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Tunisie - Page 14

  • Tunisie: révolte de la jeunesse marginalisée (Al'Encontre.ch)

    Un jeune Tunisien emmené après une tetntative de suicide  le 22 janvier 2016 à Kasserine

    Un jeune Tunisien emmené après une tetntative de suicide
    le 22 janvier 2016 à Kasserine

    Par Alain Baron, le 24 janvier 2015

    Depuis le 17 janvier, des explosions de colère secouent une partie de la jeunesse tunisienne. Elles se traduisent notamment par des manifestations, des sit-in devant ou à l’intérieur de bâtiments de l’Etat, des barrages routiers à l’aide de pneus enflammés, quelques pillages et même la mort d’un policier.

    Les raisons de la colère

    Tout a commencé à Kasserine, une ville déshéritée de l’intérieur du pays où un jeune chômeur est mort électrocuté le 16 janvier. Il était monté sur un poteau électrique pour protester contre son retrait arbitraire d’une liste d’embauches dans la fonction publique.

    Dès le lendemain, des affrontements avec la police ont eu lieu sur place. Ce mouvement s’est ensuite étendu dans une série de localités et certains quartiers de grandes villes. Le 22, le couvre-feu entre 20h et 5h a été décrété sur l’ensemble du pays [1].

    Les causes de ces mouvements ne sont pas nouvelles. Depuis des années des milliers de jeunes, souvent titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, réclament un emploi. C’était déjà le cas lors du soulèvement du bassin minier de Gafsa en 2008, puis de l’immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 qui a été le signal du début de la révolution.

    Mais cinq ans plus tard, la situation de l’emploi n’a pas changé, elle s’est même détériorée. Le nombre de suicides est en augmentation parmi les jeunes, et des explosions locales de colère ont périodiquement lieu. Cela a par exemple été le cas en 2015 dans le sud du pays ainsi que dans la région de Gafsa où des jeunes chômeurs ont paralysé plusieurs mois le bassin minier.

    Une des raisons pour lesquelles la tragédie de Kasserine a été le point de départ d’une vague nationale de mobilisations, est l’aggravation de la crise globale que traverse la Tunisie.

    Accentuant la politique néo-libérale en vigueur du temps de Ben Ali, le pouvoir est incapable d’apporter la moindre solution aux jeunes réclamant un emploi.

    Simultanément Nidaa Tounès, le parti arrivé en tête aux élections d’octobre 2015 a explosé. Un de ses députés a comparé les clans rivaux à « une dispute entre coqs pour une poubelle ».

    Résultat, Ennahdha est redevenu le premier parti représenté à l’Assemblée. Avec un ministre de la Justice et un ministre de l’Intérieur réputés proches d’Ennahdha, les dossiers des exactions commises lorsque ce parti dirigeait le gouvernement en 2012-2013 ne sont pas près d’avancer.

    L’absence d’alternative crédible

    La création rapide de milliers d’emplois durables serait pourtant possible. Pour financer une telle mesure, le Front populaire propose par exemple un impôt exceptionnel sur les grandes fortunes, ainsi qu’un moratoire de trois ans sur le remboursement de la dette, qui représente 18 % du budget et la principale dépense de l’Etat.

    Mais le Front populaire, qui rassemble l’essentiel des organisations de gauche, ne dispose que de 7 % des sièges au Parlement. Il peine également à se structurer et à définir une stratégie globale à la hauteur des enjeux.

    Plusieurs associations, dont la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH) ont appelé «à l’adoption d’un modèle économique dont l’objectif est la réduction des disparités régionales et des inégalités sociales», en disant leur «déception» face à l’inaction des différents gouvernements.

    En ce qui la concerne, l’UGTT a appelé le gouvernement à trouver des solutions «urgentes et efficaces» pour résoudre rapidement les problèmes du chômage et du développement dans les régions défavorisées. Elle a réitéré les projets alternatifs, qu’elle avait déjà proposés aux gouvernements précédents.

    Une solidarité hésitante

    Même si la grande majorité de la population reconnaît la légitimité des revendications des chômeurs, beaucoup sont choqués par les violences commises ces derniers jours. Ils craignent que des djihadistes se mêlent aux manifestants afin de développer le chaos. Suite au traumatisme causé par les exactions de Daech en Tunisie, la crainte existe que les tâches supplémentaires confiées à la police et l’armée se fassent au détriment de leurs autres tâches : la lutte contre les réseaux et maquis islamistes ainsi que le trafic d’armes en provenance notamment de Libye.

    En ce qui les concerne, les organisations de jeunes ont du mal à mobiliser. Les rassemblements et manifestations de solidarité organisés dans les grandes villes par l’Union des diplômés-chômeurs (UDC) et l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET) n’ont jamais rassemblé à ce jour plus de 300 participant-e-s.

    Les difficultés d’une jonction avec le mouvement ouvrier organisé

    Comme souvent en Tunisie, la possibilité d’un réel mouvement de solidarité va largement dépendre du positionnement du mouvement syndical. Mais de ce côté-là, rien n’est en ce moment très simple.

    Sous l’impulsion de la gauche de l’UGTT, le mouvement syndical sort en effet d’une année de mobilisations intenses.

    Celles-ci ont permis au premier semestre une victoire historique dans l’enseignement secondaire, et des avancées appréciables dans le reste du secteur public ainsi que dans certaines entreprises privées.

    La vague de grèves générales régionales dans le secteur privé au second semestre a par contre été brutalement interrompue le 25 novembre après l’attentat de Daech à Tunis.

    Après des mois de tensions, le risque existe aujourd’hui que les syndicalistes les plus combatifs relâchent la pression. Cela accentue au sein de l’UGTT le danger d’un retour de balancier vers la routine et la recherche de consensus avec les adversaires des intérêts des salariés et des chômeurs [2].

    Un compromis à minima avec le patronat a par exemple été trouvé en catastrophe le l9 janvier au sujet des augmentations salariales dans le secteur privé.

    Du coup, la reprise des grèves générales régionales dans le privé a été annulée, dont celle prévue le 21 janvier dans la région de Tunis. (24 janvier 2016)

    _____

    [1] Une série d’articles sur ces mobilisations est disponible sur le blog tunisien Nawaat :

    – Kasserine : après le deuil, l’embrasement (19 janvier)
    http://nawaat.org/portail/2016/01/19/kasserine-apres-le-deuil-lembrasement/

    – Reportage à Kasserine : « Personne ne saura calmer la colère de la faim » (21 janvier)
    http://nawaat.org/portail/2016/01/21/reportage-a-kasserine-personne-ne-saura-calmer-la-colere-de-la-faim/

    – Ridha Yahyaoui : Un stylo m’a tué (22 janvier)
    http://nawaat.org/portail/2016/01/22/ridha-yahyaoui-un-stylo-ma-tuer/

    [2] Le 20 janvier, au premier rang des invités à la cérémonie des 70 ans de l’UGTT, figuraient les porte-parole de l’ensemble du spectre politique tunisien, dont le Président d’Ennahdha, ainsi qu’un représentant du syndicat patronal UTICA.

     

    A Kasserine, le 21 janvier 2016: la police affronte les jeunesse. Le Premier ministre exige la «patience» et n'annonce aucune mesure contre le chômage. Selon l'AFP, Inès Bel Aiba: «Le ministre Kamel Jendoubi (société civile et droits de l'Homme) a, lui, affirmé que le chef du gouvernement ne tarderait pas à annoncer des mesures pour "la jeunesse, l’emploi et la prise en charge des situations difficiles». Interrogé par l'AFP, l'analyste Selim Kharrat ne s'est pas montré «étonné» de l'absence d'annonces immédiates. «Si le gouvernement avait des solutions à proposer, il l'aurait fait bien avant l'éclatement de cette crise. Il ne faut pas oublier que sa marge de manœuvre est très réduite»", notamment financièrement, a-t-il dit. Mais il "aurait pu prendre des mesures non coûteuses" contre la corruption et a "manqué une occasion de donner un signal positif", a ajouté M. Kharrat. Selon lui, «ce que réclament les manifestants, c'est non seulement du travail mais aussi des dirigeants intègres et au service des populations». La réponse du gouvernement, de facto, les ex-Benaliste et Ennhada: le couvre feu! (Réd. A l'Encontre)

    A Kasserine, le 21 janvier 2016: la police affronte les jeunesse. Le Premier ministre exige de la «patience» et n’annonce aucune mesure contre le chômage. Selon l’AFP, Inès Bel Aiba: «Le ministre Kamel Jendoubi (société civile et droits de l’Homme) a, lui, affirmé que le chef du gouvernement ne tarderait pas à annoncer des mesures pour la jeunesse, l’emploi et la prise en charge des situations difficiles».
    Interrogé par l’AFP, l’analyste Selim Kharrat ne s’est pas montré «étonné» de l’absence d’annonces immédiates.
    «Si le gouvernement avait des solutions à proposer, il l’aurait fait bien avant l’éclatement de cette crise. Il ne faut pas oublier que sa marge de manœuvre est très réduite», notamment financièrement, a-t-il dit. Mais il «aurait pu prendre des mesures non coûteuses» contre la corruption et a «manqué une occasion de donner un signal positif», a ajouté M. Kharrat. Selon lui, «ce que réclament les manifestants, c’est non seulement du travail mais aussi des dirigeants intègres et au service des populations». La réponse du gouvernement, de facto, les ex-Benalistes et Ennhada: le couvre feu! (Réd. A l’Encontre)

    Publié par Alencontre le 25 - janvier - 2016
     
  • Tunisie. La nécessité d’une mobilisation citoyenne… (Al'Encontre.ch)

    fmi-bm-tunisie

    Entretien thématique avec Sami Souhili conduit par Alain Baron

    Le diktat du capital financier.

    Tout ce qui se passe dans notre région dépend étroitement des choix du capital financier et de sa volonté d’y imposer sa domination. C’est vrai en Tunisie, mais également en Libye, en Syrie, au Yemen, etc. Il ne s’agit pas de grandes idées abstraites, comme tout le monde le sait.

    Les guerres actuelles sont également liées aux besoins du capital financier qui n’arrive pas à faire suffisamment de bénéfices par les voies classiques. Vendre des armes reste la seule alternative générant de gros profit: il a investi dans ce secteur et il veut récupérer le maximum d’argent. Les Russes s’y mettent maintenant et essayent de prouver que leurs avions sont meilleurs que ceux des Américains. Ils veulent leur part du marché.

    La Tunisie dépend donc beaucoup de ce qui se passe dans le reste du monde, elle n’est qu’un des éléments de la chaîne. Le capital financier n’est en effet pas tunisien, mais international. Et celui-ci ne va pas attendre que la bourgeoisie vassale, locale, qui est en train d’accumuler de l’argent, ait la capacité de peser. Celle-ci est vouée à fonctionner dans le cadre du projet du capital financier international. Celui-ci fait aujourd’hui plus de profit dans les activités financières que dans la production, et il accumule des fortunes.

    Actuellement, la Tunisie, est sous le diktat du FMI (Fonds monétaire internationale) et de la Banque mondiale (BM): le pouvoir ne veut pas utiliser l’argent qu’il détient pour développer l’action publique.

    L’Etat ne manque d’argent que parce qu’il l’a décidé ainsi. Il pourrait en effet disposer de davantage de ressources: l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) avait en effet présenté un projet concernant la fiscalité, ainsi qu’une liste de contribuables sur lesquels, selon l’ancienne loi, l’Etat aurait dû prélever des milliards. Mais le pouvoir ne l’a pas fait. Il s’agit là d’un choix.

    Simultanément, l’Etat s’endette pour appliquer la restructuration voulue par le capital financier, et 30 % de cet argent va aller au développement de l’économie numérique.

    Les menaces contenues dans le plan quinquennal

    Le plan quinquennal expose clairement ce que prévoient de faire les personnes actuellement au pouvoir en Tunisie. Malheureusement beaucoup de militant·e·s ne connaissent pas ce plan, y compris au sein de l’UGTT.

    Il ne s’agit pas de la répétition des Programmes d’ajustement structurel (PAS) lancés à partir de la fin des années 1980.

    Aujourd’hui, le capital financier se trouve dans une phase de restructuration globale de l’économie mondiale. Celle-ci vise à remplacer au maximum la main-d’œuvre stable par des salarié·e·s précaires ne disposant donc pas de la même sécurité qu’auparavant. En termes français remplacer des CDI (Contrat à durée indéterminée) par des CDD (Contrat à durée déterminée).

    En ce domaine, la situation de la Tunisie n’est pas différente de celle des autres pays, même si elle est pire en termes de chômage et d’appauvrissement.

    Cette politique passe dans l’industrie par la digitalisation, la robotisation et la mécanisation. Mais cela concerne également les services. Et comme on le sait, les services se sont beaucoup développés depuis un certain temps en Tunisie.

    Dans ce cadre, 30 % des investissements en Tunisie vont se faire dans les activités numériques, et c’est principalement à cela que va servir l’argent des prêts accordés par le capital financier international, en plus de rembourser la dette [1].

    Une volonté affichée de libéralisation et de privatisation

    L’autre caractéristique essentielle de la situation actuelle est la libéralisation et la privatisation de tous les secteurs d’activité: Santé, Enseignement, Transports, Culture, tout doit être marchandisé, tout doit permettre aux financiers de pouvoir mettre la main sur ces activités. Le scénario utilisé est tellement évident, que nous le voyons, tous, très clairement.

    Le secteur privé représente aujourd’hui 66% de l’économie tunisienne. Ses dirigeants disposent de beaucoup d’argent, ils construisent des immeubles, achètent des maisons et des voitures, etc. L’Etat, par contre, n’a pas de ressources: il ne peut pas faire de routes, il ne peut pas investir.

    En 2013, le déficit du budget de l’Etat avait atteint 6,5% du PIB, et depuis, il ne cesse d’augmenter.

    Mais on a l’impression que le pouvoir ne se soucie pas trop de cela. Il laisse prospérer l’économie informelle, et une nouvelle mafia financière se développe aujourd’hui. Elle gagne en puissance et est en train de coordonner ses efforts et ses projets non seulement avec le FMI, mais également avec les mafias financières occidentales qui veulent rapidement mettre la main sur l’essentiel de l’économie tunisienne, ou au moins disposer d’enclaves lui permettant d’accéder à des marchés beaucoup plus importants.

    Dans ce cadre, le pouvoir prévoit de légiférer pour faciliter l’accès des multinationales aux multiples domaines de l’économie digitale, de les favoriser comme c’était déjà le cas lors du tournant vers la libéralisation à la fin des années soixante-dix.

    L’accord de libre-échange «complet et approfondi» en cours d’adoption (ALECA – L’accord de libre-échange complet et approfondi entre l’UE et la Tunisie) prévoit de permettre au capital international d’investir également dans l’agriculture.

    Afin d’accroître leurs profits, les multinationales de l’agro-industrie voudraient développer des monocultures répondant aux besoins du marché mondial. La Tunisie se spécialiserait alors dans un nombre limité de cultures agricoles, sans aucune maîtrise du choix de celles-ci. Elle n’aurait plus un minimum d’autonomie sur le plan agricole, ce qui serait une atteinte à sa souveraineté.

    Mais la Tunisie a besoin de continuer à avoir une production diversifiée fournissant à la fois du blé, des légumes, de la viande, etc. L’ALECA menace cette diversité nécessaire à la satisfaction des besoins de la population à des prix correspondant, un tant soit peu, au pouvoir d’achat des citoyens.

    Et récemment, le FMI a bien fait comprendre au gouvernement tunisien que s’il voulait avoir une aide financière, il lui faudrait arrêter de fournir aux paysans l’assistance technique gratuite leur permettant de rester compétitifs.

    Déjà, les petits paysans sont en train de s’appauvrir, et si l’ALECA est mise en œuvre ils vont devoir vendre leurs terres.

    Le plan quinquennal explique l’absence de croissance économique par l’existence de multiples entraves au développement du secteur privé. Il énumère des problèmes fonciers, administratifs, bureaucratiques, ainsi que des privilèges dont bénéficieraient des individus liés à des personnes ayant des positions de pouvoir.

    Pour faciliter l’essor du secteur privé, l’Etat devrait notamment :

    • se limiter à percevoir des impôts dans le cadre de la loi de finances;
    • maintenir une fiscalité favorable aux plus fortunés car sinon ils n’investiront pas, et que s’ils n’investissent pas, le pays ne pourrait pas se développer;
    • alléger la réglementation concernant le foncier.

    Dans le plan quinquennal, un point est particulièrement mis en avant: il faudrait que la Tunisie rembourse sa dette alors que son taux d’endettement est passé de 6,8% à 50% du PIB.

    Il est expliqué que ce qui fait la valeur de la Tunisie est qu’elle avait toujours remboursé sa dette, et que c’était la raison pour laquelle elle a pu emprunter sur les marchés internationaux. Il est ajouté que la Tunisie était le premier pays africain à avoir fait cela.

    Dans la Santé, l’Enseignement, l’Agriculture ou l’Industrie, les détenteurs de capitaux et leurs porte-parole expliquent que le secteur public est incapable de se développer et d’améliorer la qualité des biens et services fournis. Pour eux, la solution serait le Partenariat Public-Privé (PPP).

    Le PPP, c’est évidemment un processus de privatisation. Dans tous les pays du monde où le PPP a été mis en place, le public s’est mis dans les pas du privé. Il est entré dans la vision du privé c’est-à-dire la rentabilisation.

    Pour moi, et dans l’intérêt de la majorité de la population démunie, la Santé ou l’Enseignement ne doivent absolument pas être soumis à ce genre de raisonnement.

    Au contraire, on doit améliorer le secteur public, et les sources de financement existent.

    L’exemple du système de santé

    Dans le secteur de la Santé, il y a eu ces dernières années une progression vers la privatisation et la marchandisation des prestations. Le secteur public n’a pas été vendu, mais il dispose de moins en moins de moyens. Le secteur privé, par contre, est en pleine expansion.

    La Santé publique repose sur la première ligne de soin constituée par les dispensaires. Plus de 70 à 80 % d’entre eux permettent d’assurer des soins de proximité : les gens ne vont pas faire 20 à 30 kilomètres pour être soignés! Mais au lieu de développer les dispensaires, les pouvoirs publics les ont laissé tomber.

    La raison en est que les «décideurs» pensent possible de les remplacer, au moins en partie, par des cabinets privés dans la mesure où tout le monde va maintenant être couvert par la Caisse nationale d’assurance-maladie.

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    Et comme cela va coûter plus cher aux patients, les assurances complémentaires sont en train de se préparer, comme cela se passe en France. Un processus de privatisation est donc en marche.

    Personne n’est content d’aller dans les hôpitaux publics. Bien sûr, le personnel en place est qualifié, mais il manque des médecins, des infirmiers, du matériel, les locaux sont vétustes et en mauvais état, etc. Les hôpitaux locaux et régionaux sont délaissés au profit d’une troisième ligne de soin composée de quelques CHU (Centres hospitaliers universitaires).

    Des gens sont contents parce qu’il est annoncé la création de nouvelles facultés de médecine et de nouvelles universités, etc. Mais en fait, cela va dégarnir complètement tout ce qui est soin de proximité, tout ce qui est prévention et prise en charge des maladies. Et cela va permettre au privé de prendre la place.

    Pour une même prestation, le coût de revient dans le privé est supérieur de 60 % à celui du secteur public. De leur côté, les promoteurs de la privatisation mettent en avant la qualité de l’hôtellerie et de l’accueil.

    Très peu de jeunes aujourd’hui veulent être médecin généraliste, ils veulent tous être spécialistes. De leur côté, les décideurs ont fait du populisme en suivant les usagers qui disent «je veux un spécialiste».

    Résultat, il y a 65% de médecins spécialistes en Tunisie et seulement 35 % de généralistes, alors que cela devrait être l’inverse.

    De plus, parmi les spécialistes du secteur public, 70 % sont des médecins universitaires. Dans le grand Tunis qui compte 3,1 millions d’habitants, il y a plus de médecins-universitaires qu’en Ile-de-France qui compte 12 millions d’habitants. Il s’agit là d’un choix en faveur de ce qui est appelé «la médecine hospitalière».

    Et maintenant, les autorités sont en train de dire qu’il faut créer des facultés partout. Cela pourrait être bien, mais en fait c’est pour jeter de la poudre aux yeux, parce que les facultés s’occupent de formation et pas de procurer des soins. De plus, les facultés forment des médecins qui travaillent ensuite dans le privé.

    Pour accomplir le même acte, les médecins de la Santé publique gagnent entre 20 et 50 fois moins que s’ils travaillaient dans le privé. Ceux qui restent dans le secteur public sont considérés comme des fous car il s’agit de deux statuts sociaux complètement différents.

    Pour combler un peu la différence de rémunération des spécialistes, le pouvoir a commencé par mettre en place l’APC (Activité privée complémentaire au niveau des CHU) ou l’APR (Activité privée au niveau des régions). En fait, c’était une première forme de Partenariat Public-Privé. Ce système est très mauvais pour la Santé publique et facilite le passage de médecins au secteur privé. Il occasionne un surcoût des soins pour les malades et la Santé publique.

    Le résultat de cette politique a été que le poids du secteur privé a été multiplié par 20, puis par 30 en une dizaine d’années. Et la part de l’Etat dans le total des dépenses de santé est passée de plus de 50% à environ 14% actuellement.

    Tout cela n’a pas lieu par hasard, c’est une vision, c’est une politique, c’est des choix. Et le résultat, c’est l’état dans lequel se trouve le secteur de la Santé actuellement.

    Créer des comités citoyens

    Comme je l’ai dit précédemment, nous sommes actuellement face à une restructuration globale de l’économie, il ne s’agit pas d’une simple continuation de ce que faisait Ben Ali.

    Ben Ali, c’était la fin des Plans d’ajustement structurel (PAS). Là, c’est autre chose, c’est une restructuration globale. Le capital financier est en train de changer complètement l’économie mondiale. Il veut précariser massivement le prolétariat par l’intermédiaire de l’informatisation de l’industrie et des services. Il est donc urgent de résister tout de suite.

    Je suis pour que l’UGTT demande des comptes au gouvernement au sujet plan quinquennal et l’ouverture d’une discussion sur ce plan.

    Mais le problème est que ce plan devra ensuite faire l’objet d’un vote au Parlement. Et celui-ci est très majoritairement partisan de l’orientation néolibérale. C’est donc très compliqué.

    Ceux qui siègent au Parlement expliquent que ce sont les citoyens et les citoyennes qui les ont élus. Et le système politique fait que lorsqu’on élit quelqu’un, il faut ensuite attendre cinq ans pour lui demander des comptes lors des élections suivan et citoyensen avec les citoyen-! Résultat, les élu-e-s peuvent faire n’importe quoi pendant ce temps-là.

    Le second problème est que les partis politiques en Tunisie n’ont pas de projet politique clair et structuré.

    Il faut donc trouver le moyen de développer une mobilisation citoyenne pour s’opposer à la politique mise en œuvre. C’est la proposition que j’ai faite au sein de l’UGTT.

    L’UGTT a bien entendu pour tâche première de défendre les revendications immédiates des salariés, mais elle ne peut pas ne se limiter à cela.

    Appartenant à la société civile, l’UGTT a la possibilité de se coordonner avec les autres composantes de celle-ci. Elle peut simultanément s’adresser à des citoyens « epsilon » qui voient leur situation se détériorer, et les faire participer à des mobilisations.

    J’ai donc personnellement proposé au sein de la Commission administrative de l’UGTT de créer des structures qui dépassent l’UGTT.

    L’UGTT, bien sûr, est la plus grande organisation de Tunisie. Elle a de grandes traditions. Elle joue un rôle central dans le pays également parce c’est une organisation de masse ayant environ 900’000 membres.

    L’UGTT a des structures permettant de coordonner des mobilisations. Mais elle n’a pas la capacité, à elle seule, de mener des actions permettant d’empêcher la privatisation du système de Santé. Et c’est la raison pour laquelle je suis pour créer des comités citoyens de défense de telle ou telle structure de soin, de tel ou tel hôpital, ainsi que du système de Santé publique en tant que tel.

    Et c’est pareil pour l’enseignement (secteur de l’éducation dans ces diverses dimensions) et les autres secteurs.

    Ces comités seraient composés de syndicalistes, de membres d’associations et de partis politiques, ainsi que de simples citoyens voulant se battre sur un sujet donné.

    Dans ce type de cadre, ce n’est pas la seule UGTT qui va décider de faire ceci ou cela. Elle doit, à mon sens, aider à constituer ces structures citoyennes visant à défendre les acquis ainsi qu’à demander des comptes aux décideurs.

    Chaque organisation ou individu fera ce qu’il voudra, et décidera d’appartenir ou pas à ces structures.

    Je suis persuadé que les partis politiques y participeront, mais cela doit être au même titre que les autres composantes. Il n’est pas question qu’ils cherchent à imposer leur point de vue particulier.

    A mon avis, il ne faut pas attendre que tout le monde soit d’accord pour commencer ce genre d’action, parce que cela va très vite.

    L’idée est d’agir au quotidien avec les citoyennes et citoyens qui veulent se battre. Partout, on trouve des gens qui veulent lutter. Des formes de regroupements de ce type existent déjà partout, même si ils ne sont pas formalisés en comités comme, par exemple, à Sidi Bouzid, Gafsa, Kasserine, etc. Mon but n’est pas d’appuyer sur un bouton et faire bouger les gens: il s’agit de participer à un mouvement social réel qui existe déjà de façon permanente, et contribuer à le développer.

    Les comités de citoyens que je propose n’ont bien sûr rien à voir avec les Comités de défense de la révolution ayant vu le jour en 2011, et qui ont été par la suite manipulés par Ennahdha afin de faire du grabuge pour parvenir au pouvoir.

    Les comités que je propose sont en effet tournés contre la politique du capital financier. Ennahdha et d’autres partis de droite se situent dans le cadre de celle-ci, et n’ont donc aucun intérêt à en faire partie. La sélection des participants à ces comités se fera d’elle-même, du fait du type d’objectif poursuivi.

    Cette démarche est handicapée par l’absence de vision claire, intelligible et compréhensible par les gens qui ont réellement intérêt au changement.

    Mais on ne va pas attendre pour agir d’avoir discuté pendant des heures ou des années dans l’espoir de disposer ensuite d’un éventuel projet très savant, très intelligent et très révolutionnaire, mais sans impact sur le réel. Tout cela ne m’intéresse pas. Je veux simplement que l’on puisse expliquer ce à quoi nous devons faire face, et définir collectivement comment nous pouvons agir.

    16-19 avril 2015, Washington, réunion de la BM et du FMI: présence du groupe tunisien avec le ministre du Développement Yassine Brahim, le ministre des Finances Slim Chaker et le Gouverneur de la BCT (Banque centrale) Chedly Ayari

    16-19 avril 2015, Washington, réunion de la BM et du FMI: présence du groupe tunisien avec le ministre du Développement Yassine Brahim, le ministre des Finances Slim Chaker et le Gouverneur de la BCT (Banque centrale) Chedly Ayari

    Les gens en ont marre des discours savants, des discours politiques n’ayant pas le moindre impact.

    Il faut certes leur parler de l’impérialisme, du capital financier, du FMI et de la Banque mondiale, etc. Mais il est encore plus nécessaire de leur proposer de s’organiser avec eux pour améliorer l’état de l’hôpital de tel ou tel endroit, pour empêcher la vente de biens appartenant au peuple tunisien.

    Pour cela, face au développement du privé, il faut commencer par dire que la Santé publique coûte moins cher, et qu’elle permet d’avoir des soins de proximité.

    Et c’est la même chose dans l’Enseignement avec le développement des cours particuliers qui poussent les élèves vers le privé. Des parents se disent en effet: «je vais mettre de l’argent une bonne fois pour toutes dans le privé pour que mon enfant s’en sorte». Et pendant ce temps là, on est en train de brader tout le secteur public.

    Il faut résister tout de suite. Certes, en ce qui me concerne, j’ai besoin de rêver, mais j’ai aussi besoin d’un impact sur le réel. En fait, j’ai besoin des deux.

    Il y a quelque chose qui manque pour le moment. Et ce n’est pas un hasard si les gens qui tiennent un discours comme le nôtre ne sont pas les plus proches des populations les plus pauvres. Des conservateurs faisant de la charité sont beaucoup plus présents que nous dans les quartiers populaires et les milieux ouvriers, et ils sont en train de s’y développer. Il serait donc temps de bouger autrement et de développer un projet beaucoup plus clair.

    Ce dont les gens ont besoin, c’est de l’action, d’être présents sur le terrain et de prendre leur destinée en mains. (10 janvier 2016. Cet article est suivi d’un article sur l’actualité )

    Publié par Alencontre le 25 - janvier - 2016

    ____

    Sami Souhili est médecin-urgentiste à l’hôpital de Menzel Bourguiba (gouvernorat de Bizerte) depuis 1992 (après l’avoir été à Nabeul entre 1989 et 1991). Il est secrétaire général du syndicat UGTT des médecins, pharmaciens et dentistes de la Santé publique. Il est membre à ce titre de la Commission administrative de l’UGTT, l’instance nationale où sont prises les principales décisions entre deux congrès. Avec son syndicat, Sami a pris une part active aux débats sur la Santé organisés lors des Forum sociaux mondiaux de Tunis en 2013 et 2015, aux côtés de plusieurs associations et syndicats dont Sud Santé-Sociaux.

    ____

    [1] Dès 2012, le thème de l’économie numérique a fait la une de la presse. Le ministre des Technologies de l’information et de la communication résumait ainsi le projet le 14 mai 2012: «Rappelons tout d’abord et très brièvement quels seront les enjeux de l’économie numérique pour la Tunisie?

    L’économie numérique représente une grande chance pour la Tunisie pour trois raisons. La première est qu’elle est considérée comme la plus grande ambition pour les quinze prochaines années et le gouvernement semble en être conscient.

    La seconde raison est que le pays a besoin de changer et restructurer ses administrations mais aussi repenser et transformer au plus vite les relations des secteurs public/privé. L’économie numérique en est un des vecteurs de ce changement.

    La troisième raison consiste à permettre aux compétences tunisiennes de se développer afin qu’elles servent notamment à l’export, autrement dit chercher à vendre le savoir-faire tunisien en matière des technologies de l’information et de la communication à l’étranger par la levée de toutes sortes d’obstacles pour aller dénicher des projets non seulement au Maghreb mais aussi en Afrique subsaharienne.» (Maher Gordah in L’actualité autrement, Kapitalis). On ne peut que douter des effets l’économie numérique pour «le développement» du pays et de l’emploi, en Tunisie et de l’Afrique subsaharienne. Surtout lorsque certaines études la présentent comme un «substitut du développement de l’agriculture et de l’industrie comme moteur du développement».

    Patrick Artus, économiste de Natixis, écrivait à propos de l’économie numérique, le,22 janvietr «Il existe une fascination chez les hommes politiques et dans les opinions publiques au sujet de la capacité de ramener au plein emploi les pays grâce au développement des auto-entrepreneurs, des indépendants («l’Ubérisation» de la société), du secteur des Nouvelles Technologies, du numérique. On s’interroge donc sur les réformes (du marché du travail, de la protection sociale…) capables de stimuler le nombre d’auto-entrepreneurs, d’indépendants, de développer le secteur du numérique. Mais en réalité, les auto-entrepreneurs, les indépendants et les Nouvelles Technologies ne peuvent pas ramener au plein emploi, le nombre de créations d’emplois de ce type étant beaucoup trop faible. Le retour au plein emploi dépend en réalité de la capacité à créer des emplois salariés pour les chômeurs peu qualifiés dans les services peu sophistiqués (distribution, services à la personne, restaurants-loisirs…)! (Réd. A l’Encontre)

    http://alencontre.org/moyenorient/tunisie/tunisie-la-necessite-dune-mobilisation-citoyenne.html

  • Rassemblement en solidarité avec le peuple tunisien (Essf)

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    Solidarité avec le peuple tunisien

    En lutte pour la dignité, la justice sociale et le développement régional

    Cinq ans après la révolution, Kasserine puis plusieurs autres villes de Tunisie se soulèvent de nouveau pour leurs droits économiques et sociaux bafoués.

    La mort du jeune diplômé chômeur Ridha Yahiaoui, électrocuté alors qu’il réclamait son droit à l’emploi, souligne, de manière dramatique, que les acquis restent en deçà des attentes légitimes des populations marginalisées qui réclament travail, dignité et liberté.

    Les mesures d’urgence, décidées à la hâte par l’actuel gouvernement tunisien, masquent mal son échec et celui des gouvernements successifs à s’attaquer prioritairement aux urgences économiques et sociales et à répondre aux exigences du développement des droits économiques et sociaux des plus défavorisés.

    Le spectacle donné par les partis politiques au pouvoir, embourbés dans des querelles partisanes, ne fait que renforcer l’ampleur des mouvements déclenchés à Kasserine et qui s’étendent à de nombreuses villes et régions du pays, mouvements souvent criminalisés par les gouvernements successifs.

    Partant de ce constat, les associations, partis politiques et militants de l’immigration tunisienne en France :

    - présentent leurs condoléances à la famille du jeune Ridha Yahiaoui et leur compassion aux blessés

    - exigent l’ouverture d’une enquête sérieuse sur la manipulation de la liste des dossiers prioritaires pour une embauche dans la fonction publique et des sanctions contre les tricheurs et corrompus,

    - se déclarent totalement solidaires avec toutes celles et ceux qui, par des moyens pacifiques, militent pour leurs droits légitimes au travail, à la dignité et à la liberté,

    - expriment leur solidarité avec les populations des régions déshéritées, hauts lieux de la révolution tunisienne, qui luttent contre le laxisme du pouvoir dans la mise en place des projets de développement et l’absence de vision stratégique pour l’emploi et la lutte contre la corruption.

    - mettent le gouvernement en garde contre les graves conséquences et les risques de dérapage et de récupération par des groupes terroristes ou malfrats.

    - déclarent la création du « comité de suivi des luttes sociales en Tunisie »

    Paris, le 21/01/2016

    Le comité de suivi des luttes sociales en Tunisie appelle à :

    Rassemblement samedi 23 janvier 2016 à 15H00

    Place de la République

    Métro République, Lignes 3, 5, 8 et 11

    Premiers signataires :

    Associations : ADTF – AIDDA – AMF – ATF – ATMF – CFT – Collectif3C – Collectif Algérien, Agir pour le Changement Démocratique en Algérie – CRLDHT – FTCR – Forum Permanent de Solidarité active – MCTF – REMCC – Tunisie Plurielle – UTIT – Vérité et Justice pour Farhat Hached.

    Partis politiques : Front Populaire/France – Al Massar/France - Al Joumhouri/France – Ettakatol/France.

    Soutiens : Coopérative Economique Ecologique Sociale Aussi – Ensemble ! – LDH – MRAP – NPA – PCF – Réseau Euroméditerranéen France – Union Syndicale Solidaires.

    Les personnalités : Khaled Abichou – Mourad Allal – Tewfik Allal – Hédi Chenchebi – Mohsen Dridi – Hassen Slama.

    Contact : mstunisie2016@gmail.com

    jeudi 21 janvier 2016

    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37022

  • Tunisie: La contestation sociale était prévisible car "la population ne peut plus patienter" (Al Huff')

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    Chercheur pour le centre Carnegie, Hamza Meddeb, dit ne pas être "étonné" par la vague de contestation sociale qui a éclaté dans les régions défavorisées de Tunisie, soulignant que la population "ne peut plus patienter" face à l'absence de changements depuis la révolution.

    Face à "l'inertie" des pouvoirs publics, "le pays s'embourbe dans une crise sociale" qui "risque de déstabiliser l'expérience démocratique" née du renversement du régime de Zine el Abidine Ben Ali en 2011, prévient M. Meddeb, co-auteur de l' ouvrage "L'Etat d'injustice au Maghreb. Maroc, Tunisie".

    Êtes-vous surpris par cette explosion de la contestation?

    Hamza Meddeb: "J'étais encore à Kasserine (d'où sont parties les manifestations, ndlr) il y a deux mois et tout cela ne m'étonne pas. La situation est désastreuse, rien n'a changé depuis cinq ans. (...) On a de nouvelles générations qui constatent ça. C'est un problème d'injustice sociale et de corruption.

    Il y a beaucoup de corruption dans l'administration, en particulier locale. Beaucoup de clientélisme. Tout cela fait exploser la colère. Les manifestations ont pris et la flamme s'est propagée".

    Les premières annonces du gouvernement sont-elles suffisantes?

    "Le gouvernement a annoncé des mesures sur l'embauche à Kasserine, dans le but de désamorcer la colère. Mais celle-ci s'est au contraire propagée. Ce sont des mesures à double tranchant.

    Ce qu'a eu Kasserine, tout le monde veut l'avoir à présent! Les revendications commencent à gagner beaucoup de régions. Ces petites mesures sont contre-productives et montrent que le gouvernement n'a pas vraiment de plan stratégique, et qu'on est dans une politique à courte vue. Ça fait un an qu'il est en place et rien de concret n'a été fait. Ça lui explose à la figure".

    Faut-il alors craindre une dégradation?

    "Il me semble qu'on va vers un enlisement de la situation. Les mesures destinées à désamorcer la crise l'alimentent au contraire, et le pays s'embourbe dans la crise. Le malaise social risque de déstabiliser l'expérience démocratique. En Tunisie, il n'y a pas vraiment de mécanisme de régulation des crises sociales, c'est un système politique extrêmement fragile.

    Dans le même temps, on a une administration très bureaucratique. Il faut mesurer son inertie. On a par exemple 1,4 milliard de dollars pour les infrastructures qui sont bloqués. Ça n'est pas un problème de financement mais d'exécution.

    On a des nominations (dans l'administration locale) de responsables qui étaient en charge sous Ben Ali. On ne répond pas aux besoins de développement avec les pratiques d'un autre temps. La bureaucratie ne peut pas continuer à fonctionner comme sous Ben Ali. La population a patienté pendant cinq ans. Elle ne peut plus patienter".  

    LIRE AUSSI:

    http://www.huffpostmaghreb.com/2016/01/21/tunisie-contestation-soci_n_9041210.html?utm_hp_ref=maghreb

  • Tunisie: La colère montre contre le chômage (Afriques en lutte)

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    La police tunisienne a fait usage de grenades lacrymogènes mardi pour disperser plusieurs centaines de demandeurs d’emploi qui s’étaient rassemblés dans au moins quatre villes du pays pour réclamer du travail, deux jours après le suicide d’un jeune chômeur, rapportent des témoins.

    Le ministère de l’Intérieur a annoncé l’instauration d’un couvre-feu nocturne à Kasserine, la ville où Ridha Yahyaoui s’est donné la mort et où a eu lieu la première manifestation. Mais des incidents se sont poursuivis au cours de la nuit et se sont étendus aux villes de Tahla, Fernana et Meknassi, a rapporté l’agence de presse TAP.

    Les manifestants ont défilé aux cris de « Travail, liberté, dignité », selon un habitant. A Meknassi, des groupes de jeunes gens sont descendus dans les rues et ont incendié des pneus par solidarité avec les manifestants de Kasserine, a déclaré Mahdi Horchani, un habitant.

    La « révolution de jasmin », qui a donné le coup d’envoi du printemps arabe, était partie des émeutes ayant suivi la mort, le 4 janvier 2011, de Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant qui s’était immolé par le feu à Sidi Bouzid.

    Plusieurs des chômeurs rassemblés mardi à Kasserine ont menacé de se suicider deux jours après Ridha Yahyaoui, qui, selon des témoins, a mis fin à ses jours faute d’avoir pu obtenir un emploi dans la fonction publique.

    Malgré la révolution, le chômage est passé de 12 à 15,3% entre 2010 et la fin 2015, alors qu’un tiers des demandeurs d’emplois possèdent des diplômes universitaires.

    A Kasserine, chef-lieu d’une des régions les plus défavorisées de Tunisie, les chômeurs représentent environ 30% de la population active.

    Source : Reuters 21 janvier 2016 

    http://www.afriquesenlutte.org/afrique-du-nord/tunisie/article/tunisie-la-colere-montre-contre-le

     

  • La Tunisie est-elle le modèle pour les droits des femmes qu’elle prétend être ? (Amnesty)

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    Analyse des progrès de la Tunisie en matière de droits des femmes avant et après la « Révolution du Jasmin ».

    Le 14 janvier marque le cinquième anniversaire de la date à laquelle les Tunisiens ont évincé le président Ben Ali. En plus des appels à la liberté, à la dignité et à de meilleures conditions de vie, le soulèvement tunisien a apporté l’espoir de voir les droits des 5,5 millions de femmes en Tunisie renforcés. La Tunisie est connue pour être un exemple en matière de droits des femmes dans le monde arabe. Mais cette réputation résiste-t-elle à un examen approfondi de la situation ?

    Voici un récapitulatif des progrès de la Tunisie jusqu’à maintenant.

    Droit de vote ? Oui

    Les femmes ont acquis le droit de vote en Tunisie en 1957, un an après l’indépendance du pays par rapport à la France. Bien que la France ait introduit le droit de vote pour les femmes en 1944, elle n’avait pas étendu ce droit à la Tunisie, contrôlée par la France depuis 1881.

    Conditions permettant à davantage de femmes de se porter candidates en politique ? Oui

    Les femmes peuvent être candidates aux postes au gouvernement depuis 1959 en Tunisie. Cependant, plus de 20 ans se sont écoulés avant qu’une femme ne soit élue : en 1983, Fethia Mzali a été nommée ministre de la Famille et de la Promotion de la femme, devenant ainsi la première femme à obtenir un poste politique en Tunisie. Le pays a introduit des quotas volontaires de femmes pour les listes électorales des partis politiques en 1999.

    Ces quotas sont devenus une obligation légale en 2011. Lors des élections parlementaires d’octobre 2014, les femmes ont obtenu 30 % des sièges (soit plus qu’au Royaume-Uni, en France et au Congrès des États-Unis). C’est également en 2014 qu’une femme s’est présentée aux élections présidentielles pour la première fois en Tunisie. 

    Représentation des femmes dans les professions traditionnellement dominées par les hommes ? Oui... et non

    En 2010, 33 % des juges et 42,5 % des avocats en Tunisie étaient des femmes. En 2013, les femmes représentaient 30 % des ingénieurs et en 2014, elles représentaient 42 % des médecins. Bien que le taux d’alphabétisation des femmes soit plus élevé que celui des hommes, et bien que beaucoup plus de femmes obtiennent un diplôme universitaire, le nombre de femmes sur le marché du travail reste inférieur au nombre d’hommes. De plus, les femmes n’occupent que trois postes politiques sur 30.

    Accès à l’avortement ? Oui... et non

    La Tunisie a introduit le droit à l’avortement sur demande (le droit de demander et de se voir accorder un avortement sans délai) dans les trois premiers mois de grossesse en 1973, soit deux ans avant la France. L’avortement sur demande pendant le premier trimestre était autorisé pour les femmes ayant cinq enfants ou plus depuis 1965. La libre contraception a été introduite en 1973.

    Cependant, des données tendent à prouver que les femmes non mariées se voient souvent refuser le droit à un avortement sous le prétexte fallacieux que l’accord du père est nécessaire. Même des femmes mariées ont été dissuadées de mettre fin à leur grossesse par le personnel de cliniques publiques prétendant que l’avortement est immoral ou repoussant délibérant l’avortement jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour le pratiquer.

    Droit au mariage ? Oui... et non

    Les femmes et les hommes ont des droits égaux en ce qui concerne le mariage, le divorce et la propriété. Les hommes ne peuvent plus divorcer de leur femme sans passer par un tribunal. Grâce aux efforts des groupes de défense des droits des femmes dans le pays et aux changements apportés à la loi en 1993, les femmes mariées ne sont plus forcées d’« obéir » à leur mari.

    Cependant, le mari est toujours considéré comme le chef de famille et doit toujours subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants du mieux qu’il le peut. Les époux doivent remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et aux traditions, lesquels sont ancrés dans des attitudes et des convictions qui portent préjudice aux femmes. Une récente étude gouvernementale a montré que les femmes passent huit fois plus de temps à effectuer des tâches ménagères que les hommes, y compris à s’occuper des enfants et des personnes âgées.

    Protection des femmes contre la violence familiale ? Non

    La violence contre les femmes, particulièrement dans le cadre de la famille, reste un grave problème en Tunisie. Selon un sondage effectué par le gouvernement en 2010, 47,6 % des femmes interrogées avaient été victimes d’une forme de violence au moins une fois dans leur vie. Parmi celles-ci, un peu moins d’un tiers avaient été victimes de violence physique, 28,9 % de violence psychologique et 15,7 % de violence sexuelle. La grande majorité de celles qui avaient été victimes de violence sexuelle (78,2 %) ont déclaré que leur partenaire intime en avait été l’auteur.

    Bien que la violence familiale soit reconnue comme un crime, plus de la moitié des personnes qui en ont été victimes déclarent qu’elles ne l’ont pas signalé à la police ou à quiconque car il s’agit de « faits habituels qui ne valent pas la peine d’être discutés ». D’autres ont déclaré ne pas vouloir faire honte à leur famille.

    Celles qui signalent des violences déclarent souvent que la police les dissuade de porter plainte en leur disant de penser d’abord au bien-être de leurs enfants et ne pas briser la famille. L’hébergement d’urgence et les foyers pour les victimes de violences familiales sont rares, ce qui empêche ces femmes de chercher à obtenir justice car elles n’ont nulle part où se réfugier.

    Protection des droits des femmes par la loi ? Non

    Bien que la Constitution tunisienne de 2014 protège les progrès réalisés par les mouvements de défense des droits des femmes et garantisse le principe d’égalité et de non-discrimination, des lois discriminatoires à l’égard des femmes continuent de poser un problème. Le Code pénal classe la violence sexuelle comme une attaque contre la décence d’une personne, en mettant l’accent sur les notions d’« honneur » et de « moralité ». Le viol est mal défini et le viol conjugal n’est même pas reconnu. Selon le Code du statut personnel tunisien, un mari ne peut pas avoir de relation sexuelle avec sa femme tant qu’il n’a pas payé une dot. Cela implique qu’une fois qu’il l’a payée, il est autorisé à avoir des relations sexuelles avec elle quand il veut.

    De nombreuses femmes avec qui Amnesty s’est entretenue ont déclaré n’avoir jamais refusé de rapport sexuel avec leur mari, parce qu’elles ne pensaient pas avoir le droit. De plus, un vide juridique dans la loi tunisienne permet toujours aux violeurs d’échapper à leur condamnation s’ils épousent leur victime adolescente. Bien que cela ne soit possible que si la jeune fille accepte, la liberté qui entoure cet accord reste discutable.

    La Tunisie est-elle donc le modèle qu’elle prétend être pour les droits des femmes ? Pas encore. Mais après avoir fait tant de progrès impressionnants, le pays met ses propres efforts en danger en hésitant à régler ces derniers obstacles qui représentent pourtant beaucoup.

    L’histoire est largement à la portée de la Tunisie. Appelons ses dirigeants à la prendre en main.

     Shiromi Pinto,

    https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2016/01/is-tunisia-the-beacon-of-womens-rights-it-claims-to-be/

  • Tunisie. Des actes de torture et décès survenus en détention font craindre un recul des gains obtenus après le soulèvement (Amnesty)

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    De nouveaux éléments recueillis par Amnesty International, faisant état de cas de torture et de morts en détention, semblent indiquer la reprise d’une répression brutale, cinq ans après le renversement du précédent régime autoritaire par la « révolution de jasmin », point de départ d’une vague de soulèvements à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

    Lors d’une mission en Tunisie en décembre 2015, des représentants d’Amnesty International ont recensé plusieurs décès en garde à vue, ainsi que des allégations de torture durant des interrogatoires de police.

    « Il y a cinq ans, les Tunisiens se sont soulevés et ont rejeté les entraves de l’autoritarisme. Le régime de l’ancien président Ben Ali reposait notamment sur la torture et la répression ; celles-ci ne doivent pas devenir des caractéristiques de la Tunisie de l’après-soulèvement », a déclaré Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

    Selon des informations reçues par l’organisation, au moins six décès sont survenus en détention depuis 2011 dans des circonstances n’ayant pas donné lieu à de véritables enquêtes, ou n’ayant pas débouché sur des poursuites pénales lorsque des enquêtes ont eu lieu.

    Sofiene Dridi a été arrêté à son arrivée à l’aéroport de Tunis le 11 septembre 2015, après avoir été expulsé par la Suisse. En 2011, les autorités tunisiennes avaient émis un mandat d’arrêt contre lui pour agression violente.

    Sofiene Dridi a comparu le 15 septembre en bonne santé et a été transféré à la prison de Mornaguia après l’audience. Le 18 septembre, sa famille a été informée qu’il avait été conduit à l’hôpital. Ses proches lui ont voulu lui rendre visite mais le personnel médical a affirmé ne rien savoir. Lorsqu’ils se sont adressés au tribunal pour essayer d’obtenir de plus amples informations, on leur a dit qu’il était mort d’un arrêt cardiaque. Après avoir vu son corps à la morgue, ses proches ont signalé que son visage et son corps présentaient des hématomes. Son certificat de décès était daté du 17 septembre. À ce jour, sa famille attend encore de connaître tous les détails relatifs à la cause de sa mort.

    Amnesty International a par ailleurs reçu des informations sur des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements infligés à des personnes, y compris des femmes, incarcérées l’an dernier après leur arrestation sur la base d’accusations de terrorisme.

    D’après certains témoignages, des détenus ont été soumis à des décharges électriques, notamment sur les parties génitales, et ont été maintenus dans la position douloureuse dite du « poulet rôti », dans laquelle poignets et chevilles sont attachés à un bâton. Certains ont également été giflés ou forcés à se déshabiller, et leurs geôliers ont proféré des menaces contre leur famille afin de les forcer à signer de faux aveux.

    Amnesty International demande que l’ensemble de ces allégations fassent l’objet d’enquêtes indépendantes, que les résultats de celles-ci soient rendus publics, et que lorsqu’il existe suffisamment d’éléments à charge recevables contre une personne, celle-ci soit poursuivie. Dans les cas de mort en détention, l’enquête doit inclure une autopsie réalisée en bonne et due forme par un médecin légiste indépendant et impartial.

    « Trop peu a été fait pour réformer les forces de sécurité et pour amener les auteurs présumés de ces actes à rendre des comptes », a déclaré Said Boumedouha.

    « S’il est compréhensible que la sécurité est une priorité pour le gouvernement, compte tenu des attaques ayant ébranlé la Tunisie ces 12 derniers mois, il ne faut pas l’utiliser comme prétexte à un retour en arrière sur les modestes avancées obtenues sur le terrain des droits humains depuis le soulèvement. »

    Ces cinq dernières années, les Tunisiens ont adopté une nouvelle constitution comportant d’importantes garanties en matière de droits humains, ratifié des traités internationaux cruciaux pour la protection de ces droits, et organisé des élections présidentielles et législatives, tandis que les groupes de la société civile n’ont eu de cesse de se renforcer, après des années de répression sous le régime Ben Ali.

    Pourtant, au cours de l’année écoulée, les autorités ont adopté au nom de la sécurité une série de mesures inquiétantes qui pourraient mettre ces progrès en péril.

    Une nouvelle loi de lutte contre le terrorisme adoptée par le Parlement en juillet 2015 donne une définition trop large du terrorisme. Elle donne aux forces de sécurité des pouvoirs de surveillance très étendus, et a prolongé la période durant laquelle les forces de sécurité peuvent maintenir des suspects en détention au secret, la faisant passer de six à 15 jours, ce qui augmente considérablement le risque de torture.

    En novembre dernier, l’état d’urgence a été décrété pour la deuxième fois en 2015, après une attaque meurtrière contre des membres de la garde présidentielle à Tunis. C’est dans ce cadre que les autorités ont mené des milliers de descentes et d’arrestations, et placé des centaines d’autres personnes en résidence surveillée.

    Des parents de personnes recherchées pour terrorisme ont parlé à Amnesty International du harcèlement constant que leur font subir les forces de sécurité. Un homme de 65 ans dont le fils est un fugitif recherché sur la base d’accusations de terrorisme a déclaré que des membres des forces de sécurité enfoncent les portes du domicile familial presque toutes les nuits. Il a expliqué à quel point ces irruptions sont effrayantes pour les occupants de la maison, qui incluent ses deux autres fils, dont l’un présente des troubles mentaux, et deux petits-enfants en bas âge. Il a ajouté que des membres de la famille ont été convoqués à plusieurs reprises pour répondre à des questions, et que ses deux autres fils ont été frappés par des policiers lors de leurs interrogatoires.

    D’autres personnes ont parlé à Amnesty International de visites quotidiennes de policiers qui enfoncent des portes, volent parfois des effets personnels, et compliquent le quotidien de membres de ces familles qui travaillent et veulent une vie normale.

    Des personnes ont également indiqué avoir été abordées à maintes reprises par des policiers dans la rue. Un homme a dit avoir été questionné et arrêté plusieurs fois à cause de sa barbe. À une occasion il a été forcé à descendre d’un bus et interrogé au sujet de ses convictions et pratiques religieuses.

    Des lois limitant de manière arbitraire la liberté d’expression sont toujours en vigueur en Tunisie, et des personnes formulant des critiques - en particulier contre les forces de sécurité - sont poursuivies pour diffamation et « atteinte à la pudeur ». Les médias indépendants sont visés par des restrictions au titre de la nouvelle législation contre le terrorisme. Des journalistes couvrant des manifestations ou les répercussions des attentats se sont par ailleurs heurtés à des réactions violentes de la part de membres des forces de sécurité. En novembre, le ministère tunisien de la Justice a diffusé une déclaration selon laquelle les journalistes risqueraient des poursuites s’ils compromettaient les efforts du pays visant à combattre le terrorisme.

    Des organisations des droits humains et des avocats ont eux aussi essuyé des attaques pour avoir défendu les droits de suspects de terrorisme, et sont présentés comme des obstacles à la lutte contre le terrorisme dans le débat public, qui oppose de manière erronée les droits humains et la sécurité.

    « Les avancées tunisiennes en matière de droits humains paraissent de plus en plus ténues face à ces mesures rétrogrades », a déclaré Said Boumedouha. « Il existe un risque réel que cette réaction violente mal avisée ne fasse régresser la Tunisie jusqu’au point où elle se trouvait il y a cinq ans. »

    Complément d’information

    En 2011, Amnesty International a attiré l’attention sur les domaines nécessitant une réforme urgente en Tunisie. Ces réformes essentielles n’ont à ce jour pas encore été introduites. Si la Tunisie a adopté plusieurs nouvelles lois, notamment sur la torture et les médias, certains textes répressifs restent inchangés et permettent que des violations continuent à être commises. Les auteurs d’homicides illégaux de manifestants en réaction au soulèvement de 2011 n’ont pas suffisamment été amenés à rendre des comptes, et les autorités ont manqué à leur devoir de réformer les forces de police et de sécurité. Des actes de torture, en particulier en détention provisoire et durant les interrogatoires, continuent donc à être signalés et les juges et procureurs ne font pas grand chose pour obliger les autorités à répondre d’accusations de torture et d’agressions sur des manifestants et des journalistes. Les efforts en matière de justice de transition sont lents et entachés d’irrégularités. Les femmes continuent à se trouver en butte à la discrimination, dans la législation et dans la pratique, et les autorités ne les protègent pas suffisamment contre les violences liées au genre. Les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées sont privés de certains droits fondamentaux. 14 janvier 2016

    https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/01/tunisia-evidence-of-torture-and-deaths-in-custody/

  • Cinq ans après l’insurrection révolutionnaire en Tunisie, la dette léguée par Ben Ali ne doit plus être payée (Afriques en Lutt)

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    À l’occasion du cinquième anniversaire de la chute de Ben Ali, le réseau CADTM réaffirme son soutien au peuple tunisien toujours en lutte pour le respect de ses droits et dénonce la mainmise du FMI et de l’Union européenne qui continuent d’étrangler la Tunisie avec la dette. L’année 2016 sera décisive dans le combat pour l’annulation de la dette odieuse puisqu’une Commission d’audit de la dette pourrait être créée en Tunisie.

    Il y a tout juste cinq ans, le 14 janvier 2011, Ben Ali était chassé du pouvoir par le peuple tunisien. Les puissantes mobilisations qui ont démarré dans les régions de l’intérieur du pays ont, à la fois, provoqué la fuite de ce dictateur et ouvert la voie à d’autres soulèvements populaires dans d’autres pays de la région et même sur les autres continents, donnant notamment naissance au mouvement des « Indignés ».

    Grâce à ces luttes, le peuple tunisien a arraché plusieurs libertés fondamentales dont la liberté d’expression. Les partis politiques réprimés par la dictature sont sortis de la clandestinité, de vraies élections ont été organisées, une nouvelle Constitution a vu le jour, etc.

    Mais sur le plan social et économique, la politique est la même que celle menée par Ben Ali. Elle reste dictée par les Institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI en tête) épaulées par l’Union européenne. Sous couvert d’ « aide » à la Tunisie, ces créanciers extérieurs ont aggravé en réalité le poids de la dette et les inégalités en augmentant leurs prêts toxiques. Ces prêts sont débloqués par tranche en fonction de la bonne application par le gouvernement de mesures dictées par les créanciers. Au menu : gel du recrutement dans la fonction et les entreprises publiques, baisse de l’impôt sur les revenus des sociétés |1|, augmentation de l’impôt sur les revenus du travail entraînant une baisse conséquente du pouvoir d’achat des travailleurs et une montée en flèche de la pauvreté |2|, renflouement des banques, adoption d’une nouvelle loi sur le partenariat public-privé et remboursement intégral des dettes léguées par Ben Ali, malgré l’urgence sociale et le nature odieuse de ces dettes. Le service de la dette (5130 millions de dinars tunisiens soit 2,13 milliards d’euros) représente en 2016 l’équivalent des dix budgets suivants cumulés : santé, affaires sociales, emploi et formation professionnelle, développement, environnement, transport, enseignement supérieur et recherche scientifique, culture, affaires sociales et tourisme.

    Depuis le 14 janvier 2011, l’objectif des créanciers est clair : garder leur contrôle sur la Tunisie en utilisant l’arme de la dette et en plaçant leurs disciples aux postes clés. Rappelons que moins d’une semaine après la chute de Ben Ali, le nouveau gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Nabli, fraîchement débarqué de Washington où il officiait comme économiste en chef du département du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord de la Banque mondiale, déclarait dans sa première conférence de presse datée du 22 janvier 2011 que « La Tunisie remboursera ses dettes dans les délais |3| ».

    C’est ce qui s’est effectivement passé puisque la dette tunisienne à été payée dans les délais avec l’argent des nouveaux emprunts. 82% des nouveaux prêts contractés entre 2011 et 2016 ont ainsi servi à payer la dette contractée par le régime de Ben Ali, entraînant le doublement, en 5 ans, de l’encours de la dette publique qui est passé de 25 milliards de dinars (soit 11,2 milliards d’euros) à 50,3 milliards de dinars (22,6 milliards d’euros).

    Pour les créanciers, le peuple tunisien aurait donc le droit de se débarrasser du dictateur mais pas de la dette qu’il a contracté. Ce qui constitue une violation flagrante du droit international. Comme l’indique explicitement la doctrine classique de la dette odieuse de 1927 : « Si un pouvoir despotique contracte une dette, non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’État entier (…). Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir |4| ».

    Malgré l’existence de cette doctrine de droit international et les résolutions prises par le Parlement européen en 2012 et le Parlement belge en 2011 qualifiant explicitement la dette tunisienne d’ « odieuse », aucun acte concret n’a encore été posé.

    Mais l’année 2016 pourrait changer la donne puisqu’une proposition de loi tunisienne instituant une commission d’audit, s’inspirant des exemples équatorien et grec, sera déposée très prochainement à l’Assemblée des représentants du peuple par le groupe parlementaire du Front populaire (une coalition de partis politiques tunisiens). L’objectif est d’examiner tous les contrats des prêts depuis juillet 1986, date du premier programme d’ajustement structurel conclu avec le FMI et la Banque mondiale.

    Les audits de la dette sont des armes stratégiques entre les mains des débiteurs pour construire un rapport de force politique face aux créanciers en justifiant le non-paiement des dettes odieuses, illégales, illégitimes et insoutenables. Pour construire ce rapport de force politique, la population doit être associée à la réalisation de cet audit et à la diffusion de ses résultats. Les rouages de la dette doivent pouvoir être vulgarisés pour permettre à l’ensemble de la population de comprendre les enjeux autour de la lutte contre la « dictature de la dette » et se mobiliser dans la rue contre ce système. Il est dès lors essentiel de faire les liens entre la dette et les préoccupations sociales quotidiennes de la population. C’est l’objectif premier de la campagne « Droit de savoir la vérité sur la dette de la dictature. Auditons la dette, donnons une chance à la Tunisie » lancée en décembre dernier à Tunis par le Front populaire et l’association RAID (membre des réseaux CADTM et ATTAC), qui s’attache aussi à faire le lien entre la dette et les luttes en cours.

    Cinq ans après la victoire éclatante du 14 janvier, le peuple tunisien reste, en effet, fortement mobilisé. Les mobilisations sociales ont même atteint une ampleur sans précédent en 2015 touchant de nombreux secteurs : enseignement, transport en commun, chômeurs, entreprises du secteur public, du secteur privé (grandes distribution, industrie alimentaire, tourisme), lutte des diplômés chômeurs, etc. Le 12 septembre 2015, la population a même bravé l’état d’urgence décrété par le gouvernement en manifestant dans plusieurs villes de Tunisie contre le projet de loi dit de « réconciliation économique » qui vise à amnistier les corrompus du régime de Ben Ali. Effet boomerang, le succès de ces manifestations a permis la levée de l’état d’urgence quelques jours après |5|.

    Pour l’année 2016, le réseau CADTM continuera à soutenir les mobilisations sociales en Tunisie et se tient prêt à apporter son aide pour l’audit de la dette.

    Communiqué du réseau international CADTM

    http://www.afriquesenlutte.org/communiques-luttes-et-debats/article/cinq-ans-apres-l-insurrection

  • Tunisie. Cinq ans après le 14 janvier 2011 (Al'Encontre.ch)

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    Entretien avec Fathi Chamkhi conduit par Dominique Lerouge

    Janvier 2011 avait vu se lever un immense espoir dans la région arabe. Cinq ans plus tard, la contre-révolution y a incontestablement marqué des points dans nombre de pays. C’est dans ce cadre que se situe l’entretien de Fathi Chamkhi dont des extraits sont présentés ci-dessous. Militant de la LGO (Ligue de la Gauche ouvrière), Fathi est un des dirigeants et députés du Front populaire qui regroupe l’essentiel des partis de gauche, d’extrême gauche et nationalistes arabes [1].

    Quel est à ton avis le changement le plus important depuis 2011?

    Le changement le plus important, ce sont les Tunisiens et Tunisiennes eux-mêmes et elles-mêmes. Aujourd’hui, la peur existant pendant plus de 50 ans de pouvoir despotique a en grande partie disparu. Les Tunisiens ont cessé de se taire. Ils n’hésitent pas à faire grève et à descendre dans la rue. Pas un jour ne se passe sans qu’on enregistre une mobilisation sociale ou politique.

    Même si des reculs ont lieu, il n’y a pas de restauration de «l’ordre» ancien. La situation politique demeure instable.

    Qu’est-ce qui a changé dans les conditions de l’action politique?

    Le pouvoir n’arrive toujours pas à dominer la société. Il n’arrive pas à mettre en application les diktats du FMI, de la Banque mondiale et de la Commission européenne, parce qu’une résistance diffuse existe partout.

    Même s’il a beaucoup régressé depuis son échec au pouvoir en 2012-2013, Ennahdha demeure le deuxième parti. Il participe à nouveau au gouvernement depuis le début 2015.
    [Nidaa Tounes a placé Beji Caïd Essebsi (BCE) à la place de président, en décembre 2014. Toutefois, les nouvelles démissions de deux parlementaires de Nidaa Tounes – Houda Slim et Rabha Belhassine – aboutissent à un total de démission de 21 membres au cours des derniers mois. D’autres semblent devoir suivre, en réaction à la «politique d’exclusion» qui impose la «politique du fait accompli». La question de la «stabilité gouvernementale» ou de réorganisation des relations conjointes entre Nidaa Tounes et Ennahdha, qui est en lien avec l’annonce des contre-réformes par BCE, laisse profiler des réactions sociales, aussi bien par les travailleurs que les jeunes chômeurs et chômeuses. A cela s’ajoute le rôle de l’aile islamiste radicale qui recrute dans un secteur de jeunes laissés à la dérive sociale et politique, entre autres dans les régions périphériques dans lesquelles les attentes de 2011 (et d’avant 2011) sont déçues. En outre, des alliances «croisées» s’effectuent dans ce champ politique. – Réd. A l’Encontre]

    Autour d’Ennahdha gravite une nébuleuse salafiste souvent liée au terrorisme.

    Les organisations de gauche, d’extrême-gauche, ainsi que les nationalistes arabes, ont maintenant une existence légale. L’essentiel d’entre elles sont organisées dans un front et sont présentes au Parlement.

    Qu’est-ce qui a changé dans la structuration du champ politique?

    Dans la période post-coloniale, la Tunisie a été gouvernée par un seul parti politique, avec des évolutions dans sa gestion sous Ben Ali. La révolution a mis fin à cette situation. Aujourd’hui aucun parti ne peut gouverner à lui seul le pays, comme l’ont démontré les élections de 2011 et 2014. Aucun parti n’a en effet la majorité pour gouverner. Je pense que l’on est définitivement débarrassé d’un système avec un parti unique pouvant gouverner seul, et c’est un changement important.

    Sur les cinq dernières années, deux ténors importants ont émergé :
    •Rached Ghannoucchi, leader du parti islamiste Ennahdha,
    •Béji Caïd Essebsi (BCE), fondateur de Nidaa Tounes, et président de la République depuis fin 2014.

    Ces cinq dernières années ont été placées sous le signe de ce binôme, et on s’est acheminé vers une forme de pouvoir reposant sur ces deux partis, l’un se réclamant de l’islamisme et l’autre du «modernisme». La fraction majoritaire de Nidaa, menée par Essebsi, a très clairement fait alliance avec Ennahdha.

    Mais même en s’unissant, les deux premiers partis ne parviennent pas à gouverner. Et il en va de même pour les quatre partis [le CPR de Marzouki à qui avait été accordée la présidence de la République, Ettakatol – section tunisienne de l’Internationale socialiste –, dirigé par Ben Jafaar, à qui avait été attribuée la présidence de l’Assemblée constituante] composant le gouvernement actuel, alors qu’ils ont ensemble plus de 80% des députés.

    Simultanément, le mouvement «progressiste», la gauche, et plus particulièrement l’extrême-gauche, apparaissent comme désarmés face à la situation. Désarmés politiquement, incapables de convaincre et de gagner la confiance des classes populaires, comme on l’a vu au niveau électoral. Et cela aussi pendant les journées révolutionnaires que par la suite.

    Qu’est-ce qui a changé au cœur de l’appareil d’Etat?

    Du temps de Ben Ali, le rôle de l’armée était faible, et elle n’avait pas de rôle politique. Et c’est toujours le cas aujourd’hui. L’armée reste toujours en dehors du jeu politique, et c’est très bien ainsi. C’est très différent de l’Egypte et de l’Algérie.

    Début 2011, elle n’a pas été utilisée pour mâter la révolution, mais pour garder les bâtiments, les banques, etc. Ensuite, elle a été largement utilisée contre les groupes terroristes, surtout dans les zones montagneuses. Les militaires n’ont jamais autant travaillé.

    En ce qui concerne la police, il y a plusieurs choses nouvelles:

    • Du temps de Ben Ali, c’était l’outil de surveillance de l’opposition et d’encadrement de toute la société. Ce rôle a été beaucoup réduit.
    • La seconde chose digne d’intérêt est l’infiltration des islamistes qui ont profité de leur passage au pouvoir en 2012-2013 pour s’implanter, et disposer de leurs propres hommes.
    • La troisième est qu’avec la dissolution du RCD (le parti de Ben Ali), nombre de ses anciens membres et cadres ont adhéré à Ennahdha, ou peuvent être considérés comme faisant partie de leurs réseaux.

    Une rupture a-t-elle eu lieu avec la politique néolibérale de Ben Ali?

    Ce cap dicté par le FMI, la Banque mondiale et la Commission européenne a été conservé. Il a même été aggravé avec «l’Accord de libre-échange complet et élargi» (ALECA).

    Le FMI dit et redit qu’il faut geler les salaires, mais la combativité syndicale impose de façon continuelle des réajustements salariaux à la hausse, à la grande fureur de Christine Lagarde.

    Que sont devenus les corrompus de l’ère Ben Ali ?

    Tout d’abord, il existe plusieurs catégories de corrompus :

    • Tout en haut, ceux du clan Ben Ali-Trabelsi qui ont pris la fuite et vivent en exil.
    • En dessous, on trouve 400 à 500 «hommes d’affaires» qui sont allés en prison ou ont été interdits de quitter le territoire national. Mais leur nombre a été réduit à une centaine par la suite, puis à presque rien aujourd’hui. Beaucoup d’avoirs et de biens restent confisqués, mais leur nombre est en régression.
    • Pire encore, avec son projet de loi de «réconciliation», le président de la République (ECB) voulait parvenir à une amnistie générale. Mais les mobilisations l’ont contraint à faire marche arrière

    Néanmoins, les tenants de la réconciliation totale avec les corrompus de l’ancien régime ne désarment pas.

    Comment a évolué la situation économique et sociale pour la majorité de la population?

    Il est difficile, voire impossible de constater la moindre amélioration dans le domaine économique, social et écologique. Au contraire, c’est le recul à tous les niveaux.

    Celui-ci a été particulièrement marqué en 2015 où la croissance attendue est aux alentours de zéro.

    Tous les principaux indicateurs économiques sont en net recul :
    • l’épargne est à son plus bas niveau historique;
    • l’investissement local (privé et public) est en net recul;
    • le déficit budgétaire atteint des records;
    • les exportations sont en berne;
    • l’inflation se maintient à niveau élevé d’environ 5 % (bien plus élevé sur les biens de premières nécessité).

    La dette publique était de 25 milliards de dinars en 2010, elle est de 50,3 milliards actuellement. Le remboursement de la dette est la ligne budgétaire la plus importante. Il représente 18% du budget de l’Etat.

    Le 6 janvier 2016, la Commission des finances de l’Assemblé a débattu de deux nouveaux emprunts :

    • Le premier d’entre eux est un emprunt obligataire sur le marché financier américain pour un milliard de dollars à un taux de 5,75%, remboursable d’un seul coup au bout de dix ans, à un taux cumulé très élevé (59%).
    • Le second emprunt est de 50 milliards de yens sur le marché japonais, remboursable aussi au bout de dix ans, et dont le coût total s’élève 35%.

    A cela, il faut ajouter que le budget de l’Etat en 2016 continue sur la lancée de ceux de l’ancien pouvoir, avec le gel des embauches dans la fonction publique, la compression maximum des investissements directs publics, la surtaxation des salariés (61% des impôts directs contre 39% pour les profits) et des classes populaires en général. La TVA est la principale source fiscale du budget (environ 28% des recettes fiscales).

    Rien n’est prévu par ailleurs pour stopper la dégradation continuelle de la situation dans les régions de l’intérieur. Elles continuent à être laissées pour compte tout en étant un foyer de tension sociale.

    La situation économique et sociale de la grande majorité des classes populaires s’est dégradée, et la pauvreté s’étend davantage.

    Le volume du chômage est supérieur à celui de 2010. Il y avait 14’000 diplômés-chômeurs en 2010, ils sont 250’000 actuellement selon les chiffres officiels.

    Le nombre de Tunisiens pris en charge par les différents programmes sociaux de l’Etat est de 4,7 millions de personnes pour une population totale d’environ 11 millions. Il s’agit des «pauvres», ou des «extrêmement pauvres» («indigents» selon la BM).

    Le bilan économique et social des cinq dernières années est globalement négatif: entre 2010 et 2015, la Tunisie a reculé de 15 places dans l’Indice de développement humain (IDH) du PNUD, passant de la 81e place à la 96e.

    Nous sommes face à une véritable catastrophe sociale, une détresse sociale. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le mécontentement soit important. On comprend la colère des travailleurs et des classes populaires en général.

    Qu’est-ce qui empêche le changement?

    La première raison est que les acteurs politiques nécessaires au changement font très largement défaut. Le mouvement progressiste en général et la gauche en particulier se sont trouvés désarmés aux niveaux théorique et organisationnel face à l’accélération du processus qui a abouti à janvier 2011 et sans implantation véritable au sein de la jeunesse et des quartiers populaires.

    C’est en grande partie une des conséquences de dizaines d’années de dictature, mais aussi parce que la gauche n’a pas su réagir comme il faut assez tôt. Elle a perdu un temps très précieux dans des querelles intestines. Cela a, par exemple, été le cas lors des élections d’octobre 2011 où la gauche était très éparpillée et ses diverses composantes se tiraient dans les pattes.

    Les forces qui auraient pu aider ce mouvement spontané à trouver ses repères, à concentrer ses forces et ne pas se tromper d’ennemi ont vraiment fait défaut.

    Il y avait également le manque évident d’expérience politique au niveau des masses, une absence de tradition de luttes politiques (et non pas au sens strictement syndical), si l’on excepte des soulèvements de temps à autre.

    L’autre question importante est l’absence de perspectives, l’absence d’alternative socio-économique, politique et régionale convaincante. La gauche n’a pas réussi à formuler une feuille de route pour une rupture avec l’ordre dominant.

    Simultanément a joué l’importance déterminante du facteur islamiste, un acteur très dynamique bénéficiant d’atouts très importants:

    • avant 2012, la Tunisie n’avait jamais connu de gouvernement islamiste;
    • l’islamisme avait un poids important, car il était en partie perçu comme une idéologie de résistance à la dictature car le pouvoir avait réprimé tout ce qui pouvait faire penser à l’islam politique.

    Tout cela explique pourquoi les perspectives n’étaient pas claires. Aujourd’hui encore, le potentiel de lutte et la combativité sont là, mais les forces accumulées ne savent pas où frapper, dans quelle direction agir. La vapeur existe, mais il n’y a pas de piston et de tuyau pour la canaliser. En tout cas, le Front populaire n’est pas le «piston et tuyau» qui convient, même si de temps en temps il fait du bon travail.

    Du temps supplémentaire est-il nécessaire?

    Peut-être, mais vu la dégradation rapide de la situation, il y a urgence face à, d’un côté, la pression de plus en plus importante du FMI, de la Banque mondiale et de la Commission européenne pour tout restructurer en profondeur; et, de l’autre, l’aggravation d’une situation de plus en plus pénible qui alimente le mécontentement et la colère, mais fait également le jeu de l’extrémisme religieux, du terrorisme.

    Lorsque les revendications sont claires et précises on voit de très fortes mobilisations, au-delà des clivages idéologiques, avec par exemple des grèves à près de 100%.

    Un des problèmes est de savoir comment engager la rupture avec l’ordre dominant. Le mouvement progressiste en reste à la contestation et à la dénonciation.

    Où en est la campagne contre la dette?

    Celle-ci a pris un nouveau départ le 17 décembre 2015, avec notamment une campagne d’affichage et de diffusion d’un livre. Une tournée dans l’intérieur du pays a été décidée.

    Le fait d’avoir 15 député·e·s aide-t-il le Front à mener des campagnes?

    A plusieurs reprises, les député·e·s du Front populaire ont manifesté dans la rue et sont intervenus à l’Assemblée contre le projet de loi de blanchiment des corrompus de l’ère Ben Ali.

    Ils sont récemment parvenus à bloquer la tentative de passage en force de certaines dispositions à ce sujet à l’occasion de la discussion de la loi de finances. A l’initiative du Front populaire, un recours a en effet été introduit auprès de la Haute Cour constitutionnelle provisoire, et cinq articles de la loi de finances ont été déclarés contraires à la Constitution. Cela a eu un impact politique positif sur la mobilisation.

    En ce qui concerne la dette, une proposition de loi sur l’audit de la dette est en préparation.

    Une bataille a lieu à l’Assemblée contre la normalisation des relations avec l’entité sioniste.

    Il en va de même au sujet de la lutte pour la dépénalisation de la consommation de cannabis (répression qui touche la jeunesse marquée par une certaine désespérance). (Propos recueillis par Dominique Lerouge le 10 janvier 2016)

    Publié par Alencontre le 15 - janvier - 2016

    [1] Les principales organisations constituant le Front populaire sont:

    • le Parti des travailleurs, anciennement PCOT, de tradition marxiste-léniniste,
    • le Parti des patriotes démocrates unifiés (PPDU) – ou Parti Watad unifié – également de tradition marxiste-léniniste (maoïste)
    • la Ligue de la gauche ouvrière (LGO), organisation trotskyste affiliée à la IVe Internationale,
    • le Courant populaire (nationaliste arabe nassérien),
    • le Mouvement Baath (nationaliste arabe),
    • Kotb (social-démocrate),
    • RAID (Attac et Cadtm en Tunisie).

    Ont notamment quitté le Front populaire: Tunisie verte, le Parti Watad révolutionnaire (marxiste-léniniste), le MDS, social-démocrate (D.L.)

    http://alencontre.org/moyenorient/tunisie/tunisie-cinq-ans-apres-le-14-janvier-2011.html

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