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Tunisie - Page 19

  • La malédiction des phosphates: dans les coulisses polluées et désertifiées de l’agriculture chimique (Basta)

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    En France et en Europe, le recours intensif aux phosphates dans l’agriculture provoque un appauvrissement des sols, pollue les rivières et génère la prolifération des algues vertes. Mais d’où viennent ces phosphates chimiques qui nous servent d’engrais ? De leur dispersion dans les campagnes françaises à leur extraction minière, Basta ! a remonté la filière du phosphate jusqu’en Tunisie, longtemps l’un des principaux fournisseurs de l’Europe. Oasis en voie de désertification, pathologies, pollution marine : ses impacts environnementaux, sanitaires et sociaux y sont également désastreux. Le phosphate, meilleur ami des agriculteurs, vraiment ? Reportage.

    Pour profiter de ce reportage en grand format, c’est ici.

    Sur les plages du Finistère, les algues vertes prolifèrent de nouveau depuis fin mai. A presque 3000 kilomètres de là, sur le littoral tunisien, les habitants de la ville de Gabès sont confrontés à une grave pollution de l’eau, de l’air et de leurs terres, et redoutent la disparition de leur oasis côtière. Le point commun entre ces maux ? Les phosphates.

    En Europe, les phosphates sont abondamment utilisés dans l’agriculture comme engrais, en tant que source de phosphore, mais aussi d’azote, de calcium et d’aluminium. Initialement apporté aux cultures sous forme organique (fumiers ou compost par exemple), le phosphore est de plus en plus épandu sur les terres agricoles européennes sous forme chimique [1].

    Si les conséquences de la sur-utilisation d’engrais phosphatés sont déjà visibles en France et en Europe [2], qu’en est-il en amont de la filière ? Basta ! a remonté la piste jusqu’en Tunisie où la production et la transformation du phosphate constituent l’un des principaux revenus du pays, avec le tourisme. La Tunisie était rangée au cinquième rang des producteurs mondiaux jusqu’en 2010 (4 % du PIB du pays, 10 % des exportations) [3]. Elle a été, pendant une décennie, l’un des trois principaux fournisseurs d’engrais chimiques de l’Europe, avec le Maroc et la Russie [4]. Confrontée aujourd’hui à des troubles sociaux, l’industrie du phosphate tunisienne est en perte de vitesse. Les contestations qui la paralysent ne sont pas sans lien avec les conséquences environnementales et sanitaires de la production et du traitement du phosphate. Et de décennies d’inconséquences.

    Mais où est passée l’eau de l’oasis ?

    Pour mieux comprendre l’impact du phosphate sur l’environnement, il faut se rendre à Gabès, à 450 kilomètres au sud de Tunis. Autour de cette ville grise qui borde la Méditerranée, on trouve une ceinture verte de palmiers, d’arbres fruitiers et de maraîchage. Un oasis maritime de 170 hectares où se rencontrent les eaux salées et les eaux douces. Pourtant, en ce mois de mars, seul de petites rigoles coulent ici ou là, dans le fond de la vallée. Une situation exceptionnelle ? Pas vraiment. « Les sources naturelles d’eau ont tari depuis des années », explique Mabrouk Jabri, un instituteur à la retraite. « Maintenant, on n’a accès à l’eau qu’avec des forages », ajoute Abdekhader Béji, un ouvrier agricole.

    Mais où est passée l’eau qui faisait autrefois de cet oasis un petit paradis sur terre ? Tous les témoignages pointent le Groupe chimique tunisien (GCT). En 1970, cette entreprise d’État s’est installée sur les rives du golfe de Gabès. Elle transforme chaque année environ quatre millions de tonnes de phosphate en engrais et en détergent, dont 90 % sont ensuite exportés par bateau vers l’Europe ou le reste du monde. Une petite partie, l’engrais ammonitrate, serait consommée localement. Pour transformer le phosphate, l’usine utilise de l’eau, beaucoup d’eau. 7 à 8 mètres cubes sont nécessaires pour produire une tonne d’acide phosphorique. Soit la contenance de plus de 50 baignoires standard. « Depuis l’installation du GCT, il y a une diminution remarquable de l’eau dans l’oasis », avance Skandar Rejeb, un professeur d’université et membre de l’Association de sauvegarde de l’oasis de Chenini (Asoc).

    L’agriculture dans l’oasis a été bouleversée. Il est de plus en plus difficile de cultiver ses parcelles, particulièrement en été, où les paysans doivent attendre deux mois et demi pour irriguer leurs cultures. « Autrefois, c’était entre 10 et 15 jours », se rappelle l’instituteur Mabrouk Jabri. Puisque l’eau douce se tarit, l’eau salée devient plus présente et détériore les cultures. La biodiversité s’amenuise. « Des espèces d’arbres qu’on voyait dans chaque parcelle disparaissent progressivement, comme les pommiers, les pêchers et les abricotiers », raconte Abdekhader Béji. Face aux difficultés, les jeunes se détournent progressivement de l’agriculture. « L’oasis était un lieu de vie où chaque famille cultivait son lopin de terre. Aujourd’hui, c’est tout un savoir-faire qui est en train de disparaître. » L’oasis ne représenterait plus que 170 hectares. Il en comptait 750 en 1970. Un paradoxe, alors que les phosphates servent à augmenter les rendements agricoles, de l’autre côté de la Méditerranée !

      

    Photo de l’oasis aujourd’hui :

    « La mer est malade »

    L’agriculture de la région n’est pas la seule à être affectée par le Groupe chimique tunisien. En bord de mer, les chalutiers sont amarrés. Seuls de petits bateaux lèvent l’ancre. L’activité du port tourne au ralenti. « Avant l’implantation de l’usine, le golfe de Gabès était un paradis pour les pêcheurs, car c’est un lieu où les poissons se reproduisent, la pépinière de la Méditerranée, expliquent Abdelmajd Ghoul et Fathi Fetoui, deux armateurs. Aujourd’hui, 90 % des poissons ont disparu. La mer est malade. » Là aussi, le GCT est pointé du doigt : tous les jours, le groupe industriel rejette dans la mer environ 13 000 tonnes de boues chargées en phosphogypse, un des déchets de la transformation du phosphate. « Le fond de la mer est tapissé par ces boues, indiquent les pêcheurs. A cause du manque d’oxygène, les fonds marins se sont désertifiés. Les poissons manquent de nourriture. Et quand le soleil tape sur l’eau, une réaction chimique s’opère entre les boues et l’eau. » 

    Un désastre environnemental qui débute au pied de l’usine, où des boues noires affluent à longueur de journée et se jettent dans la Méditerranée. Pour les pêcheurs, les conséquences sont désastreuses. Un des deux armateurs employait 15 marins. Ils ne sont plus que sept. Pour trouver du poisson, ils doivent aller plus loin, vers le Nord et la ville de Sfax. Mais cela demande plus de carburant, donc les coûts augmentent. Faute de travail, de moins en moins de pêcheurs ont accès à la sécurité sociale. Certains ont vendu leur matériel ; d’autres continuent leur activité et réparent régulièrement leurs filets pris dans la colle jaunâtre qui tapisse les fonds marins. A cela s’ajoute un problème de surpêche de gros chalutiers et un manque de contrôle des autorités.  

    Plus de maladies qu’ailleurs ?

    En plus des pêcheurs, Gabès a vu ses plages désertées et les touristes disparaître. Les fumées de l’usine et l’odeur de soufre qui rend parfois l’air de la ville irrespirable ont eu raison de son attrait touristique. La dégradation de la qualité de l’air inquiète la population. Les rejets atmosphériques du GCT sont accusés de provoquer des cancers et des cas de fluorose. Cette maladie, Moekles, un jeune informaticien, en est atteint. « J’ai des douleurs aux os, et je peux facilement me casser quelque chose, explique-t-il. Je dois faire attention à chacun de mes mouvements. » Le médecin qui le suit n’a pas fait le lien avec les rejets de l’usine de fluor adossée au GCT. Mais les symptômes de Moekles ne sont pas rares.


    Foued Kraiem, le président de l’Association tunisienne de l’environnement et de la nature, suit de près les conséquences de l’industrie du phosphate. Pour lui, la région de Gabès recense une forte densité de maladies, dont des cancers. « Dans certaines familles, plusieurs membres sont malades », atteste t-il, évoquant également des pathologies pulmonaires comme les allergies ou l’asthme. Les malades sont obligés de se rendre à Sfax, à 2h30 de route, pour être soignés, car Gabès n’a pas les infrastructures hospitalières nécessaires. « Nous demandons qu’il y ait une vraie étude épidémiologique, sur 3000 familles », réclame Foued Kraiem. Une étude qui permettrait enfin d’établir les éventuelles responsabilités de l’usine de transformation du phosphates. Et de contrebalancer l’extraordinaire poids économique qu’elle représente à l’échelle de la région, et de la Tunisie !

    « Le maximum de bénéfices avec le moins de dépenses possibles »

    Dans la région de Gabès, l’usine emploie officiellement près de 4000 personnes. En 2010, le GCT générait 2,1 milliards d’euros de chiffres d’affaires. Des résultats qui sont tombés aux alentours de 700 millions d’euros, en 2012 et en 2013, à cause des grèves (voir ci-dessous) [5]. Malgré cette diminution, l’usine représente une manne financière extraordinaire pour la Tunisie, un véritable poumon économique... aux conséquences désastreuses sur le long terme.

    « Quand l’usine de phosphate a été créée, nos parents ont applaudi : il y aura du travail », se souvient Mabrouk Jabri, l’instituteur de Chenini. Quarante ans plus tard, le bilan est catastrophique. Non seulement le GCT n’a pas investi dans le développement social de la région, mais il a détruit son environnement. « L’usine souhaite réaliser le maximum de bénéfices avec le moins de dépenses possibles, regrette Mabrouk Jabri. La région est touchée par la pauvreté culturelle et les problèmes de santé. Le GCT pourrait au moins résoudre ces problèmes grâce aux millions qu’elle gagne par jour. »

    Depuis la révolution tunisienne, la liberté d’expression acquise est utilisée pour critiquer l’usine, autrefois intouchable. Les associations foisonnent, les mobilisations aussi. En 2011, les pêcheurs de Gabès ont bloqué le terminal commercial du GCT pendant une douzaine de jours, afin de faire pression pour que les rejets en mer cessent. Les jeunes de Gabès ont profité du Forum social mondial à Tunis, en mars 2015, pour alerter l’opinion publique sur la pollution environnementale. Les associations et les représentants de la société civile participent désormais à des négociations avec l’entreprise. « Avant la Révolution, il était impossible de discuter avec la compagnie », se souvient Mabrouk Jabri. 

    Entre déni et greenwashing

    Le groupe chimique tunisien ouvre désormais ses portes aux journalistes. Il a même recruté un directeur en charge de l’environnement, Noureddine Trabelsi. Dans la salle de réunion sont exposés les différents produits fabriqués sur le site : acide phosphorique, engrais phosphatés, adjuvant d’aliment de bétail... « Nous sommes conscients des problématiques environnementales, que ce soit la pollution atmosphérique ou les rejets en mer, plaide t-il. Mais on injecte 7 millions de dinars dans l’économie de la région. Nous sommes la locomotive de Gabès ! » Face aux critiques, le groupe communique sur les « mises à niveau environnementales » du site de production. Noureddine Trabelsi égrène les millions de dinars investis dans de nouvelles technologies pour réduire, d’ici fin 2015, les émissions d’ammoniac et d’oxyde d’azote. Le groupe espère même « éliminer l’odeur de sulfure  », ce gaz malodorant qui envahit les rues de Gabès par intermittence. Les émissions seront donc toujours présentes, mais bien moins perceptibles, promet-on...

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    Si le groupe reconnaît le rejet de phosphogypse en mer – une tonne d’acide phosphorique produite pour cinq tonnes de phosphogypse ! – il dément son rôle dans la dégradation de la faune marine. Mais il admet que la pollution au phosphogypse peut avoir un effet sur la pêche, « l’amenuiser », tout en clamant que « les vrais responsables sont les grands bateaux qui drainent tout ». La responsabilité de la France est aussi pointée du doigt. « La première usine en 1972 a été créée par le SPIE Batignolles (groupe français de BTP, ndlr) qui a programmé ces rejets, rappelle Noureddine Trabelsi. A l’époque, la France rejetait le phosphogypse dans la Seine, avant que ce ne soit interdit à la fin des années 80. On ne savait pas qu’il y avait de la pollution derrière... ». Mais cette ignorance ne suffit plus à tempérer la colère des riverains. 

    Déplacer la pollution

    Au fond de la salle, une immense carte du littoral dévoile les ambitions du groupe. « On va faire six pipelines enterrés sur 23 kilomètres pour transporter les boues de phosphogypse », détaille Noureddine Trabelsi. Soutenu par l’Union européenne, le projet visait initialement à stocker les boues à Ouedref, un village situé à une vingtaine de kilomètres de Gabès. « On a proposé un stockage avec une géomembrane, mais la population a refusé... On vient de proposer deux autres sites à la société civile. » Aux craintes de contamination des nappes phréatiques s’ajoutent celles relatives à la radioactivité des boues. « Avec la Révolution, c’est devenu difficile. Les habitants ne veulent plus de décharges chez eux. Et en même temps, tout le monde veut être recruté par notre groupe. »

    Le GCT rejette par ailleurs toute responsabilité dans l’épuisement des nappes. « Notre groupe, c’est 6 % de la consommation d’eau à Gabès. Or, le manque d’eau est dû à l’agriculture qui en consomme 80 % », se défend le responsable environnement de l’entreprise, sans être en mesure de nous transmettre la moindre étude à ce sujet. Une chose est sûre : la consommation d’eau du groupe s’est réduite ces dernières années suite à la division par deux de la production [6]. « On rencontre des difficultés dans l’approvisionnement en phosphates. Il y a des problèmes sociaux dans le bassin minier de Gafsa, là où sont extraits les phosphates. On espère que la situation va se débloquer... »

    Dans les mines : « Les oubliés du phosphate »

    Les rails qui longent le complexe industriel de Gabès mènent au bassin minier de Gafsa, un parcours de 150 kilomètres vers l’Ouest de la Tunisie. C’est là que les phosphates sont extraits du sous-sol avant d’être envoyés à Gabès pour y être transformés. Là aussi, c’est une entreprise liée aux phosphates, la CPG [7], qui reste le principal employeur de la région. L’entreprise est l’un des plus gros producteurs de phosphates dans le monde (8 millions de tonnes en 2010). Mais a quasiment cessé d’embaucher [8].

    « Avec les modernisations des techniques d’extraction, la CPG a besoin de moins en moins besoin d’ouvriers, indique Taoufik Ain, de l’Association du bassin minier pour l’investissement et développement, à Moularés. Il y en avait 15 000 en 1980, on est à 5 000 aujourd’hui. » « En 2014, les pertes, aggravées par la baisse des cours du phosphate – entamée en 2012 et qui pourrait durer jusqu’en 2025 selon la Banque mondiale –, ont atteint 20 millions de dinars (8,8 millions d’euros) en 2014 », précise le journal Jeune Afrique

    Dynamite, poussières, cancers

    Dans cette région du Sud-Ouest, le chômage atteint 29 %. A la désespérance sociale se mêlent les problèmes sanitaires. « Les poussières provoquent des maladies respiratoires, des cancers. Il y a aussi des problèmes de dents à cause du fluor présent dans l’eau. Les os peuvent se casser. » L’absence d’hôpital à Gafsa contraint les habitants à se rendre à Tunis ou Sousse. Dans cette zone aussi, les habitants constatent l’épuisement de l’eau souterraine. « Il n’y a pas d’agriculture possible avec ces ressources en eau qui diminuent. »


    « Le problème, ce n’est pas le phosphate, mais la façon dont on le traite », précise Zaybi Abdessalem, de l’association Mlal environnement. « Pour l’extraire, on utilise de la dynamite. Les secousses sont entendues tous les jours, à midi. Elles ébranlent les maisons, causent des fissures chez ceux qui sont à un ou deux kilomètres. Plus on met d’explosif pour extraire davantage de phosphate, plus les poussières se dispersent sur le territoire. » Pour éviter que les poussières ne se répandent dans l’environnement, le phosphate doit normalement être humidifié lors du transport. « Comme ils veulent gagner du temps et de l’argent, ils ne le font pas. Au Maroc, ils respectent les normes alors qu’ils extraient deux fois plus de phosphate. Ici, ils veulent en vendre plus et ils se fichent de notre santé ! » Depuis quatre ans, la vie des « oubliés du phosphate » bat au rythme des revendications sociales, des grèves et des mouvements protestataires (voir la bande annonce de Maudit soit le phosphate, un documentaire sur les grèves et leur répression).

    http://primed.tv/maudit-soit-le-phosphate/

    De Gabès à Gafsa : « pollueur payeur »

    Une telle industrie, même en s’adaptant, peut-elle être plus respectueuse de l’environnement ? C’est le point de vue des responsables des associations du bassin minier de Gafsa. « L’eau qui sert à laver le phosphate pourrait être réutilisée au moins deux fois pour le lavage des nouvelles roches », illustre l’un d’eux. Ce qu’ils espèrent surtout, c’est une redistribution d’une partie de l’argent du phosphate pour soutenir le développement de la région, en termes de soins de santé ou d’éducation. « Nous avons le droit de vivre dans un bassin minier propre. Il faut respecter la loi et sinon, on doit retirer la licence de l’entreprise ! »

    A Gabès, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), centrale syndicale, réclame l’application du principe « pollueur payeur ». « Il n’y a pas d’équilibre entre un secteur qui produit beaucoup d’argent, mais aussi beaucoup de dégâts. Rien n’a été fait depuis les années 1970. Nos services sanitaires ne sont pas à la hauteur. Les habitants sont obligés d’aller à Sfax ou Sousse pour se faire soigner. Malgré les législations tunisiennes, aucune étude d’impact n’est réalisée. » Le syndicat demande lui aussi un soutien au développement économique et social de la région.

    Changer de modèle de développement

    Autour du complexe chimique, les citoyens n’attendent plus que l’entreprise agisse. Ils multiplient les projets pour sauvegarder l’oasis de Gabès, construisant des retenues d’eau, soutenant l’installation de paysans, développant un tourisme solidaire et la commercialisation de produits locaux (voir notre reportage). Ensemble, ils démontrent qu’un autre développement de la région est toujours possible. Mais réussiront-ils si l’eau ne revient pas ?

    A l’autre bout de la filière, en France et en Europe, les engrais phosphatés contribuent à une dégradation générale de la situation environnementale. Combien de temps faudra t-il pour réguler un système destructeur pour l’environnement et la santé, dans lequel les habitants et les agriculteurs sont pris au piège ? Au-delà de la seule limitation des phosphates dans les lessives et détergents pour lave-vaisselles à usage domestique...

    Texte : Simon Gouin et Sophie Chapelle

    Images (photos et vidéos) : Nathalie Crubézy / Collectif à vif(s)

    - Le reportage photo est tiré du projet en cours "Time for change : pour une production et une consommation soutenables des matières premières" porté par l’Aitec, en partenariat avec Attac, Bastamag et le collectif à-vif(s)

    Notes

    [2La concentration excessive de phosphates dans l’eau entraine une eutrophisation des rivières à débit lent des lacs, des réservoirs et des zones côtières, qui se manifeste par une prolifération d’algues bleu-verte, une moindre infiltration de la lumière, la raréfaction de l’oxygène dans les eaux de surface, la disparition des invertébrés benthiques et la production de toxines nuisibles aux poissons, au bétail et aux humains. Source

    [3La Chine, le Maroc et les États-Unis assurent à eux-seuls plus des deux tiers de la production mondiale de phosphates, voir U.S. Geological Survey, Mineral Commodity Summaries, Janvier 2015 Source

    [4The World Phosphate Market, What Risk for the European Union, Inra, Juin 2014 (voir ici).

    [6« La quantité de phosphates produite a pu atteindre 3,9 millions de tonnes de phosphates maximum par an à Gabès, illustre Noureddine Trabelsi. Aujourd’hui on est à deux millions de tonnes. »

    [7La CPG, compagnie des phosphates de Gafsa, est une entreprise publique qui a fusionné en 1994 avec l’un des principaux groupes industriels en Tunisie, le Groupe Chimique Tunisien (également public).

    [8Un plan stratégique de réforme intitulé « Plan de réhabilitation de la CPG » fut mis en place par le gouvernement tunisien à partir de 1985. Financé par des prêts, de la Banque mondiale puis de la Banque africaine de développement, ce plan prévoyait notamment la mécanisation de la production, la réduction des charges et des coûts d’exploitation et la réduction des effectifs. Voir les rapports disponibles sur le site de la Banque africaine de développement

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    http://www.bastamag.net/La-malediction-des-phosphates-les-dessous-de-l-agriculture-chimique

  • La Tunisie sous le choc, après l’attentat terroriste (Essf)

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    Le 26 juin, la Tunisie a été frappée une seconde fois (1) par un attentat terroriste qui a coûté la vie à 38 personnes.

    Ces deux opérations terroristes mettent à nu de graves défaillances au niveau des services de sécurité tunisiens. Leurs impacts sur l’ensemble de la société, plus particulièrement sur les conditions de vie des classes populaires, seront, très probablement, lourds de conséquences.

    En effet, la cible est à nouveau le secteur touristique, gros pourvoyeur d’emplois et de ressources pour une partie de la population, certaines municipalités et l’Etat.
    Les millions de touristes, en grande majorité européens, qui visitent la Tunisie depuis plus quarante ans ont par ailleurs enrichi la culture locale, par un apport de diversité et de tolérance, aux antipodes de l’idéologie du terrorisme djihadiste. Les commanditaires des deux opérations cherchent aussi à saper le moral des Tunisiens, qui sont le meilleur rempart contre la volonté djihadiste de déstabiliser la société.

    La raison principale des défaillances sécuritaires graves du Ministère de l’Intérieur est, sans aucun doute, le choc qu’il a subi à la suite de l’ascension au pouvoir des islamistes en janvier 2012. Ces derniers ont cherché à s’approprier ce ministère, ou du moins à en contrôler les principaux services, pour garantir leur maintien au pouvoir et pour faciliter l’application de leur projet totalitaire d’islamisation de la société. Malgré la démission de leur gouvernement en janvier 2014, puis leur défaite aux élections de fin 2014, ils ont maintenu leurs positions au sien de l’appareil sécuritaire. Aussi bien par le biais des milliers de nouvelles recrues islamistes, que par la nomination de ministres de l’Intérieur islamistes, ou bien pro-islamistes notoires.

    Il est important de noter aussi que les deux attentats se sont produits à un moment où le mouvement social était en pleine effervescence.

    Le premier semestre 2015 a en effet connu un mouvement de grèves sans précédent, engageant des centaines de milliers de travailleurs, surtout dans la Fonction publique. Parallèlement, le bassin minier était secoué par une énième révolte, pour protester contre la misère et le chômage qu’il récolte en contrepartie des richesses qu’il produit. La région frontalière avec la Lybie était par ailleurs traversée par des mini-soulèvements répétitifs, qui mettaient en branle des masses déshéritées.

    En face, un gouvernement quadripartite, associant notamment les deux partis qui sont arrivés premiers lors des élections législatives d’octobre 2014 (Nidaa Tounes et Ennahdha). Un gouvernement velléitaire et sans programme, se contentant d’appliquer sagement des politiques néolibérales dictées de l’étranger. Des politiques incapables de stopper la dégringolade économique, de soulager la souffrance sociale dans laquelle est plongée la majeure partie de la population et de redonner espoir aux Tunisiens.

    La société tunisienne est actuellement dans un état de choc. Le mois de jeûne du Ramadan conjugué à la chaleur de l’été, la cherté de la vie, les menaces djihadiste et l’absence d’alternative sont autant de facteurs qui pèsent lourds sur les épaules des Tunisiens. L’impasse sociale et politique persiste et pèse sur le moral général.

    Aucune force politique, n’émerge actuellement du lot avec un projet d’avenir, un programme et un guide d’action pour réaliser les revendications de la révolution. Pourtant, jamais en Tunisie le désir de changement et la volonté manifeste de le réaliser n’ont été si massivement partagés et si puissamment exprimés. La révolution n’a pas encore réussi à changer le système dominant, mais elle a déjà permis la transformation du peuple qui le subi. C’est cela le vrai atout pour l’avenir.

    Tunis, le 3 juillet 2015

    Note : L’attentat survenu au Bardo le 18 mars a causé la mort de 24 personnes.

    * Fathi Chamkhi est militant de RAID (Attac & Cadtm) et de la LGO, Fathi Chamkhi est député Front populaire à l’Assemblée des Représentants du Peuple.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article35413

    Ce texte a été écrit pour « l’Anticapitaliste hebdo » la veille de la proclamation de l’état d’urgence qui a fait l’objet d’une déclaration du Front populaire le 7 juillet.
    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article35383

  • L’état d’urgence décrétée enTunisie : Réponse au discours du président de la République (Essf)

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Le Front Populaire a rendu publique une déclaration en réponse au discours du président de la République Béji Caïd Essebsi à propos de sa décision de décréter l’état d’urgence dans le pays :

    Le chef de l’Etat s’est adressé le samedi soir 3 juillet 2015 au peuple tunisien annonçant à la fin de son discours qu’après avoir consulté le président de l’Assemblée des représentants du peuple et le chef du gouvernement, il a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire de la République pour une période de trente jours, conformément à l’ordonnance n° 50 de 1978. Le chef de l’Etat a justifié sa décision par la dégradation de la situation économique et sociale, et notamment par le grand nombre de grèves et de protestations populaires et l’accroissement des dangers sécuritaires qui menacent la stabilité du pays, allant jusqu’à prétexter qu’il suffit d’un nouvel attentat comme celui de Sousse pour que l’Etat s’écroule.

    Tout en rappelant :
- sa position de principe sur le terrorisme, dont il a été premier à subir les affres par l’assassinat de deux de ses dirigeants, à savoir les martyrs Chokri Belaïd et Hadj Mohamed Brahmi ;
- son appel anticipé à la nécessité de tenir une conférence nationale pour définir une stratégie nationale pour lutter contre le terrorisme ;
et à prendre des mesures urgentes, sérieuses et efficaces, comme ébauche préliminaire à cette stratégie, sans toutefois porter atteinte à la liberté des Tunisiennes et des Tunisiens et à leurs droits ;

    Le Front populaire estime qu’il est nécessaire d’émettre les remarques suivantes sur le discours du chef de l’Etat et sa décision de décréter l’état d’urgence :

    1 - Le chef de l’Etat n’a pas été convaincant dans son discours, survenu après environ une semaine de l’attentat de Sousse, car il n’a pas démontré l’existence de motifs nouveaux et exceptionnels qui imposent au pouvoir de décréter l’état d’urgence. Au contraire les justifications qu’il a avancées ne constituent pas des faits nouveaux et ne nécessitent pas obligatoirement une décision exceptionnelle. Elles nécessitent plutôt des mesures visant à améliorer l’état de préparation des forces armées et des appareils de sécurité intérieure pour remédier aux manquements et aux défaillances qui ont été les causes réelles principales des pertes terribles causées par presque la totalité des opérations terroristes ayant frappé les forces armées et de sécurité ou des civils (Bardo, Sousse). Ces manquements et défaillances ne seront pas réglés par la mise en œuvre de l’état d’urgence.

    2 - Que le chef de l’Etat consacre la première partie de son discours à étaler les difficultés de la situation économique et sociale et focalise sur les « désagréments » des mouvements sociaux et des grèves, en jugeant la majorité de ces mouvements d’« illégitimes » et par conséquent les plaçant dans la case de la « désobéissance civile », cela signifie qu’il met les luttes et les mouvements sociaux en tête des motivations de sa décision de décréter l’état d’urgence, les priorisant sur les raisons sécuritaires, et même sur le terrorisme. Ceci dénote d’une attitude grave qui fait l’amalgame entre le terrorisme et les luttes sociales, en vue de criminaliser ces dernières.

    3 - Le chef de l’Etat qui, abusivement, fait porter au mouvement social la responsabilité dans la dégradation de la situation sécuritaire, le considérant comme une cause directe de la décision de décréter l’état d’urgence, n’a pas pipé mot sur la responsabilité des gouvernements successifs, y compris surtout le gouvernement de son parti et de ses alliés d’Ennahda, dans l’état d’effondrement économique et social du pays, et dans la détérioration de la situation sécuritaire, conséquences de choix impopulaires et antinationaux qui ne répondent pas aux exigences de la situation, notamment en matière des questions sociales et sécuritaires.

    4 – Lorsque le chef de l’Etat souligne dans son discours qu’aucune atteinte ne sera portée à la liberté de la presse, en exigeant que l’exercice de cette liberté ne devra pas « troubler la situation » ou « rendre difficile le processus de la lutte contre le terrorisme », il laisse échapper un indice d’un possible durcissement du contrôle de la liberté d’expression et la presse. Aussi faut-il comprendre que s’engager à ne pas porter atteinte à la seule liberté de la presse ne veut pas dire que les autres libertés seront à l’abri de toute atteinte.

    5 – Le fait de s’appuyer sur la loi 50-1978, publiée le 26 janvier de 1978, pour décréter l’état d’urgence est de mauvais augure quand on connait les conditions dans lesquelles cette loi a été adoptée (la grève générale décrétée par l’Union générale tunisienne du travail pour se défendre et défendre les travailleurs, et durant laquelle des dizaines de martyrs sont morts par les balles des forces de sécurité et des milices du parti Destour). Une loi considérée à l’époque contraire à la Constitution, et forcément à la nouvelle Constitution de la Tunisie à laquelle le chef de l’Etat ne fait aucune référence dans son discours, ce qui nourrit les doutes sur la constitutionnalité de la décision prise.

    6- Les allégations du chef de l’Etat qu’un nouvel attentat similaire à celui de Sousse peut mener à « l’effondrement de l’Etat » sont irresponsables et inacceptables, parce qu’elles tendent à faire peur aux Tunisiennes et aux Tunisiens et à les amener à accepter l’état d’urgence, ou plutôt à troquer leur liberté contre la sécurité. La Tunisie et son peuple sont très forts, impossible de les faire s’ébranler par des attentats terroristes. Plus encore ils sont capables d’affronter et de vaincre les forces et les groupes qui ont perpétré ou soutenu des attenants ou ceux qui les protègent, à condition de déterminer les causes véritables qui ont empêché et empêchent toujours d’affronter le terrorisme avec l’efficacité qui s’impose, malgré les efforts déployés par les forces de sécurité et l’armée.

    7- Le Front populaire, tout en étant conscient qu’affronter le terrorisme exige des efforts exceptionnels, souligne que ces efforts manqueront d’efficacité s’ils se limitent aux aspects de sécurité et ne s’intègrent pas dans une stratégie nationale globale qui prend en compte toutes les dimensions économique, sociale, politique, culturelle, religieuse et diplomatique de la question.


    Comme ébauche préliminaire à cette stratégie il faut :


    - établir la vérité sur l’assassinat des deux martyrs Chokri Belaïd et Hadj Mohamed Brahmi et tous les martyrs des forces de sécurité ;


    - revoir les nominations ;

    
- enquêter sur les appareils de sécurité parallèles ;


    - dissoudre les associations suspectes et faire face aux gangs de la contrebande ;


    - juger tous ceux qui sont impliqués dans le terrorisme, par leur indulgence à son égard ou par la protection qu’ils lui assurent.

    8- Le Front populaire, qui a toujours milité pour maintenir l’unité du peuple tunisien et fait face à toutes les tentatives de briser cette unité, rejette catégoriquement les faux appels à l’unité nationale qui cachent mal l’échec de la coalition au pouvoir, de par sa composition hybride et ses choix impopulaires, à apporter des solutions aux problèmes du pays, y compris la lutte contre le terrorisme. Des appels qui par ailleurs brouillent les réalités concernant les circonstances dans lesquelles le terrorisme a pris racine et s’est développé dans notre pays, tout en exonérant le gouvernement de la troïka dirigé par Ennahda de ses responsabilités y afférentes.

    9- Le Front populaire sera toujours avec les revendications et les luttes légitimesde toutes les catégories sociales et populaires rejetant tout amalgame avec le terrorisme. Le Front populaire sera aussi aux côtés des travailleuses et des travailleurs des médias qui font leur travail d’informer et d’éclairer les Tunisiennes et les Tunisiens, rejetant tout ce qui pourrait les empêcher de l’accomplir. Le Front populaire est convaincu que le terrorisme ne peut être vaincu par le retour à la tyrannie, et que le peuple tunisien est capable de le vaincre tout en jouissant de sa la liberté, de ses droits et de sa dignité.

    10 – Pour toutes ces considérations, le Front populaire estime que cette décision est hâtive, injustifiée et par conséquent inefficace pour affronter le phénomène du terrorisme. Aussi est-elle incompatible avec la Constitution (notamment les articles 49 et 80) et peut mettre davantage en péril les secteurs du tourisme du commerce et l’économie dans son ensemble.

    Le Front populaire demande le retrait de cette décision et d’envisager immédiatement d’autres alternatives pour lutter contre le phénomène du terrorisme.

    
Le Conseil des secrétaires généraux du Front populaire


    Tunis, le 7 juillet 2015* Traduit de l’arabe par Rafik Khalfaoui.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article35383

  • L’état d’urgence décrété en Tunisie (CCR)

    Les maigres acquis démocratiques du printemps tunisien remis en question

    Suite à l’attentat au musée du Bardo du 18 mars (22 morts) puis contre la station balnéaire d’El-Kantaoui près de Sousse du 26 juin (38 morts), le président tunisien Beji Caid Essebci vient de décréter l’état d’urgence dans tout le pays. Dans un contexte de montée du mécontentement social, de la réouverture d’un cycle de grève et d’occupations durant ces derniers mois, d’une impopularité croissante de la part du gouvernement de coalition composé des islamo-conservateurs d’Ennhada et de l’alliance des partis républicains laïcs hérités d’une recomposition des forces bénalistes, le pouvoir en place utilise le traumatisme que suscite ces attaques terroristes au sein de la population pour faire passer un renforcement autoritaire du régime : restrictions des libertés démocratiques fondamentales – de réunion, de presse, d’expression, interdiction des grèves – tout comme des garanties juridiques à la défense des suspects, l’état d’urgence vient renforcer la toute puissance de l’appareil d’Etat et renoue avec des traditions héritées de l’ancienne dictature.

    L’état d’urgence : un instrument ordinaire en Tunisie

    Selon le décret de 1978, l’état d’urgence en Tunisie « peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant par leur gravité le caractère de calamité publique ». Il donne au ministre de l’Intérieur et aux gouverneurs des régions qui sont les représentants de l’Etat sur le territoire une totale marge de manœuvre en matière de restrictions de libertés, que ce soit la liberté de circulation et d’attroupements, le droit de grève, la liberté de la presse et d’expression. En matière de répression, c’est la possibilité d’incarcérer tout suspect pendant des délais excédants toute limitation juridique.

    Seulement quelques heures après les attentats de Sousse, la ministre du tourisme, Selma Elloumi Rekkik déclarait en ces termes : « des mesures dures vont être prises. Tout va changer maintenant. Il faut prendre très au sérieux les attaques contre l’Etat, les abus de langage, les excès ».

    Loin d’être une exception liée au contexte de la menace terroriste, la pratique de l’état d’urgence a une histoire très récente en Tunisie. Après la chute du régime de Ben Ali, l’état d’urgence a été décrété sur tout le pays de 2011 à 2014. Exercé certes avec « un certain relâchement » obligé par la pression populaire du mouvement révolutionnaire en cours, il n’a pas moins été décrété dans l’optique d’éviter la contagion et le maintien de la dynamique de contestation et de parvenir à un retour à l’ordre plus rapide. En effet, les vagues d’arrestations et de répression qui ont suivi l’élection du premier gouvernement post-Ben Ali, notamment au sein de la jeunesse qui avait joué un rôle dans l’impulsion des mouvements du printemps tunisien, a sévi lors d’une période de relative accalmie et de contention et de détournement temporaire de la révolte sociale par le processus électoral.

    L’instrument de la menace terroriste pour réprimer la contestation sociale

    A quatre ans de la chute de Ben Ali, tandis que se sont succédés au pouvoir à la fois le parti islamiste d’Ennahdha puis la coalition associant ces derniers aux partis laïcs de l’opposition, les revendications sociales pour le « pain et la dignité », symptomatiques de celles de 2011, refont surface.

    Les derniers mois montrent une véritable remontée des luttes : grève des juges et des professeurs de l’enseignement primaire, grève sauvage des cheminots de la ville industrielle de Sfax contre l’avis de la centrale syndicale la plus importante du pays que constitue l’UGTT, blocage de la production de phosphate par les mineurs, ce sont également près de 450 actions de protestation qui ont été recensées au cours du mois de mai, avec notamment le mouvement des diplômés-chômeurs. La grogne sociale accumulée par les déceptions de l’ère démocratique ouverte après Ben Ali amène à la recomposition d’un mouvement de contestation potentiellement révolutionnaire, similaire à celui de 2011 du point de vue de sa radicalité et de son ampleur.

    Avec cette toile de fond, les attentats terroristes sont autant une barbarie qu’une opportunité politique que saisit le gouvernement tunisien pour légitimer l’usage d’une répression sévère, y compris à l’égard des droits démocratiques dont il se réclame l’héritier et le défenseur et mater la contestation sociale.

    Dérive autoritaire et retour sur les quelques concessions héritées du printemps tunisien

    Parmi les pays qui ont connus les processus des révolutions arabes, l’Egypte et la Tunisie ont été les plus avancés. Le processus égyptien a connu une défaite dans la première phase qui l’a conduit jusqu’aujourd’hui, et cela par l’instauration d’un coup d’Etat contre-révolutionnaire, après une interlude de réaction démocratique menée par les Frères Musulmans.

    En Tunisie, les islamistes d’Ennahdha n’ont pas choisi la même voie : leur démission du gouvernement en février 2013, mais surtout le rôle clef qu’a pu joué la direction de l’UGTT pour mener la concertation nationale entre les différentes franges du pouvoir et contenir le mouvement de masse, a permis d’éviter une issue contre-révolutionnaire plus drastique – comme ce fût le cas en Egypte. Cependant, les contradictions économiques et sociales en Tunisie, dont le resurgissement de la classe ouvrière et de la contestation sociale sont l’expression ont créé une crise de l’autorité de l’Etat. La menace terroriste constitue la meilleure excuse de l’actuel gouvernement pour se renforcer de manière autoritaire et mettre en danger les maigres concessions obtenues et qui se maintiennent comme sous-produits de la déviation contre-révolutionnaire du processus révolutionnaire tunisien.

    Face à ces attaques, des secteurs de la gauche et du mouvement démocratiques en Tunisie critiquent le tournant bonapartiste du gouvernement. Déjà, la réintégration d’Ennahdha en son sein en février 2015 en faisant un gouvernement d’union nationale. Le caractère centrale du maintien de ce régime réactionnaire pour les intérêts de l’impérialisme français au Maghreb exige l’amplification de cette dénonciation et la lutte contre cet état de fait, en organisant notamment des rassemblements devant l’ambassade de la Tunisie à Paris pour réclamer son arrêt. Nina Kirmizi

    http://www.revolutionpermanente.fr/L-etat-d-urgence-decrete-en-Tunisie-les-maigres-acquis-democratiques-du-printemps-tunisien-remis-en

    Commentaire: CCR est un courant interne du NPA

  • Tunisie : Le terrorisme ne nous fera pas plier (Essf)


    La Tunisie est une fois encore meurtrie dans sa chair par le terrorisme djihadiste, l’assassinat et le meurtre.

    Des dizaines de victimes, on avance provisoirement le chiffre de 37 morts et plusieurs blessés dans le complexe touristique El Kantaoui à Sousse (Tunisie).

    Ce même jour, deux autres attentats terroristes djihadistes ont eu lieu en France dans l’Isère et au Koweït dans une mosquée.

    Après l’attentat du Bardo, cette attaque meurtrière vise, à n’en pas douter, à semer la peur et la terreur, à faire capoter la saison touristique, à mettre à genoux l’économie tunisienne déjà bien en difficulté et la remise en cause des libertés en Tunisie.

    Les Tunisiennes et les Tunisiens vivant en Ile-de-France, les associations démocratiques, partis politiques progressistes et organisations non-gouvernementales :

    - CONDAMNENT AVEC LA PLUS GRANDE VIGUEUR CES LÂCHES ATTENTATS TERRORISTES DJIHADISTES.

    - S’INCLINENT DEVANT TOUTES LES VICTIMES ET PRÉSENTENT LEURS CONDOLÉANCES A LEURS FAMILLES.

    - LANCENT UN APPEL A L’UNITÉ DU PEUPLE TUNISIEN ET A LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE CONTRE CE FLÉAU.

    - LE TERRORISME NE PASSERA PAS ! LE TERRORISME NE NOUS FERRA PAS PLIER !

    Ils appellent à un

    Rassemblement unitaire Samedi 27 juin 2015 à partir de 17 heures

    à Paris, Place du Châtelet

    Événement Facebook : https://www.facebook.com/events/464898533676583/

    Signataires :

    - ADTF : Association Démocratique des Tunisiens en France
    - AIDDA : Association interculturelle de production, de diffusion, de documentation audiovisuelles
    - AMF : Association des Marocains en France
    - ATF : Association des Tunisiens en France
    - ATMF : Association des Travailleurs Maghrébins de France
    - Association Tunisie Plurielle
    - CCC : Chemins Croisés des Civilisations
    - CFT : Collectif des Femmes Tunisiennes
    - Collectif 3C
    - Courant Populaire
    - CRLDHT : Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l ’ Homme en Tunisie
    - El Joumhouri
    - Front Populaire
    - FTCR : Fédération des Tunisiens citoyens des deux Rives
    - Idéal 92
    - Manifeste des libertés
    - Massar France Nord
    - MCTF : Mouvement Citoyen des Tunisiens en France
    - Parti des travailleurs
    - PPDU : Parti des Patriotes Démocrates Unifiés
    - REMCC : Réseau Euro-Maghrébin Culture et Citoyenneté
    - Union syndicale Solidaires
    - UTAC : Union des Tunisiens pour l’Action Citoyenne
    - Younga Solidaire

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article35276

  • Tunisie: Gratuité des soins dans tous les hôpitaux pendant une semaine (Afriques en lutte)

    Le bureau exécutif de la fédération générale de la santé relevant de l’UGTT a indiqué, vendredi 19 juin 2015, que tous les patients bénéficieront de la gratuité des consultations et des soins, tout le long de la grève administrative décrétée par les agents de la santé du 22 au 27 juin courant.

    Le bureau exécutif a ajouté, lors d’un communiqué rendu public aujourd’hui, que tant que le ministère de la Santé n’aura pas satisfait les revendications des agents de la santé, cette action pourrait se prolonger.

    Par ailleurs, la fédération générale de la santé a expliqué cette action par l’indifférence totale des autorités concernées quant aux répercussions d’un tel acte.

    Sporce : Jawhara FM 23 juin 2015

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/tunisie/article/tunisie-gratuite-des-soins-dans

  • Un morceau de rap tunisien devient un hymne de la jeunesse (Global Voices)

     *

    Le 14 septembre dernier, les artistes tunisiens Hamzaoui Med Amine et Kafon publiaient leur nouvelle chanson, ‘Houmani’. Avec plus de 3,4 millions de vues sur YouTube à ce jour, c'est devenu l'hymne de la jeunesse tunisienne.

    Le clip vidéo, dont la production n'a coûté que 250 dinars (environ 112 euros), dépeint la vie quotidienne des habitants d'un quartier défavorisé.

    En dialecte tunisien, l'adjectif Houmani est dérivé du nom Houma, qui peut se traduire par ‘quartier populaire’.

    Ahd Kadhem, un Irakien, explicite le terme Houmani [arabe] :

    Houmani s'applique à quelqu'un qui vit dans un quartier populaire. Un quartier populaire en Tunisie se dit Houma… Et le rap parle de ces zones habitées par la classe pauvre, dont les dirigeants et les personnalités parlent rarement

    Dans la chanson, Hamzaoui et Kafon décrivent la vie des jeunes qui habitent les quartiers populaire de Tunisie. Extrait des paroles :

    Nous vivons comme des ordures dans une poubelle…[la vie] est étouffante ici

    Le blogueur Mehdi Lamloum explique les raisons du succès :

    7oumani, une chanson simple, avec un titre étrange et un clip produit a peu de frais a créé des débats énormes ces dernières semaines…Et c’est ce qui est intéressant dans cette oeuvre. Elle est entrée rapidement dans la culture populaire en générant des conversations et débats sur plusieurs sujets…La question des quartiers populaires vs quartiers riches, même si elle n’est pas directement abordées dans la chanson, y est très présente. Une question a émergé a ce propos sur … qui a le droit d'écouter 7oumani?
    Est-ce que les habitants des “quartiers riches”… ont le droit de s’identifier au quotidien que relate 7oumani?

    Et d'ajouter :

    Ceux qui critique la chanson sur un point de vue musical ont parfaitement raison…
    Mais ils devraient voir ce qu’il y a au-delà du morceau lui-même : une oeuvre qui a réussi a transcrire une partie de ce que ressentent les tunisiens, qu’ils viennent des quartiers populaires ou pas, qu’ils vivent le quotidien décrit ou pas…

     

    Hassan

    je viens de voir une chanson marocaine qui vient d’étre publiée sur YOUTUBE est elle trés semblante à Houmani voilà le lien :
    https://www.youtube.com/watch?v=nXsoFukUeVs

  • Tunisie : Soutien à la lutte des instituteurs/trices et à leur syndicat UGTT (Essf)

    Une nouvelle fois, nous réaffirmons le soutien de l’Union syndicale Solidaires et de la fédération Sud Education à la lutte menée depuis des mois par le personnel de « l’Enseignement de base » en Tunisie.
    A cause des choix politiques du gouvernement tunisien, l’année scolaire 2014/2015 a été marquée par de nombreuses journées de grèves ; pour s’en tenir seulement au dernier trimestre : 15 avril, 12 et 13 mai, 26, 27 et 28 mai.

    Toutes ces grèves ont été très massivement suivies, marquant l’engagement massif des instituteurs et des institutrices dans l’action collective menée par le syndicat de l’UGTT.

    Au lieu d’accepter des négociations, le gouvernement a « joué la montre », multipliant les réunions et parfois les engagements non suivis d’effet. Pourtant, les revendications sont légitimes :


    * Abaissement de l’âge du départ volontaire à la retraite à 55 ans pour les enseignants et enseignantes ayant achevé 35 ans de service.
    * Octroi d’une promotion exceptionnelle aux instituteurs et institutrices, trois ans avant leur départ à la retraite.
    * Homologation des diplômes délivrés par les instituts supérieurs de formation des instituteurs et institutrices, avec le diplôme de fin d’études du premier cycle de l’enseignement supérieur, en l’occurrence la licence.
    * Création d’une indemnité de travail administratif et d’une indemnité de fin de service, conformément au statut des instituteurs déjà paru dans le journal officiel de la République tunisienne
    * Régularisation de la situation professionnelle des instituteurs et institutrices suppléant-es.
    * Doublement des montants de la prime d’affectation et de l’indemnité de la rentrée scolaire ainsi que la révision à la hausse du nombre des bourses universitaires accordées aux descendant-es des enseignant-es.
    * Ouverture d’un « dialogue national responsable et sérieux » sur la réforme du système éducatif afin d’améliorer le niveau des élèves et la crédibilité des diplômes nationaux.

    Face au blocage du ministère, le syndicat a du recourir à une « grève administrative » et donc à la non-organisation des examens de fin d’année ; mouvement, lui aussi, très suivi.
    Après cette nouvelle étape dans la lutte massive et résolue des instituteurs et institutrices, le gouvernement répond encore une fois par la répression : annonce du retrait de 5 jours de salaires, menaces de les priver de salaires en juillet et août si le travail ne reprend pas d’ici le 28 juin, et tentatives de détournement des lois et règlements en vigueur pour essayer d’annuler les effets du boycott !

    En solidarité, le Syndicat général de l’enseignement secondaire de l’UGTT a annoncé sa décision de boycotter toutes les étapes du concours d’accès aux collèges. Le syndicat a appelé les directeurs de collège et lycée, les professeurs de l’enseignement secondaire et de l’éducation physique et tout le corps administratif des délégations régionales et des directions centrales relevant des ministères de l’Education, de la Jeunesse et du Sport, à boycotter toutes les étapes du concours de la sixième. En effet, la mesure du ministère relative au déroulement des épreuves écrites de ce concours dans les collèges et les lycées vise à saper la décision de la commission administrative sectorielle de l’enseignement de base de boycott du concours de la sixième année. Le syndicat de l’enseignement secondaire a réitéré son refus absolu de cette mesure « non conforme aux textes régissant l’organisation des concours nationaux ».

    Nous faisons connaître en France mais aussi à travers le Réseau syndical international de solidarité et de luttes, le combat mené par le syndicat de l’Enseignement de base de l’UGTT et notamment les décisions prises lors de sa Commission administrative du dimanche 14 juin :


    * Poursuite de la grève administrative selon les dispositions annoncées le 29 mai 2015.
    * Suspension de la participation aux commissions de la réforme éducative.
    * Boycott de la rentrée scolaire 2015-2016 selon des dispositions qui seront communiquées ultérieurement.

    L’Union syndicale Solidaires et la fédération Sud Education apportent tout leur soutien à la lutte des instituteurs et institutrices de Tunisie, réaffirment la nécessité d’une solidarité syndicale internationaliste et restent à disposition des camarades du syndicat de l’Enseignement de base de l’UGTT pour toutes initiatives permettant de renforcer le rapport de forces face au gouvernement.

    Pour l’Union syndicale Solidaires et la fédération Sud Education :
    * Stéphane Enjalran, secrétariat national de l’Union syndicale Solidaires
    * Nara Cladera, commissions internationales de Sud Education et Solidaires.

    Union syndicale Solidaires 15 juin 2015
     
  • Où en est le processus révolutionnaire tunisien ? (Essf)

     

    http://alencontre.org/wp-content/uploads/2013/08/3181375884486.jpg

    Cinq mois après la mise en place du nouveau gouvernement, la Tunisie voit s’aggraver sa crise économique et sociale : la croissance économique est faible, le chômage augmente et le pouvoir d’achat ne cesse de se dégrader.
    Simultanément, la dette explose et le FMI veut imposer que la Tunisie remplisse au 31 décembre tous les engagements liés à celle-ci. Cerise sur le gâteau, les heurts se multiplient entre l’armée et des groupes jihadistes.

    Une avalanche inégalée de luttes sociales

    Après l’effervescence ayant entouré le 14 janvier 2011, les mobilisations sociales se sont stabilisées puis ont reflué. Elles n’ont redémarré vraiment qu’après le départ des islamistes du gouvernement en janvier 2014 : fin octobre 2014 le nombre de jours de grève depuis le début de l’année avait déjà dépassé le total du record enregistré pour toute l’année 2011. Pendant le premier semestre 2015, on a assisté à une véritable explosion de grèves (1).

    Les grèves de ces derniers mois ont principalement été menées par des salariés ayant un emploi stable, essentiellement dans la fonction publique et le secteur public (2). Elles portent avant tout sur le pouvoir d’achat (classifications et primes), mais certaines d’entre elles incluent la volonté de défendre et améliorer le service public face à l’offensive néolibérale (3). Ces grèves, ont été parfois déclenchées de façon subite et sans préavis, comme dans les transports urbains, les chemins de fer ou l’électricité.

    Les mobilisations menées par les précaires et les chômeurs ont surtout pris la forme de sit-in et parfois de grèves de la faim (4). Il en a notamment résulté le blocage total du bassin minier de Gafsa pendant deux mois et la paralysie de toute l’industrie chimique tunisienne liée au phosphate. Dans le sud du pays, des chômeurs bloquent des sites de production de pétrole ou de gaz pour exiger des emplois et la contribution des sociétés pétrolières au développement de la région. Des confrontations violentes ont lieu avec les forces de l’ordre.

    Comme l’écrit Fathi Chamkhi (5), « la tension sociale est à son comble face à un gouvernement, critiqué de toute part, à qui les institutions financières internationales et l’Union européenne assignent la tâche suicidaire de maintenir le cap de l’austérité, de la restructuration néolibérale du marché intérieur ».
    Même si certaines luttes se terminent par des échecs, une série d’avancées ont été obtenues ces derniers mois : transports publics urbains, enseignement secondaire, personnel ouvrier des établissements scolaires, la poste, radio et télévision publique, ministère des transports, journalistes de la presse écrite, Orange, grandes surfaces, etc.

    Après environ deux mois de blocage total du bassin minier par les chômeurs de la région, quelques avancées ont été obtenues avec une promesse de 1 500 embauches dans les trois ans dont 520 dans les mois qui viennent (6). Mais ces mesures ne réglant pas le problème du chômage de masse dans la région (7), les mobilisations se poursuivent.

    Par ailleurs, une mobilisation est en cours pour combattre les tentatives de restreindre les libertés au nom de la lutte contre le djihadisme. Des projets de lois visent en effet à assurer l’impunité aux forces armées, permettre le recours à la peine de mort, banaliser les écoutes téléphoniques, condamner les auteurs d’articles critiquant les forces de l’ordre, etc. Simultanément, la police est accusée d’exactions contre les journalistes ainsi que d’actes de torture.

    Le positionnement de l’UGTT en débat

    La direction de la principale centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a connu une longue période de bon voisinage avec le syndicat patronal UTICA dans le cadre du « dialogue national » visant à mettre un terme aux violences islamistes. L’UGTT avait proposé cette orientation dès le 18 juin 2012 et avait fini par la mettre en place en octobre 2013. Dans ce cadre, elle avait fait passer les revendications sociales au second plan, suscitant l’impatience grandissante des secteurs les plus combatifs.

    Avec le départ, en janvier 2014, de la coalition gouvernementale dirigée par Ennahdha et Marzouki, les mobilisations sociales se sont multipliées.
    Dans ce contexte tendu, la direction centrale de l’UGTT a dénoncé publiquement certaines grèves :
    • soit pour non-respect de procédures comme le déclenchement soudain de grèves sans préavis, par exemple dans les chemins de fer ou l’électricité ;
    • soit pour franchissement de certaines « lignes rouges » comme le boycott des examens dans l’enseignement.

    Mais la direction centrale de l’UGTT a maintenu son habitude de faire en sorte qu’un accord acceptable par les principaux intéressés soit négocié. Rappelons que lors de la grève de la faim des ouvrières de Latelec en juillet 2014, c’est le secrétaire général de l’UGTT en personne qui a finalement pris les affaires en mains pour trouver une solution. (8)

    L’insatisfaction des salariés est telle que le Bureau exécutif serait de toutes les façons dans l’impossibilité d’endiguer la marée revendicative. Par ailleurs, l’époque est révolue où le Bureau exécutif était en capacité d’imposer ses volontés aux structures intermédiaires. Malgré les réticences du Bureau exécutif, le syndicat de l’enseignement secondaire avait par exemple maintenu son orientation qui a débouché sur une victoire historique. De même, le Bureau exécutif élargi du 5 juin a décidé de soutenir l’appel au boycott des examens par le syndicat de l’enseignement primaire, forme de lutte que le Bureau exécutif restreint avait précédemment publiquement condamné.
    Reste à connaître sur quoi déboucheront les menaces de sanctions internes annoncées contre les syndicalistes ayant organisé des grèves sans préavis dans les chemins de fer.

    Un phénomène conjoncturel vient amplifier cette évolution des rapports entre la direction centrale de l’UGTT et ses structures intermédiaires. Un congrès national est en effet annoncé pour fin 2016, et beaucoup de responsables sont attentifs au nombre de mandats que pourraient recueillir les différentes orientations et candidat-e-s en présence (9). Comme l’écrit Fathi Chamkhi, « le Secrétaire général de l’UGTT a fini par hausser le ton à l’égard des patrons, considérant que les salariés ont consenti d’énormes sacrifices, contrairement aux patrons qui s’en sortent plutôt bien, eu égard à la situation dramatique actuelle ».

    Les fédérations et syndicats qui sont à la tête des conflits actuels avaient joué un rôle central dans la solidarité avec les luttes du bassin minier en 2008-2010, puis dans le déclenchement des grèves générales régionales ayant contraint Ben Ali à partir. Ils font aujourd’hui le constat amer que les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 ont appliqué la même politique néolibérale que l’ancien dictateur. Certes, des marges de liberté ont été gagnées, mais sur le plan des droits économiques et sociaux, la situation est catastrophique : certains acquis existant avant la révolution ont même disparu.

    Nombre de ces militant-e-s aimeraient que l’UGTT joue un rôle de contre-pouvoir. Ils reprochent à la direction de la centrale d’avoir consacré l’essentiel de ses efforts à trouver un consensus pour sortir de la crise politique de l’année 2013, sans chercher à résoudre les problèmes économiques et sociaux. Beaucoup reprochent à la direction centrale d’être ensuite devenue un « partenaire » du pouvoir et estiment que c’est pour cette raison qu’elle ne répond pas aux demandes des syndicats qui la composent. Ils entendent se battre dans le cadre du prochain congrès national de l’UGTT pour un changement profond des orientations de la centrale syndicale ainsi qu’une démocratisation de son fonctionnement.

    Absence de débouché politique immédiat

    Entre le 14 janvier et le 27 février 2011, la Tunisie avait connu une période d’ouverture du champ des possibles. La mise en place du gouvernement Essebsi s’était accompagnée du torpillage des embryons de structures d’auto-organisation, avec notamment la mise en place d’une « Haute instance » ayant un rôle limité et uniquement consultatif. Le principal parti de la gauche, le PCOT (devenu depuis Parti des travailleurs), avait alors déclaré : « Le but de cette instance est de torpiller le Conseil national de protection de la révolution et de l’anéantir, pour que le gouvernement agisse sans aucun contrôle » (15 mars 2011). Un hiver islamiste de près de deux ans avait suivi les élections du 23 octobre 2011.

    Les bifurcations potentielles de l’histoire ayant suivi chacun des deux assassinats de dirigeants du Front populaire (6 février 2013 et 25 juillet 2013) ont été rapidement endiguées par les forces ne voulant pas de rupture avec l’ordre ancien. À la place s’est mise en place, entre octobre 2013 et fin 2014, une solution de « consensus national » autour de l’UGTT et du syndicat patronal UTICA (10).

    Suite aux élections de fin 2014, un gouvernement ayant pour fonction de tenter d’opérer une « normalisation » néolibérale a vu le jour (11).
    Même si des slogans demandant le départ du ministre de l’Education ont été lancés lors du rassemblement des instituteurs du 9 juin, le but des militant-e-s animant les luttes actuelles n’est pas de « dégager » le pouvoir en place. Ils veulent, par les mobilisations, lui imposer la satisfaction de droits économiques et sociaux, à commencer par l’application des accords conclus parfois depuis 2011.

    Et le Front populaire ?

    Les zigzags du Front en 2013 ont laissé de nombreuses cicatrices : atermoiements après l’assassinat de Chokri Belaïd (12), durcissement du discours début juillet 2013 (13), alliance avec Nidaa Tounès après l’assassinat de Mohamed Brahmi (14).
    Par la suite, le Front a connu en 2014 de nombreuses tensions autour de la désignation des têtes de liste aux législatives, des éventuelles alliances électorales et/ou gouvernementales, de la consigne de vote au second tour des présidentielles (15).

    Malgré cela, le Front n’a pas éclaté. Il a multiplié par 2,5 le nombre de ses députés et est arrivé en troisième position aux présidentielles avec 7,8 % des suffrages. De plus, il a exclu toute participation ministérielle, n’a pas voté le budget 2015 et a refusé de voter la confiance au gouvernement.
    Le Front populaire s’est ainsi positionné comme le leader de l’opposition politique au gouvernement néolibéral dirigé par Nidaa Tounès et Ennahdha.

    Ce Front rassemble aujourd’hui l’essentiel de la gauche, et aucune nouvelle force politique de gauche ayant un minimum de poids n’a été en capacité de se constituer depuis 2011. Même certain-e-s des militant-e-s qui ne ménagent pas leurs critiques à son égard se félicitent de l’existence du Front et estiment qu’il constitue une force susceptible de se radicaliser (16).

    Reste au Front à surmonter une série de faiblesses. Il y a tout d’abord sa difficulté à préciser son orientation en termes d’indépendance de classe, ainsi qu’à élaborer son programme. Il y a ensuite sa difficulté à se structurer.
    Deux autres questions clés concernent : la place des militant-e-s ne faisant partie d’aucune des organisations ayant constitué le Front ainsi que la très faible féminisation des structures du Front populaire. Tout cela se conjugue avec le débat sur la transformation éventuelle du Front en parti. Cette position semble majoritaire au sein de la base, mais est très minoritaire au niveau de la direction. La conférence d’octobre 2015 devrait permettre d’éclaircir ces différents points.

    La porte étroite de la LGO

    La Ligue de la gauche ouvrière (LGO) n’a vu le jour qu’au lendemain du 14 janvier, à partir de militant-e-s ayant appartenu une dizaine d’années auparavant à l’organisation tunisienne de la IVe Internationale. Ayant perdu une partie des militant-e-s qui ont participé à sa fondation, la LGO compte aujourd’hui moins d’une centaine de membres. Il convient de noter que toutes les tentatives de quitter la LGO pour créer une nouvelle force politique ont à ce jour échoué. La LGO reste faiblement structurée et dispose de ressources financières limitées. Ses militants les plus actifs doivent simultanément maintenir une insertion syndicale et/ou associative, construire la LGO et participer à la construction du Front.
    Peu de Tunisien-ne-s connaissent la LGO en tant que telle. Quant au Front populaire, il est avant tout connu par les déclarations de son porte-parole Hamma Hammami, dirigeant historique du Parti des travailleurs (ex-PCOT).

    Étant beaucoup plus faible que les deux organisations issues de la tradition marxiste-léniniste (Parti des travailleurs et Parti des patriotes démocrates unifiés), la LGO a souvent eu du mal à faire entendre sa voix au sein du Front. Le souci de ne pas se retrouver isolée a parfois poussé la LGO à un certain suivisme, comme par exemple fin juillet 2013 lors de la création du Front de salut national (FSN). Le congrès de la LGO a corrigé le tir en septembre de la même année en décidant à 80 % de sortir du FSN, tout en continuant à appartenir au Front populaire (17).

    Par la suite, la LGO a participé activement à la bataille pour que le Front refuse toute alliance électorale avec Nidaa Tounes ou des forces liées à ce parti. Les militant-e-s de la LGO se sont battu-e-s pour que Front refuse de voter le budget et la confiance au gouvernement, et à plus forte raison participe à ce dernier. Ses représentants avaient d’ailleurs annoncé par avance qu’ils étaient prêts à une rupture de discipline au cas où cette position ne l’emporterait pas. Ils n’ont heureusement pas eu besoin de le faire.

    La LGO dispose d’une certaine influence politique au sein du Front populaire, notamment par la présence de deux membres à la direction du Front populaire, qui sont également députés. L’opportunité s’ouvre à la LGO de jouer un rôle actif dans l’élaboration des réponses aux questions auxquelles le Front doit faire face aujourd’hui.

    Reste à la LGO à parvenir à se structurer, ainsi qu’à réussir à travailler collectivement avec ses deux députés. Le renforcement de ses liens internationaux, notamment au sein de la région arabe, pourrait être de nature à aider la LGO à se construire.

    Le 9 juin 2015 LEROUGE Dominique

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article35163

  • Tunisie: 24 personnes jugées pour l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd (Al Huff' Maghreb)

    Vingt-quatre personnes soupçonnées d'être impliqués dans l'assassinat en 2013 de l'opposant tunisien de gauche Chokri Belaïd vont être jugés à partir du 30 juin, ont annoncé jeudi à l'AFP le parquet et l'avocat de l'un des accusés.

    "La première audience devant la Cour pénale du tribunal de première instance de Tunis se tiendra le 30 juin", a déclaré le porte-parole du parquet, Sofiène Sliti.

    Les accusés sont tous Tunisiens, a-t-il ajouté, vingt-trois sont en détention et un comparaîtra libre. Ils sont poursuivis pour "incitation à commettre des crimes terroristes", "adhésion à des groupes en relation avec des organismes terroristes" et meurtre avec préméditation, a indiqué l'avocat de l'un des accusés, Samir Ben Amor, qui a pu avoir accès au dossier.

    Ils sont aussi soupçonnés d'avoir "fourni des informations, un local et des dons directs afin de financer des personnes ayant des activités terroristes" et d'avoir "fourni des armes et des explosifs à un organisme en relation avec des crimes terroristes", ont précisé Me Ben Amor et M. Sliti.

    Chokri Belaïd, avocat de 48 ans, militant de tendance marxiste et panarabiste et farouche critique des islamistes, avait été assassiné par balles le 6 février 2013 devant chez lui, dans un quartier résidentiel de Tunis.

    Un assassinat qui avait choqué le pays et provoqué une crise politique.

    Les autorités avaient attribué le meurtre à la mouvance jihadiste et annoncé en février 2014 avoir tué, dans une opération antiterroriste, son assassin présumé Kamel Gadhgadhi.

    En décembre, des jihadistes ralliés au groupe Etat islamique (EI) ont pour la première fois revendiqué l'assassinat de Chokri Belaïd et celui d'un autre opposant, le député Mohamed Brahmi.

    Mais la famille de Chokri Belaïd continue de dénoncer des "zones d'ombre" et de réclamer la vérité.

    "Pour nous, rien n'a changé (...). Nous dirons qu'il y aura eu du changement lorsque pour le troisième anniversaire, les gens (responsables de son assassinat) auront été identifiés et jugés et que nous aurons connu le scénario entier: qui a planifié, qui a financé, qui a couvert les terroristes", avait déclaré sa veuve, Basma Khalfaoui, en février.