Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Syrie - Page 37

  • Pourquoi ne pas avoir bougé quand Bachar El-Assad nous bombardait? (ci)

    Couv1127.jpg

    Alors que les députés britanniques vont voter dans les jours à venir pour ou contre une intervention britannique contre l’organisation Etat islamique en Syrie, The Guardian donne la parole à des Syriens de Raqqa exilés en Turquie.

    Dans ce café de Gaziantep, en Turquie, tout le monde vient de Raqqa, en Syrie. Et tous portent sur leur visage “un voile d’épuisement et de tragédie”, écrit la journaliste du Guardian qui est allée à leur rencontre fin novembre. Ils ont fui leur pays quand l’ombre de l’organisation Etat islamique a commencé à assombrir les rues de Raqqa. “Nous sommes ici, mais notre cœur est là-bas”, précise un homme d’affaires d’une quarantaine d’année prénommé Abu Ahmad.

    Dans le café, ils dénoncent l’hypocrisie de la communauté internationale qui a fait semblant de ne pas voir les dizaines de milliers de Syriens tués par leur gouvernement ces dernières années, avant de décider d’agir quand Daech s’en est pris à des Américains et à des Européens. “Tous redoutent que ces nouveaux bombardements tuent encore plus d’innocents, dans une ville où Daech se sert des populations civiles comme d’un bouclier humain”, écrit The Guardian.   

    Daech, le moins pire ?

    “Les gens n’aiment pas du tout Daech, mais si les forces kurdes viennent prendre la place de l’Etat islamique à l’aide de la coalition, ce ne sera pas mieux, et entre ces deux maux, certains penseront que le moins pire est Daech” et décideront de rejoindre le groupe terroriste, explique un infirmier qui a quitté Raqqa cet automne.

    Pour lui, l’Armée syrienne libre ne peut pas s’attirer un large soutien, “parce qu’elle n’est pas crédible”. Un autre Syrien renchérit : “J’aime bien l’Armée syrienne libre, mais nous avons besoin d’une vraie armée ; ils sont mal organisés et ont peu de ressources.”   

    “S’attaquer à la source de notre problème, pas au symptôme”

    Abu Ahmad imagine ce qu’il dirait aux députés britanniques qui vont voter, dans les jours qui viennent, pour ou contre une interventione britannique en Syrie. “La première chose que je ferais, c’est leur demander de s’attaquer à la source de notre problème, c’est-à-dire Bachar El-Assad, et non pas au symptôme – Daech.” Il rappelle que des centaines de milliers de [Syriens] ont été tués ces dernières années. “Et pourtant, personne n’est allé bombarder Damas.” Mona, une enseignante, s’interroge : “Pourquoi n’intervenir que face à l’Etat islamique ? Pourquoi ne pas avoir bougé quand le régime [syrien] nous bombardait ? Est-ce uniquement parce que le terrorisme a touché les pays occidentaux ?”  

    Plusieurs Syriens interviewés dans le reportage accusent Bachar El-Assad d’avoir délibérément soutenu la montée en puissance de l’organisation Etat islamique, car cela a fait passer au second plan les exactions commises par l’armée syrienne.

    Avec la touche d’humour noir “propre à de nombreux exilés”, écrit le Guardian, Abu Ahmad résume : “Tout le monde a bombardé Raqqa”. Quiconque est de mauvais poil décide d’aller bombarder Raqqa. “La Jordanie, les Emirats arabes unis, les Etats-Unis, la Russie et la France.”  

    http://www.courrierinternational.com/syrie-pourquoi-ne-pas-avoir-bouge-quand-bachar-el-assad-nous-bombardait?

  • La France renoue avec l’état d’exception (A l'Encontre)

    Afficher l'image d'origine

    C’est en proclamant la «guerre» que François Hollande a réagi à l’abjection du terrorisme qui a derechef frappé en plein cœur de Paris – comme fit naguère George W. Bush face à «la mère de tous les attentats terroristes» en plein cœur de New York.

    Ce faisant, le président français a choisi d’ignorer les nombreuses critiques du choix fait par l’administration Bush, bien qu’elles constituèrent en leur temps l’opinion dominante à cet égard en France même  –une opinion partagée par Hubert Védrine [ministre des Affaires étrangères de juin 1997 à mai 2002] et Dominique de Villepin [ministre des Affaires étrangères de mai 2002 à mars 2004]. Et cela en dépit du fait que le bilan désastreux de la «guerre contre le terrorisme» menée par l’administration Bush a donné pleinement raison à ses critiques. Sigmar Gabriel, vice-chancelier de l’Allemagne voisine et président du SPD allemand, parti frère du PS français, a lui-même déclaré que parler de guerre, c’est faire le jeu de Daech.

    De prime abord, le discours de guerre peut cependant sembler relever du défoulement verbal: une façon de répondre à l’émotion légitime suscitée par un attentat horrible qui a fait 130 morts, jusqu’à présent. Il ne faut pas perdre de vue néanmoins qu’il ne s’agit pas d’un duel entre Daech et la France, mais bien d’un attentat qui – au même titre que les 102 victimes de l’attentat d’Ankara du 10 octobre dernier, ou les 224 victimes de l’avion russe qui a explosé au-dessus du Sinaï le 31 octobre, ou encore les 43 victimes (au dernier chiffre connu) de l’attentat perpétré dans la banlieue sud de Beyrouth la veille même de l’hécatombe parisienne, pour ne citer que les événements les plus récents – constitue au premier chef une retombée fatale du conflit que les puissances mondiales ont laissé dégénérer en Syrie.

    Le bilan de l’ensemble des violences de ces dernières années semble bien limité en comparaison de la catastrophe humaine syrienne. Le hic avec les rives sud et est de la Méditerranée, c’est toutefois que, contrairement au «cœur des ténèbres» qu’est encore l’Afrique centrale, les tragédies qui s’y développent ont une fâcheuse tendance à déborder sur le territoire de l’Europe, voire celui des Etats-Unis. L’indifférence à la souffrance des autres (au sens fort de l’altérité) – qui contraste fortement avec ce que j’ai appelé la «compassion narcissique» (pour les semblables) au lendemain des attentats de New York – n’est pas sans coût pour l’Occident lorsqu’il s’agit de l’Orient proche. Elle peut même s’avérer très coûteuse.

    Mais le discours de guerre n’est pas seulement une question d’ordre sémantique, tant s’en faut.

    Il vise à faire de l’état d’exception la norme, contrairement à ce qu’indique son appellation. C’est d’autant plus le cas que la guerre est plus longue. Et la «guerre» est d’autant plus longue qu’elle vise non pas un Etat susceptible de conclure armistice et paix, ou de capituler, sinon d’être occupé et subjugué, mais une hydre terroriste capable de se régénérer en gagnant même en puissance, comme en témoigne la trajectoire qui a mené d’Al-Qaïda à Daech en passant par «l’Etat islamique d’Irak» donné pour largement battu en 2008-2010. Tant que guerre il y a, l’hydre terroriste a tendance à renaître de ses cendres parce qu’elle se nourrit de la guerre elle-même. C’est bien la nature même de l’ennemi qui a fait prédire à de nombreux commentateurs critiques ou approbateurs, au lendemain du 11 septembre 2001, que la «guerre contre le terrorisme» allait durer plusieurs décennies. La suite leur a donné raison.

    Le corollaire du discours de guerre est déjà là: François Hollande a fait adopter une loi prorogeant de trois mois l’état d’urgence qu’il a proclamé, et qui est limité à douze jours par la loi en vigueur. Il souhaite faire réviser la constitution française pour accroître le registre des exceptions aux règles démocratiques qu’elle énonce, alors qu’il s’agit d’une constitution née en 1958 en situation d’exception et qui codifie déjà copieusement l’exceptionnalité à coup de pouvoirs exceptionnels (art. 16) et d’état de siège (art. 36). Dès maintenant, de graves violations des droits humains sont allégrement envisagées par le gouvernement français: déchéance de la nationalité visant les personnes détentrices d’une autre nationalité (suivez mon regard), enfermement sans inculpation, et autres cartes blanches données à l’appareil répressif.

    Mais il y a plus grave encore: contrairement aux auteurs des attentats de New York, ceux de janvier et de novembre à Paris sont en grande majorité le fait de citoyens français (d’où la menace relative à la nationalité). Tandis que l’état de guerre est dans son essence même un état d’exception, c’est-à-dire un état de suspension des droits de la personne humaine, il y a une différence qualitative entre les conséquences qu’il entraîne selon que la guerre est portée en dehors du territoire national ou que l’ennemi potentiel se trouve sur ce même territoire. Les Etats-Unis ont pu rétablir fondamentalement l’exercice des droits civiques, quoique rognés, une fois leur territoire sécurisé dans son insularité, tandis qu’ils pratiquaient et continuent à pratiquer l’état d’exception à l’étranger. C’est toute l’hypocrisie du maintien de ce lieu de non-droit qu’est le camp de Guantánamo à courte distance de leurs côtes et en violation de la souveraineté de l’Etat cubain, comme de la pratique des exécutions extra-judiciaires à coup de drones qui font du Pentagone le plus meurtrier des tueurs en série.

    Mais la France? La question du «djihadisme» n’est pas extérieure à son histoire.

    Elle l’est si peu que sa première rencontre avec le djihad remonte à la sanglante conquête de l’Algérie par son armée, il y a bientôt deux siècles, même si le djihad d’aujourd’hui est qualitativement différent de celui d’antan par son caractère totalitaire. Le djihad, l’appareil militaro-sécuritaire français y a été confronté ensuite avec le Front de libération nationale de l’Algérie, dont le journal même s’appelait El Moudjahid (le pratiquant du djihad). C’est en s’engageant dans cette sale guerre coloniale, en 1955, que la France a promulgué la loi relative à l’état d’urgence. Et c’est dans des circonstances créées par la guerre d’Algérie que, pour la dernière fois avant le 14 novembre dernier, l’état d’urgence a été proclamé sur l’ensemble du territoire métropolitain de 1961 à 1963. Dans le cadre de cet état d’urgence, de terribles exactions furent pratiquées sur le sol français, outre les exactions devenues courantes en Algérie.

    L’état d’urgence a été de nouveau proclamé sur une partie du territoire français métropolitain le 8 novembre 2005, il y a dix ans presque jour pour jour.

    Le rapport avec ce qu’a représenté la guerre d’Algérie n’a échappé à personne: une grande partie des jeunes impliqués dans les «émeutes des banlieues» étaient des produits de la longue histoire coloniale de la France en Afrique. Tout comme la majeure partie de la frange djihadiste française de ces dernières années, née de l’exacerbation des rancœurs qui explosèrent en 2005 et des espoirs déçus à coup de promesses non tenues. Ce sont ceux qui pâtissent de ce que nul autre que Manuel Valls, dans un moment fugace de lucidité politique le 20 janvier dernier, a appelé «un apartheid territorial, social, ethnique».

    La conséquence logique de cet aveu, c’est que le désenclavement territorial, social, et ethnique des populations «d’origine immigrée» et la fin de toutes les discriminations qu’elles subissent doivent constituer la réponse prioritaire au danger terroriste. Cela doit se combiner avec une politique extérieure qui remplace la vente des canons et la fanfaronnade militaire d’un Etat qui tient à jouer à la puissance impériale (contrairement à son voisin allemand pourtant bien plus riche) par une politique de paix, de droits humains et de développement conforme à la charte des Nations Unies dont il est coauteur. La ministre suédoise social-démocrate des affaires étrangères qui a décidé d’interdire la vente d’armements au royaume saoudien par les marchands de canons de son pays a montré la voie.

    La réponse adéquate au danger terroriste, c’est aussi un soutien résolu, mais non intrusif, à celles et ceux qui se battent pour la démocratie et l’émancipation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord contre l’ensemble des Etats despotiques de la région, qu’il s’agisse des monarchies pétrolières ou des dictatures militaires et policières. Le «printemps arabe» de 2011 a marginalisé pour un temps le terrorisme djihadiste. C’est sa défaite, avec la collusion des grandes puissances, qui a fait rebondir ce dernier plus vigoureusement, fort de la frustration des espoirs créés. (Tribune publiée, sous une forme raccourcie, dans Le Monde daté du 26 novembre 2015, page 19)

    Gilbert Achcar, professeur à l’Ecole des études orientales et africaines (SOAS, Université de Londres). Auteur, entre autres, de Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme, Sindbad, 2015; Le choc des barbaries: terrorisme et désordre mondial, rééd. 10/18, 2004.

    Alencontre le 25 - novembre - 2015 Gilbert Achcar
     
  • La terrifiante amnésie d’Obama et de Hollande (A l'Encontre)

    3500

    Nous publions ci-dessous la feuille distribuée par le Mouvement pour le socialisme (MPS) à l’occasion de la conférence donnée, le 24 novembre 2015 à l’Université de Genève, par Garance Le Caisne, auteure de Opération César. Au cœur de la machine de mort syrienne (Stock, 2015). Cette conférence est organisée par le Groupe Syrie Amnesty UNIGE et l’Association FemmeS pour la démocratie.

    L’enquête – Opération César – revient sur le rapport de ce photographe de la police militaire syrienne qui a fourni à l’opposition syrienne 45’000 clichés de corps détenus provenant d’une vingtaine de centres de détention à Damas. Pour réaliser cet ouvrage Garance Le Caisne a rencontré César et des rescapés de la machine de mort de la dictature. Ce dossier sert aussi de solide preuve pour les procès engagés contre Bachar el-Assad pour «crimes contre l’humanité». Un engagement qu’avait pris le gouvernement Hollande et qui est «oublié» aujourd’hui. Comme si les crimes de Daech à Paris et la «guerre» du néo-général Hollande devaient aboutir à faire silence sur ceux du régime des Assad. Est-il possible, y compris pratiquement, de «construire une transition politique et démocratique» avec celui qui a détruit un pays et écharpé sa population? Les opérations guerrières s’accompagnent toujours de déclarations officielles dont la validité n’est étayée que par un esprit et une pratique «d’état d’urgence». (Rédaction A l’Encontre)

    Si divers signes l’annonçaient depuis des mois, ces dernières semaines un tournant s’est opéré, clairement, dans la politique des puissances impérialistes envers Bachar el-Assad. Au-delà de divergences, propres à la tentative de redéfinir leur «présence» dans le chaotique Moyen-Orient, un accord se construit sur le maintien de Bachar el-Assad lors d’une dite transition politique en Syrie. Même si des approches différentes sur la voie à choisir existent, encore, entre Obama et Hollande.

    Dès lors, une priorité unilatérale est donnée par les gouvernements de France, du Royaume-Uni, des Etats-Unis (et d’autres) au combat contre la force barbare et terroriste de Daech (dit Etat islamique). La Russie de Poutine et l’Iran de l’ayatollah Ali Khamenei ainsi que du président Hassan Rohani sont à l’œuvre depuis longtemps pour soutenir la dictature des Assad et de ses mafias. Cela aussi bien en fournissant des troupes («Gardiens de la révolution» islamique), qu’en sponsorisant les milices chiites du Hezbollah libanais, et en livrant des armes diverses (la Russie en tête). Tout cela ne peut qu’alimenter l’adhésion à une opposition «djihadiste» de la part jeunes membres de secteurs majoritaires la population syrienne (en exil ou encore dans le pays) qui ressentent et vivent les multiples formes de la dictature – de plus en plus monstrueuse – de Bachar comme étant exercée par une «minorité religieuse», les alouites.

    Depuis le 30 septembre 2015, au nom de la lutte contre Daech, les chasseurs russes bombardent surtout les positions des diverses forces qui combattent la dictature et luttent contre Daech. Autrement dit, Poutine vise: à renforcer la position de la Russie dans cette partie de la Méditerranée (port de Tartous dans la région la plus contrôlée par le régime de Bachar el-Assad), à projeter l’impérialisme russe dans cette aire marquée par les désastres humains et politiques qui découlèrent de l’intervention des Etats-Unis en Irak en 2003. Ce faisant, le Kremlin remet en selle Bachar.

    En outre, le pouvoir poutinien trouve ainsi une carte pour négocier, dès fin janvier 2016, la levée des sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis contre la Russie, suite à l’annexion de la Crimée et à son soutien aux «indépendantistes du Donbass» ukrainiens qui s’affrontent à l’oligarchie représentée par Porochenko. Un conflit armé entre brigands des deux bords dont la très large majorité des populations paie un prix énorme.

    La mollahrchie iranienne et la Russie, comme le confirme la visite de Poutine à Téhéran le 23 novembre, font ensemble des «affaires». Moscou vend des missiles sophistiqués et des centrales nucléaires à Téhéran. Et ils se coalisent pour assurer leurs intérêts régionaux mutuels. Poutine ne se réjouit peut-être pas de la relance future de l’exportation de pétrole iranien qui ne poussera pas le prix du baril de pétrole à la hausse. Mais ce désavantage est secondaire et pas immédiat. Et Poutine peut faire bénir ses avions et ses navires de guerre par le patriarche de l’Eglise orthodoxe afin de mener «une guerre sainte» contre les «ennemis d’Assad». De quoi nourrir d’une enveloppe «religieuse» une opération militaire et politique! Et de quoi, en miroir, valider la dimension apocalyptique prônée par Daech.

    Avec en arrière-fond la permanence de la structure du régime des Assad, il ne faut pas oublier qu’au nom d’une «transition démocratique» en Syrie et d’une «stabilité» régionale aussi bien la Maison-Blanche que le Kremlin appuient la dictature de l’ex-maréchal Abdel Fattah al-Sissi en Eygpte. Un militaire-président qui fait taire, par la répression violente et des massacres, toute opposition. Quant aux Etats-Unis et à la France, ils arment le Royaume des Saoud classé parmi les ennemis les plus décidés des droits démocratiques et nourrissant institutionnellement un islamisme hyper-réactionnaire: le fondamentalisme wahhabiste.

    Protéger leurs intérêts en appuyant les dictateurs

    Pour cette nouvelle «coalition internationale» qui prend forme le seul ennemi est Daech. Cela fait le jeu du régime dictatorial des Assad. Passe donc par pertes et profits le sort réel d’une population épuisée, déchirée et emportée dans une gigantesque vague de réfugié·e·s internes et externes. La raison de fond pour «l’Occident» est bien résumée dans la revue états-unienne Foreign Policy, en date du 20 novembre 2015: «Cette nouvelle phase considère que les terroristes sont des acteurs non étatiques et adoptera la perspective que si nous avons un système international construit autour d’Etats forts souverains – quelles que soient leur brutalité ou leur indifférence envers les droits humains – la vie (sic) deviendra beaucoup plus difficile pour les groupes armés non étatiques.» Laissons de côté le cynisme de cette affirmation. En fait, il n’y a rien de nouveau, sur le fond, dans l’appui donné par les dominants des Etats-Unis, de l’URSS passée ou de la Russie d’aujourd’hui – ou encore de la France: Sarkozy invitait à la tribune le 14 juillet 2008 Bachar el-Assad et soutenait Ben Ali en Tunisie – à des régimes dictatoriaux ou autoritaires, sans même parler de leur installation aux manettes gouvernementales.

    Revenons à la Syrie: les chabiha – les milices mafieuses du régime Assad– qui sont-ils? Rien d’autre, aujourd’hui, que des groupes terroristes semi-non étatiques qui terrorisent y compris la population des zones contrôlées par Assad. Et quand bien même la police militaire de Bachar – entre autres les moukhabarat – sera d’ordre étatique, en quoi leur barbarie serait-elle différente de celle de Daech? Pire, ils obéissent aux ordres d’un tyran qui planifie, avec une minutie analogue au régime nazi ou stalinien, les tortures et exécutions.

    Assassiner et torturer plus de 300’000 personnes voilà la méthode du régime Assad pour, prétendument, lutter contre «les terroristes». Car, dès mars 2011, tous les opposant·e·s ont été qualifiés de «terroristes», donc «d’acteurs non étatiques», par la dictature au pouvoir. Une dictature qui n’a cessé d’utiliser les «fondamentalistes islamistes», puis Daech pour tenter de briser tous ceux qu’elle caractérise de «terroristes».

    9782234079847-001-X

    Une amnésie criminelle: «César» est effacé

    Le gouvernement Hollande a-t-il oublié qu’une «enquête pénale pour “crimes de guerre” a été ouverte en France visant le régime de Bachar el-Assad, pour des exactions commises en Syrie entre 2011 et 2013»? (Le Huffington Post, 30 septembre 2015 et l’AFP) La rédaction de cette publication, membre du groupe Le Monde, continue ainsi son explication: «L’enquête se base notamment sur le témoignage de « César », un ex-photographe de la police militaire syrienne qui s’était enfui de Syrie en juillet 2013, en emportant 55’000 photographies effroyables de corps torturés. Mercredi matin, une source judiciaire a précisé que l’enquête était ouverte pour “crimes contre l’humanité” et non “crimes de guerre”… La qualification de crimes contre l’humanité vise des faits d’enlèvements et de tortures commis par le régime syrien. […] Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a invoqué mardi “la responsabilité d’agir contre l’impunité” à propos de l’ouverture de cette enquête. “Il est de notre responsabilité d’agir contre l’impunité”, a déclaré Laurent Fabius qui se trouve à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies [26 septembre–1er octobre 2015], en dénonçant des “crimes qui heurtent la conscience humaine”.[…] Lors d’une conférence de presse à Paris en mars 2014, plusieurs photos d’une cruauté insoutenable, provenant d’une carte-mémoire emportée par “César”, avaient été projetées. […] L’annonce de cette enquête intervient alors que la crise syrienne est au centre de l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Mardi, le président américain Barack Obama a insisté sur le départ du président syrien Bachar el-Assad pour vaincre les jihadistes de l’Etat islamique alors que la Russie insiste au contraire pour le maintenir au pouvoir. De son côté, le président François Hollande a affirmé lundi à l’ONU qu’“on ne peut pas faire travailler ensemble les victimes et le bourreau”, excluant ainsi Bachar el-Assad d’une solution politique au conflit.» (Idem)

    Mais, la «realpolitik» du gouvernement «socialiste» Hollande-Valls l’a conduit à renoncer, une fois de plus, à leurs «promesses», à leurs «principes», logés dans une rhétorique de faussaire. Elle prend, aujourd’hui, les accents d’un «chef de guerre» dont toute l’action fait le lit de l’extrême droite (Front national de Marine Le Pen) et aboutit à la stigmatisation des musulmans.

    Un reniement qui renvoie au refus du pouvoir français – parmi d’autres – d’aider matériellement la résistance populaire syrienne en lui fournissant les armes nécessaires pour se défendre contre les tirs des chars blindés d’Assad et les hélicoptères et avions larguant des barils de TNT (explosif).

    La «coalition internationale contre Daech» bombarde Raqqa, la «capitale de Daech». Sans «dommages collatéraux», pour utiliser le vocabulaire des états-majors? Hala Kodmani, une journaliste syrienne étroitement liée aux réseaux résistants, a démontré combien la population subissait aussi ces attaques (voir son article publié sur le site alencontre.org en date du 19 novembre 2015).

    Il n’y aura pas de lutte effective contre Daech sans donner la priorité à l’appui aux forces populaires syriennes. Donc sans une lutte conjointe, pour une «paix juste et un régime démocratique», contre le régime Assad. Sans faire le procès aussi bien des terroristes de Daech que celui, promis, d’Assad, car «on ne peut faire travailler ensemble les victimes et le bourreau». (MPS, 23 novembre 2015)

    Publié par Alencontre le 24 - novembre - 2015
     
  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

    tunisie.jpg

     

  • Vu de Russie. Pour la paix en Syrie, Bachar El-Assad doit partir (CI)

    Couv1127.jpg

    Le président syrien doit se retirer pour permettre la création d’une coalition nationale contre l’EI et ouvrir la voie à des élections avec participation de toutes les forces politiques du pays, écrit cet historien russe.

    Le cauchemar de Paris a montré au monde deux choses. Premièrement, ce mouvement qui s’attaque à l’humanité est diabolique – inutile d’espérer négocier avec lui ni même obtenir une trêve. L’organisation Etat islamique (EI) ne peut qu’être anéantie et doit l’être. Deuxièmement, devant cette menace commune, les Etats doivent écouter la voix de la raison et oublier leurs différends et leurs réticences. Il faut, par exemple, comprendre que les Américains n’enverront jamais de kamikazes dans le métro de Moscou, tandis que ces monstres islamistes le feront volontiers.

    Tous les derniers coups portés par l’EI – à Bagdad, à Beyrouth, à Paris, dans le ciel du Sinaï – le sont sous la même bannière : “Vengeance pour la Syrie !” Les bombardements français ont infligé des dommages minimes aux djihadistes, mais qu’à cela ne tienne ! Il leur faut montrer à tous ceux qui oseraient s’en prendre au califat que le châtiment sera terrible. Quant à la Russie, ces monstres la haïssent tout particulièrement : alors qu’ils avaient enfin réalisé leur vieux rêve de califat, les Russes sont venus les frapper dans le dos.  

    Voilà donc la Syrie détruite et inondée de sang. Elle est aujourd’hui au cœur de tout, le théâtre de tous les excès de l’EI. On comprend pourquoi la diplomatie internationale est ainsi focalisée sur la question syrienne. Qui irait contredire l’idée que tous ceux qui veulent éliminer les djihadistes de la scène politique doivent aujourd’hui unir leurs forces ? Alors où est le problème ? Pourquoi a-t-on l’impression que l’actuel projet de résolution du conflit syrien risque de suivre le même chemin que le “plan de paix de Kofi Annan” [de mars 2012], aujourd’hui oublié, et sur lequel Moscou avait à l’époque fondé tant d’espoirs ? Une seule réponse : toutes les solutions achoppent sur Bachar El-Assad.

    La position officielle russe est la suivante : nous ne sommes pas cramponnés à Assad, nous voulons seulement que le peuple syrien puisse choisir son président lors d’élections libres. En attendant, Assad est un président légitimement élu. L’argument est fallacieux et peu convaincant. Premièrement, la légitimité d’Assad est pour le moins controversée : tout le monde sait qu’il n’a pu prendre les rênes du pays que parce qu’il était le fils de l’ancien président, lui-même arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat.

    Deuxièmement, où pourraient se dérouler ces élections ? Dans les zones contrôlées par le pouvoir ? Cela ne représente pas plus du quart du territoire syrien. Alors de quelles élections parle-t-on ? Ou bien pense-t-on qu’en six mois l’armée régulière aura libéré la Syrie et vaincu tous ses ennemis, l’EI comme le Front Al-Nosra [affilié à Al-Qaida], mais aussi [le groupe armé salafiste] Ahrar Al-Sham et l’Armée syrienne libre ? Difficile à imaginer.  

    En quatre ans, l’armée régulière, équipée d’armes russes sophistiquées, n’a pas pu mater ceux qu’Assad appelle les bandes de terroristes, de criminels et de mercenaires, qui ne disposent pourtant que d’armes légères. Les djihadistes ont fait leur apparition en Syrie il y a à peine deux ans. L’armée d’Assad se battait les deux années précédentes contre l’Armée syrienne libre, composée de déserteurs qui avaient trouvé refuge en Turquie et de groupes disparates issus de l’opposition laïque et islamiste modérée. Ces groupes, sans commandement unique et sans armes lourdes, ont non seulement réussi à tenir l’armée en respect, mais ont même pris le contrôle de plusieurs villes. Quand l’EI est entré en Syrie, on se battait déjà dans la banlieue de Damas et dans le centre d’Alep.

    Conclusion : il y a quelque chose qui cloche avec l’armée régulière. Inutile d’escompter que l’appui aérien russe entraîne une métamorphose des troupes syriennes au sol qui libéreraient la Syrie comme par magie. En admettant même que ce miracle ait lieu et que toute la Syrie se retrouve à nouveau sous le pouvoir du régime d’Assad, qui irait voter ? Plusieurs millions de Syriens se sont réfugiés en Turquie, au Liban, en Jordanie et maintenant en Europe – sont-ils des citoyens de seconde zone ? Et comment réunir les conditions nécessaires à la tenue d’élections dans un pays à moitié détruit ou dans des camps de réfugiés ?

    Des élections en l’état ? Une farce

    Poursuivons. Qui seraient les candidats ? Assad n’a pas été écarté, il serait donc candidat et assuré de remporter au moins 90 % des suffrages partout où son pouvoir est toujours reconnu. C’est le seul résultat que pourraient assurer les baasistes, tenants d’un régime totalitaire et policier. Mais surtout comment imaginer que ceux que l’on voudrait associer à un “règlement politique”, à savoir l’opposition modérée, ceux qui se sont soulevés contre Assad en 2011, pourraient accepter de participer à une telle farce ?

    Enfin, à supposer qu’une fois encore un miracle ait lieu et que les ministres des Affaires étrangères des puissances internationales et la diaspora syrienne parviennent à un accord dans un quelconque hôtel européen, comment cela serait-il perçu par ceux qui se battent l’arme au poing en Syrie (je parle évidemment de l’opposition, des insurgés) ? Ces gens combattent depuis quatre ans, ils ont fait couler le sang, vu tomber leurs camarades, et voilà qu’Assad leur ordonnerait de déposer les armes, de disparaître ou de se repentir pour vivre encore une fois sous ce même régime…

    La solution : protéger les alaouites de représailles

    Alors que faire ? Il faut assurer la sécurité des territoires contrôlés actuellement par l’Etat syrien. Eriger un mur de fer autour Damas et Lattaquié et protéger les alaouites de représailles sanglantes. Pour Vladimir Poutine, c’est là une question d’honneur, ce sera son mérite pour la postérité. En échange de quoi, Assad devra désigner un successeur (même de son entourage alaouite) et se retirer officiellement pour le salut de sa nation exsangue.

    On me rétorquera que cela entérinera la partition de la Syrie. Mais pas du tout. Au contraire, ce serait l’unique chance d’opposer à l’EI, avec l’opposition modérée, débarrassée d’Assad, un front uni. Une coalition allant des baasistes au groupe Ahrar Al-Cham pourrait être créée. A plus long terme, un nouveau système politique serait bâti, sur le modèle multiconfessionnel libanais par exemple. Utopique, me direz-vous ? Pas plus que la solution préparée actuellement (probablement sans même y croire) par les ministres des grandes puissances. Publié le Georgui Mirski

  • Syrie: Craintes pour la vie du défenseur de la liberté d'expression Bassel Khartabil, détenu dans un lieu secret et qui risque la peine de mort (FLD)

    Bassel Khartabil, un défenseur de la liberté d'expression détenu dans des conditions qui s'apparentent à une disparition forcée, risque d'être condamné à mort, ont déclaré aujourd'hui 36 organisations locales et internationales.

    Sa femme a reçu des rapports non confirmés déclarant qu'un tribunal militaire l'a condamné à mort. L'endroit où il se trouve devrait être immédiatement divulgué et il devrait être libéré sans condition, ont ajouté les organisations.

    Les services de renseignements militaires ont arrêté Bassel Khartabil le 15 mars 2012. Il a été détenu au secret pendant 8 mois et a été torturé et maltraité. Il fait face à un procès militaire à cause de ses activités pacifiques en faveur de la liberté d'expression. Un juge militaire a interrogé Bassel Khartabil pendant quelques minutes le 9 décembre 2012, mais il avait dit à sa famille n'avoir rien entendu de plus à propos de cette affaire. En décembre 2012, il a été transféré à la prison Adra à Damas, où il a été détenu jusqu'au 3 octobre 2015, puis il a été transféré vers un lieu qui n'a pas été révélé et depuis, il n'y a aucune nouvelle de lui.

    Sa femme aurait reçu ces informations de sources venant des services de renseignements militaires; cela indique que depuis sa disparition, il a été jugé par un tribunal militaire au siège de la police militaire à al-Qaboun, qui l'a condamné à mort. Les tribunaux militaires en Syrie, sont des tribunaux exceptionnels où les procès se déroulent à huis clos et ne respectent pas les normes internationales en matière de procès équitable. Les accusés n'ont aucun représentant légal et les décisions de la cour sont des obligations et il n'est pas possible de faire appel. Les personnes traduites devant de tels tribunaux et remises en liberté ensuite ont déclaré les procédures sont superficielles et qu'elles ne durent souvent que quelques minutes.

    Bassel Khartabil est développeur de logiciel; il mettait son expertise technique au service de la liberté d’expression et de l’accès à l’information via l’internet. Il a reçu de nombreux prix, y compris le prix d’Index on Censorship pour la liberté numérique pour 2013 et ce pour avoir fait usage de la technologie en vue de promouvoir un internet libre et ouvert. Son arrestation et sa détention arbitraire semblent directement liées à son travail légitime et pacifique en faveur des droits humains, ont déclaré les organisations.

    Les appels à sa libération ont été publiés par ce groupe depuis son arrestation et ont été relayés par le groupe de travail de l'ONU sur les détentions arbitraires en avril 2015.

    Les autorités syriennes devraient:

    1. Révéler immédiatement l'endroit où se trouve Bassel Khartabil et lui permettre de voir un avocat et sa famille;
    2. Garantir qu'il soit protégé de tout acte de torture et de mauvais traitements;
    3. Le libérer immédiatement et sans condition.
    4. Libérer toutes les personnes détenues en Syrie pour avoir exercer leur droit légitime à la liberté d'expression et d'association.

    https://www.frontlinedefenders.org/node/30152

  • Syrie (Jeunes du NPA)

    Dassault-Aviation-Billet-1024x658

    Derrière les bombes françaises, les profits de Total et de Dassault

    Hollande n’aura pas attendu longtemps après le 13 novembre pour annoncer le renforce- ment des interventions militaires de la France en Syrie. Il justifie l’intensification des frappes aériennes au nom de la lutte contre le terrorisme et l’État islamique. Mais ces interventions n’ont en réalité qu’un seul but : défendre les intérêts économiques des grandes entreprises françaises dans la région. La guerre, c’est un sacré business pour les capitalistes !

    Contrôler l’or noir Les hydrocarbures (gaz et pétrole) représentent le premier secteur d’in- vestissement étranger en Syrie. Total est fortement implanté dans le pays depuis 1988, mais a dû cesser son activité en 2011, à cause de l’instabilité causée par la révolte du peuple syrien face au régime d’Al-Assad. En plus des réserves gigantesques dans le sous-sol syrien (2,5 milliards de barils), les industriels du pétrole ambitionnent de faire de la Syrie une plaque tournante du commerce de gaz et de pétrole au Moyen-Orient.

    C’est pour garantir les intérêts de son géant pétrolier dans la région que l’État français intervient en Syrie depuis septembre 2015. Hollande n’a rien à faire du peuple syrien. Alors que ce dernier lutte depuis février 2011 contre le régime de Bachar al-Assad, Hollande a finalement décidé de faire de ce tyran son nouvel allié dans la région. C’est qu’entre 2011 et 2014, les pertes dans le secteur des hydrocarbures de Syrie se sont élevées à près de 16 milliards d’euros, et que pour Total cela n’a que trop duré.

    Pour rétablir la pompe à profits dans la région, les capitalistes et les États à leur service sont prêts à tisser des alliances avec des régimes plus pourris les uns que les autres. Com- me c’est le cas depuis des décennies avec l’Arabie saoudite, qui impose à sa population des lois équivalentes à ce que tente d’imposer l’État islamique en Irak et en Syrie.

    Tuer plus pour gagner plus Le chaos et la misère au Moyen-Orient, ça rapporte gros ! En 2015, les industriels français de l’armement terrestre, aérien et maritime ont multiplié les contrats au Moyen-Orient, notamment avec l’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar : pas moins de 17 milliards d’euros de contrats (deux fois plus qu’en 2014). Dassault est actuel- lement en négociations avec les Émirats arabes unis pour un nouveau contrat d’une soix- antaine d’appareils, pour quelques 12 milliards d’euros…

    Les industriels français n’ont jamais autant vendu d’armes que durant l’année 2015, et la France est même devenue le deuxième exportateur mondial après les États-Unis.
    Airbus, Dassault, DCNS (marine), MBDA (missiles), Thalès, Total : les grands patrons français se font leur beurre sur le dos des populations du Moyen-Orient qu’ils réduisent à la misère. Et l’État français répond toujours présent pour les servir. Leurs guerres ne sont aucunement la solution à l’horreur que constitue l’État islamique, elles en sont même une cause profonde. Face à cela, exigeons l’arrêt immédiat des opérations militaires en Syrie, et l’ouverture des frontières pour accueillir les populations victimes de Daesh !

    20 novembre 2015 Secrétariat jeune NPA

    http://www.anti-k.org/syrie-derriere-les-bombes-les-profits-de-total-et-de-dassault

  • Bombardements contre-productifs : « Le discours de François Hollande a été mal reçu par les Syriens » (Essf)

    IraqiBomb_display.jpg

    A l’heure où la France, notamment, bombarde Raqqa, le bastion du groupe Etat islamique en Syrie, le journaliste et ancien otage de l’EI Nicolas Hénin juge que ces frappes sont contre-productives.

    Pour Nicolas Hénin, la France, les Etats-Unis et la Russie font fausse route en optant pour une solution martiale. Dans une interview mardi dans l’émission Forum, le journaliste estime qu’il faut plutôt tirer les leçons du 11 septembre 2001 : « L’administration américaine a décidé d’envahir l’Afghanistan et l’Irak, d’émettre le Patriot Act et d’ouvrir (la prison) de Guantanamo. Tout cela, c’était des pièges. Il faut être absolument stupide pour imaginer que l’on a puni Ben Laden ou Al-Qaïda (avec de telles mesures). »

    Il faut par conséquent se méfier des actions prises sous le coup de l’émotion, avertit Nicolas Hénin : « Ces frappes sont contre-productives. Elles nous aliènent les populations locales (en Syrie), alors que la clé pour résoudre ce défi que représente l’Etat islamique est de se mettre les populations locales de notre côté ».

    Or, ajoute le journaliste, « le discours de François Hollande (lundi) a été particulièrement mal reçu par la population syrienne qui pourtant avait marqué – sur les réseaux sociaux – des témoignages fabuleux de solidarité envers les victimes de vendredi ».

    Création de zones de sécurité, « une priorité »

    Nicolas Hénin préconise la création de zones d’exclusion aérienne et des lieux sûrs au sol : « A partir du moment où l’on aura créé ces zones dans lesquelles les civils sont en sécurité, on aura d’une part réduit le défi posé par les flux de réfugiés et créé de l’espoir (…) Il faut désescalader cette violence ».

    « Les 130 morts de Paris sont absolument abominables, mais il faut garder à l’esprit qu’il y a, en moyenne, 200 morts chaque jour en Syrie depuis quatre ans », avertit enfin le journaliste, selon qui la propagande du groupe EI se poursuit aujourd’hui sur la base d’images de civils massacrés.

    Nicolas Hénin,

    16 novembre 2015* « Le discours de François Hollande a été mal reçu par les Syriens » :


    http://www.rts.ch/info/monde/le-discours-de-francois-hollande-a-ete-mal-recu-par-les-syriens

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36449

  • Selon un site d’information libanais Manbij. Révolte sur le territoire de Daesh ? (CCR)

    arton2282-3b00d.jpg

    Il s’agit bien d’un questionnement, il est extrêmement difficile de savoir ce qu’il se passe dans les territoires plus ou moins contrôlés par Daesh (ou Etat Islamique).

    Le site d’information libanais Now, rapporte que les habitants de Manbij, une ville de 100 000 habitants, plutôt 75 000 aujourd’hui, dans la province d’Alep en Syrie, sont descendus dans la rue pour protester contre les règles imposées par l’Etat islamique (EI), qui contrôle la ville. Il y aurait eu des petits rassemblements de dizaines de personnes exigeant de l’EI qu’ils quittent la ville. Les forces armées de Daesh auraient répondu en tirant et en faisant des arrestations. En effet, participer à une manifestation sur le territoire de Daesh, au vu des méthodes de torture, de mutilation, de viols, et d’exécutions sommaires par décapitation, c’est s’exposer potentiellement au pire.

    C’est d’ailleurs la conscription de jeunes de la ville mourants rapidement morts au front qui aurait déclenché cette contestation. En vérité, c’est très certainement l’accumulation des enlèvements de femmes, les arrestations et exécutions arbitraires continus d’hommes et de femmes, qui déclenchent cette colère. C’est un groupe rebelle syrien, appelé Manbij Mubasher, qui a fait part de ces événements sur sa page Facebook, en s’appuyant sur deux photos de rassemblements. Les photos ne prouvent rien et cette « information » est donc à prendre avec précaution.

    Mais si elles venaient à être confirmées, ces manifestations seraient un indicateur important du fait que Daech a bien du mal à contrôler son territoire et que l’EI serait de fait en perte de vitesse, comme beaucoup de spécialistes de la région tendent à l’affirmer. Le fait qu’il ait perdu – pour l’instant - sa force expansive, notamment vers les territoires kurdes, n’est pas à négliger et pourrait expliquer la stratégie d’internationalisation et d’exportation de la terreur vers l’Europe. Ainsi le 12 novembre 2015, les peshmergas kurdes lancent une offensive au nord de l’Irak et s’emparent de Sinjar, coupant ainsi la route reliant Mossoul au reste des territoires sous contrôle de l’EI. En Irak, il a perdu près de 30% de terrain en Irak depuis son apogée en août 2014 et notamment la ville de Tikrit – symbolique pour les sunnites puisque lieu de naissance de Saddam Hussein.
    C’est pourquoi Daesh peut être tenté par une stratégie d’escalade accrue, grâce à un engrenage connu. Il s’agit en effet de déclencher des bombardements massifs sur les civils de la part de l’impérialisme, ce qui permet de regrouper une partie de la population autour de soi, dans un cycle sans fin amené à se répéter. Le deuxième objectif est également de déclencher sur le territoire européen des situations de véritable guerre civile – non sans analogie possible avec ce qui se passa pendant la guerre d’Algérie.

    En effet, la terreur des attentats permet aux gouvernements européens de se droitiser sans fin et de remettre en question les libertés vers une dérive de plus en plus autoritaire et potentiellement raciste. En laissant faire alors le déchaînement guerrier, fascisant et raciste, l’Europe s’enferme dans une logique de guerre interne et externe qui fournit sans cesse plus de troupes et de ressources à l’EI.

    Évidemment, les révoltes qui pourraient avoir lieu sur le territoire de Daesh sont très embarrassantes pour la politique de Hollande et de l’impérialisme américain. Elles rappellent que la vraie solution ne peut reposer dans des frappes aériennes, au contraire. Si les impérialismes français et américain sont prêts à faire alliance avec Bachar El Assad et la Russie, c’est bien que l’intérêt de la population syrienne, irakienne ou française est le dernier de leur souci. Publié le 19 novembre 2015 Léo Serge

    http://www.revolutionpermanente.fr/Manbij-Revolte-sur-le-territoire-de-Daesh

  • Syrie. Raqqa: 200 000 habitants pris au piège (A L'Encontre)

    raqqa

    Il y a encore cinq ans, la moitié des Syriens ne savaient pas situer Raqqa sur la carte de leur pays. La ville fut pourtant, jadis, la capitale d’été du célèbre vizir Haroun al-Rachid. «Même le présentateur de la météo à la télévision syrienne avait du mal à placer le nuage prévu au-dessus de la ville, ironise un de ses habitants réfugié en Turquie. Aujourd’hui, Obama évoque le carrefour Al-Naim [principale place des exécutions publiques menées par les hommes de l’Etat islamique], Hollande dit avoir frappé le “stade noir” et des dizaines d’avions de reconnaissance qui coûtent des millions de dollars scrutent les caniveaux. Raqqa occupe les discussions au sommet du G20 à Antalya, ils pourraient au moins nous inviter, ces goujats!»

    La septième (et la plus insignifiante) ville syrienne n’a cessé de gagner en célébrité depuis le printemps 2013, quand les premiers hommes masqués de l’Etat Islamique (Daech) y ont fait leur apparition, puis l’ont investie en nombre, petit à petit, pour en faire la capitale syrienne de leur califat, proclamé un an après.

    Langage codé

    A la limite entre désert et vallée de l’Euphrate, la cité, bombardée par toutes les aviations [1] qui comptent dans le monde, en est pratiquement coupée. Les seules communications parfois possibles avec l’extérieur se font par Internet, disponible uniquement dans des cybercafés fermement surveillés par les hommes de Daech. Les habitants y vont pour donner des nouvelles à leurs proches, pour les rassurer et parler de santé ou de vie quotidienne, parfois en langage codé.

    Les informations, rares, sont souvent difficiles à vérifier, mais peuvent passer par des relais improbables ou des indiscrétions des maîtres du terrain. Ainsi, les douze corps entreposés actuellement dans la morgue de l’hôpital national seraient ceux des jihadistes tués dans les frappes aériennes françaises de dimanche et lundi. Ahmad [2], ancien militant pro-démocratie réfugié en Allemagne, a pu obtenir quelques précisions à leur sujet. «Huit ont été tués dans la zone dite des Madajen [lieu d’élevage de volailles], dans le petit village de Sahal, à quelques kilomètres de la ville où se trouve un dépôt d’armes de Daech. Quatre autres, des Asiatiques, sont morts dans le raid du centre d’entraînement militaire qui était celui des jeunesses du Baas, à l’entrée ouest de la ville en venant d’Alep, et que les Français ont désigné comme un centre de commandement de Daech. Le site se trouve en sortant à gauche du pont Al-Rashid sur l’Euphrate, bombardé il y a une dizaine de jours par les Russes», affirme Ahmad expliquant que des dépôts de munitions ont probablement été touchés aussi par les frappes françaises. «Tant que ça reste dans les airs, toutes ces opérations ont un effet essentiellement médiatique et revanchard. Vous nous explosez, on vous bombarde et ainsi de suite», précise-t-il.

    Les bombardements français sur Raqqa n’ont pas fait de victimes civiles, les habitants comme des sources de Daech elles-mêmes le confirment [1]. En revanche, la terreur semée par tous ces raids aériens épuise la population, d’autant qu’ils provoquent la coupure de l’électricité et de l’eau dans toute la ville. «Le bilan des 30 raids en vingt-quatre heures se mesure plutôt par des crises cardiaques chez les personnes âgées dans la ville», dit l’exilé en Allemagne, branché en permanence avec ses proches sur place.

    Les frappes russes, elles, sont plus meurtrières puisque leurs cibles sont désignées par l’armée du régime de Bachar al-Assad et visent souvent des marchés et autres lieux publics. La veille des raids français, douze civils ont ainsi été tués par l’aviation russe. Celle-ci a pris le relais des Mirage français le lendemain, menant pas moins de 127 raids en vingt-quatre heures, soit deux fois plus qu’en temps ordinaire en Syrie, essentiellement sur Raqqa. Pour la première fois, des tirs de missile de croisière Kalibre ont été effectués depuis un sous-marin croisant en Méditerranée. Ils sont intervenus juste après la confirmation russe que l’avion de Charm el-Cheikh avait été explosé par une bombe à bord.

    En plus des bombardements quotidiens par les airs, les habitants de Raqqa subissent au sol la terrible pression paranoïaque des hommes de Daech. En réaction aux raids, les jihadistes interdisent la circulation, coupent l’électricité et peuvent accuser n’importe qui de donner des renseignements à leurs nombreux ennemis. «On ne sort plus de chez nous que pour les courses indispensables», confie par Internet une ancienne institutrice quinquagénaire restée seule pour garder la maison familiale alors que ses frères et sœurs sont partis en Turquie pour pouvoir scolariser leurs enfants. «Les civils ne peuvent même plus partir s’ils le veulent.» Daech a interdit récemment aux gens de quitter la ville pour empêcher la sortie des informations.«Raqqa est devenue une immense prison sous les bombes», explique-t-elle.

    Familles ouïghours

    Quelque 200’000 habitants se retrouvent pris au piège. C’est plus ou moins le nombre de personnes que comptait la ville avant le conflit, sauf que la population a changé. Des dizaines de milliers de Raqqaouis sont en effet partis ces deux dernières années pour échapper aux lois du califat et à ses atrocités. Ils ont été remplacés par des familles djihadistes venues du monde entier, qui prennent leurs maisons. «Ils sont partout avec leurs femmes et leurs enfants, installés parmi les habitants», dit l’institutrice, qui n’a pu empêcher que l’appartement de 120 m2 de son frère soit occupé par deux familles ouïghours.

    Mêlés à la population civile, les hommes de Daech «s’en servent comme boucliers humains», précise Ahmad. C’est pourquoi il est difficile pour l’aviation de les atteindre. «Plus d’un an de frappes aériennes n’a pas affecté Daech, qui s’est même renforcé», considère Yassin Swehat, directeur du site d’études Al-Jumhurya, originaire de Raqqa. «Poursuivre dans la logique de la guerre contre le terrorisme en l’escaladant se révèle un cercle vicieux», ajoute-t-il, estimant que «seule une nouvelle approche internationale agissant sur les sources du problème en Syrie et en Irak peut changer les choses, plutôt que de balancer des missiles sur Raqqa». (Article mis en ligne le 18 novembre 2015 sur le site de Libération)

    Publié par Alencontre le 19 - novembre - 2015
    Par Hala Kodmani