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Syrie - Page 38

  • Syrie. L’Etat d’Assad tire profit des milliers de disparitions forcées (Al'Encontre.ch)

    La femme d'un activiste politique disparu en 2013 tenant une photo  de sa famille. © Amnesty International - Mark Esplin

    La femme d’un activiste politique disparu en 2013 tenant une photo
    de sa famille. © Amnesty International – Mark Esplin

    Par Amnesty International

    L’ampleur et le caractère orchestré des dizaines de milliers de disparitions forcées perpétrées par le gouvernement syrien au cours des quatre dernières années sont exposés dans un nouveau rapport publié par Amnesty International le 5 novembre.

    Ce rapport intitulé Between prison and the grave: Enforced disappearances in Syria montre que l’Etat tire profit des disparitions forcées nombreuses et systématiques qui constituent des crimes contre l’humanité, par le biais d’un marché noir insidieux: les familles qui cherchent désespérément à savoir ce qu’il est advenu d’un proche disparu sont impitoyablement exploitées par des individus qui leur soutirent de l’argent.

    «Les disparitions forcées commises par le gouvernement font partie d’une attaque généralisée et froidement calculée menée contre la population civile. Il s’agit de crimes contre l’humanité qui s’intègrent dans une campagne soigneusement orchestrée destinée à semer la terreur et à écraser le moindre signe de dissidence à travers le pays», a déclaré Philip Luther, directeur du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

    L’ampleur de ces disparitions est tragique. Le Réseau syrien pour les droits humains a rassemblé des informations sur au moins 65’000 disparitions enregistrées depuis 2011, dont 58’000 disparitions de civils. Les personnes capturées sont généralement détenues dans des cellules surpeuplées et dans des conditions épouvantables, et sans aucun contact avec le reste du monde. Beaucoup meurent des suites de maladies et de torture ou sont victimes d’une exécution extrajudiciaire.

    Les disparitions forcées source de financement du régime

    Les disparitions forcées sont devenues tellement systématiques en Syrie qu’un marché noir s’est mis en place avec des «intermédiaires» ou «négociateurs» qui se font payer des dessous-de-table allant de plusieurs centaines de dollars à plusieurs dizaines de milliers de dollars par des familles désespérées qui tentent de retrouver leurs proches disparus ou de savoir s’ils sont même encore vivants. Ces dessous-de-table représentent maintenant «une grande part de l’économie» selon un militant syrien des droits humains. Un avocat de Damas a aussi dit à Amnesty International que ce système constitue «la poule aux œufs d’or pour le régime […], une source de financement sur laquelle il s’est mis à compter».

    Des familles ont cédé toutes leurs économies ou vendu leurs biens immobiliers pour payer des dessous-de-table afin de savoir ce qu’il était advenu de leurs proches disparus – parfois en échange de fausses informations. Un homme dont les trois frères ont disparu en 2012 a dit à Amnesty International qu’il a emprunté plus de 150’000 dollars pour tenter de savoir, en vain, où ses frères se trouvaient. Il est actuellement en Turquie où il travaille pour rembourser ses dettes.

    «Ces disparitions qui brisent des vies ont aussi créé une économie de marché noir basée sur la corruption, qui fait commerce de la souffrance des familles ayant perdu un des leurs. Ces familles se retrouvent mutilées et accumulent les dettes», a déclaré Philip Luther. Ceux qui tentent de savoir ce qu’il est arrivé à un membre de leur famille qui a disparu risquent souvent d’être arrêtés ou soumis eux-mêmes à une disparition forcée, ce qui ne leur donne guère d’autre choix que de recourir à ces «intermédiaires».

    Un ami de l’avocat syrien spécialiste des droits humains Khalil Matouq, qui a fait l’objet d’une disparition forcée il y a deux ans, a dit que les disparitions forcées font partie d’une «grande stratégie mise en œuvre par le gouvernement pour terroriser la population syrienne». Sa fille, Raneem Matouq, a également été soumise à une disparition qui a duré deux mois, et elle a vécu une expérience horrible en détention.

    Citons le cas particulièrement effroyable de Rania al Abbasi, une dentiste, qui a été arrêtée en 2013 en même temps que ses six enfants âgés de deux à quatorze ans, alors que son mari avait été capturé la veille au cours d’une descente effectuée à leur domicile. On est depuis sans nouvelles de cette famille. Ces personnes pourraient avoir été prises pour cible parce qu’elles avaient apporté une aide humanitaire à d’autres familles.

    Certains Etats ainsi que l’ONU ont condamné les disparitions forcées, mais la dénonciation de ces actes ne suffit pas. Il y a plus d’un an et demi, en février 2014, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la Résolution 2139, qui demande qu’il soit mis fin aux disparitions forcées en Syrie, mais il n’a pas encore pris de mesures supplémentaires pour garantir sa mise en œuvre.

    «Les Etats qui soutiennent le gouvernement syrien, notamment l’Iran et la Russie, qui a récemment commencé à mener des opérations militaires en Syrie, ne peuvent pas fermer les yeux sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis massivement avec leur appui. La Russie, dont le soutien est essentiel pour le gouvernement du président Bachar el Assad, est parfaitement placée pour convaincre ce gouvernement de mettre fin à cette campagne cruelle et lâche de disparitions.»

    Pour en savoir plus sur la campagne d’Amnesty International réclamant la fin des disparitions forcées en Syrie, veuillez cliquer ici. (Communiqué de presse publié le 5 novembre 2015, Londres – Genève)

    Publié par Alencontre le 5 - novembre - 2015
     
  • Syrie. La «guerre sainte» russe… dans l’attente de ses contrecoups (Al'Encontre.ch)

    Le vendredi 23 octobre 2015, à Vienne, étaient réunis les ministres des Affaires étrangères de la Russie, des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite et de la Turquie. Le statut de Bachar el-Assad dans une prétendue transition – Bachar se déclarant prêt à des «élections» (il en a l’expérience, comme Poutine!) – était l’objet affirmé de négociations, sans divergences sur le fond entre les Etats-Unis, la Russie… et l’Allemagne.

    Depuis le 30 septembre, après avoir bien préparé le terrain, Poutine s’est affirmé comme acteur de premier rang, pour l’instant, en Syrie. Ses forces armées sont même invitées en Irak par des porte-parole du gouvernement. Pendant ce temps, l’offensive cathodique nationaliste en Russie est plus intense que les bombes lâchées par les Sukhoï sur Daech. 

    Et l’échéance des sanctions économiques contre la Russie initiées en juillet 2014 – et liées à la «mise en œuvre des accords de Minsk» – approche. Un thème qui pourrait aussi être négocié dans le cadre de la relance de la politique «impériale» russe face à un impérialisme états-unien en déroute dans la région moyen-orientale. Pendant ce temps, de nouvelles fractions d’une population syrienne terriblement meurtrie cherchent refuge en se déplaçant dans un pays détruit ou en gonflant le «flux des réfugié·e·s». Nous publions ci-dessous un article de David Hearst qui vise à resituer la nouvelle politique du Kremlin dans cette région. Un début en fanfare dont la tonalité pourrait changer à moyen terme. (Rédaction A l’Encontre)

    Un an et demi après que Mouammar Kadhafi a été retrouvé caché dans une canalisation d’eaux usées et lynché, une vidéo mystérieuse en russe a été publiée sur YouTube, dans laquelle le Premier ministre Dmitri Medvedev était dénoncé comme un traître. Cette vidéo d’une heure à la réalisation remarquable et au casting haut de gamme de personnes interviewées, dirigé par l’ancien vétéran du KGB au Moyen-Orient Evgueni Primakov, semblait à l’époque être l’œuvre du FSB [Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie], le successeur du KGB.

    La thèse énoncée dans la vidéo était la suivante: Medvedev était un traître en ce sens qu’il avait signé les résolutions de l’ONU [résolution 1970 du 26 février 2011] autorisant l’intervention en Libye. Elle accusait le Premier ministre russe d’être faible et prêt à abandonner les intérêts de la Russie à une Amérique fourbe.

    Et les intérêts russes en Libye? Leonid Ivachov, général à la retraite et président de l’Académie russe des problèmes géopolitiques, les définissait ainsi: «Nous avons perdu un allié important, un partenaire stratégique important et des milliards ont été perdus pour notre économie et notre industrie de la défense.»

    La scène suivante montrait un groupe de travailleurs de l’usine d’ingénierie de KB Mashinostroyenia, à la périphérie de Moscou: «Outre les pertes matérielles, il y a également une perte de moral, quand on pense que tout ce pour quoi l’on travaille depuis tant d’années n’est plus nécessaire», raconte Leonid Sizov.

    La rage du FSB contre Medvedev soutient la thèse selon laquelle c’est le souvenir amer du cas libyen plutôt que les humiliations militaires russes plus éloignées en Afghanistan, au Kosovo ou en Tchétchénie qui ont motivé le projet actuel de Poutine de prendre le siège du pilote en Syrie.

    Dans d’autres instances, les commentateurs russes adeptes de la volte-face (servilement pro-occidentaux sous Boris Eltsine, avant de s’ériger en patriotes nationalistes sous Poutine) ont contesté et rejeté le Printemps arabe. Il était convenu qu’une telle chose n’existait pas. Tous ont affirmé que la Tunisie et la place Tahrir au Caire étaient des opérations spéciales de la CIA, comme l’avaient été les «révolutions de couleur» en Europe de l’Est.

    Ces mêmes analystes payés par le Kremlin estimaient que le renversement de Kadhafi n’avait rien à voir avec un soulèvement civil contre un régime brutal. Il s’agissait d’une prise du pétrole par des Américains assez stupides pour utiliser des miliciens comme intermédiaires, tout comme ils l’avaient fait en Afghanistan contre l’armée soviétique. Après tout, la Libye était le territoire des Russes en Afrique du Nord.

    Il y a plusieurs failles dans cette analyse, notamment l’hypothèse que tout ce qui se passe au Moyen-Orient est l’expression de la relation obsessionnelle de Poutine vis-à-vis de l’Amérique. Cependant, cela n’exclut pas les parallèles entre le comportement de Bush en Irak et le comportement de Clinton en Russie.

    L’arrogance avec laquelle Bush pensait qu’il pouvait briser puis remodeler l’Etat irakien en 2003, et que les obus jeffersoniens [allusion au rapport du président Thomas Jefferson – 1801 à 1809 – aux «Droits de l’homme»] de la démocratie seraient tirés par les canons des chars américains, a eu un précédent avec les efforts de l’administration Clinton pour remodeler l’Etat russe après 1992 [suite au retrait des troupes russes de pays Baltes et l’intégration de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque dans l’OTAN, soutien financier à l’administration Elstine]. Les deux projets, qui ont échoué, ont toutefois été le fruit de la même idéologie, selon laquelle après l’effondrement du communisme et avant l’émergence d’une flotte chinoise, tous les obstacles aux projections de puissance des Etats-Unis étaient levés.

    Poutine savait donc qu’il était en train de changer, actuellement, les règles du jeu en Syrie, mais il ne l’a pas fait sans préparer le terrain. Il s’est également affairé à créer des coalitions de volontaires [référence au terme coalition of the willing montée par les Etats-Unis à l’occasion de la guerre en Irak]. De manière décisive, la construction d’une coalition contre le groupe Etat islamique (Daech) avec Bachar el-Assad comme pièce maîtresse a été initiée en tant que démarche irano-russe après la percée des pourparlers sur le nucléaire. Mais Poutine avait besoin d’alliés arabes.

    Des alliés qu’il a trouvés en Jordanie, aux Emirats arabes unis et en Égypte. Mêlant des affaires avec encore plus d’affaires, Poutine a fait venir le roi Abdallah de Jordanie, le prince héritier des Emirats arabes unis Cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi à un meeting aérien militaire organisé août 2015 à Moscou. La Jordanie a récemment retiré son soutien aux forces rebelles syriennes sur le front sud [et vendredi 23 octobre 2015, la Jordanie, très dépendante militairement et financièrement des Etats-Unis, a annoncé la mise en place d’un «mécanisme de coordination» avec la Russie; Amman voudrait plus d’aide matérielle pour la «gestion des réfugiés» et craint des effets d’une chute brutale du régime de Bachar el-Assad, ses services sont toujours restés en contact avec Damas].

    De même, l’Egypte, qui a évité d’afficher un soutien pour Assad, soutient désormais ouvertement l’intervention russe au nom de ce dernier. Le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Shoukry a déclaré dès le 3 octobre 2015 que «l’entrée de la Russie, compte tenu de son potentiel et de ses capacités, est un élément qui contribuerait à limiter le terrorisme en Syrie et à l’éradiquer».

    S’exprimant sur Al Manar, la chaîne de télévision du Hezbollah, l’analyste russe et ancien diplomate Vitslav Matozov a assuré que la Russie a reçu le soutien d’un pays arabe qu’il n’a pas souhaité identifier. Il a fait fortement allusion aux Emirats arabes unis lorsqu’il a affirmé que «la position égyptienne en faveur des frappes est le reflet de la position d’Abou Dhabi». Il a ajouté qu’«il ne fait aucun doute que la voix du Caire est la voix de fond d’un Etat du Golfe autre que l’Arabie saoudite».

    La Russie dispose d’un quatrième allié dans le cadre de sa campagne de bombardement: Israël. Netanyahou a maintenu sa relation avec Poutine, advienne que pourra. A un moment donné, il a fait en sorte que Poutine retire de ses wagons à plate-forme une livraison de missiles surface-air S300 en partance pour l’Iran. Dimanche 4 octobre, Maariv a cité une source militaire israélienne qui a affirmé que la poursuite de la guerre civile en Syrie convenait aux intérêts israéliens. Il a indiqué que le maintien du régime d’Assad, qui jouit d’une reconnaissance internationale, soulage Israël du fardeau d’une intervention directe et d’une implication profonde dans la guerre qui fait rage. Il a noté qu’Israël est du même avis que la Russie et l’Iran sur cette question. Voilà une déclaration remarquable compte tenu du fait que l’Iran est le principal fournisseur du Hezbollah et que la Syrie d’Assad est son seul intermédiaire pour les missiles à longue portée capables de frapper Israël en son cœur. Voilà pour les alliés de Poutine au Moyen-Orient.

    Qu’en est-il de ses adversaires?

    Les trois pays non-occidentaux qui ont émis une déclaration conjointe condamnant les frappes aériennes russes sont l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, les principaux soutiens de l’opposition syrienne. La déclaration conjointe n’a pas été signée par l’Egypte, la Jordanie et les Emirats arabes unis, malgré la pression exercée par l’Arabie saoudite. Il s’agit là de signes clairs de la scission arabe. Des joutes aériennes ont déjà eu lieu entre des SU-24 russes et des F-16 turcs dans ce qu’Ankara a revendiqué comme relevant de l’espace aérien turc, et le Premier ministre turc Ahmet Davuto?lu a déclaré que l’armée de l’air turque recourrait aux règles d’engagement militaires, affirmant que «même si c’est un oiseau qui vole, il sera intercepté». [Des accords sont intervenus le 20 octobre 2015 pour «régler» l’utilisation de l’espace aérien; accords annoncés par Anatoli Antonov, vice-ministre russe de la Défense, et le porte-parole du Pentagone, Peter Cook.]

    Matozov a indiqué que les Russes ont bien compris l’opposition saoudienne aux opérations contre l’Etat islamique et l’ont attribuée à des liens étroits entre le royaume et Washington: revoici l’obsession russe. Ici encore, les Russes ne comprennent pas ce qui se passe au Moyen-Orient, où l’Amérique perd le contrôle de ses alliés et où tout le monde fait comme bon lui semble. Les Saoudiens sont furieux de la réticence d’Obama à lancer des frappes contre Assad après les attaques au gaz à l’extérieur de Damas [23 août 2013]. Riyad pense que si le royaume ne revendique pas le rôle de protecteur de la population sunnite majoritaire dans la région, Al-Qaïda ou l’Etat islamique le fera à sa place.

    On a donc deux des nations les plus riches du Golfe, la plus grande armée régionale qu’est l’armée turque, la majorité de la population en Turquie, au Liban, en Syrie, en Jordanie et dans le Golfe, ainsi qu’une partie importante de l’Irak, qui considèrent la Russie comme un agresseur impérial étranger. Ce qui représente une certaine opposition.

    La Russie n’a pas abandonné ses efforts pour leur vendre son intervention. Les frappes aériennes ont été applaudies par l’Église orthodoxe russe, qui a félicité Poutine pour la «guerre sainte» qu’il mène. «La lutte contre le terrorisme est un combat saint, et aujourd’hui, notre pays est peut-être la force la plus active au monde dans la lutte contre celui-ci», a déclaré Vsevolod Chaplin, chef du département des affaires publiques de l’Église.

    Cette pensée n’est pas nouvelle. Bush a utilisé quasiment les mêmes mots lorsqu’il a déclaré peu de temps après les attentats du 11 septembre que «cette croisade, cette guerre contre le terrorisme, va prendre du temps». C’est le cas, en effet. Le fait que la Russie commette la même erreur que Bush et Blair quatorze ans plus tard, jusqu’à utiliser les mêmes mots, est la preuve du danger d’encadrer la lutte dans un pays musulman en des termes religieux.

    Le dernier lancer de dés de Poutine en Syrie est une catastrophe ambulante, sans puissance de freinage. Si les avions soviétiques dans l’Afghanistan reculé se sont avérés être un aimant si puissant pour les combattants militants arabes, imaginez combien de recrues pourrait offrir à l’État islamique leur apparition dans le ciel syrien et irakien. Ne sous-estimez pas l’importance de ce dans quoi Poutine s’est embarqué: de mémoire d’homme, c’est la première fois que l’armée russe est employée pour jouer un rôle de combat au Moyen-Orient. Si les Israéliens ont détecté une présence russe aux côtés des forces égyptiennes combattant sous Nasser au lendemain de 1967, cela n’a toutefois jamais été reconnu officiellement. Maintenant, oui.

    Ce rôle de combat prive la Russie de la capacité de freiner le soutien apporté à Assad par l’Iran et le Hezbollah ou de négocier un rôle de transition à Genève. Cela ravive un conflit qui était en perte de vitesse et qui semblait se diriger vers une série de cessez-le-feu négociés localement, même en comptant les avancées de l’opposition au sud. Cela revient à répéter toutes les erreurs commises en Syrie et en Irak par les maîtres coloniaux américains, britanniques et français. Cela revient à aliéner davantage la population majoritaire de la région.

    Un commandant irakien nous a expliqué pourquoi ils ont été tant attirés par la proposition d’aide russe: «Ils [la coalition dirigée par les États-Unis] refusent de frapper les voitures privées, les mosquées, les ponts, les écoles, malgré le fait que les militants de Daech utilisent principalement ces lieux pour en faire leurs sièges.» «C’est une guerre exceptionnelle et notre ennemi n’a pas de règles», a soutenu un autre commandant, tandis qu’un troisième responsable s’est demandé: «Comment [pouvez-vous] me demander de respecter les règles alors que mon ennemi tue brutalement mon peuple tous les jours, asservit mes sœurs et détruit mes villes? Les Russes n’ont pas de lignes rouges, pas de règles compliquées et limitées, c’est pourquoi il nous serait facile de coopérer avec eux.»

    Que pourrait-il arriver? Comme le disent les Russes, poechali! («Allons-y!»). (Article publié sur le site de MEE en date 16 octobre 2015)

    Par David Hearst David Hearst a longtemps rédacteur de la rubrique dite étrangère du quotidien The Guardian avant d’être responsable du site en ligne MEE.

    Publié par Alencontre le 26 - octobre - 2015
     
  • Syrie-Russie. «Nouveaux colonialismes et crise des valeurs de la gauche» (Al'Encontre.ch)

    Bachar el-Assad le 20 octobre au Kremlin rencontre Vladimir Poutine

    Bachar el-Assad le 20 octobre au Kremlin rencontre
    Vladimir Poutine

    La visite de Bachar el-Assad à Moscou n’a été révélée que mercredi 21 octobre au matin, par le porte-parole du Kremlin. «Hier soir, le président de la République arabe syrienne Bachar el-Assad est venu en visite de travail à Moscou», a annoncé Dmitri Peskov. Cette visite de Bachar el-Assad est le premier déplacement à l’étranger depuis 2011, date du soulèvement, en mars, du peuple de Syrie contre la dictature des Assad. Vladimir Poutine était entouré au Kremlin de son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, du premier ministre Dmitri Medvedev et de Nikolaï Patrouchev, ex-patron du FSB (services secrets) et secrétaire du Conseil de sécurité de Russie.

    Après les remerciements plus que protocolaires, Bachar el-Assad a exprimé sa «reconnaissance» à la Russie. Car cette dernière défend «son unité et de son indépendance. Le plus important, c’est que tout cela se fait dans le cadre de la législation internationale.» Bachar a souligné que «les pas politiques effectués par la Fédération de Russie depuis le début de la crise n’ont pas permis au terrorisme de se développer selon un scénario beaucoup plus tragique (…). Chacun comprend que les actions militaires supposent ensuite des étapes politiques.» Pour l’heure Poutine sauve plus Bachar de la débâcle qu’il n’écrase Daech. Les déclarations sur la «transition politique» servent de décors, actuellement. (Rédaction A l’Encontre)

    Lorsque la visibilité se restreint au minimum en raison de puissantes tempêtes qui obscurcissent la perception de la réalité, c’est peut-être une bonne chose d’élever le regard, d’escalader le versant afin de trouver des points d’observation plus vastes, pour discerner le contexte dans lequel nous nous mouvons. En ce moment, alors que le monde est traversé de multiples contradictions et intérêts, il est urgent d’aiguiser les sens afin de pouvoir observer plus loin, ainsi que vers l’intérieur.

    En des temps de confusion où l’éthique fait naufrage, où les points de repère élémentaires disparaissent et que s’installe quelque chose de semblable à un «tout se vaut» qui permet de soutenir n’importe quelle cause pour autant qu’elle s’oppose à l’ennemi principal, au-delà de toute considération de principes et de valeurs. Des raccourcis qui aboutissent à des impasses, tel celui qui revient à réunir Poutine et Lénine, pour prendre un exemple presque à la mode.

    L’intervention russe en Syrie est un acte néocolonial, qui place la Russie du même côté de l’histoire que les Etats-Unis, la France et l’Angleterre. Les colonialismes bons, émancipateurs, n’existent pas. On aura beau justifier l’intervention russe en utilisant l’argument qu’elle freine l’Etat islamique et l’offensive impériale dans la région, il n’en restera pas moins qu’il s’agit d’une action symétrique utilisant des méthodes identiques et des arguments semblables.

    La question que je considère centrale est la suivante: pourquoi entend-on des voix de la gauche latino-américaine en soutien à Poutine? Il est évident que nombreux sont ceux qui ont placé leurs espoirs en un monde meilleur dans l’intervention de grandes puissances comme la Chine et la Russie, avec l’espoir qu’elles freinent ou qu’elles défassent les puissances encore hégémoniques. Cela est compréhensible, eu égard aux méfaits commis par Washington dans notre région [Amérique du Sud]. Mais c’est une erreur stratégique et une déviation éthique.

    Je voudrais éclairer cette conjoncture, particulièrement critique, en faisant appel à un document historique: la lettre qu’Aimé Césaire a adressée, en octobre 1956, à Maurice Thorez (secrétaire général du Parti communiste français). Le texte a été écrit lors d’un zigzag de l’histoire, peu après le XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique au cours duquel les crimes du stalinisme furent dénoncés publiquement; soit le même mois que le soulèvement du peuple hongrois contre le régime bureaucratique pro-russe (qui se solda par plusieurs milliers de morts) et que de l’agression coloniale contre l’Egypte suite à la nationalisation du canal de Suez [en octobre Israël envahit la bande Gaza et le Sinaï et atteint la zone du canal; dès le 31 octobre la France et le Royaume-Uni bombardent les aérodromes de l’Egypte; début novembre des troupes françaises interviennent au sol; les Etats-Unis vsent à désamorcer la crise» et à avancer leurs pions; l’URSS soutient Nasser et construit une influence dans la région].

    Césaire quittait le parti (PCF) suite à un congrès honteux lors duquel la direction fut incapable de faire preuve de la moindre autocritique face aux révélations de crimes que, dans les faits, elle soutenait. Il naquit à la Martinique, tout comme Frantz Fanon, dont il fut l’enseignant de secondaire. Il fut poète et fondateur du mouvement de la négritude dans les années 1930. En 1950, il écrivit un Discours sur le colonialisme qui eut un grand impact au sein des communautés noires. Sa lettre à Thorez fut, pour reprendre les mots d’Immanuel Wallerstein, «le document qui expliqua et exprima le mieux la distanciation entre le mouvement communiste mondial et les divers mouvements de libération nationale» (dans son introduction au Discours sur le colonialisme [publié dans l’édition espagnole de 2006 parue chez l’éditeur] Akal, p. 8). Il y a trois questions qui, dans sa lettre, éclairent la crise des valeurs de la gauche que nous traversons actuellement.

    • La première tient au manque de volonté de rompre avec le stalinisme. Césaire se révolte contre le relativisme éthique qui prétend conjurer les crimes du stalinisme «par quelque phrase mécanique». C’est en effet au moyen d’une phrase fétiche, répétée, qui affirme que Staline «commit des erreurs». Assassiner des milliers de personnes n’est pas une erreur, même si l’on tue au nom d’une cause supposée juste.

    La plus grande partie de la gauche ne fit pas un bilan sérieux, autocritique, du stalinisme qui, ainsi que cela a été écrit dans ces pages [dans le journal mexicain La Jornada], va bien au-delà de la figure de Staline. Ce qui a donné vie au stalinisme est un modèle de société centré sur l’Etat et sur le pouvoir d’une bureaucratie qui se transforme en bourgeoisie d’Etat, qui contrôle les moyens de production. On continue de miser sur un socialisme qui répète ce modèle vieux et caduc de centralisation des moyens de production.

    • La deuxième question est que la lutte des opprimés «ne peut pas être traitée comme une partie d’un ensemble plus important», affirme Césaire, car existe une «singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème». La lutte contre le racisme, ajoute-t-il, est d’une «tout autre nature que la lutte de l’ouvrier français contre le capitalisme français et ne saurait en aucune manière être considérée comme une partie, un fragment de cette lutte» [subordonné à cette dernière].

    Sur ce point, les luttes anticoloniales et antipatriarcales relèvent du même ordre. «Ces forces ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer.» Aujourd’hui encore nombreux sont ceux qui ne comprennent pas que les femmes ont besoin de leurs propres espaces, à l’instar de tous les peuples opprimés.

    Césaire affirme qu’il s’agit de ne «pas confondre alliance et subordination», une chose très fréquente lorsque les partis de gauche prétendent «assimiler» les revendications des différentes sections de ceux d’en bas en une cause unique, au moyen de la sacro-sainte unité qui ne fait rien d’autre qu’homogéniser les différences, installant de nouvelles oppressions.

    • La troisième question qu’éclaire la lettre de Césaire, d’une actualité qui provoque la colère, est en rapport avec l’universalisme. Plus exactement, avec la construction d’universaux qui ne soient pas eurocentristes, au sein desquels la totalité ne s’impose pas aux diversités. «Il y a deux manières de se perdre: par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’“universel”.»

    Nous sommes toujours loin de bâtir «un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers», ainsi que l’écrivait Césaire il y a soixante ans.

    Ceux qui misent sur des pouvoirs symétriques à ceux qui existent, excluant et hégémoniques, mais de gauche; ceux qui opposent aux bombes mauvaises des Yankees les bonnes bombes des Russes suivent le chemin tracé par le stalinisme faisant table rase du passé et des différences, au lieu d’œuvrer à quelque chose de différent, pour un monde qui contient d’autres mondes.

    (Traduction A L’Encontre, article publié le 16 octobre dans le quotidien mexicain La Jornada. L’intégralité de la lettre d’Aimé Césaire peut se lire ici. Sur les impérialismes et la Syrie, nous renvoyons aux deux textes publiés sur ce site en date du 16 octobre: Ni Daech, ni Assad, pour une paix juste et du 19 octobre: «Empêcher l’effondrement du régime Assad»)

    Publié par Alencontre le 21 - octobre - 2015Par Raúl Zibechi
     
  • «Empêcher l’effondrement du régime Assad» (A l'Encontre.ch)

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    Entretien avec Gilbert Achcar
    conduit par Ilya Budraitskis

    Le 17 octobre 2015, Zakaria Malafji, membre de l’Armée syrienne libre à Alep, déclarait à un journaliste du Guardian: «Le régime d’Assad a avancé de 6 km le vendredi 16 octobre et s’est emparé de trois villages. Les Russes nous ont arrosés avec des bombes, y compris sur les zones habitées par des civils. Ils veulent tout nettoyer afin que les tanks du régime et même les fantassins puissent avancer.» Paul Khalifeh rapportait de Beyrouth, le 18 octobre, sur les ondes de RFI qu’Hassan Nasrallah avait déclaré lors de la cérémonie en hommage «à l’un des plus importants chefs militaires du Hezbollah, Hassan Hussein al-Hage tué en Syrie la semaine dernière que ce commandant est mort au combat en participant avec ses troupes à l’offensive de l’armée syrienne dans la province d’Idleb, près de la Turquie, très loin du Liban». Nasrallah a conclu: «La bataille actuelle est essentielle et décisive. Nous sommes présents partout où nous devons l’être.» Selon P. Khalifeh, basé à Beyrouth: «Des experts évaluent à 10’000 le nombre de combattants du Hezbollah actuellement déployés en Syrie.»

    Afin de contextualiser et de saisir les lignes de force de la guerre civile en Syrie et les interventions de la Russie comme des forces militaires occidentales, Ilya Budraitskis s’est entretenu avec Gilbert Achcar. Nous présentons ci-dessous la traduction français de cet entretien. (Rédaction A l’Encontre)

    Ilya Budraitskis: Il y a plusieurs jours (30 septembre) que les opérations militaires russes en Syrie ont débuté; les objectifs et la stratégie de cette opération restent peu clairs. L’explication donnée par les autorités russes n’est pas évidente. D’un côté, elles affirment que la raison principale de cette opération est de combattre l’Etat islamique et, de l’autre, ainsi que Poutine l’a fait aux Nations unies [le 28 septembre], elle est présentée comme une contribution visant à légitimer le gouvernement d’Assad. D’après vous, quel est le véritable objectif de cette opération?

    Gilbert Achcar: La raison officielle initiale donnée pour l’intervention a été façonnée pour que la Russie obtienne un feu vert occidental, en particulier américain. Dans la mesure où les pays occidentaux bombardent l’Etat islamique en Syrie, ils n’étaient certainement pas en mesure de formuler des objections à la Russie de faire de même. C’est avec ce prétexte que Poutine a vendu son intervention à Washington avant de la mettre en œuvre, et Washington a officiellement acheté. Au tout début, avant que la Russie planifie le commencement des bombardements, les déclarations de Washington saluaient la contribution de la Russie au combat contre l’Etat islamique. C’était, bien entendu, complètement illusoire – une supercherie. Mais je serais très surpris si, à Washington, ils s’imaginaient réellement que la Russie déployaient des forces en Syrie pour combattre l’Etat islamique.

    Ils ne peuvent ignorer que le véritable objectif de l’intervention russe est de consolider le régime de Bachar el-Assad. Le fait est que Washigton partage le véritable objectif de l’intervention de Moscou: empêcher l’effondrement du régime Assad. Depuis la première phase du soulèvement en Syrie, l’administration des Etats-Unis, même lorsqu’elle commença à dire qu’Assad devrait se retirer, a toujours insisté sur le fait que le régime devrait rester en place. Contrairement ce qu’imaginent des critiques simplistes des Etats-Unis, l’administration Obama n’est en aucune mesure impliquée dans une affaire de «changement de régime» en Syrie – c’est plutôt le contraire qui est vrai. Elle souhaite uniquement un régime Assad sans Assad. C’est la «leçon» qu’elle a tirée de l’échec catastrophique des Etats-Unis en Irak: rétrospectivement, elle pense que les Etats-Unis auraient dû opter pour un scénario que l’on pourrait qualifier de «saddamisme sans Saddam», plutôt que de démanteler les appareils du régime iraken.

    C’est la raison pour laquelle l’intervention de Poutine était vue plutôt favorablement par Washington. Il y a beaucoup d’hypocrisie dans la plainte actuelle de l’administration Obama sur le fait que la plus grande partie des frappes russes sont dirigées contre l’opposition syrienne n’appartenant pas à l’Etat islamique. Ils blâment la Russie pour ne pas frapper suffisamment l’Etat islamique: si la proportion des frappes russes contre l’Etat islamique avaient été plus importante, leur collusion leur aurait été plus confortable. Ils se seraient opposés dans une bien moindre mesure aux frappes consolidant le régime Assad. Et, pourtant, l’espoir de Washington est que Poutine empêchera non seulement un effondrement du régime et le consolidera, mais qu’il contribuera également à aboutir à une espèce de résolution politique du conflit. Pour l’heure, cela relève plus du prendre ses désirs pour une réalité que d’une concrétisation que de cette option.

    L’objectif central de l’intervention militaire russe en Syrie était d’étayer le régime en un moment où ce dernier subissait de fortes pertes depuis l’été dernier. Assad lui-même a reconnu en juillet 2015 l’incapacité du régime de conserver des fractions de territoire qu’il contrôlait jusque-là. L’intervention de Moscou a pour objectif d’empêcher l’effondrement du régime et de lui permettre de reconquérir le territoire qu’il a perdu au cours de l’été passé. C’est là l’objectif fondamental et premier de l’intervention russe.

    Il y a toutefois un second but, qui dépasse largement la Syrie et qui se traduit dans le fait que la Russie a envoyé en Syrie une certaine sélection de ses forces aériennes de combat et a procédé à des tirs de missiles depuis la mer Caspienne. Cela apparaît un peu comme le «moment du Golfe» de l’impérialisme russe. Ce que je veux dire par là, c’est que Poutine réalise, à plus petite échelle, ce que les Etats-Unis réalisèrent en 1991 lorsqu’ils firent étalage de leur armement avancé contre l’Irak au cours de la première guerre du Golfe. C’était une manière de dire au monde: «Voyez à quel point nous sommes puissants! Voyez quelle est l’efficacité de notre armement!» Et c’était là un argument majeur pour la réaffirmation de l’hégémonie américaine en un moment historique crucial. La Guerre froide touchait à sa fin – 1991 se révéla, comme vous le savez bien, la dernière année d’existence de l’Union soviétique. L’impérialisme américain avait besoin de réaffirmer la fonction de son hégémonie au sein du système mondial.

    Ce que Poutine fait actuellement avec cette démonstration de force revient à dire au monde: «Nous, Russes, possédons aussi un armement avancé, nous pouvons aussi être à la hauteur, et nous sommes en réalité plus fiables que les Etats-Unis.» L’intimidation machiste de Poutine contraste fortement avec l’attitude timide de l’administration Obama au Moyen-Orient au cours des dernières années. Poutine se gagne des amis dans la région. Il a développé des relations avec l’autocrate contre-révolutionnaire d’Egypte Sissi ainsi qu’avec le gouvernement irakien. L’Irak et l’Egypte sont deux Etats qui étaient considérés comme appartenant à la sphère d’influence des Etats-Unis, et pourtant les deux soutiennent l’intervention russe, les deux achètent des armes russes et développent des rapports militaires et stratégiques avec Moscou.

    Cela est, bien entendu, une percée majeure pour l’impérialisme russe dans sa concurrence avec l’impérialisme des Etats-Unis. De ce point de vue, l’intervention en cours de la Russie devrait être vue comme faisant partie de la compétition inter-impérialiste. Il y a plus de 15 ans, je considérais que la guerre au Kosovo faisait partie d’une nouvelle Guerre froide. Cette caractérisation était critiquée à l’époque; nous sommes désormais en plein dedans, c’est une chose manifeste.

    Nombreux sont ceux qui affirment que ce qui se passe aujourd’hui en Syrie, avec l’intervention russe, relève d’un échec complet de la politique des Etats-Unis. D’autres pensent qu’il y a un dessein caché des Etats-Unis pour que ceux-ci impliquent la Russie dans le conflit. Et il semble, en outre, qu’il y ait une véritable division au sein des élites américaines autour de la question syrienne. Quelle est, selon vous, la position des Etats-Unis dans cette situation?

    Il y a assurément, aux Etats-Unis, un désaccord ouvert au sommet en ce qui concerne la Syrie. A propos de la fourniture d’aide à l’opposition dominante syrienne, ce n’est pas un secret qu’il y a eu une querelle entre Obama et Hillary Clinton, lorsque cette dernière était secrétaire d’Etat, et d’autres, au sein de l’armée et de la CIA, partageant ses vues. En 2012, lorsque ce débat commença, la force d’opposition principale, l’Armée syrienne libre, était encore en position dominante. C’est en fait la faiblesse de cette opposition syrienne – faiblesse qui tient à l’absence de soutien de la part de Washington et, en particulier, au veto des Etats-Unis à la fourniture de sa part de moyens de défenses anti-aériennes – qui a permis aux forces islamiques «djihadistes» de développer une opposition en parallèle qui est devenue ensuite plus importante dans l’affrontement armé contre le régime syrien. Ceux qui étaient partisans d’un soutien à l’opposition alors dominante, comme H. Clinton et celui qui était alors directeur de la CIA, David Petraeus, sont maintenant convaincus que les événements ont montré qu’ils avaient raison, que le développement catastrophique de la situation en Syrie est, dans une large mesure, un résultat de la mauvaise politique d’Obama.

    En effet, Obama fait face à un bilan très négatif de sa politique vis-à-vis de la Syrie. Il s’agit d’un désastre complet, quel que soit l’angle sous lequel vous l’analysez, humanitaire ou stratégique. Les pays de l’Union européenne sont inquiets de la très grande vague de réfugiés, laquelle est la conséquence d’un désastre humanitaire massif. L’administration Obama tente de se consoler en affirmant que la Russie glisse dans un piège, que cela sera son deuxième Afghanistan. Ce n’est pas un hasard si, lors de ses récentes critiques de l’intervention russe, Obama a utilisé le terme de «bourbier»: un mot utilisé pour les Etats-Unis au Vietnam et pour l’Union soviétique en Afghanistan. On dit donc maintenant que la Russie s’empêtre dans un bourbier en Syrie. C’est encore là prendre ses désirs pour des réalités. Le but consiste à adoucir à amortir l’effet d’un échec majeur.

    Pour l’heure, il semble en fait que des alliés principaux des Etats-Unis, comme l’Allemagne et la France, n’expriment pas une position absolument négative quant à l’intervention russe. Pensez-vous que l’intervention russe ait provoqué une division entre les Etats-Unis et l’Europe et qu’elle pourrait offrir à la Russie une possibilité de traiter avec l’Union européenne séparément des Etats-Unis?  

    Je ne le crois pas. Tout d’abord, il n’y a pas de différences majeures entre les positions française et américaine. Elles sont en réalité assez proches. La position allemande est légèrement différente parce qu’elle n’est pas directement engagée dans une action militaire contre l’Etat islamique. La France a critiqué la Russie pour cibler l’opposition n’appartenant pas à l’Etat islamique. Et la position française est très stricte au sujet d’Assad. A l’instar de Washington, et même plus catégoriquement, Paris affirme qu’il doit s’en aller et qu’il ne peut y avoir de transition politique en Syrie avec sa participation. Et c’est, en fait, assez manifeste parce que si une transition politique doit être fondée sur un accord, un compromis entre le régime et l’opposition, il est impossible que cette dernière accepte un gouvernement conjoint sous la présidence de Bachar el-Assad. La position de Washington et de Paris suppose cela. Par contraste avec celle de Moscou, qui considère Assad comme le président légitime et insiste que tout accord doit être approuvé par lui. Il y a pour l’heure un écart significatif entre les deux positions.

    Ainsi que je vous l’ai dit, Washington et ses alliés européens prennent leurs désirs pour des réalités. Ils espèrent que, une fois le régime syrien consolidé, Poutine exercera une pression sur ce dernier afin d’ouvrir la voix à un compromis aux termes duquel Assad accepterait de remettre son pouvoir après une période transitoire dont le point culminant serait des élections. Angela Merkel, bien qu’elle ait rectifié sa position le jour suivant, a déclaré à un moment donné que la communauté internationale devrait s’accorder avec Assad. Et nous avons entendu la même chose en provenance de plusieurs secteurs en Europe comme aux Etats-Unis: «Après tout, Assad est mieux que l’Etat islamique. Nous pouvons faire des affaires avec lui. Mettons-nous d’accord sur une espèce de transition avec lui.» C’est, en réalité, contre-productif. Cela n’aboutit qu’à unifier l’opposition n’appartenant pas à l’Etat islamique contre cette perspective. L’opposition armée comprend toutes les nuances de «djihadisme», chacune surenchérissant sur l’autre dans son opposition à Assad. Il n’est pas possible qu’une quelconque fraction crédible de l’opposition puisse accepter un accord impliquant une présence continue d’Assad. Son départ est une condition indispensable à tout accord politique visant à mettre un terme à la guerre en Syrie. Sans cela, elle ne s’arrêtera pas.

    Washington a émis de nombreuses déclarations hypocrites condamnant l’action russe, même s’il lui a tout d’abord donné le feu vert. La raison principale à cela tient dans le fait que l’administration Obama ne veut pas apparaître comme soutenant ouvertement le sauvetage du régime Assad et, ainsi, se mettre à dos les sunnites de la région, tels qu’elle les voient. Les Etats-Unis utilisent en réalité l’intervention russe pour enfoncer un coin entre Moscou et les pays à majorité sunnite. Les Saoudiens ont commencé des discussions avec la Russie et on rapporte qu’ils ont proposé un accord visant à augmenter les prix du pétrole comme récompense d’un changement d’attitude de la Russie vis-à-vis de la Syrie. Et ils sont actuellement très déçus par l’intervention de Moscou, bien qu’il soit possible qu’ils espèrent que Poutine impose finalement un départ d’Assad.

    Au même moment, toutefois, des secteurs comme les Frères musulmans et les chefs religieux du royaume saoudien ont appelé à la guerre sainte contre le deuxième Afghanistan russe, en symétrie frappante avec la qualification par l’Eglise orthodoxe russe de guerre sainte pour ce qui a trait à l’aventure militaire de Poutine. Notez la différence entre les guerres impérialistes précédentes et celles de la période récente: la guerre était considérée comme religieuse uniquement du côté «musulman». Désormais, pour la première fois dans une histoire longue, nous avons un affrontement de «guerriers sacrés»! En ce sens, Poutine un est cadeau de Dieu pour les djihadistes: l’ennemi parfait.

    Comme vous le savez probablement, le général iranien Qasem Soleimani a effectué une visite secrète à Moscou cet été. C’est après cette rencontre qu’a été prise la décision finale concernant l’intervention russe. L’Iran a joué un rôle clé dans cette décision. A votre avis quel intérêt l’Iran a-t-il à une intervention russe?

    L’Iran partage avec la Russie un intérêt commun à préserver le régime Assad, qui est un allié stratégique pour les deux pays. Pour l’Iran, la Syrie représente un lien clé dans un axe qui va de Téhéran au Hezbollah du Liban en passant par l’Irak et la Syrie. La Syrie joue un rôle crucial pour les fournitures que l’Iran transmet au Hezbollah; elle accorde aussi à l’Iran un accès stratégique à la Méditerranée. Pour la Russie, la Syrie est le seul pays sur la Méditerranée qui héberge des bases navales et aériennes russes. Ces raisons expliquent l’actuelle contre-offensive qui se déploie en Syrie associant les forces du régime Assad, les troupes iraniennes (directement ou par procuration) et les frappes aériennes russes. En fait, le régime Assad est complètement dépendant de l’Iran depuis quelque temps déjà. C’est l’Iran qui mène le jeu en Syrie. La Russie exerce également beaucoup d’influence sur Damas puisqu’elle en est le principal fournisseur d’armes. Le rôle de la Russie est devenu beaucoup plus important en Syrie suite à cette intervention directe. En Occident certains accueillent favorablement cette intervention russe en pensant que cela diminuera le rôle de l’Iran, mais cela revient de nouveau à prendre ses désirs pour des réalités.

    Les médias russes décrivent la situation en Syrie comme si ce pays avait un gouvernement légitime et un ordre «normal» et que les différentes forces anti-gouvernementales ne cherchaient qu’à détruire l’Etat et à introduire le désordre. D’après un autre point de vue, le régime Assad aurait subi une profonde transformation pendant la guerre civile et on ne peut pas dire qu’il s’agit d’un Etat «normal» qui s’affronte à des forces anti-étatiques. Il y aurait eu une dégénérescence de l’Etat et le régime Assad actuel en serait le produit. A votre avis, quelle est actuellement la véritable nature du régime Assad et dans quel sens a-t-il changé pendant les années de guerre?

    Commençons par le fait que Poutine et Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères, décrivent tout le temps le régime Assad comme étant un gouvernement «légitime». Cette affirmation est issue d’une conception extrêmement restreinte de la légitimité. On pourrait bien sûr dire que Assad représente le gouvernement légitime du point de vue de la loi internationale, mais certainement pas de celui de la légitimité démocratique. Le gouvernement est peut-être «légal» selon les critères des Nations unies mais il n’est certainement pas «légitime» puisqu’il n’a jamais été élu démocratiquement. Ce régime est le produit d’un coup d’Etat qui a eu lieu il y a 45 ans. Il est encore au pouvoir après une transmission de la présidence par héritage au sein d’une la dynastie quasi royale qui dirige le pays au moyen de services de sécurité et d’une dictature militaire. La Syrie est un pays où il n’y a eu ni élections justes ni libertés politiques depuis un demi-siècle. Ce régime s’est encore aliéné la population au cours des deux dernières décennies en accélérant des réformes néolibérales qui ont conduit à l’appauvrissement de larges secteurs de la population, surtout dans les campagnes, et à une montée brusque du chômage et du coût de la vie.

    La situation était devenue intolérable, et c’est la raison pour laquelle le soulèvement populaire s’est produit en 2011. Ce régime brutalement dictatorial n’a évidemment pas pu faire face de manière démocratique aux manifestations de masse, qui étaient très pacifiques au début, par exemple en organisant des élections réellement libres. Il n’en était pas question. Et la seule réponse du régime a été la force brutale, qui s’est intensifiée peu à peu, tuant tous les jours plus de gens et menant à une situation qui a fait que le soulèvement s’est transformé en une guerre civile. En outre, il est bien connu que durant l’été/automne 2011, le régime a relâché les djihadistes qu’il détenait dans ses prisons. L’objectif était qu’ils créent des groupes djihadistes armés – conséquence que leur remise en liberté rendait inévitable dans le contexte d’un soulèvement – de manière à confirmer le mensonge que le régime avait répandu depuis le début, à savoir qu’il se trouvait confronté à une rébellion djihadiste. C’était un bon exemple de prophétie auto-réalisatrice, et les militants libéré des prisons par le régime dirigent actuellement certains des groupes djihadistes clés en Syrie. Il faut comprendre que quoi que l’on puisse dire du caractère réactionnaire d’un important secteur de ceux qui luttent contre le régime, en premier lieu c’est le régime lui-même qui les a produits. Plus généralement, par sa cruauté, le régime a suscité le ressentiment qui a engendré le développement du djihadisme, y compris l’Etat islamique (Daech), qui est en effet une réponse barbare à la barbarie du régime, dans ce que j’ai appelé le heurt des barbaries (clash of barbarisms).

    Il y a un autre aspect à cette question. Le régime Assad est maintenant bien pire qu’il ne l’était avant le soulèvement. Actuellement ce n’est plus seulement un Etat dictatorial mais aussi un pays dans lequel des gangsters meurtriers déchaînés – les shabiha, comme on les appelle en arabe – sont aux commandes. C’est la terreur semée par les shabiha dans la population des régions contrôlées par le régime qui a entraîné la récente la vague de réfugiés syriens fuyant vers l’Europe. Ce sont les nombreuses personnes qui ne supportent plus de rester soumis à ces gangsters criminels que le régime Assad a encouragés. La population syrienne n’a aucune confiance en l’avenir du régime, c’est pourquoi tous ceux qui peuvent se le permettre décident d’essayer de fuir en Europe. Comme vous pouvez le voir dans les reportages à la télévision, beaucoup de réfugiés qui fuient vers l’Europe n’appartiennent pas aux secteurs les plus pauvres de la population. Il y a une proportion significative de personnes de la classe moyenne parmi les réfugiés. Souvent ces personnes ont vendu tout ce qu’elles possédaient en Syrie parce qu’elles n’avaient aucun espoir d’y revenir. Cela va coûter très cher à l’avenir du pays. Ceux qui restent en Syrie sont soit des gens qui ne peuvent pas faire autrement, soit ceux qui profitent de la guerre.

    La situation est très sombre. Personne ne peut blâmer les Syriens parce qu’ils décident de quitter définitivement leur pays, il faut vraiment être très optimiste pour conserver un quelconque espoir dans l’avenir de la Syrie. Néanmoins l’histoire a connu des situations dramatiques encore pires qui ont été suivies de renouveau, même si cela peut prendre des années. La première condition pour la cessation de la guerre et le début d’un relèvement de la Syrie est cependant le départ d’Assad. Il sera impossible de mettre un terme à cette terrible tragédie tant qu’il sera au pouvoir.

    Les médias occidentaux parlent encore d’une opposition modérée en Syrie. Le principal contre-argument de Poutine est qu’il n’y a pas de frontière claire entre les djihadistes et les modérés dans l’opposition armée. Lavrov a même déclaré récemment qu’il pourrait bien parler à l’Armée libre syrienne, mais qu’il n’était pas clair qui étaient ses dirigeants et si elle existait réellement. Pouvez-vous me donner une appréciation des groupes d’opposition non-Daech?

    Il existe tout un éventail de groupes. Cela va des groupes initiaux de l’Armée libre syrienne, qui étaient relativement laïques et non sectaires, en passant par toutes les variantes de djihadistes et de modérés dans l’opposition armée, jusqu’à Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida. Tous les djihadistes partagent le programme d’imposer la loi de la charia dans les régions sous leur contrôle, mais aucun de ces groupes, y compris Al-Nosra, n’arrive à la cheville de l’incroyable barbarie de Daech, qui est une détestable caricature d’un Etat fondamentaliste qui aurait été déclarée comme étant invraisemblable s’il avait été décrit dans une œuvre de fiction. Les groupes islamistes de l’opposition non-Daech représentent un ensemble de forces fondamentalistes qui vont des Frères musulmans à Al-Qaida. Ils sont tous opposés à Daech. Rien de tout cela n’inspire de l’optimisme concernant l’avenir de la Syrie. Il est vrai que la barbarie du régime a tué plus de gens que tous les autres groupes, y compris Daech. La plupart des forces d’opposition représentent des alternatives qui sont loin d’être enthousiasmantes. Mais la précondition indispensable pour inverser cette tendance – produite par le régime lui-même – est le renversement d’Assad.

    Il y a également des forces kurdes en Syrie, elles constituent le groupe armée le plus progressiste – voire le seul – qui participe à cette lutte. Jusqu’à maintenant les forces kurdes se sont principalement battues contre Daech, alors qu’elles adoptaient une position plus ou moins neutre par rapport au régime et au reste de l’opposition. L’année dernière les forces kurdes étaient – et sont encore – soutenues par des frappes aériennes et des livraisons d’armes des Etats-Unis. Elles contrôlent et défendent essentiellement les régions avec des populations kurdes. Pour jouer un rôle au-delà de leurs régions et ainsi dans le destin de la Syrie dans son ensemble, les Kurdes devront établir des alliances avec les Arabes et les autres minorités. C’est ce que Washington essaie de faire, avec quelques succès, d’abord en les amenant à travailler avec les groupes de l’Armée libre syrienne, et maintenant avec des tribus arabes syriennes, sur le modèle que les Etats-Unis ont impulsé en Irak contre Al-Qaida et qu’ils tentent maintenant de relancer contre Daech.

    Pensez-vous qu’une coalition de ce genre puisse jouer un rôle de premier plan en Syrie, et peut-être représenter une perspective progressiste pour l’avenir du pays?

    Franchement je ne suis pas optimiste concernant toutes les forces qui existent actuellement sur le terrain. Ce qu’on peut espérer de mieux est de mettre un terme à la guerre: arrêter ce terrible carnage et la destruction du pays est une priorité absolue. Une alternative progressiste devra être reconstituée en utilisant le potentiel encore existant. Même s’il n’y a pas de forces organisées représentant une alternative progressiste il y a encore un potentiel important, notamment chez les jeunes qui ont lancé le soulèvement en 2011, mais des milliers d’entre eux sont actuellement en exil, d’autres sont en prison et beaucoup d’autres se trouvent encore en Syrie mais ne peuvent pas jouer un rôle déterminant dans la guerre civile. Il faut donc d’abord mettre un terme à la guerre. Mais pour que la situation puisse inspirer de l’optimisme il faudra l’émergence d’une nouvelle alternative progressiste sur la base du potentiel existant.

    Peut-on dire qu’il faudra une aide ou une intervention étrangère pour arrêter ce conflit? Ou pensez-vous que les interventions étrangères, qu’elles soient russes ou occidentales, ne font que prolonger la guerre?

    Jusqu’à maintenant l’intervention occidentale n’a ciblé que Daech. Les frappes de la coalition dirigée par les Etats-Unis ont toutes été effectuées sur des régions contrôlées par Daech et elles ont complètement évité celles contrôlées par le régime. En ce qui concerne les frappes russes, elles sont pour la plupart dirigées contre l’opposition non-Daech dans les régions qui sont l’objet d’un combat entre le régime et l’opposition, il y a eu très peu de frappes russes contre Daech. Dans ce domaine il existe donc une différence importante entre les interventions de la coalition dirigée par les Etats-Unis et celle des forces russes. L’intervention russe est effectivement en train de prolonger la guerre civile syrienne. Quelles que soient les illusions en Occident concernant le rôle possible de la Russie, le fait est qu’avant l’intervention russe le régime syrien était épuisé, il perdait du terrain et semblait être près de l’effondrement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Poutine est intervenu. Un écroulement du régime Assad aurait été une défaite terrible pour lui.

    Daech a effectué son expansion spectaculaire il y a plus d’une année, et ni la Russie ni le régime Assad n’ont rien entrepris d’important pour le combattre. Le souci principal de Poutine – tout comme celui d’Assad d’ailleurs – est la survie du régime. En le consolidant, Poutine est en train de prolonger la guerre, et cela est criminel. On peut évidemment souhaiter que les illusions occidentales se réalisent et que Poutine arrivera à forcer Assad à démissionner. Il est difficile de connaître les projets de Poutine dans ce domaine. Mais la Russie court un grand risque de rester coincée dans un «bourbier» («quagmire» selon le terme utilisé par Obama), si la guerre n’est pas stoppée à court terme. Il faudra donc observer comment les choses se développent. Le plus beau rêve des gens ordinaires en Syrie est actuellement la fin de la guerre avec un déploiement de forces des Nations unies pour maintenir l’ordre et reconstruire l’Etat et le pays.

    (Traduction A l’Encontre; entretien publié en anglais dans LeftEast, le 15 octobre 2015.

    Publié par Alencontre le 19 - octobre - 2015

    La version en russe peut être trouvée en cliquant sur le lien suivant: http://openleft.ru/?p=7083)

    Gilbert Achcar est professeur à la School of Oriental and African Studies (SOAS) à l’Université de Londres. Dernier ouvrage publié en français: Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme, Ed. Actes Sud, Sindbad, 2015.

    Ilya Budraitskis est historien et doctorant à Institute for World History, Russian Academy of Science, à Moscou. Il est le porte-parole du Mouvement socialiste russe et membre de du comité éditorial du Moscow Art Magazine et du site OpenLeft.Ru.

    http://alencontre.org/laune/empecher-leffondrement-du-regime-assad.html

  • Syrie

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  • Les dynamiques de l’expansion militaire russe en Syrie (Essf)

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    Ou la volonté de sauver et consolider le régime Assad

    A la fin de l’été 2015, la Russie a considérablement élargi son implication militaire au côté du régime Assad, notamment en fournissant des formations et du soutien logistique à l’armée du régime syrien [1]. Le 17 Septembre, 2015, l’armée du régime a commencé à utiliser de nouvelles types d’armes aériennes et terrestres fournis par la Russie, tandis que des photos satellites prises à la mi-Septembre montraient le développement de deux installations militaires supplémentaires de forces russes à proximité de Lattakiyya [2].

    L’engagement militaire de la Russie a dépassé un nouveau niveau le 30 septembre, 2015, lorsque l’aviation militaire russe a mené ses premiers raids en Syrie. En plus de cela, des centaines de soldats iraniens sont arrivés en Syrie le 21 septembre et ils vont rejoindre les forces du régime Assad et leurs alliés du Hezbollah libanais dans une offensive terrestre majeure à venir et soutenue par les frappes aériennes russes. L’opération militaire serait destinée à récupérer les territoires perdus par le régime Assad à diverses forces de l’opposition. Très probablement, les opérations terrestres à venir se concentreront sur la ville d’Idlib et la campagne de Hama [3].

    Pour rappel, tous ces acteurs ont été des acteurs clés dans la survie du régime Assad. La Russie est depuis longtemps le fournisseur de la grande majorité de l’armement des forces armées du régime Assad. L’Etat russe a continué à expédier des volumes importants d’armes, munitions, des pièces détachées et du matériel remis à neuf à des forces pro-régime. En Janvier 2014, la Russie a intensifié des fournitures de matériels militaires pour le régime syrien, y compris des véhicules blindés, des drones et des bombes guidées. [4]

     La campagne de la « guerre contre le terrorisme »

    La propagande autour de la campagne de la « guerre contre le terrorisme » lancée par l’Etat russe est un moyen de soutenir le régime d’Assad politiquement et militairement et écraser toute forme d’opposition en Syrie. Poutine souhaite que les différents acteurs internationaux impérialistes occidentaux considèrent Assad comme le seul acteur qui peut les aider dans leur lutte contre le « terrorisme ».

    On peut constater cela dans les cibles des raids de l’aviation russe. Le 30 Septembre, 2015, les raids des avions militaires russes ont mené leurs premiers raids en Syrie contre le village de Zafarana au nord de Homs, ainsi que près de la ville de Lataminah nord-ouest de Hama, qui ne sont pas en l’occurrence des bastions de l’État Islamique (EI). Dans la ville voisine de Hama, un groupe ciblé par les raids, Tajammu al-Izzah, est considéré comme un membre important de l’armée syrienne libre (ASL) dans la région. Il était l’un des rares groupes en Syrie à avoir reçu des roquettes anti-chars et les avait régulièrement utilisé contre les chars syriens et des véhicules blindés dans les régions centrales de la Syrie. Le même jour, la Russie a également bombardé Talbiseh, al-Mukarama, Reef Homs al-Shamali. Toutes ces régions sont principalement sous le contrôle de l’ASL et avec aussi une certaine présence de Jabhat Al Nusra (la branche d’Al-Qaida en Syrie) et Ahrar Sham. Selon les forces de défense civiles syriennes, une organisation de bénévoles d’interventions d’urgence, il y a eu plus de 35 victimes civiles en conséquence des frappes aériennes russe sur Homs et Hama.

    Les jours suivants, les objectifs de l’aviation militaire russe comprenaient un poste de commandement et des bunkers souterrains d’armes près de Raqqa, ainsi qu’un dépôt d’armes dans la ville de Maarat al-Numan. Maarat al-Numan, dans la province d’Idlib du nord de la Syrie, n’est pas connu comme une base de l’Etat Islamique (EI). La plupart des combattants dans la région sont de coalition de Jaysh al-Fatah dirigé par Jabhat Al-Nusra et Ahrar Al-Sham.

    L’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme a d’ailleurs enregistré la mort de plus de 40 civils, et de 14 combattants, la plupart étant des djihadistes de l’Etat Islamique, mais aussi des membres de Jabhat Al-Nusra, Ahrar Sham et des bataillons de l’ASL, depuis le début des raids de l’aviation russe le 30 septembre, 2015. Le ministre de la défense britannique a indiqué que seulement une frappe sur 20 de l’aviation militaire russe visait des forces de l’Etat Islamique. Les bombardements de l’aviation militaire russe ont visé au moins quatre factions opérant sous le label de l’ASL. [5]

    Les officiels russes ont d’ailleurs déclaré que les bombardements russes dureront environ 3 à 4 mois.

    Les objectifs des bombardements russes sont clairs : sauver et consolider la puissance militaire et politique du régime Assad. Le président russe Vladimir Putin a dit le 28 septembre, avant le début des opérations : « Il n’y a pas d’autres manières de mettre fin au conflit syrien autre qu’en renforçant les institutions de l’actuel gouvernement légitime dans leur combat contre le terrorisme ».

    En d’autres termes écraser toutes les formes d’opposition, démocratiques ou réactionnaires, au régime d’Assad dans le cadre de cette soi-disant « guerre contre le terrorisme”. Tous les régimes autoritaires ont utilisé ce même genre de propagande pour réprimer les mouvements populaires et / ou des groupes d’opposition à leurs pouvoirs : Assad contre le mouvement populaire depuis le premier jour du soulèvement populaire, le dictateur Sissi en Egypte pour réprimer notamment les Frères musulmans, mais aussi la gauche progressiste et les mouvements démocratiques tels que les Socialistes révolutionnaires, le mouvement du 6 Avril, etc … Erdogan contre le PKK et divers mouvements de gauche, les monarchies du Bahreïn et de l’Arabie saoudite contre les manifestant-es et les mouvements populaires qui s’opposaient à leurs régimes, etc …

    Les puissances impérialistes internationales ont agi de manière similaire, de l’état russe qui a réprimé toute forme de résistance en Tchétchénie à son occupation aux diverses interventions militaires des Etats Unis à travers le monde. Les deux prétendaient et prétendent lutter contre le terrorisme.

    Cette expansion militaire des alliés du régime d’Assad, dirigée par la Russie, est menée pour deux raisons principales : 1) la faiblesse politique et militaire croissante du régime d’Assad et 2) l’absence ou le manque de politique claire des puissances occidentales pour aider les révolutionnaires en Syrie.

     Faiblesse politique et militaire du régime Assad

    Tout d’abord sur le plan militaire, l’armée syrienne a été considérablement affaiblie, diverses analyses estiment que le nombre de soldats a chuté de 300.000 à environ 80 000, et a subi diverses défaites importantes ces derniers mois, notamment après la chute des villes de Idlib et à proximité de Jisr al-Shughour en mai 2015, qui sont tombées dans les mains de la coalition de la Jaish al-Fatah, dirigée par Jabhat al Nusra et Ahrar Sham.

    Les désertions et le manque de volonté de la jeunesse syrienne à mourir pour un régime corrompu et autoritaire expliquent principalement l’impossibilité de l’armée du régime de recruter de nouveaux soldats. Un grand nombre de jeunes hommes ont fui pour l’Europe souvent après avoir reçu leurs convocations militaires. La propagande pour l’armée du régime dans les médias étatiques, les posters et affiches de recrutements partout dans Damas et les récentes amnisties pour les déserteurs et les conscrits réfractaires n’y ont rien changé.

    Le dictateur Assad a d’ailleurs reconnu en Juillet 2015 que l’armée du régime avait une pénurie d’effectifs et avait dû abandonner certaines régions afin de mieux défendre ce qu’on appelle la Syrie utile – Damas à Homs et la zone côtière autour de Lattakiyya.

    La faiblesse de l’armée du régime a conduit à la création d’une force de 125.000 miliciens des Forces de la Défense Nationale, qui ont été formé et financé par la République Islamique d’Iran, qui favorisent également l’utilisation de miliciens shiites de l’Irak, du Pakistan et de l’Afghanistan ainsi que du Hezbollah. Pour les partisans du régime Assad, affirmant qu’ Assad défend l’état et ses institutions, ces informations sont plutôt embarrassantes … sans oublier que grande majorité des destructions des institutions de l’état, y compris des écoles, des hôpitaux, etc .. sont le résultat des bombardements des forces du régime.

    Sur le plan politique, des frustrations croissantes et grandissantes ont été exprimées dans les régions dite “loyaliste” contre le régime Assad, en particulier dans les derniers mois.

    Au début du mois de septembre, des manifestations ont eu lieu dans les deux villages chiites de Fuaa et Kafriyeh dans la province d’Idlib, pour crier leur colère face à l’inaction du régime syrien qui a échoué à les aider à repousser les attaques et les bombardements de Jabhat Al Nusra et Ahrar Sham. Selon plusieurs médias, les manifestants se seraient rendus à Homs et à Damas où ils ont bloqué la route de l’aéroport de Damas pendant plusieurs heures le lundi 31 août.

    En août, plus d’un millier de personnes ont effectué un sit-in au rond-point d’al-Ziraa dans la ville de Lattakiyya pour protester contre le meurtre du colonel Hassan al-Cheikh qui a été tué par Sulaiman Al-Assad – le fils du cousin de Bachar Al-Assad, Hilal Al-Assad, qui était le chef des Forces de Défense Nationale et qui a été tué le 23 mars, 2014. Ces personnes ne soutiennent pas la révolution, pour l’instant, mais il faut pouvoir les gagner à notre cause parce qu’ils sont fatigués de la guerre, fatigués de la situation socio-économique difficile, et fatigués de la corruption de la famille Assad qui contrôle encore et agit comme si la Syrie était leur propriété et volant ses richesses. D’autres manifestations ont eu lieu dans la ville de Tartus par les membres des familles des soldats pour dénoncer la façon dont le régime traite leurs soldats et demande leur retour.

    Dans la région de la ville de Sweida, en grande majorité habitée par des populations de confession druze, plusieurs manifestations ont eu lieu pour dénoncer les politiques du régime et le faible service des institutions. Cet été, des manifestations et résistances ont éclaté contre le régime après l’assassinat du Sheikh Wahid Bal’ous, qui est un sheikh druze et qui est connu pour son opposition contre le régime Assad et les forces islamiques fondamentalistes, dans une explosion dans la région Dahret al- Jabal tuant au moins personnes. Des manifestant-es ont manifesté devant plusieurs bâtiments officiels étatiques et ont démonté une statue de l’ancien dictateur Hafez Al-Assad à Sweida [6]. Sheikh Wahid Bal’ous était une figure populaire au sein des populations de confession druze et menait le mouvement des « Sheikhs de la dignité », un mouvement qui luttait pour la protection des druzes dans la province et qui combattait aussi l’Etat Islamique et Jabhat Al-Nusra. Sheikh Wahid Bal’ous était aussi opposé au recrutement de jeunes hommes originaire de la province de Sweida dans l’armée du régime pour être envoyé en dehors de la province, qui est sous le contrôle du régime, vers d’autres régions. Quelque jours avant la mort de Sheikh Wahid Bal’ous, les habitants de Sweida, avaient manifesté pour demander plus de services de bases du régime, y compris l’eau et l’électricité. Sheikh Wahid Bal’ous les avait soutenues.

     L’absence ou le manque de toute politique claire des états occidentaux pour assister les révolutionnaires en Syrie

    Cette deuxième raison n’est pas quelque chose de fondamentalement nouveau, les politiques des puissances occidentales ont été caractérisés par leurs inactions et l’absence de clarté depuis le début de la révolution pour aider les révolutionnaires syriens.

    Les alliés du régime Assad ont bien compris cette situation et c’est la raison principale pourquoi leur soutien politique, militaire et économique à la dictature de Damas a été constant et a même augmenté dans les moments. Cette réalité se reflète dans les paroles de Alaeddin Boroujerdi, président de la commission pour la politique étrangère et la sécurité nationale au parlement iranien, qui a déclaré en Juin 2015 lors d’une visite à Damas que le soutien de l’Iran au régime syrien est “stable et constant » et a souligné qu’il n’y avait pas de restrictions ou de limites à la coopération avec la Syrie et dans son soutien à cette dernière.

    Le président iranien Hassan Rouhani dans les couloirs des nations unies a d’ailleurs continuellement défendu que le régime Assad ne doit pas être affaibli si les états occidentaux étaient sérieux dans leur lutte contre le terrorisme. Rouhani a aussi déclaré dans un interview à la CNN que « tout le monde avait accepté que le président Assad soit maintenu pour pouvoir lutter contre le terrorisme ».

    Cette situation est malheureusement la triste réalité.

    Le président états-unien a publiquement déclaré dans son discours le 28 septembre à l’Assemblée Générale des Nations Unies sa volonté de travailler avec la Russie et l’Iran pour trouver une solution en Syrie tout en mettant en avant l’impossibilité en même temps de revenir à une statu quo similaire à celui avant le début de la guerre [7]. Sur les premiers raids de l’aviation russe, le porte parole du département d’état des Etats Unis, John Kirby a déclaré que les officiels russes avaient informé l’ambassade états-unienne à Baghdad sur les bombardements et avaient demandé à l’aviation militaire états-unienne d’éviter l’espace aérien syrien durant les opérations russes. Des officiels israéliens ont aussi annoncé publiquement avoir été informé par la Russie une heure avant le début des frappes. Les officiels du gouvernement russe ont contacté avec le conseiller de la sécurité nationale israélienne, Yossi Cohen, ainsi qu’avec d’autres officiels importants dans l’establishment de la défense israélienne. Cette information avait pour but d’éviter toute confrontation entre l’aviation israélienne et russe [8].

    Le premier ministre britannique David Cameron a déclaré qu’il ne fallait pas exclure un rôle pour Assad dans une période de transition en Syrie, tout en assurant qu’Assad ne pouvait pas faire partie de l’avenir de la Syrie sur le long terme”. La Chancelière allemande Angela Merkel a été dans le même sens en disant qu’il était nécessaire de discuter avec “de nombreux acteurs, et parmi eux Assad”. Les responsables turcs ont également déclaré qu’Assad pourrait jouer un rôle dans une période de transition.

    Des sources militaires israéliennes ont de leur côté confirmé l’existence d’un consensus au sein des cercles des prises de décision de Tel-Aviv sur l’importance du maintien du régime d’Assad. Un analyste sur les affaires militaires Alon Ben-David, a cité une source au sein du état major israélien qui disait : “Bien que personne en Israël ne puisse le dire publiquement et explicitement, la meilleure option pour Israël serait le maintien du régime d’Assad et la continuation de la guerre civile aussi longtemps que possible “.

    Ces positions ont été renforcées avec la crise des réfugiés de ces dernières semaines. La grande majorité des programmes de télévision, des articles et des soi-disant experts qui parlent des millions de réfugiés en provenance de Syrie avaient le même discours : le problème est l’EI. Divers officiels de nombreux pays n’ont pas hésité à déclarer que les Etats européens devraient coordonner avec le régime d’Assad et ses alliés de la Russie et de la République islamique d’Iran pour résoudre et mettre fin au problème de l’EI et donc dans leur esprit des réfugiés. C’est bien sûr oublier que la racine des problèmes en Syrie est le régime d’Assad et que ce dernier est responsable de plus de 90% des réfugiés qui ont quitté le pays. [9]

    Le 2 Octobre, 2015, 70 factions rebelles et la Coalition nationale Syrienne, à une réunion d’urgence après le début des frappes aériennes russes, ont décidé de mettre fin à la coopération avec l’initiative de l’envoyé spécial de l’ONU Staffan de Mistura des “groupes de travail” pour étudier une résolution du conflit. Ces groupes ont complètement refusé une place pour Assad dans une période de transition et ils ont également rejeté les derniers appels effectués par les officiels du régime pour des pourparlers de négociation sous l’égide de l’organisation des Nations Unies. Ils ont également condamné les frappes aériennes russes et ont accusé la Russie de participer à la guerre contre le peuple syrien.

    Les objectifs des Etats-Unis et des puissances occidentales depuis le début du soulèvement en Syrie n’ont jamais été d’assister et d’aider les révolutionnaires syriens ou de renverser le régime d’Assad. Les Etats Unis ont essayé à l’opposé de parvenir à un accord entre le régime Assad (ou une section de celui-ci) et l’opposition liée à des régimes occidentaux et des monarchies du Golfe, qui ne sont pas représentatif du mouvement populaire et sont complètement corrompu.

    Pour rappel, selon les lignes directrices de Genève du 30 Juin 2012, adoptée à l’unanimité par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, il serait admissible pour Assad d’être à la tête d’un gouvernement d’administration de transition. Tout ce qui était nécessaire était le consentement de la délégation de l’opposition. De même, les délégués représentant le régime Assad pourraient refuser de consentir à des personnes désignées par l’opposition.

    De plus, l’absence ou le manque de toute organisation et d’assistance militaire décisive des Etats-Unis et / ou des pays occidentaux aux révolutionnaires syriens est une autre preuve de ce manque de volonté pour tout changement radical en Syrie. Le Wall Street Journal a publié un article en Janvier 2015 sur cette soi disant aide de la CIA qui disait notamment :

    “Certaines cargaisons d’armes étaient si petites que les commandants ont dû rationner les munitions. Un des commandants de confiance des Etats Unis a obtenu l’équivalent de 16 balles par mois par combattant. Les chefs rebelles devaient remettre les vieux lanceurs de missiles antichars pour en obtenir des nouveaux-et n’ont pas pu obtenir des obus pour les tanks capturés. Quand ils ont fait appel l’été dernier pour des munitions pour combattre des soldats liés à Al-Qaïda, les Etats-Unis ont dit non “.

    Le plan de Barack Obama, qui a été approuvé par le Congrès américain de 500 millions $ pour armer et équiper 5.000-10.000 rebelles syriens, mais qui n’a jamais été mis en œuvre, ne visait pas à renverser le régime Assad, comme nous pouvons le lire dans le texte de la résolution :

    “Le secrétaire à la Défense est autorisé, en coordination avec le Secrétaire d’Etat, à fournir une assistance, y compris la formation, des équipements, et des approvisionnements, à des éléments de l’opposition syrienne et d’autres groupes syriens sélectionnés de manière appropriée pour les objectifs suivants :

    1 Défendre le peuple syrien contre les attaques de l’État Islamique et sécuriser les territoires contrôlés par l’opposition syrienne.

    2 Protéger les Etats-Unis, ses amis et alliés, et le peuple syrien contre les menaces posées par des terroristes en Syrie.

    3 Promouvoir les conditions d’un règlement négocié pour mettre fin au conflit en Syrie ”

    Jusqu’à aujourd’hui, ce programme est un échec. « Le programme est beaucoup plus petit que ce que nous espérions », a reconnu le chef de la politique du Pentagone, Christine Wormuth, disant qu’il y avait entre 100 et 120 combattants en cours de formation, tout en ajoutant qu’ils recevaient une formation catastrophique. [10] Un général états unien a déclaré au Congrès que les Etats-Unis avait formé avec succès seulement “quatre ou cinq” soldats de l’opposition.

    Le chef d’état-major du groupe rebelle syrien, la Division 30, entrainé par les Etats Unis a d’ailleurs démissionné de son poste et s’est retiré du programme le 19 Septembre, 2015. Il a notamment parlé des problèmes comme « l’absence d’un nombre suffisant de recrues” et “le manque de sérieux dans la mise en œuvre du projet pour établir la division 30”. [11] L’autre problème rencontré par les États-Unis en Syrie a été et est de constituer des groupes armés fidèles à leurs intérêts à cause de la réalité sur le terrain. Ceci est dû à la décision d’une grande majorité des groupes de l’opposition à coopérer avec Washington que si ils sont en mesure de maintenir leur indépendance et leur autonomie, et si la collaboration comprend un plan clair pour le renversement du régime Assad. [12]

    Les Etats de la région comme la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar ont de leur côté financé divers groupes, dans leurs grandes majorité des mouvements islamiques fondamentalistes qui s’opposent aux objectifs de la révolution, pour leurs propres intérêts politiques. Le Qatar a par exemple un soutien clé de Jabhat Al Nusra, tandis que la Turquie a soutenu directement ou de manière passive divers mouvements islamiques fondamentalistes, comme la coalition Jaysh al-Fatah, mené par Jabhat al Nusra et Ahrar Sham, et de l’EI en leur permettant une totale liberté d’action des deux côtés de la frontière pour une longue période, au nord de la Syrie contre les groupes démocratiques de l’ASL et particulièrement pour s’opposer contre toute forme d’autonomie des régions kurdes sous la direction du PKK. Les réseaux privés des monarchies du Golf ont de leurs côtés agi et financés avec l’assentiment de leurs classes régnantes de divers mouvements islamiques fondamentalistes dans la perspective de transformer cette révolution populaire en guerre confessionnelle.

     Conclusion

    De nombreuses manifestations ont eu lieu dans le régions libérées de Syrie ces derniers jours pour condamner les bombardements russes en Syrie, ciblant dans leur grande majorité des civils et divers groupes d’oppositions armées, et non principalement l’EI. Plusieurs mouvements sur le terrain se sont également opposés aux bombardements russes [13]. Les comités de coordination locaux (CCL) en Syrie ont condamné les bombardements russes qui sont « de garantir la survie du régime Assad » et ils ont appelé « toutes les forces révolutionnaires à s’unir par tous les moyens et agir contre l’agression militaire russe » [14]. Le groupe du Front Sud de l’ASL a également condamné les bombardements russes et a caractérisé la présence russe et iranienne dans le pays comme une occupation. Ces deux derniers groupes ont appelé à une Syrie démocratique.

    Des forces de l’ASL ont également affirmé avoir abattu un avion militaire russe dans la province Lattakiyya le 3 octobre, 2015, et d’avoir arrêté le pilote après que ce dernier se soit éjecté de l’appareil. À confirmer.

    L’expansion militaire russe, en plus de l’expansion iranienne, est une offensive claire pour mettre fin complètement au soulèvement populaire syrien en voulant sauver et consolider politiquement et militairement le régime Assad et écraser toutes les formes d’opposition à ce dernier. Cette évolution se déroule avec la passivité et une certain assentiment des puissances occidentales, qui veulent à tout prix stabiliser la région et dès lors le départ d’Assad n’est plus une pré-condition à une période de transition.

    Les différentes puissances impérialistes mondiales et les régimes bourgeois régionaux, en dépit de leur rivalité, ont un intérêt commun dans la défaite des révolutions populaires de la région, et l’exemple le plus évident est celui de la Syrie. Les multiples initiatives de paix pour la Syrie, soutenues par toutes les puissances mondiales et régionales sans exception, avaient les mêmes objectifs depuis le début du processus révolutionnaire en 2011 : parvenir à un accord entre le régime Assad et une faction opportuniste – liée aux états occidentaux, la Turquie et les monarchies du Golfe – de l’opposition réunis au sein de la Coalition Syrienne.

    Il ne s’agit pas de refuser toutes les solutions à la fin de la guerre, oui le peuple syrien a trop souffert et la plupart d’entre eux veulent une forme de période de transition vers une Syrie démocratique, mais tout type de « solution réaliste », tel que les officiels et les analystes aiment présenter les choses, sur un moyen et long terme ne peut pas inclure Assad et d’autres criminels du régime qui ont du sang sur les mains, sinon il y aura une poursuite du conflit militaire en Syrie. Assad et ses différents partenaires dans le régime doivent être condamnés pour leurs crimes, et un processus similaire pourrait être mis en place pour les crimes des forces islamiques fondamentalistes et d’autres groupes. De plus, un quelconque changement minimum ne doit pas se limiter à la chute d’Assad mais à toute l’équipe des responsables de contrôlant les services de sécurité, l’armée et les différents appareils de l’Etat. Le caractère patrimonial du régime syrien doit être inclus dans toute compréhension pour un vrai changement.

    Tous les révolutionnaires doivent s’opposer à cette nouvelle intervention militaire impérialiste en Syrie pour sauver une dictature et qui se traduit par de nouvelles victimes civiles et souffrances. Les interventions de la Russie, l’Iran, le Hezbollah et divers groupes fondamentalistes irakiens shiites ont causé encore plus de morts en Syrie, en plus d’écraser un soulèvement populaire. En même temps, même si de manière relativement moins importante, nous nous opposons également aux interventions des monarchies du Golfe et de la Turquie dans le passé, qui étaient pour leurs propres intérêts et pour changer la nature de la révolution dans une guerre confessionnelle et pour leurs soutiens à des mouvements fondamentalistes islamiques qui ont attaqué, et continue de le faire dans de nombreuses régions, les révolutionnaires, des civils et des soldats de l’ASL.

    Nous devons également soutenir la livraison d’armes sans pré-condition politique de l’Occident vers les sections démocratiques de l’ASL et des forces kurdes pour se battre et lutter contre le régime d’Assad et les forces fondamentalistes islamiques.

    Enfin et surtout, les internationalistes du monde entier devraient continuer à soutenir les poches d’espoirs qui existent encore et résistent en Syrie composée de divers groupes et mouvements démocratiques et progressistes opposés à tous les acteurs de la contre-révolution : le régime d’Assad et les groupes fondamentalistes islamiques. Ce sont eux qui maintiennent encore les rêves du début de la révolution et de ses objectifs : la démocratie, la justice sociale, l’égalité et contre le confessionalisme.

    Comme écrit sur une pancarte par un révolutionnaire dans la ville de Zabadani : “” Les révolutions ne meurent pas, même si réprimé férocement. Elles sont l’engrais de la terre et donnent vie même après un certain temps ”

    Joseph Daher 4 octobre 2015

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36019#nh1

  • Syrie : "Impossible de négocier avec Bachar" (JDD)

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    Pour Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International, "la racine de la crise syrienne, c'est Bachar el-Assad". 

    Qu'avez-vous ressenti à la lecture du livre Opération César*, qui détaille les crimes du régime syrien entre 2011 et 2013?
    Ce que ce livre donne à percevoir, c'est la dimension de la machine à tuer du régime syrien. Je n'avais pu m'en rendre compte jusqu'à présent qu'en allant visiter les camps de réfugiés, notamment en Jordanie, et en interrogeant des victimes qui avaient pu fuir Dera ou Yarmouk. En lisant le livre de Garance Le Caisne, on prend conscience que ce ne sont pas des cas isolés mais des individus aux prises avec un système impitoyable et que leur seul salut pour y échapper est dans la fuite.

    Quand vous parlez de système, cela veut dire que la répression est dans l'ADN du régime syrien?
    Il y a en effet dans la mémoire de la société syrienne quelque chose de très fort et que l'on retrouve en Amérique latine : de nombreux Syriens revivent aujourd'hui ce qu'ont vécu leurs parents ou d'autres proches du temps de Hafez El-Assad. C'est le cas précisément pour le terrible massacre de Hama, qui a fait entre 10.000 et 20.000 morts en février 1982, lors de la répression de l'insurrection des Frères musulmans. Et donc, tous ceux qui croient qu'en tournant la page on finit par oublier s'aperçoivent que ce n'est pas possible. Le silence n'est pas l'oubli.

    La France veut judiciariser le dossier César pour poursuivre les auteurs syriens de crimes contre l'humanité. Est-ce vain ou trop tard?
    Ce n'est jamais vain ni trop tard. Ne serait-ce que pour participer à un combat contre la désinformation ambiante. Trop de doutes ont été entretenus pour que l'opinion change de vision sur ce régime. Le rapport César décrit minutieusement des faits qui se sont passés entre 2011 et 2013. Mais croyez-vous que la torture se soit arrêtée depuis? Rien n'a changé. Les réfugiés que l'on croise aujourd'hui sur les routes d'Europe ou dans les camps de réfugiés ne fuient pas seulement la guerre, les bombardements et la faim mais l'horreur de la répression menée par ce régime.

    Ils fuient également les exactions de Daech…
    Personne ne le nie. Mais si l'on veut régler aujourd'hui la crise syrienne, il faut s'attaquer à sa racine, et c'est le régime de Bachar el-Assad. Ce que fait Daech est évidemment atroce mais beaucoup plus visible. Tandis que le régime ne s'est jamais vanté de ses crimes, bien plus discrets. Mais vu la façon dont les soldats du renseignement militaire traitent les cadavres et méprisent chaque être humain, on imagine le travail de reconstruction psychologique gigantesque qui sera nécessaire au peuple syrien.

    Doutez-vous de la possibilité de voir un jour Bachar el-Assad se retrouver dans le box des accusés de la Cour pénale internationale, comme ce fut le cas pour Slobodan Milosevic bien des années après les accords de Dayton, qui mirent fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine?
    Quand on lit le rapport César avec ses milliers de photos de cadavres, quand on lit les rapports d'Amnesty et de Human Rights Watch, on se dit qu'il est impossible de négocier avec Bachar. Tout traité de paix signé de la main des bourreaux ne fait qu'effrayer les victimes davantage et consacre un système d'impunité. Cette guerre est extrêmement complexe mais je suis convaincue que l'on ne peut pas se permettre de dire "on négocie, on signe et puis après on verra". Pour des millions de réfugiés, ce serait épouvantable, l'impossibilité de rentrer chez eux et d'obtenir justice. Si, en plus, des États s'allient avec Bachar pour faire la guerre contre Daech, tous ceux qui ont vécu l'horreur de ce régime avant 2012 se sentiront trahis. C'est pourquoi beaucoup nous disent : "Que Bachar parte, et nous, on s'occupera de Daech ensuite."

    *Opération César, au cœur de la machine de mort syrienne, de Garance Le Caisne (Stock), en librairies le 7 octobre.

    François Clemenceau - Le Journal du Dimanche dimanche 04 octobre 20

    http://www.lejdd.fr/International/Moyen-Orient/Syrie-Impossible-de-negocier-avec-Bachar

  • Syrie. «Ni Assad, ni Daech» (Al'Encontre.ch)

    Les diverses initiatives militaires, en Syrie, d’une coalition hétéroclite contre ledit Etat islamique (Daech) participe d’une réécriture politique propagandiste du «printemps arabe» en Syrie.

    Le soulèvement massif et pacifique de la population dès mars 2011 est effacé des mémoires médiatisées. Sont gommées, de plus en plus: la terrible répression du régime Assad, opérée par son armée, ses criminels mafieux (les chabiha), ses hélicoptères déversant des barils d’explosifs sur des villes et quartiers dont le contrôle était perdu; la destruction par les chars de quartiers entiers, maison après maison; la dévastation d’hôpitaux et de cliniques; l’utilisation des armes chimiques en août 2013 (ce qui s’est répété au premier semestre 2015); la libération, dès mars 2011, d’islamistes dans le but de nourrir les affrontements «communautaires».

    La réalité de cet «Etat de barbarie», comme l’avait écrit Michel Seurat (Syrie. L’Etat de barbarie, 1989), n’est plus la source de la tragédie dans laquelle est plongée, depuis quatre ans, la population de Syrie.

    Autrement dit, la propagande de la dictature de Bachar el-Assad, qui démarra les premiers jours, acquiert un statut de véracité conjuguée au présent: «Je mène une guerre contre des terroristes manipulés par des forces étrangères.» La «légitimité de l’autodéfense du régime doit être comprise».

    En traitant aujourd’hui l’organisation féroce, meurtrière de Daech comme la seule priorité militaire et politique de la «coalition de bombardiers», silence est fait sur deux éléments fondamentaux. Premièrement, Daech est la conséquence de la barbarie de la guerre impérialiste (2003) contre l’Irak, avec toutes ses suites. Dans ce sens, le titre de l’ouvrage de Gilbert Achcar, Le choc des barbaries, terrorisme et désordre mondial (2002), était prémonitoire. Ensuite, le refus, dès le deuxième semestre 2011, d’une aide matérielle et militaire réclamée à ceux qui engageaient, pratiquement, une révolution démocratique et son autodéfense contre la dictature Assad a débouché sur une tragédie humaine et sociale. Elle est d’une ampleur rarement connue dans l’après-Seconde Guerre mondiale.

    L’obsession des dites «puissances occidentales» consistait (après le désastre irakien) à maintenir une continuité de l’appareil d’Etat. Donc, au mieux, de permettre du «assadisme» sans Assad. Le peuple révolté n’existe pas pour les puissances impérialistes. Est-il nécessaire de le dire? Dans un tel contexte – marqué aussi par l’affaiblissement de l’emprise états-unienne sur toute la région – des «acteurs régionaux» (Qatar, Arabie saoudite, Turquie) ont acquis une sorte de droit de préemption sur des forces qui, face aux bataillons du régime des Assad, étaient à la recherche de ressources financières et militaires pour mener leur combat. En outre, dans un tel affrontement militaire contre un régime dictatorial qui dispose de 40 ans (1970) d’expérience – donc d’un appareil policier redoutable, de réseaux mafieux, d’appuis socio-économiques construits sélectivement – les carences d’une direction politico-militaire de la révolution démocratique se manifestèrent assez vite, malgré le courage et la détermination de ceux et celle qui étaient (et sont) engagés dans le combat pour la chute de la dictature.

    Dans cette configuration, l’Iran (en s’appuyant, entre autres, sur le Hezbollah libanais, mais aussi en encadrant des milices au service d’Assad dont les activités criminelles n’ont rien à envier à Daech) et la Russie jouaient leur propre carte. Ils ont alloué un appui décisif à Bachar el-Assad. Cela ne pouvait que renforcer la férocité de la répression et des destructions. Car, dans une telle guerre civile, un régime dictatorial consolide toujours ses méthodes terroristes au moment où son armée voit ses positions s’affaiblir. Ce qui est le cas, à nouveau, au cours des derniers mois. La montée aux extrêmes n’a donc pas cessé de s’accélérer en Syrie, pour rester cantonné à ce pays déchiqueté.

    Depuis quelques semaines, très ouvertement (car des démarches ont existé en réalité, dès 2011, avec des oscillations), la formule à l’honneur sous George W. Bush a acquis une nouvelle actualité: «mieux un dictateur que le chaos». Donc le seul véritable ennemi est Daech. Dès lors, s’est imposé dans la rhétorique le passage du «Bachar doit partir» à «il faut négocier son départ» (pourparlers de Genève 2014), puis à «nous allons examiner avec Bachar, l’Iran et la Russie la résolution du conflit». Même si les formules utilisées dans les chancelleries occidentales sont quelque peu différentes et traduisent des intérêts différents.

    Les pièces qui se déplacent sur l’échiquier géopolitique – agendas divers des membres d’une coalition hétéroclite bombardant Daech en Syrie et en Irak, accord Etats-Unis-Iran, guerre de destruction menée par l’Arabie saoudite au Yémen, accentuation rapide de la présence militaire russe en Syrie en pleine «crise ukrainienne», permanence d’une descente aux enfers dans un Irak où l’administration américaine était censée faire du «nation building» – ont offert une ouverture utilisée par le pouvoir autoritaire de Poutine. Aleksei Makarkin, qui dirige à Moscou le Centre pour les techniques politiques, explique sans détour: «Le but de la Russie est de défendre Assad; quiconque est contre lui est un facteur de déstabilisation; la Russie veut qu’Assad soit intégré dans un processus de négociation à partir d’une position de force.» (International New York Times, 3-4 octobre 2015) Pour cela, une précondition doit être remplie: assurer fermement le contrôle sur la région dont Lattaquié est le centre et qui est le fief du régime de Bachar el-Assad. La présence de forces rebelles – islamistes – implantées depuis des mois dans le nord-ouest de la Syrie menaçait ce fief. Or, il constitue de même le seul point d’appui militaire pour la Russie sur la Méditerranée.

    Le jeudi 1er octobre, le premier ministre de l’Irak, Haider al-Abadi, a affirmé que Bagdad accueillerait favorablement une offensive aérienne russe contre Daech (Financial Times, 3-4 octobre 2015). Cela révèle les multiples enjeux en cours dans toute la région. La nécessité de tracer les lignes de force des agendas, aux réalisations aléatoires, des acteurs de la de facto nouvelle coalition anti-Daech.

    Pour l’heure, quiconque veut échapper au carcan d’une approche binaire – sans mentionner ceux qui, lobotomisés, se situent du côté d’Assad au nom de «l’anti-impérialisme» – ne peut qu’affirmer: «Ni Daech, ni Assad».

    Certes la désespérance domine en Syrie. Le nombre de déplacés internes s’élève à 7,6 millions. Le nombre de morts, pour l’essentiel sous les coups de la dictature, est évalué à plus de 300’000, ce qui laisse entrevoir le nombre incalculable de blessés et de victimes diverses. L’aide humanitaire de l’ONU a été bloquée par le régime. Les réfugiés dans les pays voisins (Jordanie, Liban, Turquie, Irak…) sont au moins au nombre de 4 millions.

    La vague actuelle de réfugié·e·s «en route» vers l’Europe, reflet de la désespérance, vient de régions contrôlées par le régime. Les millions de réfugiés (voir l’article publié sur ce site en date du 24 septembre) qui ont dû fuir au cours des années précédentes proviennent de régions (villes et villages) qui furent la cible des chars, des hélicoptères et de la soldatesque d’Assad. Vendre la politique actuelle de réintégration d’Assad dans une «solution», après avoir affaibli et battu Daech avec des avions de combat, relève d’une illusion criminelle. Elle est offerte aussi comme «une solution» visant à freiner le «flux des réfugiés» grâce à une transition et à une stabilisation qui marqueraient la victoire complète de la contre-révolution en Syrie. Ces options sont fort éloignées d’une urgente et nécessaire politique effectivement humanitaire. (Rédaction A l’Encontre)

    Publié par Alencontre le 4 - octobre - 2015
     
  • Rassemblement " Ni Poutine ! Ni Bachar ! " (Souria Houria)

     

    Evenement_20151002-1

    Le 2 octobre le président russe Vladimir Poutine vient à Paris pour participer à un sommet portant sur le conflit en Ukraine. Il devrait également discuter de la Syrie avec le couple franco-allemand.

    Cependant, le Kremlin emprisonne ses opposants politiques, fournit massivement des armes qui tuent des civils ukrainiens et syriens et envoie des militaires russes en Ukraine et en Syrie. De plus, la politique et les interventions du Kremlin contraignent, en Syrie et en Ukraine, des millions de personnes à fuir leur maison. Dans ces deux pays, Poutine mène la même politique : empêcher un peuple de décider librement de son avenir.

    Après 4 ans de soutien militaire de Poutine à Bachar, la situation en Syrie n’a fait qu’empirer (plus de 250 000 morts, et l’armée de Bachar, soutenue notamment par Poutine, est responsable de la mort de plus de 95 % des civils tués). Et toute intervention, qu’elle soit ou non avec l’appui de la France, ne permet pas d’en finir avec Daech.

    Si le gouvernement français défendait vraiment les libertés démocratiques il faudrait qu’il commence par exiger la fin de tous les  massacres et des meurtres, la libération des prisonniers politiques (en Syrie -plus de 215 000, mais aussi en Russie -plus de 200), et la fin des agressions militaires.

    Nous n’acceptons aucune collaboration avec les dictateurs ! 

    Ni Poutine ! Ni Bachar ! 

    Ils sont la cause et non pas la solution des problèmes.

    Rassemblement le 2 Octobre 2015

    à 18 h à côté de l’Assemblée Nationale

    à l’angle de la rue de l’Université et de la rue Constantine

    stations : Invalides (M 13, M 8 et RER C) et Assemblée Nationale (M 12)

    à l’initiative de militants syriens, ukrainiens et russes

    initiative soutenue par :

    Alternative Libertaire, Assemblée Européenne des Citoyens, Cedetim (réseau IPAM), Émancipation, Ensemble ! (membre du Front de Gauche), L’insurgé, Naskon, Souria Houria (Syrie Liberté), Ukraine Action, Union syndicale Solidaires, Freedom Syria, Sotak horia, Collectif Urgence Solidarité Syrie, Déclaration de Damas, Collectif du 15 mars, Coordination de Paris, Les femmes syriennes, Syria for all 30 septembre 2015

    http://souriahouria.com/02102015-paris-rassemblement-ni-poutine-ni-bachar/

  • Des bombes pour la Syrie et des barbelés pour les réfugiés (Lutte Ouvrière)

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    Les principaux dirigeants de la planète sont réunis à New York pour l’assemblée générale de l’ONU.

    La Syrie sera leur sujet principal. Oh, ils ne discuteront pas de l’aide humanitaire urgente à apporter aux millions de réfugiés syriens, ce n’est pas leur problème ! Ils discuteront alliances - y compris avec des dictateurs sanglants-, bombardements, guerre.

    Que la réunion débouche ou pas sur un accord, il ne fait plus de doute que les grandes puissances vont intensifier la guerre contre Daech en Syrie avec, peut-être dans quelques mois, une nouvelle intervention terrestre. Une fois de plus, on nous explique que la guerre est la seule façon de rétablir la « stabilité » dans la région. Mais quelle stabilité y a-t-il en Afghanistan ou en Irak après des années de guerre et d’occupation américaine ?

    Il n’y aura pas de stabilité en Syrie tant que cette région restera un terrain de rivalités et de manigances pour les grandes puissances. Des États-Unis à la Russie en passant par le Qatar, la Turquie ou l’Iran, chacun alimente le chaos en soutenant telle bande armée contre telle autre, en montant les chiites ou les Kurdes contre les sunnites quand les autres font le calcul inverse.

    Et parmi toutes ces manœuvres, il y a les minables petits calculs des dirigeants français, comme ces frappes aériennes commandées à point nommé la veille de l’ouverture de la réunion de l’ONU pour faire en sorte que les intérêts des pétroliers et des marchands de canon français ne soient pas oubliés dans les tractations.

    Pour la droite et le FN, Hollande n’est encore pas assez va-t-en guerre !

    Avec un cynisme assumé, Marine Le Pen et nombre de responsables de droite expliquent qu’il faut s’appuyer sur Bachar Al-Assad quand bien même il est responsable d’avoir mis son pays à feu et à sang bien avant que Daech n’existe.

    Parmi ceux qui quittent la Syrie, beaucoup fuient les bombes et le régime d’Assad. Et tout ce que les politiciens français trouvent à leur dire, c’est « restez dans votre pays, nous allons continuer de bombarder et aider Assad à conforter son régime » !

    La politique prônée par ces dirigeants en Syrie est criminelle. Et elle l’est encore quand ils défendent la fermeture des frontières et érigent de nouveaux murs et barbelés contre ceux qui ont pris la route de l’exode ou lorsqu’ils mégotent sur leur accueil, comme le fait Hollande.

    Il faut la liberté de circulation et d’installation pour les migrants. Il faut l’ouverture des frontières. Il y a déjà eu trop de morts, trop de naufrages, trop de personnes électrocutées à Calais ou mortes asphyxiées dans des camions.

    Ceux qui parmi les travailleurs sont sincèrement inquiets de ce qu’il y a déjà beaucoup de chômeurs doivent avoir en tête que le chômage, la précarité et les bas salaires ne dépendent pas de l’arrivée des migrants. Ils dépendent du rapport de force avec le patronat et des luttes que le monde du travail est capable de mener contre les licencieurs et tous ces groupes capitalistes rapaces.

    L’emploi n’est pas un stock limité qu’il faudrait se partager et le chômage n’est pas une loi de la nature. Ils résultent de la politique patronale qui consiste à exploiter au maximum ceux qui travaillent quand bien même toute une fraction de la jeunesse se morfond au chômage.

    Pour faire taire tout sentiment d’humanité vis-à-vis des migrants, les dirigeants répètent qu’ « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Comme si les travailleurs n’avaient d’autre choix que de se partager la misère ! Comme s’il fallait se résigner à être en concurrence les uns avec les autres quand les richesses s’accumulent dans les mains d’une minorité !

    La bourgeoisie et ses laquais politiques opposent les intérimaires aux CDI, les salariés du privé aux fonctionnaires, pour masquer leur responsabilité dans le recul des conditions de vie de la classe ouvrière. Cette fois, ce sont les migrants qu’ils présentent comme un danger. Eh bien, les travailleurs ont intérêt à ne pas se tromper de camp et à être solidaires des migrants contre tous ces dirigeants !

    Le monde ouvrier a intérêt à soutenir la liberté de circulation et d’installation des migrants. D’abord parce que tous les travailleurs sont des migrants potentiels et ont à se déplacer au gré des fermetures d’entreprises et des crises.

    Ensuite parce que les migrants sont de futurs frères de classe. Même si certains d’entre eux avaient des vies de médecin, d’avocat ou de commerçant dans leur pays, ils deviendront ici, pour la plupart, des exploités, des camarades de travail. Pour qu’ils deviennent de futurs camarades de lutte contre le chômage et l’exploitation, il faut les accueillir comme des frères. lundi 28 septembre 2015

    http://www.lutte-ouvriere.org/notre-actualite/editoriaux/article/des-bombes-pour-la-syrie