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  • Brest Solidarité Palestine (Afps)

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    Le rassemblement de soutien aux grévistes de la faim s'est transformé en célébration (vigilante) de leur victoire

     

  • Nouveautés "Maroc"

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    Maroc: Ni les diffamations ni la répression ne freineront le mouvement de contestation populaire dans le Rif (Al Mounadil-a)

    Maroc Quelques éléments de la situation politique (Inprecor)

    Maroc (Inprecor)

     

  • Irak. Clans, pétrole et les projets d’une «indépendance kurde» (A l'Encontre.ch)

     

    «Bien sûr que c’est notre droit d’être indépendant», assène Najat, une étudiante en relations internationales.

    Au réfectoire de l’université de Souleimaniya [deuxième ville du Kurdistan d’Irak], le débat est lancé entre jeunes. «Le gouvernement irakien s’y opposera, mais cela ne doit pas nous arrêter», renchérit Ahmad. «Soyons réalistes, tempère Faranj, nous avons été incapables d’établir de solides institutions, et nous sommes divisés.»

    Au pied des montagnes qui ont longtemps été «les seules alliées des Kurdes» dans leur quête de liberté, Souleimaniya est le fief de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK dirigée par Jalal Talabani), l’un des deux grands partis kurdes. «A l’université, confie un étudiant, tout est contrôlé en sous-main par l’UPK». Peu avant notre passage, une trentaine de jeunes sont allés discuter indépendance avec un responsable du Parti démocratique du Kurdistan (PDK, du clan Barzani), le grand rival de l’UPK, à Erbil, «la capitale» des provinces kurdes du nord de l’Irak. «A notre retour, avoue l’un d’eux, l’université nous a punis».

    Autour de la table, un seul des neuf étudiants confie s’être déjà rendu à Bagdad, la capitale d’un pays qui est pourtant encore le leur. S’ils comprennent l’arabe, ces jeunes Kurdes ne le parlent pratiquement jamais. Sur les marchés de Souleimaniya, le gros des produits vient de l’Iran voisin, à l’est. A Erbil, plus au nord, la Turquie est le principal fournisseur. En cheminant entre les deux villes, le visiteur a l’impression d’être déjà dans un autre pays. Et pas seulement parce que les pâturages verdoyants des contreforts montagneux contrastent avec le relief plat et souvent désertique du reste de l’Irak. Alliés jusque-là discrets des Kurdes, les Israéliens n’utilisent même plus un second passeport pour venir à Erbil. Au-delà des plaques minéralogiques sur leurs voitures et du passeport, que partagent encore les Kurdes d’Irak avec leurs compatriotes arabes?

    Une société dominée par deux familles 

    Les régions kurdes se sont peu à peu détachées du reste de l’Irak. Amorcée en 1992 après la sanglante répression dont les Kurdes furent victimes de la part de Saddam Hussein, leur autonomie s’est accélérée après la chute de la dictature en 2003. Les provinces kurdes profitèrent alors d’un calme relatif pour prospérer. A Erbil, les immeubles poussèrent comme des champignons. La ville a été atteinte du syndrome de Dubaï: un World Trade Center est même sorti de terre. En dix ans, tout a changé, mais rien n’a vraiment changé dans cette société clanique, dominée par deux familles, les Barzani à Erbil et les Talabani à Souleimaniya. Deux clans rivaux qui se livrèrent une impitoyable guerre civile au milieu des années 1990. Mais vingt ans après, alors que les deux partis cherchent à organiser un référendum en vue de l’indépendance, les fantômes du passé resurgissent.

    Au Shaab café de Souleimaniya, Moktalla tue le temps en fumant cigarette sur cigarette dans ce bistrot en pierre ocre, orné des portraits des martyrs pechmergas, ces combattants kurdes tombés pour la cause. Ancien pechmerga, Moktalla a été blessé en 2008 par l’explosion d’une mine alors qu’il protégeait à Bagdad Jalal Talabani, l’homme fort de Souleimaniya devenu le premier président de l’Irak post-Saddam Hussein. «Je suis sans salaire», grogne-t-il, sous un cliché de Danielle Mitterrand, la «pasionaria française des Kurdes». En 2009, las de la gestion de M. Talabani, il a quitté l’UPK pour rejoindre un nouveau parti, Goran («changement» en kurde). Pour le sanctionner, l’UPK a cessé de payer sa pension. Goran n’ayant pas accès aux ressources financières du Kurdistan, jalousement gardées par l’UPK et le PDK, Moktalla se retrouve sans revenu, mais il soutient l’indépendance. «C’est le rêve de tous les Kurdes. Nous voulons en finir avec le contrôle que les pays voisins exercent sur nous, car nous savons bien qu’ils ne sont pas nos amis.»

    Le pétrole, nerf de la guerre 

    Ils? La Turquie, mais surtout l’Iran dont l’influence est prépondérante à Souleimaniya. Outre le commerce légal, il y a le pétrole, vendu en contrebande par camions. Un juteux trafic aux mains du clan Talabani. Problème, le patriarche est plongé depuis des années dans un coma profond. Il ne peut plus parler. En septembre, deux cadres de son parti ont fomenté un coup d’Etat alors qu’il rentrait d’un séjour à l’hôpital en Allemagne. Un expert raconte: «Barham Saleh et Kosrat Rasoul ont dit à son épouse Héro Ibrahim: maintenant le centre de décision est chez nous. Il faut assainir les finances de l’UPK. Les pechmergas doivent devenir une seule force sur l’ensemble du Kurdistan, et nous devons clairement parler d’un référendum en vue de notre indépendance.»

    Trois jours de tractations chez Laour Talabani, le patron des renseignements locaux et neveu du patriarche, des Iraniens omniprésents depuis leurs deux consulats de Souleimaniya, et puis le soufflé est retombé. La jeune garde devra attendre! «Plus que jamais, Mme Talabani a repris la situation en main à Souleimaniya, constate l’expert. La preuve, c’est elle qui est à la manœuvre dans les négociations cruciales sur le pétrole de Kirkouk.»

    C’est le nerf de la guerre. A 100 km à l’ouest de Souleimaniya, Kirkouk et sa région recèlent 20 % des réserves prouvées de pétrole de tout l’Irak. Repeuplée d’Arabes sous Saddam Hussein puis de Kurdes à partir de 2003, la cité fait partie des territoires disputés entre Bagdad et les Kurdes. «Sans Kirkouk, l’indépendance kurde est tout simplement un leurre», assène un diplomate à Erbil. Avec un baril tombé à 45 dollars, et privé des subsides de Bagdad depuis que les Kurdes ont décidé d’écouler leur pétrole sans passer par l’Etat irakien, leur gouvernement autonome basé à Erbil affiche une dette record de 23 milliards de dollars.

    Total et Chevron, qui avaient misé sur le Kurdistan, ont déserté. L’austérité est là. Les salaires des fonctionnaires ont été rognés d’un tiers et sont versés avec deux mois de retard. «Les gens sont mécontents, affirme Abou Baqr al-Kawani, dirigeant du Parti islamiste du Kurdistan. Avant, nous recevions 17 % du budget de l’Etat central et la population était payée. Mais nos leaders n’ont aucune vision. Ils ont juste recruté des partisans, ils n’ont pas travaillé pour développer l’agriculture ou l’industrie.»

    Les opposants islamistes ou liés à Goran soupçonnent Massoud Barzani, président du gouvernement autonome, de vouloir «faire un coup politique» en proposant un référendum d’ici à la fin de l’année. «Barzani n’a plus de légitimité, son mandat a expiré, insiste al-Kawani, et comment parler d’indépendance alors que le Parlement a été dissous. Nous voulons des réformes internes.» «Rien ne marche avec Bagdad, c’est le moment où jamais!», répond Hoshyar Zebari. L’ancien ministre des Affaires étrangères d’Irak (2003-2014) connaît mieux que quiconque la défiance historique qui caractérise la relation entre Bagdad et les Kurdes. «Pourquoi le premier ministre Haïdar al-Abadi vient-il d’interdire pour quelques jours l’atterrissage des vols commerciaux à Erbil?», peste-t-il.

    Depuis son immense maison, perchée sur le nid d’aigle de Salahadine, Hoshyar Zebari conseille désormais son oncle, Massoud Barzani. «L’Administration américaine veut faire reculer l’influence iranienne en Irak, se félicite-t-il. Les pays arabes ne publient plus de communiqué incendiaire quand on parle d’indépendance, et la Turquie a besoin de notre pétrole et de notre gaz.» Sous-entendu: en devenant indépendants, les Kurdes d’Irak seront les porte-parole de la cause kurde, et non plus le PKK, honni par Ankara, lequel, espère-t-on à Erbil, ne s’opposera pas à l’indépendance.

    Pas sûr. Au mur du salon, Hoshyar Zebari exhibe un tapis de soie persan que le président iranien Hassan Rohani lui a offert. Téhéran et ses nombreux relais à Bagdad et au Kurdistan seront les principaux opposants à cette indépendance rêvée. «Les Iraniens pourraient activer leurs réseaux pour nous déstabiliser», redoute un dirigeant kurde.

    «Si on devient indépendant, naîtra un nouveau Soudan du Sud»  

    Depuis 2015, Téhéran s’est rapproché du PKK, l’organisation kurde considérée comme terroriste par la Turquie et les Etats-Unis. Or, des montagnes de Qandil jusqu’à la ville d’Amadé aux confins de la Turquie, le PKK contrôle 30 % environ de la province d’Erbil. A Kirkouk, le PKK a recréé en sous-main le Parti de la liberté. Et à Souleimaniya, le PKK et Téhéran disposent en Mme Talabani d’un appui précieux. «De nombreux Kurdes soutiennent le PKK, fait valoir un journaliste à Kirkouk, car ce sont eux qui défendent les Kurdes syriens, alors que Barzani est allié avec notre ennemi turc qui réprime les Kurdes sur son territoire.»

    Proches de l’Iran, les milices chiites irakiennes, qui participent à la bataille de Mossoul contre Daech, inquiètent également les Kurdes. «Elles ont commencé de recruter parmi des anciens leaders tribaux kurdes», confie un dirigeant du PDK. Il redoute qu’après la victoire de l’armée et des milices à Mossoul, ceux-ci lancent un assaut pour reprendre Kirkouk et leur barrer la route de l’indépendance: «ce serait la confrontation», prévient Hoshyar Zebari.

    Bref, la marche vers la liberté reste semée d’embûches. Si les Etats-Unis, qui disposent à Erbil d’une des plus importantes stations de la CIA au Moyen-Orient, ont promis aux Kurdes de maintenir des troupes après la défaite de Daech à Mossoul, Washington reste attaché à «l’unité de l’Irak».

    «Au moins qu’ils restent neutres, à défaut de nous soutenir», plaide Hoshyar Zebari. «Un État kurde?, s’interroge un vieux cadre de l’UPK. Nous avons deux polices, deux services de renseignements et deux corps de pechmergas liés à chacun des deux grands partis. Nous ne sommes pas parvenus à les unifier. Si on devient indépendant, naîtra un nouveau Soudan du Sud». C’est-à-dire un Etat non viable! (Publié dans Le Figaro du 22 mai 2017)

     Alencontre le 22 - mai - 2017 Par Georges Malbrunot
     
  • Etats-Unis-Arabie saoudite. Des dizaines de milliards pour des contrats entre un Trump contesté et un royaume dont le portefeuille n’est plus si replet (A l'Encontre)

    Des contrats… pas pour des épées

    Rédaction A l’Encontre

    La réception spectaculaire à Riyad contraste avec la pression qui s’accumule sur le président américain après une semaine de révélations accablantes à Washington sur les liens entre sa garde rapprochée et la Russie. En effet, selon l’AFP: «Le président est apparu détendu, alors qu’à Washington, de nouveaux développements sur l’enquête russe venaient d’être révélés. Facteur d’inquiétude supplémentaire pour la Maison Blanche: le Sénat [à majorité républicaine] a annoncé que l’ex-chef du FBI, James Comey, silencieux depuis son limogeage brutal il y a dix jours, avait accepté de témoigner.»

    Outre les rencontres bilatérales, dont celle avec le roi Salmane, Donald Trump a axé la première de ses deux journées à Riyad sur les investissements avec une série de colossaux contrats. «C’était une journée formidable», a lancé le président républicain. «Des centaines de milliards de dollars d’investissements aux Etats-Unis et des emplois, des emplois, des emplois.»

    34 accords… pour des armes et des infrastructures états-uniennes

    L’agence officielle saoudienne SPA a fait état de 34 accords dans des domaines aussi divers que la défense, le pétrole et le transport aérien. «Les deux pays ont signé une série d’accords […]. La valeur des investissements dépasse les 380 milliards de dollars», a précisé le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir lors d’une conférence de presse conjointe avec le secrétaire d’Etat Rex Tillerson, ex-patron d’ExxonMobil. Après avoir été en 1995 président d’Exxon Yémen, puis en 1998 d’Exxon Russie et en mer Caspienne, Tillerson avait, dès la fusion ExxonMobil, grimpé les échelons pour en devenir en 2006 le PDG. Il est aussi membre du Center for Strategic and International Studies.

    Cent cinquante hélicoptères Blackhawk conçus par l’américain Lockheeed Martin seront ainsi assemblés en Arabie saoudite. D’une valeur totale de 6 milliards de dollars, ils devraient entraîner la création de 450 emplois locaux. General Electric a signé avec le royaume pour une valeur de 15 milliards de dollars une série de protocoles portant sur des projets de diversification économique, de développement industriel et de construction de centrales électriques et un programme d’informatisation des opérations d’Aramco, le géant pétrolier saoudien.

    Autre bonne nouvelle pour Donald Trump, le fonds souverain saoudien s’est joint au géant américain de la gestion d’actifs Blackstone pour créer une structure financière de 40 milliards de dollars afin de rénover les infrastructures américaines, qui sont vétustes. C’était l’une des promesses électorales de Trump qui veut y consacrer 100 milliards. Le fonds souverain contribuera pour sa part à hauteur de 20 milliards.

    Faire face «aux menaces iraniennes»

    Un accord de 109 milliards de dollars de ventes d’armes a également été conclu. Le porte-parole de la Maison Blanche l’a qualifié de «plus important de l’histoire des Etats-Unis». Ces équipements de défense visent à soutenir «la sécurité à long terme» de l’Arabie saoudite et de la région du Golfe «face aux menaces iraniennes», a précisé Donald Trump.

    Cette annonce est intervenue le jour de la réélection du président iranien Hassan Rohani. L’Arabie saoudite considère l’Iran comme son principal rival au Moyen-Orient. Les deux pays s’opposent notamment sur les théâtres de conflit en Syrie et au Yémen.

    La Maison Blanche a précisé que les contrats militaires allaient renforcer la capacité du royaume à «contribuer aux opérations de contre-terrorisme à travers la région», ce qui «réduira le fardeau» pour l’armée américaine. Washington compte ainsi voir Riyad jouer un plus grand rôle dans la lutte contre les groupes djihadistes, comme le groupe Etat islamique et Al-Qaida. Selon l’AFP, en date du 21 mai, le secrétaire d’Etat Rex Tillerson a déclaré que ces accords de défense visaient à contrer la «mauvaise influence iranienne et les menaces liées à l’Iran qui existent aux frontières de l’Arabie saoudite de tous les côtés».

    Ce dimanche 21 mai 2017, le président américain prononcera à Riyad devant une cinquantaine de dirigeants de pays musulmans un discours soulignant ses «espoirs» pour une «vision pacifique» de l’islam. «J’exprimerai la position du peuple américain de manière franche et claire», a promis le président américain dans son allocution hebdomadaire diffusée vendredi soir. Ce sera sans doute l’un des discours les plus attendus de ce début de mandat. D’abord parce que Donald Trump a été accusé, à plusieurs reprises, durant sa campagne électorale américaine d’avoir tenu des propos islamophobes. Ensuite, parce que l’une de ses premières mesures en tant que président a été de fermer l’accès des Etats-Unis à plusieurs pays à majorité musulmane. Bloqué par la justice américaine, le décret a heurté profondément le «monde musulman».

    Avec ce discours, Donald Trump devrait donc tenter d’adoucir cette image anti-islam. Selon l’entourage du président américain, celui-ci devrait ainsi s’abstenir de tracer un lien entre la religion musulmane et le terrorisme. Le discours de Donald Trump sera scruté avec d’autant plus d’attention qu’il interviendra huit ans après le discours du Caire, prononcé par Barack Obama en Egypte. A l’époque, le prédécesseur de Donald Trump avait lancé un appel à un nouveau départ entre les Etats-Unis et les musulmans. (Sources: AFP, RFI et autres)

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    «L’Arabie saoudite paie pour se protéger, même pour des armes qu’elle pourrait ne jamais utiliser»

    Par David Hearst

    Mohammed ben Salmane

    Le prix d’une audience avec Donald Trump est élevé et continue de monter. Selon les estimations, l’Arabie saoudite a déjà promis 300 milliards de dollars de contrats de défense pour la prochaine décennie et 40 milliards de dollars d’investissements dans des infrastructures. Le chiffre final, selon certains initiés de Wall Street, pourrait encore grimper à 1000 millions de dollars d’investissements dans l’économie américaine.

    Au moment où il a atterri à Riyad ce vendredi 19 mai 2017, Trump avait dans ses bagages le plus gros contrat d’armement de l’histoire américaine. Il a ainsi rempli sa promesse de faire payer la maison des Saoud, même pour des roquettes qu’elle n’utilisera jamais.

    S’il y a une guerre avec l’Iran, ce seront les Etats-Unis qui la livreront. La Corée du Sud, un pays beaucoup plus proche d’escarmouches avec son voisin, s’avère être un acheteur plus difficile de systèmes de défense antimissiles américains. Le pays rechigne à payer 1 milliard de dollars pour le système THAAD. Pas Riyad.

    La Maison Blanche était en liesse devant l’effet que cet argent saoudien tombé du ciel pourrait avoir sur les emplois à l’intérieur du pays. D’après le compte-rendu officiel de la rencontre qui a eu lieu le mois dernier entre le vice-prince héritier Mohammed ben Salmane et Trump, jusqu’à un million d’emplois pouvaient être créés directement à l’intérieur du pays et des millions d’autres pouvaient l’être dans la chaîne d’approvisionnement.

    La question que se posent les Saoudiens qui, contrairement au prince de 31 ans, n’ont pas les moyens de s’acheter sur un coup de tête le yacht d’un milliardaire russe ou un archipel dans les Maldives, est la suivante: «Comment, pour l’amour de Dieu, pouvez-vous inonder les Américains de tant d’argent alors que vous êtes si réticents à le faire pour votre propre peuple?»

    Le taux de chômage officiel est de 12% et le pourcentage réel est beaucoup plus élevé. Alors que les hôpitaux ont du mal à trouver des médecins, le plus grand fonds du royaume, la General Retirement Foundation, qui verse les retraites des travailleurs du secteur public et de l’armée, a annoncé la semaine dernière que ses réserves étaient épuisées.

    A quelle déclaration du ministre adjoint de l’Economie Mohammed al-Tuwaijri la plupart des Saoudiens croient-ils le plus? Celle où il a annoncé que le royaume avait réduit de plus de moitié son déficit au premier trimestre en raison de mesures d’austérité, ou la déclaration antérieure lors de laquelle il a prévenu que le royaume serait en faillite en quatre ans, si le prix du baril de pétrole restait entre 40 et 45 dollars? Il n’était pas le seul. Le FMI aussi a averti le royaume qu’il risquait la faillite. Quel Saoudien ne se dit pas qu’une intensification des mesures d’austérité et de nouvelles taxes sur la TVA se profilent à l’horizon?

    Les jours révolus des bureaux et des fauteuils roulants

    Il existe deux raisons possibles pour lesquelles le royaume est prêt à inonder ses riches cousins américains de plus de richesses.

    La première est personnelle. Mohammed ben Salmane paie une rançon de roi ou, du moins, l’espère sincèrement. Il est loin le temps où les cadeaux offerts par les Etats étaient modestes. Une des pièces exposées à Riyad dans le musée du fondateur du royaume, le roi Ibn Saoud, est un modeste bureau que le président Franklin D. Roosevelt lui a offert après leur première rencontre à bord d’un destroyer américain. Il a également reçu l’un des deux fauteuils roulants du président américain. Ces jours-ci, un bureau ou un fauteuil roulant serait une insulte, comparé à un dessous-de-table pour un contrat d’armement.

    La seconde raison est collective. Le royaume a subi un tel choc de la part d’une administration Obama qui a fait de la paix avec l’Iran son objectif principal qu’il souhaite ne plus jamais se sentir exposé aux vents du désert. L’Arabie saoudite paie pour se protéger, même pour des armes qu’elle pourrait ne jamais utiliser.

    Il serait toutefois prématuré de prendre les affirmations de Ben Salmane pour argent comptant. Même si c’est son ambition, Ben Salmane parle-t-il toutefois au nom de son pays ou même de la famille royale? Il est toujours écarté de la succession au trône et son cousin plus âgé – et certains diraient plus sage – Mohammed ben Nayef n’a pas l’intention de céder la pole position en tant que prince héritier.

    Mohammed ben Nayef

    Une brouille au Yémen

    Tous les princes héritiers font profil bas et gardent le silence. Ben Nayef est toujours responsable d’une des trois forces militaires du royaume, le puissant ministère de l’Intérieur qui contrôle les frontières. Il n’est pas rare pour les visiteurs étrangers invités par Ben Salmane de passer des moments gênants d’interrogatoires pratiqués par les services de contrôle aux frontières de Ben Nayef dans le simple but d’envoyer un message. En privé, Ben Nayef reste calme et confiant.

    Ben Nayef a tout d’abord soutenu la campagne aérienne lancée par son jeune cousin et ministre de la Défense contre les Houthis au Yémen. La rumeur court que ce n’est plus le cas aujourd’hui. La dernière catastrophe qui est arrivée à Ben Salmane a été la brouille entre le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi dont il protège la légitimité et le principal allié militaire des Saoudiens, le prince héritier émirati d’Abou Dhabi Mohammed ben Zayed.

    Après un échange de piques entre Hadi et Ben Zayed en février 2017 sur le contrôle de l’aéroport d’Aden, les alliés yéménites de Ben Zayed se sont séparés de la sphère de contrôle du président exilé, divisant ainsi les forces qui tentent de reprendre le Yémen aux Houthis en au moins deux factions. La politique de Ben Salmane est en proie au chaos. Il dépend de Hadi comme source de légitimité pour ses attaques aériennes mais doit l’empêcher de s’envoler pour le sud libéré du Yémen.

    Ben Zayed, pour sa part, n’est pas prêt à céder. Il a toujours eu au Yémen une mise plus importante que les Houthis soutenus par l’Iran. En effet, il a tout d’abord encouragé les Houthis à se soulever contre Hadi jusqu’à ce que leur insurrection échappe à tout contrôle. Son objectif est l’éradication du mouvement al-Islah, affilié aux Frères musulmans.

    Par l’intermédiaire du fils de l’ancien dictateur Ali Abdallah Saleh, Ben Zayed poursuit des négociations actives avec le principal partenaire militaire des Houthis. Et à travers ses représentants, Ben Zayed est déterminé à poursuivre ses objectifs originels. Ben Zayed est tout sauf incohérent.

    Et si… avaient existé «des banquiers du changement pacifique»

    Jouons à un petit jeu de réflexion. Imaginons qu’au lieu de s’opposer au Printemps arabe et aux soulèvements populaires de 2011, l’Arabie saoudite ait décidé d’investir dans le développement du monde arabe. Imaginons que la Maison des Saoud ait versé 340 milliards de dollars pour soutenir les résultats d’élections libres en Egypte, en Libye et au Yémen au lieu de soutenir des coups d’Etat militaires et des contre-révolutions.

    Où en seraient aujourd’hui la Maison des Saoud et le monde arabe? Les choses ne seraient pas de tout repos. Les premiers dirigeants arrivés au pouvoir après la dictature auraient été évincés depuis longtemps mais, au moins, la tradition du recours aux urnes plutôt qu’aux armes pour y parvenir serait établie.

    Les économies seraient bien sur la voie de la transition. Le monde arabe serait rempli de touristes occidentaux. Les plages de Tunisie et les pyramides d’Egypte ne seraient pas vides aujourd’hui. Il pourrait y avoir un mouvement de sécession au Sinaï, mais l’Etat islamique (Daech) n’y jouirait d’aucune présence. Les djihadistes seraient retournés depuis longtemps dans leurs grottes en Afghanistan. Ils auraient considéré leur mission comme un échec.

    Les membres de la maison des Saoud, alors banquiers du changement pacifique, seraient maintenant salués comme des héros. Ils pourraient avoir autant de yachts de luxe ou d’îles qu’ils le souhaitent. Ils n’auraient pas à verser le prix du sang à Trump. Leur monde serait tellement plus sûr s’ils s’étaient déjà lancés dans le seul voyage qu’il leur reste: d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle.

    Ce qui se passe dans la région aujourd’hui est une leçon d’histoire pour ceux qui sont lents à apprendre. Trump attend avec impatience l’accueil chaleureux qu’il recevra à Riyad, ce qui le distraira des nuages d’orage qui s’accumulent dans son pays. Mais son administration est prise dans une spirale descendante, même aux yeux des Républicains. Dans l’état actuel des choses, 56 dirigeants musulmans et arabes vont se réunir à Riyad pour écouter Trump leur donner une leçon de démocratie et prêcher devant eux au sujet de l’islam. Nous vivons dans un monde étrange. (MEE, 20 mai 2017)

    Alencontre le 21 - mai - 2017
     
  • Le sud tunisien en ébullition (ESSF)

    Résultat de recherche d'images pour "tunisie revolte"

    Depuis 2011, les revendications sociales ne cessent d’alimenter la grogne un peu partout dans le pays, empêchant la stabilisation du régime.

    C’est en ce moment le cas de la région de Tataouine d’où est issue une grande partie de la production d’hydrocarbures.

    Petite chronologie

    16 mars
    Face à cette pression, particulièrement intense dans la région, L’UGTT de Tataouine appelle à la grève générale du secteur pétrolier où de nombreux conflits ont eu lieu ces dernières années. Cette grève fait notamment suite au licenciement de 24 salariés par la société canadienne Winstar qui refuse par ailleurs de participer au développement économique et social de la région.
    8 avril
    Des jeunes chômeurs exigeant notamment des créations massives d’emplois occupent les routes empruntées par les camions de pétrole. Ils appellent à la grève générale de toute la population pour le 11.
    11 avril
    Toutes les activités sont bloquées à Tataouine, à l’exception de quelques boulangeries, des pharmacies et de l’Hôpital régional. Les manifestants permettent à nouveau la circulation, sauf pour les camions des sociétés pétrolières.
    23 avril
    Des milliers de jeunes organisent un sit-in illimité à proximité de la zone pétrolière protégée par les forces armées.
    27 avril
    Le Premier ministre lors de sa venue à Tataouine propose la création 2 500 emplois précaires et mal payés, dont 500 immédiatement. Il est vivement contesté aux cris de « travail, liberté et dignité » et doit être évacué en catastrophe.
    7 mai
    La population manifeste massivement pour soutenir les sit-ins.
    16 mai
    Une nouvelle proposition du gouvernement inclue notamment l’embauche de 1 500 personnes par les sociétés pétrolière et 2 000 emplois précaires dans d’autres activités. Une partie des jeunes mobilisés juge ce compromis acceptable. Une partie le juge insuffisant et continue à bloquer l’exploitation pétrolière.
    20 mai
    Malgré des tirs de sommation de l’armée, les manifestants réussissent à mettre à l’arrêt la principale station de pompage de gaz du Sud tunisien ! Du jamais vu depuis le début de l’exploitation des hydrocarbures dans la région il y a plus d’un demi-siècle.

    Les principales revendications

    En plus de la création immédiate d’emplois, les manifestants veulent obliger les sociétés pétrolières et gazières à verser 20 % de leur profits à une caisse chargée du développement économique de la région.
    Cette dernière mesure est catégoriquement refusée par le gouvernement néolibéral de coalition constitué essentiellement d’islamistes d’Ennahdha et de certains notables de l’ancien régime.

    Une volonté d’auto-organisation

    Depuis des années, le gouvernement fait des promesses ou signe des accords qu’il ne respecte pas. Cette fois-ci, les jeunes chômeurs sont bien décidés à ne pas se faire avoir une nouvelle fois.

    L’un d’entre eux explique : « En 2013, après des mois d’occupation de la place centrale de la ville, on nous a baratiné avec une dizaine de postes dans un chantier appartenant à la présidente du syndicat patronal. Les contrats, sans couverture sociale, ont pris fin au bout de six mois », explique l’un des jeunes mobilisés. Il assure que cette fois-ci « ni la société civile, ni les partis politiques, ni l’UGTT ne négocieront à notre place. »

    Pour cette raison, chaque décision est prise après un vote effectué au niveau de chaque sit-in, puis au niveau de leur coordination.
    L’un de ses membres explique : « Nous essayons de rester transparents et de respecter la volonté de chaque sit-inneur. Cela est possible à travers les votes et les concertations entre nous. Nous passons tout notre temps à discuter de tous les détails de nos demandes et des solutions que nous proposons au pouvoir ».

    La nationalisation des ressources naturelles à l’ordre du jour

    Même si elle ne fait pas partie de la plate-forme revendicative, cette question est posée par de nombreux manifestants : « Sur des milliers de postes crées pour exploiter les hydrocarbures, seules quelques centaines sont attribués aux jeunes de Tataouine ». « Les sociétés étrangères agissent comme si la Tunisie était encore colonisée. »
    Malgré sa radicalité, le mouvement bénéficie d’un soutien populaire assez large dans tout le pays.

  • Brest Palestine (AFPS)

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    Grève de la faim des détenus palestiniens : solidarité !

    Après avoir signé un contrat de 110 milliards de dollars avec le roi Salman d’Arabie saoudite, Donald Trump est arrivé en Israël...

    Au-delà des problèmes de fermetures de nombreuses rues dans le but de créer des « zones stériles », ce qui poussent de nombreux habitants de Jérusalem à quitter la ville pour quarante-huit heures, il n’y a pas grand-chose à attendre de la visite du président étatsunien à Jérusalem et à Ramallah, ce dernier étant davantage préoccupé par l’enquête que dirige l’ancien chef du FBI, Rober Moller, sur les liens du président et de son environnement avec les dirigeants russes... Une odeur d’impeachment s’impose petit à petit autour de Trump, dont les frasques, les faux pas et les déclarations irresponsables le rendent de plus en plus insupportable à la classe politique étatsunienne.

    Beaucoup plus importante que cette visite de Trump au Moyen-Orient est la grève de la faim des prisonniers politiques palestiniens qui, au moment où j’écris ces lignes, en est à son 35e jour. 850 détenus politiques refusent depuis plus d’un mois de se nourrir, et certains sont dans un état critique.

    Cette grève risque de se terminer en catastrophe, cela pour deux raisons. La première est liée à la nature même du gouvernement israélien qui refuse de céder sur quoi que ce soit, et quelles qu’en soient les conséquences. Le ministre de la police vient de le répéter : il n’y a rien à négocier !

    Pourtant, les revendications des prisonniers politiques palestiniens sont minimalistes : leur rendre des droits gagnés et repris par l’extrême droite au pouvoir, en termes de visite des familles, le droit de téléphoner (sous contrôle) à leurs familles, le droit de suivre des cours par correspondance, l’air conditionné dans des cellules qui sont de véritables fournaises, etc. Des droits chèrement obtenus au cours des années 1970 et 1980.

    Soutien populaire

    Même les services de renseignement israéliens reconnaissent que les revendications sont modestes et réalistes, et qu’il serait souhaitable que s’ouvrent des négociations avant qu’il n’y ait des morts et que l’ensemble des territoires occupés n’explosent. Mais c’est mal connaître les dirigeants israéliens actuels, en particulier le ministre de la police Gilad Erdan : on ne lâche rien...

    Au contraire, tout est fait pour tenter de décrédibiliser le mouvement au sein même de la population palestinienne : un prétendu film qui montre Marwan Barghouti, le dirigeant de la grève, en train de manger un petit biscuit... miraculeusement arrivé dans sa cellule ; des rumeurs sur le fait que la grève n’est qu’un moyen pour Marwan pour se rendre populaire contre Mahmoud Abbas ; des interviews bidons de Palestiniens expliquant que leurs proches en prison seraient victimes de pression de la part du même Marwan. Mais ces manœuvres minables ont fait long feu : la grève a le soutien de l’ensemble de la population qui partout, en Cisjordanie et à Gaza, se mobilise en solidarité avec les détenus.

    C’est ici que se joue ce qui pourrait être la seconde raison d’une explosion généralisée : l’absence évidente de soutien de la part de l’Autorité palestinienne, voire la répression des rassemblements des familles des détenus politiques, dans les villes palestiniennes et à proximité des checkpoints où se trouve l’armée d’occupation israélienne.

    Au moment où ces lignes sont écrites, Trump n’est pas encore allé à Ramallah. Espérons qu’il y sera reçu comme il se doit, par des milliers de PalestinienEs exigeant que s’ouvrent immédiatement des négociations, avant – comme le met en garde l’éditorial du quotidien Haaretz il y a quelques jours – qu’il y ait des morts et que la confrontation se généralise et se termine en bain de sang.

    De Jérusalem, Michel Warschawski

  • Alger, la Mecque des révolutionnaires (1962-1974) (Quartiers Libres)

    De 1962, année de son indépendance, et jusqu’en 1974, « Alger la rouge » offrait asile et assistance aux opposants et exilés du monde entier. Un pan méconnu de la politique internationale algérienne, revisité en archives.

    De 1962, année de son indépendance, et jusqu’en 1974, l’Algérie aide activement les mouvements anticoloniaux et les révolutionnaires du monde entier. Avec son sens de la formule, Amilcar Cabral, le fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) qualifiera le pays de « Mecque des révolutionnaires ». Dirigée par le tandem Ahmed Ben Bella (à la présidence) et Houari Boumediene (au stratégique ministère de la Défense), l’Algérie jouit alors du prestige d’une indépendance acquise par les armes. Suivant l’inspiration de Fidel Castro et du Che, qui réserveront à Cuba un accueil triomphal à Ahmed Ben Bella, le pays s’impose comme le leader des aspirations des peuples du tiers-monde. Le régime apporte un soutien total aux opposants qui viennent à lui, aussi bien moral que diplomatique et financier.

    Grâce à un habile montage d’archives, ce film revisite la décennie prodigieuse, et méconnue, au cours de laquelle la plupart des opposants à la colonisation et au racisme, du Che aux Black Panthers – en passant par les indépendantistes bretons ! –, feront escale dans une capitale algérienne effervescente, rebaptisée « Alger la rouge ». Même après le coup d’État de Boumediene en 1965, le pays poursuivra sur cette lancée. Si cette politique finira par évoluer au mitan des années 1970, elle restera un sujet de fierté pour le peuple algérien. Après sa libération, en 1990, près de trente ans après s’être entraîné avec les fellagas, Nelson Mandela leur rendra un vibrant hommage et déclarera : « L’Algérie est mon pays. »

     22 mai 2017

    https://quartierslibres.wordpress.com

  • Nuages sur la Tunisie (Le Monde Diplomatique)

    tebourba.jpg

    Mercredi 10 mai 2017, la petite localité de Tebourba, située à 35 kilomètres à l’ouest de Tunis, dans le gouvernorat (préfecture) de La Manouba, a été le théâtre d’affrontements entre jeunes et forces de sécurité, ces dernières usant de gaz lacrymogènes pour disperser plusieurs centaines de manifestants en colère.

    À l’origine de ces violences, la tentative d’immolation par le feu d’un jeune vendeur de fruits à la sauvette empêché de travailler par les policiers. Cela rappelle sans conteste l’événement fondateur de la révolution tunisienne de décembre 2010-janvier 2011, quand des représentants de l’ordre confisquèrent sa marchandise à Mohamed Bouazizi, le poussant à s’asperger d’essence avant de l’enflammer pour mettre fin à ses jours (17 décembre 2010).

    Malgré le retour au calme — les autorités du gouvernorat ont promis d’aménager des espaces de vente pour les marchands ambulants —, le drame de Tebourba est loin d’être isolé. Suicides ou automutilations sont fréquents chez une jeunesse désabusée et les protestations populaires qui suivent ces actes s’ajoutent aux tensions sociales qui aggravent un climat politique des plus délétères. Jour après jour, la Tunisie s’interroge sur son avenir dans un contexte de crise multiforme.

    Lire aussi Thierry Brésillon, « Grand déballage historique en Tunisie », Le Monde diplomatique, mai 2017. La veille des affrontements de Tebourba, le pays apprenait ainsi la démission de M. Chafik Sarsar, le président de l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie). En poste depuis 2014, cette personnalité indépendante et très respectée devait préparer les élections municipales — les premières depuis la chute de l’ancien régime — du 17 décembre prochain. Suivi dans son départ par deux autres membres du conseil de l’Isie, dont le vice-président, l’intéressé s’est dit contraint à la démission » et a évoqué des « divergences internes » menaçant l’organisation « d’élections libres et transparentes ».

    Pour de nombreux Tunisiens, il ne fait nul doute que M. Sarsar subissait les pressions des autorités et de partis politiques désireux de remporter le scrutin. Cela afin de bénéficier d’assises territoriales et financières susceptibles de les aider à préparer au mieux leurs campagnes électorales pour les législatives de 2019. Du coup, l’opinion publique se demande si les municipales auront bien lieu. Un report, même de quelques semaines, aurait un effet fâcheux dans la mesure où ce rendez-vous, maintes fois décalé, est considéré comme une étape fondamentale dans la poursuite du processus de transition démocratique entamé depuis la chute de l’ancien président Zine El-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011.

    Dans un discours prononcé ce même 10 mai, le président Béji Caïd Essebsi a néanmoins assuré que les élections locales auront bien lieu. Annoncée depuis plusieurs jours, son adresse à la nation a surtout été l’occasion de fustiger les mouvements sociaux qui paralysent l’activité économique en divers points du pays, notamment dans les régions du Kef (nord-ouest) et de Tataouine (sud-est). Revendiquant la nécessité de défendre « l’État de droit », et estimant que les manifestations « ne sont pas toutes légitimes » M. Essebsi a fait savoir qu’il avait décidé de recourir à l’armée pour protéger « les outils de production » et défendre les sites d’extraction de pétrole et de phosphate. Pour mémoire, en 2011, alors qu’il était chef du gouvernement (du 27 février au 24 décembre 2011), celui qui fut, entre autres, ministre de l’intérieur (1965-1969) du président Habib Bourguiba, s’était déjà élevé contre « le dégagisme néfaste à l’économie » dont, selon lui, se rendaient coupables nombre de Tunisiens désireux de chasser tous les responsables en place, qu’ils soient élus, gouverneurs (préfets) ou chefs d’entreprise.

    En décidant de faire appel à l’armée pour « protéger » l’activité économique, le président tunisien prend le risque de dérapages tant les protestations s’accroissent. Après six années de transition, une grande majorité de Tunisiens ne voit aucune amélioration dans la situation économique et reproche aux autorités de ne pas agir contre la marginalisation de nombreuses régions. À Tataouine, des manifestants multiplient sit-in, blocages de route et marches publiques pour exiger des investissements pour le développement régional et la mise en place, par les compagnies pétrolières, d’une politique de recrutement favorable à la jeunesse locale. En somme, les mêmes revendications qu’il y a vingt, dix ou six ans… S’il a été favorablement accueilli par la bourgeoisie tunisienne qui se dit lassée par le désordre dans le pays, ce recours à la soldatesque fait craindre un tour de vis sécuritaire et un retour déguisé à l’ordre ancien.

    Il faut dire que les alertes en ce sens s’intensifient. En avril dernier, l’Union générale des étudiants de Tunisie (Uget) dénonçait les violences policières commises lors de manifestations estudiantines. Début mai, la rédaction du site indépendant Nawaat condamnait « le harcèlement du directeur de sa rédaction et l’intention manifeste des autorités à s’acharner contre ses journalistes. » Sami Ben Gharbia, cofondateur et directeur de la rédaction avait alors été convoqué — le 3 mai, jour de la célébration mondiale de la liberté de la presse ! — par la brigade centrale d’investigation de la Garde nationale pour y être interrogé à propos de fuites concernant un projet présidentiel d’amnistie des cadres de l’ancien régime.

    Sur les réseaux sociaux, mais aussi lors des nombreux talk-shows sur les chaînes de télévisions tunisiennes, cette tentation sécuritaire est d’autant plus critiquée que le gouvernement de M. Youssef Chahed (lire l’encadré ci-dessous) peine à apporter des réponses aux inégalités et aux déséquilibres régionaux. C’est d’ailleurs la persistance de la marginalisation d’une partie du pays que met en exergue le dernier rapport de l’International Crisis Group (ICG) (1). Pour les experts de ce laboratoire d’idées basé à Bruxelles, le compromis politique en place depuis 2014, fruit de l’alliance entre le parti Nidaa Tounès (camp présidentiel) et la formation islamo-conservatrice d’Ennahda, est menacé à moyen terme. Relevant la paralysie qui empêche l’accomplissement des réformes, le document insiste sur le poids néfaste des « réseaux clientélistes » et, plus encore, sur l’existence d’une bataille de l’ombre entre l’élite économique traditionnelle et de nouveaux entrepreneurs originaires de l’intérieur du pays ou des zones défavorisées.

    « Alors que les équilibres macroéconomiques sont mis à mal, la polarisation se renforce dans le monde des affaires entre chefs d’entreprises, mais aussi entre ces derniers et les barons de l’économie informelle, notamment de la contrebande, note ainsi le rapport. D’un côté, une élite économique établie issue de la région côtière de l’Est du pays et des grands centres urbains est protégée et privilégiée par des dispositifs réglementaires, et entend le rester. De l’autre, une nouvelle classe d’entrepreneurs issus des régions déshéritées, dont certains sont cantonnés au commerce parallèle, soutiennent en partie les protestations violentes contre le pouvoir central et aspirent à se faire une place parmi l’élite établie, voire à la remplacer. »

    Pour l’ICG, seuls un dialogue national et la mise en place d’un certain nombre de mesures sont susceptibles d’empêcher que cet affrontement régionaliste ne mène à l’échec de la transition démocratique. Et parmi les changements que suggère le laboratoire d’idées, il y a le « renforcement de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) » ainsi que la « soumission par les partis politiques de leurs rapports financiers à la Cour des comptes. »

    L’un des mérites du document de l’ICG est d’insister sur le fait que « des hommes de l’ombre du milieu des affaires tirent les ficelles en coulisses pour défendre leurs intérêts. » Une réalité que nombre de Tunisiens valident en faisant systématiquement référence à l’existence de « mafias » organisées dont l’argent irrigue non seulement le champ politique mais aussi celui des médias et même des organisations non gouvernementales (ONG) locales.

    C’est dans ce contexte que le président Béji Caïd Essebsi tente de convaincre ses concitoyens d’accepter le projet de loi de réconciliation économique dont la troisième mouture est en discussion à l’Assemblée. Pour les autorités tunisiennes, l’amnistie, sous conditions, de personnes impliquées dans des crimes de corruption est susceptible de tourner la page du passé et de permettre le redémarrage de l’économie. La gauche, les syndicats, ainsi que de nombreuses associations y sont opposées et manifestent régulièrement pour exiger le retrait de ce projet qu’ils qualifient de « blanchiment de la corruption ». Des militants pour la défense des droits humains voient dans ce projet une tentative pour amoindrir les prérogatives de l’Instance Vérité et Dignité (IVD), en charge du processus de justice transitionnelle et dont les travaux font face à une hostilité plus ou moins assumée de la part du pouvoir.

    Lire aussi Jérôme Heurtaux, « Le triple déni des cadres déchus », Le Monde diplomatique, mai 2017. Quoi qu’il en soit, l’avenir de ce texte dépend de la position que prendra Ennahda. À l’image de son guide Rached Ghanouchi, la direction de ce parti semble encline à soutenir le texte pour au moins deux raisons. La première est liée à l’idée qu’une opposition à son adoption sonnerait le glas de la coalition avec Nidaa Tounès et précipiterait le pays dans une grave crise politique à l’issue incertaine. La seconde est d’ordre stratégique. En absolvant certains cadres de l’ancien régime, qui fut pourtant un impitoyable persécuteur des islamistes, Ennahda élargirait son influence au sein des élites économiques traditionnelles, sachant que son poids chez les entrepreneurs du secteur informel est déjà conséquent. Seul problème pour la direction de ce parti, sa base demeure opposée à cette absolution. Le sort du projet de loi de réconciliation économique en dira long sur la recomposition politique en Tunisie.

     

    Un gouvernement affaibli

    Tombera ou ne tombera pas ? Installé à la fin août 2016, le gouvernement de M. Youssef Chahed fait l’objet de nombreuses spéculations quant à sa pérennité. Obligé de composer avec une Assemblée hostile, le plus jeune chef de gouvernement de l’histoire de la Tunisie indépendante (il a 41 ans) doit faire face à un flot ininterrompu de critiques liées notamment à son incapacité à répondre aux attentes sociales nées de la révolution.

    Certes, M. Chahed a été conforté à son poste par le président Essebsi lors du discours de ce dernier, mais le limogeage de deux de ses ministres, visiblement décidé par le palais de Carthage — le siège de la présidence — a illustré le manque d’autonomie du gouvernement. C’est un conflit avec le syndicat de l’enseignement secondaire, une branche de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui a coûté son poste à M. Néji Jelloul, ministre de l’éducation. Ce dernier, personnalité ambitieuse et d’autant plus désireuse de jouer un rôle de premier plan que le parti présidentiel Nidaa Tounès est miné par les dissensions, s’est attiré les foudres des syndicats en cherchant à légiférer sur les cours particuliers. Une pratique discrétionnaire et peu encadrée qui représente néanmoins une part substantielle des revenus des enseignants. Son limogeage signe le glas de ce projet, au grand dam de nombreux ménages qui dénoncent le poids financier excessif de ces enseignements additionnels.

    Quant à Mme Lamia Zribi, désormais ex-ministre des finances, son renvoi est dû à une bourde bien étonnante pour qui connaît les exigences de prudence oratoire pour un tel poste. En estimant publiquement que le dinar tunisien, déjà bien faible, pourrait tomber à un taux de 1 euro pour 3 dinars d’ici la fin de l’année, elle a provoqué une panique sur le marché local des changes et obligé le chef du gouvernement à démentir toute imminence de dévaluation de la monnaie nationale. Un cafouillage de mauvais aloi quand on sait que la Tunisie est engagée dans de difficiles négociations avec le Fonds monétaire international (FMI).

    Akram Belkaïd  14 mai 2017

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