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Egypte - Page 7

  • Egype. La crise du régime de Sissi (A l'Encontre.ch)

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    Déclaration des Socialistes révolutionnaires

    Depuis le coup qui a renversé du pouvoir le président Mohamed Morsi, des Frères musulmans, le régime militaire égyptien dirigé par l’actuel président Abdel Fattah al-Sissi, a appliqué les mêmes mesures autoritaires que celles utilisées par le dictateur Hosni Moubarak, soutenu par les Etats-Unis, pour écraser toute dissension.

    Cette répression n’a pas visé uniquement les Frères musulmans, mais également les médias, les syndicats et les forces de gauche. Pourtant il existe des signes croissants que des gens commencent à être suffisamment en colère pour défier le régime et ce malgré la brutalité de la répression et des risques encourus. Dans la déclaration ci-dessous, publiée en anglais sur leur site, les Socialistes révolutionnaires d’Egypte donnent leur analyse de la situation politique et leurs considérations sur les perspectives. (Rédaction A l’Encontre)

    Les événements de ces six dernières semaines mettent en évidence la nature complexe et contradictoire de la période actuelle dans la longue confrontation avec le régime de la contre-révolution. Sa politique économique, le rôle régional qu’il joue et sa dépendance par rapport à l’impérialisme et au sionisme mettent clairement en évidence le caractère de classe et l’orientation politique du régime.

    Le régime a adopté une politique économique extrêmement libérale, en diminuant les subsides [aux biens de base], en libéralisant les prix, en réduisant les services publics et les dépenses publiques et en laminant les salaires réels par la dévaluation de la livre égyptienne. Par ailleurs, le régime dépend entièrement de l’afflux de crédits et de subventions qu’il reçoit de la part des pays du Golfe et des grands pays industrialisés. Le régime a plongé le pays dans une spirale d’endettement permanent afin de financer de gros projets et des acquisitions d’armes pour l’armée, ce qui va entraîner des décennies d’austérité et de pauvreté pour les travailleurs qui seront obligés de rembourser les dettes avec des intérêts.

    Le rôle régional du régime met lui aussi en évidence sa politique de classe: comme le montre la récente visite du roi Salman ben Abdelaziz Al Saoud et le don sans précédent de deux îles à l’Arabie saoudite, il est le partenaire «junior» de l’Arabie saoudite. Son soutien au blocus israélien et au siège imposé au peuple palestinien et à leur résistance montre qu’il est également un partenaire stratégique des sionistes, avec lesquels il annonce y compris son intention d’améliorer encore ses relations. Un autre aspect de la politique étrangère du régime est son rôle et celui de l’armée égyptienne au service des intérêts états-uniens et européens dans la région, intérêts actuellement focalisés sur la «guerre contre le terrorisme» et les moyens d’éviter l’accueil des réfugiés qui fuient le Moyen-Orient, avec des opérations dans le désert du Sinaï, la mer Méditerranée et la Libye.

    Il est évident que cette combinaison d’orientations politiques intérieures et extérieures entraîne des vagues successives de colère publique. Depuis quelque temps ces réactions vont au-delà de l’opposition des Frères musulmans au coup d’Etat, et commencent à surmonter l’obstacle de la peur suscitée par la répression sanglante de toute manifestation d’opposition.

    L’Etat militaire et la classe dominante utilisent l’armée, le ministère de l’Intérieur et leurs services de sécurité respectifs ainsi que l’appareil judiciaire, les médias et le Parlement pour mener une offensive de classe – politique et idéologique – sans précédent contre les intérêts de l’immense majorité du peuple égyptien. Cette offensive a entraîné de nombreux clivages et changements dans le contexte politique égyptien.

    *****

    Le premier de ces changements est que la justification idéologique de l’offensive répressive pour s’opposer au danger des Frères musulmans n’est plus crédible. Les Frères sont à leur point le plus faible depuis 1950. Ils ont été paralysés et mis sur la défensive, d’une part, par les coups de la répression et de la sécurité et, d’autre part, par leurs luttes et clivages internes. C’est une situation qui risque de durer. Mais surtout, cela est apparu clairement à des secteurs massifs de la population, ce qui signifie que les autorités ne peuvent plus utiliser les Frères comme «épouvantail», comme elles pouvaient le faire il y a deux ans, et que même des groupes comme la classe moyenne copte n’est plus dupe de cette stratégie.

    Le deuxième changement touche ce que nous pourrions appeler «l’alliance du 30 juillet» [autrement dit les forces qui ont marché contre le président Mohamed Morsi en 2013]. En effet, leur ennemi commun – les Frères musulmans – a été affaibli. En outre, les attaques hystériques de la part des forces de sécurité contre toute forme d’opposition et de protestation et la politique de classe intérieure et régionale flagrante et brutale ont poussé un nombre relativement important de ceux qui avaient soutenu le coup dans les rangs de l’opposition. Cela s’accompagne évidemment de différents degrés d’hésitation et d’opportunisme, mais dans l’ensemble il est évident qu’il est devenu beaucoup plus difficile de soutenir les mesures politiques de Sissi qu’aux moments décisifs de 2013.

    Le troisième changement, qui est également une conséquence de ce qui est évoqué ci-dessus, est l’importance croissante des clivages et des divisions entre les différentes ailes et secteurs du régime lui-même. Ces divisions se creusent surtout entre les tenants d’un élargissement et d’un approfondissement de la répression – quels que soient les coûts politiques, économiques et sociaux – et ceux qui estiment que le temps est venu de suspendre l’offensive et d’introduire un élément de consensus, voire une réconciliation, de peur de provoquer de nouvelles vagues révolutionnaires qui pourraient être plus puissantes, plus profondes et peut-être plus violentes que toutes les précédentes.

    Pour nous, la transformation la plus importante – liée à ce qui précède – est la croissance du mouvement de protestation. L’Egypte a vécu des vagues successives de protestations sociales, démocratiques et politiques: depuis les protestations des fonctionnaires contre la loi du service national, en passant par les protestations populaires contre la brutalité policière, les assemblées des médecins et les rassemblements des ULTRA [clubs de foot qui ont défendu la révolution égyptienne de 2011], jusqu’à la convergence entre l’opposition politique et les protestations publiques autour de la question des deux îles en avril 2016.

    *****

    La volatilité de la situation politique actuelle et la succession de développements et transformations découlent sans doute de la complexité de la situation présente, de la multiplicité de trajectoires et de la profondeur de la crise. Lorsque les manifestations larges et prometteuses associaient un large front radical et des forces d’opposition réformistes, beaucoup de gens ont pensé que c’était le début d’un mouvement politique encourageant. Ensuite, lorsque les vagues d’emprisonnement, de répression, de menaces, de condamnations et d’amendes ont freiné le mouvement, beaucoup de gens qui avaient été trop optimistes sont tombés dans un état de frustration et de désespoir.

    Dans cette situation, il est très important de faire preuve de lucidité politique et d’une conception cohérente de l’état du mouvement politique et social ainsi que les moyens et perspectives de leur développement. Pour les Socialistes révolutionnaires, les développements récents prouvent les points suivants :

    1. Le régime de Sissi est dans un état de crise politique, économique et idéologique. C’est un régime «d’urgence», fondé sur une contre-révolution et incapable de maintenir une stabilité sociale et politique.

    2. La dépendance du régime par rapport à la répression augmente de jour en jour. S’il est vrai que la peur du chaos, de l’effondrement, du terrorisme et des Frères musulmans a joué un rôle important dans le soutien idéologique du régime dans la période immédiatement après le coup, ce contexte est en train de s’effilocher actuellement.

    3. Cela signifie que le régime est en train de perdre son soutien populaire, comme on l’a vu lors de ses tentatives ridicules de mobiliser ses partisans en avril et en mai 2016. Par ailleurs, il est en train de perdre des alliés sur lesquels il s’est appuyé lors du coup d’Etat, à savoir les partis réformistes et des mouvements qui ont rejoint l’opposition depuis un certain temps.

    4. Cette situation entraîne des développements divergents: d’une part, vers une accélération des protestations politiques et sociales, avec des fronts et des campagnes plus importantes, et d’autre part, vers une sévérité accrue de la répression et du harcèlement de la part de l’Etat et de ses forces de sécurité.

    5. Cette situation durera pendant une période relativement longue. Des vagues de protestations croissantes vont ouvrir des possibilités pour des campagnes et des fronts d’opposition à la politique intérieure et étrangère du régime, alors que celui-ci, assiégé, utilisera tous les moyens à sa disposition pour éviter que le mouvement ne puisse reproduire celui qui a renversé Moubarak, qui avait passé d’un mouvement démocratique montant à une mobilisation des travailleurs et finalement à la révolution de 2011.

    6. L’opposition radicale doit élaborer des stratégies et des tactiques adaptées à une longue série de luttes, en conservant l’indépendance de ses formations politiques, tout en intervenant de manière coordonnée et efficace dans les diverses batailles dans le but de développer et d’approfondir le mouvement social et politique contre la contre-révolution.

    7. L’opposition radicale doit éviter de tomber dans un optimisme excessif et des aventures politiques mal ajustées et agir de manière réaliste et pratique en fonction des affrontements à venir. Pour nous, le plus grand danger consisterait à croire que le régime est sur le point de s’effondrer ou de se désintégrer: il est vrai que le régime traverse une crise, et que, contrairement à ce qui se passait il y a deux ans, il existe de réelles opportunités pour construire une opposition radicale. Mais il s’agit d’un régime impitoyable qui utilise la répression sanglante, la peur et la terreur. Notre lutte contre ce régime sera donc longue, et les batailles ne seront ni faciles ni rapides, comme on a pu le voir avec la lutte au sujet des îles, le refus du régime d’accepter un compromis dans le conflit face journalistes [le 1er mai la police a occupé le siège du syndicat; deux journalistes étaient accusés «d’incitations à la violence», arrestation et amendes les frappent, y compris des actions contre le syndicat lui-même] ainsi que l’arrestation et la condamnation à des peines de prison de milliers de gens.

    8. La difficulté de cette lutte qui est devant nous ne doit pas nous conduire à un pessimisme excessif ni à un retour au désespoir et à l’abdication. En effet, le mouvement démocratique, social et économique contre la crise forgée par le régime a commencé. Nous ferons le maximum pour construire le front démocratique le plus large pour mener les batailles de cette guerre longue, ardue et éprouvante. (Juin 2016; traduction de l’anglais par la rédaction de A l’Encontre)

    Alencontre le 18 - juin - 2016
     
  • La dette comme instrument de la conquête coloniale de l’Égypte (Cadtm)

     

     

    Je dédie cet article à la mémoire de Youssef Darwish (en arabe : يوسف درويش‎) 1910 - 2006, militant égyptien qui a combattu inlassablement pour la justice et l’internationalisme. Plusieurs fois mis en prison et torturé pour son engagement communiste et pour son combat pour les droits humains (il était juriste), il a poursuivi la lutte jusque la fin de ses jours |1|. En 2005, un peu avant sa mort, il avait pris contact avec le CADTM international car il souhaitait créer un CADTM égyptien.

    Succès puis abandon de la tentative de développement autonome de l’Égypte
    L’Égypte, bien qu’encore sous tutelle ottomane, entame au cours de la première moitié du XIXe siècle un vaste effort d’industrialisation |2| et de modernisation. George Corm résume l’enjeu de la manière suivante : « C’est évidemment en Égypte que Mohammed Ali fera l’œuvre la plus marquante en créant des manufactures d’État, jetant ainsi les bases d’un capitalisme d’État qui ne manque pas de rappeler l’expérience japonaise du Meiji » |3|. Cet effort d’industrialisation de l’Égypte s’accomplit tout au long de la première moitié du XIXe siècle sans recours à l’endettement extérieur ; ce sont les ressources internes qui sont mobilisées. En 1839-1840, une intervention militaire conjointe de la Grande Bretagne et de la France, suivie un peu plus tard d’une seconde agression réalisée cette fois par la Grande-Bretagne et l’Autriche obligent Mohammed Ali à renoncer au contrôle de la Syrie et de la Palestine, que ces puissances considèrent comme des chasses gardées. (voir plus bas la carte de l’extension de l’Égypte sous Mohamed Ali)

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    Muhammad Ali by Auguste Couder

    Un tournant radical est pris à partir de la seconde moitié du siècle. Les successeurs de Mohammed Ali adoptent le libre-échange sous la pression du Royaume-Uni, démantèlent des monopoles d’État et recourent massivement aux emprunts extérieurs. C’est le début de la fin. L’ère des dettes égyptiennes commence : les infrastructures de l’Égypte seront abandonnées aux puissances occidentales, aux banquiers européens et aux entrepreneurs peu scrupuleux.


    Les banquiers européens veulent prêter massivement hors de l’Europe occidentale

    Entre les années 1850 et 1876, les banquiers de Londres, de Paris et d’autres places financières cherchaient activement à placer des sommes considérables d’argent tant en Égypte que dans l’Empire ottoman et dans d’autres continents (en Europe avec l’Empire russe, en Asie dont la Chine en particulier, en Amérique latine) |4|. Plusieurs banques sont créées en Europe afin de canaliser les mouvements financiers entre l’Égypte et les places financières européennes : l’Anglo-Egyptian Bank (fondée en 1864), la Banque franco-égyptienne (fondée en 1870 et dirigée par le frère de Jules Ferry, important membre du gouvernement français) et la Banque austro-égyptienne (créée en 1869). Cette dernière avait été fondée sous les auspices du Kredit Anstalt où les Rothschild de Vienne avaient leurs intérêts. Les grandes banques de Londres étaient aussi particulièrement actives. Les banquiers londoniens se spécialisèrent dans les prêts à long terme et les banquiers français dans les prêts à court terme, plus rémunérateurs, surtout à partir de 1873 quand une crise bancaire a affecté Londres et Vienne.


    Réussite apparente et éphémère du développement économique de l’Égypte basé sur l’endettement et le libre-échange

    Dans un premier temps, le nouveau modèle fondé sur l’endettement et le libre-échange semblait très bien fonctionner, mais, en réalité, cet apparent succès tenait à des événements extérieurs que ne maîtrisaient aucunement les autorités égyptiennes. En effet, l’Égypte a temporairement tiré profit du conflit entre les États sudistes et les nordistes en Amérique du Nord. La guerre de sécession (1861-1865) de l’autre côté de l’Atlantique provoqua une chute des exportations de coton que réalisaient les États sudistes. Cela fit monter très fortement le prix du coton sur le marché mondial. Les revenus d’exportation de l’Égypte, productrice de coton, explosèrent. Cela amena le gouvernement d’Ismaïl Pacha à accepter encore plus de prêts des banques (britanniques et françaises principalement). Lorsque la guerre de sécession prit fin, les exportations sudistes reprirent et le cours du coton s’effondra. L’Égypte dépendait des devises que lui procurait la vente du coton sur le marché mondial (principalement à l’industrie textile britannique) pour effectuer le remboursement de la dette aux banquiers européens. La diminution des recettes d’exportation créa les premières difficultés de remboursement de la dette égyptienne.

    Cela n’empêcha pas les banquiers, en particulier les banquiers anglais, d’organiser l’émission d’emprunts égyptiens à long terme (20 à 30 ans) et les banquiers français d’octroyer de nouveaux crédits, à court terme principalement, car ils donnaient droit à des taux d’intérêts très élevés. L’historien Jean Bouvier décrit cet engouement : « Des organismes de crédit - Banque de Paris et des Pays-Bas, Crédit Lyonnais, Société Générale, Comptoir d’Escompte de Paris, Crédit Foncier – qui avaient jusque-là participé aux “avances” et “emprunts” d’Égypte un peu au hasard des affaires, se mirent à rechercher systématiquement de tels placements et à prospecter les opérations gouvernementales des pays sous-développés. Lorsqu’en avril 1872, le Crédit Lyonnais s’attend à participer, aux côtés des Oppenheim, à une “avance” égyptienne – bons à dix-huit mois, pour 5 millions de livres sterling, à 14 % l’an – son directeur Mazerat confie à un correspondant : “On espère, au moyen de cette grosse avance, mettre la main sur l’emprunt qui doit être émis l’année prochaine.” |5| »


    La dette égyptienne atteint un niveau insoutenable

    En 1876, la dette égyptienne atteignait 68,5 millions de livres sterling (contre 3 millions en 1863). En moins de 15 ans, les dettes extérieures avaient été multipliées par 23 alors que les revenus augmentaient de 5 fois seulement. Le service de la dette absorbait les deux tiers des revenus de l’État et la moitié des revenus d’exportation.

    Les montants empruntés qui sont parvenus réellement à l’Égypte restent très faibles tandis que les montants que les banquiers exigeaient et recevaient en retour étaient très élevés.
    Prenons l’emprunt de 1862 : les banquiers européens émettent des titres égyptiens pour une valeur nominale de 3,3 millions de livres sterling, mais ils les ont vendus à 83 % de leur valeur nominale, ce qui fait que l’Égypte ne reçoit que 2,5 millions de livres dont il faut encore déduire la commission prélevée par les banquiers. Le montant que doit rembourser l’Égypte en 30 ans s’élève à près de 8 millions de livres si on prend en compte l’amortissement du capital et le paiement des intérêts.
    Autre exemple, l’emprunt de 1873 : les banquiers européens émettent des titres égyptiens pour une valeur nominale de 32 millions de livres et ils les vendent avec un rabais de 30 %. En conséquence, l’Égypte ne reçoit qu’un peu moins de 20 millions de livres. Le montant à rembourser en 30 ans s’élève à 77 millions de livres (intérêt réel de 11 % + amortissement du capital).

    On comprend aisément que cet accroissement de la dette et les taux d’intérêts exigés sont intenables. Les conditions financières qui sont imposées par les banquiers rendent insoutenable le remboursement. L’Égypte doit constamment emprunter afin d’être en mesure de poursuivre les paiements dus sur les anciennes dettes.
    Sous pression des créanciers, le souverain Ismail Pacha, khédive |6| d’Égypte se met à vendre à partir des années 1870 des infrastructures et à accorder diverses concessions afin d’obtenir des liquidités pour payer la dette. Il doit aussi régulièrement augmenter les impôts pour les mêmes raisons.
    Après une petite quinzaine d’années d’endettement externe (1862-1875), la souveraineté égyptienne est aliénée.

    En 1875, pris à la gorge par les créanciers, l’État égyptien cède au gouvernement du Royaume-Uni ses parts dans la Compagnie du Canal de Suez qui avait été inauguré en 1869 |7|. Le produit de la vente des 176 602 actions Suez que détenait l’Égypte – soit près de la moitié du capital de la Compagnie de Suez – au gouvernement britannique à la fin de novembre 1875 est largement destiné à respecter les échéances de paiement de la dette de décembre 1875 et de janvier 1876 qui étaient particulièrement lourdes. Le gouvernement de Londres devient du même coup créancier direct de l’Égypte : les titres achetés ne permettant pas de toucher de dividendes avant 1894, le gouvernement égyptien s’engageait à payer à l’acheteur pendant cette période un intérêt de 5 % l’an sur les quelque cent millions de francs du prix d’achat.

    Selon l’historien Jean Bouvier : « Le khédive disposait encore des chemins de fer « évalués à 300 millions », selon un administrateur du Crédit Lyonnais, et de son droit aux 15 % des bénéfices nets annuels de la Compagnie de Suez. Ayant réglé les échéances de fin d’année grâce aux 100 millions de la vente de ses actions, le khédive fait reconduire en janvier 1876 et début février les « avances » en cours fournies par l’Anglo-Egyptian et le Crédit Foncier, à trois mois, au taux de 14 % l’an. Il offre en garantie sa part de 15 % dans les tantièmes de Suez, les produits de l’octroi de la ville d’Alexandrie et les droits du port. La Société Générale participe à l’affaire, qui porte sur 25 millions de francs. »


    En 1876 l’Égypte comme d’autres pays suspend le paiement de la dette

    Finalement, malgré les efforts désespérés pour rembourser la dette, l’Égypte est amenée à suspendre le paiement de la dette en 1876. Il est important de souligner qu’au cours de cette même année 1876, d’autres États se sont déclarés en cessation de paiement, il s’agit de l’Empire ottoman, du Pérou (à l’époque, une des principales économies d’Amérique du Sud) et de l’Uruguay. Il faut donc chercher les causes sur le plan international. Une crise bancaire avait éclaté à New-York, à Francfort, Berlin et à Vienne en 1873 et avait progressivement affecté les banquiers de Londres. En conséquence, la volonté de prêter à des pays périphériques s’était fortement réduite, or ces pays avaient constamment besoin d’emprunter pour rembourser les anciennes dettes. De plus, la situation économique s’étant dégradée dans les pays du Nord, les exportations du Sud baissèrent, de même que les revenus d’exportation qui servaient à effectuer les remboursements. Cette crise économique internationale dont l’origine se trouve au Nord a largement provoqué la vague de suspensions de paiements. |8| Dans chaque cas particulier, il faut en plus distinguer certaines spécificités.

    Dans le cas de l’Égypte, les banquiers français, moins affectés que les autres par la crise, avaient poursuivi les prêts à l’Égypte en profitant de la situation pour augmenter fortement les taux d’intérêts et en ne prêtant le plus souvent qu’à court terme. En 1876, ils ont accentué la pression sur l’Égypte et en resserrant l’accès au crédit, ont provoqué la suspension de paiement afin de forcer l’Égypte à accepter la création d’une Caisse de la dette contrôlée par le Royaume-Uni et la France. Ils ont réalisé cela en bonne entente avec les banquiers de Londres,


    La création de la Caisse de la dette publique sous tutelle britannique et française

    Les gouvernements de Londres et de Paris, bien que concurrents, se sont entendus pour soumettre l’Égypte à leur tutelle via la Caisse de la dette. Ils avaient procédé de la même manière dans les années 1840-1850 et à partir de 1898 à l’égard de la Grèce |9|, en 1869 à l’égard de la Tunisie |10| et ils ont répété l’opération avec l’Empire ottoman à partir de 1881 |11|. En Grèce et en Tunisie, l’organisme qui a permis aux puissances créancières d’exercer leur tutelle a été nommé la Commission financière internationale ; dans l’Empire ottoman, il s’est agi de l’Administration de la Dette publique ottomane et, en Égypte, la Caisse de la Dette publique créée en 1876 a joué ce rôle |12|.

    La Caisse de la Dette publique a la mainmise sur une série de revenus de l’État et ce sont les représentants du Royaume-Uni et de la France qui la dirigent. La mise en place de cet organisme a été suivie d’une restructuration de la dette égyptienne, qui a satisfait tous les banquiers concernés car aucune réduction du stock n’a été accordée ; le taux d’intérêt a été fixé à un niveau élevé, 7 %, et les remboursements devaient durer 65 ans. Cela assurait une rente confortable garantie à la fois par la France, le Royaume-Uni et par les revenus de l’État égyptien dans lesquels la Caisse de la Dette publique pouvait puiser.

    La priorité donnée à la satisfaction des intérêts des banquiers dans la résolution de la crise de la dette égyptienne de 1876 apparaît très clairement dans une lettre envoyée par Alphonse Mallet, banquier privé et régent de la Banque de France, à William Henry Waddington, ministre français des Affaires étrangères et futur président du Conseil des Ministres. Ce banquier écrit au ministre à la veille du Congrès de Berlin de 1878 au cours duquel va se discuter le sort de l’Empire ottoman (en particulier de ses possessions dans les Balkans et dans la Méditerranée) : « Mon cher ami, ... Si le Congrès se réunit, comme on l’espère, il suffit de combiner un mécanisme international... qui puisse exercer un contrôle efficace sur les agents administratifs du gouvernement, les tribunaux, l’encaissement des recettes et les dépenses. Ce qui a été fait en Égypte sous la pression des intérêts privés, en dehors de toute considération d’ordre public européen tant pour les tribunaux que pour le service de la dette... peut servir de point de départ. » (Lettre du 31 mai 1878. Mémoires et documents, Turquie, n° 119. Archives du Ministère des Affaires étrangères.) |13|.

    Les enjeux géostratégiques entre grandes puissances européennes

    Si la mise en place de la Caisse de la Dette publique et la restructuration de la dette égyptienne qui a suivi satisfaisaient au premier chef les intérêts des banquiers, les intérêts des grandes puissances, dont provenaient les banquiers, étaient également directement en jeu. Le Royaume-Uni était de loin la première puissance européenne et mondiale. Elle considérait qu’elle devait contrôler et dominer entièrement la Méditerranée orientale qui gagnait en importance vu l’existence du Canal de Suez, qui donnait accès directement à la route maritime des Indes (qui faisait partie de son empire) et du reste de l’Asie. Le Royaume-Uni souhaitait marginaliser la France, qui exerçait une influence certaine en Égypte à cause des banques et du Canal de Suez dont la construction avait été financée via la bourse de Paris. Afin d’obtenir de la France qu’elle laisse entièrement la place au profit de l’Angleterre, il fallait primo satisfaire les intérêts des banquiers français (très liés aux autorités françaises, c’est le moins qu’on puisse dire) et secundo lui offrir une compensation dans une autre partie de la Méditerranée. C’est là qu’intervient un accord tacite entre Londres et Paris : l’Égypte reviendra au Royaume-Uni tandis que la Tunisie passera entièrement sous le contrôle de la France. En 1876-1878, le calendrier exact n’est pas encore fixé, mais la perspective est très claire. Il faut ajouter qu’en 1878 le Royaume-Uni a acheté l’île de Chypre à l’Empire ottoman. Chypre est un autre pion dans la domination britannique de la Méditerranée orientale.

    L’avenir de la Tunisie et de l’Égypte ne se règle pas seulement entre la France et le Royaume-Uni. L’Allemagne, qui vient d’être unifiée et qui est la principale puissance européenne montante à côté du Royaume-Uni, a son mot à dire. Otto von Bismarck, le chancelier allemand, a été manifestement clair : il a déclaré à maintes reprises, lors de conversations diplomatiques secrètes, que l’Allemagne ne prendrait pas ombrage d’une prise de contrôle de l’Égypte par Londres et d’une prise de contrôle de la Tunisie par la France. En contrepartie, l’Allemagne voulait le champ libre dans d’autres parties du monde. Les dirigeants politiques français étaient d’ailleurs bien conscients des motivations de Bismarck. L’Allemagne avait imposé une défaite militaire humiliante à la France en 1870-1871 et lui avait ravi l’Alsace et la Lorraine. Bismarck, en « offrant » la Tunisie à la France, voulait détourner Paris de l’Alsace et de la Lorraine en lui offrant un prix de consolation. Une très large documentation est disponible à ce sujet.

    En somme, le sort réservé à l’Égypte et à la Tunisie préfigure le grand partage de l’Afrique auquel les puissances européennes se livrèrent, quelques années plus tard, lors d’une autre conférence à Berlin tenue en 1885 |14|.


    L’occupation militaire de l’Égypte à partir de 1882 et sa transformation en protectorat

    Dans le cas de l’Égypte et de la Tunisie, la dette a constitué l’arme la plus puissante utilisée par des puissances européennes pour assurer leur domination, en les menant jusqu’à la soumission totale d’États jusque-là indépendants.

    Suite à la mise en place de la Caisse de la Dette publique, les banques françaises font le maximum pour obtenir toujours plus de remboursements et de profits en prenant de moins en moins de nouveaux engagements. À partir de 1881, les banques françaises renoncent à octroyer de nouveaux prêts à l’Égypte, elles se contentent d’engranger les remboursements des anciennes dettes restructurées. Quand en janvier 1882 une crise boursière éclate à Paris, les banques françaises ont d’autres préoccupations que l’Égypte.
    La Caisse de la Dette publique impose à l’Égypte des mesures d’austérité très impopulaires qui génèrent une rébellion, y compris militaire (le général Ahmed Urabi défend des positions nationalistes et résiste aux diktats des puissances européennes). Le Royaume-Uni et la France prennent prétexte de la rébellion pour envoyer un corps expéditionnaire à Alexandrie en 1882. Finalement, la Grande-Bretagne entre en guerre contre l’armée égyptienne, occupe militairement de manière permanente le pays et le transforme en un protectorat. Sous domination britannique, le développement de l’Égypte sera largement bloqué et soumis aux intérêts de Londres. Comme l’écrivait Rosa Luxemburg en 1913 : « L’économie égyptienne a été engloutie dans une très large mesure par le capital européen. D’immenses étendues de terres, des forces de travail considérables et une masse de produits transférés à l’État sous forme d’impôts ont été finalement transformés en capital européen et accumulés. » |15|

    La Caisse de la Dette publique ne sera supprimée qu’en juillet 1940 |16| (voir illustration ci-dessous). L’accord imposé à l’Égypte par le Royaume-Uni en 1940 prolonge la domination financière et coloniale car le Royaume-Uni obtient la poursuite des remboursements d’une dette qui est devenue permanente.
    Il faudra le renversement de la monarchie égyptienne en 1952 par de jeunes militaires progressistes dirigés par Gamel Abdel Nasser et la nationalisation du Canal de Suez le 26 juillet 1956 pour que, pendant une période d’une quinzaine d’années, l’Égypte tente à nouveau un développement partiellement autonome |17|.

    20 mai par Eric Toussaint

    http://cadtm.org/La-dette-comme-instrument-de-la

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  • Histoire : la dette comme instrument de la conquête coloniale de l’Égypte (Essf)

    Je dédie cet article à la mémoire de Youssef Darwish (en arabe : يوسف درويش‎) 1910 - 2006, militant égyptien qui a combattu inlassablement pour la justice et l’internationalisme. Plusieurs fois mis en prison et torturé pour son engagement communiste et pour son combat pour les droits humains (il était juriste), il a poursuivi la lutte jusque la fin de ses jours [1].  En 2005, un peu avant sa mort, il avait pris contact avec le CADTM international car il souhaitait créer un CADTM égyptien.

    Succès puis abandon de la tentative de développement autonome de l’Égypte

    L’Égypte, bien qu’encore sous tutelle ottomane, entame au cours de la première moitié du XIXe siècle un vaste effort d’industrialisation [2] et de modernisation. George Corm résume l’enjeu de la manière suivante : « C’est évidemment en Égypte que Mohammed Ali fera l’œuvre la plus marquante en créant des manufactures d’État, jetant ainsi les bases d’un capitalisme d’État qui ne manque pas de rappeler l’expérience japonaise du Meiji » [3]. Cet effort d’industrialisation de l’Égypte s’accomplit tout au long de la première moitié du XIXe siècle sans recours à l’endettement extérieur ; ce sont les ressources internes qui sont mobilisées. En 1839-1840, une intervention militaire conjointe de la Grande Bretagne et de la France, suivie un peu plus tard d’une seconde agression réalisée cette fois par la Grande-Bretagne et l’Autriche obligent Mohammed Ali à renoncer au contrôle de la Syrie et de la Palestine, que ces puissances considèrent comme des chasses gardées. (voir plus bas la carte de l’extension de l’Égypte sous Mohamed Ali)

    Un tournant radical est pris à partir de la seconde moitié du siècle. Les successeurs de Mohammed Ali adoptent le libre-échange sous la pression du Royaume-Uni, démantèlent des monopoles d’État et recourent massivement aux emprunts extérieurs. C’est le début de la fin. L’ère des dettes égyptiennes commence : les infrastructures de l’Égypte seront abandonnées aux puissances occidentales, aux banquiers européens et aux entrepreneurs peu scrupuleux.

    Les banquiers européens veulent prêter massivement hors de l’Europe occidentale

    Entre les années 1850 et 1876, les banquiers de Londres, de Paris et d’autres places financières cherchaient activement à placer des sommes considérables d’argent tant en Égypte que dans l’Empire ottoman et dans d’autres continents (en Europe avec l’Empire russe, en Asie dont la Chine en particulier, en Amérique latine) [4]. Plusieurs banques sont créées en Europe afin de canaliser les mouvements financiers entre l’Égypte et les places financières européennes : l’Anglo-Egyptian Bank (fondée en 1864), la Banque franco-égyptienne (fondée en 1870 et dirigée par le frère de Jules Ferry, important membre du gouvernement français) et la Banque austro-égyptienne (créée en 1869). Cette dernière avait été fondée sous les auspices du Kredit Anstalt où les Rothschild de Vienne avaient leurs intérêts. Les grandes banques de Londres étaient aussi particulièrement actives. Les banquiers londoniens se spécialisèrent dans les prêts à long terme et les banquiers français dans les prêts à court terme, plus rémunérateurs, surtout à partir de 1873 quand une crise bancaire a affecté Londres et Vienne.

    Réussite apparente et éphémère du développement économique de l’Égypte basé sur l’endettement et le libre-échange

    Dans un premier temps, le nouveau modèle fondé sur l’endettement et le libre-échange semblait très bien fonctionner, mais, en réalité, cet apparent succès tenait à des événements extérieurs que ne maîtrisaient aucunement les autorités égyptiennes. En effet, l’Égypte a temporairement tiré profit du conflit entre les États sudistes et les nordistes en Amérique du Nord. La guerre de sécession (1861-1865) de l’autre côté de l’Atlantique provoqua une chute des exportations de coton que réalisaient les États sudistes. Cela fit monter très fortement le prix du coton sur le marché mondial. Les revenus d’exportation de l’Égypte, productrice de coton, explosèrent. Cela amena le gouvernement d’Ismaïl Pacha à accepter encore plus de prêts des banques (britanniques et françaises principalement). Lorsque la guerre de sécession prit fin, les exportations sudistes reprirent et le cours du coton s’effondra. L’Égypte dépendait des devises que lui procurait la vente du coton sur le marché mondial (principalement à l’industrie textile britannique) pour effectuer le remboursement de la dette aux banquiers européens. La diminution des recettes d’exportation créa les premières difficultés de remboursement de la dette égyptienne.

    Cela n’empêcha pas les banquiers, en particulier les banquiers anglais, d’organiser l’émission d’emprunts égyptiens à long terme (20 à 30 ans) et les banquiers français d’octroyer de nouveaux crédits, à court terme principalement, car ils donnaient droit à des taux d’intérêts très élevés. L’historien Jean Bouvier décrit cet engouement : « Des organismes de crédit - Banque de Paris et des Pays-Bas, Crédit Lyonnais, Société Générale, Comptoir d’Escompte de Paris, Crédit Foncier – qui avaient jusque-là participé aux “avances” et “emprunts” d’Égypte un peu au hasard des affaires, se mirent à rechercher systématiquement de tels placements et à prospecter les opérations gouvernementales des pays sous-développés. Lorsqu’en avril 1872, le Crédit Lyonnais s’attend à participer, aux côtés des Oppenheim, à une “avance” égyptienne – bons à dix-huit mois, pour 5 millions de livres sterling, à 14 % l’an – son directeur Mazerat confie à un correspondant : “On espère, au moyen de cette grosse avance, mettre la main sur l’emprunt qui doit être émis l’année prochaine.” [5] »

    La dette égyptienne atteint un niveau insoutenable

    En 1876, la dette égyptienne atteignait 68,5 millions de livres sterling (contre 3 millions en 1863). En moins de 15 ans, les dettes extérieures avaient été multipliées par 23 alors que les revenus augmentaient de 5 fois seulement. Le service de la dette absorbait les deux tiers des revenus de l’État et la moitié des revenus d’exportation.

    Les montants empruntés qui sont parvenus réellement à l’Égypte restent très faibles tandis que les montants que les banquiers exigeaient et recevaient en retour étaient très élevés.

    Prenons l’emprunt de 1862 : les banquiers européens émettent des titres égyptiens pour une valeur nominale de 3,3 millions de livres sterling, mais ils les ont vendus à 83 % de leur valeur nominale, ce qui fait que l’Égypte ne reçoit que 2,5 millions de livres dont il faut encore déduire la commission prélevée par les banquiers. Le montant que doit rembourser l’Égypte en 30 ans s’élève à près de 8 millions de livres si on prend en compte l’amortissement du capital et le paiement des intérêts.

    Autre exemple, l’emprunt de 1873 : les banquiers européens émettent des titres égyptiens pour une valeur nominale de 32 millions de livres et ils les vendent avec un rabais de 30 %. En conséquence, l’Égypte ne reçoit qu’un peu moins de 20 millions de livres. Le montant à rembourser en 30 ans s’élève à 77 millions de livres (intérêt réel de 11 % + amortissement du capital).

    On comprend aisément que cet accroissement de la dette et les taux d’intérêts exigés sont intenables. Les conditions financières qui sont imposées par les banquiers rendent insoutenable le remboursement. L’Égypte doit constamment emprunter afin d’être en mesure de poursuivre les paiements dus sur les anciennes dettes.

    Sous pression des créanciers, le souverain Ismail Pacha, khédive [6] d’Égypte se met à vendre à partir des années 1870 des infrastructures et à accorder diverses concessions afin d’obtenir des liquidités pour payer la dette. Il doit aussi régulièrement augmenter les impôts pour les mêmes raisons.
    Après une petite quinzaine d’années d’endettement externe (1862-1875), la souveraineté égyptienne est aliénée.

    En 1875, pris à la gorge par les créanciers, l’État égyptien cède au gouvernement du Royaume-Uni ses parts dans la Compagnie du Canal de Suez qui avait été inauguré en 1869 [7]. Le produit de la vente des 176 602 actions Suez que détenait l’Égypte – soit près de la moitié du capital de la Compagnie de Suez – au gouvernement britannique à la fin de novembre 1875 est largement destiné à respecter les échéances de paiement de la dette de décembre 1875 et de janvier 1876 qui étaient particulièrement lourdes. Le gouvernement de Londres devient du même coup créancier direct de l’Égypte : les titres achetés ne permettant pas de toucher de dividendes avant 1894, le gouvernement égyptien s’engageait à payer à l’acheteur pendant cette période un intérêt de 5 % l’an sur les quelque cent millions de francs du prix d’achat.

    Selon l’historien Jean Bouvier : « Le khédive disposait encore des chemins de fer « évalués à 300 millions », selon un administrateur du Crédit Lyonnais, et de son droit aux 15 % des bénéfices nets annuels de la Compagnie de Suez. Ayant réglé les échéances de fin d’année grâce aux 100 millions de la vente de ses actions, le khédive fait reconduire en janvier 1876 et début février les « avances » en cours fournies par l’Anglo-Egyptian et le Crédit Foncier, à trois mois, au taux de 14 % l’an. Il offre en garantie sa part de 15 % dans les tantièmes de Suez, les produits de l’octroi de la ville d’Alexandrie et les droits du port. La Société Générale participe à l’affaire, qui porte sur 25 millions de francs. »

    En 1876 l’Égypte comme d’autres pays suspend le paiement de la dette

    Finalement, malgré les efforts désespérés pour rembourser la dette, l’Égypte est amenée à suspendre le paiement de la dette en 1876. Il est important de souligner qu’au cours de cette même année 1876, d’autres États se sont déclarés en cessation de paiement, il s’agit de l’Empire ottoman, du Pérou (à l’époque, une des principales économies d’Amérique du Sud) et de l’Uruguay. Il faut donc chercher les causes sur le plan international. Une crise bancaire avait éclaté à New-York, à Francfort, Berlin et à Vienne en 1873 et avait progressivement affecté les banquiers de Londres. En conséquence, la volonté de prêter à des pays périphériques s’était fortement réduite, or ces pays avaient constamment besoin d’emprunter pour rembourser les anciennes dettes. De plus, la situation économique s’étant dégradée dans les pays du Nord, les exportations du Sud baissèrent, de même que les revenus d’exportation qui servaient à effectuer les remboursements. Cette crise économique internationale dont l’origine se trouve au Nord a largement provoqué la vague de suspensions de paiements. [8] Dans chaque cas particulier, il faut en plus distinguer certaines spécificités.

    Dans le cas de l’Égypte, les banquiers français, moins affectés que les autres par la crise, avaient poursuivi les prêts à l’Égypte en profitant de la situation pour augmenter fortement les taux d’intérêts et en ne prêtant le plus souvent qu’à court terme. En 1876, ils ont accentué la pression sur l’Égypte et en resserrant l’accès au crédit, ont provoqué la suspension de paiement afin de forcer l’Égypte à accepter la création d’une Caisse de la dette contrôlée par le Royaume-Uni et la France. Ils ont réalisé cela en bonne entente avec les banquiers de Londres,

    La création de la Caisse de la dette publique sous tutelle britannique et française

    Les gouvernements de Londres et de Paris, bien que concurrents, se sont entendus pour soumettre l’Égypte à leur tutelle via la Caisse de la dette. Ils avaient procédé de la même manière dans les années 1840-1850 et à partir de 1898 à l’égard de la Grèce [9], en 1869 à l’égard de la Tunisie [10] et ils ont répété l’opération avec l’Empire ottoman à partir de 1881 [11]. En Grèce et en Tunisie, l’organisme qui a permis aux puissances créancières d’exercer leur tutelle a été nommé la Commission financière internationale ; dans l’Empire ottoman, il s’est agi de l’Administration de la Dette publique ottomane et, en Égypte, la Caisse de la Dette publique créée en 1876 a joué ce rôle [12].

    La Caisse de la Dette publique a la mainmise sur une série de revenus de l’État et ce sont les représentants du Royaume-Uni et de la France qui la dirigent. La mise en place de cet organisme a été suivie d’une restructuration de la dette égyptienne, qui a satisfait tous les banquiers concernés car aucune réduction du stock n’a été accordée ; le taux d’intérêt a été fixé à un niveau élevé, 7 %, et les remboursements devaient durer 65 ans. Cela assurait une rente confortable garantie à la fois par la France, le Royaume-Uni et par les revenus de l’État égyptien dans lesquels la Caisse de la Dette publique pouvait puiser.

    La priorité donnée à la satisfaction des intérêts des banquiers dans la résolution de la crise de la dette égyptienne de 1876 apparaît très clairement dans une lettre envoyée par Alphonse Mallet, banquier privé et régent de la Banque de France, à William Henry Waddington, ministre français des Affaires étrangères et futur président du Conseil des Ministres. Ce banquier écrit au ministre à la veille du Congrès de Berlin de 1878 au cours duquel va se discuter le sort de l’Empire ottoman (en particulier de ses possessions dans les Balkans et dans la Méditerranée) : « Mon cher ami, ... Si le Congrès se réunit, comme on l’espère, il suffit de combiner un mécanisme international... qui puisse exercer un contrôle efficace sur les agents administratifs du gouvernement, les tribunaux, l’encaissement des recettes et les dépenses. Ce qui a été fait en Égypte sous la pression des intérêts privés, en dehors de toute considération d’ordre public européen tant pour les tribunaux que pour le service de la dette... peut servir de point de départ. » (Lettre du 31 mai 1878. Mémoires et documents, Turquie, n° 119. Archives du Ministère des Affaires étrangères.) [13].

    Les enjeux géostratégiques entre grandes puissances européennes

    Si la mise en place de la Caisse de la Dette publique et la restructuration de la dette égyptienne qui a suivi satisfaisaient au premier chef les intérêts des banquiers, les intérêts des grandes puissances, dont provenaient les banquiers, étaient également directement en jeu. Le Royaume-Uni était de loin la première puissance européenne et mondiale. Elle considérait qu’elle devait contrôler et dominer entièrement la Méditerranée orientale qui gagnait en importance vu l’existence du Canal de Suez, qui donnait accès directement à la route maritime des Indes (qui faisait partie de son empire) et du reste de l’Asie. Le Royaume-Uni souhaitait marginaliser la France, qui exerçait une influence certaine en Égypte à cause des banques et du Canal de Suez dont la construction avait été financée via la bourse de Paris. Afin d’obtenir de la France qu’elle laisse entièrement la place au profit de l’Angleterre, il fallait primo satisfaire les intérêts des banquiers français (très liés aux autorités françaises, c’est le moins qu’on puisse dire) et secundo lui offrir une compensation dans une autre partie de la Méditerranée. C’est là qu’intervient un accord tacite entre Londres et Paris : l’Égypte reviendra au Royaume-Uni tandis que la Tunisie passera entièrement sous le contrôle de la France. En 1876-1878, le calendrier exact n’est pas encore fixé, mais la perspective est très claire. Il faut ajouter qu’en 1878 le Royaume-Uni a acheté l’île de Chypre à l’Empire ottoman. Chypre est un autre pion dans la domination britannique de la Méditerranée orientale.

    L’avenir de la Tunisie et de l’Égypte ne se règle pas seulement entre la France et le Royaume-Uni. L’Allemagne, qui vient d’être unifiée et qui est la principale puissance européenne montante à côté du Royaume-Uni, a son mot à dire. Otto von Bismarck, le chancelier allemand, a été manifestement clair : il a déclaré à maintes reprises, lors de conversations diplomatiques secrètes, que l’Allemagne ne prendrait pas ombrage d’une prise de contrôle de l’Égypte par Londres et d’une prise de contrôle de la Tunisie par la France. En contrepartie, l’Allemagne voulait le champ libre dans d’autres parties du monde. Les dirigeants politiques français étaient d’ailleurs bien conscients des motivations de Bismarck. L’Allemagne avait imposé une défaite militaire humiliante à la France en 1870-1871 et lui avait ravi l’Alsace et la Lorraine. Bismarck, en « offrant » la Tunisie à la France, voulait détourner Paris de l’Alsace et de la Lorraine en lui offrant un prix de consolation. Une très large documentation est disponible à ce sujet.

    En somme, le sort réservé à l’Égypte et à la Tunisie préfigure le grand partage de l’Afrique auquel les puissances européennes se livrèrent, quelques années plus tard, lors d’une autre conférence à Berlin tenue en 1885 [14].

    L’occupation militaire de l’Égypte à partir de 1882 et sa transformation en protectorat

    Dans le cas de l’Égypte et de la Tunisie, la dette a constitué l’arme la plus puissante utilisée par des puissances européennes pour assurer leur domination, en les menant jusqu’à la soumission totale d’États jusque-là indépendants.

    Suite à la mise en place de la Caisse de la Dette publique, les banques françaises font le maximum pour obtenir toujours plus de remboursements et de profits en prenant de moins en moins de nouveaux engagements. À partir de 1881, les banques françaises renoncent à octroyer de nouveaux prêts à l’Égypte, elles se contentent d’engranger les remboursements des anciennes dettes restructurées. Quand en janvier 1882 une crise boursière éclate à Paris, les banques françaises ont d’autres préoccupations que l’Égypte.

    La Caisse de la Dette publique impose à l’Égypte des mesures d’austérité très impopulaires qui génèrent une rébellion, y compris militaire (le général Ahmed Urabi défend des positions nationalistes et résiste aux diktats des puissances européennes). Le Royaume-Uni et la France prennent prétexte de la rébellion pour envoyer un corps expéditionnaire à Alexandrie en 1882. Finalement, la Grande-Bretagne entre en guerre contre l’armée égyptienne, occupe militairement de manière permanente le pays et le transforme en un protectorat. Sous domination britannique, le développement de l’Égypte sera largement bloqué et soumis aux intérêts de Londres. Comme l’écrivait Rosa Luxemburg en 1913 : « L’économie égyptienne a été engloutie dans une très large mesure par le capital européen. D’immenses étendues de terres, des forces de travail considérables et une masse de produits transférés à l’État sous forme d’impôts ont été finalement transformés en capital européen et accumulés. » [15]

    La Caisse de la Dette publique ne sera supprimée qu’en juillet 1940 [16] (voir illustration ci-dessous). L’accord imposé à l’Égypte par le Royaume-Uni en 1940 prolonge la domination financière et coloniale car le Royaume-Uni obtient la poursuite des remboursements d’une dette qui est devenue permanente.

    Il faudra le renversement de la monarchie égyptienne en 1952 par de jeunes militaires progressistes dirigés par Gamel Abdel Nasser et la nationalisation du Canal de Suez le 26 juillet 1956 pour que, pendant une période d’une quinzaine d’années, l’Égypte tente à nouveau un développement partiellement autonome [17].

    Eric Toussaint

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37998

    Bibliographie

    • Anderson, Perry. 1976. L’État absolutiste. Ses origines et ses voies, traduction française 1978, Paris : Maspero, 2 volumes, 203 p. et 409 p.
    • BATOU, Jean. L’Égypte de Muhammad Ali. Pouvoir politique et développement économique, 1805-1848. Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 1991, 46ᵉ année, N°2. pp. 401-428, en ligne
    • BOUVIER, Jean. 1960. Les intérêts financiers et la question d’Égypte (1875-1876), Revue Historique, 1960, T. 224, Fasc. 1, pp. 75-104.
    • CORM, Georges. 1982. L’endettement des pays en voie de développement : origine et mécanisme in Sanchez Arnau, J.-C. coord. 1982. Dette et développement (mécanismes et conséquences de l’endettement du Tiers-monde), Editions Publisud, Paris
    • DRIAULT, Edouard et LHÉRITIER, Michel. 1926. Histoire diplomatique de la Grèce de 1821 à nos jours, Paris : Presses universitaires de France (PUF), 5 tomes.
    • Foreign Affairs, United Kingdom, Treaties. 1940. CONVENTION RELATIVE A L’ABOLITION DE LA CAISSE DE LA DETTE PUBLIQUE EGYPTIENNE. 17 July 1940. London.
    • LUXEMBURG, Rosa, 1913, L’Accumulation du capital, Paris : Maspero, Vol. II, 1969.
    • MANDEL, Ernest, 1972, Le Troisième âge du capitalisme, Paris : La Passion, 1997, 500 p.
    • MARICHAL, Carlos, 1989, A Century of Debt Crises in Latin America, Prince­ton : Princeton University Press, 283 p.
    • Ministère des affaires étrangères de la France. 1876. Décret d’institution de la caisse de la dette publique d’Égypte... et 6 autres décrets relatifs au Trésor et à la dette, Paris, 1876. 30 pages. consulté le 14 mai 2016
    • Ministère des affaires étrangères de la France. 1898. Arrangement financier avec la Grèce : travaux de la Commission internationale chargée de la préparation du projet, Paris, 1898, 223 pages.
    • REINHARDT, Carmen et ROGOFF, Kenneth, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Paris, Pearson, 2010.
    • REINHARDT, Carmen M., and SBRANCIA, M. Belen. 2015. The Liquidation of Government Debt. Economic Policy 30, no. 82 : p 291-333
    • SACK, Alexander Nahum, 1927, Les effets des transformations des États sur leurs dettes publiques et autres obligations financières, Recueil Sirey, Paris.
    • THIVEAUD, Jean-Marie. Un marché en éruption : Alexandrie (1850-1880). Revue d’économie financière, 1994, n°30. Les marchés financiers émergents (II) sous la direction de Olivier Pastré. pp. 273-298.
    • Toussaint, Éric. 2004. La Finance contre les peuples. La bourse ou la vie, CADTM-Bruxelles/CETIM-Genève/Syllepse-Paris, 640 p.
    • TOUSSAINT, Éric. 2016. « La Grèce indépendante est née avec une dette odieuse »
    • TOUSSAINT, Éric. 2016. « Grèce : La poursuite de l’esclavage pour dette de la fin du 19e siècle à la Seconde Guerre mondiale »
    • Toussaint, Éric. 2006. Banque mondiale : le coup d’État permanent, Liège-Paris-Genève, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006.
    • WESSELING, Henri. 1996. Le partage de l’Afrique - 1880-1914, Paris, Denoël (Folio Histoire, 2002 ; 1re édition en néerlandais en 1991), 840 p.

    Remerciements

    L’auteur remercie pour leur relecture et leurs suggestions : Gilbert Achcar, Mokhtar Ben Afsa, Omar Aziki, Fathi Chamkhi, Alain Gresh, Gus Massiah, Claude Quémar, Patrick Saurin, Dominique Vidal.

    L’auteur est entièrement responsable des éventuelles erreurs contenues dans ce travail.

    http://cadtm.org/La-dette-comme-instrument-de-la

     

  • Arrestations et censure : non à l’offensive anti-démocratique en Egypte ! (NPA)

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    La répression a atteint une ampleur inégalée en Egypte :

    raid contre le syndicat des journalistes, arrestations arbitraires, violences systématiques, disparitions, interpellations de militant-e-s, de journalistes et d'avocats... Plus de 1200 personnes ont été arrêtées par les forces de l'ordre égyptiennes depuis le 15 avril.

    Le mémo gouvernemental révélé accidentellement à la presse prouve la volonté du pouvoir de lutter contre toute forme de contestation et de revendications démocratiques. La chape de plomb que le gouvernement Sissi tente d'imposer à la presse en est une des manifestations les plus évidentes.

    La gravité de la situation requiert toute notre solidarité internationaliste. Nous dénonçons toujours et avec force les accords en particulier militaires qui lient la France à l'Egypte, favorisant la dictature militaire en place.

    Nous exigeons la libération de tou-te-s les prisonnier-e-s politiques et réaffirmons notre soutien total à la lutte pour la démocratie du peuple égyptien.

    Montreuil, le 9 mai 2016

    https://npa2009.org/offensive-anti-democratique-en-egypte

    Lire aussi:

    http://www.pambazuka.org/fr/Egypte-silence-purge

    http://www.pambazuka.org/fr/activism/egypte-cinq-ans-après

     
  • Nouveautés sur Association France Palestine Solidarité

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    USA : Dites au Congrès de Soutenir les Droits des Enfants Palestiniens !

    US Campaign to End the Israeli Occupation (Campagne aux USA pour mettre fin à l’occupation israélienne), jeudi 12 mai 2016
  • Nouveautés sur "Lutte Ouvrière"

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  • Egypte

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    La main d'un paysan El Kalubia au NE du Caire

  • Egypte : « Nous sommes des idées et les idées ne meurent pas ni ne peuvent être emprisonnées » (NPA)

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    Témoignage d’un militant révolutionnaire égyptien après la répression du 25 avril. 

    Depuis 2014 et le mouvement révolutionnaire égyptien, nous restons vigilants. Après les manifestations contre Mohamed Morsi, le président issu des Frères musulmans, et la manœuvre de l’armée contre le mouvement, en prenant le pouvoir à la fois de Morsi et des révolutionnaires et en plaçant Sissi à la présidence de l’Egypte, nous avons essayé de revenir dans les rues pour empêcher le retour de l’ancien Etat sous le système Sissi.

    Mais nous avons ensuite réalisé que Sissi ne cherche pas seulement à rétablir l’ancien système de Moubarak. Son objectif est de faire passer le poids de l’armée dans l’économie égyptienne de 49% à presque 95% (1), ce qui nous conduit au milieu d’un conflit entre l’armée et la Military intelligence d’une part, et la General Intelligence et les milieux d’affaires, d’autre part. Ce combat est devenu notre pire cauchemar puisque les deux bords tentent de nous instrumentaliser, ce qui nous rend très prudents afin de ne pas être utilisés comme en 2013 (2).

    Depuis cette période nous avons vu à quel point le gouvernement Sissi est devenu violent et dément, utilisant tous les outils à sa disposition pour se protéger, tuant et arrêtant quiconque s’exprime, et laissant la police punir à sa guise dans le pays. Cela a permis à la police de recourir à tous les actes criminels sans crainte de poursuites, en particulier après le discours de Sissi à l’académie de police, lors duquel il a déclaré littéralement qu’il « n’y aurait aucune poursuite à l’encontre des officiers qui tuent des opposants à la démocratie et à notre Egypte ».

    Nous avons tenté à plusieurs reprises de retourner dans les rues mais cela relevait du suicide. Et plus tard, avec la visite du roi d’Arabie Saoudite en Egypte, nous avons constaté que le système égyptien avait atteint un degré de folie tel qu’il a donné à l’Arabie Saoudite deux territoires près du Sinaï à notre frontière commune. Cela en prétendant que ces territoires appartenaient à l’Arabie saoudite, ce qui n’a pas de sens puisque l’Arabie Saoudite a été fondée en 1934, alors que la carte de l’Egypte date de 1883, et que nous avons combattu lors de deux guerres pour récupérer le Sinaï y compris ces deux territoires.

    Puisque nous ne pouvons rester silencieux face à cette folie de l’Etat, nos partis se sont mis d’accord pour lancer une campagne sous le titre « l’Egypte n’est pas à vendre » et nous avons choisi le jour de la Libération du Sinaï, le 25 avril, pour lancer des manifestations de protestations dans toute l’Egypte contre l’accord avec l’Arabie saoudite et contre le fonctionnement du gouvernement.

    L’Etat a compris le danger que représentait pour lui le réveil du mouvement égyptien (3) ; il a donc commencé à nous combattre dès le 22 avril : dans les cafés où nous nous rendons habituellement, tous les jeunes ont été arrêtés ; la police est entrée par effraction dans les maisons et les rassemblements des militants, et les a arrêtés, pour nous empêcher de manifester le 25 avril.

    Mais cela n’a pas pu nous briser : nous sommes descendus dans la rue et à chaque fois qu’ils nous ont tiré dessus et ont arrêté nos camarades, nous nous sommes rassemblés encore et encore. Nous avons prouvé aujourd’hui que nous sommes revenus dans la rue et que notre combat contre ce système ne mourra jamais. Et c’est ce qui les effraie. Aujourd’hui nous avons perdu 168 camarades arrêtés, et notre avocat travaille sur leurs dossiers. Mais nous ne nous arrêterons pas. Nous avons déjà perdu 41 000 personnes détenues entre 2011 et aujourd’hui. Nous sommes des idées et les idées ne meurent pas ni ne peuvent être emprisonnées.

    M. Meligi

    (témoignage recueilli et traduit par Chloé Moindreau)

    1- Lire à ce sujet : http://www.slate.fr/story/87853/tentativ...

    2- Lire à ce sujet Alain Gresh : http://blog.mondediplo.net/2013-08-26-Eg...

    3- Une première manifestation importante avait eu lieu le 15 avril.

    Lire par exemple : http://www.liberation.fr/planete/2016/04...

    https://npa2009.org/egypte-nous-sommes-des-idees-et-les-idees-ne-meurent-pas

     

     
  • Nouveautés sur Afriques en Lutte

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    Contre les viols par l’armée djiboutienne et l’impunité, grève de la faim de 10 femmes Djiboutiennes

    Contre les viols par l’armée djiboutienne et l’impunité, grève de la faim de 10 femmes Djiboutiennes Dix femmes de Djibouti, résidant en Belgique entament une grève de la faim, le 25 avril 2016, dans la continuité des actions menées à Cachan (France) Pour dénoncer les viols des Femmes Afar par des soldats djiboutiens qui continuent dans l’impunité totale depuis septembre 1993, dans le Nord et le Sud-Ouest du pays. Elles entendent protester contre ces violences et briser le mur de silence érigé autour (...)

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