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  • Israël : La fuite en avant dans l’apartheid (Alternative Libertaire)

    La victoire de la droite israélienne masque l’unanimisme des sionistes de tous bords pour enterrer tout espoir de paix juste et durable. La seule solution pour qu’advienne une véritable égalité des droits reste l’abandon de la perspective d’un « État juif ».

    Les derniers sondages avaient laissé espérer une Knesset ingouvernable, ce qui aurait été la moins mauvaise issue pour les Palestiniens. Il n’en a rien été. Avec 67 sièges sur 120, la coalition d’extrême droite dirigée par Benyamin Nétanyahou a les mains libres pour gouverner.

    L’échec d’Obama

    Les grands battus, ce sont les travaillistes alliés à Tzipi Livni (vingt-quatre sièges et quarante avec les alliés potentiels). Faut-il avoir des regrets ? Non. Il n’y a pas un seul crime contre le peuple palestinien dans lequel la pseudo « gauche sioniste » ne soit pas impliquée : la Nakba en 1948, la colonisation après 1967, le massacre de Plomb durci à Gaza ou la construction du mur de l’apartheid. Le dirigeant travailliste Herzog a d’ailleurs fait campagne en affichant sur les murs : « Avec Nétanyahou et Bennet, vous allez vivre avec les Arabes, nous on vous garantit la séparation. »

    L’alliée des travaillistes, Tzipi Livni est une ancienne du Mossad, spécialiste des assassinats ciblés et elle dirigeait le pays au moment du massacre de Plomb durci (en 2008-2009, 1 400 morts). Le militant palestinien Ali Abunimah rappelle que si le tandem Herzog-Livni l’avait emporté, les Palestiniens auraient été entraînés dans des pseudo-négociations qui, comme toujours, auraient été des exigences de capitulation. Avec Nétanyahou qui a affirmé qu’« il n’y aura pas d’État palestinien et aucun retrait de Cisjordanie » et qui multiplie les nouvelles constructions dans les colonies, il n’y aura pas de négociations.

    Pour Obama, qui avait été plusieurs fois humilié par Nétanyahou, cette issue est une mauvaise nouvelle. Sa volonté de faire pression sur la direction sioniste sans jamais recourir aux sanctions est un échec. Obama a donné plus de 3 milliards de dollars d’aide militaire à Israël en 2014, permettant ainsi à l’agresseur de renouveler son stock de munitions. Finalement, cela a conforté les électeurs israéliens dans l’idée que tout leur était permis.

    Pourquoi Nétanyahou a-t-il réussi à rallier les hésitants ?

    Parce que les Israéliens ont peur de ne plus avoir peur. Pourtant, il a peu été question de la Palestine pendant la campagne électorale. À quoi bon ? La colonisation, l’extension des colonies et les nouvelles constructions semblent faire consensus. Pourquoi changer de politique puisque le pays, non sanctionné, n’en subit pas les conséquences ?

    L’occupation a tué toutes les solutions politiques : deux États, c’est impossible. La ligne verte (la frontière internationalement reconnue) n’existe plus. Un État où les droits seraient égaux, c’est impossible avec le sionisme.

    Alors les Israéliens qui sont entrés de plus en plus consciemment dans l’apartheid institutionnel ne voient plus comment changer de politique.

    Ils espèrent toujours qu’à terme, les Palestiniens deviendront les « Indiens » du Proche-Orient, parqués dans leurs réserves ou « transférés » au-delà du Jourdain. Ils imaginent que le fait accompli colonial sera légalisé. Nétanyahou a réussi à faire peur à un électorat raciste en expliquant que ses opposants ne pourraient pas gouverner sans l’appui des « Arabes ».

    Nétanyahou n’a pas seulement eu les voix des colons et de l’extrême droite.

    Il a rallié une bonne partie des voix des Juifs orientaux qui sont pourtant les premières victimes de sa politique ultralibérale. La proportion des Juifs israéliens vivant sous le seuil de pauvreté est montée à 21 %.

    À rebours de l’évolution géopolitique

    Nétanyahou a vécu aux États-Unis. Il est lié à la droite républicaine. Il considère Obama comme une anomalie et il agit comme si, éternellement, Israël allait bénéficier du parapluie américain et être un porte-avions occidental au Proche-Orient. Mais le monde bouge. Nétanyahou a toujours fait campagne en diabolisant l’Iran et en prônant une « guerre préventive » qui mettrait à feu la région et ferait oublier la question palestinienne.

    Les gesticulations de Nétanyahou sont d’autant plus indécentes quand il accuse l’Iran de vouloir fabriquer la bombe atomique que le pays de la région qui possède notoirement de nombreuses têtes nucléaires, tout en ayant énergiquement refusé de signer le moindre traité international sur cette question, c’est Israël.

    Le rapprochement entre l’Iran et les États-Unis qui s’esquisse semble irréversible parce qu’il y a un ennemi commun (Daech). Du coup le pari de Nétanyahou, qui consiste à continuer de faire plier la direction américaine, devient risqué.

    Dans les mois qui ont précédé le vote, Nétanyahou s’est alarmé du BDS (campagne internationale de boycott, désinvestissement et sanctions). Ce mouvement continue de remporter des succès. Ainsi, la société française Poma qui avait été pressentie pour la construction d’un téléphérique à Jérusalem, s’est très vite désistée.

    L’adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale annonce peut-être des poursuites contre les dirigeants israéliens. Il est bien téméraire dans ces conditions de s’opposer au protecteur américain.

    Dans la fragmentation de la Palestine réalisée par des décennies d’occupation, de violences et d’apartheid, on oublie souvent les Palestiniens d’Israël qui représentent plus de 20% de la population et subissent, « légalement », de très nombreuses discriminations dans un État qui se définit comme « juif ». Jusque-là, ils s’abstenaient massivement ou se présentaient en ordre dispersé. Le fasciste Lieberman, pour les éliminer de la Knesset, avait eu l’idée de porter à 3,25% le seuil pour avoir des députés.

    Un espoir : la liste commune

    Du coup, les partis palestiniens se sont unis (avec également Hadash, parti d’extrême gauche rassemblant Juifs et Palestiniens). La liste commune qu’ils ont présentée, comportait aussi trois candidats juifs. Avec quatorze sièges, elle devient la troisième force du pays. Elle a fait reculer l’abstention et a permis une unité palestinienne jamais réalisée jusque-là.

    Parmi les élu.e.s, la militante Haneen Zoabi, présente sur le Mavi Marmara lors de la flotille pour Gaza en 2010 et victime de menaces et de violences en plein parlement. Seul point noir : la faiblesse du vote juif pour cette liste. La rupture avec le sionisme reste la question clé pour une paix fondée sur l’égalité des droits.

    Pierre Stambul (Union juive française pour la paix et ami d’AL)

    http://alternativelibertaire.org/?Israel-La-fuite-en-avant-dans-l

  • Appel à un autre Maroc (Contretemps)

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    Comprendre et agir : créer les conditions d’un nouveau mouvement social

    Membres de l’association Autre Maroc, "Mouvement de lutte pour la justice sociale", Montassir Sakhi et Hamza Esmili livrent dans ce texte, précédemment publié sur le site de leur association, une réflexion (auto)critique sur le Mouvement du 20 Février et ses suites.

    Quatre années se sont écoulées depuis le déclenchement du Mouvement du 20 Février.

    Quatre années ne suffisent pas pour dresser une analyse globale des évolutions sociales qui se sont cristallisées, en 2011, dans un soulèvement populaire inédit dans l’histoire du Maroc1.

    Quatre années, ce n’est rien dans la vie d’un peuple.

    Il ne s’agit pourtant pas de la seule année 2011, ou des seules quatre années qui se sont écoulées depuis. Car comment comprendre les conditions de production d’un tel soulèvement sans resituer le Mouvement du 20 Février dans les luttes qui, depuis l’indépendance, traversent à la fois la société marocaine et le pouvoir ?

    Ce texte constitue à la fois une autocritique, sans fard ni ambages, ainsi qu’un appel à de nouvelles luttes plus proches de la réalité sociale, conscientes des reconfigurations du pouvoir au Maroc actuel et agissant ainsi comme autant d’alternatives politiques au bénéfice des couches les plus démunies de notre société.

    Refusant de céder tant à la tentation glorificatrice qu’au défaitisme militant, ce texte s’insère dans la volonté de faire une évaluation rationnelle des avancées du Mouvement ainsi que de ses carences qui ont abouti à la démobilisation progressive, à l’aune notamment de l’inadéquation entre la réalité du pouvoir et la construction historique des discours des acteurs revendiquant le changement, ce que Norbert Elias appelle « l’habitus par effet de retardement »2.

    Nous chercherons ainsi à faire une analyse raisonnée des mouvements sociaux passés, de leurs constitutions au délitement de leurs mobilisations, pour aboutir à la discussion de la nouvelle réalité politique et sociale du pays, qui appelle, selon nous, à de nouvelles luttes.

    Nous procéderons en trois temps.

    Un premier axe d’analyse sera déployé autour de l’émergence de nouvelles formes du politique au sein du Mouvement du 20 Février, reprenant la dichotomie historique entre luttes redistributives et luttes de reconnaissance. Nous nous arrêterons également sur les raisons de l’échec de la tentative d’opérer une synthèse des revendications au sein du Mouvement et sa relation avec la décrue de la mobilisation.

    Le second moment de l’analyse se fera autour de l’évolution de la définition même du pouvoir au Maroc, dans un contexte global, ainsi que les reconfigurations du jeu politique qui l’ont accompagnée. Nous chercherons ainsi à montrer que l’absence de prise de conscience quant à cette problématique, au sein du Mouvement, a été la source d’un décalage croissant entre les revendications portées par ce dernier et la réalité sociale au Maroc.

    Enfin, cherchant à tirer les enseignements du passé et de l’expérience du Mouvement du 20 Février, nous tenterons de définir les orientations fondamentales d’une nouvelle lutte politique en faveur du changement social au Maroc.

    Le Mouvement du 20 Février, formes, reconnaissance et redistribution

    Formes du politique

    Forme d’action politique inédite dans le contexte marocain, le Mouvement du 20 Février a notamment suscité l’espoir — au moins aux premiers temps de la mobilisation — d’une possible inversion du rapport de forces politiques, dans le contexte global de Printemps arabe, d’Indignés de Madrid et d’Occupy Wall Street.

    Ainsi, bien qu’ancrés dans des réseaux de sociabilité historiquement constitués, les militants composant le Mouvement ont profité de la «  conjoncture fluide »3, que représentait le contexte historique global, pour bouleverser la perception de l’action politique au Maroc.

    En opérant ainsi un passage de la politique, conçue en tant que champ séparé de la réalité sociale — dont le Palais, partis et autres entrepreneurs politiques seraient les acteurs exclusifs — au politique, défini de manière extensive comme cadre d’action privilégié sur le quotidien des citoyens, le Mouvement du 20 Février a élargi le champ des possibles au Maroc. Se définissant comme un « mouvement social total », le Mouvement a visé à ses débuts à établir les bases d’un nouveau projet de société touchant tous les aspects de la vie des citoyens.

    La mobilisation a également proposé par la pratique une nouvelle définition de la démocratie. Face au modèle du régime démocratique représentatif, où le pouvoir est délégué à des « professionnels » censément porteurs des intérêts des citoyens, le Mouvement a opposé la méthode démocratique, c’est à dire la co-construction collective des orientations, revendications et pratiques de la mobilisation.

    Illustration de cette définition pratique de la démocratie, en opposition avec la revendication programmatique classique d’un régime de démocratie représentative, le Mouvement, bien que présent sur l’ensemble du territoire, n’a pas mis en place une organisation centrale qui détiendrait un monopole décisionnel. En réalité, la prise de décision a été fondée sur le modèle délibératif entre militants diversement politisés.

    Ainsi, le Mouvement a instauré une véritable pratique de la démocratie directe au sein des instances décisionnelles du Mouvement, transformées en véritables agoras militantes où le débat des idées avait lieu de manière spontanée et libre.

    Dès lors, les réactions des partis politiques institutionnels sont symptomatiques de l’établissement de ces définitions alternatives de la politique et de la démocratie. Dénoncé comme facteur d’ «instabilité », le Mouvement a immédiatement été perçu comme une menace par les organes exécutifs des partis institutionnels, tout bord idéologique confondu, alors même que des franges non négligeables de leurs militants rejoignaient la mobilisation.

    De fait, cette forme de démocratie directe promue par le Mouvement à ses débuts, ainsi que la volonté de se constituer en « mouvement social total », se sont elles-mêmes étiolées au fur et à mesure des récupérations dont faisait objet la mobilisation à partir du discours royal du 9 Mars. En définissant lui-même quelles revendications étaient légitimes, le Roi a prudemment reconstruit les limites du champ du possible politique au Maroc. En accordant au Mouvement la victoire de voir sa contestation reconnue comme bien-fondée, le discours royal a ainsi stoppé net la volonté de la mobilisation de se constituer en projet de société alternatif.

    Dès lors, affaibli dans son essence même, les « infiltrations » multiples du Mouvement — par les ONG, les élites politiques institutionnelles ainsi que les représentants d’intérêts privés plaidant pour plus d’ouverture au Marché — ont fini d’achever la temporalité politique exceptionnelle dont avait bénéficiée la mobilisation à ses débuts.

    Reconnaissance et redistribution

    Une analyse historique des mouvements politiques — partisans ou associatifs — qui ont traversés la société marocaine depuis l’indépendance, fait apparaître une évolution majeure au cours des décennies post-1956 : le passage d’une conception redistributive de la lutte à une dimension de reconnaissance des droits.

    En effet, la première catégorie d’action politique, largement marquée par une approche marxiste des rapports de classe, est ainsi axée sur la question de la justice sociale et de l’égalité réelle entre les citoyens. À partir de l’indépendance, elle est notamment représentée par les grands mouvements d’opposition issus du Mouvement national. Ainsi, l’UNFP4, constituée d’une base sociale principalement formée de fonctionnaires, étudiants et autres professions libérales au capital culturel élevé, se donnait, dans une perspective léniniste5 du parti d’avant-garde,  le rôle de représenter les prolétaires, petits paysans et autres laissés pour compte des premiers développements du capitalisme marocain

    À l’inverse, à partir des années 1980, de nouveaux mouvements sociaux ont mis au centre du débat politique la reconnaissance d’identités culturelles et/ou linguistiques, l’égalité entre les sexes ainsi que le droit de conscience religieuse, souvent sans articulation avec la demande d’égalité sociale. Ce déplacement du débat, souvent effectué dans l’optique libérale de la primauté du droit sur la réalité pratique de son exercice, a été favorisé, à la fois par le contexte international de la chute du Bloc communiste — et donc de retrait de l’idéologie marxisante —, ainsi que par la forte répression opérée par le régime hassanien contre les militants de gauche au cours des années de plomb.


    Ce bref rappel historique effectué, quelle place au Mouvement du 20 Février dans cette dichotomie ?

    La constitution même du Mouvement du 20 Février, « mouvement de mouvements » par excellence, porte en elle cette opposition historiquement construite entre luttes de redistributions et luttes de reconnaissance.

    Ainsi, le Mouvement agrège ensemble les deux types de revendications. Le premier est celui des luttes matérialistes — obtention d’emplois dans le secteur public, amélioration des conditions de travail ou encore augmentation du salaire minimum légal et des revenus —, portées par les travailleurs syndicalistes6, les associations de diplômés-chômeurs et les collectifs citoyens7. Inversement,  des slogans culturalistes et/ou droitsdelhommistes sont notamment représentés par les associations demandant la constitutionnalisation de la langue amazighe, les membres des partis et associations politiques de l’opposition historique8 ainsi que les mouvements de lutte pour la reconnaissance des libertés individuelles9 de l’autre.

    Pourtant, les organisations ayant appelé à soutenir la dynamique protestataire ont mis de côté, au moins en partie, leurs différends idéologiques pour s’identifier à la seule charte du Mouvement du 20 Février. Cette dernière a été conçue par des militants représentant des tendances politiques diverses ainsi que des « militants indépendants » fin Janvier 2011. Ainsi, par crainte de divisions précoces, la charte revendicative incarne la volonté d’éviter toute teinte idéologique susceptible de diviser le Mouvement.

    Dès lors, citons entre autres principales revendications du mouvement : la dissolution du parlement, la promulgation d’une nouvelle constitution par une assemblée élue, l’instauration d’une monarchie parlementaire où les pouvoirs du roi seraient limités, la hausse des générale des salaires, la suspension de la privatisation de l’enseignement, la création d’un fond d’aide à la jeunesse ainsi que d’une allocation nationale aux chômeurs, la hausse et la généralisation des bourses estudiantines, l’indépendance de la justice, l’abrogation de la loi sur le terrorisme, la libération des prisonniers politiques, la reconnaissance de la langue amazighe comme une langue constitutionnelle, la nationalisation des grandes entreprises stratégiques, le respect des droits et libertés collectives, etc.

    Ainsi, fait édifiant, la charte fondant l’action du Mouvement du 20 Février reprend à la fois des revendications redistributives classiques et des exigences de reconnaissance de droits culturels et politiques10.

    Cette articulation n’a été permise que dans le cadre de la conjoncture fluide du moment historique, c’est à dire à une situation globale de brouillage des règles du jeu politique ainsi que des rapports de force objectifs, que représentait le contexte global de soulèvements populaires dans la région. Dès lors, c’est cette situation politique et historique particulière qui a permis la convergence de mouvements provenant d’horizons divers et n’ayant pas entrepris de processus de rapprochements idéologiques capables de déboucher sur un front pour un changement social et politique réel.

    Ainsi, le pouvoir politique, incarné par l’Etat et encouragé par les différentes élites économiques profitant du statu quo, a favorisé la négociation sectorielle pour empêcher tout rapprochement idéologique pouvant déboucher sur une représentation des catégories sociales populaires et constituer ainsi une véritable « classe sociale ».

    À titre illustratif, florilège des différents « cadeaux du pouvoir » :

    - Les centrales syndicales se sont retirées du Mouvement après la signature de l’accord tripartite — avec la Confédération générale des entrepreneurs marocains (CGEM) et le gouvernement —du 26 avril 2011 instituant une « augmentation urgente » des salaires nets des fonctionnaires.

    - Les courants dissidents du PJD — notamment le courant « Baraka » — ont quitté le Mouvement après la promesse de la tenue d’élections législatives transparentes.

    - Les diplômés chômeurs se sont retirés au moment de l’annonce d’un accord-cadre prévoyant leur intégration massive dans la fonction publique.

    - Les mouvements amazighs ont cessé de se mobiliser après l’annonce de la constitutionnalisation de la langue amazighe.

    Ces différents mouvements n’ont eu ni le temps ni l’espace pour renoncer aux intérêts corporatistes et construire une critique systémique des mécanismes de production de la domination englobante. Dès lors, l’absence d’autocritique capable de leur permettre de s’inscrire dans une action sociale plus large a condamné le Mouvement au délitement progressif.

    Nouveau pouvoir versus Nouvelle société civile

    Dans le contexte du Mouvement du 20 Février, la coexistence au sein d’un même mouvement de dynamiques aussi diverses est devenue impossible sitôt la « conjoncture fluide » moins marquée.

    Dès lors, le déclin des manifestations et des rassemblements citoyens qui, pendant plus de deux ans, avaient instauré une véritable situation de critique sociale s’insère dans le cadre d’un changement de temporalité politique rendant impossible la poursuite de l’action du Mouvement.

    Plutôt que d’être sous le choc de la démobilisation, il convient de comprendre la nature de la nouvelle temporalité politique, et partant de cela penser un recadrage des luttes sociales permettant la remise en cause des systèmes de domination fonctionnant aux échelles nationale, régionale et mondiale.

    Dans ce cadre, deux tendances nous semblent d’une importance capitale pour l’analyse et la critique politique de la « situation » marocaine.

    Reconfigurations du pouvoir

    Tout d’abord, il nous apparait que certains des acteurs engagés dans le Mouvement du 20 Février ont négligé les reconfigurations majeures du régime marocain, qui, d’un pouvoir répressif de violence systématique, s’est transformé en un dispositif où ce dernier est disséminé dans un ensemble hétéroclite d’acteurs de gouvernementalité.

    Cette évolution n’est pas spécifique au seul Maroc. Elle s’inscrit dans une tendance lourde et globale de redéfinition du rôle du politique et de l’Etat.  

    En effet, au cours des années 1980, l’émergence d’un Marché de plus en plus puissant, légitimé par les théories économiques néolibérales pseudo-scientifiques, s’est faite au détriment de l’Etat dans l’ensemble des pays dont le système économique s’est ouvert à la mondialisation telle que conçue dans les organisations internationales11.

    Dans ce cadre, au nom du dogme de l’ouverture à la concurrence pure et parfaite, de larges pans de l’action publique ont été démantelés au profit d’intérêts privés, socialement situés et matériellement accumulatifs. Ainsi, au Maroc, les secteurs de l’éduction publique, de la santé, de l’agriculture, et du logement social—parmi bien d’autres—, sont aujourd’hui de très profitables marchés pour l’élite économique du pays.

    Par ailleurs, fait emblématique de cette évolution, la Monarchie est aujourd’hui moins le  premier acteur institutionnel du pays que le premier opérateur du Marché. Ce constat, largement illustré par le prédatisme des entreprises royales, entérine ainsi l’aliénation du politique à l’économique.

    Dès lors, cette évolution est symptomatique d’une nouvelle définition, libérale, du politique. Ce dernier ne serait plus le moyen privilégié d’action sur la réalité sociale, mais un champ séparé qui ne concerne que ses professionnels et qui vise à la résolution de problèmes conjoncturels d’optimisation de l’accès au Marché.

    Dans cette optique, les revendications portant sur la reconnaissance des droits et libertés, l’exigence d’une démocratie représentative et la séparation du capital et du politique, notamment portées par certains acteurs du Mouvement du 20 Février, ne sont plus productrices de critique sociale radicale. En évacuant les questions de la marginalité et de la pauvreté disqualifiante du débat politique, ce type de luttes profite largement au système libéral installé et ne peut donc prétendre apporter une alternative pour les groupes démunis  tant matériellement, que culturellement et socialement.

    Ainsi, cédant à une véritable ruse de l’Histoire, ces nouveaux mouvements sociaux ont abandonné l’égalité de fait en revendiquant l’égalité devant la loi. Il faut toutefois souligner ici l’héritage des années de plomb, qui fonctionne comme un habitus collectif : face à la répression systématique institutionnalisée du régime Hassan II, les mouvements des décennies précédentes ont centré la revendication sur la démocratie représentative, la transparence des élections, la lutte pour le droit à l’expression libre et contre la détention secrète et pour les droits des prisonniers politiques.

    Or, à l’inverse, la répression d’Etat est loin d’être systématique dans le Maroc actuel.

    Ainsi, bien qu’il soit évident que la presse continue à ne pas être libre, qu’il demeure des emprisonnements et des violences arbitraires, ainsi que des procès totalement injustes, ces « atteintes aux droits de l’Homme » sont localisées, très loin de la violence de masse du règne hassanien et des années de plomb.

    Dans la perspective foucaldienne de l’idéologie néolibérale, le dispositif du pouvoir en place ne fait plus de la violence physique son principal moyen de domination, mais tend, au contraire, à vider le politique de son sens en en faisant un objet séparé de la réalité sociale.

    Nouvelle société civile

    Corollaire de cette nouvelle définition du politique, le virage culturaliste majeur opéré par les organisations politiques et associatives marocaines dès la fin des années 1980. Non spécifique à notre seul pays, cette évolution est liée à la montée en puissance de la notion de société civile. Instituée comme un canal privilégié de l’action politique, elle est censée combiner d’un côté une efficacité managériale par la définition d’objectifs de performance précis, et de l’autre, une éthique non entachée par les « vicissitudes » de la politique partisane.

    Les associations, regroupant un ensemble hétérogène d’acteurs allant des jeunes de quartier aux fondations-mastodontes dirigées par des personnalités issus du monde des affaires, sont ainsi subventionnées par les institutions internationales, qui y voient un relais puissant des discours hégémoniques et globalisants. Leur action est également favorisée par l’Etat en cours de désengagement, qui leur délègue une partie de ses attributions. Dès lors, la société civile agit comme un levier de transformation de la réalité en dehors de toute régulation ou débat public.

    Valorisant en apparence « l’action et l’action seule », séparée du diagnostic situationnel et de la critique fondamentale, ces nouveaux acteurs de la vie publique sont en réalité socialement et historiquement situés. En effet, malgré un discours se revendiquant apolitique, la construction des problèmes à traiter, la production de solutions, en apparence allant de soi (taken for granted) et les moyens mis en œuvre, sont tous issus d’arbitrages idéologiques définis par des positions sociales et des évolutions historiques situées. Ainsi, bien souvent, les acteurs de la société civile sont porteurs d’un paradigme idéologique néolibéral fort, jouant ainsi le rôle, à l’échelle locale marocaine, de hérauts du Consensus de Washington, qui consiste notamment en l’ouverture au marché et à la concurrence privée au détriment de l’action publique redistributive.

    Evacuant ainsi totalement la question de la justice sociale, de nouvelles revendications ont ainsi émergé, portées par des associations et des partis représentant les intérêts des nouveaux groupes bénéficiaires de cette transformation et les intérêts de leurs propres adhérents/acteurs12.

    Dans ce cadre d’analyse, l'expérience du Mouvement du 20 Février est symptomatique du rôle tenu par ces nouvelles ONG. Mouvement de revendications politiques et politisées par excellence, les dizaines de milliers d'ONG13, ayant envahi la sphère publique lors des dernières décennies, n’ont joué aucun rôle dans la mise en place du processus protestataire ni dans sa consolidation.

    Toutefois, certaines de ces ONG, notamment celles qui œuvrent pour « la bonne gouvernance », « les droits humains », et/ou « les libertés individuelles», ont joué un rôle de récupération et de pacification du mouvement protestataire en banalisant les revendications populaires et sociales, dès la deuxième grande manifestation nationale du mouvement (Manifestation du 20 Mars 2011). En effet, à la suite du discours royal du 9 Mars, considérant les revendications démocratiques des protestataires comme légitimes14, des centaines d'associations rejoignent le Mouvement du 20 Février dans sa marche du 20 mars 2011.

    Cette dynamique associative n’est pas anodine. Dans une conception gramscienne, la nouvelle société civile agit ici comme un moyen de diffusion de l’hégémonie culturelle des élites en places, au premier chef desquelles le Palais. Ainsi, à partir de cette date, au sein même du Mouvement, une inflexion relative aux slogans politiques est réalisée.

    Nous avons ainsi assisté à la montée en puissance de revendications centrées sur les mots d'ordre offerts par le pouvoir reconfiguré, c’est à dire le Roi, dans son discours du 9 Mars. La question de la réforme constitutionnelle a, dès lors, pris le dessus sur les questions sociales. Le Mouvement s’est alors mis à porter des demandes n’intéressant pas les populations défavorisées économiquement, marginalisées socialement et privées d’accès à l’école et à la santé.

    En effet, les besoins de ces populations condamnées au déclassement et à la reproduction dans un système inégalitaire entraient en décalage complet avec les slogans portant sur la liberté d’opinion et de la presse, la monarchie parlementaire, les droits culturels, ce qui a indubitablement été un facteur d’étiolement de la mobilisation au cours des mois suivant le discours royal.

    Quelle nouvelle lutte sociale ?

    S’il est juste que la mobilisation a décru au fil des années jusqu’à quasi-extinction, les questions qu’avaient remises au centre du débat le Mouvement demeurent tout aussi prégnantes dans la réalité sociale des marocains.

    En 2015, au Maroc, l’extrême pauvreté perdure, avec plus de 25% de la population qui vit au niveau ou en dessous du seuil de pauvreté (1$ par jour). Parmi les populations vivant au dessus du seuil de pauvreté, 50% sont économiquement vulnérable aux aléas de la vie (maladie, intempéries ou perte d’emploi)15.

    Malgré un taux de croissance annuel moyen de 4,5% depuis 2002, le taux d’analphabétisme stagne à plus de 43% de la population16. Si la scolarisation a considérablement augmenté, le taux de déperdition annuelle des élèves fait que seule 13% d’une cohorte arrive au baccalauréat. Régulièrement pointé du doigt par les organisations internationales17, le système scolaire est globalement en ruine, provoquant une véritable rupture entre les familles aisés pouvant placer leurs enfants dans les écoles privées du pays (et parmi elle le saint graal des écoles françaises, représentant 0,02% des étudiants du pays mais véritable temples de la reproduction des élites) et ceux devant se contenter de l’école publique.

    La problématique des logements sociaux où s'entassent des centaines de milliers de marocains dans des immenses cités dortoirs, la privatisation de la santé qui fait écho à celle de l'éducation, le manque d'infrastructures de base... l’ensemble de ces dossiers brûlants font du Maroc une véritable poudrière humaine.

    Considérant l’héritage du Mouvement, et cherchant à évaluer le passé pour construire l’avenir des mouvements sociaux, il nous apparaît que certains questionnements doivent préluder à toute action politique réellement contestatrice et porteuse de changement global.

    Articulation des luttes dans un mouvement social total

    La séparation artificielle érigée entre luttes pour la démocratie, pour la justice sociale ou la reconnaissance des différences, contraste avec l’objectif fondamental de tout changement social et politique : l’édification d’une société plus juste. La lutte, telle que nous la concevons, doit avoir comme leitmotiv absolu, non seulement l’égalité des individus devant la loi, mais fondamentalement l’égalisation des capitaux économiques, sociaux et culturels. Ce n’est qu’à travers cette dernière que les idéaux de démocratie, de droit à la différence ou de liberté deviennent accessibles.

    Nous appelons, ainsi, à reconstruire des mouvements sociaux non-sectoriels articulant toutes les luttes de la redistribution et de la reconnaissance des droits, en opposition au néolibéralisme.

    Vaincre les dominations transfigurées par les recompositions du pouvoir politique et l’émergence de l’économie capitaliste au Maroc nécessite une lutte touchant la totalité de la réalité sociale, en opposition aux mouvements pensés en dehors des rapports de dominations qui s’y déroulent. Dès lors, la combinaison des échelles de la critique nécessite de sortir du glissement culturaliste insistant sur la simple dimension du droit et pour intégrer la question sociale.

    La double dynamique en marche au Maroc, avec d’un côté l’émergence d’un capitalisme prédateur et de l’autre, le retrait de l’Etat des services publics, s’accompagne de la hiérarchisation toujours plus marquée entre les différents groupes sociaux.

    Partant de ce constat, éviter le spectre de la ruse de l’histoire qui guette le mouvement social marocain actuel appelle une prise de conscience nécessaire : la réalisation des demandes libérales, historiquement issues des années de plomb, de séparation des pouvoirs, de reconnaissance des droits civiques et politiques, et de neutralité de l’Etat quant au déroulement des élections, la réforme du code pénal, la liberté d’opinion et de la presse, etc. ne signifie en rien la résolution de la question sociale.

    Plus que jamais, la critique émanant des organisations représentant les nouveaux dominé(e)s, est appelée à dénoncer les politiques qui condamnent les populations à l’indigence, à la marginalisation et à la disqualification sociale.

    Mouvements sociaux et représentation

    Comme évoqué plus haut, le Mouvement, en tant que « mouvement de mouvement », a agi en catalyseur d’intérêts sociaux variés — et parfois contradictoires — qu’un moment politique spécifique a permis de faire coexister dans une même structure. Résultant d’une temporalité politique propre, cette coexistence de catégories sociales diverses, portant des revendications particulières, n’a pas pour autant signifié l’unification des luttes.

    En dehors du moment historique du Printemps arabe, la transformation du profil sociologique des militants, au sein même des partis historiques de la gauche marocaine, a accentué le glissement de sens idéologique opéré au cours des dernières décennies.

    Ainsi, l’USFP, originellement constituée de petits fonctionnaires et de professions intellectuelles et libérales, a vu ses structures décisionnelles et exécutives trustées par de grands propriétaires terriens, des chefs d’entreprises agroalimentaires majeures ou des entrepreneurs politiques salariés au fur et à mesure des congrès et de la gouvernementalisation du parti. Cette évolution, tout sauf anodine, a ainsi contribué à l’impossibilité pour le parti de renouveler la critique des structures de la société marocaine, dont l’USFP était pourtant la principale productrice au cours des premières décennies postindépendances.

    Dès lors, une première exigence en lien avec la construction d’un mouvement social critique est une définition préalable de la représentativité de ce dernier, c’est à dire l’identification des catégories sociales en vertu desquelles la dynamique protestataire obtient sa légitimité et dont elle porte les intérêts.

    Partant de ce postulat, la lutte revendiquant une société plus juste ne peut se faire qu’en défense de ceux qui sont actuellement marginalisés dans l’espace social marocain. Cette marginalisation, multiforme, portant à la fois sur l’économique, le social et le politique, tout en étant légitimée par la domination culturelle, touchant l’immense majorité des marocains, appelle dès lors une dynamique globale capable de formuler une critique systémique.

    Victimes de domination(s) historique(s), du démantèlement de l’Etat, de l’hégémonie du Marché et de la montée en puissance des intérêts socialement situés, les dépossédés des capitaux scolaires et matériels, les victimes des politiques de privatisation massive, les chômeurs, les nouveaux travailleurs précaires, les petits agriculteurs, les parias récemment projetés dans la (bidon)ville, les minorités culturelles, en un mot les dominés, voici ceux pour qui la changement est nécessaire et mérite la lutte.

    Dans ce cadre, cette dernière doit redéfinir l’objet politique en tant que facteur de transformation de la société. Ne s’arrêtant pas au changement des institutions étatiques et la production juridique, la lutte politique doit viser à un changement de la société par la société pour la société. 

    Dépasser le clivage entre islamistes et gauchistes

    À la suite du Mouvement du 20 Février, nous appelons à la refonte du paysage politique marocain sur d’autres bases que la simple opposition entre pseudo-conservateurs islamistes et pseudo-modernistes de gauche.

    Perçu comme une dichotomie fondamentale de l’espace politique marocain, le clivage entre islamistes et gauchistes s’est largement imposé aux acteurs sociaux au cours des décennies postindépendances.

    Pourtant, en fondant leurs oppositions sur la base de différences d’éthique et de valeurs, les deux dynamiques négligent les possibles convergences de leurs bases sociales.

    Ainsi, une partie de la gauche marocaine s’est radicalisée en rejetant tout héritage culturel issu de l’Islam, amalgamé au despotisme, au « sous-développement » et à l’opposition à la Modernité. Inversement, une partie des mouvements islamistes s’est attachée à construire un référentiel unique de valeurs dans le but d’uniformiser l’espace social.

    Largement exacerbée par le régime d’Hassan II, cette différenciation a également été amplifiée par un contexte international marqué par la théorie du choc des civilisations. Cette dernière agit soit de manière directe en construisant un « nous » contre un « eux », soit de manière plus insidieuse à travers les valeurs normatives de l’universalité et de la modernité face auxquelles tout modèle alternatif est voué à la stigmatisation.

    Pourtant, l’opposition entre islamistes et gauchiste n’est ni un fait allant naturellement de soi, ni une norme historiquement ancrée dans la nature de l’opposition au Maroc.

    Ainsi, les exemples ne manquent pas pour démontrer la non-évidence de cette dichotomie. Citons dans ce cadre, la coexistence, au sein du Mouvement national, des différentes tendances, allant du salafisme de Allal El Fassi au modernisme de Hassan El Ouazzani, l’existence au sein même de l’UNFP d’une large tendance islamiste18, ou encore le militantisme passé de certains leaders islamistes actuels au sein des organisations d’extrême-gauche des années 197019.

    Dès lors, le recadrage de notre lutte nécessite de sortir de cette conception.

    Cela requiert bien entendu le respect de conditions nécessaires pour réussir le dialogue entre les mouvements sociaux clivés sur cette base.

    Il faut cependant signaler que les mouvements islamistes, à l’instar des organisations se réclamant de la gauche, ne sont pas représentatifs des mêmes intérêts et des mêmes projets sociétaux. Ainsi, le PJD, à la tête du gouvernement depuis 2012, est un chantre de la libéralisation à tout-va de l’économie alors même que les partis Al Badil Al Hadari et Al Oumma intègrent la dimension des classes sociales dans leurs programmes politiques. D’autres, comme le mouvement Adl Wa Al Ihssan, n’ont pas encore défini leurs positions quant à la question sociale et économique.

    Partant de ce constant, il est nécessaire de construire un socle commun entre gauchistes et islamistes permettant ainsi la défense des mêmes intérêts sociaux au sein de la lutte politique. 

    Féminisme et mouvements sociaux

    Une lutte visant à combattre la domination des uns sur les autres ne peut faire l’impasse sur la question féminine. Pan essentiel de toute action contestatrice globale, la remise en cause de la domination masculine, et du patriarcat qui en découle, doit être conçu au cœur d’un mouvement social cherchant à édifier un projet de société alternatif.

    Dans un mouvement double, le féminisme doit être constitutif de la lutte sociale, autant que la lutte sociale doit être constitutive du combat pour l’égalité des sexes.

    En replaçant la lutte sociale au centre du féminisme, il s’agit de rompre avec les mouvements politiques privilégiant le droit à la pratique. Considérant le profond ancrage des structures de la domination masculine dans l’habitus collectif, il serait dès lors illusoire d’espérer l’égalité de fait d’une simple modification de textes légaux, ou encore d’imaginer que ces derniers impulsent le changement des structures incorporées de la domination masculine.

    Ce type de revendications féministes, fondées sur une approche culturaliste, ont ainsi largement été reprises dans « le nouvel esprit du capitalisme »20 et contribuent ainsi à la légitimation du néolibéralisme. Ce dernier, créant pourtant de nouvelles inégalités de fait —notamment en régénérant une division sexuée de la vie sociale —, a ainsi fondé une partie de son discours sur la reprise des grandes critiques soulevées par les mouvements féministes de la seconde vague, notamment à l’endroit du capitalisme d’Etat, identifié à raison, comme modèle essentiellement patriarcal21.

    De la même manière, en concevant la question féminine au cœur de la lutte sociale, nous refusons de la considérer comme une simple revendication touchant une catégorie spécifique, aussi large soit elle. Bien au contraire, nous considérons que, tant les femmes que les hommes, à des échelles évidemment extrêmement différentes, sont sujets de la domination masculine et du modèle sociétal patriarcal.

    Dès lors, à la suite de Pierre Bourdieu, nous considérons que « seule une action politique prenant en compte réellement tous les effets de domination qui s’exercent à travers la complicité objective entre les structures incorporées (tant chez les femmes que chez les hommes) et les structures des grandes institutions où s’accomplit et se reproduit non seulement l’ordre masculin, mais aussi tout l’ordre social, […], pourra contribuer au dépérissement progressif de la domination masculine. »22

    Articuler les dimensions locale, nationale et transnationale

    La survenue en 2011 de soulèvements populaires autour du globe, n’est pas le fruit du hasard.

    En effet, le déploiement global du néolibéralisme est un fait et appelle donc la combinaison de plusieurs échelles de luttes.

    Au Maroc, le capitalisme transnational trouve dans l’Etat un allié naturel favorable aux politiques de privatisation, aux coupes budgétaires et aux exigences des instances internationales et des Etats dominants à l’échelle globale.

    Dans ce cadre, la diffusion hégémonique de l’idéologie du Marché par les centres de décision majeurs — grands Etats, instances internationales, grandes multinationales... — recourt à toutes les armes possibles en vue d’obtenir « l’ouverture » des sociétés au modèle économique dominant se présentant comme « l’unique voie » possible. Le monde arabe est ainsi un exemple type de l’activation de la guerre destructrice et du spectre de l’identitarisme pour tuer dans l’oeuf toute résistance contre les gouvernements autoritaires et contre la pénétration du néolibéralisme sauvage.

    Par ailleurs, l’interdépendance des Etats, les flux migratoires, la gestion de la question climatique, qui elle ne connaît pas de frontières, exigent l’inscription de nos mouvements sociaux dans un cadre de lutte globale post-national.  

    Pourtant, partout dans le monde, des populations se mobilisent contre l’homogénéisation des économies appuyée sur des bureaucraties néolibérales.

    Contre la marchandisation de tous les secteurs de la vie qui menace l’humain, contre la montée de l’individualisme et la rupture du lien social, contre l’amalgame entre salariat et subsistance, contre l’ostracisation des individus condamnés à la pauvreté et au chômage etc. il ne peut y avoir qu’une solidarité internationale des luttes, seule à même de contrer les forces hégémoniques en œuvre sur l’ensemble de la planète.

    Remettre au centre du débat la question de la justice sociale, de la domination des uns sur les autres, de la marginalisation de la majorité des marocains au nom des intérêts de quelques uns, voici l’essentiel du combat aujourd’hui.

    Construire une critique radicale tout en étant de son temps politique, tel est le défi de ceux qui souhaitent penser le changement au Maroc.

    Ne pas tomber dans le piège de la séparation entre un champ politique vidé de son sens et une société civile fonctionnant par projets, voilà la condition sine qua none d’une alternative de société.

    Eviter les fausses oppositions, ne pas s’engager dans les combats vides de sens, ne pas céder à la ruse de l’histoire, et construire ainsi un Autre Maroc

    Ce texte a précédemment été publié sur le site de l'association Autre Maroc.

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    Image en bandeau via AutreMaroc.org.

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  • Meurtre du militant anticolonialiste Henri Curiel à Paris en 1978 (El Watan)

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    L’assassinat politique revendiqué 37 ans après

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    Le mystère est enfin levé sur la mort d’Henri Curiel. L’assassinat du militant anticolonialiste et défenseur de l’indépendance de l’Algérie vient d’être revendiqué, 37 ans après.

    L’homme a été tué le 4 mai 1978 par des membres d’une organisation d’extrême droite proche des «Services» français. C’est ce que révèle un membre de l’organisation Action française, en l’occurrence René Resciniti de Says, dans un livre posthume intitulé Le Roman vrai d’un fasciste français.

    Décédé en 2012, René Resciniti de Says avoue avoir pris part aux assassinats du militant d’extrême gauche Pierre Goldman, et d’Henri Curiel, alors que du côté officiel français, le dossier est officiellement classé. Henri Curiel avait été abattu par deux inconnus, de plusieurs balles à bout portant, dans l’ascenseur de l’immeuble où il habitait, à Paris. Né le 13 septembre 1914 au Caire (Egypte) dans une famille aisée, originaire d’Italie, dont le père était banquier.

    Henri Curiel, un fervent anticolonialiste, a passé sa vie à militer en faveur des mouvements de libération nationale, notamment en Afrique. Dès 1956, il s’est consacré à l’indépendance de l’Algérie en créant le Mouvement anticolonialiste français, mais surtout en développant l’action clandestine au sein du Réseau Jeanson des «porteurs de valises» pour un soutien logistique aux militants de la cause nationale. Il s’était investi à fond dans son action et avait mis à la disposition des moudjahidine du Front de libération nationale (FLN) en France toute l’étendue de son savoir-faire en matière de militantisme.

    Et quand le Réseau Jeanson avait été ébranlé par plusieurs arrestations, en 1960, Henri Curiel avait pris la relève des réseaux de «porteurs de valises» et a mis en place un réseau similaire qui portait son nom. Dans Le Roman vrai d’un fasciste français, Resciniti de Says a confié à un journaliste, Christian Rol, à qui il avait raconté pourquoi et comment il a assassiné Curiel, que le feu vert pour le meurtre lui aurait été donné par Pierre Debizet, le patron du Service d’action civique (SAC), la milice du parti gaulliste.

    R. N le 10.05.15 | 10h00

    Commentaire: Wabnitz Oscar   le 10.05.15 | 20h36

    il manque une info !

    Henri Curiel est un fils de banquier et issu d'une famille juive francophone de nationalité italienne établie en Égypte. Il fait ses études dans des établissements français du Caire, comme de « nombreux jeunes gens d'Europe, il lit André Malraux, Paul Nizan, le Gide des allers-retours, et rôde autour du marxisme2. » Il fait en général un voyage tous les ans en France, mais c'est son frère Raoul qui est désigné pour aller y faire des études supérieures. Son père le retient pour travailler avec lui à la banque et ainsi lui succéder un jour. Cela n'est pas du tout à son goût, mais comment se révolter contre un père totalement aveugle depuis de nombreuses années2 ? Il prit la nationalité égyptienne lors de l'abolition des capitulations (en), malgré le fait qu'il ne parlait pas la langue arabe, et qu'il ne l'a d'ailleurs jamais parlée couramment.
    Il faut dire la vérité, ce qui permettra aux incultes de ce pays d'éviter les amalgames et être justes quand aux hommes et femmes qui ont aidé ce pays pour la recherche de son indépendance!
    Y-A_t'il une rue, une place, une école; un coin qui porte le nom de ce monsieur porteur des valises du FLN avant 1962 ?

    http://www.elwatan.com/actualite/l-assassinat-politique-revendique-37-ans-apres-10-05-2015-294386_109.php

    Lire aussi le Quotidien d'oran:

    http://www.algeria-watch.org/fr/article/pol/france/assassinat_curiel_revendique.htm

  • Yarmouk : ce que les médias ne vous disent pas ! (Info-Palestine)

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    La couverture de la crise dans le camp de Yarmouk en Syrie ignore le contexte historique plus large des réfugiés palestiniens, explique Tom Charles.

    Ban Ki-Moon a récemment décrit les conditions de vie à l’intérieur du camp de Yarmouk en Syrie comme étant celles « du cercle le plus profond de l’enfer ».

    Les commentaires du secrétaire général des Nations Unies ont été illustrées par une masse de rapports, publiés sur al-Araby Al-Jadeed, des horreurs subies par les habitants palestiniens du camp.

    Leur souffrance a commencé en 2012 avec le siège des forces de Bachar al-Assad, et le mois dernier le camp a été envahi par le groupe de l’État islamique (EI).

    Les scènes à l’intérieur du camp ont été choquantes.

    Toutefois, cela ne devrait pas être une surprise étant donné l’histoire des réfugiés palestiniens. Leur sort a été dangereusement absent des pourparlers de paix au Moyen-Orient, des médias occidentaux et du débat politique occidental.

    Les réfugiés palestiniens ne sont pas représentés par un organisme politique ayant un poids quelconque. En conséquence, ils restent des victimes et les gouvernements occidentaux subissent peu de pression pour régler leurs problèmes. Les gouvernements successifs du Royaume-Uni - lequel a une dette historique envers les réfugiés palestiniens - ont tous failli.

    Avant cette dernière tragédie, peu de gens au Royaume-Uni avaient entendu parler de Yarmouk, ou de la situation à laquelle ses habitants sont confrontés.

    Peut-être que certains pourraient avoir pensé : « Pourquoi ces gens ne rentrent-ils pas en Palestine ? »

    La vérité est la suivante : les gens de Yarmouk ont ​​été expulsés par Israël, qui a depuis nié leur droit au retour dans leur foyer ancestral.

    Les nouvelles des médias au Royaume-Uni ont omis de donner à Yarmouk tout contexte historique.

    Il y avait peu de mentions de la Résolution 194 des Nations Unies, qui garantit le droit au retour en Israël/Palestine à tous les Palestiniens réfugiés, et pas seulement à ceux de Yarmouk.

    J’ai trouvé un appel important pour qu’Israël intervienne : dans un article de Oudeh Besharat, dans Haaretz, le journal israélien, Besharat déplorait le fait qu ’« aucune question morale ne soit soulevée concernant le rôle d’Israël dans la création des camps de la mort ».

    Il a raison ; au Royaume-Uni, la condamnation des crimes commis contre les réfugiés palestiniens est une chose, fournir aux gens une idée de la solution en est un autre.

    Deux choses sont évidentes mais rarement exposées dans les médias traditionnels : une solution juste et légale au Moyen-Orient est uniquement possible via une solution à la crise des réfugiés palestiniens, qui ne peut intervenir que par la mise en œuvre du droit au retour. Et plus tardera sa mise en œuvre, plus s’approfondira la tragédie pour les Palestiniens.

    La politique consistant à faire la charité aux Palestiniens est, au mieux, un pansement sur une plaie béante, tout en maintenant la position des Palestiniens comme victimes. Mais c’est cela la politique du Royaume-Uni : la destruction de la vie palestinienne est traitée par les agences de réfugiés sous-financées et les dons de bienfaisance. Depuis Yarmouk occupée par l’EI, et dans toute la région, la situation des Palestiniens reste atrocement précaire.

    Dans toutes les situations dans tous les pays du Moyen-Orient, il est impossible de montrer un seul endroit où les réfugiés palestiniens apparaissent comme les gagnants. En Irak, en Égypte, en Libye, au Koweït, en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Israël, à Gaza et en Cisjordanie, il existe largement et suffisamment d’exemples historiques montrant qu’ils seront à nouveau les victimes de tout bouleversement, conflit ou changement de régime.

    Le Royaume-Uni et la politique occidentale continuent de soutenir le refus israélien du droit de retour. Des rapports sérieux et contextualisés des événements par nos médias sont une condition préalable pour que le public soit informé sur ce qui se passe dans cette région. Et une fois suffisamment informé, il devrait être en mesure d’exiger de son gouvernement qu’il agisse.

    dimanche 10 mai 2015 - 18h:24 Tom Charles

    http://www.info-palestine.net/spip.php?article15361

  • Nouveautés sur Lutte Ouvrière

     

    Sétif

    Note: Poster iranien et non arabe: "Travailleurs du monde entier, unissez-vous"!

  • Nouveautés sur Agence Médias Palestine

     
    Un classique du début du cinéma de la résistance palestinienne ressurgit

    Un classique du début du cinéma de la résistance palestinienne ressurgit

    Sarah Irving – 1er mai 2015 VIDEO: https://www.youtube.com/watch?v=2WZ_7Z6vbsg En 2003, une jeune artiste palestinienne, Annemarie Jacir, avait passé des années à essayer de retrouver un groupe de cinéastes de la résistance qui, dans les années 1970 et au début des années 1980, avaient consacré leurs talents à la lutte de leur peuple. Finalement, lors du...
     
     
     
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    BDS MARSEILLE, Les Femmes en Noir, GP, Palestine13, UDCGT13, UJFP Marseille vous attendent le jeudi 14 mai dès 15h30 au Théâtre Toursky, Salle Léo Ferré pour commémorer la NAQBA et célébrer 67 ans de résistance du peuple palestinien ! Conférences, Cinéma, Musique, Chants, Contes, tables de presse bar et buffet Théâtre Toursky 16 Promenade Léo...
     
     
     
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    La violence sioniste a frappé le premier mai La LDJ est interdite aux Etats-Unis et en Israël pour racisme et terrorisme, mais libre d’activité en France. Vendredi 1er mai 2015, au niveau de l’avenue Voltaire, un groupe d’une quinzaine d’individus, dont une partie a été clairement identifiée comme membres du Betar et de la LDJ,...
     
     
     
     
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    Transporter son drapeau : Une photo publiée par l’armée israélienne montrant son personnel préparant son déploiement au Népal.(twitter) Par Ali Abunimah, 27 avril 2015 Le directeur de Human Rights Watch a critiqué Israël pour sa mise en scène de l’aide d’urgence qu’il apporte au Népal dévasté par un tremblement de terre alors qu’il continue à...

  • Il n’y aura pas de Simón Bolívar pour le monde arabe (Info Palestine)

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    Des Palestiniens se réunissent en hommage au défunt Président vénézuélien Hugo Chavez dans la Ville de Gaza le 7 mars 2013 - Photo : AFP

    La gauche arabe aurait survécu si elle s’était affirmée sur de solides plateformes sociales, mais les regrets du passé ne suffiront pas à raviver la marée socialiste dans le monde arabe, écrit Ramzy Baroud.

    Un groupe d’étudiants m’a récemment demandé de parler du socialisme dans le monde arabe. Ceci avec l’hypothèse de départ qu’il y a en effet un tel mouvement capable dans cette région de refondre des régimes par nature incompétents et totalement corrompus. Mais aujourd’hui un tel mouvement ou un ensemble d’organisations socialistes, n’existent que sur le papier.

    Je me souviens d’une intervention que j’avais faite à Londres peu après que le Hamas ait été assiégé à Gaza en 2007.

    « Le Hamas est le plus grand et le plus efficace mouvement socialiste en Palestine », ai-je dit à la surprise de certains et avec le visible assentiment d’autres. Je ne me référais pas à l’adhésion du Hamas à la théorie marxiste, mais plutôt au fait que c’était le seul mouvement politique et populaire qui par certains côtés avait réussi à diminuer la fracture entre les diverses classes sociales et économiques en les réunissant sur un programme politique radical.

    Par ailleurs, c’était un mouvement en grande partie composé de fellahins (paysans) et de travailleurs de Palestine en majorité issus des camps de réfugiés. Si on les compare aux mouvements « socialistes » isolés, élitistes et en grande partie issus des milieux urbains en Palestine, la grande masse des islamistes dans les territoires occupés est aussi socialiste qu’un mouvement peut l’être – du moins dans ces circonstances.

    Mais que devais-je dire à ce groupe d’étudiants, fait de jeunes et enthousiastes socialistes désireux d’assister à la montée en force du prolétariat ?

    Un point de départ serait qu’il y a une différence entre le socialisme occidental et le « le socialisme arabe », qui est une expression inventée par les nationalistes arabes au début des années 50.

    Une fusion entre les mouvements nationalistes et socialistes avait commencé à prendre forme, abou- tissant à la formation des partis Baas en Syrie et en Irak. L’idée était à l’origine portée par Salah al-Din al-Bitar et Michel Aflaq, fondateurs du parti Baas.

    Beaucoup de nationalistes arabes étaient réticents à l’égard du socialisme dans sa version occidentale. Non seulement était-il intellectuellement à l’écart des contextes culturels et socio-économiques des peuples arabes, mais il était aussi peu ouvert sinon totalement chauvin. Beaucoup de socialistes occi- dentaux ont idéalisé la création et la signification d’Israël, une implantation coloniale qui réunit depuis plusieurs décennies les forces coloniales et néo-coloniales dans leur opposition aux aspirations arabes.

    Mais le nationalisme arabe a également échoué, n’offrant aucune alternative assez puissante et ne proposant en pratique aucun changement sérieux de paradigme. Hormis quelques réformes agraires en Egypte après la révolte de 1952 contre le pouvoir royal - entre d’autres initiatives - le socialisme arabe n’a jamais pu s’extraire des idéaux sonnant bien ni des influences extérieures qui s’acharnaient à contrôler, influencer ou écraser ces mouvements.

    Plus tard, cet échec est devenu bien plus marqué alors que l’influence de l’Union Sovié- tique commençait à s’affaiblir vers la fin des années 1980, jusqu’à son effondrement complet au début des années 90. Les socialistes arabes, qu’il s’agisse des gouvernements qui adoptèrent ce slogan ou d’organisations qui gravitaient autour des objectifs soviétiques, dépendaient trop de ces relations. Les Soviétiques se retirant de la scène, ils leur fut difficile de survivre à la domination de plus en plus pesante des Etats-Unis.

    Cependant, cet échec n’était pas simplement le résultat de la disparition du bloc socialiste et de la refonte de la géopolitique régionale, mais il était également lié au fait que les pays du Moyen-Orient - sous l’influence ou en raison de la pression des hégémonies occidentales – vivaient une remise en cause. C’était la période de la montée en force de l’alternative islamique. C’était pour une part une réelle tentative de galvaniser les ressources intellectuelles de la région elle-même, et aussi dépendant de financements venant des riches pays arabes du Golfe et qui avaient pour fonction de garder sous contrôle cette vague islamique.

    C’était l’époque où le nouveau slogan : « l’islam est la solution », devint dominant et s’imposa dans la psyché collectif de divers groupes intellectuels arabes musulmans dans l’ensemble du Moyen-Orient et au-delà, car il semblait une tentative de se rattacher aux propres références historiques et culturelles de la région. L’argument général était : le modèle américano-occidental comme le modèle soviétique ont échoué ou échouent en même temps que les régimes à leur botte, et il y a un besoin urgent d’une alternative.

    Le socialisme arabe aurait pu survivre s’il s’était en effet appuyé sur des plateformes sociales fortes, relayées et soutenues par de larges mouvements populaires. Mais cela n’a pas été le cas.

    D’une façon générale, il y avait une présence intellectuelle relativement forte de la gauche dans le monde arabe. Mais la gauche intellectuelle n’a jamais réellement franchi le pas du monde des théories et des idées - qui était l’apanage des classes instruites – vers le monde du travail ou avec les paysans et les hommes et femmes de la rue. Sans mobilisation des travailleurs, des paysans, et des masses opprimées, la gauche arabe avait peu à proposer excepté une rhétorique en grande partie exempte d’expérience pratique.

    Il y avait naturellement des exceptions dans chaque pays arabe.

    Les premiers mouvements socialistes en Palestine avaient une forte présence dans les camps de réfugiés. Ils étaient des pionniers dans toutes les formes de résistance populaire, une situation qui peut être expliquée par le caractère unique de la situation palestinienne et qui était assez contraire à la tendance plus générale dans la région.

    Une chose importante à noter est que l’oppression tend à unir les groupes opprimés, aussi insurmontables que paraissent être leurs différences idéologiques. Du fait de cette oppression commune entre l’islam politique et la gauche radicale, il y avait un certain degré d’affinité entre les militants des deux groupes alors qu’ils partageaient les cellules de prison, étaient côte à côte torturés et humiliés.

    Le tournant, cependant, pourrait bien être le début des années 1990 quand l’Union Soviétique s’est effondrée. Cela a ouvert un large espace politique tandis que l’argent du pétrole continuait à affluer. Beaucoup d’universités islamiques ont vu le jour partout dans le monde, et des dizaines de milliers d’étudiants à travers le Moyen-Orient ont bénéficié d’une formation supérieure dans divers domaines, depuis la charia islamique jusqu’à l’ingénierie.

    Regardez le mouvement du Hamas à Gaza. Plusieurs de ses dirigeants et membres sont éduqués dans des domaines comme l’ingénierie et la médecine, et ce trait est commun à beaucoup de partisans des groupes islamiques en Palestine, en Egypte, au Maroc et ailleurs. Ainsi l’hégémonie dans l’éducation et l’articulation des discours politiques n’était plus aux mains des élites politiques ou intellectuelles. Et d’autre part, un programme politique faisant références aux idéaux islamiques était né.

    Avec le temps, les socialistes ont été confrontés à des choix difficiles : ou vivre aux marges de la société - imaginez un intellectuel communiste non-conformiste et stéréotypé dans un café au Caire théorisant sur tout - ou rejoindre les ONGs et les institutions officielles ou semi-officielles afin de rester financièrement à flot ou dans le coup. Ceux qui ont opté pour ce dernier choix ont dû faire des compromis dans la mesure où certains d’entre eux sont maintenant des porte-parole pour les régimes mêmes qu’ils ont par le passé combattus.

    Par conséquent, le pouvoir politique des socialistes en tant que groupe a considérablement diminué tout au long des années. Étant plus institutionnalisés, ils se sont encore plus éloignés des masses au nom desquelles ils ont pourtant continué à s’exprimer. En Egypte, il est difficile d’y trouver une seule organisation de gauche qui soit puissante et active. Il y a des « gauchistes » mais leur rôle se limite à tenter d’agiter le paysage politique actuel.

    Le rêve à lui seul ne fera pas revivre une vague socialiste dans le monde arabe. Il y a peu de signes que le déclin soit prochainement inversé, ou qu’une interprétation locale du socialisme - pensez au mouvement considérablement réussi du bolivarisme en Amérique Latine – puisse rapprocher des objectifs nationalistes et des idéaux socialistes dans un mélange qui puisse fonctionner.

    Mais le Moyen-Orient vit son plus grand bouleversement politique et social de ces cent dernières années. De nouvelles variables s’ajoutent régulièrement à l’équation multiforme. Tandis que le présent demeure sinistre, l’avenir semble porter en gestation de grandes possibilités.

    * Ramzy Baroud est doctorant à l’université d’Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

    http://www.info-palestine.net/spip.php?article15345

  • Les leçons des élections universitaires à Birzeit (Info Palestine)

    Lors des précédentes élections...

    La pratique des sondages n’est pas aussi prégnante au Moyen-Orient qu’elle l’est en occident mais il n’y a pas vraiment d’autres moyens de mesurer l’humeur publique, comme en Palestine à l’occasion les élections d’université.

    Cette semaine les candidats du bloc pro-Hamas « Wafa » ont largement remporté les scrutins à l’Université de Birzeit, d’une façon qui rappelle les élections parlementaires de 2006 que le Hamas avait gagnées haut la main à travers les territoires palestiniens sous occupation.

    La grande question est maintenant de savoir si l’ex-président de l’AP, Mahmoud Abbas, organisera les élections présidentielles et au Conseil législatif comme il l’avait promis il y a déjà un moment.

    En dépit d’une campagne cynique par l’Autorité palestinienne de harcèlement et de détention de ses partisans parmi les étudiants, le bloc du Hamas a gagné 26 sièges dans le conseil des étudiants tandis que le Fatah d’Abbas en remportait 19.

    Les élections à l’Université de Birzeit ont eu lieu quelques jours après celles de l’Université Palestine de Hébron (enseignements techniques), où le Hamas et le Fatah ont emporté 15 sièges chacun et le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) un seul. Ce résultat a été le révélateur d’une évolution significative dans un environnement où les groupes affiliés au Fatah avaient toujours remporté les élections étudiantes ces dernières années.

    Birzeit, à la différence de l’Université Islamique à Gaza est, peut-être l’endroit le moins probable où pouvoir assister à une victoire retentissante du Hamas, parce que cette université n’a jamais eu une administration qui pourrait être qualifié d’islamiste. Au contraire, cette université était traditionnellement plutôt alignée sur le Fatah et l’autorité de Ramallah. Ce qui s’est produit est donc une grave préoc- cupation pour l’ex-président Abbas ; si le Hamas peut gagner dans cette enclave réputée « sûre », qu’est-ce qui empêchera alors le mouvement d’emporter des élections nationales ?

    A un autre niveau, ces résultats ont également mis en exergue l’échec de l’occupation israélienne.

    Bien que le blocus de la Bande de Gaza avait pour objectif d’inciter à la colère et à l’hostilité populaires envers le Hamas, ceci ne s’est pas produit. Le soutien au mouvement est demeuré fort et en réalité se développe, même dans les endroits les plus improbables. Birzeit est non seulement la plus grande université palestinienne en Cisjordanie mais également une forteresse historique du nationalisme palestinien et du militantisme politique.

    En effet le résultat peut être interprété comme un message à Abbas que non seulement son attitude lors la dernière offensive israélienne sur Gaza était complètement inacceptable, mais aussi que son attitude actuelle concernant la reconstruction de l’enclave assiégée comme sa manipulation du processus de réconciliation laisse à beaucoup à désirer. L’incapacité de son gouvernement d’unité nationale à résoudre d’une manière satisfaisante la question des salaires des travailleurs du secteur public, par exemple, demeure une grave et dommageable pomme de discorde.

    Quant au Fatah et au Hamas, leurs réactions au scrutin de l’Université de Birzeit ont ont été très différentes. Jamal Nazal, un membre du conseil révolutionnaire et porte-parole de Fatah en Europe, a prétendu que les votes des étudiants ne reflétaient d’aucune manière l’opinion ou l’humeur de la rue palestinienne.

    Naturellement, il ne dirait pas cela s’il avait gagné la partie. Il aurait sonné de la trompette tous-azimuts pour annoncer que c’était une approbation d’Abbas et de son Autorité, et un signe annonciateur de grandes choses à venir. Le Fatah, peut-être, aurait alors même osé organiser un scrutin les élections présidentielles et parlementaires tellement en retard.

    Le Hamas, d’autre part, a interprété la victoire comme une approbation de sa politique.

    Ezzet Rishq, un membre du bureau politique, a indiqué que la victoire envoyait un message important selon quoi le Hamas est maintenant clairement le mouvement à l’avant-garde des Palestiniens, que son programme de résistance correspond au souhait populaire. Il a ajouté que les résultats reflètent un rejet de la décision du Fatah de poursuivre de futiles négociations comme la coordination répressive avec les forces israéliennes d’occupation.

    Les autres parties qui ont leur mot à dire dans les élections palestiniennes sont les Israéliens, les Américains et les Européens qui commanditent l’AP. Feront-elles la même erreur qu’en 2006 lorsqu’elles ont poussé Abbas à organiser des élections ?

    D’après l’expérience antérieure, elles ne le feront que si elles peuvent garantir une victoire du Fatah et c’est donc très improbable.

    Après avoir soutenu le coup de force en Égypte et trahi la volonté démocratique des peuples de la région qui ont voté pour les partis islamistes, l’Occident ne risquera sûrement pas une autre défaite humiliante en Palestine. Pour le Hamas le seul avantage possible qu’il peut tirer de ces résultats est la réaffirmation du soutien populaire à son programme de résistance. Le fait est, cependant, que le mouvement ne sera pas en condition de pouvoir gouverner même si encore une fois, il emportait démocratiquement la majorité lors d’élections.

    Quelque soit la façon dont on interprète les résultats, ceux de l’Université de Birzeit sont significatifs.

    L’université en tant qu’établissement public est une représentation de la société palestinienne. Malgré toutes les tentatives de diaboliser et marginaliser le Hamas, ce dernier reste incontestablement une force populaire avec laquelle il faut compter en Palestine.

    Néanmoins, à ce moment sensible dans l’histoire du conflit, la victoire doit être considérée dans son bon contexte.

    Khaled Meshaal a eu raison de préciser que ce n’était pas une victoire pour le Hamas en soi mais une victoire pour l’ensemble du peuple de Palestine parce qu’il consolide l’émergence d’un processus politique basé sur la participation et l’unité. C’est une leçon que Mahmoud Abbas devrait assimiler, même si c’est la seule.

     

    * Dr Daud Abdallah est directeur du Middle East Monitor

    Vendredi 1er mai 2015 - 00h:09 Saud Abdallah

    Du même auteur :

    - Au fil des boycotts, Israël perd ses alliés - 4 janvier 2014

     

    24 avril 2015 - The Middle East Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
    https://www.middleeastmonitor.com/r...
    Traduction : Info-Palestine.eu

    http://www.info-palestine.net/spip.php?article15350

    Jaune: Fatah, Rouge: la gauche (FPLP, FDLP, PC) , Noir (Djihad Islamque), Vert (Hamas) (Orange, sur l'autre photo, Docteur Bargouti gauche ex-Pc)

    Commentaire: En Syrie, dans le camp de Yarmouk, le Hamas combat Bachar El Hassad et le Daech, tandis que l'OLP (Fatah et FPLP) se disent "neutres".

  • Irak, Syrie… – La contre-révolution et l’organisation de « l’Etat islamique » (ESSF)

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    Depuis juin dernier, le monde, à en croire les grands médias ou les dirigeants des principaux pays impérialistes, serait exposé à un danger inédit et imminent, n’affectant pas seulement la sécurité des pays de la région arabe, mais qui s’en prendrait à la « paix mondiale » et la « Sûreté nationale » des pays impérialistes de l’est et de l’ouest, avec à leur tête les Etats-Unis, à un point tel que le Conseil de Sécurité a adopté une résolution le 15 août 2014 (n°2170), en vertu du chapître 7 qui autorise le recours à la force contre l’organisation de l’Etat islamique et le Front Al-Nosra, que la résolution caractérise comme terroristes. La résolution prévoit des sanctions contre quiconque les soutiendra ou les aidera. Cette alerte du danger de l’organisation de « l’Etat islamique » intervient après que cette dernière eut mis en place l’Etat du califat islamique le 3 juillet de l’année passée.

    L’Irak, un pays dévasté

    L’Irak a subi un régime dictatorial et sanguinaire, à l’ombre du Baath depuis 1968, dirigé par Ahmad Hassan Albakr, puis Saddam Hussein. Ce pouvoir qui a été aux commandes d’un pays riche en ressources naturelles, particulièrement pétrolières, a écrasé le mouvement ouvrier et communiste, l’un des plus actifs et massifs dans la région ; il a tout fait aussi pour écraser le mouvement de libération nationale kurde, par des moyens brutaux, comme le recours aux armes chimiques contre des civils à Halabja.

    Le parti Baath au pouvoir dans le passé en Irak, se distingue, en dépit d’une ressemblance en matière de sauvagerie, de son parti frère et rival en Syrie, sous Assad le père, puis son fils héritier, par le fait qu’il était plus chauvin que le second car c’est un parti dont la légitimité se réclame de l’idée du nationalisme arabe chauvin. Il n’a pas hésité à accuser la majorité « chiite » et les Kurdes, soit l’essentiel des masses paupérisées et populaires et le terreau essentiel du mouvement ouvrier et communiste, d’être d’origine « iranienne » ou Safavides, comme cela est courant dans le discours chauvin crétin, pour les premiers, et des agents d’Israël pour les seconds.

    Trois décennies de guerres, de destruction et de dévastation

    L’Irak en tant que pays vit effectivement un état de guerre depuis 1980, soit trois décennies, avec des effets désastreux pour la société irakienne sur tous les plans. Le régime bourgeois et dictatorial de Saddam Hussein a mené sa première guerre, soit la première guerre du Golfe, contre l’Iran en 1980, une guerre qui a duré huit ans, et a entraîné une destruction massive en Irak. Les pertes dans l’infrastructure irakienne à la suite de cette guerre sont évaluées à 200 à 350 millions de dollars.

    Deux ans après la fin de la guerre du régime baathiste irakien contre l’Iran, ce même régime a envahi le Koweït au début du mois d’août 1990, à la suite d’un différend sur les champs de pétrole et d’un changement des politiques saoudiennes et des pays du Golfe à son endroit, passant de l’alliance à l’endiguement. L’impérialisme américain a utilisé cette invasion comme prétexte pour réaffirmer son hégémonie, non seulement dans la région, mais aussi à l’échelle mondiale, d’autant plus que cela était concomitant de l’effondrement du bloc de l’est et de l’Union soviétique, pour déclencher début 1991 une guerre dévastatrice contre l’Irak et de détruire ses forces armées au Koweït, lors de ce que l’on a appelé la seconde guerre du Golfe. Cela a entraîné une destruction supplémentaire des infrastructures irakiennes, estimée à 232 milliards de dollars environ. La seconde guerre du Golfe a été suivie d’un blocus impérialiste assassin, et l’un des plus meurtriers, en Irak qui a duré jusqu’à l’invasion impérialiste de l’Irak en 2003, soit la troisième guerre du Golfe qui a détruit le reste du pays et de la société irakiennes. A elles seules, la première et la seconde guerre du Golfe avaient causé la mort d’un million et demi de civils et de militaires.

    Les pertes supportées ou qui vont être supportées par l’Irak en raison de ces guerres sont évaluées à un trillion (mille milliards) et 193 milliards de dollars. En d’autres termes, les richesses pétrolières de l’Irak ont été vendues par anticipation, pour les 85 années à venir. Mais l’impérialisme américain a été défait en Irak et contraint de se retirer en 2011, après une résistance acharnée des masses irakiennes de toutes sensibilités politiques. Avant son retrait, cet impérialisme a mis en place un régime politique faible et corrompu reposant sur les quotas confessionnels qui n’a fait qu’exacerber le caractère catastrophique de la situation et préjudiciable à la majorité écrasante des Irakiens. En plus de l’injustice sociale et politique à laquelle se sont heurtés des secteurs larges d’Irakiens en raison des mesures d’exclusion confessionnelle, les politiques de « éradication du Baath » ont contribué à exclure des centaines de milliers de fonctionnaires, les militaires irakiens de l’ancien régime, ce qui a exacerbé chez beaucoup de ces derniers une hostilité illimitée envers le régime mis en place par l’occupation américaine, pas toujours en tant que réponse politique organisée à ce confessionnalisme, mais sous la forme d’une réaction confessionnelle, ce que n’ont fait qu’exacerber les politiques confessionnelles et corrompues de Nouri Al Maliki.

    La fondation

    Il est notoire et répété dans la plupart des écrits que la formation initiale du futur « Daech », était « le groupe d’unification et de combat » fondé par le Jordanien Abou Mossab Al Zarkaoui (Ahmad Fadhel Al Khalaïla) en 2004, après l’invasion américaine de l’Irak, où ont afflué un grands nombre de jihadistes pour résister à cette invasion. Le nom du groupe est devenu, après qu’il eût prêté allégeance à Ben Laden « Al Qaïda du Jihad au pays de la Mésopotamie ». Mais à la suite de l’assassinat de Al Zerkaoui le 7 juin 2006, a été annoncée le 15 octobre de la même année la constitution de « l’Etat islamique d’Irak ». Le 19 avril 2010, Abou Omar Al Baghdadi et Abou Hamza Al Muhajer se sont succédés à la tête de l’organisation, jusqu’à ce que soit enfin nommé Abou Bakr Al Baghdadi (Ibrahim Awad Al Badri Al Samraï) chef et qu’il se soit désigné comme calife, par la suite.

    « L’Etat islamique d’Irak » fut l’une des plus importantes organisations de la scène irakienne, d’autant qu’elle avait attiré des dizaines d’officiers du régime de Saddam Hussein, des baathistes, surtout après la disparition d’autres forces militaires où étaient enrôlés ces officiers, comme les phalanges de la Révolution d’Achrin, l’Armée islamique, l’Armée de Mohammad, l’armée de la Confrérie Naqchabandie. Cette dernière a des origines baathistes mais avait adhéré aux thèses islamistes pour se rapprocher d’un milieu social sunnite qui n’a toujours pas trouvé d’expression politique moderne. Sans parler d’autres groupes armés opposés à l’occupation américaine et au régime politique mis en place sur la base de quotas confessionnels. D’une part, ces groupes se caractérisaient par une surenchère religieuse ou confessionnelle qui avait permis leur émergence, d’autre part, la destruction sociale et économique du pays, et la discrimination confessionnelle et politique dont étaient victimes les sunnites par le régime confessionnel ont entraîné des contestations face aux inégalités croissantes. L’un de ces officiers baathistes, qui ont joué un rôle important pour améliorer la situation organisationnelle, militaire et de renseignement de l’Etat islamique d’Irak, est le colonel de l’Etat Major Hajji Bakr (de son vrai nom Samir AlKhalifawi), sans parler d’autres personnages moins connus, comme le brigadier Abou Mohand Al Sweïdani, les colonels Abou Muslim Al Turkmeni, Abdurrahim Al Turkmeni et Ali Aswad Al Jabouri, le lieutenant colonel Abou Amor Al Naïmi, le lieutenant colonel Abou Ahmad Al Alwani ,le lieutenant colonel Abou Abdurrahmane Al Bilawi, le lieutenant colonel. Abou Aquil Moussoul et Abou Ali Al Anbari. Ils font partie de l’instance dirigeante de l’Etat islamique.

    Cette fusion entre officiers batistes – formés au sein d’une régime despotique et dogmatique basé sur un crédo nationaliste chauvin et d’un courant tekfiri empruntant le voie salafiste jihadiste, de l’organisation Al Qaïda, dans les circonstances précitées de l’Irak d’alors, a conféré à l’organisation de « l’Etat islamique d’Irak », dont le nom deviendra par la suite « Etat islamique en Irak et au Levant » (Daech), une spécificité qui le distingue des autres organisation jihadistes traditionnelles. Le combat pour elle consiste à fonder un Etat (le Califat), dans sa forme la plus réactionnaire et féroce, hic et nunc, sur terre, suivant une stratégie militaire, politique et médiatique claire, en écrasant tout ce qui est démocratique et progressiste dans la société.

    Quoi qu’il en soit, la direction de Daech est majoritairement irakienne. Les vingt commandants les plus importants dans l’organisation sont tous irakiens, à l’exception d’un Syrien.

    La constitution de Daech

    Le régime syrien a compris dès le départ le danger que ferait courir la poursuite des manifestations pacifiques de masse ; pour cette raison, il les a dépeintes dès le début comme terroristes et tekfiries, et a mené une politique de provocation confessionnelle par la diffusion en continu par les appareils sécuritaires, surtout pendant la première année de la révolution, de vidéos sur les réseaux sociaux, puisque c’étaient eux qui étaient le plus prisés par les militants de la révolution, des scènes de torture et de meurtre perpétrés par les forces du régime contre les manifestants avec brutalité et en mettant en avant le caractère confessionnels de ces actes vus dans ces films,. Il a mené cette politique avec force cynisme et ruse. De même le régime dans la seconde moitié de l’année 2011 et au début de l’année 2012 a libéré des centaines de jihadistes détenus dans ses prisons et qui avaient été arrêtés à leur retour d’Irak.

    Le noyau originel du Front Al-Nosra s’activait déjà en Irak au sein de « l’Etat islamique d’Irak ». Ce dernier les a envoyés dans la seconde moitié de 2011 en Syrie, pour y constituer une branche d’Al Qaïda ce qu’Al-Nosra a fait avec succès, dont le nom a commencé à émerger au début de l’année 2012 et qui a acquis de la notoriété et de l’influence en raison du courage de ses combattants, et leur discipline alors. A ses débuts il n’avait pas de projet d’édification d’un Etat islamique, du moins pas en public, sans parler de son armement de qualité qui surpassait celui des brigades de l’Armée libre, tout cela a poussé de jeunes Syriens à le rejoindre.

    Depuis avril 2013, à la suite de l’ordre d’Abou Bakr Al Baghdadi, chef de l’Etat islamique en Irak de fusionner Al-Nosra avec l’Etat Islamique en Irak pour former une seule organisation, il y a eu une divergence entre les deux branches de la même organisation d’Al Qaïda en Syrie, l’une refusant de rejoindre Daech et l’autre l’ayant rejointe. Si les deux puisaient à la même idéologie religieuse réactionnaire et terroriste, cependant la divergence entre les stratégies et les intérêts l’a emporté pour se transformer en affrontement armé. Pour paraphraser le philosophe italien Antonio Labriola : « Les idées ne tombent pas du ciel et rien ne vient par les rêves ».

    Dans le débat entre les deux parties, il est utile de faire remarquer l’influence de cette « fusion », précitée entre des nationalistes baathistes et un courant salafiste jihadiste au sein de Daech. Abou Mohammad Al Adnani a répondu le 20 juin 2013 à l’invitation d’Ayman Al Zahouahiri de dissoudre Daech et restituer à chaque organisation son nom et les limites de son action, à savoir l’Etat islamique en Irak, et Jabha Al-Nosra en Syrie, en disant que : « Si nous acceptons la décision de dissoudre l’Etat (Islamique), c’est une reconnaissance des frontières de Sykes Picot » Effectivement, l’une des actions symboliques de Daech – le symbolisme et l’utilisation des médias font partie de la stratégie de cette organisations – fut d’effacer une partie des frontières qui séparent l’Irak de la Syrie, et de diffuser ces images à une large échelle, au début du mois de juin 2014.

    Ce mélange de « nationalisme » et islamisme extrémiste chez Daech va au-delà des frontières de l’Irak et de la Syrie, pour faire appel à la mémoire de l’empire musulman et évoquer un passé révolu. Abou Bakr Al Baghdadi lui-même a affirmé le 30 juillet 2013 : « Nous renouvelons l’ère de la Oumma (nation musulmane), nous ne saurions vivre sans avoir libérer les captifs musulmans en tous lieux, repris Jérusalem, être revenus en Andalousie et nous allons conquérir Rome » lors d’un discours flattant les sentiments nationalistes et religieux et se présentant comme un adversaire de l’Etat sioniste et l’Occident, bien que de façon très réactionnaire.

    Dans son message il affirme le penchant de Daech pour le combat et la violence, y compris dans le domaine de la prédication. Il insiste sur le fait que « le combat est une partie de la prédication aussi, et nous allons traîner les gens enchaînés paradis ».

    Dans son discours, Adnani a centré sur l’importance de l’édification de « l’Etat islamique » même si les conditions n’en sont pas réunies. Il y a ajouté une autre spécificité de Daech par rapport aux autres organisations jihadistes. Il ne prend pas position par rapport aux autres parce que ces dernières auraient décidé d’embrasser le « vrai » islam, la foi et la pratique de la religion, mais il en exige l’allégeance à l’Etat qu’il a l’intention d’édifier : « l’Etat islamique », avant même la proclamation de l’Etat du Califat. Alors que Al Zaouahiri appelait les Frères musulmans d’Egypte « mes frères », Adnani quant à lui dit d’eux dans un message intitulé « Le pacifisme est la religion de qui ? » du 31 août 2013 : « les Frères (Musulmans) ne sont qu’un parti laïc avec une pèlerine islamique, ils sont les pires et les plus répugnants des laïcs ».

    Donc nous notons une sorte de rupture, idéologique et politique entre Daech et toute une série de forces islamistes aux positions réactionnaires diverses, dont les forces jihadistes qui ont précédé comme Al Qaïda et sa branche syrienne. Nous avons déjà parlé des origines matérielles de cette rupture qui n’est pas issue seulement de divergences d’interprétation religieuse, comme le disent certains opposants libéraux dans leur analyse « confessionnelle » du conflit. Karl Marx écrivait dans sa préface à l’Economie politique : « nous ne jugeons pas une période d’après sa conscience, c’est au contraire la conscience qui va être expliquée par les contradictions de la vie matérielle ». Daech s’en distingue en Syrie en se basant essentiellement sur des dirigeants et des combattants dont la majorité ne sont pas Syriens, alors que la majorité des combattants et des directions du Front Al-Nosra sont d’origine syrienne. C’est ce qui peut expliquer en partie leur prise en compte la spécificité de la situation syrienne, en comparaison avec l’organisation Daech dont la majorité des directions et une large part des ses combattants ne sont pas Syriens. Par ailleurs ils se disputent le contrôle et l’influence matérielle, des sources de richesses, comme les puits de pétrole et les points de passages frontaliers.

    L’occupation rapide par Daech de Mossul en Irak le 10 juin 2014, son extension aux zones kurdes et yézidies, les massacres hideux commis à l’encontre des militaires et des civils ont été le préliminaire à la proclamation par l’organisation de ce à quoi il avait appelé ouvertement, l’établissement de l’Etat du Califat, le 29 juin 2014 et l’allégeance prêtée au chef de l’organisation, Abou Bakr Al Baghdadi, comme Calife, permettant à Daech une présence se partageant entre l’Irak et la Syrie, soit sur un tiers de la surface des deux pays.

    L’influence des groupes islamistes extrémistes a progressivement prévalu sur la scène de l’action armée dans les régions « libérées », en raison de la faiblesse de l’organisation et de l’armement de l’Armée libre et de l’abandon par les pays du groupe des « Amis du peuple syrien » des promesses qu’ils avaient faites de l’armer – du reste, il n’en avaient jamais eu l’intention, mais ils leur avaient offert des armes légères qui ne pouvaient les prévenir de l’extermination. Dans le même temps les pays de la région comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, la Turquie, sans parler d’importants réseaux soutenant le jihad islamique, dans les pays du Golfe et autres, ont pourvu les groupes islamistes extrémistes en armes et argent de façon illimitée, ce qui leur a permis d’imposer leur hégémonie, devenue évidente fin 2014 dans la plupart des régions qui sortent du contrôle du régime.

    Le développement de Daech et des islamistes extrémistes en Syrie suppose une désintégration sociale

    Il faut remettre la domination de la contre révolution croissante, dans les zones « libérées » et plus particulièrement de l’organisation de l’Etat islamique, mais aussi d’Al-Nosra et de Ahrar Al Cham et autres groupes jihadistes hyper réactionnaires, dans son contexte temporel, soit au printemps 2013 et l’annonce ultérieure de la constitution de Daech, le 9 avril 2013. Il faut également la relier à la situation sociale globale des masses syriennes, dans les zones libérées. Ces masses avaient souffert d’une guerre sanglante menée par les forces du régime qui avait détruit les infrastructures sociales, les quartiers et les municipalités et toutes les composantes de la vie, civile et agricole, lors d’affrontements avec des forces sous armées, sous organisées, et populaires, dénommées « Armée libre ».

    Pour dépeindre ce dont souffrent les masses des régions libérées au début de l’année 2013, les conditions objectives l’expliquent dans une certaine mesure, en ce qu’elles ont permis la progression des forces islamistes jihadistes réactionnaires avec à leur tête Daech. Un rapport publié sous le titre « Réalités socio-économiques à la lumière de la révolution syrienne » du 24 novembre 2013, par le « Centre syrien de recherches et d’études », résume ainsi la situation dans les zones « libérées » en mars de la même année :

    « Dans le cas de la Syrie, les opérations militaires, les bombardements, les arrestations, les déplacements et les exodes de masse, ont affecté la situation humanitaire et économique des Syriens. En dépit du rôle croissant de la société civile, la crise a entraîné une détérioration des relations sociales et la propagation de l’extrémisme et du fanatisme. Elle a affecté négativement les valeurs et les normes sociales, en attisant des idées et des comportements de vengeance. Tout cela a causé une perte énorme de l’harmonie, de la solidarité sociale et des ressources humaines au niveau socioculturel, bien difficile à compenser. Cela a contribué à l’augmentation des gains illicites, par l’utilisation de la violence, ce qui renforce des facteurs du développement inversé. »

    Bien sûr, le chiffre a cru depuis lors, plus de la moitié des habitants de la Syrie sont pauvres, dont 6,7 millions sont passés sous le seuil de la pauvreté depuis le début de la révolution et au printemps 2013, environ 2,3 millions de fonctionnaires et de travailleurs avaient perdu leur poste et leur emploi, le chômage s’établissant aux alentours de 50%.

    En réponse aux interrogations sur le rôle des travailleurs-qui ont participé aux manifestations dès le début de la révolution, mais à titre personnel en général en raison de l’absence de structures syndicales indépendantes, ou de partis politiques et révolutionnaires, puisque la loi de la clique au pouvoir n’autorise que le parti Baath ou des partis satellites, comme le Parti communiste de Bagdach et ses diverses scissions, toutes caractérisées par le même opportunisme et leur trahison de la lutte de la classe ouvrière, l’activité dans les milieux ouvriers- ce rapport indique que : « plus de 85 000 travailleurs ont été licenciés pendant la première année de la révolution. La moitié des licenciements concernent les gouvernorats de Damas et ses banlieues. Et ce nombre n’inclue pas les gouvernorats de Homs, Hama et Idlib où, selon les chiffres officiels, 187 entreprises du secteur privé ont été complètement fermées lors de la période allant du 1er janvier 2011 au 28 février 2012. Il convient de noter que ces chiffres n’ont pas une grande crédibilité, car le nombre d’ateliers et d’usines fermée est de l’ordre de 5000, sans parler des commerces, des marchés qui ont été totalement pillés et détruits, à Homs, Alep, et autres gouvernorats. »

    Ajoutons le nombre de logements entièrement détruits qui s’élevait au début de l’année 2013 à un demi million, et autant de logements partiellement détruits. Cette situation tragique a conduit en 2013 un tiers des habitants de la Syrie, essentiellement des régions révoltées, à se transformer en réfugiés dans les pays voisins ou en déplacés d’une région à l’autre, plus sûre, à l’intérieur du pays. Evidemment en 2014 la moitié des habitants étaient soit des déplacés soit des réfugiés.

    Dans cette situation socio économique de dévastation totale, de désintégration sociale, de désertification humaine, Daech essentiellement, ainsi que les groupes islamiques réactionnaires jihadistes, ont pu se développer et être hégémoniques. L’autre condition de leur développement a été la marginalisation et l’écrasement de l’Armée libre, considérée pour l’essentiel comme la forme populaire de la résistance, face à la violence et la sauvagerie du pouvoir baathiste, et le produit de la révolution populaire. C’est ce qu’ont fait Daech et Al-Nosra, et leurs pairs jihadistes.

    Le développement de Daech et de la contre révolution suppose l’écrasement du mouvement populaire et démocratique

    L’exemple de la ville de Raqqa, qui est la première à s’être libérée des forces de la clique au pouvoir le 4 mars 2013, est sans doute central pour mettre à jour les pratiques de Daech face au mouvement populaire. Cette ville a connu une grande émulation culturelle, politique et populaire à la suite de sa libération et jusqu’à ce qu’elle tombe sous l’emprise de Daech. Un reportage de l’envoyé du Sunday Telegraph, Richard Spencer publié le 30 mars 2014 indique que : « la ville de Raqqa est sous la domination des opposants des groupes libéraux. La ville située au nord de la Syrie est le théâtre de nombreux cercles de discussion philosophiques et politiques, au point que l’un des groupes participait à la plantation des arbres et des plantes vertes pour protéger l’environnement, dans une serre au centre ville. Les activités ont démarré avec une intensité et une vitalité impressionnantes. Les activistes ont lancé plusieurs campagnes (« nos rues respirent la liberté », « notre drapeau », « notre pain »), une exposition de travaux manuels et artistiques, dont les revenus allaient aux familles des martyrs, une campagne (« Notre Raqqa est un paradis »), une initiative qui se déroule tous les vendredis pour nettoyer une artère de la ville. »

    La situation à Raqqa était emblématique de la majorité des villes et des régions « libérées » avant que Daech ne la reprenne. En dépit des pratiques de nombreuses autres brigades islamiques, ou non islamiques, violentes à l’encontre de tel ou tel militant, de l’arrestation d’un tel ou d’un tel, ou d’exécutions arbitraires, les pratiques de Daech se sont distinguées de celles de ses pairs, par leur totalitarisme violent contre toute activité indépendante ou démocratique, imposé par la violence et la force de son idéologie, par l’imposition de pratiques sociales réactionnaires à la population sous sa domination.

    La commission d’enquête des Nations Unies a publié un rapport intitulé « Le règne de la terreur : vivre sous l’Etat islamique en Syrie », le 14 novembre 2014 où il est indiqué que l’organisation Daech « a diffusé la peur en Syrie en perpétrant des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ». Elle a demandé que ses dirigeants soient poursuivis devant la Cour Pénale Internationale. Le rapport qui a recueilli les témoignages d’environ 300 victimes et témoins oculaires, dit que l’organisation Daech « vise à dominer tous les aspects de la vie des civils sous son contrôle, par la terreur, l’endoctrinement, et la fourniture de services à ceux qui lui obéissent. De même, il mène une politique de sanctions discriminatoires comme les taxes ou les conversions forcées, sur la base de l’identité ethnique ou religieuse, la destruction des lieux de culte et l’expulsion systématique des minorités ». le rapport ajoute que Daech a « décapité ou lapidé des hommes de femmes et d’enfants en place publique, dans les villes et les villages du nord-est de la Syrie » et « exposé les cadavres des victimes sur des croix pendant trois jours, planté les têtes sur les grilles des parcs, en guise d’avertissement à la population sur les conséquence du refus de se soumettre à l’autorité du groupe armé ». Le rapport révèle les viols commis à l’encontre des femmes, qui poussent les familles à marier précipitamment leurs filles mineures, de peur qu’elles ne soient mariées de force aux combattants de Daech. Il pratique également publiquement dans des scènes visant à effrayer les habitants, l’application des « peines légales », en coupant les mains des « voleurs » ou la flagellation ou la crucifixion.

    Le rapport de cette commission révèle que cette organisation barbare, dont les étrangers sont la majorité des combattants, donne la priorité aux « enfants comme supports d’une loyauté à long terme, d’une adhésion idéologique, et comme un groupe de combattants dévoués qui considèrent la violence comme un mode de vie ».

     L’Etat « daechiste » … nous traînons les gens au paradis enchaînés

    A la différence des autres groupes salafistes jihadistes, Daech a un projet de construction d’un Etat et d’une société de type particulier, maintenant et pas dans le futur, par la force des armes et la violence. Après que cette organisation eût affronté l’Armée libre et les groupes jihadistes concurrents, afin d’étendre ses zones d’influence et son « Etat », il s’est occupé de garantir ses sources de financement, plus précisément les points de passage et les puits de pétrole. Il pratique une sauvagerie intense contre les tribus chaîtat à Dir Ez Zor, il en a tué des centaines et contraint à l’errance des milliers d’entre eux, pour faire main basse sur deux champs pétroliers en juillet 2014, l’un d’eux est le champ d’Al Amor, le plus grand champ de pétrole et de gaz de Dir Ez Zor. Le site de Middle East Online révèle dans un reportage du 13 août 2014 que Daech contrôle 50 puits de pétrole en Syrie et 20 puits de pétrole en Irak. Si leur nombre a quelque peu diminué avec le retour des forces gouvernementales irakiennes, dans le dernier mois de 2014, les recettes pétrolières quotidiennes de Daech sont estimées à trois millions de dollars. Il perçoit les impôts plus particulièrement auprès des commerçants, estimés à 60 millions de dollars par tête et par mois, Il exige des rançons pour les otages, vend des pièces archéologiques volées et est financé par ses sympathisants dans les pays du golfe et en Europe.

    En sus de l’utilisation de la violence et de la terreur, il utilise d’autres moyens pour gagner la faveur des habitants. Ainsi, après ses massacres commis contre les tribus Chaïtats à Dir Ez Zor, il a distribué le gaz, l’électricité, le carburant et la nourriture, pour obtenir le soutien des habitants sur place et parce que ces régions sont très pauvres. Après qu’il eût mis fin aux vols et puni les « voleurs », il a pu gagner un peu de soutien dans les milieux marginalisés et pauvres. Il a notamment commencé à payer des salaires « très faibles » aux chômeurs, et des salaires de 300 dollars à ses combattants, auxquels qui il assure un logement et la couverture des besoins élémentaires, tandis que la population vit dans des conditions très difficiles. Il est devenu ainsi attractif pour ces groupes socialement marginalisés dont les intérêts de classe n’ont pas trouvé de représentation politique adéquate.

    L’organisation Daech gère et intervient dans tous les détails de la vie quotidienne des gens dans sa capitale de Raqqa et dans les autres régions qu’il contrôle. Ses membres se déplacent – eux seuls ont le droit de porter des armes – dans les rues de Raqqa avec des Kalachnikovs ou des pistolets. Daech a chargé deux forces distinctes des forces de sécurité (la police islamique) du contrôle des femmes et des hommes. La brigade « Al Khansa » est composée de femmes de l’organisation qui portent des armes et ont le droit de fouiller n’importe quelle femme dans la rue tandis que le bataillon « Al Hasba » fait de même avec les hommes. Elles doivent aussi imposer la vision de l’organisation de la législation islamique.

    L’affaire ne se réduit pas à cela. Daech a formé également un gouvernement dont le siège est dans sa capitale de Raqqa, avec les ministres de l’Education, de la Santé, des Ressources hydrauliques et de l’Electricité, des Affaires religieuses et de la Défense, qui occupent les bâtiments qui étaient ceux du gouvernement syrien.

    La majorité des Syriens, dans les régions précitées, considéraient Daech en 2013 comme une organisation « étrangère » et « occupante » où comme l’a dépeint un activiste de Dir Ez Zor : « un mouvement colonisateur, comme Israël a occupé la Palestine avec les colons ». Malgré la persistance de cette approche chez la majorité des gens, Daech a pu trouver un support social important en 2014 dans ces régions, même s’il est resté relativement faible. Ce qui retient l’attention c’est ce sur quoi a insisté un activiste de la ville de Raqqa, sur le site « On égorge Raqqa en silence » que Daech n’avait apporté ni proposé aucune nationalisation ou loi limitant la cupidité des grands commerçants monopolistiques, avec lesquels ils ont de bonnes relations.

    Qu’est-ce que le « daechisme » ?

    Une étude rapide de l’évolution de Daech, en tant qu’organisation sortie de la matrice des courants salafistes jihadistes islamistes, aux orientations hyper réactionnaires, n’est pas suffisante pour expliquer la spécificité idéologique et pratique par rapport à la majorité de ce courant salafiste jihadiste, dont l’organisation la plus importante est celle, terroriste, d’Al Qaïda. Et pour autant ceci montre que l’apparition de Daech constitue premièrement une rupture totale avec ces groupes relevant du salafisme jihadiste, allant jusqu’aux liquidations physiques. Ceci d’une part, et d’autre part une tendance notable à la « daechisation » touche des pans entiers des organisations jihadistes elles-mêmes, dont la plus importante est le front Al- Nosra, qui semble être devenu deux fronts, l’un se rapprochant de Daech de par ses prises de position et pratiques, et l’autre resté fidèle à lui-même. Quant au mouvement d’Ahrar Al Cham il maintient dans une certaine mesure son identité salafiste jihadiste, bien que des brigades en son sein inclinent à adopter le « daechisme ». Mais le pire dans tout cela reste l’allégeance de groupe jihadistes réactionnaires à Daech et à son Califat dans des pays d’Afrique du Nord et dans d’autres régions.

    Certains penseront qu’il n’y a pas d’intérêt politique ou pratique à rechercher une autre caractéristique à Daech. Dans la mesure où il est une composante de la contre révolution réactionnaire. Mais ce phénomène « nouveau » ne peut être compris, comme nous l’avons vu plus haut, hors des conditions matérielles socio-économiques sur lesquelles il repose. Il n’est pas possible de s’y opposer politiquement sans comprendre ces conditions matérielles qui ont conduit à sa constitution et à l’élargissement de son influence, avant de passer à l’élaboration de politiques appropriées pour y faire face, du point de vue des classes exploitées et opprimées, c’est-à-dire d’un point de vue marxiste.

    Il est nécessaire de rappeler encore une fois que dans notre exposé du processus de la genèse de Daech, dans un contexte déterminé, comme force réactionnaire et contre révolutionnaire, et de l’élargissement de son influence en Irak et en Syrie, nous nous sommes concentrés sur le fait qu’une des causes essentielles de son émergence résidait dans les régimes en place eux-mêmes et leurs politiques réactionnaires brutales de marginalisation, sans parler de l’intervention impérialiste. L’occupation américaine de l’Irak, détruisant le reste d’infrastructure et de tissu social, a permis de créer les conditions de développements de tels mouvements. De même, « la guerre contre Daech » depuis de nombreux mois, dans laquelle les Etats Unis sont à la tête d’une alliance impérialiste, ne mènera pas à sa défaite, mais lui attirera des sympathies populaires plus grandes, puisqu’il sera considéré comme affrontant l’impérialisme américain, son premier ennemi.

    Nous pensons que l’approche du processus d’émergence de Daech, de sa spécificité par rapport aux autres mouvements jihadiste traditionnels précités, de cette apparition rapide et « surprenante » dans le cadre d’un processus révolutionnaire, du fait qu’il ait écrasé toutes les expressions de la révolution dans ses zones et ait imposé un mode de vie social et idéologique à ses habitants, la construction de « son Etat » incitent à une approche et à un examen du phénomène Daech à travers l’expérience fasciste, non pas comme cela s’est passé en détail dans les pays d’Europe, mais plutôt dans le cadre des nouveaux mouvements fascistes, dans un concept bien délimité et spécifique. Ce tournant dangereux dans le cours de la révolution syrienne, et dans l’histoire du pays, en a surpris beaucoup, et ainsi « brusquement le destin historique et le destin individuel de milliers d’êtres humains, puis de millions ensuite deviennent un. Les partis politiques ne se sont pas seulement effondrés, mais l’existence de grands groupes humains et leur existence matérielle est un enjeu de doute subitement » selon la description de la montée du fascisme dans le livre de l’intellectuel marxiste révolutionnaire Ernest Mandel, « Les éléments constitutifs de la théorie de Trotsky sur le fascisme ».

    Il est sûr que la définition qu’en a donné le Comintern (stalinien) dans les années trente du siècle passé, est l’acception commune que le fascisme n’est que « le pouvoir du capital financier ». Elle ne s’applique pas pour l’émergence de Daech, comme elle ne suffisait d’ailleurs pas pour interpréter le phénomène du fascisme en Europe, ou les nouveaux mouvements fascistes qui progressent dans les pays européens ou ailleurs.

    Trotsky a été le plus éminent intellectuel marxiste pour son explication et son analyse de l’émergence du fascisme en Europe. Il ne s’est pas contenté de dire que le fascisme « accède au pouvoir porté par la petite bourgeoisie », mais il a fourni une analyse plus approfondie, considérant que les couches sociales sur lesquelles s’appuie le fascisme sont ce qu’il appelle « poussière humaine  », à savoir les artisans et les commerçants des villes, les fonctionnaires, les employés, le personnel technique et l’intelligentsia, les paysans ruinés, selon la définition de Trotsky et on pourrait y ajouter les chômeurs.

    Dans son analyse du fascisme, Trotsky est parti d’une analyse de classe de la société, et d’une compréhension profonde de la loi du développement inégal et combiné où cohabitent des structures de production avec leurs rapports et leurs idéologies héritées des siècles passés avec des structures de production, des rapports et des idéologies plus modernes. Ernest Mandel a résumé dans son livre « Dynamique de la pensée de Trotsky » la compréhension profonde qu’avait Trotsky du phénomène fasciste : «  Trotsky a compris, à l’instar de quelques autres écrivains marxistes (Ernst Bloch, Kurt Tucholsky) la désynchronisation entre formes socio économiques et formes idéologiques, en d’autres termes, que des idées, des sentiments et des représentations très fortes de l’époque pré capitaliste continuent d’exister dans des pans importants de la société bourgeoise (surtout dans les classes moyennes menacées par la paupérisation mais aussi dans des rangs de la bourgeoisie, des intellectuels déclassés, et même dans des franges diverses de la classe ouvrière) ». Mieux que quiconque, Trotsky en a tiré les conclusions socio-politiques : dans des conditions de contradictions socio-économiques de classe croissantes de façon insupportable, des secteurs significatifs des classes et couches précitées – que Trotsky a qualifié avec sagacité de poussière humaine – peuvent fusionner pour former un mouvement de masse puissant qui, fasciné par un leader charismatique et armé par des secteurs de la classe capitaliste et leur appareil d’Etat, peut être utilisé comme un outil pour détruire le mouvement ouvrier, par la terreur sanglante et l’intimidation. »

    Trotsky a également insisté sur ce qui distingue le fascisme du bonapartisme et des autres formes de dictature, à savoir que le fascisme « est une forme spécifique « d’appareil exécutif fort » et de « dictature ouverte » qui se caractérise par la destruction totale de toutes les organisations de la classe ouvrière – y compris les plus modérées, dont les organisations social-démocrates, sans aucun doute. Le fascisme tente d’interdire matériellement toute forme d’auto-défense de la classe ouvrière organisée, par la pulvérisation totale de la classe ouvrière. Arguer du fait que la social-démocratie prépare le terrain au fascisme pour déclarer que la social-démocratie et le fascisme sont des alliés, et bannir toute alliance avec la première contre le second est donc une erreur »

    La caractérisation du phénomène fasciste, en tant que mouvement qui repose sur des masses de la « poussière humaine » s’applique totalement au processus de formation de Daech. Le fascisme se forme en général comme un parti-milices pour combattre l’Etat en place et établir un Etat fasciste. Et les fascistes, selon le chercheur italien Emilio Gentile : « se considèrent comme une élite (aristocratie) d’hommes nouveaux, nés dans la guerre et qui se doivent de prendre le pouvoir, pour renouveler une nation corrompue ». Le fascisme vise à organiser les gens « en tant que masses et non en tant que classes » et le chercheur affirme que les études historiques ont souligné que le fascisme ne cherche pas vraiment comme il l’affirme « à changer le monde, ni la société, mais à changer la nature humaine elle-même » en disciplinant les gens et en utilisant la violence brute.

    En ce sens, seulement, nous pouvons dire que Daech a beaucoup de traits de l’une des nouvelles formes de mouvements fascistes et que l’Etat du Califat est un Etat fasciste, d’un nature particulière dans des circonstances spécifiques.

    Conclusions

    Affirmer que Daech a une caractéristique fasciste, dans des circonstances de destruction et de désintération sociales, pose d’emblée la question des modalités d’intervention des forces révolutionnaires, si l’on considère qu’il s’agit d’un danger mortel pour le mouvement révolutionnaire et populaire. Quelles sont les positions et les formes pratiques de l’affrontement ? D’autre part, cela met à l’ordre du jour immédiat la constitution d’un front uni des forces révolutionnaires démocratiques et de gauche. Il soulève également la question des modalités d’action face à la clique au pouvoir qui écrase et détruit notre peuple et notre pays.

    L’état actuel du processus révolutionnaire en Syrie est très mauvais. La dépression du mouvement populaire est due aux attaques dévastatrices du régime d’Assad, aux massacres et aux déplacements forcés de millions de Syriens, ce qui veut dire que la moitié des Syriens sont aujourd’hui déplacés. S’y ajouter la montée en puissance des forces réactionnaires de la contre révolution, comme Daech, Al-Nosra, et autres aux dépens de l’Armée libre, et la réduction de l’espace du mouvement populaire, y compris dans les zones « libérées » du régime.

    Tout appel au repli, au silence et à la démission à des forces populaires révolutionnaires, qui signifie leur capitulation devant cette attaque féroce des forces diverses de la contre révolution – et qui se combattent entre elles –, serait désastreux et ne ferait qu’aggraver encore plus la situation dégradée de la révolution, au contraire de ce que croient certains. En revanche, nous considérons que la mobilisation des groupes, des coordinations et des organisations révolutionnaires, partout, pour poursuivre les mobilisations, les manifestations et toutes les formes de lutte du mouvement populaire, la résurgence de ce dernier, même s’il est faible et dispersé, c’est ce que nous devons réaliser de toutes nos forces. D’autant plus que le mouvement populaire est toujours vivant et a commencé à recouvrer sa vitalité, même dans les zones contrôlées par les forces jihadistes extrémistes comme le Front Al-Nosra.

    Mais nous avons besoin d’un outil pour réaliser cela. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un Front uni des forces révolutionnaires démocratiques et de gauche à même d’élaborer une stratégie d’action combative et centralisée reprenant les revendications de base de la révolution populaire. Dans les zones de l’Armée libre, ou de la résistance populaire armée, l’affrontement avec les forces réactionnaires, par les armes, n’est pas un luxe, mais une question de vie ou de mort pour la révolution et le mouvement populaire, en dépit de son manque d’armes sérieuses. Ce qu’elle a sa à sa disposition sera suffisant si ses forces sont unies sous une direction militaire et politique nationale et centralisée aussi. On ne peut borner la constitution de ce front uni au plan politique, il doit englober le militaire aussi. Et plus particulièrement car l’adversaire principal des forces révolutionnaires n’est pas seulement les forces réactionnaires de la contre révolution, c’est aussi la clique au pouvoir. Il faut toujours garder à l’esprit que la faire tomber est la condition préalable pour abattre ces forces fascistes et réactionnaires. Le maintien de ce régime, même superficiellement modifié, constituerait une défaite écrasante pour la révolution populaire et une victoire manifeste de la contre révolution. Il faut conjuguer nos efforts pour renverser le rapport de forces en faveur des classes populaires qui étaient et sont toujours les forces sociales motrices de la révolution, et en faveur des forces politiques révolutionnaires.

    La guerre impérialiste contre Daech a fourni aux impérialistes et leurs alliés régionaux un prétexte pour « reproduire » le régime d’Assad. Nous avons remarqué un regain des discours en faveur d’une solution politique en Syrie dans les dernier mois, saluée par les pays impérialistes, qui prétendent être amis du peuple syrien et dont le but n’a jamais été d’abattre le régime, mais de le pousser à un changement interne par en haut et une réorientation politique et la destruction des capacités économiques et militaires de la Syrie. De même nous voyons que les gouvernements d’Arabie Saoudite, du Qatar et de pays du Golfe, cœur et bastions de la contre révolution dans la région, avec le gouvernement de la contre révolution en Egypte ont tout mis en œuvre pour vendre cette solution politique pour remettre à flot le régime d’Assad. Tant et si bien que la coalition nationale, leur rejeton, s’est plainte publiquement de l’arrêt du financement saoudien et de pays du Golfe, depuis plus de six mois, afin de la pousser à rejoindre la solution politique maintenant en place le régime. Elle sera probablement amenée à le faire par la suite, compte tenu de sa nature opportuniste et corrompue. Notons qu’elle s’est abstenue de participer à la fin du mois dernier à la réunion de Moscou, à laquelle ont participé des groupes de la dite opposition de l’intérieur pour l’essentiel le Comité de coordination, aux positions ambiguës depuis le début de la révolution et des groupes venant de l’étranger sans poids réel sur le terrain. Moscou, Téhéran et l’Egypte semblent être chargés de parrainer ces tentatives, pour promouvoir la « solution politique » qui émane de démarches dont l’objectif n’est en réalité que de reproduire le régime.

    Nous ne pouvons nous opposer à aucune mesure qui vise à soulager les souffrances des masses populaires, sans pour autant oublier les revendications exprimées dans leur révolution populaire ; la « solution politique » en question impose la vigilance et la prudence des forces de la révolution, et impose de démasquer et dénoncer toute concession de ceux et celles qui sont ou en seront partie prenante dans des négociations de « solution politique » pour maintenir le régime dictatorial. Il faudra aussi combattre toute concession sur les libertés démocratiques, ou la revendication d’édifier un régime démocratique radical sur les ruines du régime dictatorial, ou de marchander les sacrifices des masses populaires pour abattre le régime et construire la Syrie de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de la justice sociale.

    Les marxistes révolutionnaires du courant de la gauche révolutionnaire, dans ce combat aux fronts multiples, sont attelés également à une tâche fondamentale pour laquelle ils oeuvrent sans relâche, à savoir la construction du parti ouvrier révolutionnaire et de masse.

    Ghayath Naïsse

    * Paru dans la revue en langue arabe Révolution permanente n°5, mars 2015.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34842