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Tunisie - Page 6

  • Tunisie : Amnesty s’inquiète d’un retour des « méthodes brutales du passé » (Le Monde)

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    Pour l’ONG, l’état d’urgence en place depuis novembre 2015 a fait se multiplier les violations des droits humains

    Amnesty International s’inquiète d’une recrudescence « importante » de « méthodes brutales du passé » en Tunisie dans le cadre de la lutte antiterroriste, à la faveur notamment de l’état d’urgence, selon un rapport publié lundi 13 février.

    L’unique pays rescapé du Printemps arabe a connu à partir de mars 2015 une série d’attaques jihadistes sanglantes qui ont fait plusieurs dizaines de morts. En réaction, les autorités ont pris un ensemble de mesures sécuritaires dont l’état d’urgence, en vigueur depuis l’attentat contre un bus de la garde présidentielle en novembre 2015 à Tunis (12 agents tués).

    En « recourant de plus en plus aux lois d’exception » et aux « méthodes brutales du passé », la Tunisie met « en péril les avancées obtenues » depuis la révolution de 2011, prévient Amnesty International dans un rapport sur les « violations des droits humains sous l’état d’urgence ».

    « Torture », « arrestations arbitraires », « perquisitions » parfois menées en pleine nuit et « sans mandat », « restriction des déplacements des suspects », « harcèlement de proches » : l’ONG fait état de « récits glaçants » qui, selon elle, marquent une « hausse inquiétante du recours à des méthodes répressives contre les suspects dans les affaires de terrorisme ».

    « Un sinistre rappel du régime »

    Ces témoignages constituent un « sinistre rappel du régime » de Zine el Abidine Ben Ali, poursuit Amnesty.

    Elle précise avoir étudié « 23 cas de torture et mauvais traitements depuis janvier 2015 », dont un « viol » présumé. Elle relève aussi que « des milliers de personnes ont été arrêtées » tandis qu’« au moins 5 000 » autres « se sont vus interdire de voyager » depuis que l’état d’urgence a été réinstauré.

    L’état d’urgence, prolongé le 17 janvier pour un mois, octroie notamment des pouvoirs d’exception aux forces de l’ordre.

    « Certains droits, tels que l’interdiction de la torture, ne peuvent être suspendus en aucune circonstance », argue Amnesty International.

    « Donner toute latitude aux organes chargés de la sécurité pour se comporter comme s’ils étaient au-dessus des lois ne permettra pas de garantir la sécurité », renchérit sa directrice des recherches pour l’Afrique du nord, Heba Morayef.

    Au terme d’une mission ce mois en Tunisie, le rapporteur de l’ONU sur les droits de l’Homme et la lutte antiterroriste, Ben Emmerson, s’est dit « préoccupé » par les conditions de détention. Il a également indiqué avoir recommandé une plus grande « vigilance » vis-à-vis de possibles cas « de torture ».

    Dans un récent rapport, un réseau d’ONG a pour sa part exhorté Tunis à revoir sa loi antiterroriste adoptée à l’été 2015.

    Le Monde.fr avec AFP

    http://www.lemonde.fr/

     

  • Tunisie: 60 mille ouvriers de chantiers en grève de la faim à partir du 9 février 2017 ( Tout DZ )

     

     

    60 mille ouvriers de chantiers entameront le 9 février 2017 une grève de la faim, annonce un communiqué publié, lundi, par le groupement des coordinations régionales des ouvriers de chantiers.


    Un mouvement de protestation devant les sièges de tous les gouvernorats sera organisé le même jour lit-on de même source.
    Le groupement indique que ces mouvements interviennent en réaction au silence du gouvernement qui, selon le groupement, n’a pas honoré ses engagements concernant la lute contre les formes d’emploi précaire.
    Selon la même source, tous les ouvriers et ouvrières de chantiers observeront le 9 mars 2017 une grève nationale et se rassembleront le même jour à la place du gouvernement à la Kasbah.

    Le groupement tient à informer l’opinion publique que les mesures annoncées par le gouvernement au profit des ouvriers de chantiers sont des mesures anciennes qui concernent, uniquement, l’intégration des ouvriers en exercice avant 2011.

    7 février 2017 

    https://www.toutdz.com/

  • Tunisie : 6 ans après une quasi-révolution, un interrègne qui n’en finit pas (Cadtm)

    6 ans, ce n’est rien quand on a 90 ans.

    Mais quand on en a entre 20 et 30, c’est long. Il y a six ans, le peuple tunisien a vu lui échapper un dictateur de bas étage, que l’ambassade US a fait en sorte d’évacuer vers un exil doré à l’ombre des derricks saoudiens. Ce que les médias européens se sont empressés de baptiser stupidement « révolution de jasmin » (expression qu’il n’est jamais venu à l’esprit des Tunisiens d’utiliser) a très vite dégagé un parfum de pourriture. Les politicards ont habilement repris les choses en main et ont concocté une issue dans le plus pur esprit du Guépard : « Nous changerons tout pour que rien ne change ».

    Le résultat est accablant :

    la Tunisie est gouvernée par une coalition de coquins copains comme cochon qui se sont partagé les miettes du gâteau rassis et n’en ont fait tomber que très peu entre les mains du petit peuple. Les tortionnaires et leurs victimes d’hier ont réalisé un compromis historique, se distribuant postes et prébendes. Les espoirs qui s’étaient réveillés dans les journées de décembre 2010-janvier 2011 – « Pain, Liberté, Dignité nationale » – se sont avérés fous. La déception, la dépression, le désespoir se sont installés. Un Tunisien se suicide chaque jour.

    Des milliers d’autres ont pris le chemin du suicide glorieux, entre Libye et Syrie.

    Les plus raisonnables et les mieux outillés s’organisent une émigration légale pour études ou pour « affaires », les petits malins vont à la mangeoire à subventions : il y a tant de gens riches qui nous veulent du bien ! Fondations allemandes, suédoises, suisses, US, japonaises, qataries, autrichiennes, et j’en passe : aujourd’hui, au moins 50 000 Tunisien-nes touchent un salaire d’une fondation, ONG ou OTG (organisation très gouvernementale) étrangère. Pour quelques millions d’Euros, « on » est arrivé à pacifier une bonne partie de l’aile marchante de la jeunesse qui avait fait – ou suivi sur Facebook – cette fameuse quasi-révolution. Le pouvoir est là où se trouvent les coffre-forts et ni dans les ministères ni dans la rue.

    Zygmunt Bauman, le grand Polonais qui vient de nous quitter à 91 ans – un an de plus que Béji Caïd Essebsi, l’actuel président tunisien – avait coutume de dire que le grand problème de notre époque était la dissociation entre le pouvoir et la politique : le pouvoir est mondial, la « boulitique » continue de tenter de survivre à l’intérieur de frontières nationales, que plus personne ne respecte. Nous vivons donc, en Tunisie comme ailleurs, et peut-être encore plus qu’ailleurs, dans l’interrègne, terme emprunté à Antonio Gramsci, que l’avait lui-même repris de l’historien romain Tite-Live parlant du désarroi des Romains après la mort de leur roi Romulus. La grande majorité d’entre eux n’avait de toute sa vie connu que son règne et n’avait donc aucune idée de qui pourrait le remplacer. Gramsci, lui, parlant de la période entre la révolution russe de 1917 et la prise de pouvoir de Mussolini en 1921, écrivait : « La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés ».

    Les maîtres de l’interrègne sont les « bailleurs de fonds » :

    pendant que ceux d’en bas bayent aux corneilles, ceux d’en haut bayent aux fonds. Le pays vit à crédit et le nœud coulant l’étrangle, lentement mais sûrement. Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 ont emprunté pour rembourser la dette de la dictature, puis encore emprunté pour rembourser la dette de la dette et ainsi de suite, dans un cycle infernal qui semble sans fin. Ils ont agi non seulement en dépit de la morale la plus élémentaire mais, pire encore, du bon sens : la dette dont ils ont hérité était à la fois odieuse, illégitime, insupportable et même illégale. Donc celles qu’ils ont contractées pour pouvoir la rembourser le sont tout autant. Un bon Musulman paie certes ses dettes, mais seul un idiot paie celles d’autres. Un idiot ou un pervers.

    Plus de 5 des 32 milliards du budget 2017 sont destinés au service de la dette Résultat : la Tunisie a aujourd’hui une bonne cinquantaine de milliards de dinars de dettes, soit une vingtaine de milliards d’euros et plus de 5 des 32 milliards du budget 2017 sont destinés au service de la dette. Ce budget a fait l’objet de trois à quatre mois de polémiques et de tripatouillages pour être enfin voté dans un consensus touchant. Il se base sur une prévision que le prix du baril de pétrole cette année sera de 50$ (il a déjà passé le cap des 52) et que le taux de change du dinar sera de 2,25 pour 1 $ US (le $ est déjà à 2,28 DT). Bref, du grand n’importe quoi.

    Les syndicalistes ont calmé leurs revendications salariales et le bon peuple se serre la ceinture et grince des dents. Il n’est pas au bout de ses peines : le gouvernement va bien devoir finir par remplir toutes les conditionnalités de la Banque mondiale : privatisation des 3 banques publiques (pour la Banque centrale, c’est fait, elle est désormais indépendante, sur le modèle de la Réserve fédérale US et de la BCE), de l’assurance-maladie, de la sécurité sociale, des entreprises publiques de l’énergie et de l’eau, et, last but not least, abrogation des subventions aux produits de première nécessité et au carburant. Le seul éventuel aspect positif de l’application de ces conditions pourrait être une diminution de la consommation de sucre raffiné en poudre, dont les Tunisiens sont les champions du monde de la consommation : 36 kg par personne et par an, autrement dit 100 grammes par jour. Il faut bien adoucir l’amertume de la vie. Bref, n’en rajoutons pas.

    Les tableaux ci-dessous en disent plus que de longs discours. Je remercie les camarades de l’association RAID-ATTAC-CADTM pour me les avoir transmis.

     


    NB : les graphiques suivant se lisent de droite à gauche


    Source : Basta Yekfi

     

    Auteur.e

    17 janvier par Fausto Giudice

  • Les gauches politiques (Inprecor)

    © Photothèque Rouge/JMB

    © Photothèque Rouge/JMB

    Contrairement à l’Égypte, en Tunisie les forces de gauche ont eu la capacité de maintenir une continuité pendant des dizaines d’années, même dans la clandestinité.

    La principale raison en est l’existence depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale d’un mouvement syndical puissant. Celui-ci a joué un rôle décisif dans les luttes pour l’indépendance et a permis aux forces de gauche de se protéger partiellement des effets de la répression. Certains de ses débats ressemblent à ceux d’autres pays, à commencer par ce qui concerne ses relations avec les pouvoirs en place.

     

    I. Aux origines des gauches

    Débuts prometteurs

    Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la référence à la gauche n’existe pour l’essentiel que parmi une minorité de la population d’origine européenne (1). Cette gauche se situe dans le prolongement de la tradition socialiste européenne et avant tout celle de la France.

    En 1920, la majorité de la Fédération socialiste se range au côté de la révolution russe et devient section de l’Internationale communiste. Celle-ci se déclare partisane de l’indépendance de la Tunisie (2).

    Simultanément, une partie significative des salariés autochtones cherche à s’organiser syndicalement. Ne trouvant leur place ni au sein du prolongement local de la CGT française, ni dans le mouvement nationaliste tunisien de l’époque, ils fondent en décembre 1924 leur propre centrale syndicale, la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT). On y trouve notamment des dockers, des cheminots et des traminots. Immédiatement la CGTU et les communistes tunisiens s’engagent pleinement à leur côté, dont leur porte-parole Jean-Paul Finidori.

    La voie est ouverte au développement d’une gauche radicale où convergent référence au communisme, syndicalisme de lutte de tradition française et syndicalisme tunisien embryonnaire d’orientation nationaliste.

    Mais très rapidement, deux obstacles majeurs vont faire dérailler ce processus naissant :

    • La répression coloniale se déchaîne. Les fondateurs de la CGTT et leurs soutiens français se retrouvent en prison, dont les porte-parole de la CGTT et de la CGTU qui sont ensuite condamnés à l’exil.

    • L’abandon de la revendication d’indépendance par les communistes, dont l’organisation prend en 1934 le nom de Parti communiste tunisien (PCT) : ils s’alignent en effet sur le tournant en ce domaine opéré par le PCF et l’Internationale communiste stalinisée.

    Un pas supplémentaire est franchi en 1945. Dans le cadre du gouvernement français auquel le PCF participe, les responsables communistes combattent l’idée d’indépendance et y opposent celle d’autonomie au sein de l’Union française.

    Tout cela explique pourquoi la gauche se réclamant du communisme et le mouvement national ont cheminé séparément pendant des dizaines d’années (3).

    À partir des années 1930, le leadership politique passe dans les mains du Néo-Destour

    Le parti fondé par Bourguiba en 1934 ne cherche pas à rompre avec le colonialisme mais à le réformer. Il ne cherche pas non plus à rompre avec le capitalisme mais à y introduire certains aménagements.

    Ce parti devient hégémonique au sein du mouvement national, et la plupart des militants syndicaux autochtones en sont membres.

    Ces derniers fondent en 1946 leur propre centrale sous le nom d’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Celle-ci joue un rôle décisif dans la lutte pour l’indépendance et absorbe par la suite ce qu’il reste des structures syndicales fondées par les Français. Il s’agit là d’une différence majeure et durable avec l’Égypte où le syndicalisme est éradiqué durablement au début des années 1950.

    Pas étonnant dans ces conditions qu’une symbiose existe après l’indépendance (1956) entre le Néo-Destour et le mouvement syndical. On assiste ensuite à une alternance de périodes de coopération et de conflictualité entre le pouvoir destourien et l’UGTT.

    La trajectoire des partis socialistes et communistes

    Après l’indépendance, les partis de gauche, sont dans un piteux état.

    • Les membres de la SFIO, qui sont presque uniquement européens, quittent la Tunisie et ce parti disparaît,

    • En ce qui concerne le Parti communiste tunisien (PCT), le départ de la plupart de ses membres français et/ou autochtones d’origine juive est partiellement compensé par l’adhésion de jeunes intellectuels tunisiens (4).

    La marginalisation de la gauche politique facilite l’instauration d’un régime autoritaire. Entre 1963 et 1981, le seul parti autorisé est celui de Bourguiba. Le seul contrepoids réel est l’UGTT envers qui le pouvoir alterne des phases de séduction et de répression. La marge est donc plus qu’étroite pour construire une alternative politique de gauche.

    Interdit en 1963, le PCT est à nouveau légalisé en 1981. Il connaît alors une évolution comparable à celle de l’ex-Parti communiste italien. À partir de 1993, il ne se réclame plus du communisme mais du centre-gauche et prend alors le nom d’Harakat Ettajdid (Mouvement de la rénovation).

    Son opportunisme envers le pouvoir ne cesse de se confirmer. En 1999, le secrétaire général d’Ettajdid déclare : « Nous entretenons les meilleurs rapports du monde avec le Président Ben Ali. Nous avons dépassé la conception d’une dualité absolue et manichéenne entre pouvoir et opposition. Parce que nous avons affaire à un pouvoir national qui est en train de réaliser de grandes réformes, sous l’impulsion réformatrice du Président Ben Ali. Aujourd’hui, nous sommes à la fois pour le soutien et la critique ». « Je soutiens Ben Ali, donc je ne serai jamais candidat contre lui, je revendique mon soutien et ma participation au consensus national, et je considère qu’il n’y a pas d’alternative au Président Ben Ali. » (5) Il convient de préciser qu’après son congrès de 2001, Ettajdid a pris ses distances avec le pouvoir et présentera un candidat aux élections présidentielles.

    II. L’émergence de gauches radicales depuis le milieu des années 1960

    Comme en Égypte, une nouvelle génération qui n’a pas vraiment vécu les luttes pour l’indépendance se lance dans le militantisme à partir du milieu des années 1960. Elle est le produit d’une rupture d’une part avec le bourguibisme, d’autre part avec le Parti communiste tunisien.

    Ces nouvelles gauches ont comme matrice commune « Perspectives » qui voit le jour en 1963. Ce courant, né à l’époque de la guerre au Viêtnam et du développement de la résistance palestinienne, se maoïse en partie à partir de 1967.

    Après avoir milité à l’Université, les anciens étudiants commencent ensuite à travailler et un certain nombre d’entre eux deviennent syndicalistes, en particulier dans l’enseignement, les banques, les PTT et la santé.

    Perspectives éclate au milieu des années 1970. Trois courants durables voient alors le jour. Celui dirigé par Ahmed Néjib Chebbi rompt avec le maoïsme. Il donne naissance en 1983 au Rassemblement socialiste progressiste (RSP) devenu en 2001 le Parti démocrate progressiste (PDP) autour de qui se constituera Al Joumhouri en 2012.

    À noter qu’un petit courant trotskiste fait à ses débuts le choix de militer au sein du RSP. Il fonde ensuite dans les années 1980 l’OCR (Organisation communiste révolutionnaire). Brisé par la répression, ce courant se maintient entre 2002 et 2011 sous la forme d’un réseau informel.

    Les deux grands courants de gauche radicale : Watad (Patriotes démocrates) et PCOT

    Deux grands courants issus de Perspectives se réclament explicitement du marxisme-léninisme :

    • Cho’la (La Flamme), qui donne ensuite naissance à la mouvance Patriote démocrate (Watad) (6),

    • Al Amel Tounsi (Le Travailleur tunisien), journal édité en arabe à partir de 1969, et dont est issu en 1986 le PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie), qui prendra en juillet 2012 le nom de Parti des travailleurs (7).

    Certaines divergences entre ces deux courants sont de nature idéologique, phénomène courant à l’époque partout dans le monde, en particulier chez les étudiants : les Patriotes démocrates (Watad) se réclament de la Chine de Mao, et le PCOT de l’Albanie d’Enver Hodja.

    D’autres divergences, plus durables, sont liées à des positionnements différents sur le plan syndical. En janvier 1978 a lieu la répression meurtrière d’une grève générale suivie d’une attaque d’ampleur contre l’UGTT. Bourguiba arrête notamment Habib Achour, le secrétaire général de l’UGTT, puis le remplace par un homme de confiance dans le but de caporaliser la centrale syndicale.

    Les militants de la mouvance Watad exigent le retour d’Habib Achour et se battent pour remettre en place la vie syndicale sur des bases légitimes. Ils font notamment paraître 6 numéros clandestins du journal Echaab (Le Peuple). Cette attitude courageuse explique en grande partie le poids important des Patriotes démocrates au sein de l’UGTT depuis des dizaines d’années (8).

    Il est parfois reproché aux militants ayant créé en 1986 le PCOT de ne pas avoir agi à l’époque de la même façon. Ils sont souvent accusés d’avoir continué à militer au sein des structures syndicales totalement annexées par Bourguiba. Ce serait une des raisons pour lesquelles le PCOT a eu par la suite une influence plus faible que les Patriotes démocrates au sein de l’UGTT.

    Une troisième divergence est liée à la volonté de maintenir ou pas la forme partidaire face à la dictature. Dans les années 1980, les Patriotes démocrates dissolvent en effet leur parti pensant ainsi mieux s’introduire dans le milieu syndical et rebâtir clandestinement l’UGTT. Le courant représenté ensuite par le PCOT a, par contre, maintenu depuis 1986 sa structuration en parti clandestin contre vents et marées.

    En 2005, une partie des Watad décide de revenir à la tradition partidaire en fondant le PTPD (Parti du Travail patriotique et démocratique). Parmi ses principaux dirigeants figurent Abderazak Hammami (décédé en 2016) qui évoluera vers le centre-gauche, et Mohamed Jmour qui fera partie en 2012 des fondateurs du PPDU et du Front populaire.

    Une des divergences entre le PTPD et le PCOT concerne les alliances que ces deux familles politiques concluent, dans les cinq dernières années de la dictature. Le PTPD et le PCOT pratiquent, en ordre dispersé, une ouverture envers des partis situés à leur droite (9).

    Le PCOT au sein de la coalition du 18 octobre 2005 qui revendique l’obtention de droits démocratiques, dont la fin de la répression contre les islamistes. On y retrouve Ennahdha, le PDP, le FDTL, et le CPR de Moncef Marzouki (10). Il convient de rappeler qu’en Égypte, des liens existent également de 2001 à 2010 entre les Socialistes révolutionnaires (trotskistes proches du SWP britannique) et les Frères musulmans (11).

    Le PTPD de son côté participe à « L’alliance pour la citoyenneté et l’égalité » formée en 2009 avec Ettajdid (ex-PC) et le FDTL (social-démocrate). Celle-ci cherche à négocier avec Ben Ali une réforme du régime.

    Si la gauche politique radicale est parvenue à survivre dans la clandestinité, elle reste faible numériquement, peu structurée (sauf le PCOT) et marquée par le sectarisme.

    Une partie de cette gauche a tendance à glisser vers le centre comme par exemple une aile du PTPD et le PSG (Parti socialiste de gauche) qui a scissionné du PCOT en 2006 (12).

    L’apparition d’un courant se réclamant de la social-démocratie

    En 1994, est fondé le FDTL (Forum démocratique pour le travail et les libertés) sous la houlette de Moustapha Ben Jaafar, un ancien militant du MDS (une scission du parti de Bourguiba).

    Légalisé en 2002, le FDTL n’est pas représenté à l’Assemblée. Il cherche vainement à négocier avec Ben Ali une réforme du régime en compagnie d’Ettajdid et du PTPD. Le FDTL participe simultanément à la Coalition du 18 octobre 2005 aux côtés du PCOT et d’Ennahdha.

    Avant 2011, le FDTL a seulement le statut d’observateur de l’Internationale socialiste : la section officielle de l’Internationale socialiste est en effet à l’époque le PSD de Bourguiba puis le RCD de Ben Ali (à noter qu’en Égypte, le PND du dictateur égyptien Moubarak était également membre de l’Internationale socialiste !).

    III. La révolution de 2011 et ses suites

    Les gauches et la nouvelle génération militant

    En Égypte, le déclenchement de la révolution a été le fait de la jeunesse, et celle-ci continue à en être la locomotive jusqu’en juillet 2013.

    Si le démarrage est comparable en Tunisie, des militant-e-s de la génération précédente s’y impliquent rapidement. Beaucoup d’entre eux appartiennent à l’aile gauche du mouvement syndical et associatif, et un certain nombre sont simultanément membres d’organisations politiques de gauche.

    Contrairement à l’Égypte une continuité politique et associative de plusieurs dizaines d’années existe en effet en Tunisie, en grande partie grâce à la protection que leur apporte l’existence de l’UGTT. Souvent enseignants ou avocats, les leaders de la gauche politique ayant longtemps milité sous l’ancien régime du temps de Ben Ali se retrouvent rapidement en 2011 sur le devant de la scène. Ils apportent leur capacité d’analyse et d’organisation, mais également leurs habitudes acquises du temps de la clandestinité avec leur lot de repliement sur soi, de sectarisme et d’éparpillement.

    En d’autres termes le renouvellement générationnel a du mal à s’opérer au sein de la gauche tout comme la féminisation de celle-ci.

    Après le 14 janvier 2011, on assiste à un foisonnement d’organisations politiques. En ce qui concerne la gauche radicale, voient notamment le jour :

    • Une seconde organisation Patriote démocrate qui se constitue autour de Chokri Belaïd en mars 2011 (MOUPAD),

    • Une petite organisation trotskiste fondée en janvier 2011 par d’anciens militants de l’OCR sous le nom de Ligue de la gauche ouvrière (LGO).

    Détricotage - retricotage des alliances

    Avec l’instauration des libertés démocratiques et la fin de la persécution d’Ennahdha, disparaît l’objet même de la coalition constituée le 18 octobre 2005 par le PCOT avec Ennahdha, le PDP et le FDTL. La rupture est ensuite définitive entre les forces de gauche et les islamistes (13).

    Après le 14 janvier 2011, l’heure n’est plus en Tunisie au dialogue avec Ben Ali que souhaitait instaurer la coalition « Alliance pour la citoyenneté et l’égalité » constituée en 2009 par Ettajdid, le PTPD et le FDTL. Aux lendemains du 14 janvier, le PTPD rompt avec Ettajdid et le FDTL qui participent aux gouvernements de transition dirigés par des anciens benalistes.

    La désagrégation de ces deux alliances dégage la voie pour un regroupement des forces politiques ayant milité ensemble de longue date pour chasser Ben Ali et qui refusent toute compromission avec les rescapés de l’ancien régime.

    Dès le 20 janvier, voit le jour une première tentative de regroupement sous le nom de Front du 14 janvier. On y retrouve notamment le PCOT, plusieurs courants Watad (dont le PTPD), la LGO et plusieurs organisations nationalistes arabes. En Égypte, un regroupement de gauche voit également le jour le lendemain de la chute de Moubarak (14).

    Mais après le pic atteint avec le départ du deuxième gouvernement Ghannouchi le 27 février 2011, les mobilisations se ralentissent. Essebsi, ancien cadre du régime Bourguiba et des débuts de l’ère Ben Ali manie habilement le bâton et la carotte. Il parvient notamment à substituer au « Comité national de la protection de la révolution » une « Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique ». Celle-ci regroupe des commissions mises en place par les gouvernements Ghannouchi et des personnalités appartenant à un large éventail de sensibilités politiques, syndicales et associatives (dont la Ligue tunisienne des droits de l’homme et l’Association tunisienne des femmes démocrates) (15).

    Le Front du 14 janvier éclate à propos de l’attitude à observer envers la Haute instance :

    • Le PCOT refuse d’y siéger estimant que son but est de « torpiller » le Conseil national de protection de la révolution (16).

    • Du côté des Watad par contre, Mohamed Jmour (PTPD) et Chokri Belaïd (MOUPAD) participent à la Haute instance.

    • Simultanément, le balancier qui avait poussé vers la gauche les Watad repart dans l’autre sens : en avril-mai 2011 ils participent en effet à des pourparlers avec des forces du centre en vue de constituer un « pôle moderniste » aux élections prévues à l’époque pour l’été. Même si un terme est mis en juin à la participation des Patriotes démocrates à une alliance centre-gauche, ces approches différentes expliquent en grande partie l’éclatement du Front du 14 janvier.

    La tradition de sectarisme reprend alors le dessus. Chacune des principales organisations de gauche est persuadée qu’elle va réaliser une percée aux élections et imposer son hégémonie sur les autres. Lors des élections d’octobre 2011, Chokri Belaïd et Mohamed Jmour sont par exemple candidats dans la même circonscription !

    À ces élections d’octobre, Ennahdha remporte 41,5 % des sièges pour 37 % des suffrages exprimés.

    Une certaine démoralisation traverse alors les forces vives de la révolution. Les militant-e-s politiques de gauche qui ont combattu pendant des années sont d’autant plus amers que leurs organisations, qui se sont présentées en ordre dispersé aux élections, ont obtenu des résultats calamiteux.

    La difficile recherche de l’indépendance politique

    Le besoin de s’unir face à la violence de l’offensive islamiste pousse à nouveau les organisations de gauche à chercher à s’unir. Une telle coalition n’a de sens que si y participent au minimum les deux principaux courants Patriote démocrate (Watad), le PCOT et une partie au moins des nationalistes arabes.

    Plusieurs obstacles doivent être préalablement dépassés, dont notamment :

    • Les méfiances existant à l’égard des Patriotes démocrates suite à leurs ambiguïtés envers le centre-gauche, ainsi que les accusations de bureaucratisme faites envers certains de leurs responsables syndicaux ;

    • Les méfiances envers le PCOT dont :

    – une volonté supposée d’imposer son hégémonie, et cela d’autant plus qu’il est la seule force de gauche ayant une réelle tradition partidaire,

    – son alliance avec Ennahdha entre 2005 et 2010 dans le cadre de la Coalition du 18 octobre,

    – un comportement syndical privilégiant la construction de son courant politique au détriment du caractère de masse du syndicat,

    – une tendance à confondre au niveau syndical compromis et compromission,

    – sa propension à traiter de bureaucrates les responsables syndicaux avec lesquels il est en désaccord et notamment ceux du Watad (17) ;

    • Des méfiances envers les militants se réclamant de gouvernements nationalistes arabes autoritaires ;

    • La difficulté des principales organisations à traiter sur un pied d’égalité des forces plus petites comme la LGO, Tunisie verte ou l’association RAID-ATTAC, ainsi que des indépendants ;

    • La capacité limitée des organisations existantes à permettre aux jeunes et aux femmes de prendre toute leur place.

    Sur le plan de l’orientation politique, une clarification politique décisive intervient à l’été 2012 avec l’éclatement du PTPD (18). L’aile gauche du PTPD (Jmour), qui refuse toute idée d’alliance avec Nidaa, fusionne alors dans la foulée sur cette base avec le MOUPAD de Chokri Belaïd au sein du PPDU (Parti des Patriotes démocrates unifiés). L’aile droite conserve l’usage du sigle PTPD et lorgne désormais sans retenue vers le centre-gauche.

    Une nouvelle tentative de regroupement à gauche est désormais à l’ordre du jour.

    S’opposant à Ennahdha, tout en refusant de s’allier pour autant avec des forces issues de l’ancien régime, la plupart des forces de gauche et nationalistes arabes finissent par former en octobre 2012 le « Front populaire pour la réalisation des objectifs de la révolution » dont le slogan « ni Ennahdha ni Nidaa » résume le positionnement. Parmi elles les Patriotes démocrates du PPDU, le PCOT, la LGO, deux organisations nationalistes arabes, Tunisie verte et RAID (Attac et Cadtm en Tunisie).

    Certaines organisations fondatrices cessent par la suite de faire partie du Front, comme par exemple Tunisie verte, le MDS ou un petit courant Patriote démocrate souvent désigné sous le nom de Watad révolutionnaire (19). Le courant social-démocrate Qotb rejoint par contre le Front en juin 2013.

    Le Front populaire est depuis octobre 2014 la troisième force politique de Tunisie, avec 15 députés contre 5 auparavant pour ses organisations constitutives. Le Front ne dispose toutefois que de 6,9 % des députés avec 3,6 % des voix aux élections législatives et 7,8 % à la présidentielle (20).

    La situation est très différente de l’Égypte où les organisations de gauche restent faibles numériquement et ne réussissent pas à construire des coalitions stables. Après la prise du pouvoir par les militaires égyptiens à l’été 2013, la gauche est soumise à une intense répression qui la ramène à un niveau inférieur à celui atteint avant 2011.

    Depuis sa création, le Front populaire de Tunisie est périodiquement soumis à des tentations de glissement vers une orientation centre-gauche d’alliance avec Nidaa. Celles-ci se traduisent après l’assassinat de Mohamed Brahmi par la participation à un Front de salut national (FSN) au côté de Nidaa lors du deuxième semestre 2013, ce qui entraîne un grand malaise au sein du Front et un certain nombre de démissions (21).

    À partir de janvier 2014, le Front renoue avec son orientation initiale. Cela se traduit notamment par les positionnements successifs suivants :

    • Refus de ses députés, le 29 janvier 2014, de voter la confiance au gouvernement néolibéral de Jomaa qui a succédé à celui dirigé par Ennahdha (22).

    • Affirmation, le 11 décembre 2014, de la nécessité de combattre à la fois Nidaa et le duo Marzouki-Ennahdha lors du second tour de l’élection présidentielle (23).

    • Refus, fin 2014, de voter la loi de finances 2015 et le budget qui en découle (24).

    • Refus, en janvier 2015, de voter la confiance au gouvernement Nidaa-Ennahdha, et à plus forte raison d’y participer.

    • Refus en juin 2016 de participer au gouvernement d’union nationale proposé par Essebsi.

    Mais le positionnement du Front populaire n’est toutefois pas exempt d’oscillations et d’ambiguïtés.

    Le député Front populaire Fathi Chamkhi explique par exemple : « Il y a eu en 2014 un débat intense au sein du Front populaire, autour de la question des alliances électorales : une partie du Front populaire se situait dans la vague du “vote utile” et était favorable à une alliance électorale large anti-Ennahdha. » (25)

    Le petit courant social-démocrate « Qotb-Le Pôle », qui n’a aucun député, explique en effet en octobre qu’il est pour répondre positivement aux avances de Nidaa (26). Une partie du PPDU, qui a quatre députés, était sur la même position. Le député Mongi Rahaoui déclarait par exemple : « Nous sommes disposés à travailler avec ceux qui prendront en considération les éléments les plus importants de notre programme. » (27)

    Un débat comparable a rebondi en juin 2016 avec la proposition d’Essebsi de constituer un « gouvernement d’union nationale ». Contrairement à la position retenue par le Front populaire, Mongi Rahoui a notamment déclaré vouloir devenir ministre du gouvernement dirigé par Nidaa et Ennahdha, avant d’y renoncer finalement (28).

    Si depuis le début 2014, le Front populaire est progressivement revenu à son positionnement initial refusant à la fois la droite islamiste et la droite dirigée par des rescapés de l’ancien régime, cela ne s’est pas fait sans turbulences et tensions.

    Fin 2014, le Front populaire avait par exemple été à deux doigts d’une scission : les deux députés de la LGO avaient annoncé par avance qu’ils ne voteraient ni la confiance au gouvernement dirigé par Nidaa, ni le budget, et cela quelle que soit la décision qu’adopterait le Front (29). Au final, Nidaa ayant opté pour une alliance gouvernementale avec Ennahdha, cela a aidé une nouvelle fois le Front à trancher unanimement en faveur de l’indépendance envers le pouvoir.

    Suite à l’échec en août 2016 de la manœuvre du Président Essebsi visant à faire participer le Front populaire au gouvernement dirigé par Nidaa et Ennahdha, une campagne médiatique intense a lieu contre le Front populaire, alimentée par les déclarations incessantes de Mongi Rahoui.

    Malgré ses faiblesses organisationnelles et sa difficulté à mettre sur pied un programme, le Front est la seule force politique de gauche ayant une réelle existence. Toutes les tentatives de construire une force à gauche du Front populaire ont par ailleurs échoué.

    L’impasse des politiques d’allégeance aux partis dominants

    Le Parti du travail de Tunisie (PTT). Ce parti voit le jour en mai 2011, autour d’Abdeljalil Bédoui (expert économique de l’UGTT et militant associatif) et Ali Romdhane (dont le non-renouvellement du mandat au Bureau exécutif de l’UGTT est programmé pour la fin 2011). Le PTT, qui proclame sa vocation à devenir le prolongement politique de l’UGTT, disparaît rapidement de la circulation.

    Ettajdid puis Massar. Dans la continuité de son attitude antérieure, Ettajdid (qui a pris en 1993 la suite de l’ancien Parti communiste tunisien) n’a pas appelé le 14 janvier 2011 « à la chute du régime, mais bien à une porte de sortie honorable pour le président tunisien sous forme de transition négociée » (30).

    Après le 14 janvier, Ettajdid participe aux deux gouvernements Ghannouchi, l’ancien Premier ministre de Ben Ali (en compagnie du PDP de Chebbi et du FDTL de Ben Jafaar). À partir du 17 mars, ces trois partis participent à la Haute instance.

    Ettajdid met ensuite en place un « Pôle moderniste » en compagnie de Mustapha Ben Ahmed (permanent syndical qui rejoindra ensuite Nidaa Tounes puis en scissionnera en décembre 2015), du PSG (puis PS, petite scission droitière du PCOT qui sera en 2012-2014 allié à Nidaa au sein d’Union pour la Tunisie), du Parti républicain (qui fusionnera en avril 2012 avec le PDP de Chebbi pour former Joumhouri), du Riadh Ben Fadhel (qui rejoindra le Front populaire en juin 2013 avec un petit courant social-démocrate ayant conservé l’usage du nom de Pôle : « Qotb »). Les pourparlers visant à y inclure le PTPD et le MOUPAD sont rompus en juin 2011. Lors des élections d’octobre 2011, le « Pôle démocratique » obtient 5 élus puis éclate dans les mois qui suivent.

    Par la suite, Ettajdid lance, le 1er avril 2012, une nouvelle formation intitulée « La Voie démocratique et sociale » ou « El Massar » en compagnie d’une partie du PTT et d’indépendants du « Pôle moderniste ». En 2013-2014, Massar participe au regroupement Union pour la Tunisie dirigé par Nidaa (en compagnie du PTPD, du PSG et brièvement de Joumhouri). Contrairement à ses espoirs, Massar n’obtient en octobre 2014 aucun député, puis aucun ministère.

    Récidivant dans la même orientation, Massar répond favorablement en juin 2016 à la proposition d’élargissement de la coalition gouvernementale dirigée depuis février 2015 par Nidaa et Ennahdha (31). Massar obtient enfin un ministère en août 2016.

    FDTL-Ettakatol Après le 14 janvier, le FDTL prend au sein de l’Internationale socialiste la place de section officielle de l’Internationale socialiste devenue vacante après l’exclusion du parti de Ben Ali le 17 janvier 2011.

    Dans la foulée de son espoir de 2009-2010 de négocier avec Ben Ali une réforme de la dictature, le FDTL participe aux deux gouvernements de transition dirigés par l’ancien Premier ministre de Ben Ali, Mohamed Ghannouchi. Il se met ensuite à la remorque d’Ennahdha après la victoire de ce parti aux élections d’octobre 2011. Le Président du FDTL-Ettakatol se voit alors octroyer la présidence de l’Assemblée, et son parti quelques ministères en 2012-2013 dans les gouvernements dirigés par Ennahdha.

    Bilan calamiteux des partis vassaux

    Le bilan des partis ayant fait alliance avec un des deux partis dominants est catastrophique. Le parti de Marzouki (CPR) et celui de Ben Jaffar (FDTL-Ettakatol) ont exercé le pouvoir avec Ennahdha en 2012-2013. Résultat, le parti de Marzouki passe de 35 députés en octobre 2011 à 4 députés quatre ans plus tard. Quant à Ettakatol-FDTL, il est passé de 20 à 0 siège. Il en va de même pour ceux qui se sont alliés à Nidaa (dirigé par des cadres de l’ancien régime) : le PDP-Joumhouri est passé en octobre 2014 de 16 à un seul député, et les listes soutenues par Ettajdid-Massar de 5 à 0.

    * Dominique Lerouge est militant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France) et de la IVeInternationale.

    Notes:

    1. En Égypte également, le mouvement ouvrier n’est pratiquement pas implanté dans la population autochtone aux lendemains de la Première Guerre mondiale.

    2. La minorité, qui est opposée à l’indépendance, prend en 1921 le nom de Fédération tunisienne de la SFIO (section française de l’Internationale socialiste).

    3. Un phénomène comparable existe en Égypte.

    4. Cf. Juliette Bessis, Cahiers du mouvement social n° 3 (1978), p. 286.

    5. Citations tirées de l’ouvrage de Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi « Notre ami Ben Ali », La Découverte, Paris 2002, pp. 75-76.

    6. Concernant la mouvance Watad, voir « Tunisie : note de travail sur la mouvance Patriote démocrate (avril-juin 2011) » : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article22112

    7. Concernant le PCOT, voir « Tunisie : note de travail sur le PCOT (avril-juin 2011) » : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article22113

    8. Sont le plus souvent issus de cette tradition Watad les militants ayant créé en 2005 le PTPD ainsi que ceux qui fondent, après le 14 janvier 2011, le Mouvement des Patriotes démocrates (MDP ou MOUPAD).

    9. Présentation en 2010 de ces deux alliances par Mohamed Jmour, à l’époque responsable du PTPD : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article19837

    10. À propos du Collectif du 18 octobre, voir : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article3436. En mars 2011, Hamma Hammami récapitule dans le magazine tunisien l’Economiste l’évolution du positionnement du PCOT envers Ennahdha : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article22113

    11. Entre 2001 et 2010, s’est développée en Égypte une forme d’unité d’action entre les Socialistes révolutionnaires et certains jeunes Frères musulmans. Les Socialistes révolutionnaires et la direction des Frères musulmans participaient ensemble aux « rencontres du Caire ».

    12. Violemment opposé à l’alliance réalisée par le PCOT avec Ennahdha au sein de la Coalition 18 octobre 2005, le PSG voit le jour en 2006 autour de Mohamed Kilani. Le PSG soutient le candidat d’Ettajdid aux élections présidentielles de 2009 puis participe avec lui au « Pôle démocratique » en 2011. Rebaptisé Parti socialiste (PS) en octobre 2012, il participe en 2013-2014 à l’éphémère coalition Union pour la Tunisie aux côtés de Nidaa Tounes, Massar (ex-Ettajdid), le PTPD et momentanément Joumhouri. Le PSG (PS) n’a eu aucun député en 2011, ni en 2014.

    13. En Égypte, après les avoir côtoyés pendant une dizaine d’années, les Socialistes révolutionnaires (SR) expliquent au printemps 2011 que les Frères musulmans sont « devenus des contre-révolutionnaires ». En juin 2012, ils appellent néanmoins à voter pour le candidat des Frères au deuxième tour des élections présidentielles, puis agiront à nouveau avec eux contre la répression après le coup d’État de l’armée en juillet 2013. Voir à ce sujet les interviews de responsables SR parus dans la revue Inprecor n° 605-606 de mai-juillet 2014 (http://www.inprecor.fr/article-Dossier Égypte-Le combat des Socialistes révolutionnaires?id=1644)

    14. En Égypte, le regroupement Tahalouf est créé le 26 janvier 2011, un courant nassérien y participe.

    15. Liste des membres de la Haute instance : http://www.tunisie.gov.tn/index.php?option=com_content&task=view&id=1488&Itemid=518&lang=french

    16. Déclaration du PCOT (15 mars 2011) : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article20733

    17. Jilani Hammami, un des responsables du PCOT explique par exemple : « Le grand fléau de la gauche, c’est que chaque fois qu’il y a des militants qui ont des postes dans l’appareil, ils se font aspirer à des positions supérieures ». « Les patriotes démocrates sont à l’UGTT, comme tout le monde certes ! Mais le problème porte sur les choix syndicaux. Eux sont avec la bureaucratie ». En décembre 2010, « ces responsables dits de gauche avaient un langage inqualifiable. Ils disaient : “nous n’agissons que dans les structures”. Nos camarades patriotes démocrates de gauche dans la direction de l’UGTT étaient contre faire quoi que ce soit qui irait contre la volonté de la direction UGTT ». (Contretemps n°11 septembre 2011 : http://www.contretemps.eu/node/1008)

    18. Sur l’éclatement du PTPD, lire les propos de Chedli Gari en juillet 2012 : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article25957

    19. Portant successivement le nom « Les Patriotes démocrates », puis « Parti Watad révolutionnaire », ce groupe constitué autour de Jamal Azhar s’est séparé du Front populaire et a ensuite éclaté (voir : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article22112).

    20. Voir : « Après les élections législatives du 26 octobre 2014 » (http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article33830) et « Une élection présidentielle dans la continuité des législatives » (http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article33634)

    21. De nombreux articles sont disponibles sur l’épisode du Front de salut national, en particulier : « Entre le “déjà plus” et le “pas encore” » (Inprecor n° 597, septembre 2013 : http://www.inprecor. fr/article-Tunisie-Entre le « déjà plus » et le « pas encore »?id=1522) et « Au congrès de la LGO, le débat sur l’appartenance au FSN » (http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article30417),

    22. « L’orientation du Front populaire » (mars 2014) : http://www.inprecor.fr/article-TUNISIE-L’orientation du Front Populaire de Tunisie ?id=1587

    23. « Déclaration du 11 décembre 2014 » : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article33807

    24. « Le débat à l’Assemblée sur le budget d’austérité » (11 décembre 2014) : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article33859

    25. « La “normalisation” est lancée », Inprecor n° 612-613, février-mars 2015 : http://www.inprecor.fr/article-Tunisie-La « normalisation » est lancée?id=1734 http://www.inprecor.fr

    26. Riadh Ben Fadhel dans La Presse du 29 octobre 2014.

    27. Voir : http://www.realites.com.tn/2014/11/06/mongi-rahoui-parmi-nos-conditions-figure-celle-de-ne-pas-sallier-avec-ennahdha/

    28. Sur l’affaire Rahoui, voir des extraits d’articles parus dans les médias tunisiens et reproduits sur ESSF : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article38728 ; http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article38758 ; http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article38788 ; http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article38800 ; http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article38970

    29. « Après les élections législatives du 26 octobre 2014 », Inprecor n° 609-610, octobre-décembre 2014 : http://www.inprecor.fr/article-Tunisie-Après les élections législatives du 26 octobre 2014?id=1680

    30. Nicolas Dot-Pouillard, La Tunisie et ses passés, L’Harmattan, Paris 2013, p. 62.

    31. Voir : http://lapresse.tn/10062016/115756/largumentaire-dun-choix.html et http://www.lapresse.tn/11062016/115791/necessite-du-dialogue-sur-le-programme-du-gouvernement-dunion-nationale.html

    Dominique Lerouge

    http://www.inprecor.fr/

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    En Syrie d’abord, il montre comment le soulèvement populaire a été noyé dans les conflits régionaux et souligne l’écrasante responsabilité internationale dans le désastre, qu’il s’agisse des alliés du régime ou de Washington.

    La consolidation des assises du pouvoir et la montée d’un djihadisme dont Daech est le prototype le plus spectaculaire ont contracté l’espace dans lequel s’exprimaient les revendications populaires et imposé l’image d’un pays pris entre deux barbaries. L’intervention militaire russe, épaulant l’offensive terrestre du régime et des milices pro-iraniennes, a rétréci davantage cet espace.

    En Égypte ensuite, le coup d’État du général Sissi, tirant profit de la gestion calamiteuse par les Frères musulmans de leur victoire électorale, a réinstallé au pouvoir les forces dominantes sous Moubarak. L’armée, la police et les services de renseignement prennent leur revanche en réprimant les révolutionnaires, en étouffant les libertés et en acquittant les hommes de l’ancien régime. Mégalomanie, culte de la personnalité, répression de plus en plus féroce, néolibéralisme économique forcené, les ingrédients d’une crise future s’accumulent.

    L’auteur conclut par une réflexion sur les guerres civiles en Libye et au Yémen, sur le compromis tunisien et une évaluation sans complaisance de la situation de la gauche dans le monde arabe.

    Wikipedia

    Gilbert Achcar

    Vendredi 03 février 19h 

    Librairie l'Arbre à Lettres Bastille

    62, rue du Fb. Saint-Antoine

    75012 Paris

    http://www.arbrealettres.com/

    http://www.actes-sud.fr/

  • Palerme Italie

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  • Le Kef résiste contre la criminalisation des mouvements sociaux (Nawaat)

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    Le Tribunal de première instance du Kef, a ordonné, mercredi 25 janvier 2017, la libération conditionnelle de 15 détenus parmi les 22 personnes impliquées dans le mouvement social de Jérissa de janvier 2016, suite au décès de Ridha Yahyaoui à Kasserine. Le 8 février, 74 jeunes détenus de Tajerouine comparaîtront pour les mêmes accusations. Le même tribunal devrait se prononcer le 30 janvier, sur cinq élèves accusés de désobéissance civile et d’entrave à la circulation suite aux manifestations qui ont suivi l’assassinat de Chokri Belaid, 6 février 2013.

    Le Procès des jeunes de Jérissa n’est pas encore fini

    Dans la salle d’audience, les familles des accusés se serraient par dizaines sur les bancs alors que d’autres sont restés debout jusqu’à la porte. Les visages inquiets, chacun essaye de repérer de loin son proche parmi les 15 hommes tournant le dos à l’assistance. Depuis février 2016, le quotidien des familles est consacré aux visites en prison, les entretiens avec les avocats et la présence au tribunal. Six accusés sont pères de familles. « Leur seul tort était d’aller protester devant le poste de police de la ville. Quelques uns n’ont même pas protesté. Ils habitaient ou travaillaient devant le poste de police où ont lieu les confrontations. C’est le cas de Azouz Omr, par exemple, qui bossait dans la station de lavage des voitures » affirme Dorsaf Fadheli, épouse de Sami Fadhel, un autre détenu.

    Le 22 janvier 2016 à Jérissa comme à Regueb, Bouzayene, Kélibia, Jebiniana, Ksibet El Madouni et d’autres villes, des manifestants payent pour « les crimes de la foule que la Tunisie insiste à punir depuis l’occupation française » explique Charfeddine Kelili, avocat de la défense. Les 22 jeunes de Jérissa sont accusés de provocation d’incendie dans des locaux non habité, participation à une rébellion armée provoquée par plus de dix personnes et entrave à la circulation. « Malgré le sérieux des accusations, le dossier est vide de toute preuve qui pourrait affirmer la condamnation ! » s’indigne Slaheddine Hajri avant d’expliquer que « pour combler les lacunes de son enquête, la police judiciaire a confisqué un CD de 24 photos supposées être la preuve irréfutable des crimes. Mais nous ne savons rien sur l’origine de ces photos, leur date, les lieux où elles ont été prises. Pire, certains accusés n’y figurent même pas » insiste Hajri dans sa plaidoirie.

    Même si la police judiciaire n’a saisi aucune arme, les détenus sont officiellement accusés de désobéissance armée. Le juge interpelle Saber Nasraoui, au banc des accusés « Si tu étais en train de protester pacifiquement pour le travail, pourquoi tu étais cagoulé ? ». L’accusé répond qu’il avait mis son cache-coll sur le visage pour se protéger du gaz étouffant des bombes lacrymogènes tirées par la police. Pour maître Leila Haddad « Nous ne pouvons pas isoler cette affaire de son contexte politique et géographique. Si nous examinons les procès actuels contre les mouvements sociaux dans les régions les plus défavorisées comme Kasserine, Sidi Bouzid, Sened, Gafsa et le Kef. Le but est de punir pas seulement les jeunes contestataires mais leurs familles et toutes leurs communautés ! Nous exigeons que la justice ne soit pas impliquée dans cette manœuvre politique et défend la volonté du peuple ! » clame l’avocate dont la voix raisonne dans la salle religieusement silencieuse. Au milieu de la salle, une dame âgée éclate en sanglot. Adossé à un mur, le père d’un détenu, amaigri par le chagrin, cogne sa tête désespérément. L’émotion monte d’un cran avec les plaidoiries de Charfedine Kellil et de Ridha Radaoui chargé par le FTDES et d’autres avocats keffois qui suivent le dossier depuis une année.

    Tejerouine et le Kef : les détenus sont très jeunes

    Mohamed Mouelhi, 21 ans, était en train de rentrer chez lui quand la police l’a arrêté, le 8 février 2013. « Pourquoi tu as peur ? Tu cache certainement quelque chose, m’ont-ils dit avant de m’embarquer au poste de police puis au Tribunal de première instance du Kef » se rappelle le jeune homme. Le 7 février 2013, des manifestations ont eu lieu au Kef pour protester contre l’assassinat politique de Chokri Belaid. Mais Mohamed n’y était pas. « J’étais au lycée. Je ne fais partie d’aucun parti politique et je ne vais pas aux manifestations » affirme-t-il. Le 30 janvier, il comparaîtra libre devant le juge avec Mohamed Ali Jebali, Khalil Belarbi, Kamel Yahyaoui et Assil Yahyaoui, quatre bacheliers qui ont à peine 18 ans. Parmi les chefs d’inculpation des cinq jeunes ; provocation d’incendie dans des locaux non habité, participation à une rébellion armée provoquée par plus de dix personnes et entrave à la circulation.

    À Tajerouine, 74 jeunes dont deux enfants (Jihed Najlaoui 15 ans et Aymen Aouadi 16 ans au moment de leur arrestation) comparaîtront devant le Tribunal de première instance du Kef le 8 février 2016. En plus des chefs d’inculpation dont on cite la désobéissance civile armée, les détenus sont accusés du vol d’un magasin et du saccage d’un poste de police. Selon Fadel Bedhiafi, vice président de la section régionale de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, qui a rendu visite aux détenus en prison, la moyenne d’age des accusés est de 18 – 19 ans :

    Ils sont issus de familles très pauvres et sont tous presque au chômage. Il y a certains qui sont de frères et cousins ce qui complique encore la situation des familles en détresse depuis une année.

    Henda Chennaoui

    Journaliste indépendante, spécialiste en mouvements sociaux et nouvelles formes de résistance civile. Je m'intéresse à l'observation et l'explication de l'actualité sociale et économique qui passe inaperçue.
     
  • Tunisie : six ans après le 14 janvier 2011, la révolte gronde… (Anti-k)

    Tunisie : six ans après le 14 janvier 2011, la révolte gronde dans les régions déshéritées de l’intérieur du pays

     

    3 janvier : Mouvements de protestation dans toutes les régions

    http://www.webdo.tn/2017/01/03/mouvements-de-protestation-toutes-regions/

    A partir de ce mardi 3 janvier 2017, des mouvements de protestation seront organisés dans toutes les régions et tous les secteurs, a annoncé hier la coordination des mouvements sociaux dans un communiqué.
    La forme et la date de chaque protestation seront fixées en fonction de la nature du mouvement et de la région, précise-t-on de même source.
    Un représentant de la coordination, Abdelhalim Hamdi, détenteur d’une maitrise en Histoire et au chômage depuis 17 ans, a affirmé à l’Agence TAP que ces mouvements interviennent à la suite d’autres formes de protestation et à de multiples grèves de la faim, sit-in et manifestations.
    Il s’agit, a-t-il dit, d’une nouvelle escalade des protestations qui se poursuivent depuis près d’un an dans les régions, devant les délégations et les mairies, et qui seront réunies sous forme de journées de protestation à partir du 3 janvier.
    Une imposante marche sera organisée, mardi, à Menzel Bouzayane (Sidi Bouzid), et s’étendra aux autres gouvernorats qui choisiront, chacun, une date symbolique pour revendiquer ses droits, a-t-il encore expliqué.

    4 janvier : Mouvements sociaux : procès en cascade

    http://nawaat.org/portail/2017/01/04/mouvements-sociaux-proces-en-cascade/

    La Cour d’appel de Nabeul a reporté, ce matin, le procès des jeunes de Kélibia au 15 février 2017. Des dizaines de personnes se sont rassemblés devant le tribunal pour soutenir aux onze jeunes condamnés par contumace à 14 ans et un mois de prison ferme pour « provocation d’incendie dans des locaux non habités » et six autres chefs d’accusation. Hier, les ouvriers des chantiers, les discriminés politiques et la coordination nationale des mouvements sociaux déclarent une semaine de protestation sociale par des rassemblements, des manifestations et une désobéissance civile à Meknassi. Les prémisses d’un janvier chaud que les médias dominants ont déjà commencé à criminaliser.

    De Kélibia à Tajerouine

    L’affaire de Kélibia qui a soulevé une vive polémique concerne les violentes manifestations consécutives à l’assassinat de Chokri Belaid en février 2013. D’après Charfi Kellil, un des avocats de la défense, Meriem Jeribi et Rabii Abdeljaouad ne sont pas concernés par les actes de vandalisme survenus lors des manifestations. « Nous allons demander à la Cour de reprendre les investigations. Il faut noter que les accusations ne concernent pas le vandalisme du local d’Ennahdha uniquement mais aussi le vol d’un hôtel et de la fourrière municipale à Kelibia. Rappelons que mes clients n’ont été interrogés qu’une seule fois, en février 2013, par la police judiciaire » précise Charfeddine Kelil. Le comité de soutien rassemblé devant la Cour ce matin a dénoncé « la criminalisation des mouvements sociaux ».

    Jeudi 5 janvier, Imed Touta, Firas Hamda et Hafedh Karbaya, comparaîtront devant la Cour d’appel de Gafsa. Le 13 mai 2016, le Tribunal de première instance de la ville les a condamné à une année de prison ferme et mille dinars d’amende pour « soupçon de consommation de drogue ». Le même jugement a été confirmé, le 7 juin, par le même tribunal. Les trois jeunes militants, originaires d’El Guettar avaient participé au mouvement social de janvier 2016. D’après Wael Ammar, membre du comité de soutien « depuis 2011, les jeunes de la région sont la cible d’une série de procès iniques qui visent à réprimer les mouvements sociaux. Le procès de demain en fait partie ».
    Le 18 janvier 2017, dix sit-ineurs de Kasserine seront jugés pour « entrave à la liberté du travail et usage de la violence » passible de trois ans d’emprisonnement et de 720 dinars d’amende. Les 10 jeunes chômeurs avaient participé au sit-in du gouvernorat suite au suicide de Ridha Yahyaoui le 16 janvier 2016.
    Le 25 janvier 2017, 117 jeunes de Jérissa, Dahmani et Tajerouine en détention depuis février 2016 passeront devant le Tribunal de première instance du Kef pour entrave à la circulation, participation à une entente en vue de préparer et de commettre une agression contre les biens et les personnes, participation à une rébellion provoquée par plus de dix personnes durant laquelle il y a eu agression d’un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions et la participation à une désobéissance civile. Le comité de soutien des accusés compte une vingtaine d’avocats. Hichem Mejri, membre de ce comité affirme que « certains détenus ont été victimes de torture dans la prison de Mornaguia. Nous essayons de collecter les preuves pour porter plainte. Concernant le procès, les accusations n’ont aucun lien avec la réalité. Les jeunes accusés ne sont que des manifestants pacifistes que le pouvoir essaye de réprimer afin de faire taire les contestations dans la région ». À noter que trois accusés sont en fuite alors que les autres sont dispersés entre différentes maisons d’arrêt en attendant leur procès.

    La désobéissance civile à Meknassi

    Depuis vendredi 30 décembre 2016, les habitants de Meknassi ont appelé à la désobéissance civile en signe de protestation contre l’absence de dialogue et de réponses du gouvernement à leurs demandes d’emplois et de développement régional. Les diplômés chômeurs ont commencé en janvier 2016 le sit-in Harimna [On a vieilli] à la délégation. Abdelhalim Hamdi, porte parole du sit-in explique que la désobéissance civile est « la dernière forme de protestation pacifique que nous avons trouvé pour attirer l’attention du gouvernement et l’appeler à ouvrir le dossier de l’emploi dans la région. Nous exigeons aussi que le dossier de la mine de phosphate de Meknassi soit traité en partenariat avec les habitants et les chômeurs de la région ». L’ouverture de la mine de phosphate a été prévue en 2016. Par ailleurs, les chômeurs diplômés considèrent que le gouverneur de Sidi Bouzid et les autorités régionales en générale « sont responsables du pourrissement de la situation. Durant notre sit-in à la délégation, le gouverneur a refusé de nous recevoir. Il a même porté plainte contre les sit-ineurs et a déclaré que Meknassi ne fait plus partie de ses préoccupations » s’indigne Abdelhalim Hamdi.

    Justice sociale ou démission des incompétents

    La coordination nationale des mouvements sociaux, créée le 26 avril 2016, a annoncé dans un communiqué le début d’une série d’actions de contestation à partir du 3 janvier 2017. Ainsi, les ouvriers des chantiers se sont rassemblés dans 17 gouvernorats durant mardi 3 janvier. Le jour même, les diplômés chômeurs se sont rassemblés à Menzel Bouzayan et Sidi Bouzid. Le 5 janvier, un rassemblement aura lieu à la place de l’UGTT à Redayef. Le 8 janvier, des rassemblements auront lieu à Thala et Kasserine.
    Cette étape vient après plusieurs rassemblements, communiqués et manifestations dans différentes régions pour le travail et le développement. Le dernier rassemblement date du 10 décembre devant l’Assemblée des représentants du peuple où des centaines de militants venus de tout le pays ont rappelé l’urgence de traiter les dossiers économiques et sociaux.
    Selon le Forum tunisien des droits sociaux et économiques, l’année 2016 a enregistré 9887 mouvements sociaux, soit le nombre le plus élevés depuis 2011. La coordination nationale des mouvements sociaux appelle « tous les responsables locaux, régionaux et nationaux incapables d’apporter des solutions équitables aux demandes sociales et économiques de démissionner ».

    10 janvier : Le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid pris d’assaut

    http://www.jawharafm.net/fr/article/le-siege-du-gouvernorat-de-sidi-bouzid-pris-d-assaut/90/47660

    Des habitants de la ville de Meknassi ont fait irruption ce mardi matin au siège du gouvernorat de Sidi Bouzid.
    Les manifestants ont scandé le slogan « Dégage » au gouverneur.
    Selon le correspondant de Jawhara FM dans la région, des renforts sécuritaires ont été déployés sur place.
    Plusieurs protestataires ont été arrêtés par les forces de l’ordre tandis que le siège du gouvernorat a été saccagé, a-t-il ajouté.

    10 janvier : Sidi Bouzid : Les autorités appellent les protestataires de Meknessi au dialogue

    http://africanmanager.com/51_sidi-bouzid-les-autorites-appellent-les-protestataires-de-meknessi-au-dialogue/

    Des protestataires de Meknessi ayant envahi, mardi, le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid ont été arrêtés puis relâchés, dans la journée. Le gouverneur de la région, Mourad Mahjoubi, affirme, dans une déclaration de presse, que les autorités sont disposées à dialoguer avec les protestataires et à trouver des solutions aux problèmes de l’emploi, de l’activation du projet de mine de phosphate et des travailleurs de chantier.
    L’arrestation d’un groupe de jeune (7 manifestants), explique le gouverneur, était à titre provisoire afin de protéger le siège de la délégation contre les agressions.
    Les protestations qui se poursuivent depuis plus de deux semaines à Méknessi ont connu une escalade, mardi, lorsque des manifestants ont envahi le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid, défonçant la porte principale, avant d’être délogés de force par la police.
    Auparavant, les jeunes venus de la délégation de Meknessi se sont rassemblés devant le siège du gouvernorat, revendiquant leurs droits au développement et à l’emploi, outre la démission du gouverneur.
    Les forces de l’ordre ont fait évacuer de force les manifestants causant de légères blessures à quelques-uns. Des représentants de la société civile et des syndicalistes présents sur les lieux ont vivement condamné « l’intervention policière musclée ».
    L’Union Locale du Travail (UGTT) avait, depuis une dizaine de jours, appelé à la désobéissance civile dans la délégation jusqu’à la réalisation des revendications de la population locale se rapportant, essentiellement, à l’emploi et au développement.

    12 janvier : Protestations et grève générale à Meknessi

    http://www.businessnews.com.tn/protestations-et-greve-generale-a-meknessi,520,69570,3

    A Meknessi, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, la situation reste instable après des manifestations menées par des jeunes chômeurs réclamant l’emploi et le développement dans la région. Depuis quelques jours, des manifestations sillonnaient les rues de la ville.
    Parmi les protestataires, des jeunes chômeurs qui avaient réussi un concours leur permettant de travailler dans le secteur du phosphate, mais qui n’ont pas été recrutés à ce jour, selon ce que nous affirme une source bien informée.
    Des affrontements avec les forces de l’ordre ont eu lieu, notamment hier. Une situation qui a amené le syndicat régional, relevant de l’UGTT, et d’autres organismes de la société civile à appeler à une grève générale. Ainsi, toutes les activités commerciales à Meknessi sont à l’arrêt en ce jeudi 12 janvier 2017.

    13 janvier 2017 : Ça barde à Sidi Bouzid, Ben Guerdane, Kasserine… Calmer la situation ou trouver des solutions ?

    http://www.webdo.tn/2017/01/13/ca-barde-a-sidi-bouzid-ben-guerdane-kasserine-calmer-situation-trouver-solutions/

    Plusieurs villes du centre et du sud de la Tunisie vivent depuis deux jours des mouvements de protestations et des nuits agitées.
    Des actes de violences ont été observés durant les dernières nuit à Ben Guerdane, Meknassi et Sbeïtla, régions où les jeunes revendiquent encore et toujours l’emploi et le développement régional six ans après la révolution.

    Ben Guerdane et l’éternelle affaire de Ras Jedir

    La ville de Ben Guerdane a connu mercredi 11 janvier, une journée agitée avec des protestations qui ont abouti à des affrontements entres manifestants et forces de l’ordre et un blocage de plusieurs routes à l’aide de pneus brûlés.
    Les protestataires ont appelé le gouvernement à trouver une solution pour le poste frontalier de Ras Jedir qui connait des agitations depuis des mois, avec des fermetures et des ouvertures répétitives, d’où un blocage quasi-permanent des échanges commerciaux.
    Une grève générale a été décidée par l’Union régionale du Travail (UGTT). Le ministre des Relations avec les Instances constitutionnelles, la Société civile et les Droits de l’Homme, Mehdi Ben Gharbia et le ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance, Abid Briki se sont déplacés à Ben Guerdane pour essayer de calmer la situation et de trouver une solution rapide.
    En dépit de ce déplacement, des manifestants ont bloqué la Route Nationale N°1 au niveau de la zone Hassi Ferid en brûlant des pneus sur la route, la soirée du jeudi 12 janvier.

    Meknassi : Sidi Bouzid revendique encore l’emploi

    La délégation Meknassi de Sidi Bouzid est entrée dans une grève générale hier, en réponse à l’appel de l’UGTT. Le droit au développement et à l’emploi sont les revendications principales des protestataires.
    La délégation de Meknassi avait annoncé, depuis le 30 décembre dernier, une désobéissance civile à l’appel de l’Union locale du travail (UGTT). Les activités des différents établissements publics sont entravées jusqu’à la résolution du problème des ouvriers de chantiers et des candidats admis au concours de recrutement à la mine des phosphates de Meknassi en plus de la régularisation de la situation de certains jeunes diplômés de l’enseignement supérieur en chômage depuis une dizaine d’année, indique la TAP.
    Il faut savoir que cette grève vient après une nuit très agitée à Meknassi, hier soir, marquée par des confrontations violentes entre manifestants et forces de l’ordre.
    La grève générale a été accompagnée d’une marche citoyenne jusqu’au siège du gouvernorat de Sidi Bouzid.
    Dans la soirée du jeudi 13 janvier 2013, des jeunes de la région ont bloqué plusieurs rues et avenues de la villes à l’aide de pneus brûlés et des pierres.
    Pour les disperser, les forces de l’ordre ont eu recours au gaz lacrymogène ce qui a nécessité le transport de certains manifestants à l’hôpital régional. La ville a retrouvé son calme ce matin.

    Sbeïtla s’oppose à son délégué régional

    La délégation de Sbeïtla, dans le gouvernorat de Kasserine, connait depuis hier, mercredi 11 janvier 2017, des protestations organisées par des chômeurs qui revendiquent l’emploi et le développement de la région.
    Les protestataires qui se sont introduits de force dans le siège de la délégation, revendiquent également le limogeage du délégué régional. (…)

    13 janvier : Nouvelle nuit de violences à Meknassi et Ben Guerdane

    http://www.webdo.tn/2017/01/13/nouvelle-nuit-de-violences-a-meknassi-ben-guerdane/

    La ville de Meknassi, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, a connu une nouvelle nuit agitée. Dans la soirée du jeudi 13 janvier 2013, des jeunes de la région ont bloqué plusieurs rues et avenues de la villes à l’aide de pneus brûlés et des pierres.
    Pour les disperser, les forces de l’ordre ont eu recours au gaz lacrymogène ce qui a nécessité le transport de certains manifestants à l’hôpital régional, selon Shems fm. La ville a retrouvé son calme ce matin.

    De même, Ben Guerdane a vécu une longue nuit de violences. Des manifestants ont bloqué la Route Nationale N°1 au niveau de la zone Hassi Ferid en brûlant des pneus sur la route.

    http://www.anti-k.org/

  • La Commune de Jemna Tunisie (Anti-k)

    Intervention du président de l’association de Jemna, lors de la réunion publique de soutien du 6 décembre 2016 à Paris.

    Permettez-moi d’emprunter un titre employé par le DrAyman Hussein, en parlant de l’expérience de Jemna : « la Commune de Jemna ». Même si nous ne prétendons pas atteindre quoi que ce soit des réalisations de la Commune de 1871, nous aspirons à suivre les traces de nos ancêtres les Communards.

    Avant d’entrer dans le vif du sujet – la gestion et l’auto-financement dans l’expérience de Jemna – je vais vous présenter sommairement l’historique de la palmeraie.

    Historique de la palmeraie

    Notre oasis est le symbole de la spoliation, de la corruption et de la malversation. Elle est d’ailleurs l’exemple régional pour ne pas dire national le plus frappant et le plus ancien.

    * Le problème a commencé avec la colonisation lorsqu’en 1912 M. Maus De Rolley s’est accaparé les terres fertiles appartenant à nos ancêtres. Il a d’ailleurs arrêté et emprisonné ceux qui s’y opposaient, et avec l’effort, la sueur et la force musculaire des indigènes il a planté des palmiers produisant des dattes de la meilleure qualité appelées Deglet Noor (Noor signifiant en arabe « lumière »).

    * Avec l’indépendance, nos parents ont conclu un marché avec les nouvelles autorités pour l’achat des palmiers. Ils leur ont versé en 1963 quarante mille dinars, soit la moitié de la somme totale. Avec notre argent versé sur le compte du gouverneur de la région de Gabès, l’Etat a réalisé des projets économiques rentables, tel qu’une société de transport, un hôtel et une société commerciale.

    * Avec le système coopératif (1964-1969) le gouvernement a mis la main sur l’oasis.

    * En 1974 la STIL, société étatique appartenant à Mzali Ben Osman Belkouja et autres ministres et hauts responsables, vient exploiter les richesses de Jemna.

    * Avec la faillite de la dite société, le gouvernement de l’ex-dictateur a loué en cachette, de gré à gré, la palmeraie :
    - 111 hectares à un grand entrepreneur de travaux publics contre la minime somme de 9 000 dinars et quelques,
    - 74 hectares au frère d’un commandant du ministère de l’Intérieur qui d’ailleurs a réprimé les émeutes de la région minière de Gafsa en 2008 et qui sera arrêté pendant la révolution.

    * Deux jours avant l’éviction de Ben Ali les jeunes de Jemna avaient repris ce qu’ils ont toujours considéré comme étant leurs terres.

    L’oasis aujourd’hui

    L’oasis compte à présent :
    - 306 hectares enregistrés comme propriété foncière d’Etat, dont les 185 hectares loués auparavant et qui sont à présent gérés par l’Association de la sauvegarde des oasis de Jemna
    - une centaine d’hectares loués aux anciens ouvriers de la STIL lors de l’assainissement de la dite société,
    - une vingtaine d’hectares non encore plantés.
    L’oasis compte aujourd’hui 7 puits artésiens dont 2 creusés par l’association.

    Le rapport d’un comité étatique, venu sur les lieux en mars 2011, prouve que les anciens locataires avaient totalement détruit et ruiné la palmeraie.
    Un autre rapport, quatre ans plus tard, vante la mise en valeur et le développement de l’oasis. Cela s’explique certes par la bonne gestion, mais surtout par le changement des mentalités des ouvriers qui suent, s’échinent, peinent et travaillent durement dans ce qu’ils ne considèrent plus comme bien public, mais plutôt comme un bien personnel. L’auto-gestion, la gouvernance locale, y sont aussi pour quelque chose.
    Chiffre à l’appui je dirai que la récolte a atteint ces dernières années des montants alléchants et vertigineux : 1,8 million de dinars en 2014, puis 1,6 million en 2015, et enfin 1,7 million cette année.
    Nous faisons travailler, en tant qu’association (à but non lucratif), de 120 à 130 travailleurs sans tenir compte des ouvriers occasionnels et saisonniers dans un domaine contenant 10 800 Palmiers. (Sans tenir compte des palmiers qui sont au début du stade de la production, ainsi que des toutes nouvelles plantations s’élevant à 2 000 nouveaux palmiers qui ne seront productifs que 7 à 8 ans plus tard).

    Le problème est que tous les responsables politiques étaient au courant. Nous avons toujours cherché à négocier une solution avec tous les ministres de l’agriculture et de la propriété domaniale. Les hauts responsables des partis, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont tous été contactés. Leurs promesses n’ont malheureusement pas été tenues, la langue de bois demeure la même.
    Toutefois si les précédents nous avaient laissé faire, ce gouvernement d’unité nationale nous empêche de continuer sur la bonne voie : celle qui sert les citoyens, qui construit, qui innove, qui embauche.
    Les locataires précédents avaient traduit devant la justice quelques militants pour des accusations insensées comme l’utilisation de la violence, la formation d’un gang, la saisie intentionnelle et violente de la propriété d’autrui, la diffamation, la volonté de mettre le feu.
    Ce gouvernement, en gelant nos comptes bancaires, nous empêche de vendre nos dattes et de continuer notre travail.

    L’organisation de notre lutte

    Pour revenir à notre lutte, j’ajouterai que lorsque, le 12 janvier 2011, les jeunes avaient repris leur terre on était en pleine campagne de récolte des dattes et il a fallu agir rapidement.

    Nous avons fondé le Comité pour la protection de la révolution, et nous avons été en toute modestie exceptionnels :
    - Ce comité n’est pas organisé de façon hiérarchique : il n’a ni président, ni trésorier, ni secrétaire général. Nous sommes tous chefs, et nous sommes tous membres.
    - Notre association a organisé l’une de premières élections libres et démocratiques puisque nous avons organisé l’élection du maire de Jemna-Nord et celle de Jemna-Sud, avant même les élections du 23 octobre 2011.
    - Nous avons demandé aux gens de choisir les membres du conseil municipal,
    - Nous avons organisé des réunions sur une place publique pour discuter et prendre les décisions qui s’imposaient.

    Notre association, héritière du Comité de protection de la révolution, poursuit le même chemin. A partir du 27 février 2011, nous avons organisé un sit-in qui a duré 96 jours, sans barrer des routes ni incendier des pneus. Ces derniers jours, on a manifesté notre refus par la musique, la poésie et le sport.

    Nous étions donc en 2011 face à la saison agricole qui nécessite beaucoup d’argent :
    - Nous avons demandé aux citoyens de payer chacun 30 dinars de contribution à la pollinisation, et le total des dons a atteint 33 100 dinars ;
    - Les associations nous ont prêté la somme de 22 500 dinars ;
    - Deux grands commerçants de dattes ont prêté la somme de 120 000 dinars.
    - Un groupe d’amis français qui ne connaissaient même pas Jemna, dirigé par le Dr Pierre Clément professeur universitaire, nous ont envoyé la somme de 2 252 dinars. Même si cette somme peut paraître minime, nous la considérons comme la plus importante, car elle relève de l’humanisme, de l’altruisme et de la solidarité.
    Tous ces fonds nous ont permis de faire face aux travaux que nécessitent les palmiers, sans oublier le travail bénévole effectué pour quelques jours par les jeunes de la région.

    Ainsi, grâce aux efforts déployés, la récolte a connu des chiffres qui ont à maintes reprises dépassé le million de dinars : 969 500 dinars en 2011, 941 000 dinars en 2012, et 847 600 dinars en 2013.
    Puis on a dépassé de loin le million avec 1,8 million en 2014 puis 1,6 million en 2015 et 1,7 million cette année.

    Je vous rappelle que les locataires précédents payaient aux environs de 16 000 dinars. Ils empochaient le reste et n’embauchaient qu’une vingtaine d’ouvriers. On dépense aujourd’hui dans le village, pour les salaires, l’achat de matériel et de l’engrais de 40 à 50 000 dinars par mois.

    La gouvernance locale de la gestion et de l’auto-financement

    Nous avons dépensé des sommes énormes pour métamorphoser l’infrastructure de la ville en construisant :
    - Un marché couvert, qui est le seul du gouvernorat de Kébili, et dont le coût s’élève à presque 600 000 dinars ;
    - Trois salles de classe et quatre blocs sanitaires, une clôture avec une belle façade, la restauration de l’équipement électrique et sanitaire dans les deux écoles primaires avec des dépenses totales de 350 000 dinars ;
    - Une salle de sport bien équipée au lycée, et qui a nécessité 360 000 dinars ;
    - Un terrain de football dont les travaux sont encore en cours, et qui devrait dépasser les 250 000 dinars, avec surtout le gazon synthétique de 6e génération que l’on attend encore.
    - Des subventions aux associations sportives et culturelles (Théâtre de la Ville, festivals de la région, équipes sportives) ;
    - Des subventions pour la section de l’Union tunisienne d’aide aux insuffisants mentaux qui a bénéficié aussi d’une ambulance et de 50 palmiers dattiers ;
    - Une aide financière très importante pour l’école des autistes, les sourds-muets, les cancéreux, ainsi que les associations nationales comme l’Union tunisienne de la femme et la section locale de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme ;
    - Une aide également pour un centre d’instruction religieuse, les mosquées et l’association caritative qui donne des subventions mensuelles pour 27 étudiants, ce qui montre que nous n’avons pas de problème avec notre identité arabo-musulmane ;
    - L’équipement bureautique pour le dispensaire, la bibliothèque publique et le poste de police
    (ordinateur climatiseurs fontaines fraiches matelas orthopédiques).

    En ce qui concerne la palmeraie que nous exploitons :
    - L’achat d’un ensemble d’équipements et de moyens d’outils et de matériels : pompe, tracteur et diverses machines.
    - La réparation et l’entretien des puits, avec le forage de deux nouveaux puits, de nouvelles plantations et le désherbage de mauvaises herbes.
    - La restauration d’un bâtiment administratif.

    Nos dépenses se font en toute transparence et un expert-comptable s’occupe de ce dossier financier. Chaque centime dépensé est facturé et documenté.
    Nous avons maintenu la propriété unifiée. Elle n’est pas fragmentée et morcelée comme c’est le cas à Tozeur près de chez nous.
    Nous veillons au respect des slogans de la révolution (travail, liberté et dignité), ainsi qu’aux principes et idéaux de solidarité, de coopération, de compassion et d’altruisme.

    Enseignements et leçons tirer de notre expérience

    En tant que responsables de l’association, nous sommes des bénévoles, et durant ces 6 ans nous avons beaucoup donné de nous-mêmes, physiquement et moralement. Nous avons exprimé le désir de nous retirer, mais cela nécessiterait l’émergence de dignes successeurs qui poursuivraient l’expérience.

    Nous considérons que notre expérience s’insère dans le cadre de l’économie sociale et solidaire, ainsi que dans la gouvernance locale, nous sommes même des pionniers dans ce domaine. Notre action est une réponse aux partisans de la privatisation. Elle est une forme d’économie sociale et solidaire qui va à l’encontre du capitalisme sauvage, système économique périmé et qui a montré ses faiblesses.

    - Avec l’exercice de la démocratie locale et la tenue de réunions publiques nous avons pris l’avis du citoyen, et nous avons pu prendre les bonnes décisions.
    - L’intérêt public unit tout le monde
    - Accorder à l’agriculture beaucoup d’importance, en raison de la nature de la région.
    - Nous sommes tenus d’œuvrer pour la coordination avec les habitants d’autres régions qui souffrent des mêmes problèmes et vivent sur les mêmes terres « domaniales », pour trouver des solutions au profit des gens démunis de toute autre richesse que celle de leurs terres.

    Nous continuons, en dépit des difficultés et des obstacles, d’accomplir ce que nous croyons utile pour le domaine et le village.
    Nous sommes toutefois surpris de la position des partis nationaux, tel que le Front populaire qui aurait dû donner à l’expérience l’intérêt qu’elle mérite. Cela ne veut pas dire que nous sommes prêts à accepter l’ingérence de ces partis dans nos affaires.
    A un certain moment, nous ne nous étions pas intéressés non plus aux médias, quoique les amis du site Nawaat aient réalisé des documentaires très intéressants.
    Si nous n’avons pas fait une campagne médiatique importante pour expliquer davantage notre expérience, la responsabilité en incombe à l’association
    Il n’y a pas que du côté des médias que nous avons connu un échec relatif. Du côté judiciaire, nous aurions dû nous adresser aux tribunaux. C’est d’ailleurs ce que nous allons faire maintenant pour exiger l’application d’un jugement de la cour de première instance refusant d’accorder un titre de propriété foncière domaniale pour une partie de la palmeraie. L’application logique de ce jugement devrait être que l’Etat nous verse des indemnités pour s’être accaparé un terrain ne lui appartenant pas de par la loi.
    Nous serons également obligés de saisir la Justice pour remettre en cause le qualificatif de « domanial » attribué aux terres. Il doit y avoir une solution politique à ce sujet, et c’est une certitude, car le domaine nous a été volé suite à une décision politique.
    Aujourd’hui les négociations avec le gouvernement traînent mais elles continuent.

    Malheureusement chaque ministre présente une amorce différente de solution :
    - l’un évoque la mise sur pied d’une SIVAM (société de mise en valeur et de développement agricole),
    - l’autre propose la création d’une coopérative,
    - tantôt on entend parler d’une faible représentation de l’Etat au sein de la société, tantôt de sa détention d’une majorité des actions,
    - parfois, il est question d’appliquer l’article 16 de la loi 95 relatif aux coopératives, parfois l’article 14 de la même loi relatif aux associations,
    Chaque ministre prétend tenir le dossier entre les mains. Nous exigeons une solution écrite noir sur blanc, pour pouvoir la discuter avec les nôtres.
    Nous exigeons aussi le dégel des comptes bancaires comme preuve de bonnes intentions.

    Nous comptons sur vous pour faire pression sur le gouvernement, afin que nous puissions reprendre très prochainement notre activité. Merci de m’avoir permis d’expliquer l’affaire de Jemna. Jemna qui vous remercie infiniment d’avoir soutenu sa cause.

    NB : au 1er janvier 2017, 1 dinar équivaut à 0,41 euro.

    ETAHRI Tahar

    Intervention du président de l’association de Jemna, lors de la réunion publique de soutien du 6 décembre 2016 à Paris.

    * Professeur de français pendant 36 ans, Tahar Etahri est à la retraite depuis 2013.
    Il était avant cette date le secrétaire général du syndicat UGTT régional de l’enseignement secondaire.
    Militant de longue date de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), Tahar en est actuellement le président régional.

    http://www.anti-k.org/2017/01/06/la-commune-de-jemna-tunisie/