Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Tunisie - Page 5

  • Maghreb: éléments d’un débat sur la situation. Mohamed Bouazizi, Guermah Massinissa et Mouhcine Fikri… le même combat (Al'Encontre.ch)

    Mohamed Bouazizi: manifestation à Sidi Bouzid, en février 2011

     

    1. La région du Maghreb, Maroc, Algérie Tunisie, est traversée, à des rythmes inégaux, par des mouvements sociaux d’ampleur révolutionnaire. Le plus représentatif par la dynamique révolutionnaire tracée et le plus abouti, ou le plus avancé, dans la construction d’une rupture démocratique et sociale est bien évidemment le mouvement enclenché par Mohamed Bouazizi en Tunisie en 2011 [vendeur ambulant, décédé le 4 janvier 2011 à Ben Arous, suite à un suicide par immolation]. Il constitue jusqu’à aujourd’hui un modèle de référence aux yeux des mouvements et des protestations de la région. L’Algérie, une dizaine d’années auparavant, en 2001, a connu le même type de mouvement de protestation, avec la même ampleur et un niveau d’organisation même supérieur, mais sans aboutir à un quelconque changement politique dans la structure du pouvoir. La circonscription du mouvement dans un territoire, la Kabylie, sa connotation identitaire et culturelle liée à sa spécificité dans l’histoire politique du pays l’a en partie marginalisé. Il n’en reste pas moins que les dimensions sociales et démocratiques ont profondément structuré le mouvement [Mohamed Guermah, dit Massinissa, succombera à ses blessures le 20 avril 2001, après avoir avoir été blessé par une rafale de mitraillette le 18 avril; sa mort sera le déclencheur d’une vaste révolte].

    Mouhcine Fikri, vendeur de poisson, écrasé dans une benne, dans laquelle ses poissons avaient été jetés… Une révolte contre la hogra

    Récemment, au Maroc, la région d’Al-Hoceima [fin octobre et début novembre 2016, la population a manifesté, avec vigueur sa colère contre les abus du pouvoir, l’injustice – la hogra – suite à la mort d’un vendeur de poisson, Mouhacine Fikri, originaire du Rif, écrasé dans une benne à ordure, suite à l’action de la police] a connu un mouvement similaire, porteur du même type de revendication sociale et démocratique avec la même portée politique. Ce mouvement marocain rappelle le cas tunisien par l’élément déclencheur et le cas algérien par sa circonscription dans un territoire où la référence à la dimension identitaire berbère de la région tente de structurer le mouvement.

    L’inégalité d’expression de ces mouvements dans le temps mais aussi dans les rythmes est en dernière instance liée aux histoires respectives et aux degrés d’insertion des trois pays dans les capitalismes mondiaux. Ils ont toutefois quelque chose de commun dans la mise au premier plan de la question sociale et politique.

    2. Le rapport de la société algérienne avec le capitalisme est plus chahuté que ses voisins. Historiquement, l’émergence du capitalisme dans le territoire qui deviendra plus tard l’Algérie est accompagnée d’une violence et d’une radicalité qui s’apparente à un génocide culturel. La colonisation de peuplement dès les débuts du XIXe siècle, saluée par ailleurs par les penseurs des Lumières y compris certains socialistes, notamment les utopistes, a façonné l’Algérie moderne et a restructuré en profondeur, jusqu’au déracinement [1], la société et son territoire. Mais cette «modernisation» capitaliste, loin de créer une société nouvelle et construire son émancipation chère aux utopistes, a engendré plutôt une exclusion. Cette exclusion est vécue comme une rupture avec le monde oriental représenté en ce moment-là par l’empire Ottoman finissant. Cette exclusion s’est d’abord exprimée par un repli identitaire et un rejet, par désespoir, de cette «modernité». Celle-là est associée plus à la violence coloniale qu’aux «bienfaits» historiques du capitalisme. Elle a généré par la suite une résistance puis une rupture aussi radicale que violente avec la colonisation, et sa culture «occidentale» qui lui est associée, sans une coupure explicite avec son corollaire le capitalisme.

    Cette histoire mouvementée peut expliquer en partie la «panique identitaire» [2] avec laquelle s’est construit le nationalisme algérien. Portée et nourrie pendant ces dernières décennies par les arabistes (Baâthistes… entre autres de Syrie), les islamistes ou encore les berbéristes avec son avatar récent chez les autonomistes Kabyles du MAK [Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, apparu en 2001, son nom actuel date de 2013], cette problématique culturaliste n’a toutefois réussi qu’en partie à placer la question identitaire au centre de la vie politique et n’a pas effacé totalement la question sociale des enjeux politiques. Celle-ci a de tout temps été présente.

    3. Introduit par un colonialisme plus «soft», sous forme de protectorat à la fin du XIXe siècle pour la Tunisie et au début du XXe siècle pour le Maroc, le capitalisme a plus joué sur l’intégration des élites locales (le Makhzen pour le Maroc) que par l’exclusion dans les nouveaux mécanismes de domination coloniale et capitaliste. La restructuration territoriale et urbaine est à l’image des transformations sociales des deux pays. Les traces du patrimoine urbain et culturel sont fortement visibles, aujourd’hui, au Maroc et à un degré moindre en Tunisie, alors qu’il est totalement, ou presque, effacé en Algérie.

    Les conditions du triomphe du capitalisme et de la culture bourgeoise européenne conquérante dans ces pays du Maghreb ont fortement conditionné leur développement économique et social capitaliste ultérieur, plus enclin à s’intégrer dans un rapport de dépendance assumé pour les bourgeoisies marocaine et tunisienne qu’a s’autonomiser comme la bourgeoisie algérienne naissante. Ceci explique aussi, en partie, l’acceptation par les classes subalternes de la hiérarchie sociale traditionnellement inégalitaire au Maroc et, à un degré moindre, en Tunisie mais systématiquement contestée en Algérie où l’esprit égalitaire est bien ancré chez les couches populaires. Cette posture en Algérie procède plus par les conditions de résistance acharnée au processus d’expropriation-privatisation mené par le colonialisme français que tente de reprendre mais difficilement les nouvelles classes dominantes et non à un quelconque attachement à une «l’idéologie socialiste» qui aurait marqué les premières décennies de l’indépendance.

     

    Le «printemps noir» de Kabylie, initié en avril 2001. Les forces de répression ont tué 123 jeunes, pour l’essentiel. Le rapport de la Commission d’enquête, de juillet 2001, caractérise ainsi la répression: «[Le] nombre des civils blessés par balles présente une proportion de morts, variant […] de un sur dix à un sur trois [qui] n’est comparable qu’avec les pertes militaires, lors des combats réputés les plus durs en temps de guerre.»

    4. Ces aspects historiques et culturels n’expliquent pas tout. L’émergence des luttes sociales qui occupent de plus en plus une place importante dans l’espace politique de la région est directement liée à la politique de plus en plus néolibérale menée par les gouvernements des trois pays. L’évolution des structures capitalistes concourt vers un point commun: une dépendance économique directe avec le capitalisme mondial (banques, groupes industriels, services…), même si le capitalisme algérien confectionne une certaine autonomie, notamment sur le plan financier, à cause ou grâce à ses revenus énergétiques en pétrole et gaz. Cette dépendance entraîne une forme d’exploitation de même type des travailleurs et de l’environnement: une précarisation de plus en plus accrue des travailleurs, d’un côté, et, de l’autre, un pillage des richesses naturelles (hydrocarbures, phosphates ou encore produits agricoles…), sans souci de l’équilibre écologique et environnemental directement touché par la crise climatique mondiale. Sur le plan social, cette évolution entraîne un accroissement des inégalités sociales. Il y a même une volonté sournoise à intégrer les nouveaux migrants subsahariens dans l’économie et d’une manière informelle pour mieux les exploiter.

     

    Cette évolution engendre, dans le cas du Maroc, des régions à «développement» intense dans l’industrie touristique, l’industrie automobile, des zones franches et des immenses parties du territoire reléguées à la périphérie comme le Rif, l’Atlas… C’est le même cas en Tunisie qui connaît le même type d’appropriation privative et de distribution inégale de ses ressources naturelles, avec le même type de développement géographique et territorial inégal. Entre «un pays utile» le long du Sahel méditerranéen, et un arrière-pays ouest et sud-ouest, les inégalités apparaissent à vue d’œil. Cela donne un sens au processus révolutionnaire en cours parti de cette partie du territoire en 2011. C’est aussi la même explication qu’on pourrait donner à la révolte en cours au Maroc, dans le Rif.

    Cette inégalité sociale et territoriale est légèrement différente en Algérie malgré son vaste territoire. Cela ne l’exclut pas pour autant de la même dynamique en cours. La logique développementiste empruntée par le capitalisme algérien sur la voie de «l’industrie industrialisante» des trente premières années d’indépendance du pays fut menée avec le souci d’une intégration globale des territoires et des populations. Elle a surtout engendré un mouvement de population et d’urbanisation accrue autour des grands centres urbains mais aussi des villes moyennes. De ce point de vue, les révoltes récurrentes et importantes en Kabylie ne doivent pas nous cacher les révoltes aussi nombreuses que récurrentes dans les grands centres urbains. Les protestations à Alger, Constantine, Bejaia, Annaba ou encore Ouargla et la vallée du Mzab – ces deux dernières étant présentées comme «des révoltes du sud» comme pour les régionaliser – ont toute un caractère urbain. Ce sont des «luttes urbaines», c’est-à-dire une généralisation progressive de mouvements sociaux urbains, des systèmes de pratiques sociales contradictoires qui remettent en cause l’ordre établi à partir de contradictions spécifiques de la problématique urbaine [3].

    Mais, de même qu’il ne peut exister «un socialisme dans un seul pays», ou pourra dire qu’il ne peut y avoir un développement intégré dans le cadre du capitalisme dans un seul pays. Rompant avec ce projet dès la fin des années 1980, la politique poursuivie a visé la destruction de l’appareil productif balbutiant, certes, mais réel. Le projet économique, industriel, énergétique ou agricole mené par le pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika [mandat présidentiel initié en 1999] vise une intégration «conséquente» à l’économie néolibérale et au marché mondial. Il en ressort non seulement un effritement industriel, mais aussi un effritement de la structure territoriale engagée dans un aménagement global dont l’objectif principal est de faciliter la circulation de marchandises et des investissements de capitaux étrangers (autoroute est-ouest, la transsaharienne, la téléphonie mobile, grands barrages d’eau, forage dans la nappe phréatique au Sahara, énergie solaire et gaz de schiste…).

    5. Le corollaire de cette course vers une intégration dans le marché mondial et l’économie néolibérale est la concurrence entre les bourgeoisies des trois pays, notamment entre la bureaucratie bourgeoise au pouvoir en Algérie et le Makhzen [institutions régaliennes sous le protectorat et par la suite] marocain. Si cette concurrence se joue d’une manière sournoise et liftée entre l’industrie touristique tunisienne et le tourisme marocain, celui-ci tire ses dividendes de l’affaiblissement de celui-là, la «paix froide» [4] entre le régime algérien et le roi marocain, avec comme prétexte déclaré le conflit frontalier sur un fond de crise au Sahara-Occidental, cache mal la volonté des deux régimes à prendre le leadership dans la sous-traitance avec l’impérialisme mondial dans la région et pourquoi pas en Afrique. Ce qui explique la course dans la réalisation des grands travaux (autoroutes, TGV Casablanca-Tanger…). Ce qui explique aussi la mise en valeur de «la capacité de l’armée algérienne» à sécuriser la région, autrement dit à jouer le gendarme des puissances mondiales.

    Chaîne de montage de Renault à Oran

    Or, sur le plan économique, le pouvoir algérien vit mal son «retard» vis-à-vis de l’économie de la monarchie, vu sous l’angle du niveau d’insertion dans l’économie néolibérale et du marché mondial. De ce point de vue, la fermeture des frontières entre les deux pays devient une aubaine pour le pouvoir algérien. Il a besoin d’une mise à niveau. Car si ces frontières s’ouvraient, elles dessineraient pour les firmes européennes et américaines opérant au royaume chérifien l’horizon d’une conquête peu coûteuse du marché algérien. Ce qui mettrait l’économie algérienne, qui se libéralise avec prudence, devant une concurrence inégale. Le constructeur automobile français Renault, pour le citer comme exemple, qui possède à Tanger une grande usine entrée en production en février 2012 (170’000 véhicules/an en 2013 et 400’000 à moyen terme, dont 90% destinés à l’exportation) pourrait tirer profit de la normalisation frontalière algéro-marocaine. Ce qui lui permettrait de satisfaire, depuis le territoire marocain – et non plus depuis la France ou la Roumanie comme c’est actuellement le cas – une demande automobile algérienne sans cesse croissante. Ce qui rendrait caduc toute velléité d’investissement dans ce domaine en Algérie [5].

    6. Cette concurrence intergouvernementale construit en revanche un fond commun pour les populations de la région, notamment les masses laborieuses. Les populations des trois pays ne profitent pas (ou de manière très sélective socialement) des richesses et des potentialités de leur territoire respectif. Cette logique néolibérale dominante marginalise de plus en plus des pans de la population et des régions entières avec son lot de creusement constant des inégalités sociales et territoriales. Si ce phénomène est idéologiquement admis au Maroc et en Tunisie, il se faufile et gagne du terrain dans la culture algérienne malgré les résistances. C’est ce qui explique en l’occurrence les révoltes récurrentes. Il gagne aujourd’hui tout le territoire du Maghreb [6].

    Ainsi, on assiste, dans les trois pays, à l’émergence d’un mouvement diversifié, social, syndical, environnemental, culturel et associatif qui constitue la matrice de l’opposition aux pouvoirs autoritaires et à leurs politiques antidémocratiques et néolibérales. Par leurs batailles et leurs résistances acharnées, ils donnent de la consistance à la revendication politique et au combat démocratique et social.

    Politiquement et idéologiquement, ces résistances restent orphelines d’un projet révolutionnaire social et démocratique. Le fantôme de l’islamisme resurgit à chaque instant, notamment face à la montée des extrêmes droites dans le monde. Le terme «islamisme» prend aujourd’hui de multitudes définitions, du culturel au politique. La domination de l’islam sur les mœurs et la culture des peuples du Maghreb n’est pas un fait nouveau. L’indépendance des trois pays n’a malheureusement pas achevé la dimension démocratique et culturelle du processus révolutionnaire même si, à l’endroit de l’islam, il a suivi des trajectoires différentes et inégales dans les trois pays, plus «laïcisant» en Tunisie, dompté et institutionnalisé au Maroc et sur-politisé en Algérie. La montée de l’islam politique qu’on désigne par le terme «islamisme» a consolidé ce conservatisme et a éloigné la nécessaire avancée vers une laïcité de l’espace public et des institutions. Il faut aujourd’hui remonter la pente pour revenir aux maigres acquis de l’indépendance sur ce terrain.

    La réponse est cependant dans l’analyse de chaque mouvement se réclamant de l’islam dans sa dynamique réelle et dépasser la simple lecture formelle de son expression.

    Aujourd’hui, l’enjeu immédiat que porte l’islamisme dans ses différentes expressions oscille entre d’un côté la réaction légitime des sociétés musulmanes face à l’islamophobie ambiante dans les sociétés occidentales et, de l’autre côté, la montée d’un culturalisme conservateur et réactionnaire en guerre contre la raison et les acquis de la pensée des « lumières » dont est issu le marxisme. Ce culturalisme fait le lit des extrêmes droites et des barbaries montantes dont l’islamisme constitue un agent. Il est de ce fait nécessaire de faire la part de choses: ne pas tomber dans le piège de la défense a-historique de «l’islam» contre l’islamophobie au risque de ne voir dans l’islamisme qu’une «islamisation de la radicalité» des démunis ou des exclus; ne pas essentialiser l’islam et ne voir en lui que la barbarie fasciste.

    La crise qui s’installe qui peut à terme aiguiser les contradictions de la libéralisation capitaliste en cours ne place pas d’une manière mécanique les islamistes de tout bord comme alternative. Une dynamique de fascisation derrière des courants islamistes n’est possible que dans une situation de crise révolutionnaire sans débouché. Aujourd’hui, et aux yeux des populations, le danger est surtout dans une dégénérescence régionale qui peut faire le lit d’une «daechisation» de l’extérieur. Ce qui contribue plutôt à renforcer le front interne autour des pouvoirs qui pour l’instant ne montrent pas de grands signes d’essoufflement malgré la «maladie» et la vieillesse de leurs leaders respectifs, roi et présidents. (Article écrit le 3 février 2017)

    Publié par Alencontre le 22 - février - 2017Nadir Djermoune
     

    Notes:

    [1] Voir sur cette question, P. BOURDIEU, A. SAYAD, Le déracinement, la crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Ed. de Minuit, Paris, 1964.

    [2] Expression empruntée à D. BENSAID, La discordance des temps, Ed. de la Passion, Paris, 1995, p. 149.

    [3] Par «problématique urbaine» on se réfère « à toute une série d’actes et de situation de la vie quotidienne dont le déroulement et les caractéristiques dépendent étroitement de l’organisation sociale générale. Ce sont, à un premier niveau, les conditions de logements collectifs (écoles, hôpitaux, crèches, jardins, aires sportives, centres culturels, etc.) dans une gamme de problèmes qui vont des conditions de sécurité dans les immeubles, au contenu des activités culturelles des centres de jeunes, reproductrice de l’idéologie dominante (…), ce sont pour des millions d’hommes les longues heures harassantes de transport, le matin et le soir (…) impuissants dans un flot de voitures immobiles où les moteurs tournent et se dépensent (…) c’est aussi le temps fractionné de la journée, la séparation fractionnelle des différentes activités (…)», voir Manuel CASTELLES, Luttes urbaines, Ed. Maspero, Paris 1975, p. 8. Voir aussi à ce propos H. LEFEVBRE, La révolution Urbaine, Ed. Gallimard, Paris, 1970, ou encore, D. HARVEY, Villes rebelles, du droit à la ville à la révolution urbaine, Ed. Buchet Chastel 2015.

    [4] Voir pour cette «paix froide» Akram Belkaid, http://www.courrierinternational.com/article/2009/04/09/un-differend-qui-n-a-que-trop-dure.

    [5] Voir sur cette question Y. TEMLALY, L’avenir du capitalisme marocain se joue aussi en Algérie, http://www.maghrebemergent.com/contributions/opinions/

    [6] Voir aussi, comme texte de référence sur l’évolution de la question sociale et politique au Maghreb, Ramdane MOHAND ACHOUR, La nouvelle Etoile nord-africaine, Libre-Algérie.

  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

    fatima.jpg

     

     

  • Nouveautés PT sur ESSF

    Parti_des_travailleurs_(Tunisie).svg.png

     

     

  • Tunis: Gramci (Fondation Rosa Luxembourg)

    gramci.jpg

    https://www.facebook.com/RosaLux.NorthAfrica/

     

    Commentaire: Cette fondation serait proche du Parti Allemand "Die Linke"

     

  • Nouveautés sur "Afriques en Lutte"

    afri.jpg

    Mobilisation pour la libération des prisonniers politiques sahraouis

    Quelques infos sur la mobilisation sur la question sahraouie dans les semaines qui viennent, notamment dans le cadre de la 12ème Semaine anticoloniale et antiraciste qui se tiendra du 4 au 20 mars à Paris mais aussi en région (voir le programme actualisé sur www.anticolonial.net). Les associations sahraouies et de soutien à la cause sahraouie sont particulièrement intéressées par plusieurs évènements : Soirée d’ouverture le jeudi 23 février à 18h au siège du PCF place du Colonel Fabien centrée sur (...)

    "Tunisie : six ans après la Révolution, les mouvements sociaux se multiplient"

    Le Comité pour le respect des libertés des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT), le Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID), - l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (...)

    Tunisie : Le parlement devrait amender le projet de loi sur les stupéfiants Il faut supprimer les peines de prison pour les simples utilisateurs

    Le parlement tunisien devrait amender le projet de loi sur les stupéfiants qui lui a été présenté, afin d’en renforcer les dispositions en matière de droits humains, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch, Avocats sans Frontières et la Ligue (...)

    Djibouti : Condamnation de la réception d’Ismaël Omar Guelleh à l’Elysée et appel à manifester

    La réception en visite officielle d’Ismaël Omar Guelleh en France est inacceptable pour les citoyens du monde que nous sommes. Elle constitue un dénigrement manifeste des droits des Djiboutiens à la démocratie et à la liberté déjà totalement bafoués (...)

  • Les Mouvements sociaux en Tunisie, 6 ans après la Révolution

    – Le Comité pour le respect des libertés des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT),
    – le Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID), –
    – l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC) 
    – Le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES)
    Vous invitent
    Vendredi 3 mars 2017 de 18h30 à 22h00
    Salle Jean Dame – 17 rue Léopold-Bellan 75002 Paris
      Métro : Sentier (ligne 3)
     
    A une rencontre-débat
    « Tunisie : six ans après la Révolution,
    les mouvements sociaux  se multiplient » 
     
    Cette rencontre-débat sera animée par Edith LHOMEL, secrétaire du CRLDHT avec :
     
    Hedhili Abderrahman, président du FTDES
    Maher Hanin, enseignant-chercheur, membre du FTDES
    Amélie Canonne, co-présidente du CRID
    – Annick Coupé, Secrétaire générale d’ATTAC
     
     
    Les Mouvements sociaux en Tunisie, 6 ans après la Révolution
     
    Le grand paradoxe de la Révolution tunisienne est la persistance, voire l’aggravation des inégalités sociales et des disparités régionales alors que la jeunesse des régions de l’intérieur qui a déclenché l’insurrection s’est levée pour l’emploi, le développement, la dignité et la liberté.
    Six ans après janvier 2011, les gouvernements successifs ne cessent de reproduire les vieilles recettes économiques et sociales du régime de Ben Ali avec les conséquences que les Tunisien.nes vivent au quotidien : une crise chronique, toujours plus de chômage et le sentiment généralisé d’exclusion et de marginalisation.
     
    L’impuissance de l’État face à tous ces défis a entraîné la recrudescence des mouvements sociaux : les « diplômés chômeurs », les employés précaires, les ouvriers agricoles, les couches marginalisées des quartiers populaires se mobilisent un peu partout dans les régions de l’intérieur, recourant à diverses modalités de lutte. Ces mouvements tentent de coordonner leurs actions afin de parler d’une seule voix et de contraindre le pouvoir à les écouter et l’amener à abandonner la logique sécuritaire et le harcèlement judiciaire contre les jeunes manifestants.
     
    Les employés précaires (travaux d’intérêt public dit mécanisme 16), las des promesses de règlement de leur situation, qu’aucun gouvernement n’a tenues, ont décidé à travers leurs coordinations d’entamer une série d’actions dont un sit in national le 9 février devant tous les gouvernorats. Le collectif des coordinations a également annoncé une grève nationale et un sit in à la Casbah le 9 mars 2017.
     
    Les diplômés au chômage qui représentent plus du tiers des chômeurs en Tunisie, dont une grande partie dans les régions intérieures, attendent toujours l’application des articles de la Constitution de 2014 sur le droit à l’emploi et les dispositifs prioritaires prévus à cet effet. Ils ne cessent de se mobiliser à Sidi Bouzid, à Gafsa, à Kairouan, à Kasserine, à Tunis, au Kef et ailleurs. Ainsi, à Meknassi, des diplômés qui chôment depuis dix ans ont déclenché le sit in « Harimna », mais leurs manifestations quotidiennes n’ont eu pour toute réponse que la réaction brutale des autorités et des dizaines de blessés et d’arrestations parmi les manifestants.
     
    S’agissant de la palmeraie de Jemna, elle constitue une expérience prometteuse d’économie solidaire et ouvre un horizon nouveau pour l’emploi et l’exercice de la démocratie locale à contre courant des mœurs bureaucratiques et de la corruption qui gangrène le secteur public. Rappelons qu’au moment de l’insurrection révolutionnaire, alors que les concessionnaires qui exploitaient la palmeraie ont pris la fuite, une association de bénévoles a repris les choses en main. L’Association de sauvegarde de l’oasis de Jemna a très vite réalisé des résultats probants : de 7 à 133 personnes bénéficiant, cette fois-ci, d’une couverture sociale ; des acquisitions de matériel agricole ; des équipements hospitaliers ; l’aménagement de l’école primaire, la construction d’une nouvelle salle de sport ; le financement d’un centre pour enfants handicapés… Le rendement de l’oasis a plus que décuplé et la plus-value a ainsi bénéficié à tout le village.
     
    Pourtant, le gouvernement Chahed a décidé de passer outre et de mettre la main sur la production de dattes et empêché l’association de la mettre en vente. Jemna est une leçon de chose : comment entraver une réussite sociale et économique.
    Six ans après la révolution, le fossé se creuse entre des gouvernements incapables de proposer autre chose que les « solutions » libérales dont l’échec est avéré depuis les années Ben Ali, qui recourent de plus en plus aux moyens sécuritaires et judiciaires ; et la jeunesse des régions déshéritées qui refuse de renoncer aux mots d’ordre de la révolution et retrouve le chemin de la mobilisation sociale légitime et pacifique pour faire aboutir ses droits.
     
    Contacts :
     
    amelie.aitec@reseau-ipam.orglemairegi@wanadoo.fr   –   mouhieddinecherbib@gmail.com
     

  • Tunisie : 153 cas de torture, de violence et de mauvais traitement recensés en 2016 (Webdo.tn)

    Radhia Nasraoui / Gründerin der Vereinigung zum Kampf gegen Folter in Tunesien (ALTT)  Pressebrunch ROLAND BERGER PREIS FÜR MENSCHENWÜRDE - Bekanntgabe der Preisträger im Haus der Bundespressekonferenz in Berlin am 22.11.2011 Foto: BrauerPhotos (c) S.Brauer
    Radhia Nasraoui, présidente de l’Organisation Tunisienne de Lutte Contre la Torture

    La présidente de l’Organisation Tunisienne de Lutte Contre la Torture (OTLCT), Radhia Nasraoui, a annoncé, mercredi 22 février 2017, que «153 cas de torture, de violence et de mauvais traitement ont été recensés » pour l’année 2016.

    Lors d’une conférence de presse tenue hier pour présenter le rapport annuel de l’organisation, Radhia Nasraoui a révélé que parmi les autorités sécuritaires, c’est la police qui a commis le plus de violations contre les personnes en garde à vue, soit 60% des cas enregistrés, suivie des établissements pénitenciers (24%) et de la garde nationale (14%).

    Radhia Nasraoui a, également, révélé que la torture représente plus de la moitié des cas, soit 59% des violations enregistrées, suivie du mauvais traitement (33%), de l’arrestation arbitraire (4%), de la mort suspecte (2%) et de la menace de viol (2%).

    Les violations se répartissent comme suit :

    (36%) dans les postes de police, (25%) dans les prisons, (21%) dans les lieux publics et (5%) dans les postes de la garde nationale.

    Le rapport annuel pour 2016 classifie les violations selon les catégories d’âge des victimes. En le lisant, on découvre que les victimes âgées de plus de 40 ans représentent 21% des cas enregistrés, alors que ceux âgés entre de 19 à 39 ans en représentent 74%, et ceux âgée de 14 à 18 ans 5%.

    Radhia Nasraoui a, également, fait remarquer que les hommes touchés par ces violations représentent 86% des cas, alors que les femmes en représentent 14%.

    Le rapport n’a pas manqué de repartir les violations sur l’ensemble des gouvernorats tunisiens. Le taux le plus élevé a échu au Grand-Tunis et à Bizerte, soit 62%, suivis des gouvernorats du nord-ouest (19%), et ce ceux du Cap Bon et du Sahel (7%).

    Le rapport présenté par l’Organisation Tunisienne de Lutte Contre la Torture va dans le même sens des déclarations d’Avocats Sans Frontières, Amnesty International et l’ONU qui avaient récemment épinglé la Tunisie pour les multiples violations des droits humains qu’ils avaient pu enregistrer.

    Lire aussi:

    http://www.webdo.tn/Webdo.tn)

  • L’interview du dimanche avec Ahlem Belhadj, membre du bureau de l’Association tunisienne des femmes démocrates: «La violence est le dernier bastion du patriarcat» (Le Temps.tn)

    L’interview du dimanche avec Ahlem Belhadj, membre du bureau de l’Association tunisienne des femmes démocrates: «La violence est le dernier bastion du patriarcat»
    Ahlem Belhadj

    La semaine dernière a été marquée par la colère des médecins qui ont réclamé la mise en place d’une loi qui détermine la responsabilité médicale. Toutefois, le corps médical s’est retrouvé au cœur d’une grande campagne de dénigrement après avoir été accusé, par certains, de vouloir légitimer l’erreur médicale. Ahlem Belhadj, pédopsychiatre et militante féministe au sein de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), est revenue, au cours de notre interview dominicale, sur la délicate nuance entre ces deux concepts, les réelles attentes des médecins et sur l’incontournable projet de loi relatif aux violences et discriminations faites aux femmes.

    -Le Temps: Les médecins ont exprimé, la semaine dernière, leur colère après l’éclatement du dossier du nouveau-né à l’hôpital Farhat Hached. Plusieurs versions relatives à cette affaire nous ont été présentées et, bien que l’affaire soit dépassée, la confusion plane toujours. Que s’est-il réellement passé à la maternité de Sousse ?

    Ahlem Belhadj:Ce qui s’est passé à l’hôpital Farhat Hached n’est pas une exception ; cela arrive dans tous les hôpitaux de la République. Malheureusement, cette affaire témoigne de l’état des lieux de la santé publique dans le pays. Toutefois, sur le plan technique et s’agissant de la conduite médicale, il n’y a eu aucune erreur. Il s’agit d’un fœtus de vingt-six semaines, né suite à une complication maternelle et qui pèse un 1,6 Kg. Il est vrai que, dans certains pays, il est peut être viable mais cela demeure très difficile et implique un coût trop important. En Tunisie, nous n’avons pas les moyens pour un cas pareil. Le médecin a tout-de-même réanimé le fœtus pendant vingt-minutes comme l’indique le protocole ; même s’il n’est pas né mort à la naissance, le fœtus n’était pas viable d’où toute la confusion dans cette affaire. Ce qui peut trancher dans un cas pareil c’est l’acte médicolégal et l’acte de décès qui n’a pas été signé. Reste qu’au niveau de la description de l’état du fœtus, il y a eu plusieurs termes techniques qui ne sont pas toujours évidents pour quelqu’un qui n’est pas du domaine.

    Maintenant, s’agissant de l’humanisation de l’hôpital, je dirai que cela fait en effet défaut au niveau de la santé publique qui va très mal. Pour moi, ce qui a réellement fait défaut c’est tout ce qui a suivi l’affaire et qui en a fait une affaire d’opinion publique. La faute médicale est écartée dans ce cas et cela nous ramène aux conditions d’exercice en Tunisie où la faute, ou la responsabilité médicale, n’est pas correctement définie, où les médecins sont jugés sur la base du Code pénal qui comprend l’homicide volontaire et les coups et blessures ce qui est totalement inadmissible puisque l’on ne pratique pas dans un cadre de violence mais, au contraire, on pratique dans une relation qui doit être basée sur la confiance mutuelle et d’obligation de moyens et non pas de résultats. Nous avons besoin d’un cadre légal qui définit la responsabilité médicale et la conduite à tenir en cas de faute médicale. L’emprisonnement préventif ne peut être une réelle solution. D’ailleurs, nous luttons contre cet emprisonnement pour toutes les affaires. Je trouve que la prévention de liberté est un acte trop facile chez nous ; on ne devrait priver les personnes de leur liberté que lorsqu’un procès clair est en cours.

    -L’emprisonnement préventif et l’emprisonnement rapide et facile en Tunisie est devenu un réel problème puisqu’une majorité de nos prisons connaissent une surpopulation importante. On explique cela par les problèmes que pose aujourd’hui le Code pénal avec, entre autres, sa loi 52 relative à la consommation du cannabis.

    Il y a une grande résistance aux tentatives de changement des mentalités. Finalement, on ne conçoit la punition qu’en privant l’individu de sa liberté et cela n’est pas du tout adapté et donne, surtout, l’effet inverse. La punition doit, normalement, amener les personnes à se remettre en question et à revoir ce qu’elles ont commis pour réparer leur faute et pour apprendre à respecter autrui et savoir vivre en respectant la loi. Mais nous, nous allons directement à la privation de liberté ce qui est totalement dépassé. La machine judiciaire est très difficile à changer et les mentalités ne sont pas prêtes à changer non plus. Nous avons mené plus d’actions par rapport à ce problème et il ne faut surtout pas baisser les bras dans ce combat. Il faut que la Justice prenne son temps avant de priver quelqu’un de sa liberté. En plus, il existe plusieurs situations où l’on peut se passer de cette punition pour aller vers d’autres formes de peine qui peuvent améliorer l’individu qui a commis le délit et apporter le plus pour la société. Il ne faut pas fonctionner avec l’esprit de la vengeance ; c’est une étape que nous n’avons pas encore réussi à atteindre.

    -La rigidité de cet appareil judiciaire et des mentalités risque-t-elle de bloquer la loi organique de lutte contre les violences et discriminations faites aux femmes ?

    On considère que la loi organique est le fruit et l’aboutissement des luttes féministes depuis plusieurs années et dont l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a été une principale actrice. Le projet de loi est aujourd’hui soumis à l’ARP et la Commission en charge vient d’entamer sa discussion. Toutefois, on constate beaucoup de résistance. Nous avons une lecture assez critique du texte – même si on se félicite de cette loi organique qui comprend une vision intégrale de la violence à l’égard de la femme – et nous avons d’ailleurs une publication critique du texte article par article avec les avancées et les propositions. Nous avons préparé ce travail depuis quelques temps et nous avons demandé à être auditionné par la Commission de l’ARP.

    -Pouvez-vous nous présenter quelques exemples des articles qui font défaut à ce projet de loi ?

    Le référentiel, bien que l’on fasse référence aux droits humains, est manquant à nous yeux parce qu’on aimerait bien qu’il y ait un préambule qui évoque clairement tout ce référentiel. Nous avons, aussi, quelques remarques relatives aux définitions existantes dans ce projet de loi pour les améliorer. Par contre, au niveau de la prévention, nous pensons qu’il est vital de mettre un terme à toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes comme étant la base de toutes les violences ; la violence existe aujourd’hui parce qu’il existe un système de domination homme/femme, c’est le patriarcat en quelque sorte.

    -Le système actuel de l’héritage entre-t-il dans cette formule ?

    Justement, toute forme de discrimination est un préalable à la violence contre la femme et c’est pour cela que l’on s’attaque à toutes les lois discriminatoires. D’ailleurs, nous avons demandé l’harmonisation de la loi avec la Constitution parce qu’on pense que cette dernière est avancée par rapport à nos lois et qu’il n’y a pas moyen de lutter contre la violence si on n’abolit pas toutes les lois discriminatoires. Le noyau dur de ces lois existe au sein de la famille où le chef c’est le père et la tutelle est toujours paternelle sauf cas réglementé par la loi (il n’existe pas de tutelle conjointe). Quand l’enfant est élevé dans un milieu où, dès sa naissance, le père est toujours le chef, il ne peut pas échapper à la déduction que la domination est toujours masculine. Le garçon comprend donc qu’il a un rôle supérieur à celui de la fille. Cela crée la mentalité que nous sommes en train de combattre et fait le lit des violences à l’égard des femmes. La violence existe pour maintenir les femmes dans une forme de soumission. Parfois je me dis que plus la femme progresse, plus les violences, à son encontre, augmentent. En Tunisie, on s’étonne de la croissance du phénomène de la violence puisque c’est un pays où il y a pas mal d’avancées en termes d’acquis de la femme.

    Pour moi, la violence est le dernier bastion du patriarcat ; quand on sent que ce système est menacé, on tente de le réinstaurer par tous les moyens et notamment par la violence. On n’a recours à la violence que lorsqu’on n’arrive plus à dominer. Donc, il faut que les lois qui favorisent cette mentalité de discrimination soient revues conformément aux engagements de la Tunisie au niveau de sa Constitution et des conventions internationales. En ce qui concerne l’égalité successorale, il est clair qu’il s’agit d’une discrimination ; au-delà de la part qui revient à la femme, l’héritage est une manière de voir les femmes comme étant des sous-catégories. Aujourd’hui, les femmes sont responsabilisées dans tout ce qui est dépense mais elles continuent d’hériter la moitié et cela est inadmissible.

    Pour revenir aux points qui font défaut à ce projet de loi, je citerai les articles relatifs à la violence sexuelle ; bien que des avancées existent, elles demeurent insuffisantes. Par exemple, l’article 227 bis où il n’y a plus de mariage, le consentement existe encore. Comment peut-on parler de consentement lorsque la fille n’a que treize ans ? Pour nous, du moment où la fille est mineure, on ne peut pas parler de consentement. La loi évite de parler de la majorité sexuelle alors que cela est vital.

    -C’est peut-être parce que toute la notion de sexualité est taboue en Tunisie.

    A partir du moment où l’on réglemente le Code pénal on est bien obligé d’en parler, de bien fixer les définitions. En tout cas, l’article tel qu’il est actuellement est inadmissible puisqu’un homme de trente ans ou plus peut avoir des relations avec une fille de treize ans ‘consenties’. Certains pays réglementent en fonction de l’âge et cela peut être intéressant mais le problème, pour eux, c’est que cela veut dire que l’on reconnait les relations sexuelles hors cadre du mariage.

    -Est-ce que le viol conjugal a été introduit dans cette loi organique ?

    Le texte comprend une définition mieux adaptée du viol conjugal mais qui nécessite encore quelques autres arrangements ; on n’exclut plus le mari comme un violeur mais, après, la punition ne cite pas le viol conjugal. On aimerait bien qu’il y ait une citation explicite du viol conjugal. Dans notre centre d’écoute, nous avons accompagné beaucoup de femmes victimes du viol conjugal avec des lésions graves : ce n’est pas parce qu’on est l’époux que l’on possède le corps de son épouse. Il existe une autre amélioration relative à la définition de l’harcèlement sexuel mais il y a d’autres points qui doivent être revus.

    Par ailleurs, le rôle de la société civile dans l’accompagnement des femmes victimes de violence n’est pas très clair ; nous avons, à cet effet, proposé l’article 11 bis où on parle de ce rôle puisque c’est la société civile qui s’est chargée, pendant de longues années, d’accompagner ces femmes et aujourd’hui, on responsabilise l’Etat tout en tentant de mettre en place une prise en charge multisectorielle. Il faut que l’Etat s’engage à aider la société civile afin qu’elle puisse ce rôle crucial. Donc, nous avons des critiques mais on accompagne ce processus et on essaie de jouer correctement notre rôle dedans. On demeure inquiet par rapport à certaines réactions de ceux qui attaquent ce projet de loi et qui le considèrent comme étant dicté par l’Occident.

    -Il y a justement eu une conférence à cet effet où le syndicat des Imams a prévenu contre ce projet de loi en expliquant qu’il va autoriser le mariage homosexuel.

    Ce syndicat attaque la loi en se basant sur l’homosexualité – qui n’a aucun lien avec la réalité – parce que cela représente l’argument qu’ils utilisent à tout bout de champ. En 2011, et lorsqu’ils avaient voulu attaquer l’ATFD, ils avaient annoncé que notre association, qui est pour toutes les libertés individuelles et on ne s’en cache pas, défendait le mariage homosexuel. La question du mariage ne s’est, à aucun moment, posé en Tunisie. Depuis bien longtemps, nous évoquons la dépénalisation de l’homosexualité et nous avons mentionné cela au niveau de notre rapport adressé au CEDAW. Donc, pour faire peur au grand public, le premier argument qu’ils emploient c’est le mariage homosexuel. Or, cette loi n’évoque pas du tout ce sujet. Ceux qui avancent cela, veulent en fait que la violence et la domination continuent et je les appelle à dire cela directement sans passer par des arguments pareils. Faire peur à la société sans aucun argument solide, c’est se moquer de l’intelligence des autres. Il est toujours bon d’avoir un débat d’idée surtout autour de questions pareilles mais faut-il encore que chacun dise clairement ce qu’il pense. Cette loi vise le bien des femmes, des hommes et, surtout, le bien être des enfants. La société a besoin d’une loi qui protège tous les Tunisiens contre les violences. On n’a pas besoin de régler nos différends avec autant de violence, il faut que cela cesse. Ceux qui utilisent à cet argument doivent nous dire, clairement, qu’ils sont pour la violence !

    -Récemment, la ministre de la Femme, de la famille et de l’enfance, a annoncé des chiffres alarmants relatifs aux abus sexuels contre les enfants (une augmentation de six cent cas). Ce sujet n’est plus tabou en Tunisie et c’est devenu un sujet de plus en plus médiatisé. Qu’en pensez-vous ?

    Le problème c’est qu’on n’est pas en train de respecter les intérêts de l’enfant victime d’abus sexuel. En tant que pédopsychiatre, j’ai assisté à des situations catastrophiques et je peux en témoigner. L’impact à moyen et court termes est terrible. Après traitement médiatique, quelques enfants se retrouvent dans une situation désastreuse avec, entre autres, leur sortie de l’anonymat (on les reconnait au niveau de leur école et de leur entourage). Certaines histoires sont surmédiatisées et cela donne l’effet inverse et l’enfant est, par la suite, abandonné : 80% des cas n’aboutissent pas et les familles finissent par abandonner. Cependant, je considère qu’il est très positif que le débat soit publiquement ouvert aujourd’hui autour de cette question mais le parcours de l’enfant victime d’abus sexuel est un parcours terrible. Cela fait quelques années que je m’occupe de ce dossier que cela soit au sein de l’ATFD ou au niveau de mon travail et je peux vous assurer qu’à plusieurs reprises, j’hésite à signaler les cas que je traite même si j’y suis obligée ; le parcours judiciaire est tellement infernal pour l’enfant que la victimisation secondaire est plus importante que la victimisation primaire. Parfois, l’abus sexuel a moins d’impact traumatique que le processus qui s’en suit.

    -Ce que vous dites est extrêmement grave, que se passe-il après la signalisation de l’abus pour que l’enfant en sorte encore plus traumatisé ?

    Tout d’abord, l’enfant peut ne pas être cru par son entourage ; au lieu d’être écouté et soutenu, il peut être taxé de menteur et peut même subir des violences physiques en signe de punition pour son supposé mensonge. Parfois, il peut même être responsabilisé de l’abus qu’il a subi surtout lorsqu’on parle d’inceste. Par moment, la réaction de la famille est tellement dramatique que les parents décompensent totalement. J’ai eu à faire à un cas où le père est décédé suite à l’abus sexuel de l’enfant. Après le niveau de la famille, arrive le niveau des institutions où commence la descente aux enfers ; nous avons une seule brigade des mineurs qui existe à Tunis. Donc l’enfant passe, ailleurs, par un poste de police normal où les agents ne sont pas forcément habilités à mener des enquêtes pareilles. J’ai suivi un cas où l’enfant victime a été confronté à son père. Je n’oublierai jamais cet adolescent que j’ai suivi à l’hôpital Razi : il avait cinq ans lorsqu’il a été abusé par son père et le procureur de la République l’avait mis devant son père et lui a demandé de lui raconter ce que ce dernier lui avait fait subir. L’enfant été incapable de placer un mot. Je l’ai revu lorsqu’il avait treize ans et il n’avait qu’une seule idée en tête : voir son père puni pour ce qu’il lui avait fait. Le jeune adolescent avait plein de troubles psychiatriques et il ne parlait que de la punition de son père. L’affaire n’a pas abouti puisque l’enfant a retiré sa plainte et la mère a préféré quitter sa ville et s’est réfugiée, avec son fils, à Tunis pour le protéger de son père.

    Parfois, nous avons à faire à des enfants à peine âgés de trois et quatre ans qui, après être passés par toutes les étapes de l’enquête, sont malmenés par une procédure pénale totalement inadaptée. Normalement, l’enfant est entendu par une juridiction spéciale représentée, en Tunisie, par le juge de la famille mais, comme l’accusé est adulte, l’enfant victime est obligé d’être entendu par une juridiction habituelle. Il y a une Commission qui est en train de revoir actuellement les conditions de ces procédures spéciales et il existe, depuis 2010, un projet de loi dans ce sens. La prise en charge de ces enfants n’est pas toujours possible, faite à temps, suivie, l’accès aux traitements est difficile etc. 

     Entretien mené par Salma BOURAOUI

    http://www.letemps.com.tn/

  • Nouveautés sur "Amnesty International"

    images.jpg

    Tunisie. Les violations des droits humains commises au nom de la sécurité menacent les réformes

    Syrie. Réaction du président Bachar el Assad au rapport d'Amnesty International sur la prison de Saidnaya

    Égypte. Fermeture d’un centre de réadaptation pour les victimes de torture