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Syrie - Page 41

  • En Syrie, une expérience de démocratie directe (Basta)

    Syrian Kurds

    Egalitaire et multiconfessionnelle tient tête à l’Etat islamique

    Les médias occidentaux relaient abondamment les décapitations, les appels au meurtre et les exactions perpétrés par Daech, le pseudo « Etat islamique ». Pourtant, face à cette barbarie, les populations kurdes, arabes ou yézidis de la région de Rojava, au nord de la Syrie, mettent en oeuvre un autre modèle de société, émancipateur, égalitaire, multiconfessionnel, et très démocratique. Une expérience qui pourrait même servir d’inspiration pour ramener la paix dans la région. En attendant, les Kurdes et leurs voisins combattent pour défendre cette utopie concrète, sans véritable soutien international. Entretien avec des chercheurs et activistes qui en reviennent.

    Les raisons d’espérer sont rares en provenance de Syrie. Mais en janvier 2015, le monde découvre, ébahi, les images de femmes kurdes en treillis qui participent à la résistance puis à la libération de la ville syrienne de Kobané. Un mouvement démocratique et anti-patriarcal vient de défaire les forces ultra-réactionnaires de l’État islamique, victorieuses ailleurs. Deux modèles de société radicalement différents se font face. Car le Kurdistan syrien fait l’expérience depuis 2011 d’une révolution démocratique inédite.

    Assez vite débarrassé des forces du régime de Bachar el-Assad, le mouvement de libération kurde y a développé une organisation politique basée sur la démocratie directe, l’organisation en communes et la libération des femmes. Malgré la guerre, les attaques de l’État islamique (EI), l’embargo turc, sur fond d’indifférence de la communauté internationale, la région poursuit la mise en pratique de ce confédéralisme démocratique, un modèle de société multiconfessionnelle et multi-ethnique, sans État, pour l’émancipation de tous. Entretien avec Ercan Ayboğa et Michael Knapp, co-auteurs de Revolution in Rojava, ouvrage d’enquête militante sur cette révolution en cours au milieu du chaos syrien.

    Basta ! : Ce qui se passe depuis 2011 dans la région syrienne de Rojava (au nord de la Syrie, à la frontière avec la Turquie), représente-t-il le contre-modèle absolu de la violence de l’État islamique ?

    Ercan Ayboğa [1] : L’État islamique représente la ligne la plus réactionnaire qui existe aujourd’hui et en Syrie et au Moyen Orient, plus réactionnaire encore qu’Al-Qaïda, et le pôle le plus opposé au mouvement de Rojava. Il y a d’un côté le modèle de société de Rojava, une démarche démocratique et émancipatrice, et de l’autre, l’EI, extrêmement réactionnaire, hiérarchique, misogyne, absolument anti-démocratique, violent, et qui exploite les populations.

    Michael Knapp : Rojava ressemble évidemment à une antithèse de l’EI. Mais c’est beaucoup plus profond. L’EI est aussi l’expression du jeu des forces présentes au Moyen Orient. Rétrospectivement, vu de l’Occident, on peut avoir l’impression que le mouvement de Rojava est né en opposition à l’EI. Mais en fait, c’est plutôt l’EI qui a été renforcé par des puissances comme la Turquie, entre autres pour détruire ce projet de Rojava.

    Comment le projet démocratique du mouvement kurde s’est-il mis en place en Syrie, malgré la guerre civile ? Un compromis a-t-il dû être passé avec le régime de Bachar el-Assad ?

    Michael Knapp : Quand la guerre civile a commencé en Syrie, le mouvement kurde n’a pas voulu s’allier à l’opposition. Il soutenait bien évidemment l’opposition démocratique, celle qui misait sur une sortie de crise politique et pas sur une escalade de la violence. Mais il voyait aussi que les forces d’opposition étaient soutenues par la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et les pays occidentaux. C’est pour ça que le mouvement kurde a décidé de prendre une troisième voie.

    Du point de vue militaire, les forces combattantes d’autodéfense kurdes sont allées encercler les casernes du régime et leur ont dit : soit vous partez, soit on vous combat. Souvent, les soldats du régime se sont retirés relativement pacifiquement, pensant que les forces kurdes n’allaient pas combattre aux côtés de l’Armée syrienne libre. Le régime a donc préféré poster ses soldats ailleurs. Même s’il y a eu des combats autour des puits de pétrole. C’est dans ce vacuum que le modèle de Rojava a pu prendre naissance.

    Les membres de la coalition nationale syrienne et de l’armée syrienne libre reprochent parfois aux structures d’auto-organisation de la région de collaborer avec le régime. Mais il faut comprendre que le mouvement kurde suit un principe d’autodéfense légitime et de primat de la politique civile. Cela veut dire qu’aussi longtemps qu’on n’est pas attaqué, il faut tout résoudre politiquement. C’est aussi la politique suivie par la guérilla du Nord-Kurdistan (Kurdistan turc).

    Comment s’organise maintenant la vie politique dans la région ?

    Michael Knapp : C’est complexe et dynamique à la fois. L’organisation s’adapte aux besoins. Les assemblées des conseils sont le moteur de tout. Il y a plusieurs niveaux de conseils : de rue, de quartier, de la ville… Chaque niveau envoie ensuite des représentants dans les structures du niveau supérieur : des conseils de rue aux conseil de quartiers, des conseils de quartiers aux conseils des villes, puis vers les conseils des cantons et jusqu’au conseil populaire de Rojava. Les communautés s’organisent aussi en commissions à ces différentes niveaux, pour la sécurité, l’économie, la justice…

    Les commissions forment comme des ministères au niveau de la région. Les conseils sont toujours doubles, avec un conseil mixte et un conseil des femmes. Le conseil des femmes a droit de veto. Et dans tous les conseils mixtes, il y a une règle de parité, un quota de 40 % au moins pour chaque genre, et le principe d’une double direction, élue, avec une femme et un homme. Si dans une ville, il y a une communauté yézidie ou des communautés arabes, par exemple, ils ont aussi droit à une co-présidence dans les conseils. On a donc souvent une présidence de conseil triple voire quadruple.

    Parallèlement aux conseils, il existe un parlement, parce qu’il y a encore des gens qui sont membres de partis et qui doivent aussi pouvoir s’organiser et être représentés. Dans ce parlement, il y a les partis, mais une partie des sièges sont réservés à des organisations de la société civile, associations de défense des droits de l’homme, de la communauté yézidie… Malheureusement, il n’a pas encore été possible de tenir des élections au niveau de toute la région pour désigner par le vote les membres de ce Parlement, à cause de la guerre.

    D’où vient ce modèle de l’auto-organisation et de confédération démocratique ?

    Ercan Ayboğa : Des structures d’auto-organisation communalistes sont nées au Nord-Kurdistan, en Turquie, en 2007-2008. Ces expériences se sont ensuite transmises à Rojava à partir de 2011. Le projet de confédération lui-même vient du KCK (Union des communautés du Kurdistan), une branche du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) créée en 2005. L’idée était de démocratiser le mouvement de libération kurde, de s’éloigner d’une structure de parti pour aller vers un mouvement porté par la société toute entière. Le mouvement a profité des héritages historiques comme la Commune de Paris (1871), mais surtout du mouvement zapatiste au Mexique. Avant, le PKK avait une démarche marxiste-léniniste. Le parti a lancé des discussions sur le « confédéralisme » démocratique au début des années 2000.

    L’écologie joue-t-elle un rôle dans ce mouvement ?

    Michael Knapp : L’écologie en est un point central. Pour développer le projet du confédéralisme démocratique, Öcalan (le leader du PKK, emprisonné en Turquie depuis 1999) s’est saisi du principe de l’écologie sociale du militant américain Murray Bookchin. Avec l’idée que le capitalisme est un système qui conduit à la destruction de la planète, et qu’il faut donc construire une économie basée sur une production régionale, écologique et décentralisée.

    Quelles sont les structures d’émancipation des femmes à Rojava, à côté des conseils de femmes et des brigades féminines des forces d’auto-défense ?

    Ercan Ayboğa : Dans chaque ville, il y a une maison des femmes. C’est un centre politique, mais aussi un centre de conseil, avec des séminaires, des cours, du soutien. Il y a aussi de nombreuses coopératives de femmes, des boulangeries, des coopératives textiles, de produits laitiers…

    Michael Knapp : Le mouvement de libération des femmes profite aussi aux autres communautés, par exemple aux communautés suryoyes (chrétiens) et arabes. Sur la zone près de la frontière irakienne, il y avait des groupes arabes très conservateurs mais qui sont entrés en conflit avec l’EI et ont demandé aux unités kurdes des les aider à s’en libérer. Du coup, beaucoup se sont joints au mouvement. J’ai vu des unités de formations de ces hommes. Il ne s’agissait pas seulement de savoir-faire militaire, mais aussi de discussions sur les droits des femmes et sur la démocratie directe.

    Nous avons aussi rencontré des jeunes femmes des communautés arabes qui ont rallié les forces combattantes d’autodéfense [2]. Elles nous ont dit qu’il y a deux ans, elles ne sortaient pas de leur maison, et maintenant, elles protègent la frontière les armes à la main. Ce modèle de confédéralisme démocratique n’est pas identitaire. C’est pour ça qu’on peut espérer qu’à plus grande échelle, il puisse aussi représenter un modèle de résolution des conflits ailleurs au Moyen Orient.

    Comment s’organise l’économie ?

    Michael Knapp : C’est très difficile notamment à cause de l’embargo imposé par la Turquie. Dans le canton de Jazirah par exemple [La région de Rojava a été découpée en trois cantons : Kobané, Jazirah et Afrin, ndlr] il y a, comme ressources, du pétrole et des céréales. Mais il n’y a pas de raffinerie et presque pas de moulins. Nous avons vu des silos assez pleins pour nourrir toute la Syrie pendant dix ans. Mais les céréales ne peuvent pas être transformés sur place. Une économie collectivisée se développe pourtant, avec des coopératives, qui raffinent, comme elles peuvent, le pétrole, des coopératives agricoles…

    Ercan Ayboğa : Les coopératives jouent un rôle toujours plus important à Rojava. Elles sont soutenues par les conseils. Mais l’économie privée est aussi possible, ce n’est pas interdit.

    Le mouvement reçoit-il des soutiens de l’étranger, du Kurdistan turc, irakien, ou de la communauté internationale ?

    Ercan Ayboğa : Il y a quelques médicaments et des outils qui arrivent du Nord-Kurdistan, en Turquie. Mais la Turquie ne laisse passer que peu de choses. Le soutien du Nord-Kurdistan reste néanmoins très important. Les administrations auto-organisées du Nord-Kurdistan soutiennent vraiment Rojava. La ville de Diyarbakir a par exemple envoyé à Kobané des machines de construction, des ingénieurs, un soutien technique. Mais pas officiellement. Sinon, de l’aide arrive d’ailleurs, d’ONG, mais c’est très peu. La communauté internationale dit qu’elle a besoin de l’autorisation du gouvernement syrien pour envoyer de l’aide vers Rojava. Mais les gens à Rojava attendent évidemment plus de soutien international parce qu’ils considèrent qu’ils combattent pour l’ensemble du monde démocratique.

    Michael Knapp : Rojava n’a presque pas de moyens financiers, et ne reçoit pas d’aide humanitaire. La communauté internationale dit que le problème, c’est que ce n’est pas un État. Manifestement, aux yeux de la communauté internationale, le système d’auto-organisation de Rojava n’a pas à être soutenu.

    Pourtant, les forces combattantes kurdes d’autodéfense ont à leur actifs plusieurs succès militaires contre le pseudo État islamique...

    Michael Knapp : Dans ces forces d’autodéfense, les gens combattent pour survivre, pour des convictions, et pour un projet de société. Certains ont longtemps combattu au Nord-Kurdistan auparavant. Ils ont déjà beaucoup d’expérience militaire. Mais leur armement est vraiment modeste, en comparaison à celui de l’EI par exemple.

    Recueilli par Rachel Knaebel 10 juillet 2015

    Notes

    [1Ercan Ayboğa, activiste, et Michael Knapp, historien, sont les co-auteurs, avec Anja Flach, ethnologue, de Revolution in Rojava, paru en allemand chez VSA Verlag en février 2015.

    [2Pour les hommes comme pour les femmes, l’âge minimum pour rallier les forces d’autodéfense est de 18 ans.

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  • Palestine, Syrie, un combat commun ? (Npa)

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    Julien Salingue, auteur de nombreux ouvrages sur la Palestine

    Lana Sadeq, un point de vue de militante palestinienne

    Ziad Majed, politologue, professeur des études du Moyen-Orient à l'Université américaine de Paris

    deux témoignages de militants du camp de Yarmouk : Mohamad Shaban et Thaer al-Sahli

    et un court-métrage : "le siège"

    Une réunion publique pour tenter de répondre à quelques questions :

    Yarmouk, un des 13 camps de Palestiniens en Syrie : Quels objectifs stratégiques de Assad dans l'encerclement et la répression de Yarmouk ? Quelles formes de résistances depuis 2011 ?

    Palestiniens dans la révolution syrienne : Quelles implications des Palestiniens dans la révolution syrienne ? Quel rôle de la jeunesse et quels liens avec l'ensemble de la population syrienne ?

    Palestiniens réfugiés en Syrie, avant 2011 : Quel statut des Palestiniens en Syrie ? Quels liens avec la Palestine ?

    Résistances palestinienne et syrienne : mêmes obstacles politiques ? 

    Quelles actuelles forces politiques de résistances syrienne et palestinienne,

    quelles faiblesses internes ? Quels rôles des puissances étrangères ?

    Lieu :

    salle des Alternatifs, 40 rue de Malte 75011 Paris M° République

    Réunion organisée par 

    le Collectif Avec la Révolution Syrienne (Alternative Libertaire, Cedetim, Collectif Urgence Solidarité Syrie,  Émancipation, Ensemble, NPA, PDPS, UJFP, Union syndicale Solidaires) 

    et le Forum Palestine Citoyenneté

     

    https://www.facebook.com/aveclarevolutionsyrienne

    http://npa2009.org/evenement/paris-palestine-syrie-un-combat-commun

  • Le «cercle de l’enfer» syrien (Amnesty)

    A Alep, les barils d’explosifs répandent la terreur et le sang, forçant les civils à vivre sous terre

     

    En proie à la terreur et à des souffrances intolérables, de nombreux civils d’Alep sont contraints de vivre dans les sous-sols pour échapper aux incessants bombardements aériens des forces gouvernementales sur les zones tenues par l’opposition, dénonce Amnesty International dans un rapport publié le 5 mai.

    ‘Death everywhere’: War crimes and human rights abuses in Aleppo décrit les crimes de guerre et autres épouvantables atteintes aux droits humains commis quotidiennement dans la ville par les forces du régime et les groupes d’opposition armés, et conclut que certains actes du gouvernement sont constitutifs de crimes contre l’humanité.

    Le rapport dresse un tableau particulièrement effroyable lié aux carnages et destructions massives provoqués par le largage par les forces gouvernementales de bombes-barils – des barils remplis d’explosifs et de fragments de métal – sur des écoles, des hôpitaux, des mosquées et des marchés bondés. Pour être en sécurité, beaucoup d’hôpitaux et d’écoles se sont installés dans des caves ou des bunkers souterrains.

    « Les atrocités généralisées, en particulier les bombardements aériens incessants et implacables de quartiers civils par les forces du régime, rendent la vie des habitants d’Alep de plus en plus insupportable, a déclaré Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. Ces frappes continues et répréhensibles sur les zones résidentielles sont la marque d’une politique d’offensive délibérée et systématique contre les civils dans le cadre d’attaques qui constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

    « En visant délibérément et sans relâche les habitants, le gouvernement syrien met en œuvre une politique inhumaine de punition collective contre la population civile d’Alep. »

    Les atrocités généralisées, en particulier les bombardements aériens incessants et implacables de quartiers civils par les forces du régime, rendent la vie des habitants d’Alep de plus en plus insupportable.
    Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International

    Attaques au baril d’explosifs par les forces gouvernementales

    Les attaques au baril d’explosifs – barils de pétrole, réservoirs d’essence et bombonnes de gaz remplis d’explosifs, de carburant et de fragments métalliques, et largués depuis un hélicoptère – ont tué plus de 3 000 civils dans le gouvernorat d’Alep l’année dernière, et plus de 11 000 dans tout le pays depuis 2012. Des militants syriens ont recensé pas moins de 85 attaques au baril d’explosifs dans la ville d’Alep le mois dernier, qui ont fait au moins 110 morts parmi la population civile. Et pourtant le gouvernement syrien ne reconnaît aucune perte civile dans de telles attaques – dans une interview à la presse en février 2015, le président Bachar el Assad a nié catégoriquement l’utilisation de barils d’explosifs par les forces syriennes.

    Le rapport d’Amnesty International contient des informations sur huit attaques au baril d’explosifs et donne la parole à des rescapés, qui décrivent des scènes atroces. Le carnage provoqué par les explosions montre l’horreur insoutenable de ces attaques.

    « J’ai vu des enfants décapités, des membres éparpillés partout, nous a raconté un ouvrier présent après une frappe contre le quartier de Ferdous, en 2014. C’est comme ça que je me représente l’enfer. »

    Un chirurgien syrien explique qu’il n’avait jamais vu de telles blessures : « Les barils d’explosifs sont l’arme la plus horrible et la plus cruelle. [Nous voyons arriver des] des polytraumatisés, il faut amputer, on voit des gens avec les intestins hors du corps, c’est affreux », a-t-il déclaré.

    En 2014, une attaque au baril d’explosifs a été menée dans un marché très fréquenté du quartier de Sukkari. Tout près de là, 150 personnes faisaient la queue à un point de distribution d’aide humanitaire pour obtenir un colis de nourriture. Évoquant la scène après l’attaque, un témoin parle d’« horreur totale » et explique que la population civile était visée :

    « Il y avait l’homme qui tenait la boutique de glaces, l’homme qui tenait la boutique de sandwichs, l’homme qui tenait la boutique de jouets... Tous ont été tués. »

    Le rapport décrit aussi le sort terrible des habitants qui vivent en permanence sous cette menace meurtrière.

    « Nous vivons sans soleil, sans air, nous ne pouvons pas monter et il y a sans arrêt des avions et des hélicoptères dans le ciel », nous a expliqué un médecin dont l’hôpital de campagne a dû se replier en sous-sol.

    « Nous sommes sur le qui-vive en permanence, tout le temps inquiets, en train de regarder le ciel », déclare pour sa part un enseignant d’Alep.

    Un autre habitant utilise les mots de « cercle de l’enfer » pour parler de la ville : « Les rues sont pleines de sang. Les gens qui sont tués ne sont pas ceux qui font la guerre », affirme-t-il.

    « Les habitants d’Alep vivent dans la peur et le désespoir, a déclaré Philip Luther. Beaucoup se sentent abandonnés et ont perdu tout espoir dans l’avenir.

    « Cela fait plus d’un an que les Nations unies ont adopté une résolution exigeant qu’il soit mis fin aux atteintes aux droits humains, en particulier aux attaques au baril d’explosifs, et ont annoncé que le non-respect de cette exigence par les autorités syriennes aurait des conséquences. Aujourd’hui la communauté internationale tourne le dos à la population d’Alep, dans une attitude de froide indifférence face à une tragédie humaine qui ne cesse d’empirer.

    « Les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité voient dans cette inaction persistante le signe qu’ils peuvent continuer à tenir la population d’Alep en otage sans craindre d’être punis. La saisine de la Cour pénale internationale de la situation en Syrie enverrait un autre message : celui que ceux qui ordonnent et commettent ces crimes peuvent être traduits en justice. Cette initiative pourrait contribuer à briser la spirale de violence », a souligné Philip Luther.

    Cela fait plus d’un an que les Nations unies ont adopté une résolution exigeant qu’il soit mis fin aux atteintes aux droits humains, en particulier aux attaques au baril d’explosifs, et ont annoncé que le non-respect de cette exigence par les autorités syriennes aurait des conséquences. Aujourd’hui la communauté internationale tourne le dos à la population d’Alep, dans une attitude de froide indifférence face à une tragédie humaine qui ne cesse d’empirer.
    Philip Luther

    Le rapport expose non seulement des informations sur les attaques au baril d’explosifs, mais aussi sur trois tirs de missiles par les forces gouvernementales, notamment une frappe dévastatrice lors d’une exposition de dessins d’enfants dans une école d’Ain Jalut, en avril 2014.

    « J’ai vu là-bas des choses que je ne peux pas décrire, a témoigné un professeur de géographie présent lors de l’attaque. Il y avait des corps d’enfants en morceaux, du sang partout. Les corps étaient en lambeaux. »

    Amnesty International demande à toutes les parties au conflit en Syrie de mettre un terme aux attaques délibérées contre les civils et les bâtiments ou infrastructures civils, ainsi qu’à l’utilisation dans les zones habitées d’armes explosives imprécises comme les barils d’explosifs et les mortiers.

    Exactions perpétrées par des groupes armés d’opposition

    Des groupes armés d’opposition ont également perpétré des crimes de guerre à Alep, en faisant usage d’armes imprécises telles que des mortiers et des roquettes improvisées, fabriquées à partir de bombonnes de gaz et tirées avec des dispositifs appelés « canons de l’enfer ». De telles attaques ont fait au moins 600 morts dans la population civile en 2014. Les groupes armés d’opposition opèrent souvent « complètement au hasard », ont indiqué les habitants. « On ne se sent pas en sûreté ou en sécurité, jamais, a déclaré une habitante du quartier d’al Jamaliya. On ne sait jamais ce qui va se passer, on peut être touché à tout moment. »

    Torture et autres mauvais traitements

    Le rapport fait également état de la pratique généralisée de la torture, de la détention arbitraire et de l’enlèvement, aussi bien par les forces du régime que par les groupes armés d’opposition.

    Un militant pacifique arrêté et détenu par les forces gouvernementales en 2012 pour avoir filmé une manifestation a expliqué qu’on l’avait coincé à l’intérieur d’un pneu de voiture, puis frappé à l’aide d’un câble qui lui avait lacéré la peau. Il entendait les hurlements d’autres personnes en train d’être torturées, la nuit. « Vers 5 ou 6 heures du matin, on n’entendait que les femmes crier. À 7 heures, les femmes se sont tues, puis on a entendu les hommes. Les cris étaient programmés. » Cet homme a été détenu à la prison centrale d’Alep. Dans ce bâtiment visé par les tirs d’artillerie des deux camps, des centaines de prisonniers sont morts de faim et d’autres ont été exécutés sommairement.

    Un homme détenu par un groupe d’opposition armé à Alep a expliqué avoir été violemment battu, soumis à des décharges électriques et pendu par les poignets pendant des périodes prolongées, avant d’être remis en liberté.

    Amnesty International demande au gouvernement de mettre un terme aux arrestations et aux détentions arbitraires, ainsi qu’aux disparitions forcées ; l’organisation demande aux groupes armés de cesser les enlèvements de civils et les prises d’otage. Toutes les parties doivent mettre un terme à la torture et aux autres mauvais traitements, et traiter les détenus avec humanité.

    Accès humanitaire

    Les habitants d’Alep non seulement endurent les attaques brutales des forces des deux camps, mais vivent en outre dans des conditions épouvantables et ont toutes les peines du monde à se procurer les biens et services de première nécessité – nourriture, médicaments, eau et électricité, notamment. Dans les zones tenues par l’opposition, la nourriture est extrêmement chère et les habitants en sont à cultiver des légumes et élever des lapins et des chats – un nouveau type de « fast-food » à Alep, explique un habitant. Amnesty International appelle toutes les parties au conflit à permettre un accès humanitaire sans entraves à toutes les agences qui acheminent l’aide à Alep et dans toute la Syrie. 5 mai 2015, 00:01 UTC

    https://www.amnesty.org/fr/articles/news/2015/05/syrias-circle-of-hell-barrel-bombs-in-aleppo/

  • Syrie: solidarité avec la ville de Salamieh sous la menace de l’Etat Islamique (Npa)

  • Irak, Syrie… – La contre-révolution et l’organisation de « l’Etat islamique » (ESSF)

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    Depuis juin dernier, le monde, à en croire les grands médias ou les dirigeants des principaux pays impérialistes, serait exposé à un danger inédit et imminent, n’affectant pas seulement la sécurité des pays de la région arabe, mais qui s’en prendrait à la « paix mondiale » et la « Sûreté nationale » des pays impérialistes de l’est et de l’ouest, avec à leur tête les Etats-Unis, à un point tel que le Conseil de Sécurité a adopté une résolution le 15 août 2014 (n°2170), en vertu du chapître 7 qui autorise le recours à la force contre l’organisation de l’Etat islamique et le Front Al-Nosra, que la résolution caractérise comme terroristes. La résolution prévoit des sanctions contre quiconque les soutiendra ou les aidera. Cette alerte du danger de l’organisation de « l’Etat islamique » intervient après que cette dernière eut mis en place l’Etat du califat islamique le 3 juillet de l’année passée.

    L’Irak, un pays dévasté

    L’Irak a subi un régime dictatorial et sanguinaire, à l’ombre du Baath depuis 1968, dirigé par Ahmad Hassan Albakr, puis Saddam Hussein. Ce pouvoir qui a été aux commandes d’un pays riche en ressources naturelles, particulièrement pétrolières, a écrasé le mouvement ouvrier et communiste, l’un des plus actifs et massifs dans la région ; il a tout fait aussi pour écraser le mouvement de libération nationale kurde, par des moyens brutaux, comme le recours aux armes chimiques contre des civils à Halabja.

    Le parti Baath au pouvoir dans le passé en Irak, se distingue, en dépit d’une ressemblance en matière de sauvagerie, de son parti frère et rival en Syrie, sous Assad le père, puis son fils héritier, par le fait qu’il était plus chauvin que le second car c’est un parti dont la légitimité se réclame de l’idée du nationalisme arabe chauvin. Il n’a pas hésité à accuser la majorité « chiite » et les Kurdes, soit l’essentiel des masses paupérisées et populaires et le terreau essentiel du mouvement ouvrier et communiste, d’être d’origine « iranienne » ou Safavides, comme cela est courant dans le discours chauvin crétin, pour les premiers, et des agents d’Israël pour les seconds.

    Trois décennies de guerres, de destruction et de dévastation

    L’Irak en tant que pays vit effectivement un état de guerre depuis 1980, soit trois décennies, avec des effets désastreux pour la société irakienne sur tous les plans. Le régime bourgeois et dictatorial de Saddam Hussein a mené sa première guerre, soit la première guerre du Golfe, contre l’Iran en 1980, une guerre qui a duré huit ans, et a entraîné une destruction massive en Irak. Les pertes dans l’infrastructure irakienne à la suite de cette guerre sont évaluées à 200 à 350 millions de dollars.

    Deux ans après la fin de la guerre du régime baathiste irakien contre l’Iran, ce même régime a envahi le Koweït au début du mois d’août 1990, à la suite d’un différend sur les champs de pétrole et d’un changement des politiques saoudiennes et des pays du Golfe à son endroit, passant de l’alliance à l’endiguement. L’impérialisme américain a utilisé cette invasion comme prétexte pour réaffirmer son hégémonie, non seulement dans la région, mais aussi à l’échelle mondiale, d’autant plus que cela était concomitant de l’effondrement du bloc de l’est et de l’Union soviétique, pour déclencher début 1991 une guerre dévastatrice contre l’Irak et de détruire ses forces armées au Koweït, lors de ce que l’on a appelé la seconde guerre du Golfe. Cela a entraîné une destruction supplémentaire des infrastructures irakiennes, estimée à 232 milliards de dollars environ. La seconde guerre du Golfe a été suivie d’un blocus impérialiste assassin, et l’un des plus meurtriers, en Irak qui a duré jusqu’à l’invasion impérialiste de l’Irak en 2003, soit la troisième guerre du Golfe qui a détruit le reste du pays et de la société irakiennes. A elles seules, la première et la seconde guerre du Golfe avaient causé la mort d’un million et demi de civils et de militaires.

    Les pertes supportées ou qui vont être supportées par l’Irak en raison de ces guerres sont évaluées à un trillion (mille milliards) et 193 milliards de dollars. En d’autres termes, les richesses pétrolières de l’Irak ont été vendues par anticipation, pour les 85 années à venir. Mais l’impérialisme américain a été défait en Irak et contraint de se retirer en 2011, après une résistance acharnée des masses irakiennes de toutes sensibilités politiques. Avant son retrait, cet impérialisme a mis en place un régime politique faible et corrompu reposant sur les quotas confessionnels qui n’a fait qu’exacerber le caractère catastrophique de la situation et préjudiciable à la majorité écrasante des Irakiens. En plus de l’injustice sociale et politique à laquelle se sont heurtés des secteurs larges d’Irakiens en raison des mesures d’exclusion confessionnelle, les politiques de « éradication du Baath » ont contribué à exclure des centaines de milliers de fonctionnaires, les militaires irakiens de l’ancien régime, ce qui a exacerbé chez beaucoup de ces derniers une hostilité illimitée envers le régime mis en place par l’occupation américaine, pas toujours en tant que réponse politique organisée à ce confessionnalisme, mais sous la forme d’une réaction confessionnelle, ce que n’ont fait qu’exacerber les politiques confessionnelles et corrompues de Nouri Al Maliki.

    La fondation

    Il est notoire et répété dans la plupart des écrits que la formation initiale du futur « Daech », était « le groupe d’unification et de combat » fondé par le Jordanien Abou Mossab Al Zarkaoui (Ahmad Fadhel Al Khalaïla) en 2004, après l’invasion américaine de l’Irak, où ont afflué un grands nombre de jihadistes pour résister à cette invasion. Le nom du groupe est devenu, après qu’il eût prêté allégeance à Ben Laden « Al Qaïda du Jihad au pays de la Mésopotamie ». Mais à la suite de l’assassinat de Al Zerkaoui le 7 juin 2006, a été annoncée le 15 octobre de la même année la constitution de « l’Etat islamique d’Irak ». Le 19 avril 2010, Abou Omar Al Baghdadi et Abou Hamza Al Muhajer se sont succédés à la tête de l’organisation, jusqu’à ce que soit enfin nommé Abou Bakr Al Baghdadi (Ibrahim Awad Al Badri Al Samraï) chef et qu’il se soit désigné comme calife, par la suite.

    « L’Etat islamique d’Irak » fut l’une des plus importantes organisations de la scène irakienne, d’autant qu’elle avait attiré des dizaines d’officiers du régime de Saddam Hussein, des baathistes, surtout après la disparition d’autres forces militaires où étaient enrôlés ces officiers, comme les phalanges de la Révolution d’Achrin, l’Armée islamique, l’Armée de Mohammad, l’armée de la Confrérie Naqchabandie. Cette dernière a des origines baathistes mais avait adhéré aux thèses islamistes pour se rapprocher d’un milieu social sunnite qui n’a toujours pas trouvé d’expression politique moderne. Sans parler d’autres groupes armés opposés à l’occupation américaine et au régime politique mis en place sur la base de quotas confessionnels. D’une part, ces groupes se caractérisaient par une surenchère religieuse ou confessionnelle qui avait permis leur émergence, d’autre part, la destruction sociale et économique du pays, et la discrimination confessionnelle et politique dont étaient victimes les sunnites par le régime confessionnel ont entraîné des contestations face aux inégalités croissantes. L’un de ces officiers baathistes, qui ont joué un rôle important pour améliorer la situation organisationnelle, militaire et de renseignement de l’Etat islamique d’Irak, est le colonel de l’Etat Major Hajji Bakr (de son vrai nom Samir AlKhalifawi), sans parler d’autres personnages moins connus, comme le brigadier Abou Mohand Al Sweïdani, les colonels Abou Muslim Al Turkmeni, Abdurrahim Al Turkmeni et Ali Aswad Al Jabouri, le lieutenant colonel Abou Amor Al Naïmi, le lieutenant colonel Abou Ahmad Al Alwani ,le lieutenant colonel Abou Abdurrahmane Al Bilawi, le lieutenant colonel. Abou Aquil Moussoul et Abou Ali Al Anbari. Ils font partie de l’instance dirigeante de l’Etat islamique.

    Cette fusion entre officiers batistes – formés au sein d’une régime despotique et dogmatique basé sur un crédo nationaliste chauvin et d’un courant tekfiri empruntant le voie salafiste jihadiste, de l’organisation Al Qaïda, dans les circonstances précitées de l’Irak d’alors, a conféré à l’organisation de « l’Etat islamique d’Irak », dont le nom deviendra par la suite « Etat islamique en Irak et au Levant » (Daech), une spécificité qui le distingue des autres organisation jihadistes traditionnelles. Le combat pour elle consiste à fonder un Etat (le Califat), dans sa forme la plus réactionnaire et féroce, hic et nunc, sur terre, suivant une stratégie militaire, politique et médiatique claire, en écrasant tout ce qui est démocratique et progressiste dans la société.

    Quoi qu’il en soit, la direction de Daech est majoritairement irakienne. Les vingt commandants les plus importants dans l’organisation sont tous irakiens, à l’exception d’un Syrien.

    La constitution de Daech

    Le régime syrien a compris dès le départ le danger que ferait courir la poursuite des manifestations pacifiques de masse ; pour cette raison, il les a dépeintes dès le début comme terroristes et tekfiries, et a mené une politique de provocation confessionnelle par la diffusion en continu par les appareils sécuritaires, surtout pendant la première année de la révolution, de vidéos sur les réseaux sociaux, puisque c’étaient eux qui étaient le plus prisés par les militants de la révolution, des scènes de torture et de meurtre perpétrés par les forces du régime contre les manifestants avec brutalité et en mettant en avant le caractère confessionnels de ces actes vus dans ces films,. Il a mené cette politique avec force cynisme et ruse. De même le régime dans la seconde moitié de l’année 2011 et au début de l’année 2012 a libéré des centaines de jihadistes détenus dans ses prisons et qui avaient été arrêtés à leur retour d’Irak.

    Le noyau originel du Front Al-Nosra s’activait déjà en Irak au sein de « l’Etat islamique d’Irak ». Ce dernier les a envoyés dans la seconde moitié de 2011 en Syrie, pour y constituer une branche d’Al Qaïda ce qu’Al-Nosra a fait avec succès, dont le nom a commencé à émerger au début de l’année 2012 et qui a acquis de la notoriété et de l’influence en raison du courage de ses combattants, et leur discipline alors. A ses débuts il n’avait pas de projet d’édification d’un Etat islamique, du moins pas en public, sans parler de son armement de qualité qui surpassait celui des brigades de l’Armée libre, tout cela a poussé de jeunes Syriens à le rejoindre.

    Depuis avril 2013, à la suite de l’ordre d’Abou Bakr Al Baghdadi, chef de l’Etat islamique en Irak de fusionner Al-Nosra avec l’Etat Islamique en Irak pour former une seule organisation, il y a eu une divergence entre les deux branches de la même organisation d’Al Qaïda en Syrie, l’une refusant de rejoindre Daech et l’autre l’ayant rejointe. Si les deux puisaient à la même idéologie religieuse réactionnaire et terroriste, cependant la divergence entre les stratégies et les intérêts l’a emporté pour se transformer en affrontement armé. Pour paraphraser le philosophe italien Antonio Labriola : « Les idées ne tombent pas du ciel et rien ne vient par les rêves ».

    Dans le débat entre les deux parties, il est utile de faire remarquer l’influence de cette « fusion », précitée entre des nationalistes baathistes et un courant salafiste jihadiste au sein de Daech. Abou Mohammad Al Adnani a répondu le 20 juin 2013 à l’invitation d’Ayman Al Zahouahiri de dissoudre Daech et restituer à chaque organisation son nom et les limites de son action, à savoir l’Etat islamique en Irak, et Jabha Al-Nosra en Syrie, en disant que : « Si nous acceptons la décision de dissoudre l’Etat (Islamique), c’est une reconnaissance des frontières de Sykes Picot » Effectivement, l’une des actions symboliques de Daech – le symbolisme et l’utilisation des médias font partie de la stratégie de cette organisations – fut d’effacer une partie des frontières qui séparent l’Irak de la Syrie, et de diffuser ces images à une large échelle, au début du mois de juin 2014.

    Ce mélange de « nationalisme » et islamisme extrémiste chez Daech va au-delà des frontières de l’Irak et de la Syrie, pour faire appel à la mémoire de l’empire musulman et évoquer un passé révolu. Abou Bakr Al Baghdadi lui-même a affirmé le 30 juillet 2013 : « Nous renouvelons l’ère de la Oumma (nation musulmane), nous ne saurions vivre sans avoir libérer les captifs musulmans en tous lieux, repris Jérusalem, être revenus en Andalousie et nous allons conquérir Rome » lors d’un discours flattant les sentiments nationalistes et religieux et se présentant comme un adversaire de l’Etat sioniste et l’Occident, bien que de façon très réactionnaire.

    Dans son message il affirme le penchant de Daech pour le combat et la violence, y compris dans le domaine de la prédication. Il insiste sur le fait que « le combat est une partie de la prédication aussi, et nous allons traîner les gens enchaînés paradis ».

    Dans son discours, Adnani a centré sur l’importance de l’édification de « l’Etat islamique » même si les conditions n’en sont pas réunies. Il y a ajouté une autre spécificité de Daech par rapport aux autres organisations jihadistes. Il ne prend pas position par rapport aux autres parce que ces dernières auraient décidé d’embrasser le « vrai » islam, la foi et la pratique de la religion, mais il en exige l’allégeance à l’Etat qu’il a l’intention d’édifier : « l’Etat islamique », avant même la proclamation de l’Etat du Califat. Alors que Al Zaouahiri appelait les Frères musulmans d’Egypte « mes frères », Adnani quant à lui dit d’eux dans un message intitulé « Le pacifisme est la religion de qui ? » du 31 août 2013 : « les Frères (Musulmans) ne sont qu’un parti laïc avec une pèlerine islamique, ils sont les pires et les plus répugnants des laïcs ».

    Donc nous notons une sorte de rupture, idéologique et politique entre Daech et toute une série de forces islamistes aux positions réactionnaires diverses, dont les forces jihadistes qui ont précédé comme Al Qaïda et sa branche syrienne. Nous avons déjà parlé des origines matérielles de cette rupture qui n’est pas issue seulement de divergences d’interprétation religieuse, comme le disent certains opposants libéraux dans leur analyse « confessionnelle » du conflit. Karl Marx écrivait dans sa préface à l’Economie politique : « nous ne jugeons pas une période d’après sa conscience, c’est au contraire la conscience qui va être expliquée par les contradictions de la vie matérielle ». Daech s’en distingue en Syrie en se basant essentiellement sur des dirigeants et des combattants dont la majorité ne sont pas Syriens, alors que la majorité des combattants et des directions du Front Al-Nosra sont d’origine syrienne. C’est ce qui peut expliquer en partie leur prise en compte la spécificité de la situation syrienne, en comparaison avec l’organisation Daech dont la majorité des directions et une large part des ses combattants ne sont pas Syriens. Par ailleurs ils se disputent le contrôle et l’influence matérielle, des sources de richesses, comme les puits de pétrole et les points de passages frontaliers.

    L’occupation rapide par Daech de Mossul en Irak le 10 juin 2014, son extension aux zones kurdes et yézidies, les massacres hideux commis à l’encontre des militaires et des civils ont été le préliminaire à la proclamation par l’organisation de ce à quoi il avait appelé ouvertement, l’établissement de l’Etat du Califat, le 29 juin 2014 et l’allégeance prêtée au chef de l’organisation, Abou Bakr Al Baghdadi, comme Calife, permettant à Daech une présence se partageant entre l’Irak et la Syrie, soit sur un tiers de la surface des deux pays.

    L’influence des groupes islamistes extrémistes a progressivement prévalu sur la scène de l’action armée dans les régions « libérées », en raison de la faiblesse de l’organisation et de l’armement de l’Armée libre et de l’abandon par les pays du groupe des « Amis du peuple syrien » des promesses qu’ils avaient faites de l’armer – du reste, il n’en avaient jamais eu l’intention, mais ils leur avaient offert des armes légères qui ne pouvaient les prévenir de l’extermination. Dans le même temps les pays de la région comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, la Turquie, sans parler d’importants réseaux soutenant le jihad islamique, dans les pays du Golfe et autres, ont pourvu les groupes islamistes extrémistes en armes et argent de façon illimitée, ce qui leur a permis d’imposer leur hégémonie, devenue évidente fin 2014 dans la plupart des régions qui sortent du contrôle du régime.

    Le développement de Daech et des islamistes extrémistes en Syrie suppose une désintégration sociale

    Il faut remettre la domination de la contre révolution croissante, dans les zones « libérées » et plus particulièrement de l’organisation de l’Etat islamique, mais aussi d’Al-Nosra et de Ahrar Al Cham et autres groupes jihadistes hyper réactionnaires, dans son contexte temporel, soit au printemps 2013 et l’annonce ultérieure de la constitution de Daech, le 9 avril 2013. Il faut également la relier à la situation sociale globale des masses syriennes, dans les zones libérées. Ces masses avaient souffert d’une guerre sanglante menée par les forces du régime qui avait détruit les infrastructures sociales, les quartiers et les municipalités et toutes les composantes de la vie, civile et agricole, lors d’affrontements avec des forces sous armées, sous organisées, et populaires, dénommées « Armée libre ».

    Pour dépeindre ce dont souffrent les masses des régions libérées au début de l’année 2013, les conditions objectives l’expliquent dans une certaine mesure, en ce qu’elles ont permis la progression des forces islamistes jihadistes réactionnaires avec à leur tête Daech. Un rapport publié sous le titre « Réalités socio-économiques à la lumière de la révolution syrienne » du 24 novembre 2013, par le « Centre syrien de recherches et d’études », résume ainsi la situation dans les zones « libérées » en mars de la même année :

    « Dans le cas de la Syrie, les opérations militaires, les bombardements, les arrestations, les déplacements et les exodes de masse, ont affecté la situation humanitaire et économique des Syriens. En dépit du rôle croissant de la société civile, la crise a entraîné une détérioration des relations sociales et la propagation de l’extrémisme et du fanatisme. Elle a affecté négativement les valeurs et les normes sociales, en attisant des idées et des comportements de vengeance. Tout cela a causé une perte énorme de l’harmonie, de la solidarité sociale et des ressources humaines au niveau socioculturel, bien difficile à compenser. Cela a contribué à l’augmentation des gains illicites, par l’utilisation de la violence, ce qui renforce des facteurs du développement inversé. »

    Bien sûr, le chiffre a cru depuis lors, plus de la moitié des habitants de la Syrie sont pauvres, dont 6,7 millions sont passés sous le seuil de la pauvreté depuis le début de la révolution et au printemps 2013, environ 2,3 millions de fonctionnaires et de travailleurs avaient perdu leur poste et leur emploi, le chômage s’établissant aux alentours de 50%.

    En réponse aux interrogations sur le rôle des travailleurs-qui ont participé aux manifestations dès le début de la révolution, mais à titre personnel en général en raison de l’absence de structures syndicales indépendantes, ou de partis politiques et révolutionnaires, puisque la loi de la clique au pouvoir n’autorise que le parti Baath ou des partis satellites, comme le Parti communiste de Bagdach et ses diverses scissions, toutes caractérisées par le même opportunisme et leur trahison de la lutte de la classe ouvrière, l’activité dans les milieux ouvriers- ce rapport indique que : « plus de 85 000 travailleurs ont été licenciés pendant la première année de la révolution. La moitié des licenciements concernent les gouvernorats de Damas et ses banlieues. Et ce nombre n’inclue pas les gouvernorats de Homs, Hama et Idlib où, selon les chiffres officiels, 187 entreprises du secteur privé ont été complètement fermées lors de la période allant du 1er janvier 2011 au 28 février 2012. Il convient de noter que ces chiffres n’ont pas une grande crédibilité, car le nombre d’ateliers et d’usines fermée est de l’ordre de 5000, sans parler des commerces, des marchés qui ont été totalement pillés et détruits, à Homs, Alep, et autres gouvernorats. »

    Ajoutons le nombre de logements entièrement détruits qui s’élevait au début de l’année 2013 à un demi million, et autant de logements partiellement détruits. Cette situation tragique a conduit en 2013 un tiers des habitants de la Syrie, essentiellement des régions révoltées, à se transformer en réfugiés dans les pays voisins ou en déplacés d’une région à l’autre, plus sûre, à l’intérieur du pays. Evidemment en 2014 la moitié des habitants étaient soit des déplacés soit des réfugiés.

    Dans cette situation socio économique de dévastation totale, de désintégration sociale, de désertification humaine, Daech essentiellement, ainsi que les groupes islamiques réactionnaires jihadistes, ont pu se développer et être hégémoniques. L’autre condition de leur développement a été la marginalisation et l’écrasement de l’Armée libre, considérée pour l’essentiel comme la forme populaire de la résistance, face à la violence et la sauvagerie du pouvoir baathiste, et le produit de la révolution populaire. C’est ce qu’ont fait Daech et Al-Nosra, et leurs pairs jihadistes.

    Le développement de Daech et de la contre révolution suppose l’écrasement du mouvement populaire et démocratique

    L’exemple de la ville de Raqqa, qui est la première à s’être libérée des forces de la clique au pouvoir le 4 mars 2013, est sans doute central pour mettre à jour les pratiques de Daech face au mouvement populaire. Cette ville a connu une grande émulation culturelle, politique et populaire à la suite de sa libération et jusqu’à ce qu’elle tombe sous l’emprise de Daech. Un reportage de l’envoyé du Sunday Telegraph, Richard Spencer publié le 30 mars 2014 indique que : « la ville de Raqqa est sous la domination des opposants des groupes libéraux. La ville située au nord de la Syrie est le théâtre de nombreux cercles de discussion philosophiques et politiques, au point que l’un des groupes participait à la plantation des arbres et des plantes vertes pour protéger l’environnement, dans une serre au centre ville. Les activités ont démarré avec une intensité et une vitalité impressionnantes. Les activistes ont lancé plusieurs campagnes (« nos rues respirent la liberté », « notre drapeau », « notre pain »), une exposition de travaux manuels et artistiques, dont les revenus allaient aux familles des martyrs, une campagne (« Notre Raqqa est un paradis »), une initiative qui se déroule tous les vendredis pour nettoyer une artère de la ville. »

    La situation à Raqqa était emblématique de la majorité des villes et des régions « libérées » avant que Daech ne la reprenne. En dépit des pratiques de nombreuses autres brigades islamiques, ou non islamiques, violentes à l’encontre de tel ou tel militant, de l’arrestation d’un tel ou d’un tel, ou d’exécutions arbitraires, les pratiques de Daech se sont distinguées de celles de ses pairs, par leur totalitarisme violent contre toute activité indépendante ou démocratique, imposé par la violence et la force de son idéologie, par l’imposition de pratiques sociales réactionnaires à la population sous sa domination.

    La commission d’enquête des Nations Unies a publié un rapport intitulé « Le règne de la terreur : vivre sous l’Etat islamique en Syrie », le 14 novembre 2014 où il est indiqué que l’organisation Daech « a diffusé la peur en Syrie en perpétrant des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ». Elle a demandé que ses dirigeants soient poursuivis devant la Cour Pénale Internationale. Le rapport qui a recueilli les témoignages d’environ 300 victimes et témoins oculaires, dit que l’organisation Daech « vise à dominer tous les aspects de la vie des civils sous son contrôle, par la terreur, l’endoctrinement, et la fourniture de services à ceux qui lui obéissent. De même, il mène une politique de sanctions discriminatoires comme les taxes ou les conversions forcées, sur la base de l’identité ethnique ou religieuse, la destruction des lieux de culte et l’expulsion systématique des minorités ». le rapport ajoute que Daech a « décapité ou lapidé des hommes de femmes et d’enfants en place publique, dans les villes et les villages du nord-est de la Syrie » et « exposé les cadavres des victimes sur des croix pendant trois jours, planté les têtes sur les grilles des parcs, en guise d’avertissement à la population sur les conséquence du refus de se soumettre à l’autorité du groupe armé ». Le rapport révèle les viols commis à l’encontre des femmes, qui poussent les familles à marier précipitamment leurs filles mineures, de peur qu’elles ne soient mariées de force aux combattants de Daech. Il pratique également publiquement dans des scènes visant à effrayer les habitants, l’application des « peines légales », en coupant les mains des « voleurs » ou la flagellation ou la crucifixion.

    Le rapport de cette commission révèle que cette organisation barbare, dont les étrangers sont la majorité des combattants, donne la priorité aux « enfants comme supports d’une loyauté à long terme, d’une adhésion idéologique, et comme un groupe de combattants dévoués qui considèrent la violence comme un mode de vie ».

     L’Etat « daechiste » … nous traînons les gens au paradis enchaînés

    A la différence des autres groupes salafistes jihadistes, Daech a un projet de construction d’un Etat et d’une société de type particulier, maintenant et pas dans le futur, par la force des armes et la violence. Après que cette organisation eût affronté l’Armée libre et les groupes jihadistes concurrents, afin d’étendre ses zones d’influence et son « Etat », il s’est occupé de garantir ses sources de financement, plus précisément les points de passage et les puits de pétrole. Il pratique une sauvagerie intense contre les tribus chaîtat à Dir Ez Zor, il en a tué des centaines et contraint à l’errance des milliers d’entre eux, pour faire main basse sur deux champs pétroliers en juillet 2014, l’un d’eux est le champ d’Al Amor, le plus grand champ de pétrole et de gaz de Dir Ez Zor. Le site de Middle East Online révèle dans un reportage du 13 août 2014 que Daech contrôle 50 puits de pétrole en Syrie et 20 puits de pétrole en Irak. Si leur nombre a quelque peu diminué avec le retour des forces gouvernementales irakiennes, dans le dernier mois de 2014, les recettes pétrolières quotidiennes de Daech sont estimées à trois millions de dollars. Il perçoit les impôts plus particulièrement auprès des commerçants, estimés à 60 millions de dollars par tête et par mois, Il exige des rançons pour les otages, vend des pièces archéologiques volées et est financé par ses sympathisants dans les pays du golfe et en Europe.

    En sus de l’utilisation de la violence et de la terreur, il utilise d’autres moyens pour gagner la faveur des habitants. Ainsi, après ses massacres commis contre les tribus Chaïtats à Dir Ez Zor, il a distribué le gaz, l’électricité, le carburant et la nourriture, pour obtenir le soutien des habitants sur place et parce que ces régions sont très pauvres. Après qu’il eût mis fin aux vols et puni les « voleurs », il a pu gagner un peu de soutien dans les milieux marginalisés et pauvres. Il a notamment commencé à payer des salaires « très faibles » aux chômeurs, et des salaires de 300 dollars à ses combattants, auxquels qui il assure un logement et la couverture des besoins élémentaires, tandis que la population vit dans des conditions très difficiles. Il est devenu ainsi attractif pour ces groupes socialement marginalisés dont les intérêts de classe n’ont pas trouvé de représentation politique adéquate.

    L’organisation Daech gère et intervient dans tous les détails de la vie quotidienne des gens dans sa capitale de Raqqa et dans les autres régions qu’il contrôle. Ses membres se déplacent – eux seuls ont le droit de porter des armes – dans les rues de Raqqa avec des Kalachnikovs ou des pistolets. Daech a chargé deux forces distinctes des forces de sécurité (la police islamique) du contrôle des femmes et des hommes. La brigade « Al Khansa » est composée de femmes de l’organisation qui portent des armes et ont le droit de fouiller n’importe quelle femme dans la rue tandis que le bataillon « Al Hasba » fait de même avec les hommes. Elles doivent aussi imposer la vision de l’organisation de la législation islamique.

    L’affaire ne se réduit pas à cela. Daech a formé également un gouvernement dont le siège est dans sa capitale de Raqqa, avec les ministres de l’Education, de la Santé, des Ressources hydrauliques et de l’Electricité, des Affaires religieuses et de la Défense, qui occupent les bâtiments qui étaient ceux du gouvernement syrien.

    La majorité des Syriens, dans les régions précitées, considéraient Daech en 2013 comme une organisation « étrangère » et « occupante » où comme l’a dépeint un activiste de Dir Ez Zor : « un mouvement colonisateur, comme Israël a occupé la Palestine avec les colons ». Malgré la persistance de cette approche chez la majorité des gens, Daech a pu trouver un support social important en 2014 dans ces régions, même s’il est resté relativement faible. Ce qui retient l’attention c’est ce sur quoi a insisté un activiste de la ville de Raqqa, sur le site « On égorge Raqqa en silence » que Daech n’avait apporté ni proposé aucune nationalisation ou loi limitant la cupidité des grands commerçants monopolistiques, avec lesquels ils ont de bonnes relations.

    Qu’est-ce que le « daechisme » ?

    Une étude rapide de l’évolution de Daech, en tant qu’organisation sortie de la matrice des courants salafistes jihadistes islamistes, aux orientations hyper réactionnaires, n’est pas suffisante pour expliquer la spécificité idéologique et pratique par rapport à la majorité de ce courant salafiste jihadiste, dont l’organisation la plus importante est celle, terroriste, d’Al Qaïda. Et pour autant ceci montre que l’apparition de Daech constitue premièrement une rupture totale avec ces groupes relevant du salafisme jihadiste, allant jusqu’aux liquidations physiques. Ceci d’une part, et d’autre part une tendance notable à la « daechisation » touche des pans entiers des organisations jihadistes elles-mêmes, dont la plus importante est le front Al- Nosra, qui semble être devenu deux fronts, l’un se rapprochant de Daech de par ses prises de position et pratiques, et l’autre resté fidèle à lui-même. Quant au mouvement d’Ahrar Al Cham il maintient dans une certaine mesure son identité salafiste jihadiste, bien que des brigades en son sein inclinent à adopter le « daechisme ». Mais le pire dans tout cela reste l’allégeance de groupe jihadistes réactionnaires à Daech et à son Califat dans des pays d’Afrique du Nord et dans d’autres régions.

    Certains penseront qu’il n’y a pas d’intérêt politique ou pratique à rechercher une autre caractéristique à Daech. Dans la mesure où il est une composante de la contre révolution réactionnaire. Mais ce phénomène « nouveau » ne peut être compris, comme nous l’avons vu plus haut, hors des conditions matérielles socio-économiques sur lesquelles il repose. Il n’est pas possible de s’y opposer politiquement sans comprendre ces conditions matérielles qui ont conduit à sa constitution et à l’élargissement de son influence, avant de passer à l’élaboration de politiques appropriées pour y faire face, du point de vue des classes exploitées et opprimées, c’est-à-dire d’un point de vue marxiste.

    Il est nécessaire de rappeler encore une fois que dans notre exposé du processus de la genèse de Daech, dans un contexte déterminé, comme force réactionnaire et contre révolutionnaire, et de l’élargissement de son influence en Irak et en Syrie, nous nous sommes concentrés sur le fait qu’une des causes essentielles de son émergence résidait dans les régimes en place eux-mêmes et leurs politiques réactionnaires brutales de marginalisation, sans parler de l’intervention impérialiste. L’occupation américaine de l’Irak, détruisant le reste d’infrastructure et de tissu social, a permis de créer les conditions de développements de tels mouvements. De même, « la guerre contre Daech » depuis de nombreux mois, dans laquelle les Etats Unis sont à la tête d’une alliance impérialiste, ne mènera pas à sa défaite, mais lui attirera des sympathies populaires plus grandes, puisqu’il sera considéré comme affrontant l’impérialisme américain, son premier ennemi.

    Nous pensons que l’approche du processus d’émergence de Daech, de sa spécificité par rapport aux autres mouvements jihadiste traditionnels précités, de cette apparition rapide et « surprenante » dans le cadre d’un processus révolutionnaire, du fait qu’il ait écrasé toutes les expressions de la révolution dans ses zones et ait imposé un mode de vie social et idéologique à ses habitants, la construction de « son Etat » incitent à une approche et à un examen du phénomène Daech à travers l’expérience fasciste, non pas comme cela s’est passé en détail dans les pays d’Europe, mais plutôt dans le cadre des nouveaux mouvements fascistes, dans un concept bien délimité et spécifique. Ce tournant dangereux dans le cours de la révolution syrienne, et dans l’histoire du pays, en a surpris beaucoup, et ainsi « brusquement le destin historique et le destin individuel de milliers d’êtres humains, puis de millions ensuite deviennent un. Les partis politiques ne se sont pas seulement effondrés, mais l’existence de grands groupes humains et leur existence matérielle est un enjeu de doute subitement » selon la description de la montée du fascisme dans le livre de l’intellectuel marxiste révolutionnaire Ernest Mandel, « Les éléments constitutifs de la théorie de Trotsky sur le fascisme ».

    Il est sûr que la définition qu’en a donné le Comintern (stalinien) dans les années trente du siècle passé, est l’acception commune que le fascisme n’est que « le pouvoir du capital financier ». Elle ne s’applique pas pour l’émergence de Daech, comme elle ne suffisait d’ailleurs pas pour interpréter le phénomène du fascisme en Europe, ou les nouveaux mouvements fascistes qui progressent dans les pays européens ou ailleurs.

    Trotsky a été le plus éminent intellectuel marxiste pour son explication et son analyse de l’émergence du fascisme en Europe. Il ne s’est pas contenté de dire que le fascisme « accède au pouvoir porté par la petite bourgeoisie », mais il a fourni une analyse plus approfondie, considérant que les couches sociales sur lesquelles s’appuie le fascisme sont ce qu’il appelle « poussière humaine  », à savoir les artisans et les commerçants des villes, les fonctionnaires, les employés, le personnel technique et l’intelligentsia, les paysans ruinés, selon la définition de Trotsky et on pourrait y ajouter les chômeurs.

    Dans son analyse du fascisme, Trotsky est parti d’une analyse de classe de la société, et d’une compréhension profonde de la loi du développement inégal et combiné où cohabitent des structures de production avec leurs rapports et leurs idéologies héritées des siècles passés avec des structures de production, des rapports et des idéologies plus modernes. Ernest Mandel a résumé dans son livre « Dynamique de la pensée de Trotsky » la compréhension profonde qu’avait Trotsky du phénomène fasciste : «  Trotsky a compris, à l’instar de quelques autres écrivains marxistes (Ernst Bloch, Kurt Tucholsky) la désynchronisation entre formes socio économiques et formes idéologiques, en d’autres termes, que des idées, des sentiments et des représentations très fortes de l’époque pré capitaliste continuent d’exister dans des pans importants de la société bourgeoise (surtout dans les classes moyennes menacées par la paupérisation mais aussi dans des rangs de la bourgeoisie, des intellectuels déclassés, et même dans des franges diverses de la classe ouvrière) ». Mieux que quiconque, Trotsky en a tiré les conclusions socio-politiques : dans des conditions de contradictions socio-économiques de classe croissantes de façon insupportable, des secteurs significatifs des classes et couches précitées – que Trotsky a qualifié avec sagacité de poussière humaine – peuvent fusionner pour former un mouvement de masse puissant qui, fasciné par un leader charismatique et armé par des secteurs de la classe capitaliste et leur appareil d’Etat, peut être utilisé comme un outil pour détruire le mouvement ouvrier, par la terreur sanglante et l’intimidation. »

    Trotsky a également insisté sur ce qui distingue le fascisme du bonapartisme et des autres formes de dictature, à savoir que le fascisme « est une forme spécifique « d’appareil exécutif fort » et de « dictature ouverte » qui se caractérise par la destruction totale de toutes les organisations de la classe ouvrière – y compris les plus modérées, dont les organisations social-démocrates, sans aucun doute. Le fascisme tente d’interdire matériellement toute forme d’auto-défense de la classe ouvrière organisée, par la pulvérisation totale de la classe ouvrière. Arguer du fait que la social-démocratie prépare le terrain au fascisme pour déclarer que la social-démocratie et le fascisme sont des alliés, et bannir toute alliance avec la première contre le second est donc une erreur »

    La caractérisation du phénomène fasciste, en tant que mouvement qui repose sur des masses de la « poussière humaine » s’applique totalement au processus de formation de Daech. Le fascisme se forme en général comme un parti-milices pour combattre l’Etat en place et établir un Etat fasciste. Et les fascistes, selon le chercheur italien Emilio Gentile : « se considèrent comme une élite (aristocratie) d’hommes nouveaux, nés dans la guerre et qui se doivent de prendre le pouvoir, pour renouveler une nation corrompue ». Le fascisme vise à organiser les gens « en tant que masses et non en tant que classes » et le chercheur affirme que les études historiques ont souligné que le fascisme ne cherche pas vraiment comme il l’affirme « à changer le monde, ni la société, mais à changer la nature humaine elle-même » en disciplinant les gens et en utilisant la violence brute.

    En ce sens, seulement, nous pouvons dire que Daech a beaucoup de traits de l’une des nouvelles formes de mouvements fascistes et que l’Etat du Califat est un Etat fasciste, d’un nature particulière dans des circonstances spécifiques.

    Conclusions

    Affirmer que Daech a une caractéristique fasciste, dans des circonstances de destruction et de désintération sociales, pose d’emblée la question des modalités d’intervention des forces révolutionnaires, si l’on considère qu’il s’agit d’un danger mortel pour le mouvement révolutionnaire et populaire. Quelles sont les positions et les formes pratiques de l’affrontement ? D’autre part, cela met à l’ordre du jour immédiat la constitution d’un front uni des forces révolutionnaires démocratiques et de gauche. Il soulève également la question des modalités d’action face à la clique au pouvoir qui écrase et détruit notre peuple et notre pays.

    L’état actuel du processus révolutionnaire en Syrie est très mauvais. La dépression du mouvement populaire est due aux attaques dévastatrices du régime d’Assad, aux massacres et aux déplacements forcés de millions de Syriens, ce qui veut dire que la moitié des Syriens sont aujourd’hui déplacés. S’y ajouter la montée en puissance des forces réactionnaires de la contre révolution, comme Daech, Al-Nosra, et autres aux dépens de l’Armée libre, et la réduction de l’espace du mouvement populaire, y compris dans les zones « libérées » du régime.

    Tout appel au repli, au silence et à la démission à des forces populaires révolutionnaires, qui signifie leur capitulation devant cette attaque féroce des forces diverses de la contre révolution – et qui se combattent entre elles –, serait désastreux et ne ferait qu’aggraver encore plus la situation dégradée de la révolution, au contraire de ce que croient certains. En revanche, nous considérons que la mobilisation des groupes, des coordinations et des organisations révolutionnaires, partout, pour poursuivre les mobilisations, les manifestations et toutes les formes de lutte du mouvement populaire, la résurgence de ce dernier, même s’il est faible et dispersé, c’est ce que nous devons réaliser de toutes nos forces. D’autant plus que le mouvement populaire est toujours vivant et a commencé à recouvrer sa vitalité, même dans les zones contrôlées par les forces jihadistes extrémistes comme le Front Al-Nosra.

    Mais nous avons besoin d’un outil pour réaliser cela. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un Front uni des forces révolutionnaires démocratiques et de gauche à même d’élaborer une stratégie d’action combative et centralisée reprenant les revendications de base de la révolution populaire. Dans les zones de l’Armée libre, ou de la résistance populaire armée, l’affrontement avec les forces réactionnaires, par les armes, n’est pas un luxe, mais une question de vie ou de mort pour la révolution et le mouvement populaire, en dépit de son manque d’armes sérieuses. Ce qu’elle a sa à sa disposition sera suffisant si ses forces sont unies sous une direction militaire et politique nationale et centralisée aussi. On ne peut borner la constitution de ce front uni au plan politique, il doit englober le militaire aussi. Et plus particulièrement car l’adversaire principal des forces révolutionnaires n’est pas seulement les forces réactionnaires de la contre révolution, c’est aussi la clique au pouvoir. Il faut toujours garder à l’esprit que la faire tomber est la condition préalable pour abattre ces forces fascistes et réactionnaires. Le maintien de ce régime, même superficiellement modifié, constituerait une défaite écrasante pour la révolution populaire et une victoire manifeste de la contre révolution. Il faut conjuguer nos efforts pour renverser le rapport de forces en faveur des classes populaires qui étaient et sont toujours les forces sociales motrices de la révolution, et en faveur des forces politiques révolutionnaires.

    La guerre impérialiste contre Daech a fourni aux impérialistes et leurs alliés régionaux un prétexte pour « reproduire » le régime d’Assad. Nous avons remarqué un regain des discours en faveur d’une solution politique en Syrie dans les dernier mois, saluée par les pays impérialistes, qui prétendent être amis du peuple syrien et dont le but n’a jamais été d’abattre le régime, mais de le pousser à un changement interne par en haut et une réorientation politique et la destruction des capacités économiques et militaires de la Syrie. De même nous voyons que les gouvernements d’Arabie Saoudite, du Qatar et de pays du Golfe, cœur et bastions de la contre révolution dans la région, avec le gouvernement de la contre révolution en Egypte ont tout mis en œuvre pour vendre cette solution politique pour remettre à flot le régime d’Assad. Tant et si bien que la coalition nationale, leur rejeton, s’est plainte publiquement de l’arrêt du financement saoudien et de pays du Golfe, depuis plus de six mois, afin de la pousser à rejoindre la solution politique maintenant en place le régime. Elle sera probablement amenée à le faire par la suite, compte tenu de sa nature opportuniste et corrompue. Notons qu’elle s’est abstenue de participer à la fin du mois dernier à la réunion de Moscou, à laquelle ont participé des groupes de la dite opposition de l’intérieur pour l’essentiel le Comité de coordination, aux positions ambiguës depuis le début de la révolution et des groupes venant de l’étranger sans poids réel sur le terrain. Moscou, Téhéran et l’Egypte semblent être chargés de parrainer ces tentatives, pour promouvoir la « solution politique » qui émane de démarches dont l’objectif n’est en réalité que de reproduire le régime.

    Nous ne pouvons nous opposer à aucune mesure qui vise à soulager les souffrances des masses populaires, sans pour autant oublier les revendications exprimées dans leur révolution populaire ; la « solution politique » en question impose la vigilance et la prudence des forces de la révolution, et impose de démasquer et dénoncer toute concession de ceux et celles qui sont ou en seront partie prenante dans des négociations de « solution politique » pour maintenir le régime dictatorial. Il faudra aussi combattre toute concession sur les libertés démocratiques, ou la revendication d’édifier un régime démocratique radical sur les ruines du régime dictatorial, ou de marchander les sacrifices des masses populaires pour abattre le régime et construire la Syrie de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de la justice sociale.

    Les marxistes révolutionnaires du courant de la gauche révolutionnaire, dans ce combat aux fronts multiples, sont attelés également à une tâche fondamentale pour laquelle ils oeuvrent sans relâche, à savoir la construction du parti ouvrier révolutionnaire et de masse.

    Ghayath Naïsse

    * Paru dans la revue en langue arabe Révolution permanente n°5, mars 2015.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34842

  • Débats nauséabonds et fausses solutions (CCR)

    Comment résoudre « le problème » des migrants « clandestins » ?

    L’année passée, plus de 4.000 migrants, hommes, femmes et enfants, ont perdu la vie en tentant leur chance en Méditerranée pour passer d’Afrique, du Moyen-Orient ou du Maghreb en Europe. Ces dix derniers jours, pas moins de 1.300 personnes, poussées par les guerres ou la misère, alimentées ou provoquées par les impérialistes, se sont noyées en Méditerranée. Pendant que les assassinats prémédités par nos gouvernements se poursuivent, la presse et les médias de la semaine sont largement revenus sur la question qui taraude nos gouvernants: «comment résoudre le «’problème’ de l’immigration ‘irrégulière’ » ?

    Des cafards au Figaro en passant par Zemmour. Quelques raccourcis

    C’est du côté de la presse d’outre-manche que racisme et xénophobie ont pu s’étaler avec le moins de retenue. Le 17 avril, en page une du tabloïde britannique The Sun, le journal le plus lu du royaume, Katie Hopkins n’a pas hésité à comparer les migrants à des « cafards », appelant de ses vœux à « utiliser des navires de combat pour stopper les clandestins ». Ces sorties médiatiques, destinées à booster les ventes d’un torchon tout en libérant la parole d’extrême droite, n’ont rien à envier à celles d’Eric Zemmour chez nous.

    Dans sa chronique du 23 Avril sur RTL, Zemmour s’en est pris aux « droits de l’homme qui tuent ». Ce seraient en effet les « droits de l’homme » qui « nous » obligeraient à « les » « secourir », « accueillir », « adopter » et « intégrer », alors que de l’autre côté, « nous » n’aurions pas le droit de les « trier », de les « sélectionner ». On l’aura compris. Entre le tri des êtres humains et les cafards, il n’y a qu’un pas.

    Yvan Rioufol se garde bien de le franchir, mais il n’en est pas loin, dans son éditorial du 23 avril dans Le Figaro.

    Pour Rioufol, toujours à l’écoute de son prochain, l’urgence n’est pas de secourir les migrants mais de « dissuader ceux qui veulent forcer les portes ». Les drames de la Méditerranée, loin de l’émouvoir, doivent permettre, selon l’éditorialiste, de « relancer le débat sur l’immigration en Europe ». Pour Rioufol, cette immigration est, bien entendu, une « menace pour l’Europe ». Ce qui nous guette, en effet, c’est une « invasion (…) d’un million de déshérités économiques (…) prêts à tout, tout de suite ». La plupart, on s’en doute, ne peuvent être que des « musulmans ». De façon plus policée, Le Figaro réchauffe les propos orduriers, racistes et islamophobes que The Sun et Zemmour déversent à longueur de journée.

    « Sauver d’abord, accompagner ensuite et réformer pour finir »

    Pour Christophe Barbier, éditorialiste à L’Express, il faut d’abord commencer par éviter de passer pour un assassin pour mieux maquiller par la suite la scène du crime. Dans sa chronique vidéo du 20 avril, Barbier souligne que la question n’est pas de se défendre contre « une invasion » mais d’abord de « sauver » ces migrants afin « d’échapper à l’accusation de non-assistance à personne en danger », et ce pour « sauver l’honneur de l’Europe ». Plus qu’une urgence humanitaire, il y a bien urgence médiatique, selon Barbier qui relaie bien, en cela, la posture de l’Elysée.

    Une fois ces migrants sauvés, l’accompagnement consisterait à séparer le bon grain de l’ivraie. Il faudrait « raccompagner » les migrants qui « quittent un pays ou une situation économique et sociale qui ne leur laisse pas assez d’espérance » et ne faire des exceptions que pour ceux qui « échappent à une guerre civile », et ce afin de limiter au maximum le soi-disant effet « pompe aspirante ». Pour les heureux élus au retour au pays, il s’agirait de les « raccompagner pour les aider à [y] rester » pour qu’ils « développent leur projet d’épanouissement personnel ». Barbier, qui pourrait devenir porte-parole du ministère des Douanes et des Frontières, ne rechigne pas, lui non plus, à trier et à distinguer : les migrants « légaux » des migrants « illégaux », tout d’abord, puis, au sein de ces derniers, ceux qui fuient un vrai conflit de ceux qu’il faut renvoyer chez eux pour « s’épanouir » (dans la misère) parce qu’ils n’ont pas une kalachnikov braquée sur la tempe.

    Pour répondre, à long terme, « à la tragédie des migrants qui traversent la Méditerrané », il faudrait réformer « les liens entre le Sud et le Nord », autrement dit, « aider le continent africain à sortir du chaos et à aller vers la prospérité ». Il faudrait, de la même façon, réformer les actions « diplomatiques et militaires envers ou contre les pays du Nord de l’Afrique en proie au chaos et aux mains des trafiquants, (…) notamment [en] Lybie [puis] gérer la suite en Syrie ». L’hôpital se fout de la charité. Ce sont les politiques impérialistes qui sont responsables et qui maintiennent sous-développement, misère, famine, chômage et surexploitation dans les semi-colonies d’Afrique, en collaboration avec les dictatures et les pseudo-démocraties locales. Et ce sont les interventions impérialistes qui créent chaos, guerres civiles et monstruosités réactionnaires, que les migrants fuient. Cette « réforme des actions diplomatiques et militaires », appelée par Christophe Barbier, n’est autre qu’une reconsidération de nouvelles interventions impérialistes en Lybie et en Syrie.

    Hollande, Sarkozy, Marine Le Pen se renvoient la balle

    C’est ce qui est en jeu ces derniers jours, d’ailleurs. Dans les heures qui ont suivi le naufrage de 800 migrants embarqués dans un chalutier au large de la Lybie, dans la nuit du 18 au 19 avril, les politiques ont parlé d’une situation « dramatique » et « épouvantable », disant leur « tristesse » face à ce qui venait d’arriver. Une fois le « moment émotion » passé, place à l’instrumentalisation en revanche. C’est ce que pointe Cécile Cornudet, dans Les Echos du 23 avril, en décrivant l’affrontement entre le gouvernement, l’UMP, et le FN, se « renvoyant la responsabilité de la situation » pour « masquer l’impuissance » des uns et des autres.

    Tandis que Sarkozy attaque Hollande sur le terrain d’un « problème d’immigration » que le président refuserait de « de voir en face », Hollande, appuyé sur ce point par le FN, rétorque sur la nécessité de « réparer les erreurs du passé en Libye », reprochant à son prédécesseur de n’avoir eu « aucune réflexion sur ce qui devait se passer après ».

    Contrairement à ce qu’écrit Cornudet, cependant, ce dialogue de sourd, ne démontre pas l’impuissance des gouvernants mais bien leur responsabilité pleine et entière dans ces assassinats planifiés car annoncés. Pour preuve, après avoir dénoncé une « catastrophe », Hollande a poursuivi en qualifiant les passeurs de « terroristes » pour, aussitôt, demander à Bruxelles plus de moyens pour lutter contre le trafic d’êtres humains, en refoulant les migrants et en bombardant les passeurs. Ce n’est autre qu’un nouveau prétexte pour une intervention contre ces nouveaux « terroristes » en Lybie, d’autant que le précédent gouvernement n’aurait pas fini correctement son travail.

    La réponse et la continuité des politiques impérialistes de nos gouvernements est claire : triplement du budget de l’Opération Triton et préparation de nouvelles interventions au Nord de la Méditerranée.

    « Légalisation de l’immigration » et « vente de visas aux travailleurs migrants »

    Pour les moins va-t-en-guerre et les plus lucides de nos porte-voix médiatiques de la bourgeoisie hexagonale, « résoudre le problème de l’immigration clandestine », c’est possible et, de surcroit, cela ne devrait pas empêcher de faire de l’argent au passage. Libération et Le Monde des 20 et 21 avril donnent la parole à Emmanuelle Auriol, chercheure à l’Ecole d’Economie de Toulouse, et à Alice Mesnard, chercheure à la City University de Londres, toutes deux auteures d’une étude sur la « légalisation de l’immigration ».

    Partant du constat que « l’émigration économique ne se tarira pas tant que subsisteront de telles différences économiques entre Nord et Sud » et soulignant un « manque de migrants » en Europe, Auriol et Mesnard proposent de légaliser « l’immigration économique en vendant des visas aux gens qui souhaitent travailler chez nous ». Selon leur étude, cette légalisation, couplée à une politique répressive contre les passeurs et les entreprises qui continueraient à embaucher des travailleurs « clandestins », devrait permettre de mettre fin à ces catastrophes.

    La délivrance au « compte-gouttes [faisant] le jeu des passeurs », baliser davantage les flux migratoires en les encadrant de façon à « légaliser l’immigration » ne représente pas aujourd’hui le point de vue dominant dans les pays impérialistes. Le projet, visant à fournir une main d’œuvre légale, abondante et peu qualifiée, aux entreprises capitalistes, prend exemple sur ce qui se fait actuellement en Israël ou la Jordanie qui « accordent des permis de travail temporaires sur des emplois peu qualifiés » et qui sont, comme chacun sait, des pays forts sympathiques à l’égard des travailleurs migrants. Cette option, que Le Monde et Libération présentent comme une alternative au tout sécuritaire, n’est qu’une version moins barbare d’un système basé sur une division internationale du marché du travail perpétuant, derrière des frontières mieux contrôlées, la dichotomie entre pays du Sud et puissances impérialistes. A l’opposé de ce qui serait une véritable « légalisation de l’immigration », à savoir la liberté d’installation et de circulation pour tous et toutes.

    25/04/15  Damien Bernard

    http://www.ccr4.org/Debats-nauseabonds-et-fausses

  • Yarmouk, les portes de l’enfer… (CCR)

    *

    Yarmouk. Situé à quelques kilomètres du centre de Damas, c’était, jusqu’en 2014, le principal camp de réfugiés palestiniens en Syrie et la place forte du Front Populaire de Libération de la Palestine – Commandement Général. A Yarmouk comme dans les camps palestiniens du Liban dans les années 1980, la dynamique de la guerre civile interne a pris le dessus sur le combat pour le droit au retour et contre le sionisme. Dès 2011, le FPLP-CG a pris le parti du régime du dictateur Al-Assad et l’Armée Syrienne Libre, soutenue par les impérialistes, a attaqué le camp, à plusieurs reprises. Yarmouk est par la suite tombé aux mains d’Aknaf Bait al-Maqdis, une milice palestinienne liée au Hamas, et le camp se retrouve aujourd’hui pris en étau entre les forces loyales au régime de Damas et les bourreaux du groupe Etat Islamique.

    Les images pourraient être celles de Gaza après l’Opération Bordure Protectrice. A l’origine des bombardements, cependant, on ne trouve pas Tsahal mais les forces du régime de Damas, d’un côté, et Daesh, de l’autre. Au milieu du feu croisé de la guerre civile syrienne, quelque 18.000 Palestiniens essayent de survivre. Ou plutôt de ne pas mourir. Ce sont ceux qui n’ont pas pu fuir. Parmi eux, 3 500 enfants, à la merci de l’artillerie et des obus. La situation est désespérante. Cela fait plus de six mois qu’il n’y a plus d’eau potable ni de médicaments. Selon l’URNWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, les rations alimentaires qui entrent dans le camp suffisent à peine à assurer 400 calories par jour et par habitant. Lorsqu’ils n’ont pas été détruits, les hôpitaux comme le Palestine Hospital ou le Al-Basil Hospital sont l’objet d’intenses bombardements. Dans les 20 écoles financées par l’UNRWA, les rares enseignants qui sont restés font cours dans les caves.

    Le camp de Yarmouk a été créé en 1957. La première génération de réfugiés est arrivée quelques années après la Nakba, quand, en 1948, les milices sionistes et les forces armées de l’Etat israélien ont expulsé près d’un million de Palestiniens, forcés de prendre la route de l’exil. Après la Guerre des Six jours, en 1967, ce sont des dizaines de milliers de Palestiniens qui ont à nouveau dû fuir leurs terres. Nombre d’entre eux se sont installé à Yarmouk également, sorte de ghetto de deux kilomètres carré qui a accueilli jusqu’à 250.000 palestiniens, entassés dans des conditions humiliantes. Mais avec le temps et avec le manque de perspectives de la lutte pour la libération nationale palestinienne, les tentes se sont transformées en maisons et en petits immeubles. De tout cela, il ne reste quasiment plus rien.

    Cela faisait deux ans déjà que le gouvernement d’Afez Al-Assad avait instauré une sorte de blocus complet du camp de Yarmouk, soumettant les résidents à de terribles pénuries. Le conflit entre milices palestiniennes opposées puis l’occupation d’importantes zones stratégiques du camp par les milices de l’Etat Islamique (EI) début avril n’ont fait qu’aggraver la situation. Dans une orgie de sang, les djihadistes de l’EI ont semé la terreur, assassinant plus de mille Palestiniens, dont un imam lié au Hamas, décapité en place publique pour hérésie. Le massacre a atteint un tel degré de férocité que certains journalistes arabes ont rebaptisé le camp « la nouvelle Srebrenica », en référence au génocide des 8.000 Bosniaques musulmans perpétré impunément par les milices serbes en 1995.

    Dans sa lutte contre l’EI, le gouvernement syrien, qui n’a pas hésité à bombarder certains districts du camp, après 2012, pour appuyer les milices du FPLP-CG qui perdaient du terrain, assure aujourd’hui vouloir appuyer les combattants palestiniens, quels qu’ils soient, pour ouvrir un corridor humanitaire. Selon plusieurs spécialistes, dont Lira Khativ, du Carnegie Middle East Center, basé à Beyrouth, c’est en réalité Assad, lui-même, qui aurait permis la progression de l’EI sur Yarmouk. L’enjeu était d’affaiblir les milices d’Aknaf Bait al-Maqdis ayant définitivement pris le dessus sur le FPLP-CG, les forces d’Aknaf Bait al-Maqdis étant liées au Hamas et alliées au Jabhat Al Nusra, la branche syrienne d’Al-Qaeda et qui combat dans plusieurs régions du pays le régime baathiste.

    Comme le faisait son père Hafez Al-Assad, Bashar Al Assad utilise et instrumentalise les revendications du peuple palestinien et certaines factions du mouvement de libération national pour légitimer son régime assassin. En 1976, déjà, Hafez Al-Assad avait commandité des tueries de Palestiniens dans les camps de réfugiés de Tal Al Zaatar, Jesr Al Basha et Dbayeh. Plus tard, pendant la guerre civile libanaise, il n’a pas hésité à collaborer avec les milices libanaises chrétiennes-maronites et avec les troupes israéliennes en 1982.

    Sous la pression de milliers de Palestiniens de Cisjordanie qui essayent d’avoir des nouvelles de membres de leur famille résidant à Yarmouk, le président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas a exigé de l’aide pour le camp. Déjà, en 2013, face aux conséquences catastrophiques de la guerre civile syrienne, Abbas avait proposé le départ des Palestiniens de Yarmouk pour Gaza et la Cisjordanie. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait alors répondu positivement à la sollicitude d’Abbas à condition que les réfugiés de Yarmouk renoncent formellement au droit au retour. L’ultimatum formulé par Tel-Aviv avec le soutien de Washington avait été rejeté. La triste ironie du sort, c’est que l’Autorité Palestinienne, que dirige aujourd’hui Abbas, est née des accords d’Oslo de 1993, qui nient le droit au retour, l’une des principales revendications démocratiques du peuple palestinien. Pendant ce temps, les Palestiniens de Yarmouk continuent de se faire massacrer. Miguel Raider 17/04/15

    http://www.ccr4.org/Yarmouk-les-portes-de-l-enfer

    Commentaire: Le CCR est un courant au sein du NPA

  • Syrie, Damas: Solidarité avec Yarmouk, écrasé de tous les côtés… ( Essf)

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    Le camp de Yarmouk, à Damas, est dorénavant sous le contrôle quasi total selon les dernières nouvelles des forces de l’Etat Islamique (EI), après plusieurs semaines d’opérations militaires pour envahir le camp, avec la collaboration de Jabhat al Nusra (filiale d’Al Qaeda en Syrie), et la déclaration de neutralité du mouvement islamiste de Ahrar Sham.

    Des forces militaires, indépendantes du régime et des forces fondamentalistes réactionnaires, composés de combattants palestiniens et syriens, à l’intérieur du camp ont bien tenté de résister militairement face aux assauts de l’EI, mais sans succès. Les affrontements entre ces forces ont conduit à la mort de nombreux martyrs défendant le camp, dont le colonel Khaled Alhasan connu sous le nom d’Abu Oday qui a fait défection de l’Armée de libération de la Palestine, qui est sous la domination du régime Assad, et a commandé ensuite le mouvement des « Hommes Libres de l’ Armée de Libération Palestinienne » dans le camp de Yarmouk.

    Quelques familles palestiniennes Yarmouk ont fui durant les avancées de l’EI vers des quartiers et villages avoisinants comme Tadamon, Yalda et Beit Sahem. Ces familles manquent de tout bien que l’association Jafra a distribué des vivres à ces familles réfugiés.

    Pour rappel, le camp de Yarmouk qui comptait plus de 150 000 personnes avant la révolution, en majorité peuplé des descendants de réfugiés palestiniens de la Nakba de 1948, mais aussi de Syriens et d’autres, a subi un blocus terrible des forces du régime Assad depuis presque deux ans privant la population d’eaux, électricité, nourriture, etc… Plus 200 palestiniens sont d’ailleurs morts de faims à cause de ce blocus.

    D’ailleurs durant les opérations militaires de l’EI pour prendre le contrôle de Yarmouk, le régime Assad a bombardé les populations civiles du camp et continue à le faire à l’heure ou nous écrivons.

    Il ne reste plus qu’environ 18000 personnes dans le camp aujourd’hui.

    Nous devons apporter notre solidarité et soutien total aux populations du camp de Yarmouk, comme à la population syrienne, face à la terreur de l’EI, de Jabhat al Nusra et des autres forces fondamentalistes d’un côté et du régime criminel des Assad et des ses alliés de l’autre.

    Ces forces contre révolutionnaires sont toutes des ennemis des classes populaires syriennes et palestiniennes et pour la réalisation des objectifs de la révolution : démocratie, justice sociale, et égalité.

    7 avril 2015

    Syria Freedom Forever

    * https://syriafreedomforever.wordpress.com/page/2/

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34737

  • La descente aux enfers du camp palestinien de Yarmouk (Afps)

     

    *

    Connu pour sa vitalité avant la révolte contre Bachar Al-Assad, Yarmouk, le plus grand camp palestinien de Syrie jusqu’en 2011, est devenu un tombeau.

    Symbole de l’inhumanité infligée par le régime syrien aux civils, soumis à un implacable siège depuis près de deux ans, ce faubourg, situé à sept kilomètres au sud de Damas, vit à l’heure des avancées de l’Etat islamique (EI), des retournements d’alliance au sein de la rébellion et de la peur d’une offensive majeure de l’armée syrienne.

    L’attaque lancée par les djihadistes de l’EI, le 1er avril, impose aux milliers d’habitants restés à Yarmouk de violents combats, qui débordent au sud du camp. Les civils redoutent les exactions cruelles de l’EI. Le largage de meurtriers barils d’explosifs au-dessus des ruelles, par des hélicoptères de l’armée, participe à la destruction, dans un camp dont les résidents sont démunis de nourriture et d’aide médicale.

    Pour les militants palestiniens, l’irruption de l’EI, qui, selon eux, disposait déjà d’éléments dans l’enclave depuis plusieurs mois, est un nouveau chapitre dans la descente aux enfers de Yarmouk. « Le cauchemar n’a pas commencé aujourd’hui », souligne Salim Salameh, exilé de Yarmouk vers l’Europe, à la tête de la Ligue palestinienne des droits de l’homme-Syrie. Au moins 170 résidents sont morts de faim depuis fin 2013, à cause du siège.

    Empêcher tout cessez-le-feu

    L’infiltration des djihadistes de l’EI, estimés à plusieurs centaines, a eu lieu depuis Hajar Al-Aswad, localité voisine située dans le périmètre au sud de Damas assiégé par le régime, où l’EI s’est développé. Son entrée à Yarmouk n’a été rendue possible que par la complicité du Front Al-Nosra présent dans le camp, affirment des militants palestiniens, peu convaincus par les déclarations de neutralité des djihadistes affiliés à Al-Qaida. « Le Front Al-Nosra a trahi Yarmouk », accuse Wessam Sabaaneh, membre de la fondation Jafra qui apporte de l’aide aux déplacés du camp dans les localités voisines.

    A Yarmouk, le groupe Aknaf Beït Al-Maqdess, émanation du mouvement islamiste palestinien Hamas, est le principal fer de lance de la résistance contre l’Etat islamique. Il contrôlerait une petite partie dans le sud-ouest du camp, alors que l’est serait sous la joug de l’EI et du Front Al-Nosra. Le nord du camp, lui, reste sous la coupe de groupes palestiniens prorégime, accusés par les habitants de Yarmouk d’affamer le camp au même titre que le pouvoir syrien.

    Pour Ali Barakeh, le représentant du Hamas au Liban, l’offensive des djihadistes « a cherché à ruiner la tentative d’un cessez-le-feu local à Yarmouk, à la manière de ceux qui existaient dans les localités de Yalda, Babila ou Beit Sahem, sous contrôle de l’opposition ». Il en veut pour preuve l’assassinat d’Abou Souheib, fin mars aux portes de l’hôpital Palestine, au sud du camp, imputé aux djihadistes. Volontaire du Croissant-Rouge palestinien, ce membre du Hamas négociait un allégement du blocus du camp, devenu un terrain de guerre depuis la fin 2012 entre le régime et les rebelles syriens, appuyés chacun par des groupes palestiniens.

    Le gouvernement entend se poser en « libérateur » du camp et contrer un essor de l’EI autour de Damas. Mais les faits contredisent cette posture. Selon une source médicale palestinienne, plusieurs membres du Croissant-Rouge palestinien qui fuyaient Yarmouk ont été arrêtés par les forces de sécurité syriennes début avril. Des militants du camp se savent menacés de torture s’ils quittent Yarmouk. Ils se cachent aujourd’hui également de l’Etat islamique.

    Damas a tenté de s’assurer un semblant de légitimité, en recevant, jeudi 9 avril, l’appui de factions palestiniennes pour une intervention coordonnée. Mais l’Organisation de libération de la Palestine a aussitôt rejeté l’idée d’une participation. Le Hamas, quant à lui, veut que la bataille soit menée par Aknaf Beït Al-Maqdess. « Nous avons demandé à Ahmed Jibril [à la tête d’une faction palestinienne pro-Assad] qu’il arme le groupe, affirme Ali Barakeh. Nous redoutons une destruction totale du camp. Nous voulons que l’EI et Nosra quittent le camp, mais pas aux dépens de l’opposition syrienne, et pas pour servir le régime. »

    Dépêché à Damas, Pierre Krähenbühl, le commissaire général de l’Agence de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, cherche à arracher un accès humanitaire à Yarmouk, pour permettre le départ des civils et l’entrée de l’aide.

    Laure Stephan, Le Monde, mardi 14 avril 2015

    http://www.france-palestine.org/La-descente-aux-enfers-du-camp-palestinien-de-Yarmouk

  • Yarmouk : divisions palestiniennes face à l’organisation de l’État islamique (Orient 21)

    Le 1er avril 2015, l’organisation de l’État islamique pénétrait dans le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, en Syrie, avec l’aide de Jabhat Al-Nosra, un groupe affilié à Al-Qaida. Ses forces ne sont plus qu’à huit kilomètres du centre de Damas, alors que les partis politiques palestiniens sont divisés sur l’attitude à adopter.

    Depuis la fin 2012, le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk est sous le siège militaire de l’armée gouvernementale syrienne et des Forces de défense nationale (FDN)1. Des factions pales- tiniennes s’affrontent entre elles, les unes proches du régime, les autres opposées. Le conflit syrien est devenu un conflit interpalestinien. Si 150 000 Palestiniens résidaient à Yarmouk avant 2012  ; ils sont aujourd’hui moins de 18 000. L’entrée de l’organisation de l’État islamique (OEI) dans le camp change la donne pour les organisations palestiniennes en Syrie, du Hamas — qui combattait jusque-là le régime — à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), en passant par les factions palestiniennes alliées à Bachar Al-Assad. Plusieurs scénarios pour expulser l’OEI du camp sont désormais envisagés, mais l’unité palestinienne semble difficile à réaliser.

    Le Hamas : Bachar Al Assad, ennemi ou allié  ?

    «  Jabhat Al-Nosra nous a trahis  »  : le constat d’Abou Hamam, porte-parole des Kataib Aknaf Beit al-Maqdis (les brigades des contrées de Jérusalem), une formation militaire palestinienne liée au Hamas, est sans appel, suite à la conquête éclair de l’OEI de plus de la moitié du camp. Le 30 mars, un dirigeant local du Hamas, Yahia Hourani (Abou Souhaib), est abattu par des tirs non identifiés, non loin de l’hôpital Palestine. Deux jours plus tard, l’OEI pénètre dans le camp, à partir du quartier adjacent de Hajar al-Aswad. Il est appuyé par Jabhat Al-Nosra  ; cette organisation avait pourtant un accord avec le Hamas pour préserver le camp de toute intrusion de l’OEI en son sein. Le Hamas s’est-il trompé de partenaire en Syrie  ?

    Selon le quotidien panarabe Al-Hayat, le retournement d’alliance de Jabhat Al-Nosra au détriment du Hamas et au profit de l’OEI est motivé par deux récents évènements : d’une part, l’évocation, ces dernières semaines, d’un nouveau cessez-le-feu entre le régime syrien et les combattants palestiniens liés à l’opposition. D’autre part, la rencontre, le 11 mars, au Qatar, entre Khaled Mechaal, dirigeant du Hamas, et le président du Parlement iranien, Ali Larijani.

    Le Hamas reste pris entre deux feux : en Syrie, il s’oppose clairement au régime. Mais sur la scène régionale, il tente de maintenir des relations étroites avec l’Iran et le Hezbollah — pourtant allié de Bachar Al-Assad. C’est donc la perspective d’un nouveau cessez-le-feu, tout comme les discussions entre Téhéran et le Hamas, qui aurait poussé les partisans d’Al-Qaida à rompre les liens avec le mouvement islamiste palestinien.

    Jusqu’au 1er avril, le positionnement du Hamas est connu : officiellement, il nie être engagé dans toute opération militaire en Syrie. Une position rappelée le 10 avril par son chargé des relations extérieures, Oussama Hamdan. Officieusement, certains de ses militants, notamment dans le camp de réfugiés de Yarmouk, combattent le régime auprès de militants syriens de l’opposition.

    Des membres du Hamas sont engagés, depuis décembre 2012, dans les affrontements avec l’armée gouvernementale, tout comme avec les factions palestiniennes alliées au régime syrien : Front populaire pour la libération de la Palestine-commandement général (FPLP-CG), Fatah-Intifada, Saïqa et comités populaires2. Les partis politiques palestiniens contre lesquels le Hamas se bat depuis 2012 sont pourtant ceux avec qui il était allié dans les années 1990 et 2000, au sein de l’Alliance des forces palestiniennes ([Tahaluf al-Quwait al-filastiniyya), opposée, depuis 1993, aux accords d’Oslo.

    Fin 2012, des membres du Hamas fondent la brigade du pacte d’Omar (Liwa’ al-Ahda al-‘umariyya), affiliée à l’Armée syrienne libre (ASL)3. Les brigades Aknaf Beit al-Maqdis deviennent le principal cadre d’intervention militaire du Hamas en 2013 et 2014 : elles sont indépendantes de l’ASL, mais collaborent avec elle. Elles regrouperaient aujourd’hui près de 200 combattants. Depuis le 1er avril, les militants du Hamas se retrouvent isolés : sans l’appui de Jabhat Al-Nosra, qui regrouperait près de 300 miliciens dans le camp4, ils ne sont plus en mesure de faire face aux troupes gouvernementales et à leurs supplétifs palestiniens. Opposé à l’OEI, le Hamas ne peut pas non plus défendre seul le camp de Yarmouk contre les partisans du «  calife  » Abou Bakr Al-Baghdadi.

    Khaled Mechaal, principal leader de la direction du Hamas en dehors des territoires palestiniens a quitté Damas en 2012 : il passe pour l’un des plus fervents opposants à tout dialogue avec le régime syrien. Pourtant, le 5 avril, il entre en communication avec Ahmad Jibril, secrétaire général du FPLP-CG, qui réside à Damas, et dont le tropisme pro-régime ne s’est jamais démenti. Mechaal l’enjoint à trouver une réponse commune à tous les partis palestiniens face à l’avancée de l’OEI.

    Une force palestinienne commune  ?

    L’idée d’une force commune palestinienne opposée à l’OEI fait son chemin depuis le 1er avril. Elle semble cependant difficile à réaliser sur le terrain, tant les différends entre les formations palestiniennes sont nombreux.

    Il y a un passif politique : le Hamas s’est opposé au régime, les militants du FPLP-CG ont fait office de supplétifs de l’armée gouvernementale. Les autres partis politiques palestiniens, du Fatah au Mouvement du jihad islamique en Palestine (MJIP), en passant par les gauches du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), prônent une politique de neutralité dans le conflit depuis 2012.

    Cette position est partagée par le comité exécutif de l’OLP, tout comme par l’Autorité palestinienne (AP) à Ramallah. L’OLP et l’AP s’évertuent, depuis l’extension du conflit syrien dans le camp de Yarmouk, à négocier des cessez-le-feu entre le régime et les groupes armés de l’opposition dans le camp. Ils demeurent épisodiques. En 2012, de jeunes militants pourtant favorables au soulèvement populaire syrien, regroupés dans une Coalition des jeunes (Ittilaf ash-Shabab), demandent tant à l’ASL qu’aux factions pro-Assad de ne pas militariser le camp de Yarmouk : il s’agit alors de ne pas transformer le conflit syrien en conflit interpalestinien.

    Lorsque, début avril 2015, l’OEI pénètre dans le camp de Yarmouk, le Fatah, le MJIP et la gauche palestinienne ne peuvent rester neutres. Quatorze organisations palestiniennes, la majorité d’entre elles membres de l’OLP, se réunissent le 8 avril à Damas. Le MJIP participe aussi à cette réunion, au contraire du Hamas. Si, depuis 2012, l’OLP et le MJIP se prononçaient pour une politique de neutralité, ils évoquent, pour la première fois, l’hypothèse d’une solution militaire dans le camp de réfugiés de Yarmouk pour faire face à l’OEI.

    Ahmad Majdalani, membre du comité exécutif de l’OLP, dirigeant du Front de lutte populaire palestinienne (FLPP), a été envoyé à Damas par Mahmoud Abbas  ; il a annoncé le 9 avril une nouvelle feuille de route pour les organisations palestiniennes en Syrie. La politique de neutralité ne serait plus de mise : une force militaire commune à l’ensemble des partis politiques palestiniens doit se mettre en place pour faire face à l’OEI. Elle impliquerait, selon le représentant de l’OLP, une coordination entre l’ensemble des factions palestiniennes — Hamas compris — et l’Armée de libération de la Palestine (ALP), la force militaire officielle de l’OLP, mais aussi la mise en place d’une «  chambre d’opération commune  » aux Palestiniens et à l’armée gouvernementale. Une condition est posée au régime par Majdalani : qu’une offensive militaire commune aux Palestiniens et à l’armée gouvernementale ne se fasse pas au détriment des populations civiles encore présentes dans le camp.

    Les contradictions de l’OLP

    L’unité des forces palestiniennes face à l’OEI reste pour le moment un vœu pieux. Le comité exécutif de l’OLP contredit immédiatement, dans un communiqué5 publié le 10 avril les propos de son envoyé à Damas, pourtant mandaté par Mahmoud Abbas : l’OLP ne doit pas s’engager sur un quelconque terrain militaire en Syrie. La centrale palestinienne désire avancer prudemment : elle ne souhaite pas entrer en contradiction avec la position avancée par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon6 demandant au régime de cesser les bombardements sur le camp et de mettre en place des corridors humanitaires afin de permettre aux populations civiles de se réfugier dans les quartiers adjacents. Plus pragmatique, le comité exécutif de l’OLP ne peut officiellement appeler à des opérations conjointes avec le régime syrien, au risque de se froisser avec l’Arabie saoudite et les États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

    La position officielle de l’OLP entre en contradiction avec celle adoptée par ses principales composantes. Selon Anouar Abdel Hadi, représentant de l’OLP à Damas, des combattants du Fatah participeraient déjà aux combats contre l’OEI depuis début avril, tandis que plusieurs représentants du mouvement, de Sultan Abou Aynan au Liban à Taoufik Al-Tirawi dans les territoires palestiniens, prônent également une intervention militaire palestinienne conjointe. Autre formation membre de l’OLP, Le FPLP reste, depuis une semaine, convaincu de la validité d’une solution militaire sans pour autant appeler à s’allier aux troupes du régime.

    Une situation paradoxale

    L’entrée de l’OEI dans le camp de Yarmouk met à nu l’éclatement extrême du champ politique palestinien. Depuis le 1er avril, le terrain militaire ne fait que confirmer les divisions à l’œuvre précédemment. Le Hamas a certes établi de nouveaux canaux de communication avec ses ennemis d’hier — Ahmad Jibril notamment –, mais face à l’OEI, les militants des brigades Aknaf Beit al-Maqdis ne collaborent pour le moment qu’avec des formations issues de l’opposition syrienne, dont l’Armée de l’islam (Jaysh al-Islam). Certaines sources palestiniennes font par ailleurs état de démissions au sein des brigades Aknaf Beit al-Maqdis : des militants du Hamas auraient fui vers le quartier de Yalda, tenu par le régime, tandis que d’autres auraient rejoint les rangs de Jabhat Al-Nosra7.

    De leurs côtés, les milices du FPLP-commandement général, du Fatah-Intifada, de la Saïqa et des comités populaires continuent de coordonner leurs mouvements avec l’armée gouvernementale et les Forces de défense nationale, ces dernières ayant intensifié, la semaine dernière, leur campagne de bombardement de Yarmouk. L’ALP ne peut, sans feu vert de l’OLP, s’engager officiellement dans les combats. Les organisations membres de l’OLP demeurent absentes du terrain militaire, ou alors y participent à un niveau résiduel. Pour le moment, la seule force armée «  commune  » reste bien celle du régime et de ses alliés de l’Alliance des forces palestiniennes.

    L’entrée de l’OEI dans Yarmouk résulte directement du retournement d’alliance de Jabhat Al-Nosra, et d’un Hamas pris à revers. Mais elle est aussi la conséquence des multiples fragmentations qui affectent le champ politique palestinien depuis le début du soulèvement syrien. L’Alliance des forces palestiniennes maintient son rôle traditionnel d’allié du régime, donnant une traduction palestinienne à la narration baassiste du conflit. L’OLP ne parle plus, depuis longtemps, d’une voix unifiée. Qui plus est, ses principales organisations en Syrie sont affaiblies par trois ans de guerre. Les discours de neutralité du Fatah, du FPLP ou même du Jihad islamique se heurtent aujourd’hui à une nouvelle donne politique et militaire à Yarmouk. Le Hamas ne cesse de se confronter à ses propres contradictions, entre sympathie avec Téhéran et alliance avec la mouvance salafiste-djihadiste.

    Mais les facteurs de divisions interpalestiniennes ne sont pas seulement relatifs à la Syrie. Globalement, la difficulté des formations palestiniennes à penser une stratégie commune face à l’OEI ne fait que refléter des divisions antérieures. L’inimitié entre l’Alliance des forces palestiniennes et l’OLP remonte aux accords d’Oslo. L’OLP, dans ses positionnements contradictoires, souffre de son affaiblissement organisationnel depuis le début des années 1990, face à une Autorité palestinienne principalement attachée à gérer la situation des territoires occupés et délaissant les Palestiniens de la diaspora. Le Hamas et le Fatah payent encore aujourd’hui, jusqu’en Syrie, [leurs affrontements de l’été 2007 à Gaza8.

    La situation est alors paradoxale : du Hamas aux formations palestiniennes alliées au régime, l’organisation de l’État islamique apparaît comme un ennemi principal, mais aucune de ces organisations ne réussit à s’entendre sur une position commune. Au Liban comme en Palestine, des manifestations appelant à sauver Yarmouk se tiennent quotidiennement : elles réunissent des partis politiques palestiniens qui, depuis trois ans, ont une appréciation complètement divergente de la crise syrienne. Et pourtant : l’unité nationale palestinienne se fait par défaut, sans qu’aucune perspective politique n’émerge quant à l’avenir du camp de Yarmouk. L’éclatement des rangs palestiniens est à l’image d’une Syrie transformée en mosaïque armée.

    Nicolas Dot-Pouillard

    2Le FPLP-CG, dirigé par Ahmad Jibril, est né en 1968, d’une scission du Front populaire pour la libération de la Palestine de Georges Habache. Le Fatah-Intifada est issu d’une scission d’avec le Fatah de Yasser Arafat, au début des années 1980. La Saïqa (Avant-gardes de la guerre de libération populaire) est la branche palestinienne du parti Baas pro-syrien. Les comités populaires sont liés à l’Alliance des forces palestiniennes, dirigée de Damas par Khaled Abdel Majid, opposée depuis le début des années 1990 aux accords d’Oslo.

    3Selon certaines sources, la brigade du Pacte d’Omar aurait été fondée par des membres du Hamas, mais aussi par des déserteurs du FPLP-commandement général.

    4Selon des sources palestiniennes contactées par le quotidien Al-Hayat, les forces militaires à Yarmouk, avant le premier avril 2015, se répartiraient comme suit : 700 combattants proches du FPLP-CG et de l’Alliance des forces palestiniennes, proches du régime  ; 300 combattants à Jabhat al-Nosra  ; 70 combattants des brigades Ibn Taymiyya, alliées à Jabhat al-Nosra  ; 200 combattants des brigades Aknaf Beit al-Maqdis. Les sources citées ne font pas état des forces du Mouvement des hommes libres du Levant (Haraka Ahrar ash-Sham), également présents dans le camp de Yarmouk.

    7Informations recueillies par l’auteur.