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Israël - Page 10

  • Nouveautés sur "Lutte Ouvrière"

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    Image: Lénine et Trotsky en langue arabe

  • Nouveautés sur Europe Solidaire Sans frontières

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  • Pourquoi la « solution à deux États » persiste dans l’imaginaire politique (Ujfp)

    Photo : un manifestant palestinien lance des pierres sur les forces de sécurité israéliennes lors d’une manifestation contre l’expropriation des terres palestiniennes par Israël, dans le village de Kafr Kaddum près de Naplouse, en Cisjordanie occupée, le 26 février 2016 (AA).

    Les partisans de la solution à deux États doivent fournir des idées pour sa mise en œuvre sur la base de l’égalité des deux peuples

    Peu de gens contesteront que la diplomatie israélo-palestinienne semble plus que jamais paralysée. Même la présidence américaine de Barack Obama, qui il y a huit ans a misé énormément sur sa capacité à négocier un accord, a baissé les bras, frustrée.

    Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, après avoir promis lors de la campagne électorale il y a un an d’éviter la création d’un État palestinien, assouplit aujourd’hui opportunément sa position, arguant que ce n’est pas le bon moment pour appliquer la formule des « deux États pour deux peuples ». Il parle désormais de cette « solution à deux États » comme d’une « vision », ou l’accompagne précautionneusement de l’expression « à terme », qui, dans le langage codé des dirigeants politiques, équivaut à « jamais ».

    Et si vous lisez entre les lignes, Netanyahou souligne en outre son étroitesse d’esprit en précisant que, si jamais un État palestinien voyait le jour, il faudrait qu’il soit définitivement « démilitarisé » et qu’il ait auparavant reconnu Israël comme un « État juif », malgré la présence d’au moins 1,5 million de Palestiniens à l’intérieur de ses frontières.

    Au-delà des mots, il y les actes ; et il se trouve que l’expansion continue de la population des colonies israéliennes, combinée au plaidoyer de plus en plus manifeste pour une solution à un État précédé par l’annexion formelle de la totalité ou de la majeure partie de la Cisjordanie, annonce la couleur ; tout comme le changement dans le discours ambiant en Israël, lequel passe de la « paix » aux craintes d’une « bombe démographique », c’est-à-dire de la perspective d’une population palestinienne majoritaire sous souveraineté israélienne obligeant à choisir entre « démocratie » et le fait de rester « un État juif ».

    Sans oublier la « bombe religieuse », moins souvent abordée, qui résulte du taux de fécondité plus élevé au sein de la minorité juive ultra-orthodoxe, laquelle pèse de plus en plus à la fois dans les cercles dirigeants politiques et dans le corps des officiers de l’armée israélienne. Ces réalités sont accentuées par le recrutement de soldats professionnels auprès des colonies les plus idéologiques – on estime que ce taux est de 80 % supérieur à celui des communautés laïques en Israël.

    Compte tenu de ces développements, il n’est pas surprenant que, parmi la population juive, on soutienne aujourd’hui plus que jamais l’idée de trouver des moyens pour débarrasser Israël de ses Palestiniens, dernière étape de la dynamique de dépossession sioniste qui a commencé il y a plus d’un siècle, a atteint un pic avec la nakba de 1948, a été renforcée par la naksa associée à la guerre de 1967 et continue tranquillement depuis en manipulant plus subtilement la citoyenneté palestinienne et le statut de résident.

    En d’autres termes, à l’heure actuelle, la poursuite du nettoyage ethnique, aussi dramatique qu’elle puisse être, semble beaucoup plus probable qu’une solution diplomatique satisfaisante, et pourtant les médias et le discours politique continuent comme si la solution à deux États restait une option qui mérite d’être explorée. Pourquoi cela ?

    L’initiative française

    Cette foi dans la solution à deux États a notamment été exprimée par la récente initiative du ministère français des Affaires étrangères d’accueillir une conférence multilatérale visant à rendre une certaine crédibilité à la diplomatie en sa faveur. L’engagement initial a été renforcé par la menace : si la conférence ne parvient pas à atteindre son objectif d’un renouveau diplomatique, la France n’aurait pas d’autre choix que de se joindre aux 136 autres pays qui ont déjà reconnu l’État palestinien.

    Israël a expliqué son rejet de ce qu’il a appelé l’« ultimatum » français en soutenant que parvenir à un résultat positif ne présentait aucun intérêt pour l’Autorité palestinienne, car celle-ci retirerait un avantage politique de l’échec de la conférence.

    Les Palestiniens ont de leur côté accueilli favorablement la proposition française, mais, fatigués par des décennies de vaines négociations, ont exigé une résolution préalable du Conseil de sécurité décrétant un arrêt de toute activité de colonisation israélienne. Aussi radical que cela puisse paraître, ils ne chercheraient que tardivement et bien après les faits le respect par Israël de l’article 49 (6) de la quatrième Convention de Genève, lequel rend les colonies illégales.

    Cela soulève plusieurs questions. Pourquoi la France a proposé un scénario aussi peu prometteur ?

    La réponse la plus constructive est que les Français pensent que les négociations de paix pourraient finalement avancer si le monopole américain sur la diplomatie prenait fin et qu’il était remplacé par les auspices plus impartiaux d’un site européen pour la conférence et d’une participation multinationale.

    Comme le montrent les réactions susmentionnées, Israël a longtemps bénéficié du rôle joué par les Américains, lui donnant le temps de faire progresser ses objectifs expansionnistes d’un grand Israël, et il n’a aucun intérêt à ce qu’un cadre diplomatique plus équilibré soit créé. L’Autorité palestinienne, qui lutte pour se défaire des doutes sur sa légitimité en tant que représentant du peuple palestinien dans son ensemble et enfin consciente que les négociations passées étaient un piège, cherche à s’assurer à l’avance du sérieux d’Israël, ce qui n’est pas le cas.

    Il semble donc que l’initiative française est vouée à l’échec même en tant qu’opération de relations publiques. La France a peut-être estimé que, ayant fait un travail aussi largement acclamé pour élaborer un accord mondial sur les changements climatiques en fin d’année dernière, elle pourrait réaliser un deuxième miracle politique.

    Compte tenu de la sophistication de la diplomatie française, les obstacles doivent avoir été anticipés, mais l’idée était peut-être qu’en l’absence de miracle alors elle pourrait gagner au moins un peu de crédit pour avoir vaillamment essayé. Ainsi qu’une base politique pour un soutien formel à un État palestinien voué à provoquer la colère d’Israël, déclarant qu’en effet la diplomatie de type « Oslo » n’est plus viable pour parvenir à une solution.

    Dans les faits, la Palestine et Israël seraient deux États, même avec la reconnaissance silencieuse que ce que les Palestiniens obtiennent est « un État fantôme » avec aucun des attributs salvateurs de la souveraineté.

    Il reste à se demander pourquoi Israël s’offusque autant quand un gouvernement étranger, en particulier européen, accorde son soutien à un État fantôme pour la Palestine. Au lieu d’être en colère, pourquoi Israël n’accepte-t-il pas l’évolution et ne se détend-il pas en se prévalant de l’argument selon lequel le consensus de deux États a été mis en œuvre ?

    Pourquoi Israël ne peut-il pas vivre avec la Palestine comme État fantôme tant que ses plans d’expansion se réalisent et que le peuple palestinien reste assujetti sous contrôle administratif israélien, un régime de plus en plus vu dans l’optique de l’apartheid ?

    Bien sûr, il n’existe pas d’explication officielle, mais la meilleure hypothèse est que la simple reconnaissance d’un État palestinien comme une réalité existante rend problématique l’option israélienne d’un seul État.

    Le plaidoyer sincère pour la solution à deux États

    En dépit de toutes les considérations avancées ci-dessus, il reste une explication des raisons pour lesquelles des gens et des organisations de bonne foi refusent d’abandonner l’approche à deux États. Des deux côtés, ces partisans considèrent que la création d’un État palestinien reste, malgré tout, la seule possibilité pour la paix et la fin du conflit.

    Pour l’Autorité palestinienne, un quelconque État palestinien est la seule façon possible de maintenir son rôle en tant que moteur de l’autodétermination du peuple palestinien. Une issue à un seul État éliminerait sa raison d’être.

    Du côté israélien et sioniste, on est convaincu que la création d’un État palestinien reste le seul moyen de résoudre le problème de la paix, de l’État juif et de la démocratie en Israël. L’alternative est une occupation permanente lourde et abusive et une résistance violente qui couve.

    En outre, une résolution du conflit ouvrirait de plus larges opportunités régionales pour Israël, qui bénéficierait économiquement et politiquement de la normalisation de ses relations avec le monde arabe.

    Et si aucun accord de paix n’est conclu, la course à l’armement dans une région aussi instable pourrait facilement évoluer et passer de la coexistence avec Israël à une reprise de la belligérance avec de possibles perspectives dangereuses.

    Cet argument prudentiel est renforcé par les affirmations selon lesquelles un État palestinien n’est pas devenu, comme le professent ses opposants, « une impossibilité pratique », mais que seule une petite partie des colons sont « idéologiques » ou « religieux » et qu’ils pourraient être réinstallés si Tel Aviv en avait la volonté politique.

    Ce qui est avancé ici, c’est qu’ils ne seraient pas plus de 100 000 colons à devoir être déplacés de force quoi qu’il arrive, les 600 000 autres environ seraient autorisés à rester dans les colonies le long de la ligne verte ou à Jérusalem-Est. En outre, le mur de séparation situé à l’intérieur de la Palestine pourrait être démantelé et une nouvelle frontière établie.

    Il manque deux éléments à ce scénario à deux États : une quelconque résonance réelle en Israël et un quelconque sens qu’un tel État palestinien serait fondé sur l’égalité des deux peuples, ce qui devrait au moins comprendre la fin de la discrimination au sein d’Israël de la minorité palestinienne et une résolution juste du problème des réfugiés, ce qui implique les Palestiniens qui vivent dans la misère dans les camps en Palestine ou dans les pays voisins.

    Ce sont des défis de taille, mais à moins qu’ils soient relevés, le plaidoyer en faveur de cette approche à deux États n’apportera pas la paix et ne fournira pas de solution satisfaisant chaque côté.

    Le réalisme de la société civile

    Seul l’activisme de la société civile et son mouvement de solidarité mondiale croissant affirme une solution qui repose sur l’égalité des peuples juif et palestinien, en reconnaissant que la réalisation et la réconciliation de revendications d’autodétermination qui se chevauchent est une porte étroite qui doit être ouverte pour parvenir à une paix juste et durable.

    La difficulté est que cette campagne, de plus en plus soutenue par le peuple palestinien, n’a que de faibles chances d’obtenir l’influence politique nécessaire pour modifier le climat de l’opinion en Israël de sorte qu’émerge une atmosphère de compromis suffisante.

    En attendant, le débat et la discussion sont rendus confus par l’interaction de plaidoyers cyniques et authentiques en faveur de la solution à deux États.

    Les partisans cyniques croient que cela ne se produira jamais, mais que conserver cette possibilité apaise l’opinion publique sans inhiber Israël par rapport aux colonies, Gaza et l’annexion de facto. Les partisans sincères, y compris des groupes tels que J-Street aux États-Unis, reprendront leur vieille rengaine de la solution à deux États, mais ne seront plus en mesure de tenir la note.

    Il appartient à ces défenseurs sincères de donner des idées de la façon dont la solution à deux États peut être mise en œuvre dans les conditions actuelles sur la base de l’égalité des deux peuples. Sans une vision concrète de ce à quoi ressemblerait une solution à deux États et comment y arriver, la sincérité n’est qu’une couverture masquant l’inutilité naïve.

    L’impasse actuelle est réelle et semble susceptible de perdurer dans un avenir prévisible. Cette perspective se traduit par la souffrance oppressive et continue du peuple palestinien dans son ensemble, qu’ils vivent dans les limites de la captivité gazaouie en tant que réfugiés, exilés involontaires, sujets de l’administration israélienne d’occupation ou minorité en Israël.

    Il ne faut pas oublier que l’ONU a repris la tâche de la Grande-Bretagne coloniale de ramener la paix dans la Palestine historique et que sa passivité au cours des années l’a rendue davantage partie du problème que solution. dimanche 6 mars 2016 par Richard Falk

    - Richard Falk est un spécialiste en droit international et relations internationales qui a enseigné à l’université de Princeton pendant 40 ans. En 2008, il a été nommé par l’ONU pour un mandat de six ans en tant que Rapporteur spécial sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens.

    Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

    Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

     
  • Le sionisme, du « rêve » nationaliste au cauchemar colonial (Npa)

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    « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » ? Les fondateurs du sionisme ne furent jamais dupes de leur propre slogan. Loin d’ignorer l’existence des Palestiniens, ils n’y voyaient qu’une main-d’oeuvre à exploiter ou un obstacle à supprimer. Le sionisme, expression d’une révolte contre l’oppression des Juifs d’Europe, fut pourtant d’emblée un projet colonial. 

    L’oppression des Juifs d’Europe est une vieille histoire. A Strasbourg, encore au 18ème siècle, les Juifs devaient quitter la ville au son du cor, à la tombée de la nuit, pour regagner leur ghetto dans les faubourgs. Il fallut attendre la Révolution française pour briser ces discriminations infâmes.

    Le mouvement d’émancipation mit cependant du temps à gagner le reste de l’Europe.

    Au 19ème siècle, cette émancipation prit souvent l’allure d’une assimilation, par laquelle les Juifs perdaient leurs traits culturels particuliers. Malgré la persistance des préjugés, cette tendance à l’assimilation faisait pronostiquer à nombre d’intellectuels juifs du 19ème siècle rien moins que la disparition des spécificités juives en Europe, moyennant l’égalité des droits dans des sociétés de plus en plus libérales, notamment en Europe occidentale. 

    Mais le vrai centre de gravité des populations juives d’Europe était situé dans la partie occidentale de l’Empire russe.

    C’est là que les deux tiers de la population juive du monde étaient concentrés, dans les ghettos et villages du « Shtetl » de Lituanie, Pologne, Ukraine ou Russie. A la fin du 19ème siècle, six millions de Juifs vivaient sous la tutelle du tsar, dans cette « zone de résidence » obligatoire. Leur situation économique était catastrophique. Ils n’avaient pas le droit de posséder des terres et n’étaient pas embauchés comme ouvriers dans la grande industrie naissante. Dans un monde massivement paysan, ils représentaient une fraction considérable de la population citadine, par exemple 20 % de celle de Varsovie, qui comptait 200 000 Juifs. Condamnés à une existence misérable, ils étaient soumis à un antisémitisme légal (pas le droit d’être fonctionnaires, numerus clausus à l’université et dans les professions libérales, corvées et impôts particuliers) et subissaient des explosions chroniques d’antisémitisme, les pogroms, largement attisés par le pouvoir tsariste.

    L’invention du sionisme

    C’est dans ce contexte que le sionisme est né à la fin du 19ème siècle. Il n’était pourtant pas l’invention de Juifs du Shtetl. Son fondateur, Theodore Herzl, était un bourgeois juif autrichien qui se sentait parfaitement assimilé. Mais il racontait lui-même que c’est en France, pays de la première émancipation des Juifs, qu’il vit se déchaîner avec l’affaire Dreyfus une campagne nationale hystérique contre le « traître juif ». Il était évident que la veille oppression n’était pas près de disparaître.

    La situation des Juifs d’Europe était pourtant bien différente à l’est et à l’ouest.

    Une partie de la bourgeoisie et de l’intelligentsia juives occidentales accusaient d’ailleurs la « racaille » juive venue de l’est… d’alimenter l’antisémitisme et refusait avec horreur de pouvoir être confondue avec ces gens. Herzl, lui, en tira d’autres conclusions : que les Juifs dans leur ensemble devaient se donner leur propre Etat. Car il comprenait au moins une chose : les Juifs étaient victimes du processus général de construction des Etats modernes qui partout se créaient sur le dos des minorités et se dotaient d’idéologies nationalistes qui leur étaient hostiles… mais que partageaient Herzl et les autres fondateurs du sionisme.

    Dans L’Etat juif, publié en 1896, il écrivait : « nous avons partout loyalement essayé d’entrer dans les collectivités nationales qui nous environnent, en ne conservant que la foi de nos pères. On ne l’admet pas. En vain sommes-nous de sincères patriotes (…) Dans ces patries où nous habitons déjà depuis des siècles, nous sommes décriés comme étrangers (…) La majorité peut décider qui est l’étranger dans le pays. C’est là une question de puissance, comme tout d’ailleurs dans les relations des peuples (…) C’est donc en vain que nous sommes partout de braves gens. Ah ! Si l’on nous laissait tranquilles ! Mais je crois qu’on ne nous laissera pas tranquilles. »

    Il en déduisait la nécessité pour les Juifs de renoncer à l’assimilation et même à la conquête d’une simple égalité des droits dans chaque pays. Pour construire un Etat juif. Il fallait pour cela un territoire. Après quelques hésitations sur le lieu il proposa la « Terre de Sion », la Palestine, qu’il considérait comme le berceau historique du peuple juif. Les sionistes développèrent toute une mythologie historique, semblable à celles qui se construisaient alors en Europe. Ils reconstruisirent  l’histoire du judaïsme et du « peuple juif » pour fonder les droits d’un Etat juif en Palestine, comme l’a brillamment raconté Shlomo Sand dans son essai « Comment le peuple juif fut inventé ».

    Des raisons prosaïques

    Il y avait au choix de la Palestine des raisons plus prosaïques que le romantisme biblique. L’entreprise semblait impossible en Europe. A moins de se contenter de plus modestes institutions « nationales culturelles », à défaut d’un territoire ? En revanche l’Empire ottoman en déclin, maître de la « Terre sainte », était la nouvelle proie des ambitions anglaises, françaises et allemandes.

    Les Français montraient la voie aux sionistes : après avoir développé une colonie de peuplement en Algérie, ils avaient pris prétexte de l’existence d’une forte communauté chrétienne au Liban pour s’ériger en protecteurs de celle-ci et obtenir de l’empire turc des « capitulations » en faveur de la France. La région du « Mont Liban » devenait peu à peu une enclave coloniale française sur le flan de l’empire déclinant. Pourquoi ne pas faire de même en Palestine ? Y établir une colonie de peuplement juive, appelée à devenir un jour un Etat indépendant, sous la protection d’une grande puissance européenne ?

    Quant aux occupants réels, arabes, de la Palestine, ils ne comptaient pas plus pour Herzl que les Algériens pour les Français. Sur son projet colonial il écrivait : « nous devrions former là-bas une partie du rempart de l’Europe contre l’Asie, un avant-poste avancé de la civilisation s’opposant à la barbarie. » Et notait en 1895 dans son journal, à propos des Arabes : « nous devons les exproprier gentiment. Le processus d’expropriation et de déplacement des pauvres doit être accompli à la fois secrètement et avec prudence. »

    Pendant que des migrants juifs d’Europe orientale s’installaient, mais au compte-goutte, en Palestine, avant même d’ailleurs la fondation d’un mouvement sioniste structuré par Herzl, celui-ci fonda un congrès sioniste annuel et une banque coloniale juive pour recueillir des fonds, investir en Palestine et acheter des terres. Il prit aussi son bâton de pèlerin pour chercher la puissance européenne qui trouverait conforme à ses intérêts d’arracher la Palestine à l’empire turc pour en faire une colonie juive… Quand le Kaiser allemand Guillaume II se rendit en visite d’Etat à Jérusalem en 1898, Herzl fit aussitôt ses valises et se vit accorder cinq minutes d’audience, sans résultat. Ce fut le seul voyage de sa vie en « Terre sainte », dont il jugea d’ailleurs, dans son journal, le « climat très malsain » ! Des courbettes, il alla aussi en faire à Saint-Pétersbourg, capitale de la persécution mondiale des Juifs, pour expliquer au ministre de l’intérieur du tsar que le sionisme n’était pas un mouvement hostile au régime et qu’il conseillait aux Juifs non de se dresser contre le despotisme, mais d’aller chercher refuge en Palestine. Herzl demandait donc de l’aide au ministre pour faciliter l’exil.

    Ce que ce dernier faisait en réalité : la misère et les pogroms chassaient les Juifs de Russie, et cela continua après la guerre mondiale. Mais au grand désespoir des sionistes, les exilés n’allaient pas en Palestine, ou si peu ! Entre 1880 et 1929, près de quatre millions de Juifs émigrèrent de Russie, de Pologne, d’Autriche-Hongrie (puis des Etats successeurs) et de Roumanie. Trois millions allèrent aux Etats-Unis, 500 000 en Europe occidentale. La Palestine, elle, n’accueillit en cinquante ans que 120 000 juifs. New-York était la nouvelle Jérusalem.

    La colonisation de la Palestine

    L’alya (le « retour ») s’est cependant accélérée après la Première Guerre mondiale. Les Etats-Unis, la France et l’Angleterre se faisaient de moins en moins accueillants. Mais surtout, les sionistes avaient enfin réussi à se faire adopter par la première puissance impérialiste, la Grande-Bretagne.  En 1917, en plein conflit, le ministre des affaires étrangères Lord Balfour promettait officiellement « l’établissement d’un foyer national juif en Palestine ».

    Le calcul britannique était parfaitement cynique. Pendant la guerre, ils promettaient la Palestine deux fois, à l’émir Hussein et aux chefs nationalistes arabes comme aux dirigeants sionistes. En même temps, ils négociaient avec l’allié et concurrent français le partage colonial de l’empire ottoman. Les accords Sykes-Picot, plus tard refondus, donneraient la Syrie et le Liban à la France, l’Irak et la Transjordanie à l’Angleterre. Les Britanniques comptaient bien utiliser les colons juifs contre les Arabes. C’était d’ailleurs leur politique en général : découper des frontières selon leurs intérêts, créant un Irak artificiel tout en dispersant les Kurdes, taillant un émirat pétrolier au Koweït, donnant des privilèges à des minorités pour qu’elles soient le relais de leur domination contre le reste de la population. Ils savaient que la logique de la situation pousserait Juifs et Arabes à l’affrontement, ce qui leur permettrait de s’imposer à tous comme l’arbitre indispensable.

    Les sionistes n’étaient pas dupes.

    Ils acceptaient consciemment ce jeu en espérant que l’aggravation du sort des Juifs d’Europe en amènerait de plus en plus en Palestine, et que leur rôle de relais de l’impérialisme les rapprocherait de la création d’un Etat. L’immigration juive s’accéléra. En 1935 il y avait 500 000 juifs en Palestine, soit 29 % de la population totale du territoire à l’ouest du Jourdain.

    Le sionisme « socialiste »

    Mais en même temps cette immigration changea de nature. Elle était au début fortement dominée par des millionnaires conservateurs juifs, comme Rothschild, et par des organisations sionistes dans la ligne de Herzl. Mais au sein du sionisme, spécialement en Europe orientale, se développa un courant qui se proclamait socialiste et ouvrier. Un théoricien sioniste, Ber Borachov, affirmait ainsi vouloir concilier socialisme et nationalisme juif : le peuple juif était « anormal », avec peu d’ouvriers et de paysans, il n’avait pas sa propre structure économique, il était prisonnier d’économies étrangères. Il fallait donc créer en Palestine une paysannerie et une classe ouvrière juives, bases d’un Etat socialiste juif.

    C’est l’idéal que porteraient la plupart des fondateurs des fameux « kibboutz », et dont se font ainsi l’écho, rétrospectivement, Serge Moati et Ruth Zylberman dans leur livre et documentaire Le Septième jour d’Israël : « Les kibboutzim étaient alors comme la vitrine d’Israël. [Ils parlent des années 1950.] On venait s’y incliner avec respect devant ces Juifs d’un type nouveau qui avaient su faire de leur vie un miracle quotidien. Sur les marais qu’ils avaient su assécher, ils avaient bâti des villages pimpants (…) Ils avaient su, eux les enfants des Shtetls [les bourgades d’Europe centrale] et des mellahs [quartiers juifs] d’Afrique du nord, construire une société égalitaire, vraiment socialiste et collectiviste à l’heure où ce mot ne faisait pas encore peur (…) [Ils étaient arrivés en Palestine] animés par le rêve d’un homme nouveau ».

    Cet « homme nouveau », qui fit « fleurir le désert » comme on aime à le dire aujourd’hui en Israël, ne construisit cependant pas ses fermes- villages seulement sur des « marais ». Les sionistes créèrent au début du siècle un « Fonds national juif » qui collectait dans toute la diaspora pour ensuite acheter des terres en Palestine. Les terres étaient souvent achetées aux féodaux arabes, comme si les paysans qui travaillaient ces terres depuis des siècles n’existaient pas. Ceux-ci étaient brutalement expulsés et la colonie pouvait s’installer.

    On vit affluer en Palestine, à partir de 1910 et surtout après la Première Guerre mondiale, toute une jeunesse juive, surtout issue d’Europe orientale, influencée par les idées socialistes, guidée par l’idéal d’une société fraternelle et égalitaire, démocratique et sans exploitation… mais pour l’essentiel nationaliste. Et bien entendu bardée de tous les préjugés racistes et colonialistes de l’Europe dont elle venait. Dans leur travail pourtant presque amoureux sur le kibboutz, Moati et Zylberman, précisent donc : « les kibboutzim constituaient le meilleur des instruments pour mener à bien les objectifs nationaux du sionisme : colonisation juive, conquête territoriale de facto (…) Surtout dans les années 30, alors que l’opposition arabe aux implantations juives allait grandissant, les kibboutzim constituèrent les avant-ponts armés du combat sioniste, châteaux forts dressés face au monde extérieur. Des fermes, oui, mais aussi des forteresses bien armées. » Et si leur nombre passa de 24 en 1923 à 90 en en 1939, ils ne représentaient « qu’une proportion fort marginale de la population juive (entre 3 et 6 %), ils constituaient une véritable élite idéaliste et dévouée qui frappait et exaltait l’imagination des jeunes Juifs de par le vaste monde ». Bref, une avant-garde armée et idéologique.

    Autre paradoxe : ces pionniers d’un « socialisme national » voulaient devenir ouvriers agricoles, mais les grands propriétaires juifs préféraient exploiter la main d’œuvre arabe. Pour développer le « travail juif » à la campagne, ils fondaient donc leur propre communauté agricole, tandis qu’en ville ils luttaient avec âpreté… pour empêcher l’embauche des travailleurs arabes. Les socialistes fondèrent une organisation syndicale, la Histadrout, en 1920. Elle refusa de syndiquer les Arabes. Elle finançait des piquets empêchant la venue de travailleurs arabes dans une entreprise juive, organisait le boycott de la production arabe : il fallait acheter juif.

    C’était conforme à la décision prise en 1929 par le proto-gouvernement du mouvement sioniste en Palestine, l’Agence juive, dominée alors par les socialistes et leur leader David Ben Gourion, de construire par ces méthodes de séparation forcée une « économie juive » autonome en Palestine. Il n’y avait rien de naturel à cette coupure en deux des travailleurs arabes et juifs, malgré les préjugés et la colère des Arabes à se voir peu à peu dépossédés par la colonisation juive. La Histadrout sabota en 1920 une grève commune aux ouvriers arabes et juifs du port et de la raffinerie de Haïfa contre leurs employeurs britanniques, puis en 1931 une grève des camionneurs des deux communautés.

    Ainsi la montée en puissance du courant « socialiste » au sein de la colonisation juive en Palestine ne rendit pas celle-ci moins nationaliste ou anti-arabe.

    Elle contribua à l’orienter davantage vers l’idée d’une complète séparation et le projet d’expulser si possible les Arabes de Palestine, plutôt que de les y tolérer pour en faire un prolétariat corvéable à merci. Et puisque les émeutes antijuives se multipliaient au fur et à mesure des progrès de la colonisation, le paysan et l’ouvrier juif « socialiste » se transformait toujours davantage en colon armé face aux Arabes dépossédés, sous la direction des diverses organisations armées sionistes. Seule une minorité de Juifs, communistes (staliniens et trotskystes), prônaient une perspective commune aux Juifs et aux Arabes et s’efforçaient de les organiser ensemble.

    La grande révolte arabe de 1936

    Cela ne pouvait bien sûr tourner qu’à la guerre, une guerre à plusieurs fronts, opposant les uns aux autres les Arabes, les Juifs et la puissance coloniale anglaise.

    Le 20 avril 1936 une grève générale  dirigée par un Haut-comité arabe à la tête duquel il y avait le (très réactionnaire) grand Mufti de Jérusalem, fut organisée pour imposer aux autorités coloniales la fin de l’immigration juive, l’interdiction de la vente de la terre aux Juifs et la promesse d’un gouvernement désigné par les représentants de la majorité de la population. Elle dura six mois et tourna à l’insurrection.

    Des Arabes menèrent une guérilla dans les collines, firent dérailler des trains, sabotèrent l’oléoduc de l’Irak Petroleum Company (à capitaux britanniques).

    Les villages révoltés attaquèrent parfois les colonies juives, tout en luttant contre les troupes britanniques d’occupation, à tel point que des villes entières échappèrent au contrôle des autorités britanniques. Les Anglais menèrent une répression féroce. Des villages entiers furent rasés, des familles expulsées et regroupées dans des camps. Les pendaisons expéditives et publiques se multiplièrent. Entre 1936 et 1939, l’armée britannique tua des milliers d’insurgés.

    Les organisations sionistes, également visées par la révolte arabe, y virent l’occasion de se rendre indispensables aux Anglais. Elles reçurent l’autorisation de mettre sur pied des milices armées, participèrent à la répression et firent tout pour saboter la grève arabe en fournissant de la main-d’œuvre jaune et en faisant fonctionner les ports et les trains. Chaïm Weizmann, futur premier président d’Israël, le justifia avec un tranquille aplomb : « d’un côté, les forces de la destruction, les forces du désert, se développent, de l’autre tiennent fermement les forces de la civilisation et de la construction. C’est la vieille guerre du désert contre la civilisation, mais nous ne céderons pas. »

    En 1939, une fois la révolte écrasée, les Anglais « récompensèrent » le mouvement sioniste par un « Livre Blanc » qui gelait l’immigration juive. Les Britanniques voulaient renouer le contact avec les chefs féodaux arabes et rééquilibrer le rapport de forces entre les deux communautés pour mieux les dominer.

    Vers la « guerre d’indépendance »

    La Deuxième Guerre mondiale terminée en 1945, ils essayèrent d’ailleurs de prolonger cette politique de bascule, en freinant un moment l’immigration des Juifs qui fuyaient l’Europe où venait d’être perpétré le génocide nazi, pour perpétuer leur mainmise sur la région.

    Une fraction du mouvement sioniste réagit en prenant les armes contre les Anglais. Des sionistes d’extrême droite, admirateurs à leur façon des fascismes européens, constituèrent l’Irgoun, un groupe armé terroriste. Deux de ses chefs, Itzhak Shamir et Menahem Begin, deviendront un jour premier ministre d’Israël. Mais si le mouvement sioniste s’était diversifié politiquement, engendrant son aile gauche socialiste et son extrême droite quasi fasciste, le fond politique restait le même : construire à marche forcée un appareil militaire appuyé sur une population très soudée, pour créer un Etat juif homogène quand l’occasion s’en présenterait.

    Et elle se présenta après la Deuxième Guerre mondiale. Le fait déterminant ne fut pas en soi le génocide perpétré par les nazis, l’extermination de six millions de Juifs européens. Cette tragédie poussa bien entendu  de nombreux survivants à s’évader de l’Europe dévastée et pour beaucoup à choisir l’installation en Palestine. Mais là encore, souvent faute d’alternative. D’autant que des pogroms visèrent les Juifs survivants dans la Pologne de l’immédiat après-guerre.

    10 % des Juifs qui quittèrent l’Europe après la guerre se rendirent en Palestine. Mais sur le plan straté- gique, le fait décisif fut l’affaiblissement de l’impérialisme britannique, son incapacité à garder tel quel son empire colonial. L’Inde elle-même, joyau de la couronne, allait devenir indépendante dès 1947. La Grande-Bretagne se résigna à lâcher la « Transjordanie » et laissa l’ONU toute neuve « régler » le « problème judéo-arabe » que l’impérialisme anglais avait cyniquement contribué à construire lui-même en trois décennies.

    Contrairement aux Arabes de Palestine le mouvement sioniste était prêt et il y eut le dénouement que l’on sait : la guerre de 1948, la proclamation de l’Etat d’Israël, la catastrophe qui frappa des millions de Palestiniens.

    Yann Cézard

    https://npa2009.org/idees/le-sionisme-du-reve-nationaliste-au-cauchemar-colonial

    L’immigration juive en Palestine et Israël (Source : Lemarchand, Atlas géopolitique du Moyen-Orient et du Monde arabe, Complexe 1994.)

    Période Nombre d’immigrés principaux pays d’origine

    1902-1903

     25 000  Empire Russe
    1904-1914  40 000  Empire russe, Roumanie, Europe central
    1919-1931  130 000  Grece, Pologne, Turquie
    1932-1939  210 000  Allemagne, Roumanie, Pologne, Tchécoslovaquie
    1939-1948  180 000  Europe
    1948-1955  690 000  Maroc, Irak, Roumanie, Iran, Pologne, Egypte, Yémen, Turquie, Bulgarie
  • De 1948 à aujourd’hui : la colonisation à tombeau ouvert (Npa)

    1948

    La création d’Israël, l’expulsion des Arabes

    Quel serait le sort de la Palestine après le départ des Anglais programmé pour 1947 ? La direction sioniste refusa tout projet d’un Etat binational démocratique, accepta la proposition d’un partage pour obtenir une base territoriale propre, et construisit une armée pour non seulement défendre, mais étendre ce territoire et en chasser le plus grand nombre possible d’Arabes. David Ben Gourion, qui allait devenir le premier dirigeant de l’Etat d’Israël, écrivait ainsi dès 1937, dans une lettre à l’un de ses fils : « les Arabes doivent partir, mais nous avons besoin d’un moment favorable pour que cela arrive, par exemple une guerre. »

    Cette guerre désirée a démarré avant l’intervention des armées arabes. Dès mars 1948, des centaines de villages arabes et des quartiers arabes de villes comme Haïfa ou Tibériade furent attaqués par les 90 000 hommes de la Haganah, la population regroupée, des hommes exécutés, le reste chassé sur les routes, les maisons détruites ou appropriées. A Deir Yassine, un village près de Jérusalem, c’est toute la population qui fut massacrée. Le mouvement sioniste planifia cette vaste purification ethnique, à la faveur d’un climat de terreur, parce qu’il ne voulait pas accepter un Etat où les Arabes auraient représenté 40 % de la population (1 million d’Arabes, 1,5 million de Juifs selon le plan de partage de l’ONU).

    Le 15 mai, Ben Gourion proclamait l’Etat d’Israël. Ni bien armés ni bien organisés, les Palestiniens devaient compter sur « l’aide » des armées égyptienne, syrienne et jordanienne… qui n’intervinrent qu’a minima. Pire, le roi de Jordanie avait déjà négocié avec le gouvernement sioniste un partage de la Palestine, qui lui livrait Jérusalem-est et la Cisjordanie.  

    Six mois plus tard les combats cessaient. Le résultat était cette Naqba, « la catastrophe », dont parlent les Palestiniens. La création d’un Etat israélien colonialiste et militariste. Aucun droit national pour les Arabes de Palestine. 800 000 d’entre eux chassés de leurs terres et réduits à la condition de réfugiés misérables.

    1950

    Israël, Etat des Juifs du monde entier, pas des Arabes israéliens

    Israël devait être « l’Etat des Juifs ». Le parlement vota la « loi du retour » qui donnait à tout Juif vivant dans le monde le droit de devenir citoyen d’Israël. Au passage, la définition du « Juif » était fondée sur des critères religieux : l’Etat laïc d’Israël gouverné par une gauche ouvertement athée confiait les clefs de l’état-civil et de la nationalité aux religieux, avec l’influence qui irait avec.

    Les 160 000 Arabes restés sur le territoire du nouvel Etat eurent droit pour leur part à la prolongation du régime militaire instauré à l’époque du mandat colonial par les Britanniques : ni libertés ni citoyenneté pleine et entière, impossibilité d’acheter des terres, droit pour le gouvernement de confisquer leurs terres pour les revendre à des Juifs, arbitraire militaire à leur égard. Jusqu’en 1966. Et nul « retour » pour les expulsés de 1948…

    1956

    Une guerre politiquement décisive

    Israël attaqua l’Egypte aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne et envahit le Sinaï. L’URSS et les Etats-Unis firent pression pour arrêter le conflit. L’enjeu fut finalement plus politique que militaire : Israël manifestait sa disponibilité pour être l’allié de l’impérialisme dans la région, contre les peuples arabes. Israël assumait aussi, cyniquement, une rupture profonde avec le monde arabe, qui rendrait plus difficile la vie des Juifs du Maroc à l’Irak… et accélérerait donc leur émigration vers Israël.

    Un million de Juifs de langue arabe immigreront en Israël les deux décennies suivantes. Ces « Mizrahim » étaient assez juifs pour peupler Israël mais trop arabes pour être les égaux des fondateurs venus d’Europe. Ils seront méprisés et surexploités, jusqu’à maintenant. Ben Gourion disait des immigrants juifs marocains : « des poussières humaines, sans langue ni éducation, racines, traditions ou rêve national », qu’il faudrait « remodeler ». Une sorte de colonisation à l’intérieur même de la communauté juive…

    1966

    La fausse émancipation des Arabes d’Israël

    Le gouvernement leva enfin le régime militaire qui pesait sur eux. Ils reçurent une carte d’identité nationale israélienne. Mais sur celle-ci, leur nationalité était dite « arabe ». La majorité des Israéliens sont « juifs »... Il n’y a pas en effet de « nationalité israélienne ». Tout un symbole de ce que l’avenir réservait en fait de discriminations.

    Les villages et quartiers arabes ne bénéficieront jamais des mêmes équipements, écoles, centres de santé. Les Arabes n’ont pas les nombreux droits sociaux conditionnés au fait d’avoir fait son service militaire… qu’ils ne peuvent pas faire. Et les réquisitions de terres continueront. Aujourd’hui, les Arabes sont 17 % de la population et ne possèdent que 2 % des terres du pays.

    1967

    Le grand Israël ?

    Le 5 juin 1967, l’armée israélienne déclencha une guerre éclair et écrasa en six jours les armées jordanienne, syrienne et égyptienne. Le Sinaï et le plateau du Golan furent occupés, et surtout la bande de Gaza et la Cisjordanie. Le gouvernement israélien triomphait : c’était en quelque sorte le rêve du « Grand Israël » cher aux fondateurs qui se réalisait.

    Mais que faire de ces territoires occupés ? Et de sa population arabe ? Les choix du parti travailliste, alors encore largement hégémonique, furent déterminants pour l’avenir. En réalité Israël n’arriva pas à trancher. Les Arabes, contrairement à ce qui s’était passé en 1948, n’étaient pas massivement « partis ». Le gouvernement n’osa pas les expulser. Il n’osa pas non plus annexer purement et simplement les nouveaux territoires occupés. D’ailleurs Ben Gourion, à la retraite, conseilla pour sa part de les rendre, non par respect des droits nationaux des Palestiniens, on s’en doute, mais parce qu’annexer ces territoires sans en expulser ses habitants menacerait démographiquement la nature juive de l’Etat d’Israël.

    La « gauche », l’armée, la majorité des Israéliens n’étaient pas pour autant capables de renoncer à leur conquête. Jérusalem-Est fut annexée (la ville deviendra « capitale éternelle et indivisible d’Israël » en 1980) et d’année en année, un mouvement de plus en plus puissant de colonisation reprit de ce côté de l’ancienne frontière. Les pionniers qui reprenaient ainsi les vieilles méthodes des premiers colons sionistes étaient souvent des fanatiques religieux, qui se regroupèrent dans le Goush Emounim, le « Bloc de la Foi ». Ils s’installaient sur des collines, chassaient les Arabes, puis après s’être fait plus ou moins gronder par les autorités d’Israël, se faisaient vite protéger par l’armée contre la colère des Palestiniens.

    La colonisation de la Cisjordanie commença sous la « gauche » travailliste, qui soit la favorisait, soit ne voulait pas politiquement l’affronter. Il est vrai que le sionisme en général, même s’il était dominé par des athées et des laïcs, a toujours eu des relations coupables – instrumentales – avec le fanatisme religieux. Comme le disait le président de la LDH israélienne à la fin des années 1960, « il y a des sionistes qui ne croient pas que Dieu existe, mais les mêmes vous diront que c’est Dieu qui a donné la terre au peuple juif ».

    C’est ainsi que les religieux, à côté de l’armée, sont devenus l’aile marchante de l’expansion coloniale d’Israël. Alors même que leurs entreprises (qui parfois tournent carrément au massacre de Palestiniens ou à d’infâmes provocations religieuses) entraînent toujours davantage l’ensemble des Israéliens dans une spirale de guerre sans fin, ils peuvent se présenter comme les nouveaux héros du sionisme. C’est ce qui a assuré leur emprise grandissante sur la société israélienne.

    Aujourd’hui, il y  a plus de 500 000 colons dans les territoires occupés. 200 000 sont installés à Jérusalem-est, encerclant la vieille ville arabe. Des territoires palestiniens ont été inclus dans le « Grand Jérusalem » et transformés en zone de peuplement juif. Dans leurs quartiers les ultra-orthodoxes juifs, qui la considèrent comme « leur ville », donnent la chasse aux homosexuels et aux femmes « impudiques » ; ils multiplient aussi les implantations dans la vieille ville arabe et certains d’entre eux rêvent de « rebâtir le Temple » sur l’esplanade des mosquées. La ville « unifiée » et annexée de Jérusalem compte désormais 700 000 habitants, dont 500 000 Juifs.

    1973

    La guerre du Kippour : l’ombre d’un doute ?

    L’Egypte et la Syrie déclenchèrent une offensive en octobre 1973. Surprise, l’armée israélienne dut reculer, puis mit quinze jours pour reprendre le terrain perdu dans le Sinaï et dans le Golan, au prix de nombreux morts.

    La confiance de l’opinion israélienne en son gouvernement et sa capacité à toujours l’emporter militairement en sortait ébranlée. Fallait-il continuer la politique de la chef du gouvernement, Golda Meir, qui ne jurait que par la force et déclarait sans complexe : « les Palestiniens cela n’existe pas. Les Palestiniens c’est nous les Juifs » ? Mais le doute n’était pas permis pour l’écrasante majorité des forces politiques israéliennes. Puisque la force ne suffisait pas, il fallait plus de force ! Six ans plus tard Israël faisait la paix avec l’Egypte mais resserrait encore son emprise sur les Palestiniens et renforçait son appareil militaire.

    1982

    L’invasion du Liban

    Menahem Begin, premier des premiers ministres de droite et son ministre de la défense, Ariel Sharon, décidèrent d’envahir le Liban. L’armée y tua des dizaines de milliers de Libanais et Palestiniens, écrasa Beyrouth sous les bombes et détruisit le quartier général de l’OLP. Le 16 septembre, ses alliés, les milices chrétiennes libanaises, massacrèrent 3 000 hommes, femmes et enfants dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila. Ariel Sharon  et l’état-major israélien couvraient et aidaient l’opération.

    Cette fois, des dizaines de milliers d’Israéliens (juifs et arabes), écœurés, manifestèrent à Tel-Aviv pour dire leur honte et leur colère. Ce fut le vrai point de départ d’un « camp de la paix » en Israël. Mais le poids écrasant du nationalisme et la complicité de la « gauche » qui ne voulait pas critiquer l’armée (ses dirigeants ont eux-mêmes beaucoup de sang sur les mains), ont fait que ni Sharon ni aucun officier n’eut jamais à rendre des comptes.

    1987 

    La Première Intifada

    En décembre 1987, alors que l’agitation montait dans les territoires occupés, avec grèves, manifestations, affrontements sporadiques, un camion israélien écrasa quatre ouvriers palestiniens. Ce fut le signal d’un soulèvement général. Les différents groupes de la résistance palestinienne prirent le contrôle de villages et de quartiers, s’attaquèrent à des positions militaires. Mais surtout, jour après jour, la jeunesse palestinienne affronta l’armée, pierres contre tanks.

    Le ministre de la défense (et futur prix Nobel de la Paix,) le travailliste Yitzhak Rabin, donna pour consigne à ses troupes : « brisez-leur les os ! » Ce n’était pas une métaphore. Plus d’un millier de Palestiniens furent tués, des milliers torturés, des dizaines de milliers emprisonnés. Mais aux yeux du monde, la révolte des pierres démystifia largement Israël et rendit enfin visible le peuple palestinien et ses droits nationaux bafoués. Elle provoqua une crise politique et pour ainsi dire morale dans le consensus sioniste. Elle ne chassa pas l’occupant mais aurait pu, aurait dû créer de nouvelles possibilités historiques.

    1993

    L’illusion – et la duperie – d’Oslo

    Le 13 septembre 1993, sous le parrainage de Bill Clinton, Yasser Arafat et Yitzhak Rabin se serraient la main devant la Maison Blanche pour entériner des accords négociés à Oslo.

    Le gouvernement Rabin, tout en devant tenir compte des exigences (limitées) du grand parrain américain, cherchait à transformer son mode de domination des Palestiniens. Un peuple qui venait de prouver sa détermination, mais dont la principale organisation nationale, l’OLP, affaiblie, était peut-être disposée à se laisser domestiquer, voire acheter d’une certaine façon. Les dirigeants israéliens ne cherchaient aucunement à rendre possible une paix fondée sur la constitution d’un véritable Etat palestinien indépendant. Ils voulaient résoudre le dilemme de ces territoires occupés qu’ils ne voulaient ni annexer ni décoloniser, en y offrant à l’OLP la sous-traitance de la gestion de la misère et de la « sécurité », quitte à lui accorder les apparences plus ou moins dérisoires d’un embryon d’Etat.

    La preuve en est qu’après les accords d’Oslo, la situation réelle des Palestiniens ne changea guère. La domination économique israélienne continua, l’implantation des colonies ne fut même pas ralentie. On passa de 200 000 à 400 000 colons en Cisjordanie entre 1993 et 2000. On allait tout droit vers un bantoustan palestinien, à l’image des Etats fantômes inventés par le régime d’apartheid en Afrique du sud.

    Pas de paix sans justice : la deuxième Intifada commençait en septembre 2000.

    2001

    La deuxième Intifada et l’arrivée au pouvoir de Sharon

    Ce nouveau soulèvement du peuple palestinien n’eut pourtant pas les mêmes répercussions idéologiques sur la société israélienne que la première. De multiples raisons peuvent l’expliquer, mais l’une d’entre elles doit être soulignée : le parti travailliste (un des grands partis historiques du sionisme, celui qui dirigea le plus longtemps Israël et qui parraina les premières grandes étapes de la colonisation) avait fait cette fois le sale boulot de décourager la population tentée par la recherche de la paix par des concessions et la reconnaissance du droit des Palestiniens à avoir un Etat

     Rabin lui-même avait laissé la bride sur le cou à la colonisation. Cependant, la haine que lui portait la droite israélienne conduisit à son assassinat en 1995 par un fanatique religieux juif. Son gouvernement ne saisit pas l’occasion de casser les reins de l’extrême droite. Au contraire, le premier ministre Ehud Barak s’ingénia à offrir à l’OLP des « conditions de paix » – la dite « offre généreuse » de 2000 – inacceptables et faites pour ne pas être acceptées. Ce gouvernement expliqua alors aux Israéliens qu’il s’était trompé, que les attentats qui se multipliaient prouvaient bien que les Palestiniens ne voulaient pas la paix, qu’Israël « n’avait plus de partenaire pour la paix », qu’il fallait décidément protéger les colonies en Cisjordanie, construire un mur et bombarder sans retenue de l’autre côté.

    2015

    La guerre permanente

    Il était logique alors que celui qui incarnait le mieux une telle politique devienne le nouvel homme fort du pays. En 2001, Ariel Sharon, le boucher de Sabra et Chatila, était triomphalement élu premier ministre. Depuis  la société israélienne, gangrénée et façonnée par son entreprise coloniale, de massacres en bombardements de Gaza, n’a cessé de tomber toujours plus sous l’emprise des pires forces réactionnaires et racistes. Nouvelles colonies et blocus de Gaza, révoltes palestiniennes, répression de plus en plus barbare : la politique d’Israël est désormais celle de la guerre permanente.

    Yann Cézard

     
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