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Documents - Page 8

  • Nouveautés sur Agence Médias Palestine

     
    Le vol de terres par Israël: 440% d’augmentation en 2016

    Le vol de terres par Israël: 440% d’augmentation en 2016

    29 juin 2016 La politique de confiscation de terres par Israël a notablement augmenté dans Jérusalem et en Cisjordanie occupée, avec une hausse de 439% depuis le début de l’année 2016 par rapport à l’an dernier, selon ce que montre un rapport palestinien publié mardi dernier. L’Institut de Recherche Appliquée de Jérusalem (ARIJ) a fait...
     
     
    Festival "Palest'In & Out " du 8 au 13 juillet 2016 à Paris

    Festival « Palest’In & Out  » du 8 au 13 juillet 2016 à Paris

      Palest’In & Out est le premier festival d’art contemporain qui célèbre à Paris la scène émergente palestinienne. De jeunes artistes de moins de 35 ans sont sélectionnés leurs pairs et par des responsables de structures culturelles et de festivals innovants, sur la base de critères professionnels exigeants. Révéler la création palestinienne dans ce qu’elle a...
     
     
    « Nous ne renoncerons jamais »

    « Nous ne renoncerons jamais »

    Patricia de Blas, The Electronic Intifada, 1er Juillet 2016 Le fils de Mourad Shtaiwi, dirigeant du comité populaire de résistance, a été blessé à la jambe par une balle enrobée de caoutchouc, tirée par les soldats israéliens lors d’une manifestation hebdomadaire  à Kafr Qaddoum. « Nous aimons notre terre et nous nous battrons » Voilà ce qui est écrit...
     
     
    Comment Israël transforme des militants contre l’occupation en dissidents

    Comment Israël transforme des militants contre l’occupation en dissidents

    De Michael Schaeffer Omer-Man | 4 Juillet 2016 Israël voit une résurgence préoccupante de tentatives d’entraver et de supprimer la contestation, en particulier celle des militants contre l’occupation et pour la défense des droits humains. Ce processus ne s’inscrit pas dans le vide.   Le Parlement israélien est sur le point de voter, dans les jours...
     
     
    Israël démolit le village bédouin d’al-Araqib pour la 100ème fois

    Israël démolit le village bédouin d’al-Araqib pour la 100ème fois

    Par Mairav Zonszein, 29 juin 2016 Al-Araqib est l’un des 35 villages « non reconnus » en Israël que les autorités refusent de fournir en eau, en électricité et en infrastructures de base. Pour la centième fois ce matin, les forces israéliennes de sécurité ont démoli le village bédouin d’al-Araqib. Il s’agissait de la deuxième démolition au...
     
     
    Cinq raisons pour lesquelles Gaza est encore sous blocus

    Cinq raisons pour lesquelles Gaza est encore sous blocus

    Par Ben White, 29 juin 2016 Lundi, le premier ministre turc Binali Yildirim a déclaré que le blocus de la Bande de Gaza par Israël avait été « largement levé » comme convenu dans le contrat de réconciliation fraîchement signé entre Israël et la Turquie. La normalisation des relations turco-israéliennes, six ans après que les forces israéliennes...

  • Paris Colloque (Afps)

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    http://www.france-palestine.org/Cent-ans-apres-les-accords-Sykes-Picot-L-Orient-arabe-trahi

  • Processus révolutionnaire dans le monde arabe et question palestinienne (La Brèche Numérique)

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    Le texte qui suit est la première partie d’un article publié dans l’ouvrage collectif Le Moyen-Orient en marche : perspectives croisées, qui vient de paraître aux éditions du Cygne. À la fin de l’extrait, on trouvera le sommaire du livre.

    Depuis la défaite de juin 1967 et avec le déclin du nationalisme arabe, la Palestine a souvent été considérée comme le dernier bastion (ou l’avant-garde) de la lutte anti-impérialiste et anti-sioniste au Moyen-Orient. La résistance maintenue des Palestiniens à l’occupation et à la colonisation israéliennes, de la lutte armée des années 1970 aux initiatives dites de « résistance populaire » (à partir de 2005), en passant par la première Intifada (décembre 1987), a longtemps servi de point de référence aux peuples de la région, orphelins des idéaux nassériens et/ou panarabes.

    Les bouleversements que traverse aujourd’hui le monde arabe interrogent cette approche « classique », selon laquelle les populations de la région accusaient un considérable « retard » sur les Palestiniens, ces derniers étant les seuls à avoir échappé au processus de glaciation politique et sociale entamé dans les années 1970. Certains en étaient même allés jusqu’à considérer que le monde arabe n’était plus un acteur de l’Histoire. Un éditorial du Monde expliquait encore, le 19 mars 2011, au sujet de l’expédition militaire en préparation en Libye, ceci : « Il faut associer le monde arabe aux opérations militaires. Il en a les moyens : il dispose de centaines de chasseurs. Il a l’occasion de faire l’Histoire, pas de la contempler » [1].

    Sans tomber dans les excès de l’éditorialiste – anonyme – du Monde, force est de constater que le combat palestinien a longtemps joué un rôle de lutte « par procuration » pour des populations dont les dirigeants avaient depuis longtemps abandonné les idéaux nationalistes. Or, depuis quelques mois, ce n’est plus tant le monde arabe qui « regarde » vers la Palestine, mais bien souvent le peuple palestinien qui « regarde » vers le monde arabe : de même que, par exemple, les bombardements sur Gaza en 2008-2009 avaient fait la « Une » des journaux arabes et généré un élan de solidarité avec la population de Gaza dans toute la région, la chute de Ben Ali, puis de Moubarak, ont occupé la « Une » des médias palestiniens et ont suscité chez les habitants des territoires occupés la sympathie, pour ne pas dire l’admiration, à l’égard des peuples tunisien et égyptien.

    Cette sympathie n’est pas seulement à appréhender du point de vue de la « solidarité internationale ». Elles expriment en réalité ce que l’échec des idéologies panarabes avait en partie occulté : la conscience d’une communauté de destin chez les peuples de la région, en raison notamment d’une histoire coloniale et postcoloniale commune, quand bien même les récentes histoires nationales auraient divergé. La singularité de la situation palestinienne et sa surexposition politique et médiatique lui ont conféré une place particulière dans les processus d’identification régionaux. Le renversement que nous venons d’évoquer confirme ce phénomène qui traduisait, en premier lieu, l’aspiration maintenue des peuples de la région à plus de dignité, de justice et de libertés. Avec l’irruption visible des peuples arabes sur la scène politique, les Palestiniens sortent de l’isolement, et semblent en avoir conscience.

    S’agit-il pour autant d’un réel renversement de perspective ? En d’autres termes, les bouleversements en cours peuvent-ils contribuer à ce qu’une reconfiguration de la question palestinienne s’opère ? C’est à ces questions que je tenterai de répondre dans cette étude, en trois temps : tout d’abord, en rappelant que la question de Palestine fut, après la création de l’État d’Israël, une question arabe ; ensuite, il conviendra d’interroger l’autonomisation progressive de la question palestinienne avant, dans un dernier temps, de mesurer les premiers effets visibles, sur la scène palestinienne, du processus révolutionnaire en cours.

    La question de Palestine : une question arabe

    L’histoire récente nous fait souvent oublier que la question palestinienne (lutte pour la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens) a d’abord été la question « de Palestine » (lutte pour la libération de la terre de Palestine) et, à ce titre, une question arabe. Les États arabes ont refusé la partition de 1947 et plusieurs d’entre eux ont été en guerre contre Israël à 3 reprises (1948, 1967, 1973). Lorsqu’en 1964 la Ligue des États Arabes soutient la création de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), ce n’est pas tant pour permettre aux Palestiniens de se doter de leur propre représentation que pour réaffirmer le leadership des États arabes pour tout ce qui touche à la question de Palestine.

    Le premier Conseil National Palestinien (CNP, « parlement » de l’OLP), se réunit à Jérusalem en mai 1964 sous l’étroite surveillance des régimes arabes, notamment de l’Égypte et de la Jordanie. Ahmad Choukeyri, à la tête du premier Comité Exécutif de l’OLP (CEOLP), est une personnalité relativement consensuelle auprès des régimes arabes, qui précise, dans son discours inaugural, ce qui suit : « la création de l’entité palestinienne dans la cité de Jérusalem ne signifie pas que la rive occidentale du Jourdain fasse sécession de la Jordanie. Nous voulons libérer notre patrie qui s’étend plus loin, à l’Ouest. En aucune façon nous ne menaçons la souveraineté jordanienne car cette terre a été, tout au long de l’Histoire, le refuge d’une même nation et n’a formé qu’une seule patrie » [2]. Une véritable lutte s’est déroulée, dans les années 60, pour que la question de Palestine soit prise en charge par les Palestiniens eux-mêmes. Ce fut la raison d’être du Fatah, fondé en 1959. Les fondateurs du Fatah en effet déduisent de la débâcle de 1948 et de l’incapacité des régimes arabes à libérer la Palestine, la nécessité d’une prise en charge autonome de la question palestinienne. C’est ce que certains ont nommé la « palestinisation » de la lutte [3], qu’on entendra ici comme le projet de réappropriation par les Palestiniens eux-mêmes d’une cause considérée comme confisquée par les régimes arabes. Pour le noyau dirigeant du Fatah, les États arabes sont incapables de mener à bien la lutte pour la reconquête de la Palestine car ils la subordonnent à leurs intérêts et objectifs propres et l’ont, de fait, reléguée au second plan.

    Le Fatah récuse le mot d’ordre en vogue dans les milieux panarabes : « l’unité arabe conduira à la libération de la Palestine ». Ils rendent même responsables les régimes arabes de la défaite de 1948, affirmant par exemple que l’intervention des armées arabes « a échoué car les états arabes ont écarté les forces vives palestiniennes de la bataille en suspendant leurs activités armées révolutionnaires » [4]. Dans la rhétorique du Fatah, la prise en charge de la question palestinienne par les régimes arabes n’est donc pas seulement une erreur, mais un obstacle à la libération de la Palestine. D’où la nécessité d’établir un mouvement palestinien autonome, émancipé de toute tutelle arabe, avec ses propres structures, son propre programme, sa propre direction et ses propres instances de décision. La défaite de juin 1967 donne un écho conséquent au discours du Fatah, qui prendra le contrôle de l’OLP en 1968-69 autour du mot d’ordre de la palestinisation. La guerre de 1973, par laquelle les États arabes indiquent qu’ils n’entendent plus reconquérir militairement la Palestine, confortera les positions du Fatah et le processus de palestinisation qui accompagne la désarabisation du combat pour la Palestine. En effet, l’autonomie acquise par le mouvement national palestinien est aussi le reflet du désengagement des États arabes dans le combat contre Israël, facteur déterminant de la glaciation politique régionale a partir des années 1970.

    Une autonomie palestinienne relative

    L’autonomie ainsi acquise est cependant à relativiser. Tout d’abord, le Fatah (et l’OLP) sont dépendantes financièrement des régimes arabes. Dès le début des années 1960, le mouvement de Yasser Arafat, qui prônait la lutte armée, a frappé aux portes des argentiers arabes : en 1962, Abu Jihad se rend en Algérie où il rencontre les dirigeants du FLN qui l’assurent de leurs dispositions à soutenir le Fatah. La Syrie et l’Iraq baathistes accepteront eux aussi d’apporter un soutien matériel au mouvement et d’héberger des camps d’entraînement. Le Fatah entend jouer sur les contradictions internes au monde arabe en s’appuyant, dans le cas de l’Iraq et de la Syrie, sur des régimes en compétition avec l’Égypte nassérienne, a fortiori depuis l’échec de la République Arabe Unie. Cette politique conduira Yasser Arafat à solliciter certains de ses proches pour qu’ils recherchent le soutien financier de l’Arabie Saoudite. En 1964, le leader du Fatah missionne Khalid al-Hassan pour établir un contact direct avec les autorités saoudiennes, en l’occurrence le ministre du Pétrole Ahmad Zaki Yamani. Ce dernier organisera une entrevue entre Arafat et le Roi Faysal, qui offrira une somme d’argent considérable au Fatah.

    Dépendant des financements et du soutien matériel étrangers, notamment arabes, le mouvement se place dans une situation doublement contradictoire avec sa revendication d’autonomie. En premier lieu, le soutien matériel est subordonné aux jeux d’alliances régionaux : la fragilité de ces alliances place le Fatah dans une situation de précarité extrême. C’est ainsi que plusieurs décennies plus tard, ce « péché originel » du Fatah aura des répercussions considérables lorsque Yasser Arafat apportera son soutien à Saddam Hussein lors de la première Guerre du Golfe, provoquant une véritable hémorragie financière de l’OLP. En second lieu, les pays « donateurs » exigent d’avoir un droit de regard sur les activités du Fatah. C’est ainsi que l’Iraq, puis la Syrie, préféreront rapidement, après avoir tenté à plusieurs reprises d’interférer dans les affaires internes du Fatah, susciter la création de mouvements « palestiniens » qui leur sont en réalité inféodés, afin de peser au sein de l’OLP.

    Un second élément renforce le caractère subalterne de l’autonomie revendiquée par le Fatah (et dont héritera l’OLP) :

    c’est le principe de « non-ingérence palestinienne dans les affaires intérieures arabes ». Pensé comme la logique et juste contrepartie de la revendication de l’autonomie du mouvement palestinien et donc de la « non-ingérence arabe dans les affaires intérieures palestiniennes », ce principe s’avère en réalité être, lui aussi, une faiblesse structurelle majeure du Fatah, qui aura de tragiques conséquences, en Jordanie puis au Liban. L’idée de la non-ingérence est en effet doublement paradoxale :
    — elle trace un trait d’égalité, avec le principe de réciprocité, entre des entités étatiques constituées et un peuple en exil… dans ces entités. Toute activité politique palestinienne au sein des États abritant des réfugiés peut être considérée par ces États comme une ingérence au sein de leurs affaires intérieures. En revendiquant le principe de non-ingérence, le Fatah offre des arguments à des régimes potentiellement hostiles et s’interdit, a priori, d’influer sur la politique des États dans lesquels vivent la majorité des Palestiniens
    — elle sous-entend que les Palestiniens pourraient conquérir une place dans le dispositif étatique arabe sans que celui-ci ne subisse de bouleversement majeur ou, plus précisément, sans que les organisations palestiniennes ne prennent en charge tout ou partie du combat contre des régimes autoritaires, conservateurs, voire réactionnaires. Cette analyse contestable sera source de débats et de tensions avec les futures organisations de la gauche palestinienne.

    Le principe de non-ingérence renforce le caractère subalterne, voire contradictoire, de l’autonomie revendiquée par le Fatah. Il indique que, malgré une rhétorique très critique à l’égard des régimes arabes, le mouvement n’entend pas entrer en confrontation directe avec eux. Conscients de leur faiblesse numérique et militaire, les dirigeants du Fatah comptent sur le soutien des États arabes dans la lutte pour la libération de la Palestine. La dépendance à l’égard des États arabes est assumée, elle participe du positionnement paradoxal du Fatah et le l’OLP dans le contexte politique et social régional à partir des années 1970. Ce positionnement paradoxal et le caractère structurellement subalterne de l’autonomie palestinienne marquera durablement le mouvement national palestinien. Si la question de Palestine est progressivement devenue une question palestinienne, elle n’en est pas moins demeurée une question intégrée au dispositif régional. À l’heure où ce dernier est en train de vaciller, rien de surprenant dans le fait que les coordonnées de la question palestinienne soient amenées à être rapidement bouleversées.

    Les mouvements de protestation contre les régimes autoritaires qui s’élèvent dans tous les pays arabes donnent à voir un autre visage des mondes arabes jusqu’ici nié dans un amas de clichés nauséabonds. De l’inadéquation supposée entre islam et démocratie, au besoin inventé des peuples arabes d’être dirigés par un leader, ces stéréotypes sont aujourd’hui visiblement balayés par des processus qui ont en réalité mûri depuis le mouvement de la Nahda au XIXe siècle.

    Si la métaphore du « printemps arabe » renvoie justement à cette idée d’une renaissance, elle cantonne aussi, le temps d’une saison, un mouvement qui promet de s’étendre sur un temps long. Aussi, parler de « printemps arabe » pour qualifier cette lame de fond semble quelque peu inapproprié. D’autant qu’il ne saurait y avoir un « printemps arabe », mais des « printemps arabes » protéiformes, tributaires de particularismes historiques, de systèmes politiques, de tissus sociaux propres à chacun des pays. D’ailleurs les « printemps arabes » sont loin de n’être qu’arabes... et montrent, à ceux qui en douteraient encore, que le peuple est un acteur politique, économique et social à part entière. Comment s’est construite cette prise de conscience et sur quels particularismes repose-t-elle ?

    En abordant ce phénomène dans ces aspects juridiques, historiques, politiques, économiques et sociaux, ce cahier — qui s’inscrit dans une série de trois opus consacrée aux révolutions arabes — propose quelques études de cas réalisées à chaud.

    Qu’elles soient entamées, maîtrisées, ou figées, ces révolutions promettent, avec des temporalités et selon des modalités différentes, des bouleversements structurels majeurs que tous doivent désormais intégrer dans leur appréhension de la région. Le Moyen-Orient, jusqu’ici perçu comme une région sclérosée, est bel et bien en marche...

    , par SALINGUE Julien

    L’ouvrage peut être commandé par votre libraire ; il est également disponible sur les divers sites internet de vente de livres.

    Notes

    [1C’est moi qui souligne. Notons ici que ces propos font écho au (tristement) célèbre discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, prononcé le 26 juillet 2007, dans lequel le Président français déclarait notamment : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ».

    [2Cité par Xavier Baron, Les Palestiniens : Genèse d’une nation, Seuil, Paris, 2003, p. 76.

    [3Jean-François Legrain, « Palestine, de la terre perdue à la reconquête du territoire », Cultures & Conflits n° 21-22 (1996), p. 171-221.

    [4Yezid Sayigh, Armed Struggle and the Search for State : The Palestinian National Movement (1949-1993), Oxford University Press, 1998, p. 89.

    Source (origine)

    Le blog de Julien Salingue, 15 mars 2012.

    http://www.juliensalingue.fr/article-processus-revolutionnaire-dans-le-monde-arabe-et-question-palestinienne-101611430.html

    http://www.preavis.org/breche-numerique/article2546.html

  • Egype. La crise du régime de Sissi (A l'Encontre.ch)

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    Déclaration des Socialistes révolutionnaires

    Depuis le coup qui a renversé du pouvoir le président Mohamed Morsi, des Frères musulmans, le régime militaire égyptien dirigé par l’actuel président Abdel Fattah al-Sissi, a appliqué les mêmes mesures autoritaires que celles utilisées par le dictateur Hosni Moubarak, soutenu par les Etats-Unis, pour écraser toute dissension.

    Cette répression n’a pas visé uniquement les Frères musulmans, mais également les médias, les syndicats et les forces de gauche. Pourtant il existe des signes croissants que des gens commencent à être suffisamment en colère pour défier le régime et ce malgré la brutalité de la répression et des risques encourus. Dans la déclaration ci-dessous, publiée en anglais sur leur site, les Socialistes révolutionnaires d’Egypte donnent leur analyse de la situation politique et leurs considérations sur les perspectives. (Rédaction A l’Encontre)

    Les événements de ces six dernières semaines mettent en évidence la nature complexe et contradictoire de la période actuelle dans la longue confrontation avec le régime de la contre-révolution. Sa politique économique, le rôle régional qu’il joue et sa dépendance par rapport à l’impérialisme et au sionisme mettent clairement en évidence le caractère de classe et l’orientation politique du régime.

    Le régime a adopté une politique économique extrêmement libérale, en diminuant les subsides [aux biens de base], en libéralisant les prix, en réduisant les services publics et les dépenses publiques et en laminant les salaires réels par la dévaluation de la livre égyptienne. Par ailleurs, le régime dépend entièrement de l’afflux de crédits et de subventions qu’il reçoit de la part des pays du Golfe et des grands pays industrialisés. Le régime a plongé le pays dans une spirale d’endettement permanent afin de financer de gros projets et des acquisitions d’armes pour l’armée, ce qui va entraîner des décennies d’austérité et de pauvreté pour les travailleurs qui seront obligés de rembourser les dettes avec des intérêts.

    Le rôle régional du régime met lui aussi en évidence sa politique de classe: comme le montre la récente visite du roi Salman ben Abdelaziz Al Saoud et le don sans précédent de deux îles à l’Arabie saoudite, il est le partenaire «junior» de l’Arabie saoudite. Son soutien au blocus israélien et au siège imposé au peuple palestinien et à leur résistance montre qu’il est également un partenaire stratégique des sionistes, avec lesquels il annonce y compris son intention d’améliorer encore ses relations. Un autre aspect de la politique étrangère du régime est son rôle et celui de l’armée égyptienne au service des intérêts états-uniens et européens dans la région, intérêts actuellement focalisés sur la «guerre contre le terrorisme» et les moyens d’éviter l’accueil des réfugiés qui fuient le Moyen-Orient, avec des opérations dans le désert du Sinaï, la mer Méditerranée et la Libye.

    Il est évident que cette combinaison d’orientations politiques intérieures et extérieures entraîne des vagues successives de colère publique. Depuis quelque temps ces réactions vont au-delà de l’opposition des Frères musulmans au coup d’Etat, et commencent à surmonter l’obstacle de la peur suscitée par la répression sanglante de toute manifestation d’opposition.

    L’Etat militaire et la classe dominante utilisent l’armée, le ministère de l’Intérieur et leurs services de sécurité respectifs ainsi que l’appareil judiciaire, les médias et le Parlement pour mener une offensive de classe – politique et idéologique – sans précédent contre les intérêts de l’immense majorité du peuple égyptien. Cette offensive a entraîné de nombreux clivages et changements dans le contexte politique égyptien.

    *****

    Le premier de ces changements est que la justification idéologique de l’offensive répressive pour s’opposer au danger des Frères musulmans n’est plus crédible. Les Frères sont à leur point le plus faible depuis 1950. Ils ont été paralysés et mis sur la défensive, d’une part, par les coups de la répression et de la sécurité et, d’autre part, par leurs luttes et clivages internes. C’est une situation qui risque de durer. Mais surtout, cela est apparu clairement à des secteurs massifs de la population, ce qui signifie que les autorités ne peuvent plus utiliser les Frères comme «épouvantail», comme elles pouvaient le faire il y a deux ans, et que même des groupes comme la classe moyenne copte n’est plus dupe de cette stratégie.

    Le deuxième changement touche ce que nous pourrions appeler «l’alliance du 30 juillet» [autrement dit les forces qui ont marché contre le président Mohamed Morsi en 2013]. En effet, leur ennemi commun – les Frères musulmans – a été affaibli. En outre, les attaques hystériques de la part des forces de sécurité contre toute forme d’opposition et de protestation et la politique de classe intérieure et régionale flagrante et brutale ont poussé un nombre relativement important de ceux qui avaient soutenu le coup dans les rangs de l’opposition. Cela s’accompagne évidemment de différents degrés d’hésitation et d’opportunisme, mais dans l’ensemble il est évident qu’il est devenu beaucoup plus difficile de soutenir les mesures politiques de Sissi qu’aux moments décisifs de 2013.

    Le troisième changement, qui est également une conséquence de ce qui est évoqué ci-dessus, est l’importance croissante des clivages et des divisions entre les différentes ailes et secteurs du régime lui-même. Ces divisions se creusent surtout entre les tenants d’un élargissement et d’un approfondissement de la répression – quels que soient les coûts politiques, économiques et sociaux – et ceux qui estiment que le temps est venu de suspendre l’offensive et d’introduire un élément de consensus, voire une réconciliation, de peur de provoquer de nouvelles vagues révolutionnaires qui pourraient être plus puissantes, plus profondes et peut-être plus violentes que toutes les précédentes.

    Pour nous, la transformation la plus importante – liée à ce qui précède – est la croissance du mouvement de protestation. L’Egypte a vécu des vagues successives de protestations sociales, démocratiques et politiques: depuis les protestations des fonctionnaires contre la loi du service national, en passant par les protestations populaires contre la brutalité policière, les assemblées des médecins et les rassemblements des ULTRA [clubs de foot qui ont défendu la révolution égyptienne de 2011], jusqu’à la convergence entre l’opposition politique et les protestations publiques autour de la question des deux îles en avril 2016.

    *****

    La volatilité de la situation politique actuelle et la succession de développements et transformations découlent sans doute de la complexité de la situation présente, de la multiplicité de trajectoires et de la profondeur de la crise. Lorsque les manifestations larges et prometteuses associaient un large front radical et des forces d’opposition réformistes, beaucoup de gens ont pensé que c’était le début d’un mouvement politique encourageant. Ensuite, lorsque les vagues d’emprisonnement, de répression, de menaces, de condamnations et d’amendes ont freiné le mouvement, beaucoup de gens qui avaient été trop optimistes sont tombés dans un état de frustration et de désespoir.

    Dans cette situation, il est très important de faire preuve de lucidité politique et d’une conception cohérente de l’état du mouvement politique et social ainsi que les moyens et perspectives de leur développement. Pour les Socialistes révolutionnaires, les développements récents prouvent les points suivants :

    1. Le régime de Sissi est dans un état de crise politique, économique et idéologique. C’est un régime «d’urgence», fondé sur une contre-révolution et incapable de maintenir une stabilité sociale et politique.

    2. La dépendance du régime par rapport à la répression augmente de jour en jour. S’il est vrai que la peur du chaos, de l’effondrement, du terrorisme et des Frères musulmans a joué un rôle important dans le soutien idéologique du régime dans la période immédiatement après le coup, ce contexte est en train de s’effilocher actuellement.

    3. Cela signifie que le régime est en train de perdre son soutien populaire, comme on l’a vu lors de ses tentatives ridicules de mobiliser ses partisans en avril et en mai 2016. Par ailleurs, il est en train de perdre des alliés sur lesquels il s’est appuyé lors du coup d’Etat, à savoir les partis réformistes et des mouvements qui ont rejoint l’opposition depuis un certain temps.

    4. Cette situation entraîne des développements divergents: d’une part, vers une accélération des protestations politiques et sociales, avec des fronts et des campagnes plus importantes, et d’autre part, vers une sévérité accrue de la répression et du harcèlement de la part de l’Etat et de ses forces de sécurité.

    5. Cette situation durera pendant une période relativement longue. Des vagues de protestations croissantes vont ouvrir des possibilités pour des campagnes et des fronts d’opposition à la politique intérieure et étrangère du régime, alors que celui-ci, assiégé, utilisera tous les moyens à sa disposition pour éviter que le mouvement ne puisse reproduire celui qui a renversé Moubarak, qui avait passé d’un mouvement démocratique montant à une mobilisation des travailleurs et finalement à la révolution de 2011.

    6. L’opposition radicale doit élaborer des stratégies et des tactiques adaptées à une longue série de luttes, en conservant l’indépendance de ses formations politiques, tout en intervenant de manière coordonnée et efficace dans les diverses batailles dans le but de développer et d’approfondir le mouvement social et politique contre la contre-révolution.

    7. L’opposition radicale doit éviter de tomber dans un optimisme excessif et des aventures politiques mal ajustées et agir de manière réaliste et pratique en fonction des affrontements à venir. Pour nous, le plus grand danger consisterait à croire que le régime est sur le point de s’effondrer ou de se désintégrer: il est vrai que le régime traverse une crise, et que, contrairement à ce qui se passait il y a deux ans, il existe de réelles opportunités pour construire une opposition radicale. Mais il s’agit d’un régime impitoyable qui utilise la répression sanglante, la peur et la terreur. Notre lutte contre ce régime sera donc longue, et les batailles ne seront ni faciles ni rapides, comme on a pu le voir avec la lutte au sujet des îles, le refus du régime d’accepter un compromis dans le conflit face journalistes [le 1er mai la police a occupé le siège du syndicat; deux journalistes étaient accusés «d’incitations à la violence», arrestation et amendes les frappent, y compris des actions contre le syndicat lui-même] ainsi que l’arrestation et la condamnation à des peines de prison de milliers de gens.

    8. La difficulté de cette lutte qui est devant nous ne doit pas nous conduire à un pessimisme excessif ni à un retour au désespoir et à l’abdication. En effet, le mouvement démocratique, social et économique contre la crise forgée par le régime a commencé. Nous ferons le maximum pour construire le front démocratique le plus large pour mener les batailles de cette guerre longue, ardue et éprouvante. (Juin 2016; traduction de l’anglais par la rédaction de A l’Encontre)

    Alencontre le 18 - juin - 2016
     
  • Nouveautés sur Orient 21

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  • Histoire : la dette comme instrument de la conquête coloniale de l’Égypte (Essf)

    Je dédie cet article à la mémoire de Youssef Darwish (en arabe : يوسف درويش‎) 1910 - 2006, militant égyptien qui a combattu inlassablement pour la justice et l’internationalisme. Plusieurs fois mis en prison et torturé pour son engagement communiste et pour son combat pour les droits humains (il était juriste), il a poursuivi la lutte jusque la fin de ses jours [1].  En 2005, un peu avant sa mort, il avait pris contact avec le CADTM international car il souhaitait créer un CADTM égyptien.

    Succès puis abandon de la tentative de développement autonome de l’Égypte

    L’Égypte, bien qu’encore sous tutelle ottomane, entame au cours de la première moitié du XIXe siècle un vaste effort d’industrialisation [2] et de modernisation. George Corm résume l’enjeu de la manière suivante : « C’est évidemment en Égypte que Mohammed Ali fera l’œuvre la plus marquante en créant des manufactures d’État, jetant ainsi les bases d’un capitalisme d’État qui ne manque pas de rappeler l’expérience japonaise du Meiji » [3]. Cet effort d’industrialisation de l’Égypte s’accomplit tout au long de la première moitié du XIXe siècle sans recours à l’endettement extérieur ; ce sont les ressources internes qui sont mobilisées. En 1839-1840, une intervention militaire conjointe de la Grande Bretagne et de la France, suivie un peu plus tard d’une seconde agression réalisée cette fois par la Grande-Bretagne et l’Autriche obligent Mohammed Ali à renoncer au contrôle de la Syrie et de la Palestine, que ces puissances considèrent comme des chasses gardées. (voir plus bas la carte de l’extension de l’Égypte sous Mohamed Ali)

    Un tournant radical est pris à partir de la seconde moitié du siècle. Les successeurs de Mohammed Ali adoptent le libre-échange sous la pression du Royaume-Uni, démantèlent des monopoles d’État et recourent massivement aux emprunts extérieurs. C’est le début de la fin. L’ère des dettes égyptiennes commence : les infrastructures de l’Égypte seront abandonnées aux puissances occidentales, aux banquiers européens et aux entrepreneurs peu scrupuleux.

    Les banquiers européens veulent prêter massivement hors de l’Europe occidentale

    Entre les années 1850 et 1876, les banquiers de Londres, de Paris et d’autres places financières cherchaient activement à placer des sommes considérables d’argent tant en Égypte que dans l’Empire ottoman et dans d’autres continents (en Europe avec l’Empire russe, en Asie dont la Chine en particulier, en Amérique latine) [4]. Plusieurs banques sont créées en Europe afin de canaliser les mouvements financiers entre l’Égypte et les places financières européennes : l’Anglo-Egyptian Bank (fondée en 1864), la Banque franco-égyptienne (fondée en 1870 et dirigée par le frère de Jules Ferry, important membre du gouvernement français) et la Banque austro-égyptienne (créée en 1869). Cette dernière avait été fondée sous les auspices du Kredit Anstalt où les Rothschild de Vienne avaient leurs intérêts. Les grandes banques de Londres étaient aussi particulièrement actives. Les banquiers londoniens se spécialisèrent dans les prêts à long terme et les banquiers français dans les prêts à court terme, plus rémunérateurs, surtout à partir de 1873 quand une crise bancaire a affecté Londres et Vienne.

    Réussite apparente et éphémère du développement économique de l’Égypte basé sur l’endettement et le libre-échange

    Dans un premier temps, le nouveau modèle fondé sur l’endettement et le libre-échange semblait très bien fonctionner, mais, en réalité, cet apparent succès tenait à des événements extérieurs que ne maîtrisaient aucunement les autorités égyptiennes. En effet, l’Égypte a temporairement tiré profit du conflit entre les États sudistes et les nordistes en Amérique du Nord. La guerre de sécession (1861-1865) de l’autre côté de l’Atlantique provoqua une chute des exportations de coton que réalisaient les États sudistes. Cela fit monter très fortement le prix du coton sur le marché mondial. Les revenus d’exportation de l’Égypte, productrice de coton, explosèrent. Cela amena le gouvernement d’Ismaïl Pacha à accepter encore plus de prêts des banques (britanniques et françaises principalement). Lorsque la guerre de sécession prit fin, les exportations sudistes reprirent et le cours du coton s’effondra. L’Égypte dépendait des devises que lui procurait la vente du coton sur le marché mondial (principalement à l’industrie textile britannique) pour effectuer le remboursement de la dette aux banquiers européens. La diminution des recettes d’exportation créa les premières difficultés de remboursement de la dette égyptienne.

    Cela n’empêcha pas les banquiers, en particulier les banquiers anglais, d’organiser l’émission d’emprunts égyptiens à long terme (20 à 30 ans) et les banquiers français d’octroyer de nouveaux crédits, à court terme principalement, car ils donnaient droit à des taux d’intérêts très élevés. L’historien Jean Bouvier décrit cet engouement : « Des organismes de crédit - Banque de Paris et des Pays-Bas, Crédit Lyonnais, Société Générale, Comptoir d’Escompte de Paris, Crédit Foncier – qui avaient jusque-là participé aux “avances” et “emprunts” d’Égypte un peu au hasard des affaires, se mirent à rechercher systématiquement de tels placements et à prospecter les opérations gouvernementales des pays sous-développés. Lorsqu’en avril 1872, le Crédit Lyonnais s’attend à participer, aux côtés des Oppenheim, à une “avance” égyptienne – bons à dix-huit mois, pour 5 millions de livres sterling, à 14 % l’an – son directeur Mazerat confie à un correspondant : “On espère, au moyen de cette grosse avance, mettre la main sur l’emprunt qui doit être émis l’année prochaine.” [5] »

    La dette égyptienne atteint un niveau insoutenable

    En 1876, la dette égyptienne atteignait 68,5 millions de livres sterling (contre 3 millions en 1863). En moins de 15 ans, les dettes extérieures avaient été multipliées par 23 alors que les revenus augmentaient de 5 fois seulement. Le service de la dette absorbait les deux tiers des revenus de l’État et la moitié des revenus d’exportation.

    Les montants empruntés qui sont parvenus réellement à l’Égypte restent très faibles tandis que les montants que les banquiers exigeaient et recevaient en retour étaient très élevés.

    Prenons l’emprunt de 1862 : les banquiers européens émettent des titres égyptiens pour une valeur nominale de 3,3 millions de livres sterling, mais ils les ont vendus à 83 % de leur valeur nominale, ce qui fait que l’Égypte ne reçoit que 2,5 millions de livres dont il faut encore déduire la commission prélevée par les banquiers. Le montant que doit rembourser l’Égypte en 30 ans s’élève à près de 8 millions de livres si on prend en compte l’amortissement du capital et le paiement des intérêts.

    Autre exemple, l’emprunt de 1873 : les banquiers européens émettent des titres égyptiens pour une valeur nominale de 32 millions de livres et ils les vendent avec un rabais de 30 %. En conséquence, l’Égypte ne reçoit qu’un peu moins de 20 millions de livres. Le montant à rembourser en 30 ans s’élève à 77 millions de livres (intérêt réel de 11 % + amortissement du capital).

    On comprend aisément que cet accroissement de la dette et les taux d’intérêts exigés sont intenables. Les conditions financières qui sont imposées par les banquiers rendent insoutenable le remboursement. L’Égypte doit constamment emprunter afin d’être en mesure de poursuivre les paiements dus sur les anciennes dettes.

    Sous pression des créanciers, le souverain Ismail Pacha, khédive [6] d’Égypte se met à vendre à partir des années 1870 des infrastructures et à accorder diverses concessions afin d’obtenir des liquidités pour payer la dette. Il doit aussi régulièrement augmenter les impôts pour les mêmes raisons.
    Après une petite quinzaine d’années d’endettement externe (1862-1875), la souveraineté égyptienne est aliénée.

    En 1875, pris à la gorge par les créanciers, l’État égyptien cède au gouvernement du Royaume-Uni ses parts dans la Compagnie du Canal de Suez qui avait été inauguré en 1869 [7]. Le produit de la vente des 176 602 actions Suez que détenait l’Égypte – soit près de la moitié du capital de la Compagnie de Suez – au gouvernement britannique à la fin de novembre 1875 est largement destiné à respecter les échéances de paiement de la dette de décembre 1875 et de janvier 1876 qui étaient particulièrement lourdes. Le gouvernement de Londres devient du même coup créancier direct de l’Égypte : les titres achetés ne permettant pas de toucher de dividendes avant 1894, le gouvernement égyptien s’engageait à payer à l’acheteur pendant cette période un intérêt de 5 % l’an sur les quelque cent millions de francs du prix d’achat.

    Selon l’historien Jean Bouvier : « Le khédive disposait encore des chemins de fer « évalués à 300 millions », selon un administrateur du Crédit Lyonnais, et de son droit aux 15 % des bénéfices nets annuels de la Compagnie de Suez. Ayant réglé les échéances de fin d’année grâce aux 100 millions de la vente de ses actions, le khédive fait reconduire en janvier 1876 et début février les « avances » en cours fournies par l’Anglo-Egyptian et le Crédit Foncier, à trois mois, au taux de 14 % l’an. Il offre en garantie sa part de 15 % dans les tantièmes de Suez, les produits de l’octroi de la ville d’Alexandrie et les droits du port. La Société Générale participe à l’affaire, qui porte sur 25 millions de francs. »

    En 1876 l’Égypte comme d’autres pays suspend le paiement de la dette

    Finalement, malgré les efforts désespérés pour rembourser la dette, l’Égypte est amenée à suspendre le paiement de la dette en 1876. Il est important de souligner qu’au cours de cette même année 1876, d’autres États se sont déclarés en cessation de paiement, il s’agit de l’Empire ottoman, du Pérou (à l’époque, une des principales économies d’Amérique du Sud) et de l’Uruguay. Il faut donc chercher les causes sur le plan international. Une crise bancaire avait éclaté à New-York, à Francfort, Berlin et à Vienne en 1873 et avait progressivement affecté les banquiers de Londres. En conséquence, la volonté de prêter à des pays périphériques s’était fortement réduite, or ces pays avaient constamment besoin d’emprunter pour rembourser les anciennes dettes. De plus, la situation économique s’étant dégradée dans les pays du Nord, les exportations du Sud baissèrent, de même que les revenus d’exportation qui servaient à effectuer les remboursements. Cette crise économique internationale dont l’origine se trouve au Nord a largement provoqué la vague de suspensions de paiements. [8] Dans chaque cas particulier, il faut en plus distinguer certaines spécificités.

    Dans le cas de l’Égypte, les banquiers français, moins affectés que les autres par la crise, avaient poursuivi les prêts à l’Égypte en profitant de la situation pour augmenter fortement les taux d’intérêts et en ne prêtant le plus souvent qu’à court terme. En 1876, ils ont accentué la pression sur l’Égypte et en resserrant l’accès au crédit, ont provoqué la suspension de paiement afin de forcer l’Égypte à accepter la création d’une Caisse de la dette contrôlée par le Royaume-Uni et la France. Ils ont réalisé cela en bonne entente avec les banquiers de Londres,

    La création de la Caisse de la dette publique sous tutelle britannique et française

    Les gouvernements de Londres et de Paris, bien que concurrents, se sont entendus pour soumettre l’Égypte à leur tutelle via la Caisse de la dette. Ils avaient procédé de la même manière dans les années 1840-1850 et à partir de 1898 à l’égard de la Grèce [9], en 1869 à l’égard de la Tunisie [10] et ils ont répété l’opération avec l’Empire ottoman à partir de 1881 [11]. En Grèce et en Tunisie, l’organisme qui a permis aux puissances créancières d’exercer leur tutelle a été nommé la Commission financière internationale ; dans l’Empire ottoman, il s’est agi de l’Administration de la Dette publique ottomane et, en Égypte, la Caisse de la Dette publique créée en 1876 a joué ce rôle [12].

    La Caisse de la Dette publique a la mainmise sur une série de revenus de l’État et ce sont les représentants du Royaume-Uni et de la France qui la dirigent. La mise en place de cet organisme a été suivie d’une restructuration de la dette égyptienne, qui a satisfait tous les banquiers concernés car aucune réduction du stock n’a été accordée ; le taux d’intérêt a été fixé à un niveau élevé, 7 %, et les remboursements devaient durer 65 ans. Cela assurait une rente confortable garantie à la fois par la France, le Royaume-Uni et par les revenus de l’État égyptien dans lesquels la Caisse de la Dette publique pouvait puiser.

    La priorité donnée à la satisfaction des intérêts des banquiers dans la résolution de la crise de la dette égyptienne de 1876 apparaît très clairement dans une lettre envoyée par Alphonse Mallet, banquier privé et régent de la Banque de France, à William Henry Waddington, ministre français des Affaires étrangères et futur président du Conseil des Ministres. Ce banquier écrit au ministre à la veille du Congrès de Berlin de 1878 au cours duquel va se discuter le sort de l’Empire ottoman (en particulier de ses possessions dans les Balkans et dans la Méditerranée) : « Mon cher ami, ... Si le Congrès se réunit, comme on l’espère, il suffit de combiner un mécanisme international... qui puisse exercer un contrôle efficace sur les agents administratifs du gouvernement, les tribunaux, l’encaissement des recettes et les dépenses. Ce qui a été fait en Égypte sous la pression des intérêts privés, en dehors de toute considération d’ordre public européen tant pour les tribunaux que pour le service de la dette... peut servir de point de départ. » (Lettre du 31 mai 1878. Mémoires et documents, Turquie, n° 119. Archives du Ministère des Affaires étrangères.) [13].

    Les enjeux géostratégiques entre grandes puissances européennes

    Si la mise en place de la Caisse de la Dette publique et la restructuration de la dette égyptienne qui a suivi satisfaisaient au premier chef les intérêts des banquiers, les intérêts des grandes puissances, dont provenaient les banquiers, étaient également directement en jeu. Le Royaume-Uni était de loin la première puissance européenne et mondiale. Elle considérait qu’elle devait contrôler et dominer entièrement la Méditerranée orientale qui gagnait en importance vu l’existence du Canal de Suez, qui donnait accès directement à la route maritime des Indes (qui faisait partie de son empire) et du reste de l’Asie. Le Royaume-Uni souhaitait marginaliser la France, qui exerçait une influence certaine en Égypte à cause des banques et du Canal de Suez dont la construction avait été financée via la bourse de Paris. Afin d’obtenir de la France qu’elle laisse entièrement la place au profit de l’Angleterre, il fallait primo satisfaire les intérêts des banquiers français (très liés aux autorités françaises, c’est le moins qu’on puisse dire) et secundo lui offrir une compensation dans une autre partie de la Méditerranée. C’est là qu’intervient un accord tacite entre Londres et Paris : l’Égypte reviendra au Royaume-Uni tandis que la Tunisie passera entièrement sous le contrôle de la France. En 1876-1878, le calendrier exact n’est pas encore fixé, mais la perspective est très claire. Il faut ajouter qu’en 1878 le Royaume-Uni a acheté l’île de Chypre à l’Empire ottoman. Chypre est un autre pion dans la domination britannique de la Méditerranée orientale.

    L’avenir de la Tunisie et de l’Égypte ne se règle pas seulement entre la France et le Royaume-Uni. L’Allemagne, qui vient d’être unifiée et qui est la principale puissance européenne montante à côté du Royaume-Uni, a son mot à dire. Otto von Bismarck, le chancelier allemand, a été manifestement clair : il a déclaré à maintes reprises, lors de conversations diplomatiques secrètes, que l’Allemagne ne prendrait pas ombrage d’une prise de contrôle de l’Égypte par Londres et d’une prise de contrôle de la Tunisie par la France. En contrepartie, l’Allemagne voulait le champ libre dans d’autres parties du monde. Les dirigeants politiques français étaient d’ailleurs bien conscients des motivations de Bismarck. L’Allemagne avait imposé une défaite militaire humiliante à la France en 1870-1871 et lui avait ravi l’Alsace et la Lorraine. Bismarck, en « offrant » la Tunisie à la France, voulait détourner Paris de l’Alsace et de la Lorraine en lui offrant un prix de consolation. Une très large documentation est disponible à ce sujet.

    En somme, le sort réservé à l’Égypte et à la Tunisie préfigure le grand partage de l’Afrique auquel les puissances européennes se livrèrent, quelques années plus tard, lors d’une autre conférence à Berlin tenue en 1885 [14].

    L’occupation militaire de l’Égypte à partir de 1882 et sa transformation en protectorat

    Dans le cas de l’Égypte et de la Tunisie, la dette a constitué l’arme la plus puissante utilisée par des puissances européennes pour assurer leur domination, en les menant jusqu’à la soumission totale d’États jusque-là indépendants.

    Suite à la mise en place de la Caisse de la Dette publique, les banques françaises font le maximum pour obtenir toujours plus de remboursements et de profits en prenant de moins en moins de nouveaux engagements. À partir de 1881, les banques françaises renoncent à octroyer de nouveaux prêts à l’Égypte, elles se contentent d’engranger les remboursements des anciennes dettes restructurées. Quand en janvier 1882 une crise boursière éclate à Paris, les banques françaises ont d’autres préoccupations que l’Égypte.

    La Caisse de la Dette publique impose à l’Égypte des mesures d’austérité très impopulaires qui génèrent une rébellion, y compris militaire (le général Ahmed Urabi défend des positions nationalistes et résiste aux diktats des puissances européennes). Le Royaume-Uni et la France prennent prétexte de la rébellion pour envoyer un corps expéditionnaire à Alexandrie en 1882. Finalement, la Grande-Bretagne entre en guerre contre l’armée égyptienne, occupe militairement de manière permanente le pays et le transforme en un protectorat. Sous domination britannique, le développement de l’Égypte sera largement bloqué et soumis aux intérêts de Londres. Comme l’écrivait Rosa Luxemburg en 1913 : « L’économie égyptienne a été engloutie dans une très large mesure par le capital européen. D’immenses étendues de terres, des forces de travail considérables et une masse de produits transférés à l’État sous forme d’impôts ont été finalement transformés en capital européen et accumulés. » [15]

    La Caisse de la Dette publique ne sera supprimée qu’en juillet 1940 [16] (voir illustration ci-dessous). L’accord imposé à l’Égypte par le Royaume-Uni en 1940 prolonge la domination financière et coloniale car le Royaume-Uni obtient la poursuite des remboursements d’une dette qui est devenue permanente.

    Il faudra le renversement de la monarchie égyptienne en 1952 par de jeunes militaires progressistes dirigés par Gamel Abdel Nasser et la nationalisation du Canal de Suez le 26 juillet 1956 pour que, pendant une période d’une quinzaine d’années, l’Égypte tente à nouveau un développement partiellement autonome [17].

    Eric Toussaint

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37998

    Bibliographie

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    • BATOU, Jean. L’Égypte de Muhammad Ali. Pouvoir politique et développement économique, 1805-1848. Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 1991, 46ᵉ année, N°2. pp. 401-428, en ligne
    • BOUVIER, Jean. 1960. Les intérêts financiers et la question d’Égypte (1875-1876), Revue Historique, 1960, T. 224, Fasc. 1, pp. 75-104.
    • CORM, Georges. 1982. L’endettement des pays en voie de développement : origine et mécanisme in Sanchez Arnau, J.-C. coord. 1982. Dette et développement (mécanismes et conséquences de l’endettement du Tiers-monde), Editions Publisud, Paris
    • DRIAULT, Edouard et LHÉRITIER, Michel. 1926. Histoire diplomatique de la Grèce de 1821 à nos jours, Paris : Presses universitaires de France (PUF), 5 tomes.
    • Foreign Affairs, United Kingdom, Treaties. 1940. CONVENTION RELATIVE A L’ABOLITION DE LA CAISSE DE LA DETTE PUBLIQUE EGYPTIENNE. 17 July 1940. London.
    • LUXEMBURG, Rosa, 1913, L’Accumulation du capital, Paris : Maspero, Vol. II, 1969.
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    • MARICHAL, Carlos, 1989, A Century of Debt Crises in Latin America, Prince­ton : Princeton University Press, 283 p.
    • Ministère des affaires étrangères de la France. 1876. Décret d’institution de la caisse de la dette publique d’Égypte... et 6 autres décrets relatifs au Trésor et à la dette, Paris, 1876. 30 pages. consulté le 14 mai 2016
    • Ministère des affaires étrangères de la France. 1898. Arrangement financier avec la Grèce : travaux de la Commission internationale chargée de la préparation du projet, Paris, 1898, 223 pages.
    • REINHARDT, Carmen et ROGOFF, Kenneth, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Paris, Pearson, 2010.
    • REINHARDT, Carmen M., and SBRANCIA, M. Belen. 2015. The Liquidation of Government Debt. Economic Policy 30, no. 82 : p 291-333
    • SACK, Alexander Nahum, 1927, Les effets des transformations des États sur leurs dettes publiques et autres obligations financières, Recueil Sirey, Paris.
    • THIVEAUD, Jean-Marie. Un marché en éruption : Alexandrie (1850-1880). Revue d’économie financière, 1994, n°30. Les marchés financiers émergents (II) sous la direction de Olivier Pastré. pp. 273-298.
    • Toussaint, Éric. 2004. La Finance contre les peuples. La bourse ou la vie, CADTM-Bruxelles/CETIM-Genève/Syllepse-Paris, 640 p.
    • TOUSSAINT, Éric. 2016. « La Grèce indépendante est née avec une dette odieuse »
    • TOUSSAINT, Éric. 2016. « Grèce : La poursuite de l’esclavage pour dette de la fin du 19e siècle à la Seconde Guerre mondiale »
    • Toussaint, Éric. 2006. Banque mondiale : le coup d’État permanent, Liège-Paris-Genève, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006.
    • WESSELING, Henri. 1996. Le partage de l’Afrique - 1880-1914, Paris, Denoël (Folio Histoire, 2002 ; 1re édition en néerlandais en 1991), 840 p.

    Remerciements

    L’auteur remercie pour leur relecture et leurs suggestions : Gilbert Achcar, Mokhtar Ben Afsa, Omar Aziki, Fathi Chamkhi, Alain Gresh, Gus Massiah, Claude Quémar, Patrick Saurin, Dominique Vidal.

    L’auteur est entièrement responsable des éventuelles erreurs contenues dans ce travail.

    http://cadtm.org/La-dette-comme-instrument-de-la

     

  • Nouveautés sur "Lutte Ouvrière"

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  • Déclaration de solidarité féministe de l’Institut Simone de Beauvoir avec le mouvement BDS (Essf)

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    Le 17 février 2016, des représentant-e-s des enseignants, du personnel, des titulaires de bourses de recherche et des chercheurs associés de l’Institut Simone de Beauvoir (SdBI) ont voté à l’unanimité leur soutien à la résolution ci-dessous concernant l’appel palestinien pour un mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions.

    En tant qu’universitaires, militant-e-s, enseignant-e-s féministes et intellectuel-le-s publics, nous reconnaissons l’interconnexion des formes systémiques d’oppression. Dans cet esprit, nous ne pouvons ignorer l’injustice et la violence, dont la violence sexuelle et la violence basée sur le genre perpétrée contre les Palestiniens et les autres Arabes de Cisjordanie, de la bande de Gaza, au sein d’Israël et dans les monts du Golan, tout autant que le déplacement colonial de centaines de milliers de Palestiniens au cours de la Nakba en 1948. Le traitement discriminatoire, l’exclusion, le siège militaire et l’apartheid imposés par Israël sur ses propres citoyens palestiniens comme sur ceux résidant dans les territoires occupés constituent une violation flagrante du droit international, des résolutions de l’ONU, et des droits humains fondamentaux.

    En ce moment même, nos collègues en Palestine font face à des violations quotidiennes de leurs droits humains, dont leurs droits académiques à la liberté de parole, à se réunir, à s’associer et à se déplacer. En même temps, les institutions israéliennes d’enseignement supérieur n’ont pas contesté mais ont au contraire légitimé la politique d’oppression d’Israël et ses violations. Ces violations, qui ont un impact sérieux sur la vie quotidienne et sur les conditions de travail des universitaires, des étudiants et de la société palestinienne dans son ensemble, sont aussi permis par les impôts et le soutien tacite des puissances occidentales, faisant ainsi de chaque contribuable au Canada et en occident un complice de la perpétuation de ces injustices.

    Nous, membres du SdBI engagés pour la justice, la dignité, l’égalité et la paix, affirmons notre opposition aux injustices qui se produisent depuis longtemps sans discontinuer en Palestine et que nous voyons comme partie intégrante des multiples formes d’oppression que nous étudions et enseignons. Nous affirmons aussi l’engagement de SdBI aux principes des droits humains, de la justice et de la liberté pour tous, dont la liberté académique.

    L’Institut Simone de Beauvoir a eu une longue tradition d’accueil de féministes engagées pour la paix. Au cours des années, le SdBI a organisé ou sponsorisé de nombreuses activités BDS ou des activités de la semaine de l’Apartheid israélien. Aussi, par fidélité aux principes ci-dessus et dans le droit fil de l’histoire du SdBI comme de ses engagements actuels, décidons, au nom du SdBI, d’endosser l’appel de la société civile palestinienne pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions (BDS) contre les entités économiques, militaires, académiques et culturelles et contre les projets sponsorisés par l’État d’Israël. Ce faisant nous rejoignons le consensus international en plein développement et ajoutons nos voix à un grand nombre d’associations universitaires et d’entités qui ont adopté de semblables résolutions ces dernières années.

    Nous ajoutons nos voix à celles qui ont déclaré leur soutien à BDS parce que nous croyons que le boycott, le désinvestissement et les sanctions sont les moyens non violents les plus efficaces pour réaliser la paix et la justice dans la région. L’Institut Simone de Beauvoir reconnaît que BDS soulève beaucoup de questions et suscite des débats enflammés. En tant qu’éducateur-trice-s et étudiant-e-s féministes, nous promouvons le dialogue ouvert et une approche éducative pour comprendre les problèmes. Dans les pages suivantes, nous soulignons quelques uns des principes-clef de la résolution et ce qu’elle implique. Nous fournissons aussi une liste de ressources pour de plus amples lectures sur le sujet (voir page 12).

    Institut Simone de Beauvoir, Université Concordia, Montréal, 13 avril 2016

    * http://www.bdsfrance.org/declaration-de-solidarite-feministe-de-linstitut-simone-de-beauvoir-avec-le-mouvement-palestinien-de-boycott-desinvestissement-sanctions-bds/

    * Traduction SF pour BDS France et pour l’AURDIP.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37954

  • Islamophobie et orientalisme inversé: Europe et Moyen-Orient

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    Certains courants de la gauche radicale peinent à articuler la lutte contre l’islamophobie en Europe avec le soutien aux luttes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

    Tandis que d’autres, traversés par le concept « orientaliste », promeuvent l’islam politique comme vecteur d’émancipation. Deux maux dont la gauche doit se défaire, selon Joseph Daher.

    La lutte contre l’islamophobie en Europe et pour le changement radical des sociétés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord nécessite encore et toujours des débats au sein de la gauche radicale, car certains ont parfois du mal à combiner les deux objectifs pour différentes raisons, souvent d’ailleurs contradictoires. Dans la première partie de cet article, nous traiterons de la nécessité de la lutte contre l’islamophobie comme objectif central de la lutte pour une société plus égalitaire et plus juste, particulièrement en période de crise économique et de montée du racisme en Europe.

    Dans la seconde partie, nous démontrerons que la lutte contre l’islamophobie ne doit en aucun cas laisser la place à un « orientalisme en retour ou inversé » qui traverse certains courants de gauche dans leur analyse du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

    L’islamophobie est tout d’abord le racisme envers la communauté musulmane, les citoyen-ne-s de confession musulmane, pratiquants ou non, simples croyants ou athées, mais portant un prénom musulman. L’islamophobie ne mesure pas la religiosité d’une personne. Elle connu une explosion en Occident après les attentats du 11 septembre 2001. Un nouvel ennemi avait été trouvé et les lois discriminantes à l’encontre des communautés musulmanes en Europe ont connu un boom.

    Dans un rapport publié en 2012, intitulé Choix et préjugés - la discrimination à l’égard des musulmans en Europe, Amnesty International s’alarme du climat islamophobe.

    De nombreux pays européens (France, Suisse, Autriche...) sont pointés du doigt pour leurs pratiques, encouragées par des partis politiques en quête de voix électorales, ajoute le rapport. Le rédacteur du rapport décrit par exemple le fait que « des femmes musulmanes se voient refuser des emplois et des jeunes filles sont empêchées d’aller en classe simplement parce qu’elles portent des vêtements traditionnels comme le foulard (...). Des hommes peuvent être licenciés pour porter des barbes associées à l’islam ».

    La Suisse n’échappe pas à cette atmosphère islamophobe, dont le symbole reste la loi sur l’interdiction de construction de nouveaux minarets votée en 2009.

    La gauche radicale, dans la résistance aux intérêts capitalistes qui veulent imposer des mesures d’austérités à travers l’Europe, via l’outil principal de la dette mais également via le racisme et l’islamophobie, ne peut se permettre de reléguer cette question. L’islamophobie, comme le racisme et le communautarisme, est un instrument des classes dirigeantes pour diviser les classes populaires et les détourner de leur réel ennemi : la classe bourgeoise.

    Trostky affirmait que même si une démocratie complète est illusoire sous le système capitaliste, le mouvement révolutionnaire ne doit en aucune façon renoncer, même sous l’impérialisme, à la lutte pour les droits démocratiques.

    Le combat contre l’islamophobie et le racisme en général et pour le droit à l’exercice de la liberté de conscience est fondamental dans la pensée marxiste.

    Dans sa Critique du programme de Gotha du Parti Ouvrier Allemand (1875), Marx expliquait que la liberté privée en matière de croyance et de culte doit être définie uniquement comme rejet de l’ingérence étatique. Il en énonçait ainsi le principe : « Chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez ». Ce même Marx a défendu l’obtention des droits civiques des juifs de Cologne en 1843 et déclarera que le privilège de la foi est un droit universel de l’homme. Le marxisme classique, celui des fondateurs, n’a d’ailleurs pas requis l’inscription de l’athéisme au programme des mouvements sociaux.

    La question du voile ne concerne que les femmes, elles doivent décider par elles-mêmes et en toute indépendance de son port ou non. Le voile imposé ou retiré par la force est un acte réactionnaire et qui va à l’encontre de tout soutien à l’autodétermination des femmes.

    Dans cette lutte contre l’islamophobie, nous nous opposons à ceux et celles qui, à gauche, rejettent toute unité d’action avec des groupes ayant une base ou se revendiquant de fondements religieux, en faisant appel à la fameuse phrase de Karl Marx selon laquelle la religion est « l’opium du peuple », sans faire référence à la suite du texte qui explique le réel sens à y donner.

    Un certain nombre d’exemples historiques démontrent l’erreur de ce positionnement.

    La gauche radicale a collaboré et lutté côte à côte avec les adeptes de la théologie de la libération, qui avaient développé une critique radicale du capitalisme contre les dictatures d’Amérique du Sud. Le parti bolchevique n’hésitait pas à coordonner des luttes avec le Bund, union générale des travailleurs juifs de Pologne, de Lituanie et de Russie, fondée en 1897, qui, malgré son orientation athéiste, anticléricale et fondamentalement socialiste, était basée sur un regroupement communautaire.

    Finalement Malcolm X qui, tout en restant fidèle à ses convictions religieuses, particulièrement à la fin de sa vie, évoluait à gauche. Il n’hésita pas à critiquer les dirigeants musulmans dans une interview en 1965, qu’il accusa d’avoir volontairement maintenu les peuples, et les femmes en particulier, dans l’ignorance. Il ajouta aussi que l’état d’avancement d’une société se mesure à la situation faites aux femmes, en déclarant que « plus les femmes sont éduquées et impliquées... plus le peuple entier est actif, lumineux et progressiste ».

    L’intervention des forces progressistes et révolutionnaires permet la radicalisation des mouvements de contestation populaire. Elle doit également empêcher toute dérive de confiscation « identitaire » des débats et des dynamiques politiques en inscrivant les luttes dans une perspective humaniste et universelle, sans laisser la place à une forme d’« orientalisme en retour » qui touche certains courants de gauche, en Occident comme au Moyen Orient.

    L’« orientalisme en retour » est un concept développé par le marxiste syrien Sadiq Jalal al Azm, en 1980, face à ce qu’il considère comme une ligne révisionniste de la pensée politique arabe, qui a fait surface sous l’effet du processus révolutionnaire iranien après 1979.

    La thèse centrale de ce courant, qui trouve à sa source un certain nombre d’intellectuels de gauche et nationalistes déçus, peut se résumer comme suit : « Le salut national tant recherché par les Arabes depuis l’occupation napoléonienne de l’Egypte ne se trouve ni dans le nationalisme laïc (qu’il soit radical, conservateur ou libéral), ni dans le communisme révolutionnaire, le socialisme ou autre, mais dans un retour à l’authenticité de ce qu’ils appellent l’islam politique populaire ».

    Ainsi, les mouvements de l’Islam politique ont tendance à promouvoir l’idée que la libération et le développement des pays arabes dépendent en premier lieu de l’affirmation de leur identité islamique, qui serait « permanente » et « éternelle », et non en luttant contre le capitalisme et l’impérialisme. D’autres questions peuvent être également débattues comme la lutte pour les droits des femmes, la lutte contre le communautarisme, le rôle de Etat, etc.

    Ce courant a trouvé malheureusement des adeptes dans certains courants de la gauche en Europe également, certes minoritaires mais néanmoins présents.

    L’islam politique devient pour cette tendance un agent de modernisation, et la religion islamique est la langue et la culture essentielle des peuples musulmans. Selon cette doctrine, la force motrice de l’histoire en Orient est l’Islam et non, comme en Occident, les intérêts économiques, les luttes de classe et les forces sociopolitiques.

    Cette vision considère ainsi les défenseurs de l’Islam politique comme des « anti-impérialistes » ou des « progressistes », et les comparaisons avec les mouvements de la théologie de la libération ont fleuri. Ces considérations sont sans fondement.

    La théologie de la libération et les mouvements islamistes ne sont pas de même nature et leurs objectifs sont différents : la théologie de la libération n’est pas tant l’expression d’une identité culturelle – dans le sens de la préservation de soi vis-à-vis d’une domination occidentale « autre », telle que la revendique le mouvement islamiste – elle s’ancre davantage dans un discours du développement et de l’émancipation des subalternes. Elle a principalement mobilisé les pauvres et les exploité-e-s, tandis que les mouvements islamistes ont tendance à cibler les classes moyennes éduquées, considérées comme les principaux agents du changement politique. Les islamistes visent avant tout à islamiser la société, la politique et l’économie, alors que les théologiens de la libération n’ont jamais eu l’intention de christianiser la société, mais plutôt de la changer à partir du point de vue des opprimé-e-s.

    Il faut certes reconnaître la composante anti-impérialiste de certains mouvements luttant contre Israël – quoique, mis à part le Hamas et le Hezbollah, il s’agisse d’une posture souvent rhétorique. Et cela ne suffit pas à les caractériser comme anti-impérialistes ou progressistes. L’exemple des Frères musulmans en Egypte est parlant à bien des égards : ils n’ont cessé en effet de répéter leur respect aux accords de Camp David et ont servi d’entremetteur entre le Hamas et l’Etat d’Israël lors de la dernière offensive militaire israélienne contre la bande de Gaza, en novembre 2012.

    Les mouvements islamistes n’encouragent en rien les politiques visant à émanciper la société, pas plus qu’ils ne s’opposent aux politiques néolibérales.

    Ils les promeuvent au contraire, en réprimant les syndicats. Par ailleurs, les inégalités sociales et la pauvreté ne peuvent en aucun cas être combattues à travers la charité, qui caractérise ces mouvements. La charité les maintient au contraire puisqu’elle ne remet pas en cause le système qui les sous-tend.

    En conclusion, il s’agit de s’opposer aux discours islamophobes développés et entretenus par les élites et les médias occidentaux contre les mouvements de l’Islam politique et dénoncer leur répression lorsque c’est le cas dans certains pays. Mais cette position de principe ne doit pas nous empêcher de soutenir et de lutter pour le changement radical dans les sociétés moyen-orientales et nord-africaines, en développant une analyse matérielle des dynamiques sociétales et des partis de l’Islam politique qui s’opposent par différents moyens à la continuation des processus révolutionnaires et au changement radical, comme en Egypte et en Tunisie par exemple.

    Ces deux courants orientalistes qui voyaient la religion comme le moteur de l’histoire de la région peuvent revoir leur copie, car les mots d’ordre des révolutions de la région n’ont pas été « l’Islam est la solution », mais bien « la révolution continue est la solution » ou encore « Pain, liberté et indépendance ». Les processus révolutionnaires au Moyen Orient et en Afrique du Nord ont ouvert une nouvelle page de luttes et d’émancipations, non seulement au niveau régional, mais international également.

    Joseph Daher

    Le Courrier de Genève. Lundi 28 janvier 2013 :
    http://www.lecourrier.ch/105465/islamophobie_et_orientalisme_inverse

    * Chercheur doctorant à la School of Oriental and African Studies (SOAS), Londres.

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37923