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Révolutions Arabes - Page 231

  • Syrie: le groupe EI envahit le camp palestinien de Yarmouk, proche de Damas (Afps)

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    Une photo de la foule attendant la distribution de nourriture à Yarmouk, le 31 janvier, prise par un membre de l’UNRWA.
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    Les combattants du groupe Etat islamique contrôlent le camp palestinien de Yarmouk, près de Damas, du moins en grande partie. L’offensive s’est déroulée mercredi 1er avril au matin et, selon plusieurs sources, les jihadistes ont pris position dans plusieurs des principales artères de ce camp situé à moins de huit kilomètres du centre de Damas.

    Jamais depuis l’émergence de l’organisation Etat islamique en 2013, celle-ci ne s’était autant approchée, les armes à la main, du centre de Damas. L’offensive a été menée depuis une localité voisine du camp. Elle a permis aux combattants de l’Etat islamique de prendre le contrôle d’une grande partie du camp de Yarmouk.

    Des centaines de combattants ont lancé une attaque surprise en direction du camp à partir du quartier voisin de Hajar al-Aswad. Ils ont profité de la complicité de plusieurs groupes jihadistes liés au Front al-Nosra, la branche syrienne d’al-Qaïda, qui leur ont secrètement prêté allégeance. Dans leur progression, ils ont balayé une milice locale liée au Hamas palestinien, appelé Aknaf Beif al-Maqdas. Les combats se poursuivent dans certains points, mais la majeure partie de Yarmouk est tombée entre leurs mains.

    Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), qui dispose d’un vaste réseau d’informateurs sur le terrain, c’est un groupe proche du Hamas qui tente de résister aux assaillants jihadistes.

    L’armée syrienne, qui encercle le camp de trois côtés, a réagi à ce grave développement sur le terrain en bombardant à l’artillerie et avec l’aviation plusieurs secteurs de Yarmouk.

    Le camp de Yarmouk est le plus grand camp de réfugiés palestiniens en Syrie.

    Avant la révolution de 2011, il comptait près de 160 000 habitants. Il n’en compte désormais plus que 18 000. Resté neutre durant la première année de la guerre civile, le camp avait ensuite pris fait et cause pour la rébellion. Et depuis 2013, ses habitants souffrent de pénuries de nourriture, d’eau et de médicaments, en raison du siège imposé par le régime syrien.

    RFI, jeudi 2 avril 2015

    http://www.france-palestine.org/Syrie-le-groupe-EI-envahit-le-camp-de-Yarmouk-proche-de-Damas

  • Palestine, l’Agriculture : le nerf de la guerre (Résistance Npa 64)

    Le 7 février dernier a eu lieu à Macaye une journée d’information et de soutien à la Palestine. A cette occasion nous avons rencontré Ana qui y a fait une intervention sur l’agriculture dans ce pays.

     

    Résistances : Peux-tu nous dire dans quel cadre tu as rencontré des représentantEs de l’agriculture palestinienne et ta motivation pour le faire ?

    Ana : Je représentais ELB au sein de la délégation d’observation des droits des paysans et des paysannes et des pêcheurs dans les Territoires Occupés Palestiniens, organisée par La Via Campesina, mouvement paysan international. Cette délégation était composée de représentantEs de différentes organisations paysannes du Pays Basque et d’Andalousie (EHNE-Bizkaia, SOC, ELB), certaines travaillant pour la souveraineté alimentaire des peuples. La Via Campesina a répondu ainsi à l’appel à soutien lancé par le syndicat agricole palestinien l’Union of Agricultural Workers Commitee (UAWC) qui est la première organisation paysanne palestinienne à rejoindre le mouvement de La Via.

    La délégation avait donc deux objectifs : premièrement, exprimer notre reconnaissance, notre soutien et notre solidarité à l’UAWC et aux paysanNEs et pêcheurs palestiniens dans leur lutte quotidienne face à l’occupation israélienne et deuxièmement, recueillir les témoignages des organisations et de la population palestinienne sur la violation systématique des droits humains et la spécificité de la situation vécue par les pêcheurs et les paysanNEs palestiniennes. Cette information a été recueillie dans la cadre de  la Déclaration des Droits des paysans et des travailleurs ruraux qui est actuellement en discussion à Genève. Ce dossier, en cours de rédaction, servira pour l’approbation de cette déclaration proposée par La Via Campesina afin de protéger les droits de la paysannerie partout dans le monde (droit à la terre, aux semences,

    : Quels sont les produits les plus cultivés en Palestine et quels sont les problèmes rencontrés pour pouvoir le faire, en particulier ceux posés par Israël ?

    A : L’agriculture a toujours été une composante très importante dans la vie et l’économie  palestiniennes et continue à l’être malgré l’occupation israélienne. Elle représente 6 % du P.I.B. (Produit Intérieur Brut) et concerne 13 % de la population active.

    Les productions les plus importantes sont les olives, les légumes, la volaille, les œufs, les fruits tels que le raisin, les figues, les oranges, les citrons ou les dates et les céréales. La Palestine est autosuffisante pour certaines de ces productions mais elle dépend des importations pour la viande rouge et surtout pour le blé. 

    Le gouvernement sioniste utilise deux outilss principaux pour mener sa politique d’occupation : la construction des colonies illégales dans les territoires occupés et la construction du mur. Toutes ces constructions impliquent confiscation et expropriation des terres, ainsi que d’autres ressources telles que l’eau. La terre et l’eau sont les deux moyens de production principaux en agriculture et Israël limite ou empêche leur accès.

    Beaucoup des paysanNEs ont leurs terres de l’autre côté du mur. Pour traverser les portes du mur elles/ils doivent faire  des détours de dizaines de kilomètres et doivent avoir un permis. Les horaires pour la traversée du mur sont très limités : une demi-heure à 6 heures le matin, à 12 et 17 heures l’après-midi. Malgré le permis, l’armée israélienne qui en contrôle les portes peut décider d’en refuser le passage. Le plus souvent au moment des récoltes ou lors de la vente au marché local jusqu’à péremption des produits. 

    D’autres pratiques communes employées contre la paysannerie sont : la démolition des infrastructures agricoles (bâtiments agricoles, installations d’irrigation, etc.) et des maisons familiales ; la destruction des cultures agricoles ; le déracinement d’oliviers centenaires ; la confiscation d’animaux et la pollution des terres et des nappes d’eau souterraines.

    Le mur permet à Israël de contrôler et restreindre les mouvements de la population palestinienne mais aussi les produits en décidant quels sont ceux qui rentrent et/ou qui sortent de Cisjordanie et de Gaza. Il empêche les produits palestiniens de traverser le mur et les frontières pour être vendus ailleurs et en même temps, inonde les marchés locaux de Cisjordanie des produits à bas prix pour contrer  la vente des produits palestiniens (dumping). De plus, les paysanNEs palestiniennes doivent acheter des produits de mauvaise qualité à Israël à des prix exorbitants car tout le commerce passe par Israël, augmentant ainsi leurs charges alors que les recettes de leurs produits diminuent. Cette situation met en danger la rentabilité des exploitations palestiniennes, en les obligeant à travailler en dehors de la ferme, très souvent dans des industries ou exploitations des colonies.

    R : Quelles possibilités de s’organiser pour ces paysanNEs et quelles luttes peuvent-elles/ils mener face à l’Etat sioniste ?

    A : La politique d’occupation d’Israël a deux piliers principaux : l’appropriation de la terre et l’expulsion de la population. Ainsi les paysanNEs palestinienNEs deviennent l’objectif principal de cette politique, ils/elles sont la première ligne de la résistance. Le fait de rester sur ses terres et de continuer à les travailler constitue la résistance la plus puissante. Leur identité est liée au travail de leur terre et leur conscience de l’importance de continuer à produire pour nourrir leur peuple.Malgré les attaques israéliennes, leur nombre se maintient. Il y a environ 110.000 fermes dans les Territoires occupés palestiniens et 120.000 hectares cultivés, dont la moitié d’oliviers.

    R : Comment pouvons-nous aider ces personnes et par là même le peuple palestinien dans la production/vente de leurs produits ? Le boycott tel que prôné par B.D.S. est-il une solution ? Est-elle approuvée par les agriculteurs/trices en Palestine ? Quel message faire passer à la population du Pays basque à ce sujet ?

    A : La campagne de Boycott, Désinvestissements et Sanctions est l’outil que les organisations palestiniennes nous offrent pour les soutenir et il faut absolument y adhérer et le mettre en place à tous les niveaux. Toutes les organisations et touTEs les paysanNEs avec lesquelles nous nous sommes entretenuEs soutiennent le BDS. L’occupation actuellement ne coûte rien à Israël, au contraire, il gagne de l’argent avec le tourisme international dans la Mer Morte et en exploitant les meilleures terres agricoles palestiniennes avec de main d’œuvre pas chère.

    C’est le moment d’agir individuellement et collectivement,  d’utiliser la force de nos choix de consommation contre l’occupation sioniste. Boycott d’Israël !

    La journée « Palestina Eguna » a été positive et a rencontré un écho certain.

    Entretien avec Ana Bados militante d’ELB (Euskal Herriko Laborarien Batasuna)

  • L’attaque saoudienne contre le Yémen, un évènement grave à condamner et combattre (Lcr.be)

     

    Des combattants rebelles chiites manifestent contre les raids saoudiens menés au Yémen, à Sanaa, le 26 mars.

    (Manif chiite contre le raid)

    Dans la nuit du 25 au 26 mars, l’Arabie saoudite a fait pénétrer massivement ses troupes au Yémen. C’est un évènement d’importance, dont il n’est pas sûr qu’il n’aurait pas été occulté médiatiquement chez nous même si la tragédie aérienne des Alpes du Sud ne s’était pas produite l’avant-veille.

    Qu’on en juge : cette invasion-agression est menée au nom d’une coalition de circonstance groupant rien de moins que tous les pays du Conseil de Coopération du Golfe sauf l’Oman, c’est-à-dire les Emirats arabes unis, le Koweit et le Qatar derrière l’Arabie saoudite, mais aussi l’Egypte, le Maroc, la Jordanie, le Soudan et une puissance nucléaire, le Pakistan. Symboliquement la présence sous l’égide saoudienne du régime militaire égyptien du général al Sissi d’une part, et de l’émirat du Qatar ancien soutien des Frères musulmans massacrés en Egypte par le même al Sissi d’autre part, renforce l’aspect voulu d’une sorte de réconciliation des altesses et des képis dans une ligue de salut sunnite formée derrière le nouveau roi Salman ben Abdelaziz al-Saoud, ligue à laquelle la Turquie apporte également son soutien.

    Mieux encore : les ennemis que vient combattre officiellement cette coalition sous égide saoudienne, les houthistes, sont aussi les cibles désignées de Daesh qui s’est illustré par la revendication d’un effroyable attentat faisant 142 morts à Sanaa le 20 mars. Ce carnage était de fait le prologue à l’agression saoudienne, alors même que le régime de Ryad est censé combattre, comme le Qatar, les forces de Daesh en Irak et en Syrie !

    D’ailleurs, les rivaux que Daesh cherche à renvoyer au rayon des vieilleries inoffensives, nous voulons parler d’al-Qaeda, bien présents au Yémen, combattent eux aussi les mêmes houthistes !

    Les Etats-Unis, qui ont depuis des années mené une triste guerre de drones contre al-Qaeda (en tout cas officiellement) au Yémen, se trouvent maintenant dans le même camp de facto, puisqu’ils apportent un soutien officiel à l’intervention saoudienne et sont censés préter leur soutien logistique, sauf qu’il est évident que dans cette affaire, Ryad les a mis devant le fait accompli.

    Le jeu saoudien consiste à orchestrer une coalition anti-chiites visant l’Iran, comme le souligne l’engagement du Pakistan dans la coalition, particulièrement dangereux et qui ne peut se justifier que pour faire planer la menace de prendre à revers l’Iran, ce qui soulève des mobilisations de protestations au Pakistan, et des doutes jusqu’au sommet de l’Etat.

    Or ce jeu intervient à un moment bien précis : les négociations sur le nucléaire iranien sont censées déboucher, ou non, sur un accord, dans les heures ou jours à venir. Officiellement il y a achoppement sur la durée de la surveillance imposée à l’Iran, la levée immédiate ou non des sanctions économiques, et la proposition iranienne récente de garder une grande partie de ses centrifugeuses plutôt que de les envoyer en Russie et de diluer son stock d’uranium sur place sous forme de gaz. Remarquons d’ailleurs que cette dernière complication des négociations est venue aprés l’intervention saoudienne au Yémen et l’entrée du Pakistan dans la coalition, ce qui pourrait avoir renforcé, à Téhéran, les factions hostiles à un accord.

    Mais le bras de fer réel se déroule au sein de l’administration US voire dans la tête de certains hauts responsables, dont Obama : l’intérêt bien compris, à moyen terme, de l’impérialisme nord-américain, est de s’entendre avec l’Iran, ainsi qu’avec Bachar el Assad en Syrie, contre les peuples de la région. Cela supposerait un esprit de décision à Washington dont la carence actuelle renvoie à la crise globale ouverte depuis 2008, et au bilan d’échec accablant sur tous les plans de 15 années de soi-disant guerre sans fin contre le terrorisme.

    Début mars le ci-devant général Petraeus, ancien chef de l’OTAN, de la CIA et de l’occupation US en Irak et Afghanistan, débarqué en 2012 pour … adultère, déclarait que “L’Etat islamique n’est pas le plus grave danger qui menace l’Irak.“.

    Remarquons bien que cette spectaculaire déclaration dit tout haut ce que tous pensent tout bas : mais non, l’Etat islamique, cet abominable chose qui diffuse en vidéos ses barbaries, n’est pas pour eux le véritable danger. Le véritable danger, ce sont les peuples !

    Ceci étant, c’est en l’occurrence l’Iran que Petraeus désigne évidemment ici, et c’est là une attaque directe contre la politique qu’Obama et John Kerry semblent tenter de mettre en oeuvre.

    Deux Etats, ayant des ramifications dans l’appareil d’Etat US tout en dépendant étroitement de sa tutelle ou de sa clientèle, veulent empêcher Washington de matérialiser ce tournant, de signer un accord avec l’Iran, et lui tiennent rigueur de son incapacité croissante à jouer les gendarmes : Israël et l’Arabie saoudite. De sorte que l’on peut dire que l’intervention saoudienne au Yémen s’ajoute à la réélection de Benyamin Netanyahou, aprés sa visite au Congrés US contre Obama, pour essayer maintenant de contraindre Washington à s’aligner sur les initiatives de ses clients !

    Les gesticulations saoudiennes veulent faire croire au monde entier que les houtistes au Yémen serait par rapport à l’Iran dans une relation d’alliance comparable à celle du Hezbollah au Liban. Or, ceci est complétement faux.

    Les chiites du Yémen, zaydites, sont plus proches de l’islam sunnite chafféite que les chiites duodécimains d’Iran et ont toujours cohabité avec lui jusqu’à ce jour, fréquentant y compris les mêmes mosquées. Le régime monarchique de supposés descendants du Prophètes, zaydites, fut renversé en 1962, mais l’intervention égyptienne refusant la prise en compte des revendications paysannes et populaires a “réussi ce tour de force de faire revenir le pays à son point de départ“ (Samir Amin, La nation arabe, Nationalisme et lutte de classe, Editions de Minuit, 1976) et de ramener les “féodaux“ soutenus par la monarchie saoudienne au pouvoir au Nord du Yémen. C’est donc aprés la faillite du nationalisme bourgeois qu’un renouveau zaydite se produisit, d’abord sous la forme d’une évolution religieuse le rapprochant du chiisme duodécimain (par exemple par la reprise de la fête de l’Achoura, mais sans les rituels sanglants), réagissant aux pressions de l’islamisme sunnite pour aligner tout l’islam, évolution d’où sortit le mouvement “houthiste“, du nom du leader politico-religieux Abd Al-Malik Al-Houti, assassiné lors d’un raid aérien saoudien – déjà.

    Ce mouvement a une base territoriale dans des zones paysannes pauvres, et a participé au “printemps arabe“ à Sanaa en 2011, qui a réussi aprés de terribles affrontements à renverser le dirigeant dictatorial et corrompu Ali Abdalla Saleh (lui-même d’origine zaydite), mais sans déboucher sur une issue démocratique, un dirigeant analogue, Saadi, lui succédant en 2013. Tout s’est alors passé comme si le mouvement houtiste avait progressivement, et sans toujours l’avoir cherché, comblé les vides politiques se formant dans l’Etat. Allié depuis 2014 à des secteurs proches de l’ancien président Saleh, les houthistes ont pris le contrôle de Sanaa en septembre 2014. La fuite de Saadi à Aden en janvier 2015 a conduit les houthistes à marcher sur le Sud et à prendre cette ville et c’est alors que Ryad intervient massivement.

    L’intervention saoudienne est donc motivée par la volonté de contrôler le Yémen, pays le plus peuplé et le plus pauvre de la péninsule arabique, un pays qui n’a pas de pétrole mais qui contrôle le passage de Bab el Mandeb (l’entrée Sud de la mer Rouge) et par la grande opération diplomatico-militaire décrite ci-dessus avec la formation d’une coalition sunnite, contraignant les Etats-Unis à la soutenir en espérant saboter un accord avec l’Iran. Ces raisons suffiraient à caractériser cette intervention de réactionnaire sur toute la ligne, devant donc être condamnée et combattue.

    Mais il est vraisemblable que l’attaque saoudienne a été aussi motivée, tout simplement, par la peur panique de voir une crise éclater dans le royaume wahabite lui-même, tant sont profonds les liens entre ses populations et les yéménites. Les chiites, duodécimains, zaydites ou ismaéliens, sont des minorités opprimées et discriminées en Arabie saoudite, et leur mise en mouvement, loin d’être la “manipulation iranienne“ que dénonce le régime pour mieux le circonscrire, annonce l’entrée dans la lutte pour leur émancipation des prolétaires, dont beaucoup ici sont des immigrés africains et asiatiques qui ont déjà manifesté en écho aux grèves de beaucoup de pays asiatiques ces dernières années, et celle des femmes. Bref, le combat contre la discrimination des chiites, 17 à 20% de la population, est une brêche par où tout peut s’engoufrer en Arabie saoudite.

    Le régime de Ryad se met en danger pour éviter ce danger : car son intervention au Yémen, pour peu qu’elle pâtine ou tourne mal, produira un choc en retour très profond. A son tour, le régime risque de vouloir conjurer cette possibilité en pratiquant la fuite en avant dans le sens de la guerre des sunnites contre les chiites et de l’encerclement de l’Iran, alors que tel n’est absolument pas le contenu réel des mouvements sociaux qui ont commencé dans tout le monde arabe. Ce sont les régimes en place et les mécanos monstrueux qu’ils ont activé, comme Daesh, qui sont porteurs des guerres de religion. Le régime iranien et le régime pakistanais sont tout aussi dangereux. Mettre la guerre à la place de l’émancipation, voila leur seul programme.

    L’alternative est l’émancipation, la démocratie, la destruction de toutes les théocraties comme des dictatures militaires. Ce n’est pas une utopie : c’est le réalisme.

    1 avril 2015 par Vincent Présumey

    http://www.lcr-lagauche.org/lattaque-saoudienne-contre-le-yemen/

  • A Tunis, Forum social mondial «liquide» (Cetri.be)

    La pluie et les nuits venteuses de Tunis ne sont pas venues à bout de la 13e édition du Forum social mondial (FSM) qui s’est déroulée du 24 au 28 mars 2015.

    C’était la deuxième fois consécutive – après 2013 – que l’événement altermondialiste se déroulait en Tunisie. A l’époque, il s’était nourri de l’effervescence politique et sociale qui gagnait tout le pays après la chute du régime de M. Zine El-Abidine Ben Ali intervenue le 14 janvier 2011 [1]. Depuis, la Tunisie a changé. Cette fois-ci, le FSM a jeté l’ancre dans un pays endeuillé par les attentats djihadistes du musée du Bardo et mis à mal par les multiples crises – économique, sociale, politique et géopolitique – qu’il affronte.

    Depuis les événements de 2011, aucun gouvernement n’a amélioré le sort du pays.

    Pis, pauvreté et insécurités de tous ordres n’y ont fait qu’augmenter. Les anciens partis sont mis en accusation, mais aussi ceux, religieux, qui promettaient le changement. Ainsi, une fois au pouvoir, Ennahda a appliqué un programme tout à fait conforme aux exigences néolibérales en matière économique et sociale, et il a réussi à alimenter rancœur et frustration au sein des secteurs de la société mobilisés par l’islam politique.

    Cette évolution contribue à l’émergence de courants salafistes toujours plus radicalisés en Tunisie comme ailleurs dans une région désormais « entré[e] dans une longue période de fermentation au cours de laquelle la contre-révolution aura peut-être autant de difficultés à se consolider que la révolution elle-même  » comme le signale le journaliste britannique Patrick Cockburn dans un essai éclairant consacré au djihadisme, à l’Etat islamique et à la situation du Moyen-Orient [2].

    Dans ce contexte, le bilan quantitatif du FSM est positif.

    Le choc du Bardo ne semble pas avoir affecté – ou peu – la participation à l’événement. C’est une victoire en soi. Être présent après les dramatiques évènements constituait un acte de solidarité politique et un test pour la crédibilité collective du FSM et du mouvement altermondialiste. Il est malaisé d’annoncer des chiffres vérifiables quant à la participation finale, mais celui de 50 000 personnes provenant de 125 pays circule et est largement repris. On peut toutefois noter que les délégations étrangères d’Europe, d’Asie, des Amériques et d’Afrique subsaharienne semblaient moins nombreuses qu’à l’accoutumée.

    Plus de 5 000 organisations (dont la moitié venues du Maghreb/Machrek) étaient représentées.

    Il est impossible de rendre compte de la diversité et de la qualité des 1 500 activités qui ont été organisées pendant ces journées de la « Dignité et [des] droits ». A coup sûr, ce FSM aura permis à de nombreuses coalitions d’organisations de préparer des événements déterminants comme la Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21) qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre. Il aura également permis de découvrir de nombreuses luttes sociales et écologiques – comme celle contre les gaz de schiste en Algérie –, d’accueillir de multiples rencontres consacrées à la situation au Proche-Orient ou en Europe après la victoire de Syriza en Grèce et la montée en puissance de Podemos en Espagne, à la question des migrations imposées par la mondialisation, etc.

    Au fond, le FSM peut s’apparenter à une sorte de Fête de L’Humanité internationale ouverte à toutes et à tous, et comme un point de ralliement ponctuel pour des coalitions stabilisées (notamment d’ONG) qui travaillent régulièrement ensemble – avec des ressources ad hoc – depuis une quinzaine d’années pour avancer sur des agendas internationaux communs. Il offre un espace et une culture d’organisations propices à ces objectifs. Il emprunte à la tradition de la « Foire » médiévale. Ici, les participants seraient les acteurs de la « société civile » et les producteurs intellectuels critiques. Dans cette perspective, le FSM ouvre un espace favorable au développement de liens, d’échanges et de transactions entre des mondes éloignés mais connectés, en recherche de complémentarités et de construction de relations profitables durables. De ce point de vue, il s’agit donc d’un espace utile. Utile, il l’est également parce qu’il est le seul disponible au niveau international.

    Pour autant, le FSM ne constitue pas un pouvoir de la « société civile », et il évolue désormais dans des conditions historiques distinctes de celles qui ont présidé à sa création. Initialement conçu en 2001 pour être une réponse des peuples au Forum économique mondial de Davos dans une période alors caractérisée par la montée en puissance des luttes sociales et politiques en Amérique latine – dynamique qui allait significativement contribuer à l’émergence du cycle des gouvernements progressistes dans la région –, il est désormais un « moment » dans la vie d’un mouvement de mouvements hyper-diversifié dominé par des ONG aux ressources stabilisées. De surcroît, le FSM évolue dans une période moins favorable à la gauche dans le monde.

    De ce point de vue, il n’offre pas de clés pour résoudre une question plus globale posée à la nébuleuse d’organisations et de mouvements qui y participent : quelle est la stratégie et quels sont les acteurs et leviers pour transformer le système économique et politique international ? Le processus du FSM ne doit pas être pris pour ce qu’il n’est pas. Il s’agit d’un sujet politico-social « liquide  » Le concept de « vie liquide » a été théorisé par le sociologue et philosophe Zygmunt Bauman. Ce dernier reste mal connu en France où quelques uns de ses ouvrages ont été, malgré tout, traduits. On citera, entre autres : Le coût humain de la mondialisation (Hachette, Paris, 1999), La vie en miettes (Hachette, Paris, 2003), La Vie liquide [3], pas solide. Il constitue ce moment où un « tout diversifié » conflue avant de se redéployer au travers des flux.

    Comme l’a pointé avec justesse l’une des principales animatrices italiennes du FSM intervenue lors d’un séminaire co-organisé par Mémoire des luttes [4], la nature du FSM et des mouvements qui le composent induit une fragilité pour le moment indépassable : « Quelle est notre fonction à nous, mouvements sociaux ?  » s’est-elle interrogée. «  C’est de produire de la participation sociale ». Et de rajouter : « Mais aujourd’hui, au FSM ou dans nos pays, le fait qu’il n’y ait pas de traduction politique de nos idées et de nos propositions aboutit à une nouvelle situation : nous produisons de la frustration ! ».

    C’est là le point limite du FSM en tant que produit de la réalité matérielle des mouvements de lutte contre la mondialisation néolibérale [5].

    par Christophe Ventura
    (31 mars 2015)

    http://www.cetri.be/spip.php?article3809&lang=fr

    Lire aussi:

    http://www.cetri.be/spip.php?article3802&lang=fr

     

  • Contre les menaces sur la santé et la protection sociale, agissons ensemble! (Cadtm)

    Forum Social Mondial de Tunis, 28 Mars 2015

    1er avril par Collectif

    Sur base d’un projet élaboré depuis plusieurs semaines par une trentaine d’organisations, nous, mouvements sociaux, syndicats, collectifs et individus présents à Tunis pour le Forum Social Mondial, avons partagé nos analyses, nos expériences et nos perspectives autour de la santé et de la protection sociale.

    Nous avons abordé les questions liées aux déterminants sociaux de la santé comme la pauvreté, les conditions de travail, l’éducation, l’inégalité de genre ou encore l’accès à l’eau. Nous avons également discuté de l’augmentation croissante de la marchandisation de la santé et de la protection sociale.

    Ces discussions ont permis de constater que la crise de la santé et de la protection sociale est en fait la conséquence des politiques néolibérales globales :

    • La financiarisation de l’économie, aidée par les instances monétaires internationales, et l’endettement engloutissent toutes les nations, grandes et petites, imposent l’austérité et promeuvent les intérêts des banques et des multinationales au détriment des politiques sociales et sanitaires.
    • Des rapports de force déséquilibrés se traduisent par des traités de libre échange favorisant les bénéfices des banques et des multinationales au détriment des peuples, avec la complicité de nombreux gouvernements.
    • La globalisation du marché de la santé et de la protection sociale a des répercussions catastrophiques sur l’accès à la santé, les emplois, les retraites, les conditions de travail, la qualité de la prise en charge et la migration des travailleurs de la santé du sud vers le nord du monde et du secteur public vers le secteur privé.
    • La croissance de la militarisation et l’occupation de territoires provoquent morts, pertes de terres, de travail et de nourriture ; elles provoquent également la montée de l’intolérance entre communautés, le terrorisme et les conflits sectaires.
    • Le plus grand fardeau de la crise est porté par les plus fragilisés – femmes, enfants, migrante-s, pauvres, personnes en situation de handicap, travailleurs/euses et paysan-ne-s.


    La santé est la vie dans toutes ses dimensions : physique, mentale, sociale, environnementale.
    Elle est un droit humain fondamental et inaliénable pour tous et toutes et un bien social commun de toute l’humanité ; elle présuppose de permettre à la population de vivre en paix partout dans le monde et hors de toute occupation.


    Il y a urgence, des alternatives s’imposent !

    • Les droits des populations en matière d’environnement, d’emploi, de conditions de travail, d’accès à l’eau, d’éducation, d’alimentation, de culture, de logement, d’accès au bien-être, doivent être mis en œuvre, garantis, défendus et étendus.
    • Une protection sociale universelle et globale doit être conçue et mise en oeuvre pour promouvoir la justice sociale et la dignité.
    • La priorité doit être donnée aux soins de proximité et à la santé communautaire, incluant la prévention et l’utilisation respectueuse des ressources naturelles.
    • Un système unifié de santé et de protection sociale doit être entièrement public et basé sur une taxation nationale progressive - entre autres du capital - et/ou des cotisations sociales.
    • Un tel système doit appartenir à tous et a toutes et permettre à la population de le contrôler et d’y participer pleinement.
    • Ce système doit se situer hors de la logique marchande et doit garantir un accès aux soins gratuit.
    • Il s’agit de garantir le droit d’accès aux médicaments nécessaires, de bonne qualité et non protégés par des monopoles de droit intellectuel.
    • Les instances sanitaires internationales doivent être transparentes et totalement indépendantes des intérêts des multinationales et des financements privés.


    Forts de nos expériences réussies, passons à l’action !

    • Travaillons en réseau, faisons circuler la connaissance et les analyses, élargissons nos mouvements, nourrissons-nous de nos mobilisations respectives et créons de nouvelles solidarités internationales permettant d’amplifier les rapports de force.
    • A partir des réalités spécifiques locales, sectorielles, conjoncturelles... démontons les mécanismes, rendons accessibles les analyses et les outils pédagogiques, renforçons et faisons converger les mouvements et capacités d’actions. Participons au développement de la capacité d’analyse politique sur les choix de société.
    • Agissons sur la sphère politique :
      - les lois doivent garantir le droit effectif à la santé et à la protection sociale ;
      - créons des mouvements de base suffisamment forts pour exercer un contrôle et une pression sur le politique pour qu’il respecte et rende effectifs ces droits.
    • Professionnels, usagers, citoyens... devenons des acteurs de changement par la formation et la sensibilisation.
    • Créons des alliances entre les professionnels et les usagers, entre les syndicats et les mouvements « citoyens », et favorisons l’émergence d’alliances locales multiformes en défense de la santé et la protection sociale.
    • Renforçons les actions par des convergences avec les mouvements agissant sur les déterminants de la santé, tels que le climat, le commerce, l’austérité, la dette, les conditions de travail, l’égalité hommes/femmes….
    Dates à retenir/Dates of action

    18 avril 2015 : journée d’action mondiale contre le libre-échange
    18-26 mai 2015 : assemblée annuelle de l’OMS Genève
    contact : sbarria chez phmovement.org et/and informations www.phmovement.org
    Juin 2015 : semaine d’action en solidarité avec la Grèce et contre l’austérité
    contact : sebastian chez altersummit.eu et/and informations www.altersummit.eu
    17-24 octobre : semaine mondiale d’action décidée par l’assemblée des mouvements sociaux au Forum Social Mondial
    Novembre-décembre 2015 : COP 21, Paris
    informations et contact : coalitionclimat21.org
    7 avril 2016 : Forum maghrébin sur la protection sociale, Marrakech
    contact et informations : aziz_rhali chez yahoo.fr
    7 avril de chaque année : journée mondiale de la santé


    Signataires


    Action Aid India, Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), Association de Défense du Secteur Public de la Santé, du Droit des Professionnels et des Usagers (Tunisie), Association Tunisienne pour le Droit à la Santé, ATTAC Maroc, Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM), Centrale Nationale des Employés (CNE, Belgique), Collectif pour le Droit à la Santé au Maroc, CUT Brésil, Fédération Nationale de la Santé (UGTT), Forum Algérien pour la Citoyenneté et la Modernité, Forum Régional pour le Droit à l’Eau de la Région Arabe, Forum Social Mondial de la Santé et la Securité Sociale (FSMSS), Global Social Justice, International Association of Health Policy (IAHP), Médecins du Monde Belgique en Tunisie, Mouvement Populaire pour la Santé (PHM), Network for Transformative Social Protection, Observatoire Tunisien de l’économie, Réseau Européen contre la Privatisation et la Commercialisation de la Santé et de la Protection Sociale, Réseau National Dette et Développement (RNDD, Niger), Sud Santé Sociaux (France), Syndicat National des Médecins, Pharmaciens et Dentistes (UGTT), Syndicat National de la Sécurité Sociale (UGTT), Syndicat Générale des Eaux (UGTT), Théâtre du Copion (Belgique), Union des Diplômés Chômeurs (UDC, Tunisie), Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET), Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT).

    http://cadtm.org/Contre-les-menaces-sur-la-sante-et

  • Nouveautés sur "Algeria Watch"

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  • Nouveautés AFPS

  • Ilan Pappé: "ce que nous disent les élections israéliennes" (Afps Rennes)

     "Uniting against privatization, exploitation, and capitalistic rule."

    Comme plusieurs de mes amis, j’ai été également soulagé qu’un gouvernement sioniste libéral n’ait pas été élu.

    Il aurait permis à la mascarade du « processus de paix » et à l’illusion de la solution de deux états de durer, tandis que la souffrance des Palestiniens continue.  Comme toujours, c’est le Premier Ministre Benjamin Netanyahu lui-même qui a fourni l’inévitable conclusion quand il a déclaré la fin de la solution de deux états - nous invitant tous au long enterrement d’une idée mal inspirée qui a fourni à Israël l’immunité internationale pour son projet colonialiste en Palestine.

    La puissance de cette escroquerie était visible aux yeux de tous quand le monde et les spécialistes locaux des médias ont de manière irréaliste prévu une victoire pour le sionisme libéral, une tendance idéologique israélienne qui est proche de l’extinction - représentée cette fois-ci par la liste de l’Union Sioniste dirigée par Isaac Herzog et Tzipi Livni. Les sondages à la sortie des bureaux de vote réalisés par ces excellents statisticiens israéliens ont renforcé cette illusion, amenant les médias à un fiasco énorme puisque les attentes de la victoire du camp « libéral » se sont transformées en choc et consternation face au triomphe de Netanyahu.

    Débâcle

    Il est intéressant d’entamer une première analyse des élections israéliennes par une attention plus particulière sur cette débâcle.

    Un segment important de ceux qui votent pour le parti du Likud de Netanyahu appartiennent à la deuxième génération de juifs qui sont venue des pays arabes et musulmans.

    Ils ont été joints cette fois par les communautés de colons en Cisjordanie occupée qui ont voté en bloc pour Netanyahu. Beaucoup parmi les juifs arabes ont voté beaucoup plus pour le Likud qu’ils ont voté pour Netanyahu. Les colons ont fait de même aux dépens de leur nouvelle base politique - le parti de La Maison Juive de Naftali Bennett qui promet l’annexion complète de la Cisjordanie - afin de s’assurer que le Likud serait le parti le plus représenté au prochain parlement.

    Ni l’un ni l’autre de ces deux groupes n’était particulièrement heureux de son choix et n’était pas forcément fier de sa décision de voter encore une fois pour Netanyahu. C’est peut-être la raison qui fait qu’un bon nombre de ces électeurs n’ont pas réellement dit lors des sondages à la sortie des bureaux de vote, pour qui ils avaient voté.

    Le résultat était tout à fait catastrophique pour tous les sondeurs renommés. Ils ont loupé ce qui aurait dû être le grand titre après les sondages à la sortie des bureaux de vote : une victoire sensationnelle pour le Likud en 2015 et un résultat décevant pour le camp sioniste libéral. Les nouvelles les plus passionnantes concernaient le succès des citoyens Palestiniens en Israël qui s’étaient unis pour former la Liste Commune et qui ont gagné la troisième place - le plus grand nombre de sièges après le Likud et l’Union Sioniste.

    La victoire du Likud

    Les trois résultats - un Likud fortifié, un Parti Travailliste défait (l’Union Sioniste est une liste unie entre le parti Travailliste et « l’Initiative » de Livni) et une représentation palestinienne unifiée et renforcée - peuvent être soit ignorés par la communauté internationale, soit servir de catalyseur pour une nouvelle pensée sur la question toujours tellement d’actualité de la Palestine.

    La victoire du Likud, en dépit de l’agitation sociale en Israël due aux difficultés économiques grandissantes, et la position plus que jamais dégradée de l’état juif dans la communauté internationale, indiquent clairement qu’il n’y aura aucun changement en Israël dans un avenir proche.

    Le parti Travailliste, en attendant, a fait son maximum. Il n’est pas susceptible de faire mieux et par conséquent il n’offre pas d’alternative. La principale raison est qu’il n’est pas une alternative. Israël en 2015 est toujours un état colonial et colonialiste, et une version libérale de cette idéologie ne peut pas offrir de véritable voie de réconciliation avec les véritables habitants de la Palestine.

    Depuis que Likud a pris le pouvoir pour la première fois après sa victoire historique de 1977, les électeurs juifs ont préféré le véritable produit, comme on dit, plutôt que la version plus pâle et libérale du sionisme.

    Le parti Travailliste était au pouvoir assez longtemps pour que nous sachions qu’il n’est pas en mesure de concéder même à la plupart des dirigeants palestiniens modérés, aucun accord leur permettant d’exercer une véritable souveraineté, ni même en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza, qui forment pourtant à peine un cinquième de la Palestine historique.

    La raison en est très simple : la raison d’être d’une société coloniale-colonialiste est le déplacement forcé des indigènes et leur remplacement par des colons. Au mieux ces indigènes peuvent être confinés dans les enclaves se révoltant de façon périodique, au pis ils sont condamnés à être expulsés ou massacrés.

    Décolonisation

    La conclusion pour la communauté internationale devrait à présent être claire. Seule la décolonisation de l’état colonial peut mener à la réconciliation. Et la seule manière de donner une impulsion décisive à cette décolonisation, c’est en utilisant les mêmes moyens que ceux exercés contre l’autre état colonial de longue date du 20ème siècle : le système d’apartheid en Afrique du Sud.

    Le choix de la campagne BDS - le boycott, le désinvestissement et les sanctions - n’a jamais paru plus valide qu’il ne l’est aujourd’hui. Il faut espérer que - en liaison avec la résistance populaire sur le terrain - cela poussera au moins certains dans la deuxième et la troisième génération de la société coloniale juive, à contribuer à stopper le projet sioniste.

    Les pressions conjointes de l’extérieur et du mouvement de résistance à l’intérieur sont la seule manière de forcer les Israéliens à repenser leurs relations avec tous les Palestiniens, y compris les réfugiés, sur la base des valeurs démocratiques et égalitaires. Dans le cas contraire, nous pouvons nous attendre à ce que le Likud gagne cette fois-ci quarante sièges lors des prochaines élections, peut-être dans la foulée d’un prochain soulèvement palestinien.

    Il y a deux raisons pour lesquelles cette approche est encore possible. L’une est la Liste Commune.

    Elle n’aura aucun impact sur le régime politique israélien et en réalité,comme l’Autorité palestinienne, les jours de la représentation palestinienne à la Knesset, le parlement d’Israël, sont comptés. Si une liste unie ne peut avoir aucun impact et si une PA sans aucun pouvoir effectif ne satisfait pas même les sionistes libéraux, alors le temps est venu de rechercher de nouvelles formes de représentation et d’action. Mais l’importance de la Liste Commune se trouve ailleurs.

    Elle peut stimuler l’imagination d’autres communautés palestiniennes sur la possibilité d’une unité dans les objectifs. Que les islamiste et les marxistes puissent agir ensemble pour un meilleur avenir est un exemple qui peut avoir des implications d’une grande portée, non seulement pour des Palestiniens et des Israéliens, mais pour une Europe de plus en plus polarisée. La Liste Commune représente un groupe de Palestiniens indigènes qui connaissent bien les Israéliens, qui sont profondément attachés aux valeurs démocratiques et ont gagné en importance parmi les autres Palestiniens après des années de marginalisation et de quasi-oubli.

    La deuxième raison d’espérer, c’est que de nouvelles solutions alternatives émergeront, car en dépit de toutes sa cruauté et sa dureté, le projet colonial-colonialiste sioniste n’était pas le pire dans l’Histoire. Malgré toute l’affreuse souffrance qu’elle a causé il y a peu, pendant le massacre de cet été à Gaza, elle n’a pas exterminé la population locale et son projet de dépossession demeure inachevé. Ceci ne signifie pas qu’il ne deviendra pas plus mauvaise ou qu’il faille sous-estimer la douleur qui est celle des Palestiniens.

    Vision

    Ce que cela signifie, c’est que l’impulsion principale venant des Palestiniens est non pour une rétribution mais pour une restitution. Leur souhait est de vivre une vie normale - quelque chose que le sionisme a nié à tous les Palestiniens depuis l’arrivée de cette idéologie en Palestine vers la fin du 19ème siècle.

    Une vie normale, cela signifie la fin des politiques discriminatoires d’apartheid contre les Palestiniens en Israël, la fin de l’occupation militaire de la Cisjordanie et du siège de la Bande de Gaza, la reconnaissance du droit pour les Palestiniens réfugiés de retourner dans leur patrie.

    Le principe de l’échange, ou quid pro quo, est d’accepter l’ethnie juive qui a émergé en Palestine en tant qu’élément d’une nouvelle entité politique décolonisée, entièrement démocratique et basée sur les principes acceptés par tous les concernés.

    La communauté internationale peut jouer un rôle positif en supportant cette vision si elle adopte trois principes de base.

    Le premier est que le sionisme est sous toutes ses formes colonialiste et que par conséquent l’anti-sionisme n’est pas de l’antisémitisme mais de l’anticolonialisme.

    Le second est que si elle renonce au traitement préférentiel accordé à Israël au cours des années, principalement dans le domaine des droits de l’homme, elle aura une possibilité plus forte de jouer un rôle constructif pour sauvegarder ces droits au Moyen-Orient dans son ensemble.

    Et en conclusion, nous devrions tous nous rendre compte que l’occasion fournie d’épargner des vies innocentes en Palestine historique risque de se fermer rapidement, car si la puissance israélienne demeure hors de contrôle, une répétition des massacres des années précédentes est presque certaine. Il est urgent d’abandonner les vieilles formules pour la « paix » qui n’ont rien donné, et de commencer à chercher de justes et viables solutions.

    dimanche 29 mars 2015

    * Ilan Pappe est directeur du Centre Européen d’Études Palestiniennes à l’Université d’Exeter. Son dernier livre s’intitule : The idea of Israel : a history of power and knowledge

    http://www.rennespalestine.fr/?Ilan-Pappe-ce-que-nous-disent-les

    Commentaire de la photo: Unir contre l'occupation et la colonisation, c'est au programme des communistes?

     

  • Au Qatar, les multinationales tuent en masse (Lcr.be)

    http://revolutionsarabes.hautetfort.com/media/02/00/1213156663.jpeg

    *

    La vulgate néo-libérale est bien connue : le capitalisme est avant tout source de progrès, de subversion des frontières et des structures sociales du passé, le « marché » empêche le repli sur soi, permettrait  etc etc… Si chaque jour qui passe contredit pourtant ce discours d’escroc intellectuel, le scandale de la coupe du monde au Qatar se distingue par la démesure de l’échelle du nombre de morts, des enjeux financiers et de la corruption.

    De quoi s’agit-il ? La Fédération Internationale de Football Association (FIFA) a attribué l’organisation de la coupe du monde de football au Qatar en 2022, petite et richissime monarchie du golfe. Ce mini-Etat a investi dans le sport comme levier international en organisant des événements sportifs internationaux et en acquérant des clubs sportifs, en particulier en France avec l’acquisition par le fonds souverain qatari du club de football du Paris Saint-Germain. Le coupe du monde de football a vocation à « couronner » cette stratégie et a pour conséquence la construction de stades et infrastructures afférentes sur le territoire qatari.

    Passons rapidement sur les scandales en amont de la construction : la construction de ces stades est simplement une absurdité écologique, il est désormais établi que le Qatar a corrompu des membres des instances de la FIFA pour gagner l’attribution, le rapport d’enquête interne sur ce processus n’a été publié que partiellement (entraînant la démission de son rédacteur)… Mais les conséquences désastreuses de la coupe du monde au Qatar sont avant tout humaines : une véritable hécatombe des ouvriers sur les chantiers des stades. En effet, si (contrairement à ses engagements) la FIFA a décidé d’organiser la coupe du monde 2022  en hiver et pas en été comme de tradition pour ne pas faire subir les chaleurs estivales infernales aux sportifs et aux spectateurs, les ouvriers travaillent eux dans un climat désertique et à des cadences inhumaines.

    En l’absence de décompte fiable, les estimations sont alarmantes : selon le journal britannique Guardian  le rythme est d’un ouvrier mort par jour, la Confédération Syndicale Internationale prévoit 4.000 ouvriers morts si rien ne change jusqu’au début de la coupe du monde. Ces ouvriers sont principalement népalais ou indiens et sont réduits à une situation de servitude en raison du système de la kafala : le patron est « parrain » de l’ouvrier étranger, et ce n’est qu’avec son autorisation que cet ouvrier peut quitter le territoire qatari. Les ouvriers sont bien évidemment parqués dans des camps dans des conditions déplorables. Leurs conditions de travail sont absolument épouvantables, si bien qu’il n’est même plus possible d’évoquer des « accidents » du travail le terme approprié serait plutôt « meurtres du travail ». Dans cette monarchie dont les structures politiques rétrogrades peuvent se maintenir grâce à la manne pétrolière, ils ne disposent pas du droit à la libre circulation ni d’aucun droit d’organisation : pas de droit de s’associer, de se syndiquer, de protester collectivement et évidemment de faire grève… En d’autres termes, ils sont des serfs modernes à la différence près avec les serfs du moyen âge qu’ils dégagent d’immenses plus-values et n’ont même pas droit à la protection que devait par principe accorder un seigneur féodal.

    La cuirasse de la corruption protège jusqu’à présent les représentants du Qatar et de la FIFA des conséquences de leurs actes mais ils sont loin d’être les seuls responsables de ces meurtres du travail : les grands groupes construisant ces stades sont les mêmes qu’en France. Bien entendu, ces groupes se drapent derrière l’hypocrisie classique consistant à renvoyer la balle à leurs nombreux sous-traitants pour se dédouaner. Par exemple, la fédération construction de la CGT, qui est engagée dans la campagne internationale « carton rouge à la FIFA », relève qu’il y a sur le chantier de Mushrubie  à Doha, 9 entreprises principales, 40 sous-traitants pour chacune d’elles, 13 000 salariés au bout[1]

    Malgré ces procédés, la Fédération Construction de la CGT et l’association Sherpa[2] affirment avoir rassemblé suffisamment de preuves contre le groupe Vinci et les dirigeants de sa filiale française pour les attaquer au pénal estimant que ceux-ci n’ont pas respecté les dispositions sur le nombre d’heures travaillés et le retrait des passeports du code du travail… qatari ! Un code du travail qui n’est pourtant pas particulièrement connu pour sa protection des travailleurs…

    Au final, il s’agit de la combinaison de trois aspects intrinsèquement imbriqués du capitalisme mondial contemporain : l’organisation tentaculaire des multinationales hyperexploitant au détriments de vies humaines, des instances internationales opaques (dont la FIFA est une caricature morbide) liée par une chaine de corruption avec des institutions nationales complices et enfin des poches de néo-féodalité s’accommodant  fort bien du marché mondial et des technologies de communication.

    Depuis plusieurs décennies, les grands événements sportifs servent de paravent à des opérations capitalistes (en particulier immobilières) de grande ampleur au détriment des peuples locaux. La coupe du monde ne fait pas exception avec une accélération dans la période actuelle : l’irrationalité de la répartition de ressources publiques au profit de cet événement au détriment des services publics, la coupe du monde 2018 en Russie avec sa cohorte de répression et de gabegie sur le modèle des jeux olympiques de Sotchi… et enfin les stades qataris construits sur le sang d’ouvriers victimes de meurtres du travail de masse en 2022.  Il n’est plus possible de fermer les yeux sur ce massacre de classe.

    Suren

    [1] http://construction.cgt.fr/wordpress/wp-content/uploads/24avril2014FIFA.pdf

    [2] Consultable et signable ici https://www.powerfoule.org/campaigns/vinci/appel-a-taubira/vinci-pas-de-for%C3%A7ats-sur-les-chantiers-de-la-coupe-du-monde

    http://www.lcr-lagauche.org/au-qatar-les-multinationales-tuent-en-masse/

  • Le Yémen en morceaux (Orient 21)

    Qui se bat contre qui ?

    Le processus de transition qui a fait suite au « printemps » de 2011 avait un temps érigé le Yémen en modèle. Porté à bout de bras par l’ONU, il est moribond et a laissé place à un entrelacement de conflits et d’inimitiés qui, bien que prévisibles, frappent par leur brutalité. Face à une telle illisibilité, la communauté internationale est tentée de plaquer quelques grilles de lectures binaires (Nord/Sud, sunnite/chiite) qui risquent pourtant, comme en Libye, de précipiter encore plus le pays dans la guerre.

    Et l’implication directe de l’Arabie saoudite risque d’aggraver la situation1.

    L’épisode rocambolesque du 21 février 2015 qui a mené le président de la transition Abd Rabbo Mansour Hadi à fuir Sanaa et à gagner Aden, dans le Sud, avait placé le Yémen dans une situation intenable. Dans l’impossibilité de travailler face à la poussée des rebelles houthistes, il avait un mois plus tôt annoncé une première fois sa démission pour être ensuite placé en résidence surveillée à Sanaa, la capitale, par cette même «  milice chiite  ». Profitant de l’inattention de ses gardiens au petit matin, il avait pu s’enfuir de son palais par une porte dérobée et rejoindre l’ancienne capitale du Yémen du Sud, d’où il est originaire. Le 25 mars 2015, certains officiels annoncent son départ du pays alors que les houthistes sont aux portes d’Aden et bombardent la ville. La localisation de Hadi reste incertaine mais il a clairement perdu la main. Comment expliquer une telle débâcle  ?

    Reconquérir le Yémen depuis Aden

    Au cours de la captivité de Hadi à Sanaa, le vide institutionnel avait été rempli par les houthistes eux-mêmes. Ce mouvement politico-religieux issu de la branche zaydite du chiisme, bien qu’initialement marginal, avait au fil des ans gagné en popularité et en capacité de nuisance. Depuis l’été 2014, les houthistes avaient réussi à mettre la pression sur le gouvernement et sur Hadi, prenant le contrôle de la capitale, obtenant le limogeage du premier ministre Mohamed Basindwa et opérant, sans l’assumer véritablement, un coup d’État. Cette prise de pouvoir n’avait été possible qu’à travers une alliance de circonstance entre les houthistes et l’ancien président Ali Abdallah Saleh, démis de ses fonctions par la rue en 2011 et qui continuait à bénéficier de l’allégeance d’une part significative de l’appareil de sécurité. L’alliance entre des anciens ennemis qui s’étaient combattus dans le contexte de la guerre de Saada entre 2004 et 2010 permettait à tous deux de se venger de leur adversaire commun, le parti al-Islah, branche yéménite des Frères musulmans, allié au président Abd Rabbo Mansour Hadi.

    En rejoignant Aden, Hadi affirmait le maintien de sa légitimité constitutionnelle. Il annulait sa démission et prononçait le transfert provisoire de la capitale vers Aden. Il entendait faire de ce port la base de sa reconquête face aux houthistes, mais semblait en réalité précipiter le pays vers la partition. Bien qu’il soit originaire d’Abyan, province qui jouxte Aden à l’est, son assise politique dans cette dernière ville et dans l’ex-Yémen du Sud en général était maigre. La population de l’ex-Yémen du Sud, largement acquise à l’option sécessionniste, lui tenait rigueur d’avoir réprimé pendant son mandat le mouvement sudiste mais également, en 1994, lors d’un précédent conflit, d’avoir en tant que ministre de la défense mené une offensive militaire contre Aden. Par ailleurs, Hadi se trouvait être en tension avec l’un des principaux leaders sécessionnistes, Ali Salim Al-Bidh suite à une sombre et meurtrière histoire de purge sudiste en 1986.

    En dépit de la fragilité de ses appuis locaux, Hadi continuait de recevoir le soutien de la communauté internationale. Ainsi l’Arabie saoudite avait-elle rouvert son ambassade à Aden et le conseil de sécurité de l’ONU maintenu sa confiance sans tenir compte du fait que la logique portée par Hadi depuis son départ pour Aden produisait des polarisations binaires forcément guerrières. En mal de repère, l’ONU et les grandes puissances, tout en appelant à un retour des négociations, avaient choisi un camp. Ce faisant, elles avalisaient ainsi une lecture certes portée par les acteurs eux-mêmes, mais néanmoins partielle et largement destructrice. Avec la chute de Hadi, ils perdent encore davantage leurs repères.

    Polarisations binaires

    L’arrivée de Hadi à Aden a précipité cette ville dans la confrontation avec les houthistes, semblant polariser le conflit yéménite autour d’une logique binaire Nord/Sud d’une part, mais aussi chiite/sunnite. Aden était pourtant largement restée depuis 2011 à l’écart de la compétition entre élites qui se jouait à Sanaa et impliquait houthistes, Frères musulmans, partisans de Saleh et soutiens de Hadi. La population du Sud, largement acquise au mouvement sécessionniste ne se sentait plus concernée par les affaires du Nord et réclamait donc son indépendance. La donne a brutalement changé et la violence est venue à Aden, importée en quelque sorte par Hadi : l’aéroport, situé en centre-ville, a été le théâtre de violents affrontements mi-mars entre pro et anti-Hadi et le palais de ce dernier a été bombardé par des avions de combats envoyés par Sanaa, vraisemblablement pilotés par des officiers restés loyaux à Saleh et alliés aux houthistes.

    Cette reconfiguration est venue figer une conflictualité complexe dans des cadres simplistes, tant historico-géographique que confessionnels. L’appartenance des houthistes au zaydisme chiite, les accusations récurrentes de soutien iranien, leur rivalité avec les Frères musulmans d’Al-Islah donnent indéniablement une coloration confessionnelle au conflit. Le Nord incarne l’identité zaydite et, à rebours d’une logique historique de convergence religieuse, le zaydisme est entré dans une dynamique de rejet du sunnisme dominant au Yémen mais minoritaire autour de Sanaa. L’assassinat de l’intellectuel houthiste Abdel Karim Al-Khaywani le 18 mars 2015, puis deux jours plus tard l’attentat contre les deux mosquées zaydites à Sanaa ayant fait plus de 150 morts renforcent cette polarisation confessionnelle qui semble de plus en plus en mesure de mobiliser. La revendication des attentats par l’organisation de l’État islamique (OEI), jusque-là inactive au Yémen, illustre une dynamique dévastatrice. Pour leur part, les avancées houthistes dans les régions sunnites de l’ex-Yémen du Nord, Taëz en particulier et dorénavant Aden, produisent un profond ressentiment.

    De l’autre côté, au Sud, la population est exclusivement sunnite. Hadi lui-même pouvait espérer apparaître comme une incarnation de cette identité qui se cristallise autour d’un rejet de la rébellion houthiste et donc du chiisme mais aussi du Nord. Il reste que le principal rempart de l’avancée des houthistes est Al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA) qui s’allie avec les tribus des zones frontalières entre Nord et Sud à Al-Baida, Al-Dhala ou dans le Yafea. Dans ce cadre, l’anti-houthisme, transformé en anti-chiisme, est un puissant ciment. Toutefois, il n’efface pas les divisions internes à chaque camp.

    Chaque camp divisé

    L’option choisie par Hadi a conduit, in fine, à affirmer l’idée d’une rupture politique que les sudistes réclamaient depuis plusieurs années : Sanaa et ses environs, sous la coupe des houthistes, se voient déconnectés du reste du pays et même isolés, Iran mis à part, du reste du monde. Il n’est toutefois pas certain que cette fragmentation produise réellement ce que les sécessionnistes sudistes en attendaient. En effet, elle vient directement souligner les divisions internes au mouvement sudiste.

    Les houthistes se sont engouffrés dans la brèche en annonçant avoir offert à Ali Salim Al-Bidh un passeport diplomatique qui permettrait à ce leader sécessionniste et ancien président du Yémen du Sud de revenir dans son pays après plus de deux décennies d’exil. L’alliance objective qui se nouait entre Hadi et les groupes djihadistes dans leur lutte commune contre les avancées houthistes plaçait le premier en porte à faux vis-à-vis de la communauté internationale qui le soutient. Les logiques régionales au Sud jouaient également à plein. Les rivalités historiques entre tribus d’Abyan et celles d’Al-Dhala et Lahj (au nord d’Aden) fracturent le Sud. Le Hadramaout, province orientale du Sud, semble s’appuyer sur ses connexions marchandes dans le Golfe pour prendre un chemin différent. Les Hadramis sont en tout cas peu concernés par ce qui se joue entre Sanaa et Aden. Dans ce contexte, une démission de Hadi et son départ d’Aden étaient inévitables.

    Le camp des houthistes, soudé par une volonté de revanche à l’égard des islamistes sunnites et de leurs alliés, n’est pas lui-même exempt de divisions internes. Le succès militaire de la milice zaydite ne peut se comprendre qu’à la lumière de l’intégration dans celle-ci de pans entiers des forces de sécurité restée loyales à l’ancien président. L’alliance entre Saleh, lui même d’origine zaydite, et les houthistes est certes fonctionnelle mais elle est difficilement pérenne entre deux anciens ennemis qui, de plus, sont engagés dans des stratégies différentes.

    Le chaos profite à Saleh qui, depuis sa résidence à Sanaa, donne des ordres. La fragmentation ambiante, qui débouche sur une lassitude des citoyens face au désordre qu’a produit la «  révolution  » pourrait bien imposer le retour en force de ses réseaux, à travers son fils Ahmed Ali, ancien dirigeant de la garde républicaine. Depuis son poste d’ambassadeur du Yémen à Abou Dhabi où il a été nommé en 2012, ce dernier est en mesure d’établir des connexions fondamentales avec des acteurs régionaux qui comptent — les Emirats arabes unis mais aussi l’Arabie saoudite — et ainsi apparaître en tant que recours.

    Les houthistes pour leur part expriment un antagonisme clair à l’égard des Saoudiens qu’ils ont récemment menacés. Leur objectif passe par le contrôle de ressources naturelles, notamment dans la région pétrolière de Marib où ils sont confrontés à la résistance de tribus (pas nécessairement d’origine sunnite). La stratégie houthiste s’incarne surtout dans une lutte frontale contre les groupes djihadistes sunnites proches d’Al-Qaida, ou aujourd’hui se revendiquant de l’État islamique. Tout le problème réside dans le fait que chacune des avancées houthistes renforce en réaction la solidarité sunnite selon une logique perverse et auto-réalisatrice. La volonté apparente des houthistes de s’inspirer de l’expérience du Hezbollah libanais et de l’État iranien se serait probablement accommodée d’une assise territoriale limitée et d’une cohabitation avec d’autres forces politiques qui lui auraient servi de paravent mais aussi d’interface avec la communauté internationale. Les événements récents en ont décidé autrement…sans doute pour le pire.

    Mise à jour le 26 mars à 9h30 : L’Arabie saoudite a pris la tête le 25 mars 2015 au soir d’une coalition de dix pays incluant les autres membres du Conseil de Coopération du Golfe (Oman excepté), l’Égypte, le Pakistan, la Jordanie, le Soudan (qui avait pourtant été accusé d’avoir transféré de l’armement aux houthistes) et la Turquie en vue de défendre le "gouvernement légitime" Abd Rabbo Mansour Hadi. Le rôle opérationnel des différents pays membres reste à définir. Des bombardements saoudiens ont visé différentes cibles militaires houthistes ou tenues par leurs alliés, notamment des proches d’Ali Abdallah Saleh. Plusieurs leaders militaires de la rébellion auraient été tués. Les États-Unis ont annoncé apporter un soutien logistique à ces frappes. Une intervention au sol pourrait se profiler. Une telle stratégie de la part des puissances régionales apparait comme largement contre-productive. Elle n’est aucunement en mesure de relégitimer Hadi qui apparaitra, y compris auprès d’une large part de la population du Sud, comme celui qui a appelé à une intervention étrangère au mépris de la souveraineté du pays. Elle produira inévitablement un rassemblement des populations autour des houthistes. L’anti-saoudisme de la population et les souvenirs amers de l’intervention égyptienne dans les années 1960 (qui s’était soldée par une déroute de l’armée de Gamal Abdell Nasser) risquent par ailleurs de produire un réflexe nationaliste et une polarisation de plus en plus forte tant confessionnelle que régionale. La stratégie univoque et simpliste des puissances régionales apparaît comme symptomatique de leur perte de repères au Yémen. Elle peut également sans doute être percue à l’aune des discussions sur le nucléaire iranien. Si certains prédisaient qu’Israël chercherait à torpiller l’accord sur le nucléaire iranien en lançant une guerre contre le Hezbollah libanais afin de précipiter l’Iran dans le conflit, ce pourrait bien être au final l’Arabie saoudite qui jouerait les Cassandre en s’étant attaqué frontalement aux houthistes.

    Laurent Bonnefoy Article mis à jour le 26 mars