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  • Vu d’Algérie. Désormais, “être arabe, c’est être sunnite et contre l’Iran” (Courrier Inter)

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    La Ligue arabe a approuvé, le 28 mars, la création d’une force arabe de défense et décidé de soutenir la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite qui mène une offensive au Yémen contre les milices houthistes. L’arabité est ainsi assimilée au sunnisme, déplore le quotidien Liberté.

    Le monde arabo-musulman du Moyen-Orient est entré en guerre avec lui-même. Déjà précarisée par le conflit israélo-palestinien, la déstabilisation de l’Irak et de la Syrie, la fragilité du Liban, le terrorisme latent en Egypte et la révolte sourde à Bahreïn, la région est entrée dans un état d’instabilité sécuritaire qui devrait se prolonger. A force d’être manipulées, les contradictions confessionnelles, jusqu’ici étouffées par la force, se sont réveillées.

    Composé de dictatures résiduelles, dans un univers converti à la démocratie et régnant sur des Etats aux frontières artificiellement délimitées par les anciennes puissances occupantes, le monde “arabe”, dans sa partie orientale, endure de récurrentes contestations ethniques, territoriales ou confessionnelles.

    Une “guerre mondiale arabe”

    Pour des besoins de stratégie, l’arabité est ici assimilée au sunnisme. Une identité ethnoculturelle est apparentée à une doctrine religieuse. Et, par glissement, l’on plonge dans une confrontation stratégique entre “monde arabe” et Iran. Etre arabe, c’est être sunnite, du côté du roi de Riyad et contre l’ayatollah de Téhéran : voici la fatalité de notre “identité”, “constante” et irrécusable, paraît-il, celle que nos dirigeants nous ont imposée, si ce n’était cet argument [inscrit dans la Constitution] de non-intervention de l’ANP [Armée nationale populaire algérienne] à l’extérieur de nos frontières !

    Sans sous-estimer l’hégémonisme iranien et l’usage belliqueux qu’il fait de ses têtes de pont confessionnelles, le constat s’impose : toute une “guerre mondiale arabe” pour défendre un régime (yéménite) et un autre (saoudien) qui risque de pâtir de la chute du premier ! L’“unité arabe” n’est sollicitée que pour la défense de régimes politiques menacés. Car, enfin, ce n’est pas la question de la légitimité de leurs pairs qui étouffe les dictateurs “arabes” ! Et les troupes iraniennes n’ont pas envahi le Yémen.

    Modèles politiques les plus rétrogrades

    Quand il s’est agi de contenir l’offensive brutale de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique (EI)], les Arabes y sont allés en traînant la patte, contraints et forcés par leurs alliés occidentaux. Quant à Al-Qaida en Syrie, le Qatar et l’Arabie Saoudite ont préféré d’abord l’armer et la financer ! Est-ce le “sunnisme” de ces armées terroristes qui en fait des entités tolérables pour les dirigeants arabes ?

    Etrange que même le conflit “israélo-arabe”, comme on l’appelait jadis avant d’abandonner les Palestiniens à “leur” cause, n’ait jamais suscité l’idée d’une armée “arabe” qu’un soulèvement d’une tribu yéménite – arabe – a inspirée !

    Est-ce pour hériter de telles causes – comme le confort politique et sécuritaire des Al-Saoud [famille régnante en Arabie Saoudite] – que nos dirigeants ont voulu, avant notre indépendance, nous imposer cette parenté identitaire ? Est-ce pour nous détourner des idéaux de liberté et de développement qu’ils nous ont amarrés aux modèles politiques les plus rétrogrades et les plus anachroniques des temps modernes ?

    http://www.courrierinternational.com/article/vu-dalgerie-desormais-etre-arabe-cest-etre-sunnite-et-contre-liran

  • A Tunis, Forum social mondial «liquide» (Cetri.be)

    La pluie et les nuits venteuses de Tunis ne sont pas venues à bout de la 13e édition du Forum social mondial (FSM) qui s’est déroulée du 24 au 28 mars 2015.

    C’était la deuxième fois consécutive – après 2013 – que l’événement altermondialiste se déroulait en Tunisie. A l’époque, il s’était nourri de l’effervescence politique et sociale qui gagnait tout le pays après la chute du régime de M. Zine El-Abidine Ben Ali intervenue le 14 janvier 2011 [1]. Depuis, la Tunisie a changé. Cette fois-ci, le FSM a jeté l’ancre dans un pays endeuillé par les attentats djihadistes du musée du Bardo et mis à mal par les multiples crises – économique, sociale, politique et géopolitique – qu’il affronte.

    Depuis les événements de 2011, aucun gouvernement n’a amélioré le sort du pays.

    Pis, pauvreté et insécurités de tous ordres n’y ont fait qu’augmenter. Les anciens partis sont mis en accusation, mais aussi ceux, religieux, qui promettaient le changement. Ainsi, une fois au pouvoir, Ennahda a appliqué un programme tout à fait conforme aux exigences néolibérales en matière économique et sociale, et il a réussi à alimenter rancœur et frustration au sein des secteurs de la société mobilisés par l’islam politique.

    Cette évolution contribue à l’émergence de courants salafistes toujours plus radicalisés en Tunisie comme ailleurs dans une région désormais « entré[e] dans une longue période de fermentation au cours de laquelle la contre-révolution aura peut-être autant de difficultés à se consolider que la révolution elle-même  » comme le signale le journaliste britannique Patrick Cockburn dans un essai éclairant consacré au djihadisme, à l’Etat islamique et à la situation du Moyen-Orient [2].

    Dans ce contexte, le bilan quantitatif du FSM est positif.

    Le choc du Bardo ne semble pas avoir affecté – ou peu – la participation à l’événement. C’est une victoire en soi. Être présent après les dramatiques évènements constituait un acte de solidarité politique et un test pour la crédibilité collective du FSM et du mouvement altermondialiste. Il est malaisé d’annoncer des chiffres vérifiables quant à la participation finale, mais celui de 50 000 personnes provenant de 125 pays circule et est largement repris. On peut toutefois noter que les délégations étrangères d’Europe, d’Asie, des Amériques et d’Afrique subsaharienne semblaient moins nombreuses qu’à l’accoutumée.

    Plus de 5 000 organisations (dont la moitié venues du Maghreb/Machrek) étaient représentées.

    Il est impossible de rendre compte de la diversité et de la qualité des 1 500 activités qui ont été organisées pendant ces journées de la « Dignité et [des] droits ». A coup sûr, ce FSM aura permis à de nombreuses coalitions d’organisations de préparer des événements déterminants comme la Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21) qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre. Il aura également permis de découvrir de nombreuses luttes sociales et écologiques – comme celle contre les gaz de schiste en Algérie –, d’accueillir de multiples rencontres consacrées à la situation au Proche-Orient ou en Europe après la victoire de Syriza en Grèce et la montée en puissance de Podemos en Espagne, à la question des migrations imposées par la mondialisation, etc.

    Au fond, le FSM peut s’apparenter à une sorte de Fête de L’Humanité internationale ouverte à toutes et à tous, et comme un point de ralliement ponctuel pour des coalitions stabilisées (notamment d’ONG) qui travaillent régulièrement ensemble – avec des ressources ad hoc – depuis une quinzaine d’années pour avancer sur des agendas internationaux communs. Il offre un espace et une culture d’organisations propices à ces objectifs. Il emprunte à la tradition de la « Foire » médiévale. Ici, les participants seraient les acteurs de la « société civile » et les producteurs intellectuels critiques. Dans cette perspective, le FSM ouvre un espace favorable au développement de liens, d’échanges et de transactions entre des mondes éloignés mais connectés, en recherche de complémentarités et de construction de relations profitables durables. De ce point de vue, il s’agit donc d’un espace utile. Utile, il l’est également parce qu’il est le seul disponible au niveau international.

    Pour autant, le FSM ne constitue pas un pouvoir de la « société civile », et il évolue désormais dans des conditions historiques distinctes de celles qui ont présidé à sa création. Initialement conçu en 2001 pour être une réponse des peuples au Forum économique mondial de Davos dans une période alors caractérisée par la montée en puissance des luttes sociales et politiques en Amérique latine – dynamique qui allait significativement contribuer à l’émergence du cycle des gouvernements progressistes dans la région –, il est désormais un « moment » dans la vie d’un mouvement de mouvements hyper-diversifié dominé par des ONG aux ressources stabilisées. De surcroît, le FSM évolue dans une période moins favorable à la gauche dans le monde.

    De ce point de vue, il n’offre pas de clés pour résoudre une question plus globale posée à la nébuleuse d’organisations et de mouvements qui y participent : quelle est la stratégie et quels sont les acteurs et leviers pour transformer le système économique et politique international ? Le processus du FSM ne doit pas être pris pour ce qu’il n’est pas. Il s’agit d’un sujet politico-social « liquide  » Le concept de « vie liquide » a été théorisé par le sociologue et philosophe Zygmunt Bauman. Ce dernier reste mal connu en France où quelques uns de ses ouvrages ont été, malgré tout, traduits. On citera, entre autres : Le coût humain de la mondialisation (Hachette, Paris, 1999), La vie en miettes (Hachette, Paris, 2003), La Vie liquide [3], pas solide. Il constitue ce moment où un « tout diversifié » conflue avant de se redéployer au travers des flux.

    Comme l’a pointé avec justesse l’une des principales animatrices italiennes du FSM intervenue lors d’un séminaire co-organisé par Mémoire des luttes [4], la nature du FSM et des mouvements qui le composent induit une fragilité pour le moment indépassable : « Quelle est notre fonction à nous, mouvements sociaux ?  » s’est-elle interrogée. «  C’est de produire de la participation sociale ». Et de rajouter : « Mais aujourd’hui, au FSM ou dans nos pays, le fait qu’il n’y ait pas de traduction politique de nos idées et de nos propositions aboutit à une nouvelle situation : nous produisons de la frustration ! ».

    C’est là le point limite du FSM en tant que produit de la réalité matérielle des mouvements de lutte contre la mondialisation néolibérale [5].

    par Christophe Ventura
    (31 mars 2015)

    http://www.cetri.be/spip.php?article3809&lang=fr

    Lire aussi:

    http://www.cetri.be/spip.php?article3802&lang=fr

     

  • Ilan Pappé: "ce que nous disent les élections israéliennes" (Afps Rennes)

     "Uniting against privatization, exploitation, and capitalistic rule."

    Comme plusieurs de mes amis, j’ai été également soulagé qu’un gouvernement sioniste libéral n’ait pas été élu.

    Il aurait permis à la mascarade du « processus de paix » et à l’illusion de la solution de deux états de durer, tandis que la souffrance des Palestiniens continue.  Comme toujours, c’est le Premier Ministre Benjamin Netanyahu lui-même qui a fourni l’inévitable conclusion quand il a déclaré la fin de la solution de deux états - nous invitant tous au long enterrement d’une idée mal inspirée qui a fourni à Israël l’immunité internationale pour son projet colonialiste en Palestine.

    La puissance de cette escroquerie était visible aux yeux de tous quand le monde et les spécialistes locaux des médias ont de manière irréaliste prévu une victoire pour le sionisme libéral, une tendance idéologique israélienne qui est proche de l’extinction - représentée cette fois-ci par la liste de l’Union Sioniste dirigée par Isaac Herzog et Tzipi Livni. Les sondages à la sortie des bureaux de vote réalisés par ces excellents statisticiens israéliens ont renforcé cette illusion, amenant les médias à un fiasco énorme puisque les attentes de la victoire du camp « libéral » se sont transformées en choc et consternation face au triomphe de Netanyahu.

    Débâcle

    Il est intéressant d’entamer une première analyse des élections israéliennes par une attention plus particulière sur cette débâcle.

    Un segment important de ceux qui votent pour le parti du Likud de Netanyahu appartiennent à la deuxième génération de juifs qui sont venue des pays arabes et musulmans.

    Ils ont été joints cette fois par les communautés de colons en Cisjordanie occupée qui ont voté en bloc pour Netanyahu. Beaucoup parmi les juifs arabes ont voté beaucoup plus pour le Likud qu’ils ont voté pour Netanyahu. Les colons ont fait de même aux dépens de leur nouvelle base politique - le parti de La Maison Juive de Naftali Bennett qui promet l’annexion complète de la Cisjordanie - afin de s’assurer que le Likud serait le parti le plus représenté au prochain parlement.

    Ni l’un ni l’autre de ces deux groupes n’était particulièrement heureux de son choix et n’était pas forcément fier de sa décision de voter encore une fois pour Netanyahu. C’est peut-être la raison qui fait qu’un bon nombre de ces électeurs n’ont pas réellement dit lors des sondages à la sortie des bureaux de vote, pour qui ils avaient voté.

    Le résultat était tout à fait catastrophique pour tous les sondeurs renommés. Ils ont loupé ce qui aurait dû être le grand titre après les sondages à la sortie des bureaux de vote : une victoire sensationnelle pour le Likud en 2015 et un résultat décevant pour le camp sioniste libéral. Les nouvelles les plus passionnantes concernaient le succès des citoyens Palestiniens en Israël qui s’étaient unis pour former la Liste Commune et qui ont gagné la troisième place - le plus grand nombre de sièges après le Likud et l’Union Sioniste.

    La victoire du Likud

    Les trois résultats - un Likud fortifié, un Parti Travailliste défait (l’Union Sioniste est une liste unie entre le parti Travailliste et « l’Initiative » de Livni) et une représentation palestinienne unifiée et renforcée - peuvent être soit ignorés par la communauté internationale, soit servir de catalyseur pour une nouvelle pensée sur la question toujours tellement d’actualité de la Palestine.

    La victoire du Likud, en dépit de l’agitation sociale en Israël due aux difficultés économiques grandissantes, et la position plus que jamais dégradée de l’état juif dans la communauté internationale, indiquent clairement qu’il n’y aura aucun changement en Israël dans un avenir proche.

    Le parti Travailliste, en attendant, a fait son maximum. Il n’est pas susceptible de faire mieux et par conséquent il n’offre pas d’alternative. La principale raison est qu’il n’est pas une alternative. Israël en 2015 est toujours un état colonial et colonialiste, et une version libérale de cette idéologie ne peut pas offrir de véritable voie de réconciliation avec les véritables habitants de la Palestine.

    Depuis que Likud a pris le pouvoir pour la première fois après sa victoire historique de 1977, les électeurs juifs ont préféré le véritable produit, comme on dit, plutôt que la version plus pâle et libérale du sionisme.

    Le parti Travailliste était au pouvoir assez longtemps pour que nous sachions qu’il n’est pas en mesure de concéder même à la plupart des dirigeants palestiniens modérés, aucun accord leur permettant d’exercer une véritable souveraineté, ni même en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza, qui forment pourtant à peine un cinquième de la Palestine historique.

    La raison en est très simple : la raison d’être d’une société coloniale-colonialiste est le déplacement forcé des indigènes et leur remplacement par des colons. Au mieux ces indigènes peuvent être confinés dans les enclaves se révoltant de façon périodique, au pis ils sont condamnés à être expulsés ou massacrés.

    Décolonisation

    La conclusion pour la communauté internationale devrait à présent être claire. Seule la décolonisation de l’état colonial peut mener à la réconciliation. Et la seule manière de donner une impulsion décisive à cette décolonisation, c’est en utilisant les mêmes moyens que ceux exercés contre l’autre état colonial de longue date du 20ème siècle : le système d’apartheid en Afrique du Sud.

    Le choix de la campagne BDS - le boycott, le désinvestissement et les sanctions - n’a jamais paru plus valide qu’il ne l’est aujourd’hui. Il faut espérer que - en liaison avec la résistance populaire sur le terrain - cela poussera au moins certains dans la deuxième et la troisième génération de la société coloniale juive, à contribuer à stopper le projet sioniste.

    Les pressions conjointes de l’extérieur et du mouvement de résistance à l’intérieur sont la seule manière de forcer les Israéliens à repenser leurs relations avec tous les Palestiniens, y compris les réfugiés, sur la base des valeurs démocratiques et égalitaires. Dans le cas contraire, nous pouvons nous attendre à ce que le Likud gagne cette fois-ci quarante sièges lors des prochaines élections, peut-être dans la foulée d’un prochain soulèvement palestinien.

    Il y a deux raisons pour lesquelles cette approche est encore possible. L’une est la Liste Commune.

    Elle n’aura aucun impact sur le régime politique israélien et en réalité,comme l’Autorité palestinienne, les jours de la représentation palestinienne à la Knesset, le parlement d’Israël, sont comptés. Si une liste unie ne peut avoir aucun impact et si une PA sans aucun pouvoir effectif ne satisfait pas même les sionistes libéraux, alors le temps est venu de rechercher de nouvelles formes de représentation et d’action. Mais l’importance de la Liste Commune se trouve ailleurs.

    Elle peut stimuler l’imagination d’autres communautés palestiniennes sur la possibilité d’une unité dans les objectifs. Que les islamiste et les marxistes puissent agir ensemble pour un meilleur avenir est un exemple qui peut avoir des implications d’une grande portée, non seulement pour des Palestiniens et des Israéliens, mais pour une Europe de plus en plus polarisée. La Liste Commune représente un groupe de Palestiniens indigènes qui connaissent bien les Israéliens, qui sont profondément attachés aux valeurs démocratiques et ont gagné en importance parmi les autres Palestiniens après des années de marginalisation et de quasi-oubli.

    La deuxième raison d’espérer, c’est que de nouvelles solutions alternatives émergeront, car en dépit de toutes sa cruauté et sa dureté, le projet colonial-colonialiste sioniste n’était pas le pire dans l’Histoire. Malgré toute l’affreuse souffrance qu’elle a causé il y a peu, pendant le massacre de cet été à Gaza, elle n’a pas exterminé la population locale et son projet de dépossession demeure inachevé. Ceci ne signifie pas qu’il ne deviendra pas plus mauvaise ou qu’il faille sous-estimer la douleur qui est celle des Palestiniens.

    Vision

    Ce que cela signifie, c’est que l’impulsion principale venant des Palestiniens est non pour une rétribution mais pour une restitution. Leur souhait est de vivre une vie normale - quelque chose que le sionisme a nié à tous les Palestiniens depuis l’arrivée de cette idéologie en Palestine vers la fin du 19ème siècle.

    Une vie normale, cela signifie la fin des politiques discriminatoires d’apartheid contre les Palestiniens en Israël, la fin de l’occupation militaire de la Cisjordanie et du siège de la Bande de Gaza, la reconnaissance du droit pour les Palestiniens réfugiés de retourner dans leur patrie.

    Le principe de l’échange, ou quid pro quo, est d’accepter l’ethnie juive qui a émergé en Palestine en tant qu’élément d’une nouvelle entité politique décolonisée, entièrement démocratique et basée sur les principes acceptés par tous les concernés.

    La communauté internationale peut jouer un rôle positif en supportant cette vision si elle adopte trois principes de base.

    Le premier est que le sionisme est sous toutes ses formes colonialiste et que par conséquent l’anti-sionisme n’est pas de l’antisémitisme mais de l’anticolonialisme.

    Le second est que si elle renonce au traitement préférentiel accordé à Israël au cours des années, principalement dans le domaine des droits de l’homme, elle aura une possibilité plus forte de jouer un rôle constructif pour sauvegarder ces droits au Moyen-Orient dans son ensemble.

    Et en conclusion, nous devrions tous nous rendre compte que l’occasion fournie d’épargner des vies innocentes en Palestine historique risque de se fermer rapidement, car si la puissance israélienne demeure hors de contrôle, une répétition des massacres des années précédentes est presque certaine. Il est urgent d’abandonner les vieilles formules pour la « paix » qui n’ont rien donné, et de commencer à chercher de justes et viables solutions.

    dimanche 29 mars 2015

    * Ilan Pappe est directeur du Centre Européen d’Études Palestiniennes à l’Université d’Exeter. Son dernier livre s’intitule : The idea of Israel : a history of power and knowledge

    http://www.rennespalestine.fr/?Ilan-Pappe-ce-que-nous-disent-les

    Commentaire de la photo: Unir contre l'occupation et la colonisation, c'est au programme des communistes?

     

  • Liban: «Les États-Unis sèment les graines d’une tragédie à long terme» (Gilbert Achcar)

    http://revolutionsarabes.hautetfort.com/media/01/01/1880988416.jpeg

    Question : La semaine dernière il y a eu un important affrontement entre les forces loyales envers le Hezbollah et le gouvernement libanais pro-occidental. Après que le Hezbollah ait repoussé l’agression israélienne en 2006, il était devenu le héros national. Maintenant la situation semble avoir changé et à nouveau des divisions profondes apparaissent. Comment l’expliquez-vous ?

    Gilbert Achcar : Vous avez raison de souligner le fait qu’il y eu un changement. Il est vrai qu’en 2006 le Hezbollah a réalisé une importante victoire et que, dans la région arabe comme dans l’ensemble du monde musulman et au-delà, il a été vu comme une force de résistance héroïque, faisant face à l’un des principaux alliés de l’impérialisme états-unien et repoussant l’agression sioniste. En effet, donc, ils avaient acquis le statut de héros.

    Et il est vrai que cette image a été affectée par les récents affrontements. Pourquoi ? Parce que, tout d’abord, les ennemis du Hezbollah, qui sont bien sûr aussi des ennemis de l’Iran à l’échelle régionale - c’est-à-dire le royaume saoudien, la Jordanie et l’Égypte - n’avaient qu’un argument pour contrer le Hezbollah et tenter de réduire l’influence iranienne.

    C’était et cela reste la carte confessionnelle : dénoncer l’Iran en tant que pouvoir chi’ite perse et le Hezbollah en tant qu’agent arabe chi’ite de l’Iran, réalisant un complot chi’ite contre les Arabes sunnites. C’est ainsi qu’il s’efforcent de présenter les choses. En 2006, cela a misérablement échoué parce que les populations dans la région - Turquie incluse, j’en suis sûr - sont fortement hostiles à Israël et à l’impérialisme états-unien et ont donc sympathisé avec le Hezbollah. Ainsi, l’éclatante majorité n’a pas gobé l’argument chi’ites contre sunnites.

    Depuis lors, le Hezbollah s’est empêtré dans la politique libanaise sur une base confession- nelle, avec des alliés qui adhérent totalement au cadre confessionnel. Par exemple, le mouvement chi’ite Amal, qui est une organisation purement confessionnelle et n’a rien à voir avec une organisation anti-impérialiste. Au cours des années 1980, Amal était plus anti-palestinien que toute autre chose. Le Hezbollah s’est ainsi empêtré dans la politique confessionnelle libanaise au point de mener récemment un assaut militaire avec ses alliés confessionnels sur les zones peuplées de sunnites à Beyrouth et ailleurs.

    Son image en a été beaucoup affectée - plus au Liban qu’ailleurs, parce que la population libanaise est naturellement plus concernée par la politique intérieure libanaise que ne le sont, par exemple, les populations turque ou égyptienne. Je crois que le Hezbollah a réagi de manière excessive lors du récent conflit. Il avait bien sûr raison de rejeter les décisions du gouvernement Siniora, mais il pouvait les défaire aisément - comme il l’a fait dans les cas précédents, lorsque ces décisions ne lui convenaient pas - sans se lancer dans une offensive militaire à Beyrouth et dans d’autres régions du Liban, avec des alliés comme Amal. Ce faisant, il a créé un très fort ressentiment sectaire.

    Ainsi, bien que militairement ils l’ont facilement emporté lors du dernier conflit, je pense que politiquement ils en sont sortis perdants. Car maintenant la polarisation confessionnelle est redevenue très intense au Liban entre les sunnites et les chi’ites. C’est très dangereux. A présent, comme en témoignent les discussions qui ont eu lieu au Qatar entre les partis libanais, la question de l’armement du Hezbollah est redevenue discutable. Or, avant les événements récents, la majorité parlementaire conduite par Hariri n’osait pas soulever cette question, surtout après que le Hezbollah ait fait la preuve en 2006 que cet armement était indispensable pour repousser et dissuader l’agression israélienne. Maintenant, après que le Hezbollah ait utilisé ses armes dans un combat intérieur pour la première fois depuis de nombreuses années, ses forces armées sont soudainement dénoncées par ses adversaires comme étant une milice sectaire.

    A mon avis le Hezbollah a commis une grave erreur, dont les conséquences sont importantes au moment où le Liban entre dans ce qui semble être un nouveau cycle de violence. Il se pourrait bien que, dans quelques années, ce qui vient de se produire maintenant apparaisse comme le premier round d’une nouvelle guerre civile libanaise, à moins que les conditions régionales et internationales empêchent ce scénario pessimiste. Pour la lutte anti-impérialiste dans la région, ce serait un coup très dur, venant après les massacres terribles entre chi’ites et sunnites, qui continuent en Irak. Si de tels massacres s’étendaient au Liban et peut-être demain à la Syrie, ce serait un désastre pour toute la région. Les seuls qui pourraient bénéficier d’une telle situation seraient Israël et les États-Unis, qui n’hésiteraient pas tous deux à exploiter une telle situation.

    Question : Est-ce que le Parti communiste du Liban ou d’autres forces laïques ont mis en avant des revendications visant à changer complètement le système de façon à ce qu’il ne soit plus fondé sur les identités et des partis confessionnels ?

    Gilbert Achcar : Le Parti communiste est actuellement la seule force de gauche significative au Liban. Les autres sont de tous petits groupes. Parmi les partis libanais d’une certaine importance, le PC est l’un des rares partis véritablement laïques, avançant un programme laïque. C’est un véritable parti multi- confessionnel, regroupant côte-à-côte des musulmans, tant sunnites que chi’ites, des chrétiens, des druzes etc. Le secrétaire général du parti est d’origine sunnite alors que la majorité des membres sont d’origine chi’ite - c’est réellement un parti multiconfessionnel. Il se prononce pour la laïcisation de la politique libanaise et avance, en tant que parti de gauche, des revendications sociales et économiques. Le PCL n’a rejoint directement aucun des deux camps principaux au Liban.

    Lors du conflit récent, il a décidé de ne pas participer aux affrontements. Bien sûr, les communistes s’opposent au gouvernement et au projet impérialiste au Liban, tout comme ils s’opposent aux agres- sions israéliennes : ils ont participé au combat contre les forces israéliennes en 2006. Mais ils ne peuvent pas partager les buts de l’opposition en politique intérieure, qu’ils dénoncent comme étant à la fois confessionnels et bourgeois. Ils critiquent les deux camps, mettant plus d’emphase sur la dénonciation des forces pro-occidentales menées par Hariri. Au cours des trois dernières années, ils ont maintenu une position indépendante de manière conséquente.

    C’est une importante amélioration de leur ligne politique, car au cours des années 1970 et 1980 ainsi que dans la période précédente le parti communiste était fortement impliqué dans des alliances sous hégémonie bourgeoise : avec Arafat durant un certain temps, avec le chef féodal druze, Joumblatt, la plupart du temps, ainsi qu’avec le régime syrien. A partir du début des années 1990, le PCL est entré dans une crise profonde et s’est fragmenté. Le parti actuel - bien plus faible, il est vrai - en est le résultat. Mais il a radicalement amélioré sa politique.

    Depuis 2005 - à partir des mobilisations de mars 2005 pour et contre la Syrie au Liban, qui ont suivi l’assassinat de l’ex-Premier ministre Hariri - le PCL a suivi une ligne véritablement indépendante. Le 8 mars 2005, le Hezbollah et ses alliés ont organisé une énorme manifestation en hommage à la Syrie et à son président Bashar al-Assad. Les forces pro-occidentales ont alors appelé à une contre-manifes- tation le 14 mars, contre la Syrie. C’est depuis lors que l’actuelle majorité gouvernementale est aussi désignée par la date du « 14 mars », alors que l’opposition l’est par celle du « 8 mars ».

    Le Parti communiste a refusé de se joindre à l’une quelconque des deux manifestations et a appelé à une troisième, naturellement beaucoup plus petite que les deux manifestations géantes des 8 et 14 mars, qui ont mobilisé chacune des centaines de milliers de personnes. La manifestation du PCL n’a rassemblé que quelques milliers de personnes, mais avec leurs drapeaux rouges, ils ont fait apparaître une troisième voie pour le Liban, rejetant les deux camps confessionnels. C’est pour cette raison que je pense que leur attitude politique s’est beaucoup améliorée, même si je continue à avoir plusieurs réserves - en particulier en ce qui concerne leur soutien à l’armée libanaise et à son chef, qui attend d’être élu président avec l’appui de toutes les forces.

    Question : Il semble que la seule voie permettent de dépasser les divisions sectaires passe par la mobilisation de la gauche politique et des organisations syndicales, qui dessinent une alternative non confessionnelle et résistent aux politiques néolibérales appliquées dans le pays. Est-ce que le Hezbollah penche vers l’organisation de la résistance contre ces politiques néolibérales ?

    Gilbert Achcar : C’est une illusion complète. Le Hezbollah n’a rien fondamentalement contre le néo- libéralisme et, encore moins, contre le capitalisme. Comme vous le savez, son modèle suprême est le régime iranien - qui n’est certainement pas un rempart contre le néolibéralisme. Bien sûr, comme tous les intégristes islamiques, ils pensent que l’État et/ou les institutions religieuses devraient venir en aide aux pauvres. Il s’agit là de charité. La plupart des religions préconisent et organisent la charité. Cela présuppose l’existence d’inégalités sociales avec des riches qui donnent aux pauvres leurs miettes.

    La gauche, par contre, est égalitaire et non « charitable ». En tout état de cause, le Hezbollah ne s’intéresse pas vraiment aux politiques sociales et économiques de l’État. Au cours de toutes les années pendant lesquelles Rafik Hariri dominait le gouvernement tandis que les troupes syriennes contrôlaient le pays, les politiques libérales les plus cruelles ont été appliquées, sans que le Hezbollah ne s’y oppose jamais sérieusement. Cela ne fait pas partie de son programme, ni de ses priorités.

    Les derniers affrontements ont débuté le jour où certains syndicats avaient appelé à une grève générale. Mais il s’agit de syndicats pourris, qui étaient tombés sous la coupe des Syriens avant qu’ils ne quittent le Liban. La précédente fois qu’ils avaient appelé à la grève, ce fut un échec complet, car l’opposition, c’est-à-dire en premier lieu le Hezbollah, ne l’avait pas réellement soutenu, même si elle avait approuvé la grève du bout des lèvres en tant que geste oppositionnel.

    Cette fois-ci le Hezbollah a utilisé l’occasion de la grève pour mobiliser contre les décisions politiques du gouvernement qui le concernaient et non pour s’opposer à ses politiques économiques et sociales. C’est pourquoi, bien que le conflit ait commencé le jour de la grève, les revendications économiques et sociales sont tombées dans l’oubli. Le Hezbollah ne lutte pas contre le néolibéralisme, bien qu’il puisse parfois chercher à satisfaire sa base électorale plébéienne. La seule force significative qui s’oppose au néolibéralisme au Liban, c’est la gauche, principalement le PCL.

    vendredi 17 octobre 2008 - 07h:22 Gilbert Achcar - Inprecor

    * Gilbert Achcar, professeur à l’École des études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres, est un collaborateur régulier d’Inprecor. Parmi ses ouvrages : Le choc des barbaries (Complexe, 2002 ; 10/18, 2004), L’Orient incandescent (Page Deux, 2004), La guerre des 33-Jours, avec Michel Warschawski (Textuel, 2007), La poudrière du Moyen-Orient, avec Noam Chomsky (Fayard, 2007).

    Cette interview a été réalisée par Foti Benlisoy et Aykut Kýlýç pour la revue critique turque, Mesele (Question).

    Le texte original de l’interview, en anglais International Viewpoint : http://www.internationalviewpoint.o... sous le titre : The U.S. is sowing the seeds of a long term tragedy...

    http://www.info-palestine.net/spip.php?article5214

  • Révolte arabe 1916-1918 (Orient 21)

    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/4c/030Arab.jpg

    La grande révolte arabe de 1916 fait suite aux promesses britanniques visant à encourager la création d’un grand royaume arabe (correspondance Hussein-MacMahon, 1915).

    Dans l’esprit des décideurs britanniques, la formation d’un tel État, revanche arabe après des siècles de domination ottomane, s’entend comme une récompense à terme pour l’aide que les Arabes pourront accorder à Londres dans les opérations menées contre les Ottomans, entrés en guerre contre les puissances de l’Entente, à la fin de l’année 1914.

    Les Arabes, en particulier Hussein, chérif de la Mecque, sont approchés par des émissaires, en particulier le colonel Thomas Edward Lawrence, de l’Arab Bureau du Caire. De leur côté les Français les encouragent également, en leur envoyant le lieutenant-colonel Édouard Brémond, un officier colonial. Tandis que les Puissances centrales, Allemagne et Autriche-Hongrie, alliées de l’empire ottoman, tentent également d’attirer à elles les Arabes pour conserver leur neutralité, voire pour obtenir leur participation aux combats contre les Français et les Anglais, puissances coloniales.

    Séduits par la réalisation de ce vieux rêve de la restauration de la grandeur arabe, encouragés par des apports monétaires et militaires, Hussein et ses Bédouins passent à l’action en juin 1916. Le soulèvement contre les Turcs se traduit par le siège de places fortes (Médine) et par une progression en direction du nord, vers la Transjordanie puis la Syrie, en parallèle aux efforts britanniques (troupes australiennes et néo-zélandaises) à partir du Sinaï, vers la Palestine.

    Immortalisés par le film de David Lean Lawrence d’Arabie, les principaux faits d’armes des troupes arabes sont le sabotage du chemin de fer du Hedjaz et l’attaque de ses principales gares, la prise d’Aqaba (juin 1917), mais surtout celle de Damas en septembre 1918. Cette dernière est concédée par Londres, pour satisfaire symboliquement Hussein, avec une entrée triomphale de son fils Fayçal.

    Dans les faits, la contribution arabe aux opérations militaires britanniques et à la victoire sur l’empire ottoman ne conduit pas à la récompense attendue.

    Entretemps, les promesses britanniques (et françaises) sont concurrencées par un autre engagement, contradictoire : le 2 novembre 1917, par la déclaration Balfour, Londres appuie l’idée d’un «  foyer national juif  » en Palestine, privant d’emblée le royaume arabe unifié de ce territoire.

    Ayant avancé en vain l’idée d’un grand royaume arabe lors de la conférence de Versailles, Fayçal prend l’initiative de le proclamer lui-même, à partir de Damas, désormais sous contrôle français après l’évacuation des troupes britanniques. L’entité est éphémère : créée en janvier 1920, l’initiative arabe est réprimée dans le sang en juillet de la même année.

    Pour compensation, les hachémites sont placés à la tête des deux entités nouvellement créées. Le mandat britannique de Transjordanie se voit attribuer un émir : Abdallah, fils de Hussein, tandis que son frère Fayçal, défait à Damas, prend la tête du royaume d’Irak, qui succède au mandat de Mésopotamie.

    19 mars 2015

    http://orientxxi.info/documents/glossaire/grande-revolte-arabe,0838

  • La réélection de Nétanyahou enterre définitivement le « processus de paix » (Orient 21)

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    Washington s’interroge sur sa politique palestinienne

     

    Le nouveau succès électoral de Benyamin Nétanyahou met un point final au « processus de paix » ouvert en 1993 avec les accords d’Oslo. Il a porté aussi à son paroxysme la crise entre Tel-Aviv et Washington, même si les Etats-Unis continueront à soutenir Israël. Et le recours aux Nations unies redevient une option envisageable pour les Palestiniens.

    Les élections législatives israéliennes ont accouché d’une surprise.

    Donné battu, Benyamin Nétanyahou les a emportées, et d’assez loin, sur son adversaire de centre gauche du Camp sioniste. Ce retournement, le premier ministre israélien l’a réalisé en flattant outra-geusement dans les derniers jours de sa campagne les deux propensions les plus répandues dans sa société : d’abord la peur et la conviction que toute «  concession aux Palestiniens  » constitue une «  menace existentielle  »  ; ensuite un racisme anti-arabe plus prégnant que jamais dans le pays.

    En appelant, le jour-même du scrutin, les électeurs à se mobiliser pour faire obstacle à «  la gauche et [aux] ONG en train d’amener massivement des hordes d’Arabes aux bureaux de vote  », et après avoir déclaré, la veille, que lui au pouvoir un État palestinien ne verrait jamais le jour, «  Nétanyahou a révélé son vrai visage, et les électeurs ont aimé ça  »1, a conclu le chroniqueur du quotidien Haaretz Aluf Benn. Le soir de l’élection, fêtant la victoire, le premier ministre est apparu aux côtés du chanteur Amir Benayoun, auteur d’une chanson si raciste envers les Arabes que le président de l’État, Reuven Rivlin, avait annulé une invitation qu’il lui avait envoyée.

    L’élection en dit long sur l’état de paranoïa et de déni dans laquelle vit la société juive israélienne. Celle dont l’État passe son temps à capturer toujours plus de terres palestiniennes, à limiter l’accès à l’eau des paysans palestiniens, à imposer des tracasseries administratives épuisantes et inépuisables à des humains privés de tous droits politiques depuis des décennies, celle qui terrorise l’autre société en usant d’une force militaire quasi sans contrepartie, qui enferme des civils sans jugement ni même inculpation pour des périodes infinies grâce à ses lois d’exception, cette société-là se perçoit elle-même comme la victime et vit dans une peur constante.

    Pour elle, la moindre concession serait «  le début de la fin  » – et l’égalité avec le Palestinien une impossibilité absolue. Une attitude qui rappelle l’enfermement mental et politique des sociétés coloniales, celle des dits «  Européens  » en Algérie, en Rhodésie et ailleurs, sociétés recroquevillées sur le maintien intégral de leur système de domination, ou encore celle des «  Blancs du Sud  » aux États-Unis, à l’époque de la ségrégation raciale.

    Cette société, par elle-même, n’est plus en mesure par ses propres moyens de s’ouvrir à l’Autre, de lui reconnaitre sa qualité d’humain égal en droits et en dignité. Elle porte en elle trop de culpabilité occultée, niée, accumulée depuis si longtemps. Elle est désormais prête à suivre Nétanyahou qui lui propose de transformer constitutionnellement l’identité de l’État d’Israël en un Etat ethnique (l’«  État du peuple juif  »), dont les citoyens ne disposeraient pas tous des mêmes droits, selon qu’ils sont juifs ou pas. Le 9 novembre 2014, Sheldon Adelson, le milliardaire propriétaire de casinos à Las Vegas et Macao qui est aussi le premier financier des campagnes de Nétanyahou, était interrogé à Washington sur les risques de dérive d’Israël vers un abandon formel de la démocratie.

    Réponse : «  Je ne crois pas que la Bible dise quoi que ce soit sur la démocratie. Dieu n’a pas dit un mot sur la préservation d’Israël comme État démocratique. [Vous me dites qu’]Israël ne sera plus un État démocratique. Et alors  ?  » On n’a pas connaissance que ces propos aient dérangé le récent vainqueur de l’élection israélienne. État non démocratique parce qu’occupant une population dénuée de droits, Israël l’est de facto depuis longtemps déjà. Mais inscrire dans la loi l’ethnicité comme fondement du droit ne serait pas une évolution anodine. C’est à cette possibilité-là qu’a adhéré dans sa majorité la société israélienne le 17 mars.

    La fin des accords d’Oslo

    Le «  processus de paix  » est définitivement décédé. Plus exactement, beaucoup, depuis des années, voulaient ou faisaient semblant de croire qu’il était toujours vivant. La fiction de ce «  processus  » perdurait. Sa longue agonie, engagée après l’échec des négociations de Camp David à l’été 2000 et le déclenchement subséquent de la seconde Intifada palestinienne, a pris fin avec l’affirmation sans fard de Nétanyahou, la veille du scrutin, de son opposition à la création d’un État palestinien. Lorsqu’il a, victoire acquise, tenté de laisser croire qu’il n’avait pas définitivement renoncé à l’idée des deux États, la Maison Blanche a refermé la porte de façon assez abrupte. De fait, ce n’est pas tant le «  processus  » que la paix elle-même qui est hors de propos. Et c’est, d’une certaine façon, un succès pour la stratégie de Mahmoud Abbas. Car si les Israéliens ne veulent pas la paix, les Palestiniens, après tant de massacres, d’oppression quotidienne, n’en font pas plus leur priorité. Ce qu’ils veulent c’est la liberté, la fin de l’occupation.

    Et tel est bien le sens de l’offensive diplomatique engagée par le chef de l’Autorité palestinienne devant les Nations unies pour obtenir du Conseil de sécurité la reconnaissance de son État dans les frontières de 1967. Jusqu’ici prévalait la logique des accords d’Oslo de reconnaissance mutuelle entre Israël et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), en 1993, qui se résumait à une idée : «  la terre contre la paix  ».

    Autrement dit : si une «  paix juste, durable et globale ainsi qu’une réconciliation historique  »2 est signée avec les Israéliens, les Palestiniens auront une terre – donc un Etat. Sur fond d’échec de la seconde Intifada, et avec l’enlisement de négociations intermittentes ne débouchant jamais sur rien d’autre que la poursuite ininterrompue de la colonisation israélienne et l’aggravation des conditions de vie de sa population, Abbas, en allant à l’ONU, a inversé cette logique. Ce n’est plus «  la terre contre la paix  », c’est désormais «  la paix pour la terre  ». Autrement dit : la terre d’abord, donc l’évacuation israélienne des territoires occupés, la paix viendra ensuite, une fois que l’État palestinien aura été érigé. Si elle survient, ce qui n’est pas certain…Mais «  la paix  » ne peut plus constituer un préalable à l’évacuation des territoires palestiniens.

    Avec la réélection de Nétanyahou, ce renversement de la logique d’Oslo commence lentement à faire son chemin dans les milieux diplomatiques.

    Comme l’a écrit l’analyste Peter Beinart, dans l’administration américaine, beaucoup pensent que l’option de «  la négociation menant à l’instauration de deux Etats côte à côte est vraiment morte  »3 Dès lors, si l’idée d’un État unitaire pour les deux peuples reste du domaine de la rêverie, tant les Israéliens dominent aujourd’hui les Palestiniens sur tous les plans (diplomatique, économique, technologique, universitaire, militaire, etc), et tant les Palestiniens aspirent à ériger leur État pour ne plus subir le joug israélien — et si l’idée d’un retrait des Israéliens de leur propre initiative sur la frontières de juin 1967 parait encore plus inenvisageable —, il ne reste qu’une solution : celle d’un retrait des Territoires occupés imposé à Israël de l’extérieur. Tel est le sens sous-jacent de l’annonce américaine d’une «  réévaluation de la position  » des États-Unis au lendemain du succès électoral de Nétanyahou. «  Israël ne peut maintenir indéfiniment son contrôle sur un autre peuple  ; l’occupation qui dure depuis près de 50 ans doit cesser  », a déclaré Denis McDonough, le chef de cabinet de Barack Obama, le 23 mars, devant le lobby pacifiste pro-israélien J Street à Washington.

    Vers une résolution de l’ONU  ?

    Un tournant dans la relation americano-israélienne  ? À quoi pourrait ressembler la «  réévaluation  » de sa relation à Israël que la Maison Blanche a annoncée  ? Le New York Times cite «  des officiels  » anonymes selon qui la présidence envisagerait la possibilité de soutenir désormais une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui validerait le principe d’une solution à deux États de part et d’autre de la frontière de juin 19674 (avec d’éventuels échanges mineurs de territoires). Ainsi, Israël serait placé devant une situation nouvelle – l’inscription dans le droit international de frontières qu’il récuse (l’État n’a jamais déterminé ses propres frontières et, en Cisjordanie, exige en tout état de cause, en cas d’accord, de préserver la partie orientale de Jérusalem, la vallée du Jourdain et les «  grands blocs  » de colonies érigés depuis 1967). Interrogé sur ce point, la porte-parole de la Maison Blanche, Jan Psaki, a déclaré : «  Nous ne préjugeons pas de ce que nous ferions en cas d’action à l’ONU  ».

    Le retour de la question palestinienne aux Nations unies, la possibilité de voir Washington abandonner son veto systématique au Conseil de sécurité, constituerait pour Israël un échec majeur. Car l’admission occidentale sans faille jusqu’ici de sa légitimité à mener des «  négociations bilatérales sans préalables  » avec les Palestiniens constituait un élément clé de sa capacité à maîtriser à sa guise ces négociations. Et l’assurance de bénéficier d’un veto américain en toutes circonstances a grandement contribué au sentiment d’impunité avec lequel Jérusalem a pu mener sa «  politique de la force  » sans se heurter à aucune restriction de la communauté internationale depuis des décennies. La poursuite ininterrompue de la colonisation comme les bombardements répétés et croissants sur Gaza en ont été des exemples criants.

    Déclarer illégale la poursuite de la colonisation  ?

    On n’en est pas encore à un soutien américain à une résolution onusienne sur un plan de partage territorial entre Israël et la Palestine. Mais le simple fait que cela puisse s’envisager est symptomatique d’un tournant majeur, dont il reste difficile de pressentir comment il pourrait évoluer. Pour Peter Beinart, qui a visiblement interrogé de nombreux officiels à la Maison Blanche, plutôt que de lever son veto à une résolution contraignante sur les frontières reconnues d’Israël — qui est la pire hantise des Israéliens, Likoud comme travaillistes —, Washington pourrait commencer par ne pas opposer son veto à une résolution onusienne moins grave, déclarant illégale la poursuite de la colonisation5.

    D’autres assurent que les États-Unis pourraient aussi lever leur prévention sur le dépôt par Abbas d’une plainte contre Israël pour «  crimes de guerre  » devant la Cour pénale internationale au sujet de la colonisation. De toute façon, aucune décision ne devrait être prise avant l’automne, c’est-à-dire avant de savoir si un accord est conclu avec l’Iran sur la question de son nucléaire militaire.

    S’il l’est, cet accord «  sera historique et montrera que l’administration américaine est disposée à résister à l’opposition d’un Congrès républicain et à négocier avec les membres de son propre parti qui doutent, et aussi à tenir bon face aux pressions israéliennes  »6, commente Aaron David Miller, vice-président du Centre d’études internationales Woodrow Wilson à Princeton, qui fut conseiller aux affaires proche-orientales sous Bill Clinton. Selon lui, quoi qu’il fasse, Nétanyahou sera «  en fin de compte dans l’incapacité d’empêcher  » la mise en œuvre d’un tel accord s’il est signé. Dès lors, bénéficiant d’un soutien international, le président américain serait en position de mieux imposer son point de vue aux dirigeants israéliens.

    Reste que, lors de son appel à Benyamin Nétanyahou pour le «  féliciter  » de son succès électoral, Barack Obama, s’il a réitéré ses critiques des propos de son interlocuteur sur la nécessité de contrer les «  masses d’Arabes  » allant voter et réaffirmé qu’il récusait son point de vue sur l’Iran, lui a également assuré qu’il n’entendait en aucune manière modifier la politique américaine de soutien militaire à Israël (3 milliards de dollars annuels). Pour le moment, l’heure des pressions autres que diplomatiques n’a pas sonné.

     

    Sylvain Cypel 25 mars 2015
     
  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

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     LDH (France), CRLDHT, FTCR, ATF, Front populaire IdF, REF, ADTF, DTCE, AIDDA, Collectif 3 C, Al Massar, Al Joumhouri - 20 mars 2015

     

     WSF - 19 March 2015

     

     FSM - 19 mars 2015

     

     SIVAN Eyal, SIBONY Michèle - 18 mars 2015

     

    Laïcité UJFP - 19 mars 2015

     

     SIBONY Michèle - 6 mars 2015

     

     Collectif- - 19 mars 2015
  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

    Résultat de recherche d'images pour "tunisie bardo"

     

    BONZOM Mathieu, PALHETA Ugo - 18 mars 2015
     
     Collectif- - 28 février 2015
     
     SALINGUE Julien - 18 mars 2015
    Contre la politique du tout-sécuritaire et l’islamophobie  : ripostons !
     
     TREILLET Stéphanie , MARTY Christiane, PENIT-SORIA Jacqueline, LLANQUE Huyara, LAFON Marion, KIEFE Françoise, RIGONI Sandra, TOPELET Marielle, VILLAME Thérèse - 6 mars 2015
     
     NPA, Ensemble - 19 mars 2015
     
     BEAUDET Pierre 19.03  
     
    On the Left WSF - 18 March 2015
     
    Front populaire IdF - 18 mars 2015

     

  • Nouveautés sur "Agence Médias Palestine"

     
    Record du nombre de violations des media en Palestine en 2014

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    RAMALLAH (Ma’an) – Le Centre Palestinien pour le Développement et la Liberté des Media (MADA) a dit dimanche que l’année 2014 a vu 465 violations de la liberté des media en Cisjordanie occupée, dans la bande de Gaza et à Jérusalem Est. Ghazi Hanania, le président de MADA, a dit à des reporters que 2014...
     
     
    Six adolescents, un adulte, détenus par l’armée près de Jénine

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    Samedi 15 mars 2015 07h39 par IMEMC & Agences Samedi soir, les soldats israéliens ont détenu six adolescents palestiniens et un adulte du village d’al-‘Arqa, à l’ouest de la ville de Jénine au nord de la Cisjordanie. Le Bureau de Coordination du District Palestinien (Palestinian District Coordination Office – DCO) a réussi à obtenir leur...
     
     
    Gideon Lévy: Pour voir à quel point Israël est devenu raciste, regardez à gauche

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    Les sommets atteints par l’expression de la haine contre les Arabes sont choquants, tout comme leur acceptation par le public israélien. Par Gideon Lévy, dimanche 15 mars 2015, 6h20 Le « vol chocolat » d’Israël – l’équivalent politique de cet incident récent, une vidéo de ce qui est devenu un virus, dans laquelle des passagers...
     
     
    Précaire et dangereuse : une journée dans la vie d’un pêcheur de Gaza

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    Mohammed Omer – Middle East Eye – 16 février 2015 Malgré l’accord de cessez-le-feu, la marine de guerre israélienne poursuit ses attaques contre les bateaux de Gaza dans la zone de pêche étendue, provoquant peur et privations. Des pêcheurs reviennent avec seulement une petite pêche et cela parce qu’ils ont été forcés de pêcher à...
     
     
     
    Yonatan Mendel : Journal – élections en Israël

    Yonatan Mendel : Journal – élections en Israël

    Journal – élections en Israël. Yonatan Mendel, 6 mars 2015 Chaque fois qu’Israël fait la une pour le meurtre massif de Palestiniens à Gaza ou de Turcs civils dans les eaux internationales, je propose un article à la LRB (London Review of Books). La réponse habituelle est que je suis en retard ou qu’une personne...


     

     

  • La France, nouvelle alliée objective du système tortionnaire marocain (Afriques en lutte)

    http://revolutionsarabes.hautetfort.com/media/00/01/3302130056.jpeg

    Accord de coopération judiciaire France-Maroc 

    Le 31 janvier, la France et la Maroc ont signé un « amendement très important[1] », aux accords de coopération judiciaire franco-marocains, que l’ACAT a pu se procurer. Outre les problèmes de constitutionalité qu’il pose, ce texte contient des dispositions exceptionnelles et dangereuses qui mettent en péril la défense des victimes de crimes françaises et marocaines, en rendant de facto quasi-impossible toute poursuite en justice de ressortissants marocains si le Maroc s’y oppose. Un accord outrageant, taillé sur mesure pour apaiser le royaume chérifien après un an de brouille diplomatique entre les deux pays. Et qui piétine les droits de l’homme.

    À tout prix, il fallait apaiser le Maroc. L’accord que la France vient de signer pour ce faire véhicule un message problématique : il donne l’image d’une France disposée à créer une justice à géométrie variable, soumise aux exigences des États partenaires, au détriment de la défense constante et inconditionnelle des droits de l’homme dont elle se prévaut pourtant.

    En effet, l’accord conclu le 31 janvier garantit au Maroc la possibilité d’enterrer toute affaire qu’il juge gênante. En amont de la visite annoncée de Laurent Fabius à Rabat le 9 mars, l’ACAT et Ancile Avocats alertent sur les conséquences graves qu’engendre l’amendement sur l’accès des victimes à la justice et la nécessité impérative qu’il soit soumis au parlement.

     

    Décryptage juridique par l’ACAT et Ancile Avocats :

    Le devoir d’informer : une menace sur l’efficacité des enquêtes

    Désormais, si une infraction (délit ou crime) commise au Maroc, par un Marocain, est dénoncée devant la justice française, alors, la France devra informer immédiatement le Maroc de cette procédure et vice-versa.

    Texte de l’amendement : « 1/ Dans le cadre de leurs engagements respectifs et afin de contribuer à la bonne mise en œuvre des conventions internationales qui les lient, les parties s’emploient à favoriser une coopération plus efficace ainsi que tous échanges entre les autorités judiciaires aux fins de bonne conduite des procédures, notamment lorsque les faits dénoncés ont été commis sur le territoire de l’autre. 2/ Dans cette dernière hypothèse, chaque Partie informe immédiatement l’autre Partie des procédures relatives à des faits pénalement punissables dans la commission desquels des ressortissants de cette dernière sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée. »

    Décryptage :

    En s’obligeant à informer immédiatement le Maroc de l’ouverture d’une procédure en France mettant potentiellement en cause un de ses ressortissants, la France laisse tout loisir aux autorités chérifiennes d’entraver le bon déroulement d’une enquête qu’elles estimeraient politiquement sensible, en intimidant les victimes et les témoins, en détruisant les éléments de preuves ou encore en prévenant les suspects potentiels du risque d’arrestation en cas de visite en France.

    Normalement, au stade de l’enquête, le travail du juge français est couvert par le secret, élément qui est justement indispensable à l’efficacité et à la sérénité des investigations ainsi protégées des pressions et autres manœuvres pouvant entraver la découverte des faits. Dans cette idée, il revient normalement au juge de décider du moment approprié pour informer les autorités étrangères d’une enquête et éventuellement solliciter leur concours.

    La disposition sur le devoir d’informer prévue dans l’amendement est particulièrement inquiétante quand on sait que les plaignants déposant plainte à l’encontre d’agents de sécurité marocains font régulièrement l’objet de manœuvres d’intimidation allant des menaces au harcèlement judiciaire.

    La réciproque (cas de ressortissants français mis en cause par des victimes marocaines) est également rendue possible par l’amendement mais, compte tenu du motif de la brouille entre le Maroc et la France (la mise en cause du responsable du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, pour complicité de torture par une juge d’instruction française), il est difficile de ne pas y voir la garantie octroyée au Maroc de pouvoir « couvrir » ses agents.

    Fin de la compétence universelle pour les crimes graves commis au Maroc

    Désormais, la justice marocaine, informée de l’ouverture d’une procédure en France concernant un ressortissant étranger victime d’un crime au Maroc, pourra décider des suites à lui donner : dans les cas où le juge marocain décidera d’ouvrir lui-même une procédure au Maroc, la justice française devra « prioritairement » se dessaisir du dossier. Une fois l’affaire transférée à la justice marocaine, cette dernière aura toute latitude pour l’enterrer.

    Texte de l’amendement : « 3/ S’agissant de procédures engagées auprès de l’autorité judiciaire d’une Partie par une personne qui n’en possède pas la nationalité et pour des faits commis sur le territoire de l’autre Partie par un de ses ressortissants, l’autorité judiciaire saisie recueille dès que possible auprès de l’autorité judiciaire de l’autre partie ses observations ou informations

    Cette dernière prend toutes les mesures qu’elle juge appropriées y compris le cas échéant l’ouverture d’une procédure. Au vu des éléments ou informations reçus, l’autorité judiciaire saisie détermine les suites à donner à la procédure, prioritairement son renvoi à l’autorité judiciaire de l’autre partie ou sa clôture. En l’absence de réponse ou en cas d’inertie de l’autre Partie, l’autorité judiciaire saisie poursuit la procédure »

    Décryptage :

    Cette disposition est strictement relative aux affaires de compétence universelle, c’est à dire les cas où un non-Français, victime de torture ou de disparition forcée au Maroc, par des agents de l’État marocains, porte plainte en France, à l’occasion du passage dans l’hexagone d’un de ses bourreaux.

    Actuellement, le Code de procédure pénale français prévoit, conformément aux engagements internationaux de la France, la compétence du juge français pour enquêter et juger ces crimes d’une gravité telle qu’ils ne peuvent demeurer impunis.

    Selon l’amendement, si le crime en question est commis au Maroc par des marocains, le juge français devra en priorité se dessaisir au profit du juge marocain, dont on sait pourtant pertinemment qu’il ne diligentera pas une enquête sérieuse, indépendante et impartiale dès lors que des agents de l’Etat sont mis en cause. On ne compte plus les nombreux rapports d’organes des Nations unies et d’ONG qui dénoncent l’impunité dont jouissent les auteurs de crimes graves au Maroc. Cette dernière année, la justice marocaine s’est d’ailleurs davantage illustrée dans la poursuite judiciaire de victimes de torture ayant porté plainte, que dans la poursuite de tortionnaires[2]. En se dessaisissant ainsi auprès de la justice marocaine, le juge français se rendra tout simplement coupable d’un déni de justice.

    L’accès à la justice des français victimes de crimes au Maroc mise en danger

    Le dernier alinéa de l’amendement, rédigé d’une façon aussi lapidaire que floue, est potentiellement très dangereux. Il prévoit en effet que le juge français se dessaisisse prioritairement au profit de la justice marocaine, même si la victime du crime est française !

    Texte de l’amendement : « 4/ Les dispositions du paragraphe 3 du présent article s’appliquent aux individus possédant la nationalité de l’une ou l’autre Partie. »

    Décryptage :

    Si l’amendement est adopté, il introduira une « exception marocaine ». On imagine sans peine les conséquences particulièrement désastreuses qu’une telle démarche aura sur les plaintes concernant des crimes commis par des agents de l’Etat marocains. Cette disposition, comme toutes les autres, est taillée sur mesure. Elle vise principalement Adil Lamtalsi, Mostafa Naïm et Zakariya Moumni, trois citoyens français qui ont porté plainte en France pour des crimes de torture subis au Maroc.

    Des dispositions illégales ?

    Au-delà des problèmes évidents que pose cet amendement au regard de la défense des victimes et, plus généralement, de la défense des droits de l’homme dont la France fait officiellement une priorité, le texte soulève de fortes interrogations au regarde de sa légalité et de sa compatibilité avec la Constitution française et les engagements internationaux de la France :

    La transmission d’informations devant être fournies au Maroc par la France et vice-versa, sur les enquêtes en cours est potentiellement contraire au principe du secret d’instruction, de l’enquête et des poursuites. Elle est à cet égard possiblement illégale.

    A plusieurs égards, le texte de l’amendement est si vague qu’il pourrait être inconstitutionnel, car il enfreint le principe de la légalité juridique. La loi pénale française doit définir les procédures avec précision, sans quoi elle viole le principe de légalité, pourtant garantie tant par la Constitution que par la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

    En l’état, le texte viole l’égalité d’accès à la justice entre les Français victimes de crimes à l’étranger. Prenons l’exemple du traitement de deux plaintes déposées en France par une victime française, pour un crime commis au Maroc (viol, torture), l’un par un Marocain, l’autre par un Tunisien. Si le crime met en cause un Tunisien, la justice française aura la possibilité (sans y être contrainte) de transférer le dossier à la justice marocaine, mais elle ne le fera pas si, par exemple, la justice marocaine ne présente pas de garanties de sérieux et d’équité. En revanche, la justice française aura l’obligation (et non la simple option) de dénoncer le crime au Maroc si l’auteur présumé du crime est Marocain. Et si le juge marocain décide d’ouvrir une enquête, le juge français sera obligé d’opter en priorité pour l’option du dessaisissement. 18 mars 2015 par ACAT,

    Contact presse :

    Christina Lionnet, ACAT, 01.40.40.74.10 / 06.03.86.06.68 christina.lionnet@acatfrance.fr

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/maroc/article/accord-de-cooperation-judiciaire