Arte programme la série britannique "the promise" (le serment) de Peter Kominsky (GB 2010) : tenez-vous bien, c’est à 20h50 et ça dure six heures ! Pour un réveillon militant !!!
On pouvait lire cette présentation sur le site des Inrockuptibles :
“The Promise”, une saga épique sur le conflit israélo-palestinien
Grande figure de la télé britannique, Peter Kosminsky retrace dans The Promise l’histoire du conflit israélo-palestinien de 1946 à nos jours. Un récit épique où transpire l’amertume face aux racines de la guerre.
Depuis son téléfilm Warriors, tourné en 1999 et évoquant l’échec des casques bleus anglais en Bosnie, Peter Kosminsky s’attache aux fractures du monde contemporain. Héritier d’une longue tradition de la fiction télé anglaise, il porte un regard acéré sur son époque, en veillant à ne jamais sacrifier la recherche d’un souffle romanesque au souci de rigueur historique. Lorsqu’il écrit ses films, le réalisateur endosse d’abord des habits d’enquêteur : un long travail de préparation fondé sur des entretiens avec des témoins ou chercheurs impose son cadre à la fiction.
De la guerre en Bosnie à la rivalité entre Tony Blair et Gordon Brown au sein du Parti travailliste (Les Années Tony Blair, 2002), de l’intervention britannique en Irak (L’Affaire David Kelly – Le prix de la vérité, 2005) aux attentats terroristes à Londres (Les Graines de la colère, 2007), Kosminky assume le risque de sa propre intervention dans le cours d’une histoire inachevée et incertaine.
Une saga historique qui décrypte une actualité complexe
Avec son ambitieuse nouvelle série, The Promise (Le Serment) (4 x 90 min), il radicalise cette tentative d’éclairer l’actualité complexe, au risque de la simplification ou du parti pris politique, en se concentrant sur le conflit israélo-palestinien. Si sa méthode d’écriture est la même (des dizaines de témoignages d’anciens soldats britanniques présents en Palestine après la Seconde Guerre mondiale comme source d’inspiration du scénario), Kosminsky intègre ici une dimension supplémentaire à la matrice de son oeuvre : la saga historique, la restitution du passé comme un écho persistant du présent.
Sur un même territoire – la Palestine devenue Israël -, les années 1940 et 2000 se font face et s’enchevêtrent. L’espace reste unique, c’est le temps qui s’étire. La trame narrative trouve son point d’appui dans cet écart entre l’espace et le temps.
The Promise mêle deux niveaux de récit et deux groupes de protagonistes que soixante années séparent mais que les enjeux d’une guerre qui paraît éternelle rapprochent. Le film joue de ce double effet d’éloignement et de proximité, comme si le passé rattrapait sans cesse des personnages dont l’identité ne s’éclaire qu’à travers le miroir des racines (du mal).
L’héroïne, Erin (Claire Foy), Londonienne de 18 ans, rejoint pour ses vacances une amie qui vit en Israël. Elle découvre avant de partir le journal intime de son grandpère mourant, Len (Christian Cooke). Soldat anglais témoin de la libération du camp nazi de Bergen-Belsen, Len est envoyé en Palestine, à la fin de la guerre, pour maintenir la paix entre Juifs et Arabes, alors que l’Etat d’Israël n’est pas encore né, et que déjà apparaissent des tensions entre l’Irgoun, organisation armée sioniste, les populations locales et l’armée britannique.
Lisant au gré de son séjour en Israël le récit circonstancié de la mission de son grand-père en Palestine qui fait écho à la violence qu’elle découvre elle-même sur place, le voyage d’Erin se transforme en voyage initiatique, en parcours politique. D’une ignorance, naît une prise de conscience, d’une indifférence surgit une colère : une colère qui s’arrime à celle, jusque-là sourde et imperceptible, de son grand-père qu’elle réactive comme la reconnaissance de son héritage.
La révélation des attentats de l’Irgoun – notamment la célèbre attaque le 22 juillet 1946 de l’hôtel King David, abritant l’armée anglaise où 91 personnes furent tuées – se mêle à la violence des soldats israéliens dans les territoires palestiniens, à Gaza ou à Hébron, où Erin se rend pour tenter de retrouver les amis arabes de son grand-père à qui il a fait un "serment" : leur rendre la clé de leur maison, dont ils furent chassés en 1948, lors de la Nakba, ("catastrophe" en arabe) l’expulsion des Palestiniens de leurs terres.
L’histoire d’un échec avant tout collectif
Chez le grand-père et sa petite-fille, Kosminsky dépeint un même processus de désenchantement : l’un, soucieux de défendre la création légitime d’un Etat pour les Juifs, et l’autre, en phase avec la culture démocratique et ses amis israéliens, se heurtent à la présence d’un affrontement âpre et absurde. Le réalisateur ne triche pas avec le réel ; sa lecture du conflit reste sans ambiguïtés, mais pas sans nuances. Si The Promise n’épargne pas l’actuelle politique d’occupation menée par Israël, le film évite tout autant l’aveuglement sur les violences du camp opposé.
Les attentats, s’accumulant de tous côtés, annulent leurs effets respectifs. La violence en partage, plutôt que la terre, n’est que la trace d’un échec collectif. Le réalisateur oppose moins la vertu d’un camp au vice d’un autre qu’il ne critique la responsabilité originelle des Britanniques – son grand sujet – dans le processus de guerre continu. Pour ne pas avoir su laisser derrière elle, en 1948, une Palestine stable, la Grande-Bretagne porte selon lui une responsabilité cruciale dans la situation actuelle.
Par-delà cette relecture du conflit, le cinéaste excède le cadre réducteur d’un film politique à thèse pour conférer à son récit un souffle épique. Le Serment n’est pas un sermon idéologique mais une promesse romanesque. En faisant évoluer Erin et Len du silence vers la révolte, en suivant ceux qui partagent leur vie affective contrariée, Peter Kosminsky déploie un art du récit marqué par l’amplitude du regard tant sur les personnages que sur le cadre spatial (réel) dans lequel même les plus beaux serments se perdent.
Jean-Marie Durand
Interview de Peter Kosminsky sur le site de Télérama
On doit au Britannique Peter Kosminsky, ancien reporter de guerre et documentariste, quelques-unes des plus belles et des plus stimulantes fictions télévisées des quinze dernières années : Warriors, Les Graines de la colère, L’Affaire David Kelly, Les Années Tony Blair... Des œuvres en prise avec le réel, engagées et rigoureuses, accessibles sans être simplificatrices. Dans The Promise, une mini-série en quatre épisodes qu’il a écrite et réalisée, et que Canal+ diffuse à partir du 21 mars, Peter Kosminsky explore les racines du conflit israélo-palestinien sur deux époques étroitement entrelacées : la fin désastreuse du mandat colonial britannique en Palestine, entre 1945 et 1948, et ses répercussions, en 2005, à l’intérieur d’Israël et des territoires palestiniens. Un double récit appuyé sur le point de vue « candide » de deux citoyens britanniques – Erin, l’héroïne de la partie contemporaine, étant la petite-fille de l’ex-sergent Len Matthews, parachuté dans la Palestine de 1945 juste après la victoire alliée sur l’Allemagne nazie.
En février 2011, lors de son passage à Paris et de la première, Peter Kosminsky nous a accordé cet entretien au long cours.
Pourquoi teniez-vous autant à raconter deux histoires en même temps, l’une située dans le passé, l’autre dans le présent ?
En mettant les deux époques en parallèle, je voulais montrer que le passé a des conséquences sur le présent, et que la Grande-Bretagne a une responsabilité dans ce qui se passe aujourd’hui. Ce conflit reste une plaie ouverte dans la politique mondiale, et nous étions là à ses débuts. Si nous avions laissé la Palestine en meilleur état, il n’en serait peut-être pas ainsi. Je sais que c’est facile à dire, et je n’ai aucune solution à proposer. Mais quand la Grande-Bretagne a décolonisé, elle a fait de sacrés dégâts pratiquement à chaque fois. Il suffit de regarder autour de nous : l’Inde, le Pakistan, l’Afrique du Sud et, bien sûr, la Palestine. Il y a peu d’exemples d’harmonie inter-ethnique dans les pays que nous avons quittés. Nous avons souvent laissé ces questions irrésolues, et sommes retournés chez nous aussi vite que les convenances le permettaient.
Pourquoi avez-vous situé en 2005 la partie contemporaine de la série ?
Cette fiction a exigé huit ans de travail. Et la majeure partie de nos recherches ont été faites dans les quatre premières années. Après, il a fallu l’écrire, trouver de l’argent et un lieu pour tourner, tout cela a pris du temps. Du coup, beaucoup d’événements, comme, par exemple, les attentats-suicides palestiniens, étaient plus pertinents au moment des recherches qu’ils le sont aujourd’hui. Nous avons donc pris la décision de situer le film pendant l’été 2005. Si nous ne l’avions pas fait, certains événements auraient paru étranges.
Vous n’aviez encore jamais réalisé de fiction ou de documentaire sur le conflit israélo-palestinien. D’où est venue l’idée de The Promise ?
Après la diffusion de Warriors, qui parlait de l’impuissance des Casques bleus britanniques envoyés en Bosnie, nous avons reçu une lettre d’un vétéran de la campagne de Palestine, un homme déjà très âgé, qui nous disait : « Pourquoi ne faites-vous pas un film sur nous ? On nous a complètement oubliés. » De fait, à ma grande honte, je ne savais rien au sujet des vétérans de Palestine. J’étais même très surpris d’apprendre que nous avions là-bas, en 1945, cent mille soldats – à peu près la taille de l’armée britannique actuelle. Notre ignorance s’explique facilement : le retrait de Palestine était perçu en Grande-Bretagne comme une défaite humiliante, après la grande victoire de la Seconde Guerre mondiale, et personne n’avait envie de se souvenir de quelque chose d’aussi embarrassant. Quand les soldats sont revenus, en 1948, les temps étaient très difficiles, la Grande-Bretagne était ruinée, tout le monde était concentré sur l’indépendance de l’Inde, qui représentait un énorme bouleversement psychologique. Pour les vétérans de Palestine, il n’y a eu ni statue ni mémorial.
Auriez-vous fait ce film si vous n’aviez pas reçu cette lettre ?
Non, je ne crois pas. Après Warriors, je ne tenais pas particulièrement à tourner une autre histoire de soldats. J’ai laissé de côté cette lettre pendant trois ans. J’ai fini par m’en souvenir, mon équipe de documentaristes et moi-même avons commencé à faire des recherches, et, je ne sais trop comment, parmi tous les sujets sur lesquels nous enquêtions, c’est devenu celui qui nous occupait le plus. Plus je lisais le résultat de nos recherches, plus j’étais intéressé par ce qu’elles disaient de l’implication et de la responsabilité de la Grande-Bretagne dans les événements qui ont façonné le conflit actuel.
Combien de vétérans avez-vous rencontré lors de vos recherches, et comment se sont passés les entretiens ?
Nous en avons rencontré 82, sur plusieurs années. Certains sont morts depuis. Nos entretiens étaient chargés d’émotion. Quand nous avons fait Warriors, j’ai interrogé un soldat, dans une base militaire du Sud de l’Angleterre, qui m’a décrit des choses parmi les plus épouvantables qu’on m’ait jamais racontées. Il était bouleversé, et il m’a dit : « Je n’en ai jamais parlé à personne. » J’ai eu la même impression avec les vétérans de Palestine. Ils en discutaient quand ils se rencontraient, mais toujours sur le ton de la plaisanterie. Vous pouviez déduire de la façon dont ils parlaient qu’ils ne s’étaient jamais vraiment confiés, qu’ils n’avaient rien dit de la façon dont ils ont été attaqués, dont leurs amis ont été tués. Ils se sont réfugiés dans le silence pendant soixante ans. Depuis que j’ai fait ce film, un certain nombre d’amis m’ont confié que leur père, ou leur grand-père, était là-bas, mais ne leur en avait jamais parlé.
Le mandat britannique en Palestine a commencé en 1920, et s’est terminé en 1948. La partie "historique" de The Promise décrit les trois dernières années de ce mandat, juste avant la création de l’Etat d’Israël. Lors de vos recherches documentaires sur cette période, qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?
Deux choses. D’abord, le fait que les Britanniques ont utilisé contre l’insurrection juive un grand nombre des tactiques militaires reproduites aujourd’hui par l’armée israélienne contre l’insurrection palestinienne. On voit dans le film qu’après un attentat-suicide en Israël, l’armée israélienne s’en va détruire la maison du poseur de bombe. Les Britanniques ont fait exactement la même chose dans les années 40. Quand ils étaient attaqués, ils dynamitaient les maisons des familles liées à l’attaque. Ça m’a paru délirant ; je n’arrivais pas à comprendre pourquoi l’armée israélienne utilisait les tactiques d’une armée qui avait échoué.
Notre autre sujet d’étonnement, c’était la mise en place, par la société juive de l’époque, de clubs d’hospitalité pour les soldats britanniques. On y employait des jeunes filles qui n’étaient pas des prostituées, mais qui devaient, en établissant des liens d’amitié, gagner les cœurs et les esprits de ces soldats et, par extension, ceux de leurs familles quand ils seraient de retour en Angleterre. C’est ce qui m’a conduit à créer le personnage de Clara. Je trouvais cette idée vraiment étrange, on l’associerait plutôt à un système de type soviétique. Bien sûr, Israël à ses débuts était un endroit très marqué par le socialisme, en tous cas pour les Juifs. Et il y a quelque chose qui me faisait penser à la société stalinienne, dans cette idée d’un Etat qui intervient pour changer les esprits dans le sens qui lui convient.
Avez-vous pu rencontrer, et vous entretenir avec ces femmes qui ont inspiré le personnage de Clara ?
Nous n’avions aucun moyen de les trouver, et il n’y avait pas d’enregistrements ; ils ont été détruits ou mis au secret. J’ai pu lire les entretiens réalisés par une universitaire qui avait fait une étude sur le sujet et qui avait interviewé un certain nombre de ces femmes. Mais elle a refusé de me les présenter. C’était la base de leur accord, elles avaient accepté de lui parler à condition qu’elle ne dévoile jamais leur identité. C’est un sujet assez sensible en Israël.
Jusqu’à quel point avez-vous dramatisé les événements que vous décrivez ? Tout ce qui arrive dans The Promise est-il vrai ?
Oui, sans exception. Les personnages et leurs réactions sont fictives, mais ce qui arrive à Len s’est vraiment produit –l’explosion du King David, la fusillade dans la rue, la capture de deux sergents spécialisés dans le renseignement et leur réclusion dans une fosse –, j’ai juste ajouté Len aux deux personnes enfermées dans la fosse. L’histoire contemporaine est un peu moins exacte, parce que, de toutes évidence, Erin vit dans un tout petit monde, une sorte de bulle. Mais quand elle va à Hébron, tout ce qu’elle expérimente est basé sur des témoignages. La rencontre pacifiste du premier épisode s’appuie sur des enregistrements vidéo de rencontres similaires. Les événements qui ont lieu à Gaza, à la fin du film, sont étroitement basés sur le témoignage de membres d’une ONG internationale.
Len et Erin, vos deux héros, effectuent, à soixante ans d’écart, une sorte de parcours initiatique sur cette terre où ils ont quasiment tout à découvrir. Comment envisagiez-vous leurs trajectoires respectives ?
Erin est l’adolescente typique, si tant est qu’une telle personne existe ! J’ai deux filles, et Erin, d’une certaine manière, s’inspire de chacune d’elles. J’ai toujours su qu’avec elle le spectateur ferait un voyage émotionnel. La première rencontre avec Erin n’est pas forcément évidente. C’est quelqu’un d’assez égoïste, elle émet des opinions qui ne s’appuient pas sur grand-chose, fait souvent l’opposé de ce qu’on lui demande, et se montre prête à mentir et tricher si c’est nécessaire. Mais à la fin, le spectateur se retrouve face à une jeune femme extraordinaire : courageuse, désintéressée, encore instable et d’un caractère difficile, mais prête à se donner beaucoup de mal pour venir à bout de la tâche qu’elle s’est assignée.
Pour Len, j’ai décidé que ce serait l’inverse. Quand vous le rencontrez, en 1945, il a déjà effectué le plus extraordinaire des voyages émotionnels. C’est un parachutiste, il a participé au débarquement du D-Day, à la catastrophe de l’opération Market Garden [la tentative de reprendre le pont d’Arnhem, qui vit mourir 30 % des parachutistes britanniques en une seule attaque, NDLR], à la bataille des Ardennes, et à la libération du camp de concentration de Bergen-Belsen. Il a mûri à toute allure, son caractère est déjà bien dessiné. Len devait être un personnage héroïque et désintéressé, parce que je savais qu’Erin allait en tomber amoureuse en lisant son journal, et je voulais que les raisons de cette attirance soient évidentes.
Au début de The Promise, vous montrez des archives filmées de la libération du camp de Bergen-Belsen. Etait-ce évident, quand vous avez décidé d’inclure cette séquence, qu’il vous faudrait renoncer à la fiction, et passer par le document d’archives ?
A l’origine, j’avais écrit des scènes que nous devions tourner. Mais c’était incroyablement difficile. Ces images sont encore très fraîches dans les esprits. Il aurait fallu d’énormes moyens pour les reconstituer de manière convaincante. Et j’avais un dilemme moral sur la recréation de ces scènes, qui auraient été très difficiles à tourner en Israël. En même temps, je ne croyais pas que le spectateur pourrait comprendre le cheminement de Len sans montrer ces images. Elles étaient nécessaires pour expliquer pourquoi Len, au début du film, se sent si viscéralement en sympathie avec les Juifs de Palestine. Et la façon la plus simple de le faire, c’était de montrer quelques-unes de ces images pendant que l’on entendait sa voix.
Vous avez filmé The Promise en Israël et dans les territoires palestiniens. Pourquoi avez-vous souhaité tourner sur les lieux mêmes de l’histoire que vous racontiez, ce que vous n’aviez jamais fait pour vos précédentes fictions ? Cela ne risquait-il pas de vous compliquer la tâche ?
Si, bien sûr. A l’origine, nous pensions plutôt à la Tunisie, au Maroc, à Chypre, à l’Espagne, à la Jordanie... Mais nous n’arrivions pas à trouver un endroit qui corresponde à tout ce dont nous avions besoin. Israël s’est imposé comme la meilleure option. La topographie, l’architecture, la diversité culturelle et l’allure des gens, tout collait parfaitement, et il y avait une industrie du cinéma florissante, avec toutes les compétences dont nous avions besoin. Notre équipe de tournage était fantastique, la ville d’Haïfa nous a beaucoup aidés, mais l’armée, l’Etat, tous les corps officiels d’Israël ont été aussi peu coopératifs qu’ils pouvaient l’être. Tout nous était toujours refusé, sans explication.
L’autre difficulté, c’était d’essayer de dépeindre un conflit avec des comédiens directement concernés par ce conflit. Prenez cette scène de l’épisode 4 où un soldat israélien affronte une Palestinienne ; le gars qui joue le soldat est, en vrai, un réserviste de l’armée israélienne, et la comédienne palestinienne a des opinions bien tranchées sur les Israéliens et sur l’occupation. Du coup, quand ils jouent la scène, il y a ce quelque chose en plus que vous ne pouvez pas obtenir dans un pays voisin, avec des gens qui font semblant. Ça a rendu la direction d’acteurs très intéressante.
Vous avez effectivement tenu à ce que les acteurs de The Promise aient la même nationalité que les personnages qu’ils incarnaient. Les comédiens ont-ils parfois contesté ce que vous leur demandiez de dire et de faire ?
Non, jamais, mais l’atmosphère sur le plateau était parfois très lourde. La plupart des acteurs s’entendaient plutôt bien, mais il y avait parfois des tensions. Certains des Palestiniens, notamment, ne se sentaient pas à l’aise, parce que l’équipe de tournage était majoritairement juive. Pour Warriors, nous avions fait appel à beaucoup de gens qui avaient été vraiment impliqués dans la guerre en Bosnie, mais celle-ci était terminée. Il y avait encore de l’animosité, des choses non résolues, mais un accord avait été signé, le monde était en train de changer. En Israël et dans les territoires occupés, rien n’est réglé. Quand nous avons tourné dans des villes arabes des scènes où des comédiens jouent des colons, tout était très tendu. Nous avons notamment tourné une séquence où un colon hurle des injures, au mégaphone, à un groupe de libéraux israéliens. La scène n’a pas été tournée à Hébron, où une personne faisant cela disposerait de 5 000 soldats pour la protéger. Elle a été tournée à Acre, au milieu d’une ville arabe. Et le comédien était très nerveux ! Il m’a dit : « Je vais me faire tuer ! » ; j’ai répondu : « Non, tu es un acteur ; joue, c’est tout. » Il ne fanfaronnait plus comme lors de notre première répétition à Tel Aviv, mais il a joué la scène, et c’était courageux, je l’ai admiré pour cela.
Après la diffusion du premier épisode au Royaume-Uni (1), certains vous ont accusé d’avoir fait une œuvre de propagande pro-palestinienne et anti-israélienne. Vous attendiez-vous à ce type de réactions ?
Nous avons commencé à être critiqués par des sites web israéliens avant même que commence la diffusion de The Promise. Chacun est libre de ses opinions, j’admets très volontiers que c’est un sujet controversé et que tous les aspects du film ne plairont pas à tout le monde, même si, à mon sens, l’ensemble est équilibré. Mais je n’ai pas de temps à perdre avec des gens prêts à attaquer des programmes qu’ils n’ont pas encore vus. Je trouve cela pathétique. Ils regardent le monde à travers de telles œillères qu’ils préfèrent condamner, avant même d’en avoir visionné une seule image, un programme qui a demandé huit ans de travail, qui a fait l’objet de minutieuses recherches et qui a l’obligation, selon la loi audiovisuelle britannique, d’être équilibré.
The Promise semble effectivement aboutir à la conclusion qu’il n’y a ni bons ni méchants, que la situation présente est dommageable à toutes les parties, et qu’il est extrêmement difficile, voire impossible, de prendre parti pour l’un ou l’autre camp...
C’est ce que je crois. Ma responsabilité, c’était, d’abord, de présenter une image qui rende justice à la complexité de la situation. On n’aide personne en prétendant que le bien et la justice se trouvent d’un seul côté ; si c’était si simple, on aurait déjà trouvé une solution. De chaque côté, il y a des vérités et des droits qui entrent en compétition les uns avec les autres. Vous ne pouvez pas avoir tout d’un côté ou tout de l’autre, tout est imbriqué.
Ensuite, je n’ai pas recherché une sorte d’équilibre scientifique, mais un équilibre instable, pour qu’à un certain point de l’histoire, vous vous sentiez proche de l’une des parties et que, juste au moment où vous vous sentez conforté dans votre point de vue, quelque chose arrive qui vous entraîne de l’autre côté. Par exemple, vous assistez à un incident au checkpoint, et vous vous sentez peut-être en empathie avec les Palestiniens et la manière dont ils sont traités ; et puis des terroristes palestiniens font sauter le café près duquel se trouve l’héroïne, ce qui va probablement affecter votre façon de voir... Plutôt que de nuancer le film de façon à ce qu’il n’offense personne, j’ai fait en sorte que les sympathies du spectateur changent régulièrement de direction, en fonction des circonstances.
lundi 22 décembre 2014
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