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  • 10949 femmes (Algérie Infos)

    10949 femmes

    Documentaire réalisé par Nassima Guessoum 2014 Algérie, France

    Selon le comptage officiel de l'Etat algérien, 10949 femmes ont combattu pendant la guerre d'indépendance en Algérie. La réalisatrice franco-algérienne Nassima Guessoum a suivi pendant 5 ans Nassima Hablal, une de ces héroïnes souvent oubliées pour en faire son premier film

    Elle chante, elle parle  avec un mélange de faconde et de gouaille, -en se faisant répéter les questions à cause de sa surdité-, elle sourit -et surgit tel un îlot rescapé, son unique dent-, elle prépare le café, elle se maquille, se pare de foulards colorés, elle marche à pas lents, appuyée sur sa canne, elle répond vertement à sa nièce, elle se fait le guide dans les lieux qui ont marqué son passé en Algérie....

    Elle, c'est Nassima Hablal une des 10 949 femmes, moudjahidine de l'indépendance algérienne. Et Nassima Guessoum en la filmant en plans très serrés dans son quotidien d'octogénaire, va "donner un visage" à cette guerre qui longtemps ne fut pas reconnue comme telle par le gouvernement français... 

    Membre du PPA (parti du peuple algérien) puis engagée dans le FLN, militante convaincue (la Révolution primait sur sa vie privée), torturée par les paras de Massu, emprisonnée en France, elle revient en Algérie après l'indépendance. De 2006 à 2013 Nassima Guessoum va la rencontrer et de ces échanges naît ce documentaire certes très intimiste mais bien plus éloquent qu'une "leçon d'histoire"

    Il s'ouvre sur les fêtes de la commémoration (Bouteflika en tête)

    Le faste de cet anniversaire contraste avec la sobriété du documentaire dont la richesse est dans la parole restituée...Et quand Baya son amie témoigne  des viols et de la torture, ou quand Nelly Forget, ex compagne de geôle, raconte face à la caméra leur "évasion" par le rêve (la couverture sur le sol de la cellule servait de piste d'envol ou d'embarcadère vers la ville de Fez !!!), jamais de surenchère facile dans le pathos! D'ailleurs après la perte douloureuse de son fils Youssef -et la tonalité du film va épouser celle du drame- c'est la réalisatrice qui lira (voix off) cette lettre écrite par Nassima (ô ce flux mémoriel que vont illustrer de légers mouvements de caméra sur des objets, témoins d'une vie, dans une demeure ... vide...habitée par le silence ! )

    Un documentaire à la fois sobre et poignant qui a valeur d'épitaphe

    Nassima Hablal (1928-2013) a été inhumée dans l'anonymat, MAIS   sa voix résonne (ra)  par-delà les embruns de l'Histoire 

    Par Colette Lallement-Duchoze, 25  juin 2016 

    Source LE BLOG DE COLETTE LALLEMENT-DUCHOZE

    http://www.algerieinfos-saoudi.com/10949-femmes

  • 22-23 juillet 1952 : les "officiers libres" chassent le roi Farouk (Algérie Info)

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    Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1952, un groupe d'«Officiers libres» prend le pouvoir en Égypte et renverse le roi Farouk 1er. Acclamés alors par les Egyptiens, les militaires reçoivent un accueil populaire aussi chaleureux que celui de la foule célébrant le départ de Moubarak sur la place Tahrir, en 2011. Le 23 juillet est devenu fête nationale en Égypte.

     En ce début de 1952, les initiatives anti-britanniques se multiplient. Le 25 janvier 1952, le général George Erskine réprime durement la révolte d'un millier de Boulouks, ou auxiliaires de police, à Ismaïlia. Il s'ensuit 49 morts dont 3 Britanniques. Le pays est au bord de l'explosion. Le lendemain, un «samedi noir», des émeutes secouent Le Caire. Des immeubles, bars, cafés et cinémas, sont incendiés et des ressortissants britanniques lynchés par la foule.

     Dans les semaines qui suivent, le Premier ministre est congédié et les ministères se succèdent sans résultat. Devant cette carence du pouvoir, le peuple, désemparé, ne sait plus à quels saints se vouer. La monarchie, minée par la corruption, est d'autre part fragilisée par une série de complots.

     Le 21 juillet 1952, les Officiers libres décident de passer aux actes. Ce mouvement progressiste a été fondé par un colonel d'humble extraction, Gamal Abdel Nasser, héros très populaire de la guerre de 1948 contre Israël. Dans la nuit du 22 au 23 juillet, tous les points névralgiques de la capitale sont occupés par les insurgés.

     Le 18 juin 1953, la République est proclamée.

     En 1956, Nasser expulse les dernières troupes britanniques et va défier l'Occident en nationalisant le canal de Suez…

     Aujourd’hui, la mode médiatique dominante oblige les chroniqueurs à établir un lien de filiation directe entre le colonel Gamal Abdel-Nacer et Tantaoui, le maréchal qui dirige le Conseil supérieur des forces armées. Alain Gresh a raison d’écrire :

    « Les officiers qui s’emparent du pouvoir le 23 juillet 1952 sont jeunes, dynamiques, en partie idéalistes, porteurs d’un projet nationaliste qui consiste à faire de l’Egypte un Etat moderne. Les membres du CSFA appartiennent à l’élite qui a pillé le pays depuis des décennies, accumulé de fantastiques fortunes, et qui n’a d’autre but que de préserver ses privilèges ».

    Mis en ligne le 22 juillet 2012

    24 Juillet 2016

    Publié par Saoudi Abdelaziz

    http://www.algerieinfos-22-23-juillet-1952-les-officiers-libres-chassent-le-roi-farouk

  • Droits humains (Via Campesina)

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    Mettre fin aux crimes de guerre en Syrie, aux bombardements des citoyens, des cultures alimentaires et des marchés

    La guerre en Syrie est devenue l’une des plus importantes de notre histoire récente avec le plus grand nombre de personnes déplacées depuis la Seconde Guerre Mondiale. A ce jour, on estime le nombre de personnes tuées à environ un demi-million ; Le nombre de déplacés à environ 12 millions ; Ceux souffrant de la faim dans les dénommés “sièges de la faim” autour de 1 million (53 villes et communautés dont 50 assiégées par le régime syrien). Par ailleurs, au moins 100 000 prisonniers ont disparu dans les prisons du régime (1)

    Des actions, véritables crimes de guerre, sont menées quotidiennement de façon délibérée par les forces aériennes syriennes contre des hôpitaux, des écoles et des endroits vitaux comme les boulangeries ou marchés de légumes. Ces bombardements ciblés constituent des campagnes systématiques contre les civils : parfois plus de trois hôpitaux civils sont bombardés en un seul jour, souvent en utilisant la “double frappe”, à savoir un premier bombardement, puis un second une fois les secours arrivés, tuant souvent les secouristes en mission. (2)

    Au cours de ces dernières années, certaines campagnes de frappes ont visé des boulangeries et les personnes qui faisaient la queue devant. Ces attaques ciblant les grands rassemblements de personnes en train d’attendre pour acheter du pain occasionnent d’horribles massacres. Des milliers de boulangeries ont été détruites et les quelques-unes restantes sont maintenant souterraines. Parmi les autres cibles se trouvent les marchés de légumes très fréquentés. Toutes ces campagnes de frappe visent des infrastructures vitales pour la population.

    Pour comprendre ce que signifie réellement ce « bombardement en tapis », prenons l’exemple d’une ville qui avait une population d’environ 120 000 habitants. Elle s’appelle Maarat Al Numan, située dans la province d’Idlib:

    Au cours de l'année passée, tous ses quartiers ont été visés : ses écoles autogérées, la boulangerie nouvellement construite par les acteurs unis de la société civile (produisant 300 000 miches de pain par jour pour toute la région), les systèmes de traitement d’eau fournissant de l’eau propre à 50 000 personnes dans la région, ainsi que les installations de stockage des céréales des paysans. Selon un membre du « 15th Garden » tout dans la ville a été constamment et entièrement bombardé pendant ces quatre dernières années.

    Ces attaques délibérées sont menées partout en Syrie dans les régions libérées. Elles sont toutes bien documentées et portent sur des centaines de kilomètres. Ces attaques systématiques visant des sites peuplés et nécessaires pour couvrir les besoins de base des populations civiles, constituent des crimes de guerre.

    Les bombardements ont lieu chaque jour en Syrie, et entraînent un carnage implacable. Ces derniers jours, la route menant à la grande ville d’Alep a été fermée mettant en situation de siège et de guerre une population de 300 000 personnes sans aucune autre voie d’évacuation.

    Lors de la préparation de ce siège plusieurs hôpitaux ont été réduits à l'état de ruines et plusieurs douzaines de civils ont été tués chaque jour.

    A la suite de quoi, en avril, des initiatives internationales pour défendre les droits de l'Homme et la libération de la Syrie ont été prises et l’une des plus grandes campagnes depuis le début de la révolution syrienne a été lancée : la campagne #AleppoIsBurning campaign. Dans de nombreuses villes, les gens ont organisé des manifestations avec des slogans communs très simples et en portant des vêtements rouges. Cette campagne a débouché sur une trêve de quelques jours et a prouvé pour la première fois aux Syriens qu’ils ne sont pas seuls. Or, ce cessez-le-feu n’a duré que le temps où l’attention publique était forte. Aujourd’hui, Alep est de nouveau assiégée et la solidarité internationale devrait à nouveau se manifester. (3)

    Nous avons plus que jamais besoin de solidarité pour les paysans et le peuple de Syrie.

    Le « 15th Garden » continue à résister contre cette misérable guerre qui nous est imposée. Malgré les milliers de paysans arrêtés, disparus, torturés ou tués et les sièges de la faim infligés par le régime à leurs communautés, malgré l’usurpation du contrôle sur les marchés locaux et sur certains territoires par des intérêts étrangers résultant de l’aide au développement, malgré l’exploitation minière des terres agricoles par les factions en guerre et les forces de combat, malgré les exécutions de jardiniers et de paysans, malgré le déplacement de centaines de milliers de bergers, il y a des femmes qui cultivent des jardins alors que toute la ville est assiégée. Elles produisent des aliments dans tous les coins possibles hors de portée des snipers. Il existe des jardins communautaires qui ont la capacité de nourrir des milliers de personnes, il existe des réseaux de paysans qui travaillent et échangent leurs compétences, il existe des producteurs et obtenteurs de semences, des boulangeries construites et reconstruites, des moulins à grain mobiles et des réseaux pour former les communautés aux méthodes en circuit-fermé comme le recyclage des ordures, la production de biogaz à petite échelle et les cycles locaux de fertilisation.

    Partout en Syrie, la nourriture est utilisée comme arme contre le peuple et un outil pour obtenir le contrôle politique et soumettre la population. Les paniers alimentaires distribués par les ONG sont rarement livrés aux endroits déterminés par les peuples affectés eux-mêmes. Ils sont souvent stockés en dehors de la Syrie et aboutissent la plupart du temps dans les régions où les paysans continuent à travailler ce qui entraîne pour ces derniers la perte du maigre revenu qui leur restait. De nombreuses régions où les gens sont confrontés à la famine ne reçoivent absolument rien pour diverses raisons : parce que la communauté internationale n’agit pas si le régime ne le permet pas ou parce que les communautés ne sont pas administrées par un pouvoir politique ayant les faveurs des donateurs. Le développement ou l’aide d’urgence, au nom de la sécurité alimentaire, sont maintenant généralisés en Syrie, ce qui va entraîner à long terme une dépendance. Cette aide se compose d'une grande quantité de semences hybrides et les produits chimiques sont souvent envoyés sans aucune indication qui pourraient permettre aux travailleurs agricoles de les utiliser en limitant les risques pour leur santé. Ils arrivent par le biais de structures nationales et internationales très centralisées qui travaillent uniquement avec de gros organismes et non avec les paysans ou les communautés de base dont l'objectif est d'assurer une production alimentaire continue pour le peuple syrien.

    Il est capital que la pression politique soit plus forte afin de mettre fin aux bombardements de la population syrienne, pour arrêter les bombardements ayant pour cible les hôpitaux, les écoles, les jardins potagers et les marchés de légumes, pour stopper l’extermination de milliers de civils et le déplacement de millions de gens. Nous, paysans syriens, essayant de survivre et de produire des aliments pour nourrir notre peuple, avons besoin en toute urgence d’aide et de solidarité.  jeudi 21 juillet 2016 

    1) L’ONU ne compte plus les personnes tuées depuis 2014, donc l’estimation est maintenant fondée sur des données collectées par différentes organisations de défense des droits humains.

    Campagne syrienne sur les défaillances, la perte de partialité, d'indépendance et de neutralité des Nations unies en Syrie: http://takingsides.thesyriacampaign.org/

    Campagne syrienne sur les sièges de la faim: www.breakthesieges.org/en

    Le nombre de prisonniers varie beaucoup selon l’accès des organisations à l’information et les normes, nous mentionnons le nombre le plus bas possible de 100 000 personnes, les estimations les plus hautes sont d’environ 500 000. https://www.amnesty.org/en/countries/middle-east-and-north-africa/syria/report-syria/

    2) http://www.msf.org/en/article/syria-statement-dr-joanne-liu-international-president-m%C3%A9decins-sans-fronti%C3%A8res

    3) Pour voir comment les manifestions se sont déroulées partout dans le monde: https://www.facebook.com/break.hunger.siege/?fref=ts

    https://viacampesina.org/fr

  • Nouveautés sur Association France Palestine Solidarité

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    Sur les abeilles lire aussi:

    L’idée de donner vie à une initiative « CooBEEration » a vu le jour à Beyrouth en 2010 - année des Biodiversités –  à la conclusion du IVème Forum de l’Apiculture méditerranéenne, où, pour la première fois, le rôle fondamental de l’abeille et de l’apiculture pour la défense et le maintien de la biodiversité a été clairement mis en évidence.

    La campagne a été activée dans le cadre du projet Mediterranean CooBEEration, né en 2014, qui se fixe de soutenir l’apiculture et le rôle stratégique qui est le sien pour la sauvegarde de la biodiversité, l’amélioration de la sécurité alimentaire et le développement socioéconomique de l’aire méditerranéenne.

    Le projet, cofinancé par l’Union européenne, est promu par : le Fondo di Enti Locali per la Cooperazione Decentrata e lo Sviluppo Umano Sostenibile (FELCOS Umbria), chef de file de l’initiative ; la Fédération des Apiculteurs de la Méditerranée (APIMED); le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) ; l’Université de Bologne/Département de Sciences et Technologies agro-environnementales (DIPSA) ; l’Université de Turin/ Département de Sciences agronomiques, forestières et alimentaires (DISAFA) ; l’Institut National Agronomique de Tunisie (INAT).

    http://www.coobeerationcampaign.org/fr/

  • L’islam, cette si commode grille d’analyse du monde musulman (Orient 21)

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    À propos de « Un silence religieux. La gauche face au djihadisme », de Jean Birnbaum

    Un silence religieux. La gauche face au djihadisme, le livre de Jean Birnbaum a été largement couvert par les médias, qui ont amplement repris ses thèses. Pourtant, un tel ouvrage mérite un vrai débat qui n’a pas encore eu lieu.

    En France, tout commence et se termine avec l’Algérie quand il s’agit de l’islam. Les relations tourmentées de l’Hexagone avec ce pays et plus de cent trente ans de colonisation ont marqué l’Histoire, la politique, la culture, les idées de la métropole. Et pourtant régulièrement, au hasard de l’actualité, on «  redécouvre  » la solidité de ce lien que les livres d’histoire scolaire limitent au seul fait colonial. Celui-ci, loin d’être une «  affaire étrangère  » a été au centre de la vie politique de la IIIe et de la IVe République, de ses déchirements et de ses soubresauts  ; il a profondément marqué la vie intellectuelle, et la vision de l’islam. En un mot, il est inscrit dans le tissu même de l’Histoire nationale.

    Cette dimension est à la fois absente et présente du livre de Jean Birnbaum, Un silence religieux. La gauche face au djihadisme1, qui évoque la difficulté de la gauche à penser la religion. Absente, parce que les mots «  colonie  » et «  colons  » ne sont utilisés qu’une seule fois. Présente, puisque un chapitre capital pour illustrer son propos est consacré à «  la génération FLN  » (Front de libération nationale), ces Français qui se sont mobilisés pour l’indépendance de l’Algérie et qui sont arrivés aux affaires dans les années 1980. Pour résumer le propos de l’auteur, ils n’ont pas perçu la dimension religieuse de l’insurrection de 1954 :

    Ce que la gauche avait sous-estimé, une fois de plus, c’est la force autonome des représentations religieuses et de la foi. Elle n’avait pas pris conscience que partout dans le pays, chez les paysans mais aussi chez beaucoup d’instituteurs, la formation coranique constituait depuis longtemps «  un socle inexpugnable  ».

    D’où leurs désillusions.

    La revanche de Marx

    Passons sur l’idée sous-jacente que «  la génération FLN  » serait aux affaires et rappelons que ceux qui se sont opposés à la guerre en Algérie ont, presque jusqu’au bout, été une minorité. Ils n’ont été, pendant toutes les premières années de cette guerre sans nom, qu’une petite poignée, ceux que l’on a appelé les «  porteurs de valises  ». Il est vrai qu’ils sont souvent passés à côté de la dimension musulmane de l’insurrection du 1er novembre 1954. C’est pourtant celle-ci qui, selon Birnbaum, expliquerait son échec ou en tous les cas le fait qu’elle n’ait pas répondu à l’idéal projeté sur elle.

    Là où les indépendances des anciennes colonies étaient censées émanciper les opprimés des anciens préjugés, elle a souvent conduit, en réalité, au retour de forces qui en appellent à un héritage religieux millénaire.

    Vraiment  ? En Chine ou au Vietnam, en Afrique du Sud ou au Mexique, est-ce l’héritage religieux qui a triomphé, ou la prégnance des structures «  traditionnelles  », pas forcément liées à la religion  ? Quand on étudie les mouvements de libération nationaux qui se soulevaient à travers les cinq continents dans les années 1950-1970, leur programme était généralement truffé de mots d’ordre révolutionnaires, et écrit dans la langue — presque universelle à l’époque — du marxisme. Le fond de l’air était rouge. Ces mouvements se réclamaient du prolétariat international et du socialisme. Le Parti congolais du travail se référait au marxisme-léninisme le plus orthodoxe, tout comme le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) et le Parti socialiste yéménite prétendait construire «  le socialisme scientifique  » dans un des pays les plus pauvres de la planète. Partout on scandait des slogans internationalistes, on hissait le drapeau rouge, «  rouge du sang de l’ouvrier  », on brandissait les portraits de Karl Marx, Friedrich Engels, Vladimir Ilitch Lénine, voire de Joseph Staline et de Mao Zedong. À quoi donc est dû l’échec de ces expériences tiers-mondistes  ? À la religion  ?

    Ne faut-il pas lire dans ces déboires, plus simplement, la revanche de Marx qui affirmait le caractère premier, dans l’évolution des sociétés, de «  l’infrastructure  » — c’est-à-dire des rapports de production économique, des «  forces productives  » — par rapport aux superstructures (politiques, idéologiques). Pouvait-on bâtir une société «  avancée  » en sautant les étapes du développement, ou le socialisme ne pouvait-il être enfanté que lorsque le capitalisme serait arrivé au bout de sa mondialisation, de ses contradictions  ? On peut également y voir le résultat d’un héritage colonial partagé, le poids de la guerre froide, le modèle du parti unique vu comme un facteur essentiel du développement. Et peut-on aborder la place du facteur musulman aujourd’hui sans revenir sur l’intervention soviétique en Afghanistan et son exploitation par les États-Unis qui ont jeté les bases de ce qui deviendra par la suite Al-Qaida  ?

    Une controverse que Birnbaum n’évoque pas avait agité les «  porteurs de valises  ». Avec Francis Jeanson2, un certain nombre d’entre eux, désespérant de la révolution en Europe, voyait dans l’Algérie l’avenir — y compris celui de la France. Plus réaliste, sans doute parce qu’il avait grandi en Égypte et qu’il connaissait mieux les sociétés concernées, le militant communiste et anticolonialiste Henri Curiel expliquait qu’une révolution faite pour l’essentiel par les masses paysannes ne pourrait constituer un modèle pour le monde développé. Faut-il expliquer les échecs du «  modèle algérien  » par l’islam, ou par le caractère profondément traditionnel de la société, renforcé paradoxalement par sa déstructuration barbare et les cent trente ans de «  civilisation  » qui ont favorisé le renforcement de ce qui était perçu par les Algériens comme la tradition, une tradition qui leur permettait de résister à la volonté étrangère de les déraciner  ?

    D’autres facteurs ont contribué aux échecs du tiers-monde, de la persistance de la domination économique du Nord aux interventions occidentales multiples contre les pays nouvellement indépendants  ; contre le président égyptien Gamal Abdel Nasser  ; contre les mouvements de libération de l’Afrique australe — y compris le Congrès national africain (African National Congress, ANC) de Nelson Mandela, qualifiés de «  terroristes  » par Margaret Thatcher ou Ronald Reagan. Ces causes ne sont jamais même évoquées par l’auteur qui préfère se cantonner dans le ciel de la philosophie, des idées pures, loin de la réalité un peu sordide de la politique et de l’économie.

    Le «  modèle algérien  »

    L’avenir algérien n’était sûrement pas écrit dans «  le grand rouleau  » du déterminisme auquel croyait Jacques le Fataliste dans le dialogue philosophique de Denis Diderot, ni dans le Coran. Il n’était pas fixé au lendemain de la seconde guerre mondiale. Des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mai 1945 à la politique de la terre brûlée coloniale, les autorités françaises ont poussé à la militarisation de la révolte pour laquelle l’Algérie continue de payer un lourd tribut car elle a facilité la victoire, au sein du Front de libération nationale (FLN), des tendances les plus militaristes et les plus autoritaires au détriment des politiques. Et si l’on évoque l’islam, il faudrait rappeler que la version dominante de l’islam en Algérie en 1954 différait largement de celle qui s’est imposée dans les années 1980 ou 1990. À l’époque, nombre de villages algériens n’avaient pas de mosquée et le jeûne du mois de ramadan était bien moins respecté qu’aujourd’hui. Il n’existe pas «  un  » islam, mais des lectures de textes en principe immuables, cependant toujours interprétés par des êtres humains rarement d’accord entre eux sur le sens véritable de la parole divine. Et qui justifient des pratiques bien différentes d’un bout à l’autre de ce que l’on appelle le monde musulman.

    Quant à la question des femmes, elle se posait ailleurs dans les mêmes termes qu’en Algérie, sans que l’islam ait grand chose à y voir. Alors que le Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), organisation marxiste-léniniste mâtinée de maoïsme comptait un grand nombre de combattantes, la victoire a débouché sur une relégation des femmes3. On pourrait de plus évoquer les guérillas latino-américaines dont les directions étaient influencées par un mélange de machisme et de patriarcat, mêlés à un catholicisme hostile au droit à l’avortement. La mise à l’écart des femmes — voire leur traitement comme objets sexuels — n’est le monopole ni de l’islam, ni de la religion, ainsi que l’ont prouvé les viols de masse comme arme de guerre, par exemple en Bosnie ou au Congo. Un récent sondage Ipsos (décembre 2015) sur la «  culture du viol  » en France devrait «  nous  » amener à une certaine modestie.

    Il ne faut bien sûr pas sous-estimer le rôle de l’islam en Algérie. Comme le souligne la sociologue trop peu connue Monique Gadant, citée par Jean Birnbaum, l’islam était aussi un moyen d’affirmer une identité propre, de rompre avec cent trente ans de mépris et d’oppression.

    Pour les chefs de la rébellion, cette insistance sur le renouveau islamique est une manière de rompre avec la France, avec sa domination et son projet d’assimilation, qui implique la négation constante de la culture algérienne, à commencer par son héritage spirituel.

    L’islam de toutes les résistances

    Pouvait-il en être autrement  ? L’islam avait été au cœur de toutes les résistances au Maghreb et au Proche-Orient, ce qui explique également son enracinement, lequel choquait Guy de Maupassant en 1883, dans son récit intitulé «  La province d’Alger  » : «  Ceux-là des Arabes qu’on croyait civilisés, qui se montrent en temps ordinaire disposés à accepter nos mœurs, à partager nos idées, à seconder notre action, redeviennent tout à coup, dès le Ramadan, sauvagement fanatiques et stupidement fervents  »4.

    Les interprétations de l’islam, il faut le répéter, ont souvent été contradictoires, y compris sur le plan social. «  Il y a l’islam des pauvres et l’islam des riches  », disait le président algérien Houari Boumediene. Ou, comme l’expliquait l’ancien président burkinabé Thomas Sankara : «  La Bible et le Coran ne peuvent pas servir de la même manière celui qui exploite le peuple et celui qui est exploité5.  » Pourtant la volonté d’indépendance s’exprimait non seulement dans le domaine politique mais également dans celui de la culture, dans le refus de copier un modèle occidental se présentant à la fois comme universel et «  unique  », niant sa propre dimension oppressive à l’égard d’aspirations progressistes venant d’autres cultures. Il s’agissait non pas de «  désacraliser le pouvoir profane  », comme l’écrit Birnbaum, mais de désacraliser l’universalisme européen pour construire les conditions d’idéaux bâtis et inventés en commun. Et c’est l’angle mort de cet ouvrage de n’interroger jamais cet «  universalisme  » qui a couvert, à nombre reprises, les pires crimes, des entreprises coloniales à la volonté de démocratiser l’Irak.

    Une dernière remarque sur le chapitre algérien. Oui, les militants furent naïfs, comme ils le sont parfois, ils furent néanmoins du bon côté de l’Histoire. Et s’ils se sont trop enthousiasmés, ce n’était pas parce qu’ils manquaient de clairvoyance face à l’islam — ou alors il faudrait expliquer pourquoi ils le furent pour d’autres causes, comme Cuba ou le Vietnam.

    Revenons au propos central de Birnbaum : l’incapacité de la gauche à prendre la religion au sérieux. Je partage ce point de vue, en revanche pas la manière dont le débat est présenté. Tout d’abord, et contrairement à ce qu’il semble croire, la pensée de Marx ne s’est pas fixée avec les Thèses sur Feuerbach (1844). Toute son oeuvre montre l’intérêt qu’il accordait à l’idéologie et à sa relative autonomie par rapport aux structures économiques. Il suffit de lire Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte pour se convaincre de cette complexité de la pensée marxiste, qui ne se réduisait pas à un déterminisme économique.

    Essentialisation des sociétés musulmanes

    D’autre part, à aucun moment ne sont définis ni la gauche ni l’islam, encore moins l’islamisme. Est-il vraiment possible de mettre dans le même sac des mouvements comme le Hezbollah ou le Hamas, qui s’inscrivent dans une logique nationale, et l’organisation de l’État islamique (OEI)  ? Oui, Al-Azhar, l’institution religieuse qui appuie le pouvoir du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi (allié de la France, rappelons-le) est une organisation très conservatrice. Pour l’auteur, ses prises de positions sont «  un énième indice de la difficulté qu’il y a à tracer une frontière nette entre islam et islamisme  ». Seulement Al-Azhar représente-t-il l’islam  ? Il faudrait faire le lien entre les régimes dictatoriaux dans le monde arabe et la lecture de l’islam plus que conservatrice qui s’est imposée à partir des années 1970. Durant les années de révolte en Égypte après 2011 et avant le coup d’État du 3 juillet 2013, de vifs débats ont eu lieu sur la religion, sa place, et même sur l’athéisme. Ils ont conduit à de véritables affrontements au sein d’Al-Azhar parmi les religieux, confirmant que la démocratie est le seul cadre qui permette de combattre les idées réactionnaires. Toutefois, cette institution a été reprise en main par le pouvoir qui l’utilise à son seul profit, et sûrement pas pour imposer une vision ouverte de l’islam.

    Enfin — et l’on touche là à une autre limite du propos de l’auteur — l’islam ne détermine qu’une petite partie de la vie des musulmans à travers le monde : ni les entreprises, ni les écoles (même s’il y a des cours de religion), ni l’armée, ni la culture ne fonctionnent selon des «  lois islamiques  ». Et s’il est souvent affirmé dans les Constitutions que la charia est une des sources, voire la source principale de la législation, cela a peu de conséquences pratiques en dehors du domaine, très important, des statuts personnels. Il faudrait d’ailleurs rappeler que la charia n’est pas un code juridique défini, étant lui aussi soumis à des interprétations multiples et le principe du «  doute  » dans la justice y joue un rôle majeur6.

    En un mot, il ne faut pas «  surislamiser  » les sociétés musulmanes, les réduire à la religion. Et la comparaison entre la situation des femmes en Inde et au Pakistan devrait amener à dépasser le clivage musulmans/non musulmans, pour réfléchir sur le patriarcat.

    Le débat dans la gauche et chez les marxistes concernant la religion ne date pas d’hier. S’il resurgit, c’est à cause de l’islam, le christianisme s’étant acclimaté — sous des formes très différentes d’un pays à l’autre — à nos contrées européennes laïcisées. Birnbaum s’interroge sur l’autonomie de la religion par rapport aux racines sociales, qu’il voit comme une preuve de l’incapacité de la gauche à penser le problème.

    Ce qui devrait nous étonner, ou nous préoccuper, ce n’est pas que l’islamisme armé ait des racines sociales, c’est bien plutôt qu’il manifeste une remarquable autonomie par rapport à elles.

    L’auteur cite, à l’appui de son propos, l’immense diversité des protagonistes de l’islamisme, notamment des ingénieurs ou des gens issus de couches favorisées, pas forcément des gens opprimés ou frustrés. Néanmoins cette diversité, quel mouvement contestataire d’ampleur mondiale ne l’a pas connue  ? Faut-il rappeler le rôle de nombre d’intellectuels, voire de «  bourgeois  » et d’aristocrates, dans les grands mouvements anarchistes, socialistes ou communistes, de Jean Jaurès à Lénine, de Pierre Kroptokine à Fidel Castro  ? Et la dimension communautaire de l’islam qui fascine Birnbaum est-elle vraiment réservée aux islamistes  ? On la retrouvait par exemple chez les commis voyageurs de l’Internationale communiste dans les années 1920, eux aussi étaient «  frères en…  » pour reprendre la formule de Régis Debray.

    En quoi «  l’autonomie de la religion  » par rapport aux enjeux sociaux est-elle plus importante que celle d’autres idéologies  ? Birnbaum ne répond pas à la question, et il sous-estime totalement les réflexions de Marx qui avait bien mis en lumière l’autonomie des idéologies par rapport aux infrastructures. Dans ses cahiers pour préparer Le Capital et dans ce dernier ouvrage (le livre I), il affirme de plus en plus que son travail concerne l’Europe et que l’Inde, la Chine ou même la Russie doivent être étudiées de manière spécifique car leur histoire ne rentre pas dans le cadre des «  stades successifs  » de développement : sociétés primitives, esclavagisme, féodalisme, capitalisme. Il introduit le mode de production asiatique et revient de manière positive sur les formes de propriété communale qui se sont maintenues dans ce pays (et également en Russie).7

    «  L’opium du peuple  »

    L’époque a changé et le débat se pose en termes nouveaux. Le surgissement de mouvements religieux dans l’aire musulmane soulève des défis inédits. Les réponses à y apporter ne sont pas simples et il est vrai que la gauche, «  modérés  » et «  radicaux  » confondus, a du mal à s’y retrouver. Mais peut-on vraiment écrire que la gauche observe un «  silence religieux  » sur l’islam  ? N’est-ce pas, au contraire, l’hostilité à cette religion qui a accompagné depuis quelques décennies la crise des idéaux socialistes et des mouvements nationalistes  ? Depuis quarante ans, combien de couvertures de magazines, de journaux ont prétendu qu’on ne pouvait rien dire sur l’islam, que le sujet était tabou8  ? Combien d’articles sont consacrés à dénoncer «  ce silence religieux  »  ?

    Certes, après les attaques de janvier ou de novembre 2015, la plupart des politiques ont fait mine de s’en tenir à un discours «  modéré  », si l’on excepte, et ce n’est pas rien, Manuel Valls et sa guerre contre «  l’islamo-fascisme  » — cela tenait toutefois à des considérations tactiques. La droite n’adopta pas une position très différente. Cependant le sous-texte, le discours des médias dominants repris en boucle, celui de nombre d’intellectuels, notamment de gauche, désignait «  l’islamisme  » — un concept fourre-tout qui va des Frères musulmans à Al-Qaida — et plus ou moins explicitement l’islam, dont on n’arrête pas de répéter qu’il doit «  se réformer  », comme l’ennemi de «  notre mode de vie  ». Les responsables des attentats n’étaient-ils pas ceux qui voulaient nous empêcher de critiquer les religions ou de boire de l’alcool à la terrasse des cafés  ? Et pour corriger son premier ministre qui avait parlé de «  guerre des civilisations  », le président français a préféré dire que nous étions dans un combat pour la civilisation  ; la différence entre les deux formulations étant que Valls considère nos ennemis comme faisant partie d’une autre civilisation et François Hollande comme purement et simplement des barbares.

    Le manque de vision de la gauche à l’égard de la religion aurait créé une indulgence coupable à l’égard de l’islam, prétend Birnbaum. Abordant le débat soulevé par la fameuse candidate voilée présentée par le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) aux élections régionales de 2010, il écrit que ceux qui ne faisaient pas la différence entre le foulard et le string étaient «  représentatifs d’une large partie de la gauche  »  ! Quand on sait que la gauche intellectuelle et syndicale enseignante a été à l’avant-garde de l’exclusion des filles voilées de l’école — et plus largement de leur marginalisation dans la société — on reste étonné par une telle approximation de l’auteur qui affirme par ailleurs que

    lorsque l’islamisme s’est imposé dans le paysage politique international nombreux ont été les militants tentés par une alliance, fût-elle ponctuelle, avec le diable. Le pieux espoir de pouvoir les éliminer par les cornes…

    Or, seuls de tout petits groupes ont réellement adhéré à cette thèse (l’auteur cite longuement Chris Harman, l’un des théoriciens du Socialist Workers Party britannique dont l’influence en France est proche de zéro). On pourrait dire que la gauche parle de plus en plus de religion depuis qu’elle a découvert ce nouvel adversaire, l’islam, plus facile à combattre que le chômage ou les inégalités, sans parler de la lutte contre la domination de la finance qu’elle dénonçait naguère.

    Birnbaum ajoute :

    On sait ce qu’il en est advenu (de cette alliance). Partout où l’islamisme a triomphé, il n’est plus rien resté de la gauche, de toutes les gauches, réformistes ou révolutionnaires.

    Mais où, en dehors de l’Iran, l’islamisme a-t-il triomphé  ? On pourrait citer le Soudan ou le Pakistan des années 1978 à 1988 de Muhammad Zia Ul-Haq, toutefois la gauche s’est opposée à ces dictatures soutenues par l’Occident. L’auteur en conclut qu’il vaut mieux militer dans les démocraties bourgeoises que sous une dictature islamiste. Pourtant dans le monde arabe, ceux qui ont écrasé la gauche ne sont pas les islamistes mais bien les pouvoirs autoritaires soi-disant «  laïcs  ».

    Faut-il pour autant éviter d’examiner le corpus musulman et son contenu  ? Non, à condition une fois de plus de ne pas essentialiser les musulmans en les résumant à leur seule religion, de ne pas réduire la vie politique, sociale, culturelle, son extraordinaire diversité à un concept comme «  islam  ». Il est plus fécond, quand on évoque les mouvements islamistes, de sortir de la grille d’analyse purement religieuse pour tenter des comparaisons qui font sens. Dans un article publié en janvier 20009, le professeur américain Dan Tschirgi dressait un parallèle entre l’insurrection des Gamaa islamiyya (groupes islamiques) en Égypte et le mouvement zapatiste : entre les modèles étatiques mexicain et égyptien  ; entre les régions abandonnées de la Haute-Égypte et du Chiapas  ; entre la place du religieux et du sacré. «  Parallèle  » ne veut pas dire, loin de là, équivalence…

    Pour un nouvel internationalisme

    Revenons, en conclusion, sur le début de l’ouvrage et sa critique du diktat qui s’exercerait en France : «  Tout cela (actions violentes, organisation de l’État islamique, etc.) n’a rien à voir avec l’islam.  » Outre le fait, comme nous l’avons dit plus haut, que la responsabilité de l’islam est sans cesse soulignée par une majorité d’intellectuels et de médias, Jean Birnbaum énonce une évidence : tous ces mouvements ou actions se font au nom de l’islam. Quelles conclusions en tire-t-on  ? Que dirait-on si cette formule était appliquée au marxisme  ? Est-ce que les Brigades rouges italiennes, l’Armée rouge japonaise, la bande à Baader, Pol Pot et les Khmers rouges, le Sentier lumineux au Pérou avaient à voir avec le marxisme  ? Ils se référaient tous à Marx, est-ce que cela nous apprend quelque chose de vraiment essentiel sur ces mouvements  ? Ou cela confirme-t-il simplement que le langage dominant de l’époque était le marxisme et que tout le monde s’y référait  ? Aujourd’hui, souvent, et pas seulement dans l’aire musulmane, la radicalisation se fait au nom de l’islam. Assiste-t-on à une «  radicalisation de l’islam  » ou, comme l’écrit le sociologue Alain Bertho10, à une «  islamisation de la radicalité  », formule reprise par Olivier Roy et fortement vilipendée par Gilles Kepel  ?

    Birnbaum croit voir dans la «  conversion  » de certains leaders de la gauche de Mai 1968 que «  les impasses de la révolution débouchent directement sur la quête d’une rédemption. Pourquoi la politique retourne-t-elle toujours au spirituel, faute de pouvoir l’évacuer, après l’avoir singé  ?  » Mais qui sont les ouailles de Benny Lévy converti au judaïsme orthodoxe en France  ? Et Alain Badiou, s’il écrit sur Saint-Paul11, a-t-il pour autant trouvé son chemin de Damas  ? Peut-être aurait-il été intéressant d’explorer le reniement par nombre de femmes et d’hommes de gauche de leurs convictions, par leur adhésion à la formule de François Furet, que Birnbaum reprend à son compte : «  Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons.  » N’est-ce pas le renoncement à toute utopie, principalement celle de l’égalité et de la défense des opprimés, qui explique ce retour du religieux  ?

    «  L’islam apparaît désormais, conclut Birnbaum, comme la seule puissance spirituelle dont l’universalisme surclasse l’internationalisme de la gauche sociale et défie l’hégémonie du capitalisme mondial.   » Faux, cet islam-là, dans ses tendances dominantes, ne défie pas l’hégémonie du capitalisme mondial, il accepte au contraire ses règles. Il est devenu souvent un «  islam de marché  ». C’est là que réside la chance de la gauche de se refonder en restant fidèle aux valeurs qui ont fait un temps sa force, tout en comprenant que le monde a changé, que le socialisme rêvé au temps de la grande industrie n’est plus une solution, et enfin que l’universel occidental est moribond et qu’il faut inventer de nouvelles formes d’internationalisme. Un internationalisme qui incorpore la richesses des résistances à travers la planète, quelles que soient leurs étiquettes, contre toutes les dominations, contre toutes les dictatures, qu’elles soient théocratiques, athées... ou laïques.

    Alain Gresh 30 mars 2016
     

     

  • L’Égypte met la satire (et les satiristes) en prison (Orient 21)

     

    Des jeunes, formés au théâtre de rue par l’association Al-Nahda se filment avec un téléphone portable dans un quartier du Caire.

    Ils critiquent la mauvaise situation économique du pays, les violences policières, la vente par Abdel Fattah Al-Sissi de deux îlots à l’Arabie saoudite... dans de courts sketches parodiques destinés à être diffusés sur les réseaux sociaux.

    Quatre d’entre eux se trouvent en prison depuis début mai et attendent leur procès. Dans cette vidéo en français et en arabe, Éléonore Fallot, du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)-Terre solidaire, partenaire d’Al-Nahda, raconte.

     
    Égypte : la satire en prison في مصر : السخرية في السجن - YouTube
    Interview d’Eléonore Fallot, chargée de mission Moyen-Orient, CCFD-Terre Solidaire
    Réalisation : Chris Den Hond
    Traduction : Tarek Abouelgamal
    Durée : 6 minutes.
    Vidéo bilingue arabe-français.
     
     
  • Nouveautés sur Association France Palestine Solidarité

     

     

  • Égypte-Turquie-Israël : Petits jeux diplomatiques pour puissances régionales (Npa)

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    Le jeu des alliances au Proche et au Moyen-Orient évolue, une fois de plus, de manière à première vue surprenante.

    Dimanche 10 juillet, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, s’est rendu en Israël pour une première visite depuis neuf ans. À l’époque, en juillet 2007, son prédécesseur de l’époque (Ahmed Aboul Gheit) s’était rendu à Jérusalem avec son homologue jordanien, Abdelelah Al-Khatib. Mais cette fois-ci, le ministre Choukri s’est laissé prendre en photo dans deux réunions, dont l’une avait lieu dans la résidence personnelle du Premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou. Une première et donc un symbole d’autant plus fort.

    Deux semaines plus tôt, le dimanche 26 juin le gouvernement de l’État sioniste avait pu conclure un accord avec le gouvernement turc, mettant officiellement fin à un contentieux vieux de six ans. Le 31 mai 2010, des troupes israéliennes avaient donné l’assaut en Méditerranée, contre le navire turc « Mavi Marmara », tuant dix ressortissants turcs. Le bateau faisait partie de la flottille pour Gaza. Cela jeta un froid dans les relations officielles entre les deux États. Jusqu’ici, Israël et la Turquie, deux puissances militaires travaillant avec les structures de l’Otan (dont la Turquie est membre depuis 1952) en Méditerranée, avaient été stratégiquement proches.

    Excuses croisées...

    Depuis la fin juin, la crise diplomatique semble donc soudainement réglée. Le pouvoir turc renonce désormais aux poursuites judiciaires, qu’il avait lancées contre Israël. Initialement, la Turquie d’Erdogan avait posé trois conditions pour une reprise des relations : des excuses publiques israéliennes, une indemnisation financière des familles des victimes turques de 2010, et un abandon du blocus imposé à Gaza. Les deux premières conditions ont été partiellement satisfaites, surtout en termes financiers, puisque Israël va verser 20 millions de dollars (18 millions d’euros) pour clore le dossier. En revanche, il n’y aura pas de libre accès au port de Gaza, même si la Turquie pourra livrer des biens pour Gaza au port israélien d’Ashdod, d’où les Israéliens les achemineront... ou pas !

    Turcs et Égyptiens auraient-ils donc abandonné leurs critiques à l’égard d’Israël, l’occupation de la Palestine serait-elle donc terminée ou acceptée ?

    En réalité, les comportements des deux gouvernements – à Ankara et au Caire – ne sont pas si liés que cela. Concernant le pouvoir turc, dans le même mouvement, il s’est aussi rapproché d’un autre pays avec lequel les rapports étaient entrés en crise : la Russie. Et cette fois-ci, c’est le président Erdogan qui le 27 juin s’est excusé – chose qui ne lui ressemble guère – auprès de son homologue Vladimir Poutine, demandant aussi de « restaurer les relations traditionnellement amicales » entre les deux pays. L’objet de ses excuses concernait l’avion russe abattu par l’armée de l’air turque en novembre 2015, aux confins de la Syrie.

    Qui aura l’hégémonie ?

    La réalité, c’est surtout qu’Erdogan, dans sa recherche d’un rôle de grande puissance régionale, était allé trop loin dans l’isolement. Historiquement, le leader de l’AKP (islamiste), arrivé au pouvoir en 2003, avait suivi une politique du « zéro ennemi » dans la région : ami avec le régime syrien de Bachar el-Assad (les deux hommes sont même partis en vacances ensemble...), négociant un temps avec les Kurdes du PKK, etc. Mais à partir de 2011, Erdogan a rompu avec cette politique : il croyait que le « printemps arabe » allait lui donner un rôle de leader régional (l’AKP devenant le « modèle » de parti « islamiste libéral » au pouvoir que les Frères musulmans devaient imiter), que le régime syrien d’Assad allait rapidement chuter, et que le régime turc apparaîtra comme le protecteur des sunnites dans la région. Puisque ce scénario ne s’est pas réalisé, Erdogan est aujourd’hui obligé de composer avec d’autres puissances.

    Concernant l’Égypte, c’est une autre affaire.

    Depuis l’arrivée au pouvoir du militaire al-Sissi suite au renversement du gouvernement islamiste en 2013, la diplomatie du pays s’aligne surtout sur son allié et créancier saoudien et sur d’autres puissances conser- vatrices du Golfe. Or, ce bloc sunnite-réactionnaire, s’il n’admet pas entretenir des relations avec Israël pour des motifs religieux, entretient bien des relations avec l’État sioniste en sous-main (avec les USA dans le rôle d’arbitre...). Avec la réapparition de l’Iran en tant que puissance régionale, mais surtout depuis l’accord des grandes puissances avec Téhéran en juillet 2015, il n’a plus qu’une seule préoccupation : endiguer l’influence iranienne. Or, au côté d’Israël, on se retrouve contre cet ennemi commun.

    Bertold du Ryon

     
  • Vers une nouvelle intervention en Libye ? (Le Monde Diplomatique)

     
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    Fadi Al-Hamwi. – « 4:00 am at Studio » (4 heures du matin à l’atelier), 2012 www.fadialhamwi.com
     
    Un dialogue national instrumentalisé par les Occidentaux
     
    Mercredi 20 juillet 2016. Le ministère de la défense a annoncé le 20 juillet la mort de trois militaires français en Libye, pays où la France mène « des opérations périlleuses de renseignement ». En février dernier, le journal Le Monde révélait qu’elle procédait également à des bombardements. Jean-Yves Le Drian avait aussitôt lancé une enquête pour « compromission du secret de la défense nationale », confirmant les informations du quotidien ainsi que l’analyse de Patrick Haimzadeh dans nos colonnes.

    Après la conclusion d’un accord entre Parlements rivaux, la mise en place d’un gouvernement d’union nationale ouvre la voie à une action militaire occidentale en Libye. Dirigée contre les forces de l’Organisation de l’Etat islamique, une nouvelle ingérence de forces étrangères risquerait d’aggraver les violences entre factions et de faire échouer le fragile dialogue interlibyen. 

    La signature le 17 décembre à Skhirat, au Maroc, d’un accord d’entente nationale entre les représentants des deux Parlements libyens sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) a ouvert la voie à la désignation, le 19 janvier, d’un gouvernement d’union nationale de 32 ministres dirigé par l’homme d’affaires tripolitain Fayez Sarraj. Cela démontre la pertinence du dialogue engagé en septembre 2014. Malgré les tensions entre entités politiques et groupes rivaux, une grande majorité des adversaires qui refusaient de se rencontrer il y a encore un an ont accepté de faire des concessions. Même les plus radicaux des deux camps ne rejettent pas l’idée d’une conciliation. Bien que perfectible à maints égards, la politique des « petits pas » déployée par l’ONU (1), alliée à la multiplication des initiatives d’acteurs locaux dans l’ouest du pays pour mettre en œuvre des mesures de confiance, a permis d’y contenir, voire d’y réduire sensiblement, le niveau de violence.

    En dépit des apparences, et même si les médias occidentaux emploient souvent le mot « chaos », les adversaires se parlent en Libye. Dans ce pays où un semblant de normalité quotidienne peut très vite céder la place aux combats, nombre d’habitants soutiennent les discussions et font pression sur leurs responsables locaux pour qu’ils œuvrent au retour de la paix civile.

    Pour autant, l’accord du 17 décembre, pierre angulaire du processus de réconciliation, souffre de deux défauts majeurs : l’insuffisante représentativité de ses signataires et le fait qu’il semble n’avoir été conclu — dans l’urgence et sous la forte pression de puissances européennes — que pour permettre une intervention occidentale contre les milices et groupes armés ayant fait allégeance à l’Organisation de l’Etat islamique (OEI).

    Depuis deux ans, il ne se passe pas une semaine sans que des responsables politiques et militaires américains, français, britanniques et, dans une moindre mesure, italiens n’annoncent l’inéluctabilité d’une telle intervention. Dès le 27 janvier 2014, l’amiral français Edouard Guillaud, alors chef d’état-major des armées, déclarait : « En Libye, l’idéal serait de monter une opération internationale. Le problème du sud de la Libye, c’est qu’il faudrait qu’il y ait un Etat dans le Nord. » Il s’agissait alors d’intervenir dans le Sud pour y combattre les groupes ayant quitté le nord du Mali après l’intervention française dans ce pays.

    Au printemps 2015, après les naufrages successifs de plusieurs embarcations de migrants en provenance de Libye, l’Union européenne lançait son opération navale « Sophia ». « Il n’y aura d’effet final que lorsque nous pourrons travailler au plus près des réseaux eux-mêmes, aller appréhender les gros poissons, et pas les petits qui vont en mer », estimait le 27 octobre 2015, à Rome, le contre-amiral français Hervé Bléjean, commandant en second de cette opération. « C’est-à-dire qu’à un moment, il va falloir travailler dans l’espace de souveraineté libyen. » Ces mesures qui correspondent à la troisième phase de l’opération « Sophia » ne sont possibles qu’avec l’aval des autorités légitimes libyennes ; accord que le Parlement de Tobrouk, reconnu par les pays occidentaux, s’est toujours refusé à donner, à la différence de celui de Tripoli.

    « Terminer le travail »

    Par la suite, les attentats du 13 novembre à Paris ont relancé l’idée d’une nouvelle intervention internationale en Libye. Bien que les tueurs, tous français et belges, n’aient pas séjourné dans ce pays, la nouvelle « guerre contre le terrorisme » officialisée par le président François Hollande inclut désormais le territoire libyen, où des milices ont fait allégeance à l’OEI dans les villes de Derna (Est) et de Syrte (Centre-Ouest). Les 21 et 23 novembre 2015, des Rafale ont décollé du porte-avions Charles-de-Gaulle et effectué des vols de reconnaissance sur la ville de Syrte. Des groupes armés, dont les effectifs sont évalués à plusieurs centaines d’hommes, tiennent la ville et mènent régulièrement des attaques, notamment contre les installations pétrolières.

    Quelques jours plus tard, le premier ministre Manuel Valls affirmait : « La Libye est incontestablement le grand dossier des mois qui viennent » (Europe 1, 1er décembre 2015) ; puis : « Il faudra combattre Daech [acronyme de l’OEI en arabe], sans doute demain en Libye » (France Inter, 11 décembre). Dans un article intitulé « Daech : la France va-t-elle intervenir à nouveau en Libye ? », Le Figaro du 22 décembre, citant des sources au ministère de la défense, se montrait plus précis : « Pour éradiquer le “cancer Daech et ses métastases libyennes”, une action militaire est jugée indispensable à l’horizon de six mois, voire avant le printemps. »

    Les experts en stratégie, spécialistes multicartes et partisans systématiques des interventions militaires, qui prédisaient en 2011 la chute du régime de Mouammar Kadhafi en quelques jours puis l’avènement de la démocratie, se relaient désormais dans les médias pour expliquer la nécessité d’une nouvelle expédition. Cinq ans après celle de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, il s’agirait de « terminer le travail » — une rhétorique qui n’est pas sans rappeler le discours des néoconservateurs américains pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003. Certains vont jusqu’à affirmer la nécessité de mettre le pays sous tutelle pour y instaurer une gouvernance digne de ce nom (2).

    Afin de respecter les formes de la légalité internationale, cette intervention doit néanmoins être demandée officiellement par des institutions reconnues. La formation du gouvernement d’union nationale, légitime aux yeux du Conseil de sécurité, constituait donc un préalable à tout appel à l’aide. Le nouveau représentant du secrétaire général de l’ONU, le diplomate allemand Martin Kobler, s’était attelé à cet objectif dès sa nomination à la mi-novembre. Le 6 décembre, alors qu’aucun consensus ne se dégageait au sein des deux Parlements libyens, il déclarait à la chaîne qatarie Al-Jazira : « L’heure a sonné pour une approbation rapide de l’accord politique libyen. Le train a quitté la gare. » Manière de signifier que la proposition était à prendre ou à laisser. Le message s’adressait aux deux Parlements, qui, quoique rivaux, formulaient la même exigence : entériner la composition de tout gouvernement d’entente nationale.

    La volonté onusienne et européenne d’aboutir coûte que coûte, et ce malgré les oppositions, s’est confirmée le 13 décembre 2015, lors de la conférence internationale pour la Libye coprésidée par le ministre des affaires étrangères italien et le secrétaire d’Etat américain. Le communiqué final de cette rencontre conférait, avant même sa nomination, le statut de « seul gouvernement légitime » au futur gouvernement d’union nationale.

    Les chercheurs spécialistes de la Libye exprimaient des réserves unanimes, et des cercles de réflexion influents, dont l’International Crisis Group (présidé par l’ancien secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des opérations de maintien de la paix, M. Jean-Marie Guéhenno), mettaient en garde contre la précipitation à obtenir un accord qui ne serait pas validé par le plus grand nombre possible de parties libyennes (3). Qu’importe : M. Kobler s’est démené pour y parvenir à tout prix. Le 15 décembre, il s’est notamment entretenu avec le général Khalifa Haftar, commandant en chef de l’Armée nationale libyenne, basée en Cyrénaïque et opposée au gouvernement de Tripoli. Il lui a donné des garanties sur son avenir comme chef d’état-major des armées.

    A la demande des parrains de la conférence de Rome, l’accord interlibyen du 17 décembre prévoyait dans son article 39.2 que le futur gouvernement aurait le droit, dans le domaine sécuritaire, de « requérir l’assistance nécessaire des Nations unies, de la communauté internationale et des organisations régionales compétentes ». Le 23 décembre, la résolution 2259 du Conseil de sécurité, adoptée sur proposition britannique, l’a entériné en rappelant que la situation en Libye « constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales ». Son article 12 « exhorte les Etats membres à aider au plus vite le gouvernement d’entente nationale, à sa demande, à lutter contre les menaces qui pèsent sur la sécurité en Libye et à prêter un concours actif au nouveau gouvernement en vue de vaincre l’Organisation de l’Etat islamique, les groupes qui lui ont prêté allégeance, Ansar Al-Charia et tous les individus, groupes, entreprises associés à Al-Qaida opérant en Libye ».

    Sur le papier, les exigences des puissances occidentales réunies à Rome sont donc satisfaites, et les bases légales d’une nouvelle intervention sont en place. Mais, dans la pratique, cet accord et la désignation du nouveau gouvernement risquent d’engendrer de nouvelles lignes de fracture et d’accroître la violence. De nombreux députés de l’Est n’approuvent pas le document de Skhirat ; le Parlement de Tobrouk n’était d’ailleurs représenté que par 75 élus sur 188 lors de la cérémonie de signature au Maroc. Toujours en Cyrénaïque, le général Haftar a certes déclaré qu’il reconnaîtrait le gouvernement d’entente nationale, mais il est peu probable qu’il renonce à combattre ses adversaires politiques de Tripoli. Quant à M. Ibrahim Jadhran, autre homme fort de l’Est et chef de la garde des installations pétrolières — ses puissantes milices font face à celles de l’OEI dans le golfe de Syrte —, il soutient l’accord, mais il accuse le général Haftar et son embryon d’armée nationale de faire le jeu de l’OEI en ne luttant pas prioritairement contre elle.

    Cependant, c’est à l’Ouest que la situation demeure la plus problématique. Seuls 26 députés sur 136 de l’ex-Congrès national général de Tripoli assistaient à la signature de l’accord de Skhirat. Le nombre total de parlementaires soutenant le gouvernement d’entente nationale est quant à lui inférieur à 75. Certains de ses opposants, tel M. Abdelkader Al-Huweïli, y voient déjà un « complot étranger contre la Libye ». Si certaines milices de Zintan, Misrata et Zaouia acceptent d’« assurer la protection » du nouveau gouvernement, les quatre plus puissantes milices de la capitale ont d’ores et déjà déclaré qu’elles s’opposeraient à cette nouvelle instance. Les milices de Misrata affiliées au Front de la fermeté (Jabhat Al-Sumud) de M. Salah Badi ont également fait part de leur hostilité. Le grand mufti de Libye, M. Sadek Al-Ghariani, affirme quant à lui que cet accord imposé par l’étranger « n’est pas conforme aux principes islamiques ». La position de certains personnages influents de Misrata, dont M. Abdelrahman Suweihli, qui s’opposent au texte dans sa forme actuelle, dépendra quant à elle de la volonté et de la capacité de M. Kobler à répondre à leurs demandes. Ils souhaitent que l’on donne un poids accru à l’ancien Congrès général national, élu en 2012, pour contrebalancer celui du Parlement de Tobrouk, qui, selon les termes de l’accord, doit être maintenu comme principal corps législatif. De plus, une majorité de députés de l’Ouest refusent la nomination du général Haftar en tant que chef des armées.

    Hostilité de la population

    Obtenir un accord à marche forcée, fût-il insatisfaisant pour nombre d’acteurs libyens influents, tel a été le pari onusien ; mais il risque d’aboutir à une nouvelle impasse. Pour l’éviter, les Nations unies auraient dû faire preuve de souplesse en poursuivant les négociations avec les parties qui ne se reconnaissent pas dans cet arrangement, ainsi qu’en ouvrant un dialogue sécuritaire avec les acteurs politico-militaires locaux et les chefs de milice. A défaut, la situation ressemblera à celle qui prévalait en août 2014, quand la « communauté internationale » reconnaissait comme seul représentant du peuple libyen le Parlement de Tobrouk, qui ne contrôlait, au mieux, qu’un tiers du pays.

    S’il a vite été désigné, rien ne dit que le gouvernement d’union nationale pourra s’installer facilement à Tripoli ni, surtout, s’y maintenir sans heurts. Et même si c’était le cas, il devrait sans doute se garder d’appeler à une intervention étrangère. Si elles unissent leurs efforts, les milices de Misrata et de l’est du pays ont en effet la capacité de vaincre celles affiliées à l’OEI dans la ville de Syrte. De plus, toute ingérence étrangère, outre qu’elle décrédibiliserait le gouvernement et compromettrait durablement la reconstruction d’une nation et d’un Etat libyens, ne ferait que nourrir la propagande de l’OEI : l’Occident bombarderait une nouvelle fois des populations arabes. Cette propagande trouverait un écho au sein d’une population majoritairement hostile à une telle hypothèse, alimentant ainsi le recrutement de l’OEI. Il est toutefois peu probable que les responsables politiques et militaires occidentaux s’en préoccupent. Pour beaucoup d’entre eux, la prochaine guerre en Libye n’est désormais qu’une question de semaines (4).

    Patrick Haimzadeh

    Ancien diplomate français à Tripoli (2001-2004), auteur de l’ouvrage Au cœur de la Libye de Kadhafi, Jean-Claude Lattès, Paris, 2011.
     
    http://www.monde-diplomatique.fr/
  • Syrie. Le prix d’une «stratégie erronée» dans le combat contre Daech (Al'Encontre.ch)

    airstrike

    C’est la plus grosse bavure jamais commise par la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique (EI) depuis son entrée en action dans le ciel de la Syrie, en septembre 2014.

    Plusieurs dizaines de villageois des environs de Manbij, une ville de 50’000 habitants tenue par l’organisation djihadiste, à 100 km au nord-est d’Alep, ont péri dans des bombardements aériens dans la nuit du 18 au 19 juillet. La coalition conduite par les Etats-Unis, qui comprend dix autres membres dont la France et le Royaume-Uni, mène depuis la fin mai une vaste offensive en partenariat avec les Forces démocratiques syriennes (FDS), à majorité kurde, pour déloger l’EI de ce carrefour stratégique.

    Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), qui s’appuie sur un réseau d’informateurs et de médecins sur le terrain, les bombardements ont fait 56 morts civils, dont 11 enfants, dans le village de Toukhar, une dizaine de kilomètres au nord de Manbij. Des photos de corps démembrés, couverts de poussière, en train d’être déposés dans une fosse commune, ont circulé sur les réseaux sociaux. L’organisme de communication des djihadistes de l’EI, Aamaq, évoque pour sa part 160 morts. Selon Hassan Al-Nifi, membre du conseil révolutionnaire de cette localité, qui vit en exil dans la ville turque de Gaziantep mais dispose de contacts sur place, le bilan pourrait être encore plus élevé.

    «Quand les membres de la défense civile sont intervenus mardi matin, ils ont récupéré 85 cadavres dans les décombres, principalement des femmes et des enfants, explique le responsable municipal, joint par téléphone. Mais lorsqu’ils ont pu faire venir leur matériel de déblaiement, beaucoup d’autres corps sont apparus. Nous sommes à plus de 200 morts et le décompte n’est pas terminé.» Lundi matin déjà, au moins 21 civils avaient trouvé la mort dans d’autres raids aériens sur des faubourgs de Manbij.

    La coalition a reconnu avoir procédé à 18 frappes dans cette zone le 18 juillet, visant toutes, selon elle, des positions et des véhicules de l’EI. «Nous allons examiner toutes les informations dont nous disposons sur l’incident», ont indiqué les militaires, qui ne se prononcent pas pour l’instant sur d’éventuelles erreurs de tir.

    «Nous prenons toutes les dispositions pendant nos missions pour éviter ou minimiser les pertes civiles (…) et nous conformer aux principes du droit de la guerre», poursuit le communiqué, envoyé en réponse à un e-mail de l’AFP.

    Le carnage de Toukhar a déclenché un tollé au sein de l’opposition syrienne. L’indignation est avivée par la méfiance traditionnelle de ses membres vis-à-vis des combattants du Parti de l’union démocratique (PYD), la composante kurde des FDS, qu’ils accusent de menées séparatistes. Dans un courrier envoyé à Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, Riyad Hijab, le président du Haut conseil pour les négociations (HCN), le bras diplomatique des anti-Assad, fustige le «silence international » qui entoure ces «centaines de morts».

    Le Conseil national syrien (CNS), l’une des principales composantes de l’opposition, représentée au sein du HCN, dénonce pour sa part un «massacre d’innocents», tout en déplorant que les précédentes attaques contre des civils n’aient pas fait l’objet d’enquêtes approfondies.

    «Il doit y avoir une enquête rapide, indépendante et transparente pour déterminer ce qui s’est passé, qui est responsable et comment éviter des pertes civiles supplémentaires», renchérit Magdalena Mughrabi, du département Moyen-Orient d’Amnesty International. L’ONG de défense des droits de l’homme soutient que le Pentagone a écarté des «dizaines» d’accusations de morts civils, pourtant «crédibles» selon elle, et affirme que le nombre de personnes mortes sous les bombes de la coalition, en Syrie et en Irak, se chiffre désormais en «centaines ».

    Le collectif Airwars, spécialisé dans le recensement des victimes collatérales de l’offensive anti-EI menée par Washington depuis vingt-deux mois, dispose d’une évaluation encore plus précise. Après avoir croisé et vérifié de multiples sources, des communiqués militaires aux décomptes des ONG, en passant par les comptes rendus des médias locaux, l’organisation parvient au chiffre de 1422 civils tués, ce qu’elle considère comme une estimation basse. Le Pentagone pour sa part ne reconnaît à ce jour que 41 morts.

    Sur place, Hassan Al-Nifi, le responsable du conseil local de Manbij, ne décolère pas contre la stratégie des Etats-Unis et de leurs alliés kurdes, consistant à encercler la ville et à avancer pas à pas vers le centre, sous le couvert des avions de la coalition, qui ont effectué 450 frappes depuis le début de l’opération, le 31 mai. «Nous soutenons le combat contre Daech [acronyme arabe de l’EI]», assure M. Nifi, qui se dit proche de l’Armée syrienne libre, la branche modérée de l’insurrection syrienne, «mais, en interdisant toute fuite possible aux djihadistes, la coalition les condamne à se battre jusqu’à la mort, dans un cadre de guérilla urbaine où ils excellent, en utilisant, qui plus est, la population comme bouclier humain. C’est une stratégie erronée. Daech finira par être vaincu, mais au prix de la destruction totale de Manbij.»

    Les morts de Toukhar pourraient peser sur la suite de l’offensive des FDS dans cette localité et dans le nord de la Syrie en général. Durant le week-end, ces forces se sont certes emparées du quartier général des djihadistes, installé dans un hôpital dans l’ouest de la ville. Mais l’hécatombe risque de nuire à l’image des troupes kurdes, déjà passablement mauvaise dans cette zone à majorité arabe, et de compliquer la gestion sur le terrain de l’après-EI. La plupart des Syriens, en particulier ceux acquis à l’opposition, redoutent qu’après avoir repris Manbij les Kurdes cherchent à opérer la jonction avec Afrin, plus à l’ouest, de façon à asseoir leur contrôle sur la quasi-totalité de la bande frontalière avec la Turquie.

    Sur place, à Toukhar, les habitants achèvent de compter leurs morts. Ironie macabre: le massacre du 18 juillet survient quatre ans jour pour jour après la «libération de Manbij», c’est-à-dire l’expulsion de l’armée syrienne de la ville. (Article publié dans Le Monde daté du 20 juillet 2016)

    Par Allan Kaval et Benjamin Barthe

     Alencontre le 20 - juillet - 2016