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Documents - Page 20

  • Nouveautés sur NPA.org

     

     
    Dire la vérité, toute la vérité, ne fait typiquement pas partie du job de dictateur. Du coup, il est difficile de comprendre ce que la chaîne de télévision publique France 2 aurait voulu apprendre en...
     
     
     
     
     
    À l’occasion du sommet européen imposé par le drame des naufragés, Hollande s’est voulu critique en déclarant qu’il fallait « réparer les erreurs du passé » en Libye. Il ne manque pas...
     
     
     
     
     
    Quelques jours à peine après le naufrage dramatique d’un bateau en Méditerranée – 800 migrantEs « disparus » –, l’Union européenne (UE) s’est réunie lors d’un sommet qualifié...
     

     
  • Nouveautés sur Global Voices

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    Aéroports, habitations, usines, stades, palais, infrastructures : la longue liste des destructions de la guerre au Yémen

    Des photos et vidéos impressionnantes de la dévastation et les destructions à grande échelle de l'opération "Tempête Décisive" et des attaques des milices houthistes et pro-Saleh.

     

    Le Liban célèbre son héritage arménien et commémore le génocide

    Le Liban fait partie des nations qui ont accueilli les réfugiés arméniens qui fuyaient le génocide de 1915, et célèbre aujourd'hui la richesse de leur contribution...

     

    L'Arabie Saoudite annonce la fin des frappes aériennes sur le Yémen

    L'Arabie Saoudite vient d'annoncer la fin de ses frappes aériennes au Yémen après avoir “réalisé ses objectifs militaires”. Les internautes n'y croient pas encore.

     

    Les pénuries aggravent les souffrances des Yéménites sous les bombardements de la coalition saoudienne

    La crise humanitaire existait déjà avant la présente guerre : 15,9 millions de personnes, 61 % de la population dépendaient de l'aide humanitaire fin 2014.

     

    Le Koweït, le Bahreïn et l'Arabie Saoudite font taire les voix qui s'élèvent contre la guerre au Yémen

    La lutte contre les activistes anti-guerre s'intensifie. Le Koweït et le Bahreïn emprisonnent des activistes qui avaient critiqué la guerre menée par l'Arabie Saoudite au Yémen.

     

  • Nouveautés sur Association France Palestine Solidarité

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    Exposition sur la palestine "La terre nous est étroite"

     

    19,CRAC - Montbelliard, jeudi 23 avril 2015
  • Nouveautés sur Association France Palestine Solidarité Rennes

     

     

  • Le régime algérien à la recherche de son consensus (Essf)

     
    La révision de la Constitution dans l’agenda de Bouteflika

    L’idée d’un « consensus national » a occupé l’espace politique pour un temps. Elle sert, nous dit-on, à faire face à la crise qui menace le pays ! Mais, le récente démarche du FFS pour regrouper toutes les parties autour d’une table de négociation semble aujourd’hui dépassée. Elle a buté sur une double impasse : d’un coté elle a rencontré un rejet net de la part des parties qui sont au pouvoir refusant toute remise en cause de leur légitimité, car, soutiennent-elles, le pouvoir de Bouteflika ne souffre d’aucune illégitimité ! D’un autre coté, l’opposition organisée dans La Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) l’a désapprouvé en accusant cette initiative de pérenniser le gouvernement actuel et la coalition autour de Bouteflika !

    Quels enjeux !

    Mais, il y a comme un faux débat autour de cette question. Car, la véritable interrogation est celle de la caractérisation de la crise, face à laquelle découlera la nécessité ou non d’aller vers un consensus ; autrement dit, autour de quoi doit-on nous mettre d’accord ?

    Il y a deux réponses à cette question : la première vient de la critique néolibérale qui reproche au gouvernement son inertie et ses hésitations à mener les réformes économiques libérales à terme. Elle crie à la catastrophe. La maladie de Bouteflika est, dans ce scénario catastrophe, le verrou principal du blocage. Car, cette critique ne cible pas la politique du président malade, qui est économiquement néolibérale par ailleurs, mais elle vise son omnipotence et sa volonté, malgré son handicap, à diriger le pays par une main de fer et sans partage. Le projet du code du travail qui prépare l’institutionnalisation de la précarité des travailleurs pour, nous dit-on, être concurrentiel au niveau économique, de même que l’avant-projet de la santé qui fragilise et prépare à liquider à terme ce qui reste de la santé publique, le dossier de l’adhésion à l’OMC, sont autant de dossiers qui ne sont pas les cibles de la critique, ni soumis à la négociation !

    La deuxième critique se veut patriotique. Elle revendique un « renforcement du front interne » autour de Bouteflika. Car l’enjeu serait de faire face à « la main étrangère », au complot qui veut déstabiliser l’Algérie dans le sillage de la déstabilisation du monde arabe ! La violence qui vire vers un conflit communautaire dans la vallée du Mzab, les différentes explosions sociales, la manifestation de la police, les récentes protestations sur l’exploitation du gaz du schiste sont l’une après l’autre mise dans le lot du complot interne ou externe. Toute manifestation hostile au régime de Bouteflika n’est, de ce point de vue, que l’expression d’actes inscrits dans les agendas étrangers qui ne visent en définitive que la destruction des Etats nationaux et de leurs armées au seul profit des forces qui portent la mondialisation libérales à leur têtes l’impérialisme américano-européen, le sionisme et les vassaux dans la région.

    Mais, ces positionnements évacuent une question clé inscrite dans l’agenda de Bouteflika : la révision de la Constitution. Sentant son régime finissant ou voyant souffler le vent du changement au rythme des protestations et les crises successives, le président malade charge Ouyahia de construire son consensus autour d’une réforme des institutions du pays à travers la révision de la Constitution. Le projet va même jusqu’à revenir sur le mandat illimité du président de la république ! C’est là en réalité où devrait se jouer l’avenir immédiat du pays, ou comme le veut la formule en vogue, c’est là ou se joue « la transition » !

    Une mutation en douce

    Au niveau politique, la question de la succession à Bouteflika est surement un enjeu interne pour les tenants du pouvoir actuel. Mais il est secondaire devant l’agenda réel du concerné qui est celui d’assurer une mutation en douce d’un pouvoir bonapartiste à tradition populiste vers un pouvoir plus enclin à suivre les recettes du libéralisme économique version FMI et de l’OMC. Ce qui mettra fin à toute protection de l’Etat dans les affaires économiques et sociales. Les recompositions en cours dans les organisations patronales, la montée spectaculaire des patrons comme Rabrab, Ali Haddad qui prend la tête de l’organisation patronale FCE, et qui aurait des velléités politiques, ou encore de Laid Benamor à la Chambre de commerce, sont autant de signes qui mettent en exergue l’émergence d’une nouvelle logique de pouvoir. Un pouvoir de plus en plus sous l’influence d’une nouvelle « oligarchie » financière. Autrement dit un nouveau consensus historique ! C’est ici où se joue réellement la recherche du « consensus national ».

    En réalité, les véritables exécutants d’agendas impérialistes sont au gouvernement de Bouteflika. Leur programme néolibéral s’exécute à petit feu. La dernière entrave à ce projet sera levée avec l’adhésion définitive à l’OMC qui sera la fin de toute protection d’une économie nationale et la fin des acquis, déjà malmenés, de l’indépendance nationale.

    Pour un processus constituant démocratique et social

    Mais pour la majorité des Algériens, des couches populaires, des travailleurs, des jeunes, l’enjeu est aussi social. En effet la question sociale reste au centre de la question politique. Toute négociation, toute recherche de consensus doit tenir compte de cette dimension si l’on veut construire un socle solide pour une quelconque transition démocratique. Les politiques économiques et sociales du gouvernement, notamment celles qui engagent stratégiquement l’Algérie comme le gaz de schiste par exemple et la question énergétique, nécessitent une transparence dans les prises de décisions. Elles exigent pour cela l’engagement des institutions élues et la population qu’elles sont sensé représenter. Mais le gouvernement actuel, fort du rapport de force et de la légitimité que s’octroient ses institutions ne l’entend pas sous cet angle ! il veut mener seul cette transition et imposer un « consensus » autour de lui.

    Voila pourquoi, la crise actuelle est une crise de représentation politique qui exige une rupture avec les institutions actuelles et la construction d’un processus constituant qui mette en place une démocratie où les assemblée élues au suffrage universel, et sous contrôle populaire, de la commune au niveau national, qui décident de toutes les questions politiques, sociales et économiques. Cela exige à son tour que les travailleurs et les travailleuses et les couches populaires fassent irruption sur la scène politique.

    Nadir Djermoune, 31mars 2015

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34787
  • La Palestine et nous (UJFP)

    Intervention lors du colloque organisé par le CVPR, « L’économie de la Palestine, asphyxiée et pourtant vivante » le 11 Avril 2015 au Sénat

    Le dé-développement, c’est-à-dire le fait d’empêcher par la force une population de se développer économiquement, et de détruire les industries naissantes et les organisations commerciales qui, laissées à elles-mêmes, en aurait fait un concurrent pour les puissances occidentales, a des racines coloniales qui plongent très loin dans le passé.

    En 1838, l’Egypte de Mohammed Ali avait investi 12 Millions de livres sterling (une somme énorme pour l’époque) dans l’industrie lourde, qui employait déjà trente à quarante mille personnes [1]. Situation intolérable pour les Européens, comme le soulignait un contemporain [2] « Tout cet excellent coton qui est gaspillé, au lieu de nous être vendu ! Et c’est d’autant plus exaspérant que les travailleurs qui sont ainsi attirés dans les usines sont ainsi retirés du travail de la terre. ». Aussi ne tardèrent-ils pas à y mettre bon ordre : une intervention militaire de la « communauté internationale » en 1839-41 contraignit Mohammed Ali à supprimer son armée (qui était le principal client de son industrie lourde) et supprima les barrières douanières qui protégeaient son industrie naissante. La fin de l’Empire Ottoman consacre la domination économique et militaire de l’Occident. Les grands investissements, comme le canal de Suez, et les ressources naturelles, notamment le pétrole, sont solidement entre des mains étrangères : c’est l’époque où est fondée la Anglo-Persian Oil Company, devenue depuis BP, une des sept soeurs qui se partagent encore aujourd’hui le pétrole mondial.

    C’est dans ce contexte général d’exploitation coloniale que se déroule la colonisation de la Palestine, alors sous mandat britannique.

    L’immigration juive, qui déplace la population autochtone, lui donne un caractère particulier, qui a été largement étudié par ailleurs [3] après la déclaration d’indépendance, l’état d’Israël continue à appliquer les règlements militaires et administratifs légués par les Britanniques pour contrôler la population autochtone et ses activités économiques. La guerre de 1967 ouvre de nouveaux territoires à la colonisation, en Cisjordanie et à Gaza. Le terme de dé-développement est inventé en 1987 par Sara Roy [4], économiste à Harvard, pour décrire ce qui se passe à Gaza.

    Elle décrit une politique consciente et organisée, aménageant le territoire et la réglementation pour favoriser une population aux dépens de l’autre.

    Sara Roy distingue trois éléments dans le dé-développement : l’expropriation des ressources naturelles (l’eau, et surtout l’espace, dans sa triple dimension de terre agricole, de moyen de communication, et d’habitat), l’externalisation de l’économie palestinienne, privée de ressources propres et fonctionnant comme un marché captif pour l’économie israélienne, et la dé-institutionalisation, c’est-à-dire l’élimination des institutions publiques ou privées qui seraient susceptibles de favoriser le développement économique, par exemple en orientant les investissements vers les secteurs productifs plutôt que le secteur immobilier. Le concept a été repris par d’autres, dont Olivia Elias au cours de ce colloque, et l’économie du dé-développement apparaît donc, aux côtés de l’économie du développement, comme une branche nouvelle de la macroéconomie. Tout ceci est maintenant bien compris, et il ne se passe pas d’année que le processus ne soit expliqué et dénoncé par les rapports des Nations Unies, de la Commission Européenne, ou d’organismes indépendants, le dernier en date étant le rapport 2015 des chefs de mission de l’UE à Jérusalem.

    Mais je voudrais souligner ici un aspect de l’occupation qui est souvent passé sous silence : au-delà des bénéfices habituels de la colonisation, c’est une excellente affaire pour l’économie israélienne. Elle dure depuis bientôt un demi-siècle, et les besoins militaires ont fait naître des industries puissantes et prospères, qui sont aujourd’hui à la pointe des exportations israéliennes. Il faut contrôler une population nombreuse, qui ne s’est jamais résignée à son sort ? On la parque dans des enclaves fermées, comme Gaza, que l’on survole en permanence par des drones, capables de capter les mouvements, de les analyser en temps réel, et de tuer si nécessaire. Il faut contrôler les entrées et les sorties, avec le minimum de personnel ?

    Le mur qui fait le tour de la Cisjordanie, est hérissé de matériel de surveillance, et aux points de passage le soldat dans son mirador n’est plus en contact avec la foule et les voitures qui se pressent pour passer : tout se fait par voie électronique, hauts-parleurs, télévisions en circuit fermé, portes et couloirs commandés à distance. Le résultat est qu’Israël équipe en drones les armées du monde entier, et que les chercheurs israéliens ont obtenu un nombre impressionnant de contrats de recherche de l’UE sur la surveillance automatique.

    Les universités sont parties prenantes de ce complexe militaro-industriel.

    Les chercheurs du Technion, par exemple, ont beaucoup contribué au développement des drones, et cherchent actuellement à les miniaturiser pour qu’ils puissent pénétrer dans les maisons. C’est également au Technion qu’on a équipé un bulldozer géant, le Caterpillar D9, d’un système de pilotage à distance, en vue d’applications militaires : il a été utilisé lors des opérations contre Gaza pour détruire les infrastructures civiles, notamment les maisons, sans risquer la vie des soldats. La contribution des universités israéliennes à l’occupation ne se limite pas à la technologie. Les soldats sont gênés par ce qu’on leur fait faire ? Les opérateurs de drones se demandent de quel droit ils tuent à distance des gens qu’ils ne connaissent pas, et qui sont bien incapables de se défendre, simplement en appuyant sur un bouton ? Qu’à cela ne tienne. Le code d’éthique militaire [5], conçu à l’Université de Tel-Aviv , les soulagera de ces scrupules, en expliquant dans quelles circonstances la torture et les assassinats sont justifiés. On y trouvera même la définition du terrorisme : c’est une action armée qui n’est pas menée sous l’égide d’un état, et elle est toujours moralement répréhensible. La boucle est bouclée, l’éthique et la force sont enfin du même côté, la résistance armée est non seulement impossible mais immorale.

    Ce rappel historique étant fait, quelle est la situation aujourd’hui ?

    On a, d’une part, une économie palestinienne en régression, notamment dans son domaine traditionnel, l’agriculture, en raison de l’expropriation systématique de la zone C, avec une bulle immobilière, notamment à Ramallah où les immeubles vides poussent comme des champignons [6], soutenue par une aide internationale destinée à soutenir les forces de sécurité et la police plutôt que les investissements productifs, et qui entretient une caste dirigeante discréditée.

    Et d’autre part, une économie israélienne basée sur la haute technologie, et qui exporte des armes et des équipements de surveillance et de sécurité, comme les drones.

    Dans ces secteurs, elle est un des leaders modiaux, notamment parce qu’elle peut se vanter que ses matériels ont été testés en condition réelle, notamment à Gaza. Cette économie passe pour prospère, mais il faut noter qu’elle est très inégalitaire. Le coefficient de Gini, qui mesure le degré d’inégalité dans une société donnée, et qui va de 0 (égalité totale de tous les citoyens) à 1 (inégalité maximum, toutes les ressources entre les mains d’un seul), est à l’heure où j’écris de 0,38 pour Israël alors qu’il est de 0,365 pour les USA : les courbes se sont croisées en 2007.

    En d’autres termes, Israël est la société la plus inégalitaire de tous les pays développés, devant même les USA !

    C’est d’ailleurs cette inégalité galopante qui a inquiété Netanyahu pour sa réélection, et non sa politique vis-à-vis des palestiniens, qui n’a guère fait débat durant la campagne. On a donc toute une société militarisée, tournée vers l’Europe et les USA et non vers ses voisins, engagée dans une folle tentative d’effacer les contraintes géographiques, y compris sa population autochtone : tout le réseau de communication est conçu pour que les Israéliens et les Palestiniens ne se rencontrent pas, et les que les premiers puissent vivre en ignorant l’existence des autres. Dorénavant, l’apartheid n’est plus niable, et le mot se retrouve même dans la bouche des plus hauts responsables des USA, à commencer par le Secrétaire d’État John Kerry. Il l’est d’autant moins que Netanyahu a retiré le dernier prétexte qui empêchait encore de le prononcer, en annonçant durant sa campagne électorale que, tant qu’il serait premier ministre, il n’y aurait pas d’état palestinien. Déclaration remarquable de franchise, qui met un point final à des années d’hypocrisie, et qui laisse comme seule perspective aux palestiniens de vivre perpétuellement sous la domination israélienne, dans un état d’apartheid. Il va être extrêmement intéressant de voir si l’UE, et notamment la France, vont maintenir la fiction d’un processus de paix, maintenant qu’Israël a enfin annoncé la couleur.

    En quoi cela nous concerne-t-il ?

    Pourquoi avons-nous passé cette journée de samedi dans un sous-sol du Sénat au lieu d’aller nous promener ? Le beau temps est revenu, l’hiver a été long, pourquoi nous préoccuper de ce qui se passe à des milliers de kilomètres de nous ? Pourquoi certains d’entre nous ont-ils pris le risque de rejoindre Gaza par les tunnels pour opérer dans les hôpitaux non encore détruits ? Je mets de côté ici toute la dimension morale et personnelle. Pour ceux d’entre nous qui ont été sur place, et qui ont vu de leurs yeux avec quel mépris et quelle brutalité on traitait les palestiniens, la réponse est évidente : parce qu’on ne peut pas supporter cela, on ne peut pas accepter le racisme et la discrimination. Mais bien des militants n’ont jamais été dans les territoires occupés, et ils ne sont pas moins actifs que les autres. Qu’est-ce qui les mobilise ?

    Voici ma réponse. Après la première guerre mondiale, et encore plus après la seconde, l’humanité, dans un mouvement collectif, s’est dit : plus jamais cela.

    Elle a donc cherché à construire un nouvel ordre mondial, basé sur le droit et non plus sur la force. Hobbes avait écrit qu’en l’absence d’état, détenant le monopole de la violence légitime, la vie sociale se résumerait à la lutte de tous contre tous, et la vie individuelle serait « nasty, brutish and short », brutale, bestiale et brève. La même chose est vraie de la vie internationale. C’est pourquoi les puissances dominantes, au sortir des deux guerres, ont voulu créer des institutions internationales qui pourraient faire régner le droit, la SDN d’abord, qui a péri de ne pas avoir de moyen de contrainte, puis l’ONU, qui en a davantage, grâce au Conseil de Sécurité.

    C’est cette timide tentative de sortir du cycle infernal des guerres à répétition, de plus en plus meurtrières (le 20ème siècle a été le premier où les victimes des guerres se sont comptées par millions, voire par dizaines de millions, et l’on frémit de penser à ce que serait une guerre nucléaire au 21ème siècle) que le non-règlement de la question palestinienne met en péril. D’une part, il est avéré que l’occupation militaire israélienne, les colonies et le mur de séparation construits sur les terres palestiniennes, le régime d’exception qui prévaut en Cisjordanie, les invasions meurtrières de Gaza et le blocus de la population, sont autant de violations flagrantes du droit international. Elles ont été dénoncées et condamnées à de multiples reprises, les résolutions de l’ONU sur le sujet se comptent par centaines. D’autre part, les moyens de faire respecter ces résolutions existent : ils sont entre les mains des états. Dans d’autres circonstances, ces états n’ont pas hésité à appliquer les résolutions de l’ONU, soit par le biais de sanctions économiques (dans le cas de l’Irak, par exemple), soit par une intervention militaire directe (dans le cas de la première guerre d’Irak). La Cour de Justice Internationale, dans un verdict historique prononcé en 2004 et acquis par quatorze voix contre une, non seulement condamne Israël à démanteler la partie du mur construite sur les terres palestiniennes et à dédommager les palestiniens, mais fait obligation aux parties contractantes, notamment aux USA et aux pays européens, de contraindre Israël à faire respecter le jugement.

    Tout cela est resté lettre morte : le gendarme est là, le juge lui demande d’agir, et il ne fait rien.

    Cela fait un demi-siècle que cela dure, et le plus terrible, dans cette histoire, c’est qu’on en prend l’habitude. Il se produit un glissement des normes : chaque nouvelle génération considère comme normale la situation qu’elle a connu en arrivant à l’âge adulte, et la prend comme point de référence. Ainsi, quand j’étais beaucoup plus jeune, et que je naviguais en Méditerrannée, on rencontrait fréquemment des bancs de dauphins qui accompagnaient les bateaux. Je n’en vois plus, et je comprends que les dauphins de Méditerrannée sont en train de disaparaître, victimes du réchauffement climatique et de la surpêche, qui les prive de nourriture. Mais les jeunes générations, celles qui commencent à naviguer aujourd’hui, n’en ont jamais vus, et considèrent donc une Méditerrannée sans dauphins comme parfaitement normale. C’est ainsi que les dauphins (et les poissons) disparaissent dans l’indifférence générale. De même, les jeunes générations considèrent la situation actuelle en Palestine comme normale. Il est normal de ne pas pouvoir se rendre en Palestine ou la quitter sans passer par Israël. Il est normal de devoir répondre aux interrogatoires, de se laisser fouiller à corps, et de donner ses mots de passe à l’aéroport de Lod. Il est normal de ne pas pouvoir se rendre à Gaza. Il est normal que les colons circulent en armes, roulent sans encombre sur des routes interdites aux Palestiniens, tandis que ceux-ci s’entassent devant les checkpoints. Il est normal que les colonies coupent la Cisjordanie en deux et isolent Jérusalem-Est. Nous sommes anesthésiés par l’habitude. Gaza est devenu un endroit privilégié pour faire des photos et des reportages. Enfants tués portés en terre par leurs parents, familles ramassant leurs biens dans les décombres de leur maison détruite, officiels pleurant devant les caméras, ces images font le tour du monde, gagnent des prix, et disparaissent de l’actualité. La mort et la souffrance sont devenues une distraction.

    Il s’établit ainsi une nouvelle normalité, qui malheureusement ne se limite pas à la Palestine.

    Partout, la force prime le droit, partout les libertés individuelles sont suspendues sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Les USA, la plus ancienne et la plus puissante démocratie du monde, se sont abaissés à faire de la torture et de la détention indéfinie sans jugement un moyen normal d’exercer leur pouvoir, et s’arrogent le droit de tuer, loin de leurs frontières, sans autre forme de procès, en leur envoyant des missiles ou des commandos, des citoyens étrangers qui ne leur plaisent pas. Le résultat, comme l’avait prédit Hobbes, est une situation internationale désormais hors de contrôle. Dans cette région du monde, où ils étaient intervenus si souvent depuis deux siècles, les Occidentaux n’osent plus envoyer de troupes au sol, et en Syrie, on ne sait même plus contre qui ou avec qui on se bat ! C’est la fin de l’ordre international construit péniblement après la deuxième guerre mondiale, les modes pacifiques de résolution des conflits qui avaient été mis en place sont discrédités les uns après les autres, et il ne reste plus que l’action militaire. La guerre apparaît désormais comme l’alpha et l’omega des relations internationales. Au moment où la planète affronte une crise très grave, le réchauffement climatique, cette crise totale de la coopération internationale est une catastrophe.

    Tout cela va se retourner contre nous, citoyens français, que dis-je, cela se retourne déjà contre nous.

    La nouvelle normalité s’impose déjà, les libertés individuelles disparaissent au profit de mesures dites sécuritaires. On n’apprend plus aux gens à vivre ensemble, on leur apprend à se méfier les uns des autres. La république n’est plus égalitaire ni fraternelle : elle est décomposée en communautés que l’état doit protéger les unes des autres, ce qui lui permet d’asseoir son pouvoir, non sur le consentement des citoyens, mais sur la peur qu’ils éprouvent les uns pour les autres. C’est ainsi que la liberté d’expression, par exemple, disparaît.

    Depuis la création de l’AURDIP, voici six ans, nous n’avons jamais pu organiser un débat sur la Palestine dans une université française : l’autorisation a toujours été refusée, quelquefois au dernier moment. Le cas le plus célèbre s’est produit en 2011 à l’Ecole Normale Supérieure, où le directeur de l’époque, Monique Canto-Sperber, est allée jusqu’au Conseil d’État pour refuser une salle à ses propres élèves, coupables d’avoir voulu organiser une réunion sur la Palestine avec Stéphane Hessel, lui-même ancien élève de l’Ecole, ancien déporté, grand résistant, couvert de gloire et d’honneurs, âgé alors de 94 ans. Je profite de l’occasion pour faire une page de publicité. Pour ceux d’entre vous qui seraient à New-York le 24 Avril, ne manquez pas de vous rendre au service culturel français : vous aurez le plaisir d’y entendre Monique Canto-Sperber faire une conférence publique sur, mais oui, la liberté d’expression !

    La question palestinienne s’insère dans une crise plus vaste, celle de la démocratie représentative.

    Comment faire savoir qu’on n’est pas d’accord, et changer l’avenir qu’on nous prépare ? Le grand poète israélien Aaron Shabtai explique que les Grecs distinguaient les idiotai, ceux qui s’occupent de leurs affaires et ne se mêlent pas de politique, des politai, ceux qui s’impliquent dans la vie de la cité, et qui considèrent les affaires publiques comme les leurs. On peut rester le dos courbé, ou se lever pour sauver la collectivité. Comment devenir un polites ? Que peut faire le citoyen quand la démocratie représentative ne fonctionne plus ? Nous vivons dans une société du spectacle, les informations se bousculent, les pétitions, les photos, les tribunes sont éphémères, on vit dans l’instantané, nos émotions ne durent pas plus qu’un tweet. Comment construire une action durable ?

    La réponse, c’est le boycott. Le boycott est un moyen d’action

    • démocratique : pour que le boycott soit efficace, il faut être plusieurs, et plus on est nombreux, plus il est efficace
    • non-violent : le boycott se place délibérément sur le terrain de l’exercice des libertés individuelles (acheter ou ne pas acheter, accepter ou non une invitation) et non sur celui de la contrainte. L’affrontement a lieu dans les consciences.
    • pédagogique : on ne boycotte pas de gaîté de coeur, on le fait parce qu’il y a une raison, à savoir la situation en Palestine, et si on veut que le geste soit compris, il faut expliquer celle-ci, de préférence par des exemples précis et ciblés.
    • démocratique derechef : car ces explications donneront lieu à des débats contradictoires, et c’est de la discussion publique que naît la démocratie.

    Le boycott est aussi un cri d’alarme, un geste a-normal dans une situation où les normes sont perverties, une manière de réveiller les gens de leur anesthésie, de leur faire prendre conscience que le monde qu’on leur présente n’est pas le vrai, d’ouvrir un débat sur la situation en Palestine en dépit des interdits. Mais peut-être est-il utile maintenant de faire un rappel historique sur les boycotts.

    La première chose à remarquer, c’est que les états ne s’en privent pas, et boycottent sans aucun scrupule. À cette échelle, cela s’appelle autrement : ce sont les fameuses sanctions économiques, qui ont fait des centaines de milliers de morts en Irak, et qui sont en train de mettre à genoux l’Iran. Citons aussi le blocus de Gaza, mené par Israël et l’Égypte, sans que le gouvernement français, par exemple, ne s’en émeuve le moins du monde. C’’est le même gouvernement qui déclarera immoral un boycott citoyen d’Israël et mobilisera pour le réprimer tout un arsenal législatif.

    Je range dans la même catégorie, celle des boycotts d’état, le boycott des commerces juifs en 1933 en Allemagne : il était organisé par le gouvernement nazi, et la force publique était chargée, dans tout le pays, de le faire respecter, avec le concours musclé des SA. Les boycotts citoyens, issus de mouvements populaires, sont de nature bien différente. Dans ma vie, j’en ai connu deux :

    • le boycott des bus de Montgomery en 1955, à l’appel de Martin Luther King, pour obtenir la fin de la discrimination raciale pratiquée par la compagnie, étape importante dans le mouvement des droits civiques.
    • le boycott international de l’Afrique du Sud, qui a commencé vers 1960, avant d’aboutir en 1994 à l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela. Les états se sont progressivement joints au mouvement, et ont adopté des sanctions économiques, à l’exception d’Israël qui a maintenu jusqu’au bout une coopération suivie avec le gouvernement sud-africain.

    De ces précédents historiques on peut tirer quelques leçons. La première est que le boycott est efficace, mais que son efficacité se fait attendre : le boycott des bus de Montgomery a duré 381 jours, plus d’un an, et le boycott de l’Afrique du Sud près de trente ans. La deuxième est que ses adversaires répondent par la violence, et notamment la violence légitime, celle de l’état : la maison de Martin Luther King a été incendiée, lui-même a été traîné devant les tribunaux et condamné pour entrave au commerce, tout comme un vulgaire militant BDS dans la France de 2015. Il fit de la prison, et il devait en faire encore : c’est du fond d’une prison de Birmingham qu’il devait écrire en 1963 une lettre admirable, que je n’ai pas le temps de commenter ici, mais dont je voudrais extraire cette phrase : "j’en suis presque arrivé à la regrettable conclusion que le principal obstacle que rencontre le noir dans sa quête de la liberté n’est pas le membre du Ku Klux Klan, mais le blanc modéré, qui est plus attaché à « l’ordre » qu’à la justice, qui préfère une paix négative qui est l’absence de tension à une paix positive, qui est la présence de la justice"

    La société civile palestinienne a lancé en 2004 un appel au boycott académique et culturel (PACBI) suivi en 2005 d’un appel au boycott économique, au désinvestissement dans les compagnies qui soutiennent la colonisation et l’occupation, et à l’application des sanctions internationales prévues par les traités en vigueur (BDS). Le boycott académique et culturel est un boycott non des personnes, mais des institutions : il ne s’agit pas, pour nous universitaires, de juger nos collègues israéliens ou de ne pas leur parler, il s’agit de refuser de participer à des programmes de recherche ou de coopération organisés ou financés par les institutions israéliennes. La raison en est l’implication constante et avérée de celles-ci dans la colonisation et l’occupation. Dans la droite ligne de ce que j’ai dit sur le boycott, lorsque nous écrivons à des établissements d’enseignement supérieur ou de recherche français pour dénoncer les accords qu’ils pourraient avoir des homologues israéliens, nous prenons soin de détailler ce que nous reprochons à ceux-ci (voir par exemple la lettre de l’AURDIP au directeur de l’École Polytechnique à propos du Technion).

    Le boycott a maintenant dix ans. En comparaison des trente ans que cela a duré pour l’Afrique du Sud, nous ne sommes encore qu’au tiers du chemin, et nous sommes bien partis. En 2013, le scientifique le plus célèbre du monde, Stephen Hawking, l’auteur d’ « Une brève histoire du temps », refusait de se rendre au 90ème anniversaire de Shimon Peres, et déclarait se joindre au boycott. La même année, l’UE publiait des lignes directrices, demandant aux bénéficiaires israéliens de contrats de recherche de certifier qu’aucune activité n’aurait lieu dans les territoires occupés. Cette année, Veolia Environnement, célèbre dans le monde entier pour avoir construit le tramway qui relie commodément les colonies israéliennes à Jérusalem-Ouest, en passant sur les territoires occupés de Jérusalem-Est, a déclaré avoir vendu toutes ses activités en Israël (eau, déchets, énergie), à l’exception justement de sa participation au tramway, dont elle n’a pas encore pu se débarasser. Le ministère des affaires étrangères met dorénavant en garde les entreprises françaises sur les risques juridiques qu’elles courent à investir dans les colonies.

    On peut aussi mesurer le succès de la campagne à la férocité de la répression.

    Partout dans le monde on se heurte aux organisations pro-israéliennes, promptes à brandir l’accusation d’antisémitisme, mais La France est le seul pays où le gouvernement réprime le BDS : la droite, avec Michèle Alliot-Marie, puis la gauche, avec Christiane Taubira, ont donné aux procureurs l’instruction de poursuivre systématiquement les militants, suivant en cela un argumentaire juridique qui a été rejeté à plusieurs reprises par les tribunaux. On revit ainsi en France la situation des militants des droits civiques aux États-Unis, condamnés eux aussi pour entrave au commerce ! Pourquoi cette répression ? Parce qu’au final, notre gouvernement a compris que le boycott est dirigé contre lui : c’est son inertie que le mouvement dénonce, son refus d’appliquer le droit international et de respecter sa propre parole. Si les sanctions économiques prévues au traité d’association entre l’UE et Israël étaient appliquées, ou si le Conseil de Sécurté de l’ONU faisait respecter les résolutions, il n’y aurait pas de boycott citoyen.

    Le regretté Yeshayahu Leibowitz [7] avait coutume de dire que le véritable courage ne consiste pas à charger l’ennemi, côte à côte avec ses camarades dans l’exaltation du combat, mais à être celui ou celle qui dit non aux siens, seul contre tous, jour après jour dans la réprobation générale. C’est lui, c’est elle, qui change le cours de l’histoire. Je rends hommage aux militants du boycott, en Israël comme en France et ailleurs, qui essaient, non sans risque pour eux-mêmes, de faire régner la paix, la paix positive dont parlait Martin Luther King, dans cette région du monde qui a tant souffert.

    Ivar Ekeland, Président de l’AURDIP, ancien Président de l’Université Paris-Dauphine.

    http://www.aurdip.org/la-palestine-et-nous.html

    http://www.ujfp.org/spip.php?article4085

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  • Yarmouk : divisions palestiniennes face à l’organisation de l’État islamique (Orient 21)

    Le 1er avril 2015, l’organisation de l’État islamique pénétrait dans le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, en Syrie, avec l’aide de Jabhat Al-Nosra, un groupe affilié à Al-Qaida. Ses forces ne sont plus qu’à huit kilomètres du centre de Damas, alors que les partis politiques palestiniens sont divisés sur l’attitude à adopter.

    Depuis la fin 2012, le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk est sous le siège militaire de l’armée gouvernementale syrienne et des Forces de défense nationale (FDN)1. Des factions pales- tiniennes s’affrontent entre elles, les unes proches du régime, les autres opposées. Le conflit syrien est devenu un conflit interpalestinien. Si 150 000 Palestiniens résidaient à Yarmouk avant 2012  ; ils sont aujourd’hui moins de 18 000. L’entrée de l’organisation de l’État islamique (OEI) dans le camp change la donne pour les organisations palestiniennes en Syrie, du Hamas — qui combattait jusque-là le régime — à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), en passant par les factions palestiniennes alliées à Bachar Al-Assad. Plusieurs scénarios pour expulser l’OEI du camp sont désormais envisagés, mais l’unité palestinienne semble difficile à réaliser.

    Le Hamas : Bachar Al Assad, ennemi ou allié  ?

    «  Jabhat Al-Nosra nous a trahis  »  : le constat d’Abou Hamam, porte-parole des Kataib Aknaf Beit al-Maqdis (les brigades des contrées de Jérusalem), une formation militaire palestinienne liée au Hamas, est sans appel, suite à la conquête éclair de l’OEI de plus de la moitié du camp. Le 30 mars, un dirigeant local du Hamas, Yahia Hourani (Abou Souhaib), est abattu par des tirs non identifiés, non loin de l’hôpital Palestine. Deux jours plus tard, l’OEI pénètre dans le camp, à partir du quartier adjacent de Hajar al-Aswad. Il est appuyé par Jabhat Al-Nosra  ; cette organisation avait pourtant un accord avec le Hamas pour préserver le camp de toute intrusion de l’OEI en son sein. Le Hamas s’est-il trompé de partenaire en Syrie  ?

    Selon le quotidien panarabe Al-Hayat, le retournement d’alliance de Jabhat Al-Nosra au détriment du Hamas et au profit de l’OEI est motivé par deux récents évènements : d’une part, l’évocation, ces dernières semaines, d’un nouveau cessez-le-feu entre le régime syrien et les combattants palestiniens liés à l’opposition. D’autre part, la rencontre, le 11 mars, au Qatar, entre Khaled Mechaal, dirigeant du Hamas, et le président du Parlement iranien, Ali Larijani.

    Le Hamas reste pris entre deux feux : en Syrie, il s’oppose clairement au régime. Mais sur la scène régionale, il tente de maintenir des relations étroites avec l’Iran et le Hezbollah — pourtant allié de Bachar Al-Assad. C’est donc la perspective d’un nouveau cessez-le-feu, tout comme les discussions entre Téhéran et le Hamas, qui aurait poussé les partisans d’Al-Qaida à rompre les liens avec le mouvement islamiste palestinien.

    Jusqu’au 1er avril, le positionnement du Hamas est connu : officiellement, il nie être engagé dans toute opération militaire en Syrie. Une position rappelée le 10 avril par son chargé des relations extérieures, Oussama Hamdan. Officieusement, certains de ses militants, notamment dans le camp de réfugiés de Yarmouk, combattent le régime auprès de militants syriens de l’opposition.

    Des membres du Hamas sont engagés, depuis décembre 2012, dans les affrontements avec l’armée gouvernementale, tout comme avec les factions palestiniennes alliées au régime syrien : Front populaire pour la libération de la Palestine-commandement général (FPLP-CG), Fatah-Intifada, Saïqa et comités populaires2. Les partis politiques palestiniens contre lesquels le Hamas se bat depuis 2012 sont pourtant ceux avec qui il était allié dans les années 1990 et 2000, au sein de l’Alliance des forces palestiniennes ([Tahaluf al-Quwait al-filastiniyya), opposée, depuis 1993, aux accords d’Oslo.

    Fin 2012, des membres du Hamas fondent la brigade du pacte d’Omar (Liwa’ al-Ahda al-‘umariyya), affiliée à l’Armée syrienne libre (ASL)3. Les brigades Aknaf Beit al-Maqdis deviennent le principal cadre d’intervention militaire du Hamas en 2013 et 2014 : elles sont indépendantes de l’ASL, mais collaborent avec elle. Elles regrouperaient aujourd’hui près de 200 combattants. Depuis le 1er avril, les militants du Hamas se retrouvent isolés : sans l’appui de Jabhat Al-Nosra, qui regrouperait près de 300 miliciens dans le camp4, ils ne sont plus en mesure de faire face aux troupes gouvernementales et à leurs supplétifs palestiniens. Opposé à l’OEI, le Hamas ne peut pas non plus défendre seul le camp de Yarmouk contre les partisans du «  calife  » Abou Bakr Al-Baghdadi.

    Khaled Mechaal, principal leader de la direction du Hamas en dehors des territoires palestiniens a quitté Damas en 2012 : il passe pour l’un des plus fervents opposants à tout dialogue avec le régime syrien. Pourtant, le 5 avril, il entre en communication avec Ahmad Jibril, secrétaire général du FPLP-CG, qui réside à Damas, et dont le tropisme pro-régime ne s’est jamais démenti. Mechaal l’enjoint à trouver une réponse commune à tous les partis palestiniens face à l’avancée de l’OEI.

    Une force palestinienne commune  ?

    L’idée d’une force commune palestinienne opposée à l’OEI fait son chemin depuis le 1er avril. Elle semble cependant difficile à réaliser sur le terrain, tant les différends entre les formations palestiniennes sont nombreux.

    Il y a un passif politique : le Hamas s’est opposé au régime, les militants du FPLP-CG ont fait office de supplétifs de l’armée gouvernementale. Les autres partis politiques palestiniens, du Fatah au Mouvement du jihad islamique en Palestine (MJIP), en passant par les gauches du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), prônent une politique de neutralité dans le conflit depuis 2012.

    Cette position est partagée par le comité exécutif de l’OLP, tout comme par l’Autorité palestinienne (AP) à Ramallah. L’OLP et l’AP s’évertuent, depuis l’extension du conflit syrien dans le camp de Yarmouk, à négocier des cessez-le-feu entre le régime et les groupes armés de l’opposition dans le camp. Ils demeurent épisodiques. En 2012, de jeunes militants pourtant favorables au soulèvement populaire syrien, regroupés dans une Coalition des jeunes (Ittilaf ash-Shabab), demandent tant à l’ASL qu’aux factions pro-Assad de ne pas militariser le camp de Yarmouk : il s’agit alors de ne pas transformer le conflit syrien en conflit interpalestinien.

    Lorsque, début avril 2015, l’OEI pénètre dans le camp de Yarmouk, le Fatah, le MJIP et la gauche palestinienne ne peuvent rester neutres. Quatorze organisations palestiniennes, la majorité d’entre elles membres de l’OLP, se réunissent le 8 avril à Damas. Le MJIP participe aussi à cette réunion, au contraire du Hamas. Si, depuis 2012, l’OLP et le MJIP se prononçaient pour une politique de neutralité, ils évoquent, pour la première fois, l’hypothèse d’une solution militaire dans le camp de réfugiés de Yarmouk pour faire face à l’OEI.

    Ahmad Majdalani, membre du comité exécutif de l’OLP, dirigeant du Front de lutte populaire palestinienne (FLPP), a été envoyé à Damas par Mahmoud Abbas  ; il a annoncé le 9 avril une nouvelle feuille de route pour les organisations palestiniennes en Syrie. La politique de neutralité ne serait plus de mise : une force militaire commune à l’ensemble des partis politiques palestiniens doit se mettre en place pour faire face à l’OEI. Elle impliquerait, selon le représentant de l’OLP, une coordination entre l’ensemble des factions palestiniennes — Hamas compris — et l’Armée de libération de la Palestine (ALP), la force militaire officielle de l’OLP, mais aussi la mise en place d’une «  chambre d’opération commune  » aux Palestiniens et à l’armée gouvernementale. Une condition est posée au régime par Majdalani : qu’une offensive militaire commune aux Palestiniens et à l’armée gouvernementale ne se fasse pas au détriment des populations civiles encore présentes dans le camp.

    Les contradictions de l’OLP

    L’unité des forces palestiniennes face à l’OEI reste pour le moment un vœu pieux. Le comité exécutif de l’OLP contredit immédiatement, dans un communiqué5 publié le 10 avril les propos de son envoyé à Damas, pourtant mandaté par Mahmoud Abbas : l’OLP ne doit pas s’engager sur un quelconque terrain militaire en Syrie. La centrale palestinienne désire avancer prudemment : elle ne souhaite pas entrer en contradiction avec la position avancée par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon6 demandant au régime de cesser les bombardements sur le camp et de mettre en place des corridors humanitaires afin de permettre aux populations civiles de se réfugier dans les quartiers adjacents. Plus pragmatique, le comité exécutif de l’OLP ne peut officiellement appeler à des opérations conjointes avec le régime syrien, au risque de se froisser avec l’Arabie saoudite et les États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

    La position officielle de l’OLP entre en contradiction avec celle adoptée par ses principales composantes. Selon Anouar Abdel Hadi, représentant de l’OLP à Damas, des combattants du Fatah participeraient déjà aux combats contre l’OEI depuis début avril, tandis que plusieurs représentants du mouvement, de Sultan Abou Aynan au Liban à Taoufik Al-Tirawi dans les territoires palestiniens, prônent également une intervention militaire palestinienne conjointe. Autre formation membre de l’OLP, Le FPLP reste, depuis une semaine, convaincu de la validité d’une solution militaire sans pour autant appeler à s’allier aux troupes du régime.

    Une situation paradoxale

    L’entrée de l’OEI dans le camp de Yarmouk met à nu l’éclatement extrême du champ politique palestinien. Depuis le 1er avril, le terrain militaire ne fait que confirmer les divisions à l’œuvre précédemment. Le Hamas a certes établi de nouveaux canaux de communication avec ses ennemis d’hier — Ahmad Jibril notamment –, mais face à l’OEI, les militants des brigades Aknaf Beit al-Maqdis ne collaborent pour le moment qu’avec des formations issues de l’opposition syrienne, dont l’Armée de l’islam (Jaysh al-Islam). Certaines sources palestiniennes font par ailleurs état de démissions au sein des brigades Aknaf Beit al-Maqdis : des militants du Hamas auraient fui vers le quartier de Yalda, tenu par le régime, tandis que d’autres auraient rejoint les rangs de Jabhat Al-Nosra7.

    De leurs côtés, les milices du FPLP-commandement général, du Fatah-Intifada, de la Saïqa et des comités populaires continuent de coordonner leurs mouvements avec l’armée gouvernementale et les Forces de défense nationale, ces dernières ayant intensifié, la semaine dernière, leur campagne de bombardement de Yarmouk. L’ALP ne peut, sans feu vert de l’OLP, s’engager officiellement dans les combats. Les organisations membres de l’OLP demeurent absentes du terrain militaire, ou alors y participent à un niveau résiduel. Pour le moment, la seule force armée «  commune  » reste bien celle du régime et de ses alliés de l’Alliance des forces palestiniennes.

    L’entrée de l’OEI dans Yarmouk résulte directement du retournement d’alliance de Jabhat Al-Nosra, et d’un Hamas pris à revers. Mais elle est aussi la conséquence des multiples fragmentations qui affectent le champ politique palestinien depuis le début du soulèvement syrien. L’Alliance des forces palestiniennes maintient son rôle traditionnel d’allié du régime, donnant une traduction palestinienne à la narration baassiste du conflit. L’OLP ne parle plus, depuis longtemps, d’une voix unifiée. Qui plus est, ses principales organisations en Syrie sont affaiblies par trois ans de guerre. Les discours de neutralité du Fatah, du FPLP ou même du Jihad islamique se heurtent aujourd’hui à une nouvelle donne politique et militaire à Yarmouk. Le Hamas ne cesse de se confronter à ses propres contradictions, entre sympathie avec Téhéran et alliance avec la mouvance salafiste-djihadiste.

    Mais les facteurs de divisions interpalestiniennes ne sont pas seulement relatifs à la Syrie. Globalement, la difficulté des formations palestiniennes à penser une stratégie commune face à l’OEI ne fait que refléter des divisions antérieures. L’inimitié entre l’Alliance des forces palestiniennes et l’OLP remonte aux accords d’Oslo. L’OLP, dans ses positionnements contradictoires, souffre de son affaiblissement organisationnel depuis le début des années 1990, face à une Autorité palestinienne principalement attachée à gérer la situation des territoires occupés et délaissant les Palestiniens de la diaspora. Le Hamas et le Fatah payent encore aujourd’hui, jusqu’en Syrie, [leurs affrontements de l’été 2007 à Gaza8.

    La situation est alors paradoxale : du Hamas aux formations palestiniennes alliées au régime, l’organisation de l’État islamique apparaît comme un ennemi principal, mais aucune de ces organisations ne réussit à s’entendre sur une position commune. Au Liban comme en Palestine, des manifestations appelant à sauver Yarmouk se tiennent quotidiennement : elles réunissent des partis politiques palestiniens qui, depuis trois ans, ont une appréciation complètement divergente de la crise syrienne. Et pourtant : l’unité nationale palestinienne se fait par défaut, sans qu’aucune perspective politique n’émerge quant à l’avenir du camp de Yarmouk. L’éclatement des rangs palestiniens est à l’image d’une Syrie transformée en mosaïque armée.

    Nicolas Dot-Pouillard

    2Le FPLP-CG, dirigé par Ahmad Jibril, est né en 1968, d’une scission du Front populaire pour la libération de la Palestine de Georges Habache. Le Fatah-Intifada est issu d’une scission d’avec le Fatah de Yasser Arafat, au début des années 1980. La Saïqa (Avant-gardes de la guerre de libération populaire) est la branche palestinienne du parti Baas pro-syrien. Les comités populaires sont liés à l’Alliance des forces palestiniennes, dirigée de Damas par Khaled Abdel Majid, opposée depuis le début des années 1990 aux accords d’Oslo.

    3Selon certaines sources, la brigade du Pacte d’Omar aurait été fondée par des membres du Hamas, mais aussi par des déserteurs du FPLP-commandement général.

    4Selon des sources palestiniennes contactées par le quotidien Al-Hayat, les forces militaires à Yarmouk, avant le premier avril 2015, se répartiraient comme suit : 700 combattants proches du FPLP-CG et de l’Alliance des forces palestiniennes, proches du régime  ; 300 combattants à Jabhat al-Nosra  ; 70 combattants des brigades Ibn Taymiyya, alliées à Jabhat al-Nosra  ; 200 combattants des brigades Aknaf Beit al-Maqdis. Les sources citées ne font pas état des forces du Mouvement des hommes libres du Levant (Haraka Ahrar ash-Sham), également présents dans le camp de Yarmouk.

    7Informations recueillies par l’auteur.

  • Antiracisme « Non au philosémitisme d’État »: un slogan indigne !

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    Déclaration du MRAP

    Dans la manifestation contre le racisme qui s’est déroulée à Paris le 21 mars, un slogan est apparu « non au philosémitisme d’État ». Il dénature le combat antiraciste en l’inscrivant dans la concurrence des victimes.

    Ce slogan figurant dans l’en-tête d’un tract reproduit sur le site du PIR (Parti des « Indigènes de la République ») établit une insupportable hiérarchisation des indignations selon que les victimes soient musulmanes ou juives.

    Le MRAP déplore les insuffisantes mobilisations des représentants de l’’Etat quand surviennent des actes anti-musulmans, anti-roms, anti-arabes, mais ne saurait tolérer une campagne indigne contre un « philosémitisme » supposé.

    Le MRAP déplore la politique pro-israélienne de la France, mais il est inacceptable de passer ainsi d’une politique pro-isralienne à la notion à connotation antisémite d’État français pro-juif.

    Ce slogan désigne les juifs comme les privilégiés de la République. Il alimente la thèse antisémite d’une mainmise de leur part sur l’appareil d’État et s’inscrit dans les fantasmes complotistes de Dieudonné, entre autres. A propos de l’humoriste antisémite, ce même parti politique écrit d’ailleurs ceci : « ce que voient les indigènes, c’est ça. Un homme debout. On a trop été contraints à dire « Oui Bwana, oui Bwana ». Quand Dieudonné se lève, il guérit une blessure identitaire.

    Sur son site, le PIR entretient insidieusement la thèse d’un antisémitisme traditionnel d’extrême-droite et d’un antisémitisme réactionnel qui serait dû aux privilèges dont bénéficient les juifs dans le traitement du racisme.

    Les juifs deviennent alors les premiers responsables « de l’hostilité de la part des sujets post-coloniaux » à leur égard, car ils sont les « goumiers » de l’Occident « rendus complices de ses crimes comme à Gaza ».

    Afin de mieux préciser encore la fonction des « goumiers », troupes supplétives indigènes au service de l’armée coloniale et là où le MRAP voit avant tout des « oubliés de l’histoire », le PIR rapporte que les goumiers africains (« sénégalais » précise-t-il), furent des « sauvages », des violeurs, des massacreurs de populations arabes et en conclut « le parallèle avec les Juifs est édifiant. Les Juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe »

    Survenant quelques semaines après le massacre de « juifs » dans l’épicerie Casher, trois ans après l’exécution d’enfants dans l’école juive de Toulouse, ces théories sur le « philosémitisme » indignent ceux se réclament de la lutte contre tous les racismes.

    La lutte antiraciste ne peut s’accompagner de cette indécente hiérarchisation et opposition entre les victimes du racisme, ni de cette assignation des juifs au statut de « goumier »

    Les actes islamophobes, les actes antisémites, la stigmatisation permanente des Roms, les discriminations qui perdurent et détruisent le tissu social, imposent plus que jamais une lutte contre tous les racismes qu’ils émanent ou non des institutions.

    Pour le MRAP, il nous paraît ainsi essentiel de comprendre les ressorts inhérents à chaque forme de racisme, sans en oublier ou minimiser un seul, pour mieux le combattre.

    La lutte pour l’égalité des droits des minorités est essentielle, et elle doit être doublée par un travail constant de déconstruction des préjugés individuels tant par la culture que par l’éducation populaire.

    Déclaration du Bureau Exécutif du MRAP, Paris, le 7 avril 2015

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34719

  • “L’exploitation coloniale, des violences extraordinaires” (Npa)

    Entretien. Enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université d’Évry-Val-d’Essonne, Olivier Le Cour Grandmaison vient de sortir un nouveau livre, l’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies (1). Nous l’avons rencontré à cette occasion.  

    Le livre commence par une surprenante description du désastre sanitaire qui accompagne les débuts de la colonisation. Peux-tu en donner quelques éléments et explications ?


    Les causes de ces désastres sanitaires, constatés par de nombreux médecins qui occupent souvent des responsabilités importantes au sein de l’institution médicale et/ou militaire, sont multiples. Elles sont liées au retard de la médecine et de l’hygiène coloniales françaises comparées à celles de la Grande-Bretagne qui est à l’époque très en avance dans ces domaines, notamment en raison de sa longue expérience impériale en Inde. À cela s’ajoute le conservatisme, souvent dénoncé par les médecins et certains officiers supérieurs, de la hiérarchie militaire, et un mépris certain pour la vie des soldats du rang. De là ces désastres fort coûteux sur le plan humain et parfois même susceptibles de retarder des opérations militaires pourtant jugées essentielles par les autorités politiques.

    C’est le cas, par exemple, en 1881 : alors que la France s’apprête à envahir la Tunisie, plusieurs divisions sont réunies à Marseille et Toulon dans des conditions sanitaires pour le moins mauvaises. Bilan : Plus de 800 décès et 5 000 malades ! Rappelons enfin que jusqu’en 1910, les armées françaises comptent plus de vétérinaires pour soigner les chevaux que de médecins pour soigner les soldats. À la veille de la Première Guerre mondiale, 700 praticiens aux armées manquent toujours à l’appel.

    Face à ce « désastre », quelles mesures d’auto-protection va mettre en œuvre le pouvoir colonial pour « protéger » ses forces coloniales ?


    Une telle situation est à l’origine de la mobilisation individuelle et collective des médecins qui vont batailler pour imposer de nouvelles règles d’hygiène dans un contexte où, si l’on connaît les mécanismes de transmission de certaines maladies, comme le paludisme par exemple, nul ne sait comment le soigner. Faute de guérir, il faut donc prévenir de toute urgence, en multipliant les prescriptions relatives à l’alimentation, au logement des soldats et aux casernes, aux vêtements et à l’organisation des opérations militaires elles-mêmes. Enfin, dans le cadre d’une division raciale du travail élaborée par les médecins, entre autres, les forces armées dans les colonies vont recourir à de nombreux soldats « indigènes » pour assumer les tâches les plus rudes : travaux du génie, notamment, afin de préserver la santé des militaires français et leur efficacité lors des combats.


    Au-delà des troupes appelées à servir en outre-mer, ces mesures préventives concernent aussi la société coloniale dans son ensemble. Elle est traitée comme un vaste corps physique, sexuel, économique, social, urbain et politique, qu’il faut protéger d’un environnement naturel et humain jugé extrêmement dangereux sur le plan sanitaire. Chaque partie de ce vaste organisme, indispensable à sa vie comme à son développement – hommes, femmes, voies de circulation, maisons, cimetières, quartiers d’habitation –, doit obéir aux « lois de l’hygiène » pour bénéficier ainsi d’une sécurité sanitaire optimale et indispensable au succès de la colonisation. Comme l’écrivent de nombreux médecins, « l’indigène est un réservoir à virus », et il faut donc s’en éloigner pour se protéger des nombreuses maladies qu’il est susceptible de transmettre.


    De telles conceptions sont au fondement de nombreuses prescriptions. Elles concernent les relations sexuelles interraciales, par exemple, qui sont alors proscrites afin de protéger « l’homme blanc » des maladies vénériennes. Ces prescriptions sont également au principe de l’organisation ségréguée des principales villes coloniales qui doivent comprendre des quartiers européens et des quartiers « indigènes » nettement séparés. En matière d’urbanisme, les enjeux sont également sécuritaires – assurer au mieux la protection des biens et des personnes des Européens – et politiques – inscrire dans l’organisation même de la ville l’ordre colonial comme ordre colonial hiérarchisé au sommet duquel se trouve le Blanc. Là encore, les pratiques coloniales de la Grande-Bretagne ont été autant de modèles pour les hygiénistes et les urbanistes français. Enfin, et pour des motifs identiques, cette ségrégation s’étend aussi aux hôpitaux construits en outre-mer.

    Dans la continuité d’un de tes ­ouvrages précédent, Coloniser, Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial (2), tu reviens sur les violences faites aux « indigènes », mais moins en termes d’affrontements, de barbarie militaires, que de « vie quotidienne », notamment dans le cadre de la division raciste du travail. Quelques illustrations ?


    En ce qui concerne les modalités de l’exploitation coloniale, l’analyse précise des conceptions et des pratiques révèle des violences extraordinaires liées aux méthodes employées. Je pense en particulier au travail forcé imposé à l’ensemble des populations civiles du Congo français. L’exemple alors célèbre est celui de la construction de la ligne de chemin de fer destinée à relier Brazzaville à Pointe-Noire sur la côte atlantique. 17 000 morts « indigènes » lors de la construction des 140 premiers kilomètres et des taux de mortalité de 57 % dans certains camps de travail établis pour réunir la main-d’œuvre indispensable à la réalisation de ce chantier.

    Je précise que ce dernier chiffre est celui qui a été rendu public par le ministre des Colonies de l’époque, André Maginot. Quant à l’entreprise chargée de cette « glorieuse » construction, il s’agit de la Société de construction des Batignolles, connue aujourd’hui sous le nom de Spie-Batignolles, l’un des plus grands groupes du BTP français. Il y a peu, l’un des anciens PDG, Jean Monville, vantait encore les réalisations remarquables de son entreprise lors de « l’aventure outre-mer »...

    Dans la conclusion, tu évoques largement le livre de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres. En quoi illustre-t-il ton propos ?

    Ce texte de Conrad est à l’époque connu de tous ceux qui s’intéressent aux colonies. Ce n’est pas un hasard si André Gide dédie son livre Retour du Congo à cet écrivain. Avant beaucoup d’autres, Conrad a découvert l’extraordinaire brutalité quotidienne de l’exploitation coloniale, le mépris raciste qui la légitime et les conséquences dramatiques de cette exploitation : des morts par dizaines de milliers, des régions entières abandonnées par leurs habitants autochtones qui fuient les réquisitions, les déportations et le travail forcé.

    Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Conrad n’euphémise pas ces pratiques. Au contraire, grâce à une investigation littéraire, il les dévoile avec une précision remarquable. À l’heure où, en France, sévit de nouveau un révisionnisme colonial allègre, Au cœur des ténèbres rappelle utilement ce passé meurtrier.

    Propos recueillis par Robert Pelletier
    1 – Fayard, 2014, 23 euros
    2 – Fayard, 2005, 22 euros

    «  Les Blancs ne communiquent avec les Noirs ou les Jaunes que pour les asservir ou les massacrer. Les peuples que nous appelons barbares ne nous connaissent encore que par nos crimes. (…) allons-nous armer sans cesse contre nous en Afrique, en Asie, d’inextinguibles colères et des haines insatiables et nous préparer pour un avenir lointain sans doute, mais assuré, des millions d’ennemis ? »

    Anatole France (1906), mis en exergue dans la conclusion d’un précédent ouvrage d’Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial.