indépendance, après avoir changé de nom, ont été reprises par les puissants du pouvoir marocain. À Imider, les habitants du village poursuivent la résistance contre une société appartenant au roi, qui non seulement exploite la mine, pollue l’eau, la terre, le village et n’offre aucun travail aux jeunes, mais les poussent à abandonner leur terre. La population d’Imider a organisé un sit-in permanent depuis 5 ans contre une mine d’argent, appartenant à la Holding Royal SNI. Celle-ci assèche leur nappe phréatique, pollue leur environnement et spolie leurs richesses minérales sans investir localement.
Imider, une population prise en otage
La lutte des habitants est un exemple concret de la poursuite du pillage des ressources naturelles, de l’exploitation des travailleurs, de l’absence du moindre droit, de l’appauvrissement de la population, de la dépossession de ses terres et de ses cultures. Une situation qui se perpétue de la colonisation à l’après colonisation et devient encore plus brutale avec l’ère des nouvelles technologies, de la modernité et de l’écologie, prônée par les tenants du capital financier mondialisé. Les néolibéraux n’ont plus de nation, ou plutôt ont une seule nation : le capital, l’exploitation et l’accumulation sans fin de tout et partout.
Plus de concentration de richesse, plus de pauvres, plus de dettes…
La concentration du pouvoir politique, économique, financier, qui se veut pouvoir sacralisé, ne fait qu’aggraver la crise et converger les luttes de divers secteurs et régions. Partout de grands projets urbains onéreux, souvent inutiles, profitent aux grands trusts internationaux et barons nationaux, endettent toujours plus le pays, exproprient les habitants de leurs quartiers voués à la démolition. Les petits paysans sont ruinés et chassés de leurs terres. Les usines ferment et licencient les ouvriers. Toutes et tous vont faire l’amère expérience de la dette, ou comment devenir encore plus pauvres… Quand l’État n’assure plus les droits sociaux de base à ses citoyens : éducation, santé, logement, les droits élémentaires, les équipements sociaux de base… crédit et microcrédit enfoncent les populations dans l’esclavage de la dette.
|2| http://www.banquemondiale.org/f r/news/press-release/2012/05/30/a-more-coherent-social-protection-system-inmorocco : Nouveau rapport stratégique de la Banque mondiale sur la protection sociale : Rabat, le 30 mai 2012. Un quart de la population marocaine, soit 8,5 millions de personnes, est vulnérable à la pauvreté absolue. Nadine Poupart, Économiste Senior auprès de la Banque mondiale et Coordinatrice pour le développement humain au Maroc déclare à ce sujet qu’« Au Maroc, d’importantes disparités géographiques existent en matière de pauvreté. La pauvreté rurale est plus de trois fois plus élevée que la pauvreté urbaine, (…) 80 % de la population rurale travaille en auto-emploi ou dans un emploi non rémunéré ».
|3| Voir témoignages vidéo caravane internationale des femmes contre le microcrédit cadtm.org
|6| UMT : Union Marocaine du Travail, 1er syndicat des travailleurs marocains après l’indépendance en 1955
|7| La silicose est une maladie des poumons due à une inhalation prolongée de poussière de silice. Elle atteint surtout les ouvriers qui travaillent dans les mines de charbon.