Révolutions Arabes - Page 168
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Genève Palestine
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Vu de Russie. Pour la paix en Syrie, Bachar El-Assad doit partir (CI)
Le président syrien doit se retirer pour permettre la création d’une coalition nationale contre l’EI et ouvrir la voie à des élections avec participation de toutes les forces politiques du pays, écrit cet historien russe.
Le cauchemar de Paris a montré au monde deux choses. Premièrement, ce mouvement qui s’attaque à l’humanité est diabolique – inutile d’espérer négocier avec lui ni même obtenir une trêve. L’organisation Etat islamique (EI) ne peut qu’être anéantie et doit l’être. Deuxièmement, devant cette menace commune, les Etats doivent écouter la voix de la raison et oublier leurs différends et leurs réticences. Il faut, par exemple, comprendre que les Américains n’enverront jamais de kamikazes dans le métro de Moscou, tandis que ces monstres islamistes le feront volontiers.
Tous les derniers coups portés par l’EI – à Bagdad, à Beyrouth, à Paris, dans le ciel du Sinaï – le sont sous la même bannière : “Vengeance pour la Syrie !” Les bombardements français ont infligé des dommages minimes aux djihadistes, mais qu’à cela ne tienne ! Il leur faut montrer à tous ceux qui oseraient s’en prendre au califat que le châtiment sera terrible. Quant à la Russie, ces monstres la haïssent tout particulièrement : alors qu’ils avaient enfin réalisé leur vieux rêve de califat, les Russes sont venus les frapper dans le dos.
Voilà donc la Syrie détruite et inondée de sang. Elle est aujourd’hui au cœur de tout, le théâtre de tous les excès de l’EI. On comprend pourquoi la diplomatie internationale est ainsi focalisée sur la question syrienne. Qui irait contredire l’idée que tous ceux qui veulent éliminer les djihadistes de la scène politique doivent aujourd’hui unir leurs forces ? Alors où est le problème ? Pourquoi a-t-on l’impression que l’actuel projet de résolution du conflit syrien risque de suivre le même chemin que le “plan de paix de Kofi Annan” [de mars 2012], aujourd’hui oublié, et sur lequel Moscou avait à l’époque fondé tant d’espoirs ? Une seule réponse : toutes les solutions achoppent sur Bachar El-Assad.
La position officielle russe est la suivante : nous ne sommes pas cramponnés à Assad, nous voulons seulement que le peuple syrien puisse choisir son président lors d’élections libres. En attendant, Assad est un président légitimement élu. L’argument est fallacieux et peu convaincant. Premièrement, la légitimité d’Assad est pour le moins controversée : tout le monde sait qu’il n’a pu prendre les rênes du pays que parce qu’il était le fils de l’ancien président, lui-même arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat.
Deuxièmement, où pourraient se dérouler ces élections ? Dans les zones contrôlées par le pouvoir ? Cela ne représente pas plus du quart du territoire syrien. Alors de quelles élections parle-t-on ? Ou bien pense-t-on qu’en six mois l’armée régulière aura libéré la Syrie et vaincu tous ses ennemis, l’EI comme le Front Al-Nosra [affilié à Al-Qaida], mais aussi [le groupe armé salafiste] Ahrar Al-Sham et l’Armée syrienne libre ? Difficile à imaginer.
En quatre ans, l’armée régulière, équipée d’armes russes sophistiquées, n’a pas pu mater ceux qu’Assad appelle les bandes de terroristes, de criminels et de mercenaires, qui ne disposent pourtant que d’armes légères. Les djihadistes ont fait leur apparition en Syrie il y a à peine deux ans. L’armée d’Assad se battait les deux années précédentes contre l’Armée syrienne libre, composée de déserteurs qui avaient trouvé refuge en Turquie et de groupes disparates issus de l’opposition laïque et islamiste modérée. Ces groupes, sans commandement unique et sans armes lourdes, ont non seulement réussi à tenir l’armée en respect, mais ont même pris le contrôle de plusieurs villes. Quand l’EI est entré en Syrie, on se battait déjà dans la banlieue de Damas et dans le centre d’Alep.
Conclusion : il y a quelque chose qui cloche avec l’armée régulière. Inutile d’escompter que l’appui aérien russe entraîne une métamorphose des troupes syriennes au sol qui libéreraient la Syrie comme par magie. En admettant même que ce miracle ait lieu et que toute la Syrie se retrouve à nouveau sous le pouvoir du régime d’Assad, qui irait voter ? Plusieurs millions de Syriens se sont réfugiés en Turquie, au Liban, en Jordanie et maintenant en Europe – sont-ils des citoyens de seconde zone ? Et comment réunir les conditions nécessaires à la tenue d’élections dans un pays à moitié détruit ou dans des camps de réfugiés ?
Des élections en l’état ? Une farce
Poursuivons. Qui seraient les candidats ? Assad n’a pas été écarté, il serait donc candidat et assuré de remporter au moins 90 % des suffrages partout où son pouvoir est toujours reconnu. C’est le seul résultat que pourraient assurer les baasistes, tenants d’un régime totalitaire et policier. Mais surtout comment imaginer que ceux que l’on voudrait associer à un “règlement politique”, à savoir l’opposition modérée, ceux qui se sont soulevés contre Assad en 2011, pourraient accepter de participer à une telle farce ?
Enfin, à supposer qu’une fois encore un miracle ait lieu et que les ministres des Affaires étrangères des puissances internationales et la diaspora syrienne parviennent à un accord dans un quelconque hôtel européen, comment cela serait-il perçu par ceux qui se battent l’arme au poing en Syrie (je parle évidemment de l’opposition, des insurgés) ? Ces gens combattent depuis quatre ans, ils ont fait couler le sang, vu tomber leurs camarades, et voilà qu’Assad leur ordonnerait de déposer les armes, de disparaître ou de se repentir pour vivre encore une fois sous ce même régime…
La solution : protéger les alaouites de représailles
Alors que faire ? Il faut assurer la sécurité des territoires contrôlés actuellement par l’Etat syrien. Eriger un mur de fer autour Damas et Lattaquié et protéger les alaouites de représailles sanglantes. Pour Vladimir Poutine, c’est là une question d’honneur, ce sera son mérite pour la postérité. En échange de quoi, Assad devra désigner un successeur (même de son entourage alaouite) et se retirer officiellement pour le salut de sa nation exsangue.
On me rétorquera que cela entérinera la partition de la Syrie. Mais pas du tout. Au contraire, ce serait l’unique chance d’opposer à l’EI, avec l’opposition modérée, débarrassée d’Assad, un front uni. Une coalition allant des baasistes au groupe Ahrar Al-Cham pourrait être créée. A plus long terme, un nouveau système politique serait bâti, sur le modèle multiconfessionnel libanais par exemple. Utopique, me direz-vous ? Pas plus que la solution préparée actuellement (probablement sans même y croire) par les ministres des grandes puissances. Publié le Georgui Mirski
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"Marxistes et religion, hier et aujourd’hui" par Gilbert Achcar
1. L’attitude théorique («philosophique») du marxisme classique en matière de religion combine trois dimensions complémentaires, que l’on trouve déjà en germe dans l’Introduction à De la critique de la philosophie du droit de Hegel du jeune Marx (1843-1844):
- d’abord, une critique de la religion, en tant que facteur d’aliénation. L’être humain attribue à la divinité la responsabilité d’un sort qui ne lui doit rien («L’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme.»); il s’astreint à respecter des obligations et interdits qui, souvent, entravent son épanouissement; il se soumet volontairement à des autorités religieuses dont la légitimité se fonde soit sur le fantasme de leur rapport privilégié au divin, soit sur leur spécialisation dans la connaissance du corpus religieux.
- ensuite, une critique des doctrines sociales et politiques des religions. Les religions sont des survivances idéologiques d’époques révolues depuis fort longtemps: la religion est «fausse conscience du monde»; elle l’est d’autant plus que le monde change. Nées dans des sociétés précapitalistes, les religions ont pu connaître - à l’instar de la Réforme protestante dans l’histoire du christianisme - des aggiornamentos, qui restent forcément partiels et limitées dès lors qu’une religion vénère des «écritures saintes».
- mais aussi, une «compréhension» (au sens wébérien) du rôle psychologique que peut jouer la croyance religieuse pour les damné/es de la terre. «La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.»
Ces trois considérants débouchent, au regard du marxisme classique, sur une seule et même conclusion énoncée par le jeune Marx: «Le dépassement (Aufhebung) de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence de son véritable bonheur. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions sur sa condition, c’est exiger qu’il soit renoncé a une condition qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole.»
2. Pour autant, le marxisme classique n’a pas posé la suppression de la religion comme condition nécessaire et préalable de l’émancipation sociale (le propos du jeune Marx pourrait se lire: afin de pouvoir surmonter les illusions, il faut d’abord mettre fin à la «condition qui a besoin d’illusions»). En tout état de cause, tout comme pour l’État, pourrait-on dire, il ne s’agit pas d’abolir la religion, mais de créer les conditions de son extinction. Il n’est pas question de prohiber «l’opium du peuple», et encore moins d’en réprimer les consommateurs. Il s’agit seulement de mettre fin aux rapports privilégiés qu’entretiennent ceux qui en font commerce avec le pouvoir politique, afin de réduire son emprise sur les esprits.
Trois niveaux d’attitude sont ici à considérer :
• Le marxisme classique, celui des fondateurs, n’a pas requis l’inscription de l’athéisme au programme des mouvements sociaux. Au contraire, dans sa critique du programme des émigrés blanquistes de la Commune (1874), Engels a raillé leur prétention d’abolir la religion par décret. Sa perspicacité a été entièrement confirmée par les expériences du XXe siècle, comme lorsqu’il soutenait que «les persécutions sont le meilleur moyen d’affermir des convictions indésirables» et que «le seul service que l’on puisse rendre encore, de nos jours, à Dieu est de proclamer l’athéisme un symbole de foi coercitif».
• La laïcité républicaine, c’est-à-dire la séparation de la religion et de l’État, est, en revanche, un objectif nécessaire et imprescriptible, qui faisait déjà partie du programme de la démocratie bourgeoise radicale. Mais là aussi, il importe de ne pas confondre séparation et prohibition, même en ce qui concerne l’enseignement. Dans ses commentaires critiques sur le programme d’Erfurt de la social-démocratie allemande (1891), Engels proposait la formulation suivante: «Séparation complète de l’Église et de l’État. Toutes les communautés religieuses sans exception seront traitées par l’État comme des sociétés privées. Elles perdent toute subvention provenant des deniers publics et toute influence sur les écoles publiques.» Puis il ajoutait entre parenthèses ce commentaire: «On ne peut tout de même pas leur défendre de fonder, par leurs propres moyens, des écoles, qui leur appartiennent en propre, et d’y enseigner leurs bêtises!»
• Le parti ouvrier doit en même temps combattre idéologiquement l’influence de la religion. Dans le texte de 1873, Engels se félicitait du fait que la majorité des militants ouvriers socialistes allemands était gagnée à l’athéisme, et suggérait de diffuser la littérature matérialiste française du XVIIIe siècle afin d’en convaincre le plus grand nombre.
Dans sa critique du programme de Gotha du parti ouvrier allemand (1875), Marx expliquait que la liberté privée en matière de croyance et de culte doit être définie uniquement comme rejet de l’ingérence étatique. Il en énonçait ainsi le principe: «chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez». Il regrettait, en même temps, que le parti n’ait pas saisi «l’occasion d’exprimer sa conviction que la bourgeoise “liberté de conscience” n’est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que lui [le parti] s’efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse».
3. Le marxisme classique n’envisageait la religion que sous l’angle du rapport des sociétés européennes à leurs propres religions traditionnelles. Il ne prenait pas en considération la persécution des minorités religieuses, ni surtout la persécution des religions de peuples opprimés par des États oppresseurs appartenant à une autre religion. À notre époque marquée par la survivance de l’héritage colonial et par sa transposition à l’intérieur même des métropoles impériales - sous la forme d’un «colonialisme intérieur», dont l’originalité est que ce sont les colonisés eux-mêmes qui sont expatriés, c’est-à-dire «immigrés» - cet aspect acquiert une importance majeure.
Dans un contexte dominé par le racisme, corollaire naturel de l’héritage colonial, les persécutions de la religion des opprimé/es, ex-colonisé/es, ne doivent pas être rejetées seulement parce qu’elles sont «le meilleur moyen d’affermir des convictions indésirables». Elles doivent être rejetées, aussi et avant tout, parce qu’elles sont une dimension de l’oppression ethnique ou raciale, aussi intolérable que le sont les persécutions et discriminations politiques, juridiques et économiques.
Certes, les pratiques religieuses des populations colonisées peuvent apparaître comme éminemment rétrogrades aux yeux des populations métropolitaines, dont la supériorité matérielle et scientifique était inscrite dans le fait même de la colonisation. Mais ce n’est pas en imposant le mode de vie de ces dernières aux populations colonisées, contre leur gré, que sera servie la cause de leur émancipation. L’enfer de l’oppression raciste est pavé de bonnes intentions «civilisatrices», et l’on sait à quel point le mouvement ouvrier lui-même fut contaminé par la prétention bienfaitrice et l’illusion philanthropique à l’ère du colonialisme.
Engels avait pourtant bien mis en garde contre ce syndrome colonial. Dans une lettre à Kautsky, datée du 12 septembre 1882, il formula une politique émancipatrice du prolétariat au pouvoir, tout empreinte de la précaution indispensable afin de ne pas transformer la libération présumée en oppression déguisée.
«Les pays sous simple domination et peuplés d’indigènes, Inde, Algérie, les possessions hollandaises, portugaises et espagnoles, devront être pris en charge provisoirement par le prolétariat et conduits à l’indépendance, aussi rapidement que possible. Comment ce processus se développera, voilà qui est difficile à dire. L’Inde fera peut-être une révolution, c’est même très vraisemblable. Et comme le prolétariat se libérant ne peut mener aucune guerre coloniale, on serait obligé de laisser faire, ce qui, naturellement, n’irait pas sans des destructions de toutes sortes, mais de tels faits sont inséparables de toutes les révolutions. Le même processus pourrait se dérouler aussi ailleurs: par exemple en Algérie et en Égypte, et ce serait, pour nous certainement, la meilleure solution. Nous aurons assez à faire chez nous. Une fois que l’Europe et l’Amérique du Nord seront réorganisées, elles constitueront une force si colossale et un exemple tel que les peuples à demi civilisés viendront d’eux-mêmes dans leur sillage: les besoins économiques y pourvoiront déjà à eux seuls. Mais par quelles phases de développement social et politique ces pays devront passer par la suite pour parvenir eux aussi à une structure socialiste, là-dessus, je crois, nous ne pouvons aujourd’hui qu’échafauder des hypothèses assez oiseuses. Une seule chose est sûre: le prolétariat victorieux ne peut faire de force le bonheur d’aucun peuple étranger, sans par là miner sa propre victoire.»
Vérité élémentaire, et pourtant si souvent ignorée: tout «bonheur» imposé par la force équivaut à une oppression, et ne saurait être perçu autrement par ceux et celles qui le subissent.
4. La question du foulard islamique (hijab) condense l’ensemble des problèmes posés ci-dessus. Elle permet de décliner l’attitude marxiste sous tous ses aspects.
Dans la plupart des pays oùl’islam est religion majoritaire, la religion est encore la forme principale de l’idéologie dominante. Des interprétations rétrogrades de l’islam, plus ou moins littéralistes, servent à maintenir des populations entières dans la soumission et l’arriération culturelle. Les femmes subissent le plus massivement et le plus intensivement une oppression séculaire, drapée de légitimation religieuse.
Dans un tel contexte, la lutte idéologique contre l’utilisation de la religion comme argument d’asservissement est une dimension prioritaire du combat émancipateur. La séparation de la religion et de l’État doit être une revendication prioritaire du mouvement pour le progrès social. Les démocrates et les progressistes doivent se battre pour la liberté de chacune et de chacun en matière d’incroyance, de croyance et de pratique religieuse. En même temps, le combat pour la libération des femmes reste le critère même de toute identité émancipatrice, la pierre de touche de toute prétention progressiste.
Un des aspects les plus élémentaires de la libertédes femmes est leur liberté individuelle de se vêtir comme elles l’entendent. Le foulard islamique et, à plus forte raison, les versions plus enveloppantes de ce type de revêtement, lorsqu’ils sont imposés aux femmes, sont une des nombreuses formes de l’oppression sexuelle au quotidien - une forme d’autant plus visible qu’elle sert à rendre les femmes invisibles. La lutte contre l’astreinte au port du foulard, ou autres voiles, est indissociable de la lutte contre les autres aspects de la servitude féminine.
Toutefois, la lutte émancipatrice serait gravement compromise si elle cherchait à«libérer» de force les femmes, en usant de la contrainte non à l’égard de leurs oppresseurs, mais à leur propre égard. Arracher par la force le revêtement religieux, porté volontairement -même si l’on juge que son port relève de la servitude volontaire - est un acte oppressif et non un acte d’émancipation réelle. C’est de surcroît une action vouée à l’échec, comme Engels l’avait prédit: de même que le sort de l’islam dans l’ex-Union soviétique, l’évolution de la Turquie illustre éloquemment l’inanité de toute tentative d’éradication de la religion ou des pratiques religieuses par la contrainte.
«Chacun - et chacune - doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels» - les femmes porter le hijab ou les hommes porter la barbe - «sans que la police y fourre le nez».
Défendre cette liberté individuelle élémentaire est la condition indispensable pour mener un combat efficace contre les diktats religieux. La prohibition du hijab rend paradoxalement légitime le fait de l’imposer, aux yeux de ceux et celles qui le considèrent comme un article de foi. Seul le principe de la liberté de conscience et de pratique religieuse strictement individuelle, qu’elle soit vestimentaire ou autre, et le respect de ce principe par des gouvernements laïcs, permettent de s’opposer légitimement et avec succès à la contrainte religieuse. Le Coran lui-même proclame: «Pas de contrainte en religion»!
Par ailleurs, et pour peu que l’on ne remette pas en cause la liberté d’enseignement, prohiber le port du foulard islamique, ou autres signes religieux vestimentaires, à l’école publique, au nom de la laïcité, est une attitude éminemment antinomique, puisqu’elle aboutit à favoriser l’expansion des écoles religieuses.
5. Dans un pays comme la France, oùl’islam fut pendant fort longtemps la religion majoritaire des «indigènes» des colonies et où il est depuis des décennies la religion de la grande majorité des immigrés, «colonisés» de l’intérieur, toute forme de persécution de la religion islamique - deuxième religion de France par le nombre et religion très inférieure aux autres par le statut - doit être combattue.
L’islam est, en France, une religion défavorisée par rapport aux religions présentes depuis des siècles sur le sol français. C’est une religion victime de discriminations criantes, tant en ce qui concerne ses lieux de culte que la tutelle pesante, empreinte de mentalité coloniale, que lui impose l’État français. L’islam est une religion décriée au quotidien dans les médias français, d’une manière qu’il n’est heureusement plus possible de pratiquer contre la précédente cible prioritaire du racisme, le judaïsme, après le génocide nazi et la complicité vichyste. Un confusionnisme mâtiné d’ignorance et de racisme entretient, par médias interposés, l’image d’une religion islamique intrinsèquement inapte à la modernité, ainsi que l’amalgame entre islam et terrorisme que facilite l’utilisation inappropriée du terme «islamisme» comme synonyme d’intégrisme islamique.
Certes, le discours officiel et dominant n’est pas ouvertement hostile; il se fait même bienveillant, les yeux rivés sur les intérêts considérables du grand capital français - pétrole, armement, bâtiment, etc. - en terre d’Islam. Toutefois, la condescendance coloniale à l’égard des musulman/es et de leur religion est tout autant insupportable pour elles et eux que l’hostilité raciste ouvertement affichée. L’esprit colonial n’est pas l’apanage de la droite en France; il est d’implantation fort ancienne dans la gauche française, constamment déchirée dans son histoire entre un colonialisme mêlé de condescendance d’essence raciste et d’expression paternaliste, et une tradition anticolonialiste militante.
Même aux premiers temps de la scission du mouvement ouvrier français entre sociaux-démocrates et communistes, une aile droite émergea parmi les communistes de la métropole eux-mêmes (sans parler des communistes français en Algérie), se distinguant notamment par son attitude sur la question coloniale. La droite communiste trahit son devoir anticolonialiste face à l’insurrection du Rif marocain sous la direction du chef tribal et religieux Abd-el-Krim, lorsque celle-ci affronta les troupes françaises en 1925.
L’explication de Jules Humbert-Droz à ce propos, devant le comité exécutif de l’IC, garde une certaine pertinence:
«La droite a protesté contre le mot d’ordre de la fraternisation avec l’armée des Rifains, en invoquant le fait que les Rifains n’ont pas le même degré de civilisation que les armées françaises, et qu’on ne peut fraterniser avec des tribus à demi barbares. Elle est allée plus loin encore écrivant qu’Abd-el-Krim a des préjugés religieux et sociaux qu’il faut combattre. Sans doute il faut combattre le panislamisme et le féodalisme des peuples coloniaux, mais quand l’impérialisme français saisit à la gorge les peuples coloniaux, le rôle du P.C. n’est pas de combattre les préjugés des chefs coloniaux, mais de combattre sans défaillance la rapacité de l’impérialisme français.»
6. Le devoir des marxistes en France est de combattre sans défaillance l’oppression raciste et religieuse menée par la bourgeoisie impériale française et son État, avant de combattre les préjugés religieux au sein des populations immigrées.
Lorsque l’État français s’occupe de réglementer la façon de s’habiller des jeunes musulmanes et d’interdire l’accès à l’école de celles qui s’obstinent à vouloir porter le foulard islamique; lorsque ces dernières sont prises comme cibles d’une campagne médiatique et politique dont la démesure par rapport à l’ampleur du phénomène concerné atteste de son caractère oppressif, perçu comme islamophobe ou raciste, quelles que soient les intentions affichées; lorsque le même État favorise l’expansion notoire de l’enseignement religieux communautaire par l’accroissement des subventions à l’enseignement privé, aggravant ainsi les divisions entre les couches exploitées de la population française - le devoir des marxistes, à la lumière de tout ce qui a été exposé ci-dessus, est de s’y opposer résolument.
Ce ne fut pas le cas pour une bonne partie de celles et ceux qui se réclament du marxisme en France. Sur la question du foulard islamique, la position de la Ligue de l’Enseignement, dont l’engagement laïque est au-dessus de tout soupçon, est bien plus en affinité avec celle du marxisme authentique que celle de nombre d’instances qui disent s’en inspirer. Ainsi peut-on lire dans la déclaration adoptée par la Ligue, lors de son assemblée générale de Troyes en juin 2003, ce qui suit:
«La Ligue de l’Enseignement, dont toute l’histoire est marquée par une action constante en faveur de la laïcité, considère que légiférer sur le port de signes d’appartenance religieuse est inopportun. Toute loi serait soit inutile soit impossible.
Le risque est évident. Quelles que soient les précautions prises, il ne fait aucun doute que l’effet obtenu sera un interdit stigmatisant en fait les musulmans. [...]
Pour ceux ou celles qui voudraient faire du port d’un signe religieux l’argument d’un combat politique, l’exclusion de l’école publique n’empêchera pas de se scolariser ailleurs, dans des institutions au sein desquelles ils ont toutes chances de se trouver justifiés et renforcés dans leur attitude. [...]
[L’] intégration de tous les citoyens, indépendamment de leurs origines et de leurs convictions, passe par la reconnaissance d’une diversité culturelle qui doit s’exprimer dans le cadre de l’égalité de traitement que la République doit assurer à chacun. À ce titre, les musulmans, comme les autres croyants, doivent bénéficier de la liberté du culte dans le respect des règles qu’impose une société laïque, pluraliste et profondément sécularisée. Le combat pour l’émancipation des jeunes filles, en particulier, passe prioritairement par leur scolarisation, le respect de leur liberté de conscience et de leur autonomie: n’en faisons pas les otages d’un débat idéologique, par ailleurs nécessaire. Pour lutter contre l’enfermement identitaire, une pédagogie de la laïcité, la lutte contre les discriminations, le combat pour la justice sociale et l’égalité sont plus efficaces que l’interdit.»
Dans son rapport du 4 novembre 2003, remis à la Commission sur l’application du principe de laïcité dans la République (dite Commission Stasi), la Ligue de l’Enseignement traite admirablement de l’islam et des représentations dont il fait l’objet en France, en des pages dont on ne citera ici que quelques extraits:
«Les résistances et les discriminations rencontrées par “les populations musulmanes” dans la société française ne tiennent pas essentiellement, comme on le dit trop souvent, au déficit d’intégration de ces populations mais bien à des représentations et à des attitudes majoritaires qui proviennent en grande partie d’un héritage historique ancien.
La première tient à la non-reconnaissance de l’apport de la civilisation arabo-musulmane à la culture mondiale et à notre propre culture occidentale. [...]
À cette occultation et à ce rejet s’est ajouté l’héritage colonial [...] porteur d’une tradition de violence, d’inégalité et de racisme, profonde et durable, que les difficultés de la décolonisation, puis les déchirements de la guerre d’Algérie ont amplifiée et renforcée. L’infériorisation ethnique, sociale, culturelle et religieuse des populations indigènes, musulmanes des colonies françaises a été une pratique constante, au point de retentir dans les limitations du droit. C’est ainsi qu’en ce qui concerne l’Islam, il a été considéré comme un élément du statut personnel et non comme une religion relevant de la loi de séparation de 1905. Durant tout le temps de la colonisation, le principe de laïcité ne s’est jamais appliqué aux populations indigènes et à leur culte à cause de l’opposition du lobby colonial et malgré la demande des oulémas qui avaient compris que le régime de laïcité leur rendrait la liberté du culte. Comment s’étonner dès lors que pendant très longtemps la laïcité, pour les musulmans, ait été synonyme d’une police coloniale des esprits! Comment veut-on que cela ne laisse pas des traces profondes, tant du côté des anciens colonisés que du pays colonisateur? Si de nombreux musulmans aujourd’hui encore considèrent que l’Islam doit régler les comportements civils, tant publics que privés, et, sans revendiquer de statut personnel, ont parfois tendance à en adopter le profil, c’est que la France et la République laïque leur ont intimé de le faire pendant plusieurs générations. Si de nombreux Français, parfois même parmi les plus instruits et qui exercent des responsabilités en vue, se permettent des appréciations péjoratives sur l’Islam dont l’ignorance le dispute à la stupidité, c’est qu’ils s’inscrivent, le plus souvent inconsciemment et en s’en défendant, dans cette tradition du mépris colonial.
Un troisième aspect vient faire obstacle à la considération de l’Islam sur un pied d’égalité: c’est que religion transplantée, il est aussi une religion de pauvres. À la différence des religions judéo-chrétiennes dont les pratiquants en France se répartissent sur l’ensemble de l’échiquier social, et à la différence en particulier du catholicisme historiquement intégré à la classe dominante, les musulmans, citoyens français ou immigrés vivant en France, se situent pour l’instant, pour une grande majorité, en bas de l’échelle sociale. Là encore, la tradition coloniale se poursuit, puisque à l’infériorisation culturelle des populations indigènes s’ajoutait l’exploitation économique, et que celle-ci a longtemps pesé aussi très fortement sur les premières générations immigrées, tandis qu’aujourd’hui leurs héritiers sont les premières victimes du chômage et de la relégation urbaine. Le mépris social et l’injustice qui frappent ces catégories sociales affectent tous les aspects de leur existence, y compris la dimension religieuse. On ne s’offusque pas des foulards sur la tête des femmes de ménage ou de service dans les bureaux: il ne devient objet de scandale que s’il est porté avec fierté par des filles engagées dans des études ou des femmes ayant le statut de cadres.»
L’incompréhension manifestée par les principales organisations de la gauche marxiste extraparlementaire en France à l’égard des problèmes identitaires et culturels des populations concernées est révélée par la composition de leurs listes électorales aux élections européennes: tant en 1999 qu’en 2004, les citoyen/nes originaires de populations naguère colonisées - du Maghreb ou d’Afrique noire, en particulier - ont brillé par leur absence dans le peloton de tête des listes LCR-LO, contrairement aux listes du PCF, parti tant de fois stigmatisé pour manquement à la lutte antiraciste par ces deux organisations. Ce faisant, elles se sont également privées d’un potentiel électoral parmi les couches les plus opprimées de France, un potentiel dont le score réalisé en 2004 par une liste improvisée comme Euro-Palestine a témoigné de façon éclatante.
7. En mentionnant «ceux ou celles qui voudraient faire du port d’un signe religieux l’argument d’un combat politique», la Ligue de l’Enseignement faisait allusion, bien entendu, à l’intégrisme islamique. L’expansion de ce phénomène politique dans les milieux issus de l’immigration musulmane en Occident, après sa forte expansion depuis trente ans en terre d’Islam, a été, en France, l’argument préféré des pourfendeurs/ses de foulard islamique.
L’argument est réel: à l’instar des intégrismes chrétiens, juif, hindouiste et autres, visant à imposer une interprétation rigoriste de la religion comme code de vie, sinon comme mode de gouvernement, l’intégrisme islamique est un véritable danger pour le progrès social et les luttes émancipatrices. En prenant soin d’établir une distinction claire et nette entre la religion en tant que telle et son interprétation intégriste, la plus réactionnaire de toutes, il est indispensable de combattre l’intégrisme islamique idéologiquement et politiquement, tant dans les pays d’Islam qu’au sein des minorités musulmanes en Occident ou ailleurs.
Cela ne saurait, cependant, constituer un argument en faveur d’une prohibition publique du foulard islamique: la Ligue de l’Enseignement a expliqué le contraire de façon convaincante. Plus généralement, l’islamophobie est le meilleur allié objectif de l’intégrisme islamique: leur croissance va de pair. Plus la gauche donnera l’impression de se rallier à l’islamophobie dominante, plus elle s’aliènera les populations musulmanes et plus elle facilitera la tâche des intégristes musulmans, qui apparaîtront comme seuls à même d’exprimer la protestation des populations concernées contre «la misère réelle».
L’intégrisme islamique est, cependant, un phénomène très différencié et l’attitude tactique à son égard doit être modulée selon les situations concrètes. Lorsque ce type de programme social est manié par un pouvoir oppresseur et par ses alliés afin de légitimer l’oppression en vigueur, comme dans le cas des nombreux despotismes à visage islamique; ou lorsqu’il devient l’arme politique d’une réaction luttant contre un pouvoir progressiste, comme ce fut le cas dans le monde arabe, dans la période 1950-1970, quand l’intégrisme islamique était le fer de lance de l’opposition réactionnaire au nassérisme égyptien et à ses émules - la seule attitude convenable est celle d’une hostilité implacable aux intégristes.
Il en va autrement lorsque l’intégrisme islamique se déploie en tant que vecteur politico-idéologique d’une lutte animée par une cause objectivement progressiste, vecteur difforme, certes, mais remplissant le vide laissé par la défaite ou la carence des mouvements de gauche. C’est le cas des situations où les intégristes musulmans combattent une occupation étrangère (Afghanistan, Liban, Palestine, Irak, etc.) ou une oppression ethnique ou raciale, comme de celles où ils incarnent une aversion populaire à l’égard d’un régime d’oppression politique réactionnaire. C’est aussi le cas de l’intégrisme islamique en Occident, où son essor est généralement l’expression d’une rébellion contre le sort réservé aux populations immigrées.
En effet, comme la religion en général, l’intégrisme islamique peut être «d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle», à la différence près qu’il s’agit dans son cas d’une protestation active: il n’est pas «l’opium» du peuple, mais plutôt «l’héroïne» d’une partie du peuple, dérivée de «l’opium» et qui substitue son effet extatique à l’effet narcotique de celui-ci.
Dans tous ces types de situations, il est nécessaire d’adapter une attitude tactique aux circonstances de la lutte contre l’oppresseur,ennemi commun. Tout en ne renonçant jamais au combat idéologique contre l’influence néfaste de l’intégrisme islamique, il peut être nécessaire, ou inévitable, de converger avec des intégristes musulmans dans des batailles communes - allant de simples manifestations de rue à la résistance armée, selon les cas.
8. Les intégristes islamiques peuvent être des alliés objectifs et circonstanciels dans un combat déterminé, menépar des marxistes. Il s’agit toutefois d’une alliance contre-nature, forcée par les circonstances. Les règles qui s’appliquent à des alliances beaucoup plus naturelles, comme celles qui furent pratiquées dans la lutte contre le tsarisme en Russie, sont ici à respecter à plus forte raison, et de façon plus stricte encore.
Ces règles ont été clairement définies par les marxistes russes au début du XXe siècle. Dans sa Préface de janvier 1905 à la brochure Avant le 9 janvier de Trotsky, Parvus les résumait ainsi:
«Pour faire simple, en cas de lutte commune avec des alliés d’occasion, on peut suivre les points suivants: 1) Ne pas mélanger les organisations. Marcher séparément, mais frapper ensemble. 2) Ne pas renoncer à ses propres revendications politiques. 3) Ne pas cacher les divergences d’intérêt. 4) Suivre son allié comme on file un ennemi. 5) Se soucier plus d’utiliser la situation créée par la lutte que de préserver un allié.»
«Parvus a mille fois raison» écrivit Lénine dans un article d’avril 1905, publié dans le journal Vperiod, en soulignant «la condition absolue (rappelée fort à propos) de ne pas confondre les organisations, de marcher séparément et de frapper ensemble, de ne pas dissimuler la diversité des intérêts, de surveiller son allié comme un ennemi, etc.». Le dirigeant bolchevique énumérera maintes fois ces conditions au fil des ans.
Les mêmes principes furent défendus inlassablement par Trotsky. Dans L’Internationale communiste après Lénine (1928), polémiquant au sujet des alliances avec le Kuomintang chinois, il écrivit les phrases suivantes, particulièrement adaptées au sujet dont il est ici question:
«Depuis longtemps, on a dit que des ententes strictement pratiques, qui ne nous lient en aucune façon et ne nous créent aucune obligation politique, peuvent, si cela est avantageux au moment considéré, être conclues avec le diable même. Mais il serait absurde d’exiger en même temps qu’à cette occasion le diable se convertisse totalement au christianisme, et qu’il se serve de ses cornes [...] pour des oeuvres pieuses. En posant de telles conditions, nous agirions déjà, au fond, comme les avocats du diable, et lui demanderions de devenir ses parrains.»
Nombre de trotskystes font exactement l’inverse de ce que préconisait Trotsky, dans leur rapport avec des organisations intégristes islamiques. Non pas en France, où les trotskystes, dans leur majorité, tordent plutôt le bâton dans l’autre sens, comme il a été déjà expliqué, mais de l’autre côté de la Manche, en Grande-Bretagne.
L’extrême gauche britannique a le mérite d’avoir fait preuve d’une bien plus grande ouverture aux populations musulmanes que l’extrême gauche française. Elle a mené, contre les guerres d’Afghanistan et d’Irak, auxquelles a participé le gouvernement de son pays, de formidables mobilisations avec la participation massive de personnes issues de l’immigration musulmane. Dans le mouvement antiguerre, elle est même allée jusqu’à s’allier à une organisation musulmane d’inspiration intégriste, la Muslim Association of Britain (MAB), émanation britannique du principal mouvement intégriste islamique «modéré» du Moyen-Orient, le Mouvement des Frères musulmans (représenté dans les parlements de certains pays).
Rien de répréhensible, en principe, àune telle alliance pour des objectifs bien délimités, àcondition de respecter strictement les règles énoncées ci-dessus. Le problème commence cependant avec le traitement en allié privilégié de cette organisation particulière, qui est loin d’être représentative de la grande masse des musulmans de Grande-Bretagne. Plus généralement, les trotskystes britanniques ont eu tendance, à l’occasion de leur alliance avec la MAB dans le mouvement antiguerre, à faire l’opposé de ce qui est énoncé ci-dessus, c’est-à-dire: 1) mélanger les bannières et les pancartes, au propre comme au figuré; 2) minimiser l’importance des éléments de leur identité politique susceptibles de gêner les alliés intégristes du jour; et enfin 3) traiter ces alliés de circonstance comme s’il s’agissait d’alliés stratégiques, en rebaptisant «anti-impérialistes» ceux dont la vision du monde correspond beaucoup plus au choc des civilisations qu’à la lutte des classes.
9. Cette tendance s’est aggravée avec le passage d’une alliance dans le contexte d’une mobilisation antiguerre à une alliance électorale. La MAB n’a, certes, pas adhéré en tant que telle à la coalition électorale Respect, animée par les trotskystes britanniques, ses principes intégristes lui interdisant de souscrire à un programme de gauche. Mais l’alliance entre la MAB et Respect s’est traduite, par exemple, par la candidature sur les listes de Respect d’un dirigeant en vue de la MAB, l’ex-président et porte-parole de l’association.
Ce faisant, l’alliance passait à un niveau qualitativement supérieur, tout à fait répréhensible, lui, d’un point de vue marxiste: autant il peut être légitime, en effet, de nouer des «ententes strictement pratiques», sans «aucune obligation politique» autre que l’action pour les objectifs communs - en l’occurrence, exprimer l’opposition à la guerre menée par le gouvernement britannique conjointement avec les États-Unis et dénoncer le sort infligé au peuple palestinien - avec des groupes et/ou des individus qui adhérent, par ailleurs, à une conception foncièrement réactionnaire de la société, autant il est inacceptable pour des marxistes de conclure une alliance électorale - type d’alliance qui suppose une conception commune du changement politique et social - avec ce genre de partenaires.
Par la force des choses, prendre part àune même liste électorale avec un intégriste religieux, c’est donner l’impression trompeuse qu’il s’est converti au progressisme social et à la cause de l’émancipation des travailleurs... et des travailleuses! La logique même de cette espèce d’alliance pousse celles et ceux qui y sont engagés, face aux critiques inévitables de leurs concurrents politiques, à défendre leurs alliés du jour et à minimiser, sinon cacher, les divergences profondes qui les opposent à eux. Ils en deviennent les avocat/es, voire les parrains et marraines auprès du mouvement social progressiste.
C’est ainsi que Lindsay German, dirigeante centrale du Socialist Workers Party britannique et de la coalition Respect, a signé dans The Guardian du 13 juillet 2004, un article qualifié de «merveilleux» («wonderful») sur le site web de la MAB. Sous le titre «Un insigne d’honneur» («A badge of honour»), l’auteure défend énergiquement l’alliance électorale avec la MAB, en expliquant que c’est un honneur pour elle et ses camarades de voir les victimes de l’islamophobie se tourner vers eux, avec une justification surprenante de l’alliance avec la MAB. Résumons-en l’argumentaire: les intégristes musulmans ne sont pas les seuls à être anti-femmes et homophobes, les intégristes chrétiens le sont également. D’ailleurs, de plus en plus de femmes parlent pour la MAB dans les réunions antiguerres (comme dans les meetings organisés par les mollahs en Iran, pourrait-on ajouter). Les fascistes du BNP (British National Party) sont bien pires que la MAB.
«Certes, poursuit Lindsay German, certains musulmans - et non musulmans - ont, sur certaines questions sociales, des vues qui sont plus conservatrices que celles de la gauche socialiste et libérale. Mais cela ne devrait pas empêcher de collaborer sur des questions d’intérêt commun. Insisterait-on dans une campagne pour les droits des gays, par exemple, pour que toutes les personnes qui y participent partagent le même point de vue sur la guerre en Irak?»
L’argument est tout à fait recevable s’il ne concerne que la campagne antiguerre. Mais s’il est utilisé pour justifier une alliance électorale comme Respect, au programme beaucoup plus global qu’une campagne pour les droits des gays et des lesbiennes, il devient tout à fait spécieux.
10. L’électoralisme est une politique à bien courte vue. En vue de réaliser une percée électorale, les trotskystes britanniques jouent, en l’occurrence, un jeu qui dessert les intérêts stratégiques de la construction d’une gauche radicale dans leur pays.
Ce qui les a déterminés, c’est d’abord et avant tout, un calcul électoral: tenter de capter les votes des masses considérables de personnes issues de l’immigration qui rejettent les guerres en cours menées par Londres et Washington (notons, en passant, que l’alliance avec la MAB s’est faite autour des guerres d’Afghanistan et d’Irak, et non autour de celle du Kosovo - et pour cause!). L’objectif, en soi, est légitime, s’il se traduit par le souci de recruter parmi les travailleurs et travailleuses d’origine immigrée, par une attention particulière prêtée à l’oppression spécifique qu’ils/elles subissent, et par la mise en avant, à cette fin, de militant/es de gauche appartenant à ces communautés, notamment en les plaçant en bonne position sur les listes électorales. Tout ce que n’a pas fait l’extrême gauche française, en somme.
Par contre, en choisissant de s’allier électoralement - même si ce n’est que de façon limitée - avec une organisation intégriste islamique comme la MAB, l’extrême gauche britannique sert de marchepied à celle-ci pour sa propre expansion dans les communautés issues de l’immigration, alors qu’elle devrait la considérer comme une rivale à combattre idéologiquement et à circonscrire du point de vue organisationnel. Tôt ou tard, cette alliance contre-nature se heurtera à une pierre d’achoppement, et volera en éclat. Les trotskystes devront alors affronter ceux-là mêmes dont ils auront facilité l’expansion pour le plat de lentilles d’un résultat électoral, dont il est loin d’être sûr, en outre, qu’il doit beaucoup aux partenaires intégristes.
Il n’est qu’à voir avec quels arguments les intégristes appellent à voter pour Respect (et pour d’autres, dont le maire de Londres, le labouriste de gauche Ken Livingstone, bien plus opportuniste encore que les trotskystes dans ses rapports avec l’association islamique). Lisons la fatwa du cheikh Haitham Al-Haddad, datée du 5 juin 2004 et publiée sur le site de la MAB.
Le vénérable cheikh explique qu’ «il est obligatoire pour les musulmans qui vivent à l’ombre de la loi des hommes d’agir par tous les moyens nécessaires pour que la loi d’Allah, le Créateur, soit suprême et manifeste dans tous les aspects de la vie. S’ils ne sont pas en mesure de le faire, il devient alors obligatoire pour eux de s’efforcer de minimiser le mal et de maximiser le bien.» Le cheikh souligne ensuite la différence entre «voter pour un système parmi un nombre d’autres systèmes, et voter pour choisir le meilleur individu parmi un nombre de candidats dans un système déjà établi, imposé aux gens et qu’ils ne sont pas en mesure de changer dans l’avenir immédiat».
«Il ne fait pas de doute, poursuit-il, que le premier type [de vote] est un acte de Kufr [impie], car Allah dit “Il n’appartient qu’à Allah de légiférer”», tandis que «voter pour un candidat ou un parti qui gouverne selon la loi des hommes n’implique pas d’approuver ou d’accepter sa méthode». Il s’ensuit que «nous devons participer au vote, avec la conviction que nous tentons ainsi de minimiser le mal, tout en soutenant l’idée que le meilleur système est la Charia, qui est la loi d’Allah».
Le vote étant licite, se pose alors la question de savoir pour qui voter. «La réponse à une telle question requiert une compréhension profonde et précise de l’arène politique. Par conséquent, je crois que les individus doivent éviter de s’impliquer dans ce processus et confier plutôt cette responsabilité aux organisations musulmanes éminentes [...]. Il incombe donc aux autres musulmans d’accepter et de suivre les décisions de ces organisations.»
En conclusion de quoi, le vénérable cheikh appelle les musulmans de Grande-Bretagne à suivre les consignes électorales de la MAB et termine par cette prière: «Nous demandons à Allah de nous guider sur le droit chemin et d’accorder la victoire à la loi de notre Seigneur, Allah, dans le Royaume-Uni et dans d’autres parties du monde.»
Cette fatwa se passe de commentaire. L’opposition profonde entre les desseins du cheikh sollicité par la MAB et la tâche que les marxistes se fixent, ou devraient se fixer, dans leur action auprès des populations musulmanes est flagrante. Les marxistes ne sauraient chercher à récolter des votes à n’importe quel prix, tels des politiciens opportunistes prêts à tout pour être élus. Il est des soutiens, comme celui du cheikh Al-Haddad, qui sont des cadeaux empoisonnés. Il faut savoir désavouer ceux dont ils émanent: la bataille pour l’influence idéologique au sein des populations issues de l’immigration est d’une importance beaucoup plus fondamentale qu’un résultat électoral, aussi exaltant soit-il.
La gauche radicale, de part et d’autre de la Manche, doit revenir à une attitude conforme au marxisme dont elle se revendique. Faute de quoi, l’emprise des intégristes sur les populations musulmanes risque d’atteindre un niveau dont il sera fort difficile de la faire reculer. Le fossé entre ces populations et le reste des travailleuses et des travailleurs en Europe s’en trouverait élargi, alors que la tâche de le combler est l’une des conditions indispensables pour substituer le combat commun contre le capitalisme au choc des barbaries.
Le 15 octobre 2004.
G. Achcar, politologue, professeur à la School of Oriental and African Studies de l'Université de Londres
http://www.npa2009.org/content/marxistes-et-religion-hier-et-aujourdhui-par-gilbert-achcar
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Syrie: Craintes pour la vie du défenseur de la liberté d'expression Bassel Khartabil, détenu dans un lieu secret et qui risque la peine de mort (FLD)
Bassel Khartabil, un défenseur de la liberté d'expression détenu dans des conditions qui s'apparentent à une disparition forcée, risque d'être condamné à mort, ont déclaré aujourd'hui 36 organisations locales et internationales.
Sa femme a reçu des rapports non confirmés déclarant qu'un tribunal militaire l'a condamné à mort. L'endroit où il se trouve devrait être immédiatement divulgué et il devrait être libéré sans condition, ont ajouté les organisations.
Les services de renseignements militaires ont arrêté Bassel Khartabil le 15 mars 2012. Il a été détenu au secret pendant 8 mois et a été torturé et maltraité. Il fait face à un procès militaire à cause de ses activités pacifiques en faveur de la liberté d'expression. Un juge militaire a interrogé Bassel Khartabil pendant quelques minutes le 9 décembre 2012, mais il avait dit à sa famille n'avoir rien entendu de plus à propos de cette affaire. En décembre 2012, il a été transféré à la prison Adra à Damas, où il a été détenu jusqu'au 3 octobre 2015, puis il a été transféré vers un lieu qui n'a pas été révélé et depuis, il n'y a aucune nouvelle de lui.
Sa femme aurait reçu ces informations de sources venant des services de renseignements militaires; cela indique que depuis sa disparition, il a été jugé par un tribunal militaire au siège de la police militaire à al-Qaboun, qui l'a condamné à mort. Les tribunaux militaires en Syrie, sont des tribunaux exceptionnels où les procès se déroulent à huis clos et ne respectent pas les normes internationales en matière de procès équitable. Les accusés n'ont aucun représentant légal et les décisions de la cour sont des obligations et il n'est pas possible de faire appel. Les personnes traduites devant de tels tribunaux et remises en liberté ensuite ont déclaré les procédures sont superficielles et qu'elles ne durent souvent que quelques minutes.
Bassel Khartabil est développeur de logiciel; il mettait son expertise technique au service de la liberté d’expression et de l’accès à l’information via l’internet. Il a reçu de nombreux prix, y compris le prix d’Index on Censorship pour la liberté numérique pour 2013 et ce pour avoir fait usage de la technologie en vue de promouvoir un internet libre et ouvert. Son arrestation et sa détention arbitraire semblent directement liées à son travail légitime et pacifique en faveur des droits humains, ont déclaré les organisations.
Les appels à sa libération ont été publiés par ce groupe depuis son arrestation et ont été relayés par le groupe de travail de l'ONU sur les détentions arbitraires en avril 2015.
Les autorités syriennes devraient:
1. Révéler immédiatement l'endroit où se trouve Bassel Khartabil et lui permettre de voir un avocat et sa famille;
2. Garantir qu'il soit protégé de tout acte de torture et de mauvais traitements;
3. Le libérer immédiatement et sans condition.
4. Libérer toutes les personnes détenues en Syrie pour avoir exercer leur droit légitime à la liberté d'expression et d'association. -
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Un mois de lutte contre Amendis (Cadtm)
Quand les habitants du Tanger des quartiers populaires ont appelé la population à couper l’électricité le samedi 17 octobre 2015 et s’éclairer aux bougies, pour protester contre la hausse de la facture d’eau et d’électricité, le mouvement a été largement suivi dans les autres quartiers de la ville, et s’est poursuivi pour rassembler chaque samedi d’énormes manifestations populaires qui ont bravé les forces de répression. « La révolte des bougies » s’est propagée à d’autres villes du nord Ksar, M’Dik, Fnidek, et obligé les représentants du pouvoir, dirigeants, élus, responsables et… ceux de la société délégataire Amendis à parler un autre langage que celui de la matraque et des menaces.
Le retour des « baltagis » |1|
La dernière manifestation du samedi 14 novembre 2015, la 5e, depuis le début du mouvement parti de Tanger pour réclamer « dégage Amendis ».
Malgré les promesses, les divisions, et le retour des « baltagis » à Tanger : entre pression et répression, les habitants continuent à réclamer « dégage Amendis ».
À Tanger, pour ce 5e samedi de contestation contre Amendis, les habitants ont été bloqués par des bandes au service du pouvoir : les « baltagis », drapeau et portrait du roi brandis, ils ont bloqué les manifestants sortis de plusieurs quartiers populaires pour rejoindre le centre de la ville et continuer à réclamer le départ d’Amendis.
Le débat sur le retour à la gestion publique de l’eau, électricité a été relancé grâce à ce mouvement citoyen qui a pris la rue et obligé le gouvernement à sortir de son silence, et mettre à nu sa complicité avec la gestion défaillante d’Amandis, les malversations, les promesses non tenues, le non respect du contrat, la cherté des factures, corruption et détournement, complicités avec les élus et le pouvoir.
De nombreux articles et documents attestent contre Amendis
Tandis que le mouvement se développe à d’autres villes et régions, les citoyens-manifestants réclament le retour à la gestion publique, à la dé-privatisation de l’eau et de l’électricité, et que de nombreux documents sont publiés |2| : ainsi le rapport de la cour des comptes qui est resté lettre morte.
Pour en arriver à… un dialogue de sourds
« Le contrat avec Amendis ne sera pas résilié » a déclaré le 1er ministre A. Benkirane le 17 novembre devant le Parlement.
Ce n’est qu’après cinq semaines de lutte et de mobilisation massives et populaires, et malgré les multiples tentatives pour diviser le mouvement : promesses vaines, déclarations rassurantes, puis menaces et répression, ce n’est qu’après la dernière manifestation du samedi 14 novembre, que le roi dicte ses directives à son gouvernement et que son 1er ministre Benkirane annonce : « le contrat avec Amendis ne sera pas résilié », en précisant qu’aucune société marocaine n’est capable d’assurer ce service. Et de plus, Amendis exige 2 milliards de dh pour frais de résiliation !
Le 1er Ministre appelle donc le peuple à se résigner et accepter le diktat d’Amendis !
Peuple pris en otage par une multinationale
Après les nombreuses manifestations parties de Tanger qui ont rassemblé par milliers et touché d’ autres villes du nord, exigeant de plus en plus fort :« dégage Amendis », et tandis que les citoyen-nes-manifestant-es armés de bougies, réclament le retour à la gestion publique, la déprivatisation de l’eau et de l’électricité…
Il est bien triste de noter le faible soutien, voire l’absence de solidarité avec ce mouvement populaire par les nombreuses organisations marocaines politiques et syndicales, les mouvements sociaux des femmes, des jeunes, d’étudiants, de chômeurs, les nombreuses associations des Droits de l’Homme, de Défense de l’Environnement, du Bien Public, de Quartiers, de Juristes, Avocats, Juges, les Anti-Corruption… Entre querelles et divisions des directions, capitulations des dirigeants et désarrois des militants livrés seuls à l’éternelle question « Que faire »…
La large mobilisation populaire initiée par le mouvement de 20 février 2011 dans le contexte des soulèvements des peuples de la région a déjà montré les grandes difficultés des organisations de lutte à s’enraciner et accompagner cette dynamique. Et c’est cette déception politique qui les gagne maintenant après l’extinction du mouvement... et l’espoir d’une Révolution dans une région aujourd’hui menacée de terreurs et de guerres causées par les différentes interventions impérialistes.
Alors qu’est soulevée, ici et maintenant, par ce mouvement populaire, à travers cette lutte exemplaire et avant-gardiste, une question qui concerne toute la société à Tanger et dans la région, au Maroc, dans les pays du Sud comme du Nord et partout ailleurs dans le monde mondialisé.
La population est prise en otage, entre une société multinationale qui dicte sa loi, et un pouvoir incapable de reprendre en main la gestion de l’eau et l’électricité, notre bien commun. Un pouvoir incapable de ramasser les ordures qui inondent les rues, ni soigner sa population, encore moins l’éduquer, préserver son environnement… à quoi sert-il, est-on bien obligé de nous demander ?
Une leçon qui ne doit pas passer sous silence un appel à tous les peuples « privatisés », pollués, endettés, colonisés : nos ressources vitales, notre bien commun, notre souveraineté ne sont pas à vendre !
Exigeons des comptes, organisons des audits citoyens, prenons en main notre avenir…
18 novembre 2015 21 novembre
Notes
|1| Les casseurs de manifestations, apparus avec le Mouvement du 20 Février 2011 au Maroc
|2| http://telquel.ma/2015/11/07/les-cinq-griefs-cour-comptes-amendis_1469338 et la cour des comptes : http://telquel.ma/2015/11/07/les-cinq-griefs-cour-comptes-amendis_1469338
Auteur
Souad GuennounArchitecte et photographe renommée, vit à Casablanca. Elle témoigne depuis plusieurs années des crises sociales du Maroc d’aujourd’hui : émigration clandestine, enfants des rues, situation des femmes, luttes ouvrières, etc.
Elle filme les luttes menées contre la concentration des richesses, les restructurations d’entreprises provoquées par le néo libéralisme, les choix du régime monarchique visant à soumettre la population aux exigences de la mondialisation financière. Elle est membre d’ATTAC-CADTM Maroc. -
La Prochaine Révolution en Afrique du Nord : La Lutte pour la Justice Climatique (Anti-k)
Le changement climatique aura des effets dévastateurs sur l’Afrique du Nord. Il y aura des morts et des millions de personnes seront forcées de migrer.La lutte pour la survie et la justice climatique en Afrique du Nord Par Hamza Hamouchene et Mika Minio-Paluello
Le désert ne cesse de s’étendre. Les récoltes sont mauvaises et les pêcheurs sont entrain de perdre leurs moyens de subsistance. Les pluies deviendront de plus en plus irrégulières, les ressources en eaux diminueront et les tempêtes seront plus violentes. Les étés seront très chauds et les hivers très froids. La sécheresse contraint déjà les villageois à abandonner leurs foyers et l’élévation du niveau de la mer est en train de détruire les terres fertiles. La chute de la production alimentaire et le tarissement des ressources en eau menaceront même les mégapoles comme le Caire, Casablanca et Alger. Les prochaines vingt années vont transformer fondamentalement la région.
Ceci n’est pas un fait naturel. Le changement climatique est une guerre de classe, une guerre érigée par les riches contre les classes ouvrières, les petits paysans et les pauvres. Ces derniers portent le fardeau à la place des privilégiés. La violence du changement climatique est causée par le choix de l’exploitation continue des combustibles fossiles, une décision prise par les multinationales et les gouvernements occidentaux avec les élites et militaires locaux. C’est le résultat de plus d’un siècle de capitalisme et de colonialisme. Mais ces décisions sont constamment renouvelées à Bruxelles, Washington DC et Dubaï et plus localement à Héliopolis, Lazoghly et Kattameya, Ben Aknoun, Hydra et La Marsa.
La survie des générations futures dépendra de l’abandon de l’exploitation des combustibles fossiles et de l’adaptation au climat qui est d’ores et déjà en train de changer. Des milliards de dollars seront dépensés pour essayer de s’adapter : trouver de nouvelles sources en eau, restructurer l’agriculture et réorienter la production vers de nouvelles cultures, construire des digues pour repousser les eaux salées et changer la forme et le style d’urbanisme des villes. Mais, cette adaptation serait dans l’intérêt de quelle catégorie de population ? Les mêmes structures autoritaires des pouvoirs qui ont, en premier lieu, causé ces changements climatiques sont en train de préconiser une stratégie pour assurer leur protection et faire davantage de profits. Les institutions néolibérales se prononcent clairement sur leur transition climatique tandis que la gauche et les mouvements démocratiques restent pour la plus part muets sur ce sujet. La question qui se pose : quelles seront les communautés exclues des cercles fermés et bien protégés de ces changements climatiques durs et pénibles?
Comment le changement climatique transformera-t-il l’Afrique du Nord ?
Le changement climatique provoqué par l’être humain est déjà bien une réalité en Afrique du Nord. Cette réalité est en train de saper et d’affaiblir les bases socio-économiques et écologiques de la vie dans la région et finira par imposer un changement des systèmes politiques.
Les récentes sécheresses prolongées en Algérie et en Syrie ont constitué des événements climatiques chaotiques qui ont dépassé et submergé la capacité des Etats et de leurs structures sociales et institutionnelles actuelles, pourtant conçues pour s’en occuper. Les sécheresses sévères à l’est de la Syrie ont détruit les moyens de subsistance de 800 000 personnes et ont décimé 85% du bétail. 160 villages entiers ont été abandonnés avant 2011. Les changements dans le cycle hydrologique réduiront l’approvisionnement en eau douce ainsi que la production agricole. Cela signifie avoir recours à davantage d’importations alimentaires de denrées de base et des prix plus élevés dans les pays qui en sont déjà dépendants, comme l’Egypte. De plus en plus nombreux seront ceux qui connaîtront la faim et la famine.
Le désert est en progression croissante, s’étalant de plus en plus sur les terres avoisinantes. Une pression immense s’exercera sur les rares ressources en eau, étant donné que la demande augmente plus rapidement que la croissance démographique. L’approvisionnement chutera à cause des changements dans les précipitations des pluies et l’intrusion de l’eau de mer dans les réserves d’eaux potables souterraines. Ces phénomènes sont les résultats du changement climatique ainsi que de l’usage excessif des eaux souterraines. Cette situation risque de mettre les pays du monde arabe au-dessous du niveau de pauvreté absolue en eau, qui se situe à l’échelle de 500 m3 par personne.
La montée des niveaux de mers est actuellement en train de forcer les paysans à quitter leurs terres en Tunisie, au Maroc et en Egypte. L’eau salée détruit les champs fertiles du Delta du Nil en Egypte et du Delta de la Moulouya au Maroc, menaçant d’inonder et d’éroder de vastes étendues de peuplements côtiers, y compris des villes comme Alexandrie et Tripoli. Les mers elles-mêmes sont touchées par ce changement climatique. En effet, l’absorption de quantités de plus en plus importantes de dioxyde de carbone les rend plus acides, tuant ainsi les récifs coralliens. Cela va influer négativement sur la biodiversité dans la mer Rouge, détruisant ainsi les moyens de subsistance de dizaines de milliers de personnes qui travaillent dans les secteurs de la pêche et du tourisme.
La chaleur estivale s’intensifiera. L’augmentation des températures et leurs effets « stressants » vont faire des milliers de morts, particulièrement les travailleurs ruraux qui ne peuvent pas éviter les travaux lourds et les activités d’extérieur. La fréquence et l’intensité des événements météorologiques seront extrêmes et plus importantes. Les tempêtes de poussière et les inondations dues au froid glacial menacent les citadins les plus pauvres, surtout les millions de migrants qui vivent dans des zones d’habitation informelle aux alentours des villes. Les réfugiés seront les moins bien-protégés, y compris les Soudanais en Egypte, les Maliens en Algérie, les Libyens en Tunisie et les Syriens au Liban. Faute d’améliorations majeures, les traditions et l’infrastructure urbaine actuelles qui comprennent les systèmes de drainage, les services d’urgence et les structures qui assurent le partage des ressources d’eaux, ne pourront pas être en mesure de faire face à tous ces problèmes.
Le réchauffement climatique induit plus de maladies à cause des pathogènes d’origine hydrique qui sont propagés par des insectes venant des régions tropicales, atteignant ainsi des millions de gens qui n’ont été jamais exposés. Le paludisme (malaria) et autres maladies se déplaceront vers le Nord, menaçant et les humains et le bétail. Les parasites qui sont déjà présents en Afrique du Nord élargiront leur zone d’action, par exemple, les « leishmanies » risquent de doubler leur aire géographique au Maroc dans les prochaines années.
Le chaos climatique coûte déjà des millions de vies et des milliards de dollars. La revue médicale « The Lancet » soutient que « la survie de collectivités entières est en jeu » dans le monde arabe.
L’échec des dirigeants politiques
Le changement climatique est attribuable à la combustion des carburants fossiles, à la déforestation et à des pratiques agricoles non-durables et insoutenables, encouragées par l’industrie agro-alimentaire. Le dioxyde de carbone et le méthane, qui sont rejetés dans l’atmosphère, sont des produits dérivés de l’activité industrielle des hydrocarbures. Le pétrole comme le gaz, le charbon et les minéraux sont extraits et consommés à grande échelle pour dégager des profits qui serviront les pouvoirs d’État. C’est le capitalisme extractiviste sous lequel nous vivons.
Les émanations des dioxydes de carbone CO2 proviennent de la combustion des hydrocarbures – que ce soit en voiture, dans la cuisine ou au sein d’une usine – et du dioxyde de carbone (CO2) est relâché dans l’atmosphère. L’accumulation du CO2 réchauffe notre planète. Il existe maintenant un consensus solide au sein de la communauté scientifique qui soutient que si la température moyenne mondiale augmente de plus de 2 degrés Celsius au cours du 21ème siècle, les changements du climat sur notre planète seront à grande échelle, irréversibles et catastrophiques. Le temps presse et les possibilités d’agir se réduisent !
Selon les sciences du climat, les scientifiques attestent que si l’humanité désire préserver une planète qui ressemble à la nôtre et où la civilisation s’est développée pour y vivre paisiblement, les niveaux de CO2 dans l’atmosphère doivent être réduits considérablement. Les niveaux actuels du CO2, estimés à 400 parties par million (ppm) doivent baisser au dessous de 350 ppm, bien que de nombreux experts soutiennent que tout niveau supérieur à 300 ppm est trop dangereux. Toute augmentation supplémentaire risque de déclencher des points de bascule climatiques comme la fonte du pergélisol (permafrost) et l’effondrement de la couche de glace du Groenland. Quand on atteindra un point de bascule (un seuil climatique), les émissions de carbone accéléreront le phénomène et le changement climatique pourrait échapper réellement à notre contrôle. Notre survie dépend de la décision de laisser 80% des réserves prouvées de combustibles fossiles dans le sol. Malheureusement, l’extraction de plus en plus forte des hydrocarbures fossiles et leurs transformations entrainent des rejets supplémentaires de deux ppm de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, chaque année.
Les dirigeants politiques du monde entier ainsi que leurs conseillers et les médias se réunissent chaque année pour une autre conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP). Mais en dépit de la menace globale, les gouvernements autorisent l’augmentation des émissions de carbone dans l’atmosphère et permettent à la crise de s’aggraver. Le pouvoir des multinationales a détourné ces pourparlers de leurs véritables objectifs en s’assurant de promouvoir davantage de fausses solutions, bien lucratives. Les nations industrialisées (l’Occident et la Chine) ne veulent pas assumer leur responsabilité alors que les puissances pétrolières comme l’Arabie saoudite essaient de manipuler le processus. Les pays développés du Sud, bien qu’ils constituent la majorité, peinent à provoquer un changement malgré tous les efforts vaillants de pays comme la Bolivie et les petits États insulaires.
La COP de Paris en décembre 2015 attirera beaucoup l’attention, mais nous savons, d’ores et déjà, que les dirigeants politiques ne permettront pas les réductions nécessaires afin d’assurer la survie de l’humanité. Il faudra que les structures des pouvoirs changent. L’action pour empêcher la crise climatique se tiendra dans un contexte parallèle à d’autres crises sociales.
La crise et la pression d’en bas
Le système sous lequel nous vivons connait une crise profonde qui génère plus de pauvreté, de guerres et de souffrances. La crise économique, qui a débuté en 2008, illustre parfaitement comment le capitalisme résout ses propres contradictions et échecs en dépossédant et punissant davantage la majorité. Plusieurs gouvernements ont sauvé les banques qui ont causé des ravages à l’échelle mondiale obligeant les plus pauvres à payer le prix fort. La crise alimentaire de 2008, ayant causé une famine et provoqué des émeutes dans le Sud, démontre quant à elle que notre système alimentaire est défaillant, car monopolisé par des multinationales qui ne cessent d’œuvrer pour maximiser leurs profits à travers une production exportatrice de monocultures, par l’accaparement des terres, la production des agro-carburants et la spéculation sur les produits alimentaires de base.
L’enrichissement d’une élite qui dicte ses choix et règles sur toute la planète suscite à maintes reprises des révoltes et des rebellions. La vague de soulèvements arabes de l’année 2011 a inspiré des milliards de gens à travers le monde, s’étendant de la Tunisie et l’Egypte aux indignés en Espagne et en Grèce, aux mobilisations étudiantes au Chili, au mouvement Occupy contre le 1%, aux révoltes en Turquie, au Brésil et au-delà. Chaque lutte est différente et liée à un contexte spécifique mais toutes furent un défi contre le pouvoir de cette élite et contre la violence d’un monde néolibéral.
Ceci est le contexte dans lequel nous sommes confrontés au changement climatique. La crise du climat est l’incarnation de l’exploitation capitaliste et impérialiste des peuples et de la planète. Laisser le choix des décisions, destinées à faire face au changement climatique, à cette élite insolente et immorale nous engagerait sur une voie vers la disparition de la planète. La lutte pour une justice climatique doit être profondément démocratique. Elle doit impliquer les communautés les plus touchées et doit être en mesure de répondre aux besoins vitaux de tous. Cette lutte est une démarche pour bâtir un futur où chacun de nous doit avoir suffisamment d’énergie et un environnement sain et sauvegardé pour les futures générations. Ce futur désiré serait en harmonie avec les demandes légitimes des soulèvements des populations en Afrique du Nord : souveraineté et dignité nationale, le pain, la liberté et la justice sociale.
Les politiques du climat dans le monde arabophone sont contrôlées par les riches et les puissants
Qui sont-ils ces participants à l’élaboration d’une réponse au changement climatique dans le monde arabophone ?
Des institutions comme la Banque mondiale, l’Agence allemande pour la coopération internationale (GIZ) ainsi que les agences de l’Union européenne s’expriment avec force et se font entendre en organisant des évènements et en publiant des rapports. Elles invoquent les dangers d’un monde réchauffé et soulignent la nécessité d’une action urgente avec plus d’énergies renouvelables propres et des plans d’adaptation. Etant donné le manque d’alternatives, elles semblent avoir des positions relativement radicales par rapport à la position des gouvernements locaux et particulièrement quand elles parlent des conséquences sur les pauvres.
Cependant, ces institutions sont alignées politiquement avec les puissants et leurs analyses du changement climatique n’intègrent pas les questions de classe, justice, pouvoir et histoire coloniale. Les solutions de la Banque mondiale sont axées sur le marché, sont néolibérales et adoptent une approche descendante (top-down). Elles redonnent le pouvoir à ceux qui possèdent déjà des fortunes sans s’attaquer aux causes profondes de la crise climatique. Au lieu de promouvoir les réductions nécessaires des émissions de gaz, elles offrent des permis pour des activités polluantes et des subventions aux multinationales et aux industries extractives.
La vision du futur défendue par la Banque mondiale, la GIZ et une grande partie de l’Union européenne est marquée par des économies conjuguées au profit privé et à des privatisations supplémentaires de l’eau, des terres et même de l’atmosphère. Aucune référence n’est faite à la responsabilité historique de l’Occident industrialisé dans la provocation du changement climatique. Un silence inquiétant est entretenu sur les crimes de compagnies pétrolières comme BP, Shell et Total ainsi que sur la dette écologique due aux pays du Sud. Les sociétés nord-africaines qui vivent dans des pays, où la démocratie est absente, continueront de souffrir de l’assujettissement à l’autoritarisme des élites et multinationales qui maintiendront le statu quo.
Le discours traitant ce sujet est très limité et extrêmement paralysant du fait que ces institutions néolibérales dominent la production du savoir sur les questions du changement climatique en Afrique du Nord. La majorité de la littérature et des écrits sur le changement climatique au Moyen-Orient et Afrique du Nord n’évoquent pas l’oppression ou la résistance des peuples. Il n’y a pas de place pour les peuples mais seulement pour les dirigeants et les experts autoproclamés. Le statu quo continuera de forcer les populations à se déplacer, de polluer les environnements et de mettre des vies en péril. Pour s’organiser et obtenir justice, il faudrait être capable de définir et de proclamer les problèmes actuels et leurs solutions.
Le vocabulaire de justice autour des questions climatiques
Comment peut-on combattre quelque chose si on n’est pas capable de la nommer et d’articuler ce qu’on désire à sa place ? Alors que la « justice environnementale » est en usage en arabe, la « justice climatique » ne l’est pas. Cette dénomination est largement utilisée en Amérique latine et dans les pays anglophones, mais elle sonne bizarre en arabe. Nous avons besoin de changer les systèmes énergétiques autour de nous. Pouvons nous alors parler de « justice énergétique » ou de « démocratie énergétique » ?
Il nous faudrait un vocabulaire pour parler de ces questions et pour décrire la vision d’un futur sain pour lequel nous lutterons. Simplement l’action d’importer des terminologies et des concepts d’autrui ne marchera pas et ne trouvera pas d’échos favorables de la part des populations, si ces concepts ne sont pas issus des racines et des coutumes locales. Cependant, il est important et utile d’échanger des idées et des expériences avec des mouvements qui militent ailleurs dans le monde et d’apprendre d’eux.
Ce livre évite de formuler des requêtes dans un cadre « sécuritaire » comme la « sécurité climatique » ou la « sécurité hydrique » ou bien la « sécurité alimentaire ». Un futur formulé autour de la « sécurité » soumettra nos luttes à un cadre conceptuel et imaginatif, qui, en fin de compte, renforcera le pouvoir répressif de l’État, axé sur la sécurisation et la militarisation (voire les extraits de l’article de la revue « The Lancet »).
Plusieurs articles dans ce livre réclament la justice climatique, la justice environnementale et la démocratie/justice énergétique. On ne trouve pas une seule définition pour chacun de ces concepts, ce qui ne diminue pas leurs valeurs pour autant. Dans ces articles :
● la « justice climatique » consiste généralement à reconnaitre la responsabilité historique de l’Occident industrialisé dans l’avènement du réchauffement climatique, et ne perd pas de vue les vulnérabilités disproportionnées dont souffrent quelques pays et communautés. Elle admet aussi le rôle du pouvoir dans la provocation du changement climatique ainsi que dans les choix de ceux qui porteront le fardeau. La réponse aux changements climatiques doit prendre en compte les questions de classe, de race, du genre, de l’histoire des dominations coloniales et l’exploitation capitaliste qui perdure. La justice climatique signifie une rupture avec le statu quo (business as usual) qui protège les élites politiques mondiales, les multinationales et les régimes militaires. Son objectif est d’instaurer une transformation sociale et écologique et un processus d’adaptation radicaux.
● la « justice environnementale » est généralement centrée autour des besoins des communautés, en obligeant le secteur des combustibles fossiles et autres larges industries à rendre des comptes, et en progressant vers une relation durable et harmonieuse avec la nature. Elle reconnait qu’on ne pourrait pas séparer les effets de la destruction de l’environnement de leur impact sur les peuples. Elle admet aussi que les communautés démunies sont exploitées dans l’intérêt des puissants.
● la « démocratie énergétique » et la « justice énergétique » signifient la construction d’un futur où l’énergie est distribuée équitablement, contrôlée et gérée démocratiquement. Les sources d’énergie et les systèmes de transmission doivent être en équilibre avec l’environnement et les besoins des futures générations.
Il revient au lecteur de voir si ces concepts sont pertinents et utiles en Afrique du Nord. Les descriptions élémentaires fournies ci-dessus ne sont nullement exhaustives et peuvent sûrement être enrichies par des expériences locales.
Les objectifs de cette publication
Le but de cette publication est d’introduire des perspectives nouvelles et libératrices, avancées par des intellectuels, activistes, politiciens, organisations et groupes de base progressistes et radicaux des pays du Sud. Nous avons choisi des essais, des entretiens et des déclarations dans lesquels les mouvements sociaux décrivent l’ennemi qu’ils combattent, la manière dont ils s’organisent et leurs revendications. Ils couvrent une large aire géographique, de l’Equateur jusqu’en Inde et de l’Afrique du Sud jusqu’aux Philippines. Nous avons aussi inclus six articles d’Afrique du Nord, qui concernent le Maroc, l’Algérie, l’Egypte et la région au sens large. Il est à espérer que ce livre contribue à l’économie politique naissante du changement climatique en Afrique du Nord, qui examinera les relations entre les industries des combustibles fossiles, les élites régionales et les capitaux internationaux.
Notre objectif comporte quatre volets :
1 Souligner l’urgence de la crise climatique en Afrique du Nord et insister sur la nécessité d’une analyse holistique et d’un changement structurel.
2 Souligner les dangers d’un environnementalisme (écologisme) restreint et contrecarrer le discours néolibéral dominant autour du changement climatique, un discours qui est encouragé et promu par la Banque mondiale et autres institutions néolibérales.
3 Soutenir la gauche en Afrique du Nord dans ses efforts pour articuler une réponse locale et démocratique face au changement climatique, une réponse qui intègre des analyses d’ordre politique, économique, social, écologique et de classe aussi. Etant donné les pressions de l’autoritarisme, de la répression massive et de la pauvreté généralisée, il est parfaitement compréhensible que la question du changement climatique n’ait fait l’objet que d’une attention limitée dans le passé par les mouvements sociaux en Afrique du Nord.
4 Donner de l’espoir inspiré des mouvements et luttes des pays du Sud, et réfuter l’affirmation selon laquelle il n’y a rien à faire. La crise climatique découle des actions et décisions humaines qui peuvent être changées.
Cette publication n’a pas la prétention de fournir toutes les réponses mais plutôt de soulever des questionnements et des défis. A quoi ressemble une réponse juste au changement climatique en Afrique du Nord ? Cela signifie-t-il une évacuation en masse et l’ouverture des frontières avec l’Europe ? Cela signifie-t-il le paiement de la dette écologique et une redistribution des richesses par les gouvernements européens, les multinationales et les riches élites locales ? Faudrait-il rompre radicalement avec le système capitaliste ? Qu’adviendra-t-il des ressources fossiles en Afrique du Nord, qui sont actuellement extraites en grande partie par les multinationales occidentales ? Qui devrait contrôler et posséder les énergies renouvelables ? Nous n’avons pas forcement cherché l’uniformité d’une position, et vous trouverez des perspectives différentes et mêmes contradictoires, mais à notre avis, elles offrent des points de départ pour des discussions importantes.
Le contenu
Section 1 : La violence du changement climatique
Le livre commence par une section qui souligne l’ampleur de la menace posée par le changement climatique. Les extraits de « Santé et pérennité écologique dans le monde arabe : Une question de survie » soutiennent que la survie des communautés entières dans le monde arabe est en jeu. Le discours actuel sur la santé, la population et le développement dans le monde arabe a largement échoué en omettant de communiquer la gravité et le sens de l’urgence. Dans l’article de Mika Minio-Paluello sur la violence du changement climatique en Egypte, elle révèle le niveau brutal de la destruction que risque ce pays. Elle souligne que la violence climatique, qui est une violence de classe, est façonnée de manière à ce que les démunis paieront le prix fort et porteront le fardeau au lieu des riches et fortunés. La survie, selon elle, dépendra d’une adaptation à la transformation qui approche, mais cette adaptation est un processus profondément politique qui pourrait signifier l’émancipation ou davantage d’oppression.
Dans l’article « Un million de mutineries », Sunita Narain démontre que nous ne sommes pas tous dans le même camp de lutte pour faire face au changement climatique. Alors que les riches veulent maintenir leurs modes de vie, il est impératif d’observer le changement climatique dans les visages des millions de gens qui ont perdu leurs maisons dans les ouragans et dans les mers dont les niveaux ne cessent de s’élever. Il convient clairement de garder à l’esprit que le sort des milliers qui ont péri suite à ces changements climatiques est attribuable aux riches qui ont échoué à réduire leurs émissions de gaz, dans leur poursuite de la croissance économique. Les solutions ne se trouvent pas dans les conférences des élites mais à travers de petites réponses à de grands problèmes qui viendraient de l’environnementalisme des mouvements des dépossédés. Pia Ranada, écrivant des Philippines, décrit un phénomène climatique extrême : le typhon qui a frappé récemment son pays. Elle soutient que les pays du Sud souffrent le plus du chaos climatique. Les pays développés qui ont brûlé une grande partie des combustibles fossiles et qui sont responsables des émissions de carbone qui en découlent, doivent indemniser les communautés et les pays touchés par le changement climatique, en leur payant une « dette écologique ».
Section 2 : Changer le système pas le climat.
La deuxième section pose trois questions : Quels sont les facteurs structurels qui contribuent au changement climatique ? Comment imaginons-nous un autre système différent du présent ? Est-il possible de reformer et améliorer les systèmes politiques et économiques actuels pour s’adapter au changement climatique ? Walden Bello, écrivant des Philippines, dans son article « Est ce que le capitalisme survivra au changement climatique ? », soutient que l’expansion du capitalisme a causé l’accélération de la combustion des carburants fossiles et une déforestation rapide, conduisant au réchauffement planétaire. Pour rompre avec cette trajectoire, il nous faudrait un modèle de développement équitable et à faible consommation et croissance, qui améliore le bien-être des populations et accroit le contrôle démocratique de la production. Naturellement, les élites des pays du Nord ainsi que des pays du Sud vont s’opposer à cette réponse globale. Bello estime que nous devrions considérer le changement climatique comme une menace pour notre survie mais aussi comme une opportunité pour engendrer les reformes sociales et économiques, longtemps reportées. Khadija Sharife examine dans son article « Les armes secrètes du changement climatique » comment les paradis fiscaux à l’étranger profitent aux sociétés pétrolières multinationales, aux politiciens corrompus et aux mécanismes du commerce du carbone. Tout cela au dépend des îles comme les Seychelles et les Maldives qui pourraient disparaître complètement avec la montée des niveaux des mers et océans.
Alberto Costa, un économiste équatorien et un ancien ministre de l’énergie et des mines, se focalise sur le mode extractiviste d’accumulation comme un mécanisme de pillage colonial et néocolonial. Plutôt que de bénéficier des ressources naturelles, les pays qui en sont riches ont fini par souffrir de plus de pauvreté, de chômage et de pollution, d’une faible agriculture et davantage de répression. Dans l’article « Le sol pas le pétrole », Vandana Shiva défie l’idée selon laquelle l’industrialisation est du progrès et remet en cause la valeur qu’on donne à la productivité et au rendement. Elle maintient que notre dépendance envers les combustibles fossiles a « fossilisé notre réflexion ». Shiva appelle à une transition culturelle faisant partie d’une transition énergétique pour arriver à une ère au-delà du pétrole. Dans un système qu’on appelle en anglais « Carbon Democracy », un système ancré dans la biodiversité, tous les êtres vivants auront leurs justes parts du carbone utile et nul ne sera accablé par une part injuste des retombées du changement climatique.
Malgré des décennies de négociations climatiques très médiatisées, les résultats sont un échec : le statu quo en dépit de la menace. Pablo Solon, qui était auparavant le négociateur en chef de la Bolivie sur la question climatique, décrit dans son article « Le changement climatique : Toute action n’est pas utile » comment les négociations climatiques officielles des Nations Unies ont été détournées par les multinationales, empêchant la prise d’actions nécessaires, afin de garantir les profits à venir. Il avance un plan de dix points pour les mouvements sociaux, qui consiste entre autres à la création d’emplois liés au climat, des mesures pour laisser 80% des combustibles fossiles dans le sol ainsi que soumettre le secteur énergétique au contrôle public et communautaire.
Section 3 : Attention aux « fausses solutions »
La troisième section examine comment ceux qui détiennent le pouvoir ont essayé de se servir de la crise climatique pour faire des profits et exacerber les inégalités en poussant à de fausses solutions. Dans l’article « Desertec : Accaparement des sources d’énergie renouvelable », Hamza Hamouchene plaide contre des projets solaires orientés à l’exportation qui placent les intérêts des consommateurs européens et des élites locales répressives au-dessus des intérêts des communautés locales. Il souligne la menace pour les sources d’eau et met Desertec dans le cadre d’un commerce international favorable aux entreprises et multinationales et dans le contexte d’une ruée pour plus d’influence et de ressources énergétique. L’article de Jawad. M sur le Maroc soulève des préoccupations sur la souveraineté nationale et le contrôle de l’énergie renouvelable par les multinationales. Jawad fait une critique du discours du « développement durable » , qui a été vidé de toute signification et a été assujetti aux marchés, et se prononce contre les partenariats publics privés.
Écrivant depuis l’Afrique du Sud, Khadija Sharife et Patrick Bond révèlent l’échec du commerce du carbone et du Mécanisme du Développement Propre (MDP) à réduire les émissions. Ils exposent la réalité d’un racisme environnemental et de fausses solutions, qui permettent aux compagnies riches de continuer à polluer pendant qu’elles s’assurent de plus grands profits. Le commerce du carbone est une supercherie qui amène beaucoup à croire qu’on pourrait contrecarrer le changement climatique sans un changement structurel. Nous devons reconnaitre que les mécanismes du marché ne réduiront pas suffisamment les émissions globales. Pablo Solon dans un article intitulé « À la croisée des chemins entre l’économie verte et les droits de la nature » nous prévient qu’il ne faut pas se fier à l’économie verte pour notre salut. En privatisant et en poussant la marchandisation de la nature, nous courrons à sa destruction et la nôtre avec. Solon avance spécifiquement une critique du programme de Réduction des Emissions imputables à la Déforestation et à la Dégradation des forêts (REDD) qui selon lui est une autre excuse des riches pour polluer la planète.
Section 4 : S’organiser pour survivre
La dernière section se consacre aux manières dont les peuples se mobilisent pour un avenir meilleur et différent. La révolutionnaire égyptienne Mahienour El-Massry nous décrit comment le changement climatique est en train de menacer Alexandrie, sa ville natale, et nous parle de ses expériences sur le Delta du Nil et son travail avec les communautés et ouvriers qui sont sur le point de mire du changement climatique et de l’exploitation des entreprises. L’entretien réalisé par Hamza Hamouchene avec Mehdi Bsikri, journaliste et militant algérien, explicite pourquoi des milliers d’Algériens ont protesté contre les plans de fracturations hydrauliques pour extraire du gaz de schiste dans le désert algérien, et décrit comment ils se sont mobilisés contre le gouvernement et les multinationales pétrolières. Un autre petit article d’Alberto Acosta sous le titre « Le défi de l’Équateur » développe le concept sud-américain des « droits de la Terre-Mère » comme un moyen de défendre les droits des communautés et futures générations ainsi qu’une remise en cause des privilèges des puissants afin d’assurer la survie.
Les mouvements sociaux à travers le monde ont reconnu que la menace du changement climatique transforme leurs luttes. La déclaration « Le changement climatique et la lutte de classes » du National Union of Metal Workers of South Africa (NUMSA – syndicat national sud-africain de la métallurgie) prend fermement position sur une juste transition vers une économie à faible émission de carbone qui est basée sur une propriété sociale, démocratique et contrôlée par les travailleurs. Le syndicat s’oppose à l’appropriation privée de la nature et considère que le changement climatique est une lutte majeure qui va unifier les classes ouvrières dans le monde entier. Pour eux, « nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre nos gouvernements » pour agir. La déclaration de Margarita, signée par plus de cent mouvements sociaux sur l’ile de Margarita au Venezuela en juillet 2014, engage à vivre en harmonie avec les écosystèmes de la terre et dans le respect des droits des futures générations à hériter d’une planète où la vie est possible. Elle appelle les mouvements à créer des fissures dans le système actuel qui n’est pas viable, à entreprendre des actions directes pour éradiquer les énergies sales et combattre les privatisations et l’agroalimentaire. Ce radicalisme et cette conscience progressiste de l’importance de l’environnement pour les humains étaient déjà présents dans les années 1970. Nous avons inclus un article par Aurélien Bernier à propos de la déclaration de Cocoyoc des Nations Unies en 1974, qui a formulé une critique radicale du « développement » , du « libre échange » et des relations Nord-Sud. Elle fut vite enterrée et effacée de l’histoire mais elle reste pour autant pertinente et demeure très urgente.
Les Nord-Africains dont les vies seront le plus changées, le plus sont les petits paysans sur le Delta du Nil, les pêcheurs de Djerba, les habitants d’Ain Salah et les millions qui vivent dans des habitations informelles au Caire, à Tunis et à Alger. Mais ils sont écartés et empêchés de construire leur avenir. C’est plutôt des régimes militaires avec leurs commanditaires au Riyad, Bruxelles et Washington qui formulent des plans climatiques et énergétiques. Les élites locales nanties collaborent avec les multinationales, la Banque mondiale et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Malgré toutes les promesses faites, les actions de ces institutions démontrent qu’elles sont les ennemies de la justice climatique et de la survie.
Le changement climatique est une menace mais aussi une opportunité pour instaurer les reformes sociales et économiques qui ont été longtemps différées, déraillées ou sabotées par des élites cherchant à préserver ou accroître leurs privilèges. Ce qui est différent aujourd’hui est que l’existence même de l’humanité et de la planète dépende du remplacement de systèmes économiques basés sur l’appropriation de la rente, sur l’accumulation capitaliste et l’exploitation de classes avec un système ancré sur la justice et l’égalité.
L’ampleur de la crise signifie qu’il nous faudrait rompre radicalement avec les structures existantes du pouvoir autoritaire et néolibéral. L’urgence laisse croire que nous manquons de temps pour changer le système, mais se fier à ceux qui nous gouvernent nous feraient faire deux pas en arrière pour chaque pas que nous faisons en avant. Nous devons nous inspirer plutôt des mouvements sociaux et des communautés en ligne de mire qui résistent et construisent des voies démocratiques afin de survivre dans un monde réchauffé.
Ceci sera la lutte globale qui marquera le 21ème siècle.
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Yémen. Quand les alliés saoudiens des Occidentaux font un carnage, on appelle ça une guerre. (CCR)
Selon un rapport des Nations Unies, depuis le début des bombardements de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite contre la rébellion houthiste en mars dernier, plus de 5700 personnes ont perdu la vie au Yémen. Le nombre de civils n’a pas été divulgué par l’ONU mais on parle de 830 femmes et enfants décédés. En octobre dernier Amnesty International estimait le nombre de morts à 4000, dont la moitié serait des civils. En tout cas, les ONG et organismes de défense des Droits de l’Homme s’accordent pour dire que les principaux responsables de ces vies perdues sont les pays de la coalition alliée des pays occidentaux.
On estime également que 21,2 millions de personnes (82% de la population totale) ont besoin d’assistance humanitaire ; 3 millions d’enfants et des femmes enceintes ou allaitant se trouvent dans une situation de malnutrition. Près de 2 millions d’enfants ne peuvent pas aller à l’école non plus depuis mars.
A cela il faudrait ajouter la pénurie de produits de base et d’aliments due en grande partie au blocus économique imposé par l’Arabie Saoudite.
Depuis la mi-mars, également, on a près de 9000 cas de violation des Droits de l’Homme. D’ailleurs, en septembre dernier les pays du Golfe ont bloqué la mise en place d’une enquête indépendante des Nation Unies à ce propos.
Les puissances impérialistes sont responsables et complices de ce drame qu’est en train de vivre le peuple yéménite. Non seulement elles soutiennent leur allié saoudien, qui intervient pour essayer d’éviter la progression des Houtistes chiites alliés de l’Iran, mais elles arment le royaume saoudien.
En effet, lors de bombardements délibérés contre des populations civiles, Amnesty International affirme avoir trouvé des bombes de type MK 80, fabriquées par l’entreprise états-unienne General Dynamics. Amnesty accuse aussi la coalition menée par l’Arabie Saoudite d’utiliser des bombes à sous-munitions, également fabriquées par une firme états-unienne, Aerojet et Honeywell. Il faut rappeler que l’utilisation des armes à sous-munitions est interdite par une convention de l’ONU depuis 2010.
Parmi les principaux fournisseurs d’armements à l’Arabie Saoudite et ses alliés on trouve les Etats-Unis, l’Allemagne, la Grande-Bretagne mais aussi la France, comme le « voyage d’affaires » de la mi-octobre de Valls dans la région pour vendre le savoir-faire belliciste français le démontre.
Alors que les dirigeants des différentes puissances impérialistes ont exprimé leur indignation hypocrite face aux attentats de Paris la semaine dernière, au Yémen il ne s’agit pas simplement du connu « deux poids, deux mesures » face à la mort de civils dans des pays dominés par l’impérialisme, mais de la complicité explicite avec les bourreaux du peuple.
Si nous dénonçons la responsabilité du gouvernement français avec ses guerres qui sont la source du terrorisme islamiste qui a débouché sur l’assassinat de dizaines de personnes à Paris, nous affirmons qu’en Syrie, au Mali, en Centrafrique, en Libye et au Yémen ce sont aussi avec « nos morts » qu’ils sont en train de payer « leurs guerres ». Philippe Alcoy
http://www.revolutionpermanente.fr/Yemen-les-allies-saoudiens-des-Occidentaux-font-un-carnage
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Syrie (Jeunes du NPA)
Derrière les bombes françaises, les profits de Total et de Dassault
Hollande n’aura pas attendu longtemps après le 13 novembre pour annoncer le renforce- ment des interventions militaires de la France en Syrie. Il justifie l’intensification des frappes aériennes au nom de la lutte contre le terrorisme et l’État islamique. Mais ces interventions n’ont en réalité qu’un seul but : défendre les intérêts économiques des grandes entreprises françaises dans la région. La guerre, c’est un sacré business pour les capitalistes !
Contrôler l’or noir Les hydrocarbures (gaz et pétrole) représentent le premier secteur d’in- vestissement étranger en Syrie. Total est fortement implanté dans le pays depuis 1988, mais a dû cesser son activité en 2011, à cause de l’instabilité causée par la révolte du peuple syrien face au régime d’Al-Assad. En plus des réserves gigantesques dans le sous-sol syrien (2,5 milliards de barils), les industriels du pétrole ambitionnent de faire de la Syrie une plaque tournante du commerce de gaz et de pétrole au Moyen-Orient.
C’est pour garantir les intérêts de son géant pétrolier dans la région que l’État français intervient en Syrie depuis septembre 2015. Hollande n’a rien à faire du peuple syrien. Alors que ce dernier lutte depuis février 2011 contre le régime de Bachar al-Assad, Hollande a finalement décidé de faire de ce tyran son nouvel allié dans la région. C’est qu’entre 2011 et 2014, les pertes dans le secteur des hydrocarbures de Syrie se sont élevées à près de 16 milliards d’euros, et que pour Total cela n’a que trop duré.
Pour rétablir la pompe à profits dans la région, les capitalistes et les États à leur service sont prêts à tisser des alliances avec des régimes plus pourris les uns que les autres. Com- me c’est le cas depuis des décennies avec l’Arabie saoudite, qui impose à sa population des lois équivalentes à ce que tente d’imposer l’État islamique en Irak et en Syrie.
Tuer plus pour gagner plus Le chaos et la misère au Moyen-Orient, ça rapporte gros ! En 2015, les industriels français de l’armement terrestre, aérien et maritime ont multiplié les contrats au Moyen-Orient, notamment avec l’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar : pas moins de 17 milliards d’euros de contrats (deux fois plus qu’en 2014). Dassault est actuel- lement en négociations avec les Émirats arabes unis pour un nouveau contrat d’une soix- antaine d’appareils, pour quelques 12 milliards d’euros…
Les industriels français n’ont jamais autant vendu d’armes que durant l’année 2015, et la France est même devenue le deuxième exportateur mondial après les États-Unis.
Airbus, Dassault, DCNS (marine), MBDA (missiles), Thalès, Total : les grands patrons français se font leur beurre sur le dos des populations du Moyen-Orient qu’ils réduisent à la misère. Et l’État français répond toujours présent pour les servir. Leurs guerres ne sont aucunement la solution à l’horreur que constitue l’État islamique, elles en sont même une cause profonde. Face à cela, exigeons l’arrêt immédiat des opérations militaires en Syrie, et l’ouverture des frontières pour accueillir les populations victimes de Daesh !20 novembre 2015 Secrétariat jeune NPA
http://www.anti-k.org/syrie-derriere-les-bombes-les-profits-de-total-et-de-dassault
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L’Arabie saoudite, un Daesh qui a réussi: notre allié (Anti-k)
Lors de chaque visite d’un "dignitaire" français, la timide interpellation de la presse concernant le non respect des droits de l’homme et de la femme est un « marronnier » qui n’affecte pas les applaudissements à propos des ventes d’armes et autres marchés conclus avec cette dictature odieuse. Peut-on faire la « guerre » à Daech tout en embrassant Salmane ben Abdelaziz Al Saoud (80 ans) qui le soutient par toutes sortes de filières et qui constitue sa base idéologique. Ces faits sont bien connus sauf des ignorants volontaires. Les saoudiens impliqués dans le attentats de 11 septembre avec ses 2977 victimes n’ont pas infléchi la politique américaine à leur égard, alors les morts du Bataclan !
Daesh noir, Daesh blanc. Le premier égorge, tue, lapide, coupe les mains, détruit le patrimoine de l’humanité, et déteste l’archéologie, la femme et l’étranger non musulman. Le second est mieux habillé et plus propre, mais il fait la même chose. L’Etat islamique et l’Arabie saoudite. Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre. Mécanique du déni, et de son prix. On veut sauver la fameuse alliance stratégique avec l’Arabie saoudite tout en oubliant que ce royaume repose sur une autre alliance, avec un clergé religieux qui produit, rend légitime, répand, prêche et défend le wahhabisme, islamisme ultra-puritain dont se nourrit Daesh.
Le wahhabisme, radicalisme messianique né au 18ème siècle, a l’idée de restaurer un califat fantasmé autour d’un désert, un livre sacré et deux lieux saints, la Mecque et Médine. C’est un puritanisme né dans le massacre et le sang, qui se traduit aujourd’hui par un lien surréaliste à la femme, une interdiction pour les non-musulmans d’entrer dans le territoire sacré, une loi religieuse rigoriste, et puis aussi un rapport maladif à l’image et à la représentation et donc l’art, ainsi que le corps, la nudité et la liberté. L’Arabie saoudite est un Daesh qui a réussi.
Le déni de l’Occident face à ce pays est frappant: on salue cette théocratie comme un allié et on fait mine de ne pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste. Les nouvelles générations extrémistes du monde dit « arabe » ne sont pas nées djihadistes. Elles ont été biberonnées par la Fatwa Valley, espèce de Vatican islamiste avec une vaste industrie produisant théologiens, lois religieuses, livres et politiques éditoriales et médiatiques agressives.
On pourrait contrecarrer : Mais l’Arabie saoudite n’est-elle pas elle-même une cible potentielle de Daesh ? Si, mais insister sur ce point serait négliger le poids des liens entre la famille régnante et le clergé religieux qui assure sa stabilité — et aussi, de plus en plus, sa précarité. Le piège est total pour cette famille royale fragilisée par des règles de succession accentuant le renouvellement et qui se raccroche donc à une alliance ancestrale entre roi et prêcheur. Le clergé saoudien produit l’islamisme qui menace le pays mais qui assure aussi la légitimité du régime.
Il faut vivre dans le monde musulman pour comprendre l’immense pouvoir de transformation des chaines TV religieuses sur la société par le biais de ses maillons faibles : les ménages, les femmes, les milieux ruraux. La culture islamiste est aujourd’hui généralisée dans beaucoup de pays — Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Mali, Mauritanie. On y retrouve des milliers de journaux et des chaines de télévision islamistes (comme Echourouk et Iqra), ainsi que des clergés qui imposent leur vision unique du monde, de la tradition et des vêtements à la fois dans l’espace public, sur les textes de lois et sur les rites d’une société qu’ils considèrent comme contaminée.
Il faut lire certains journaux islamistes et leurs réactions aux attaques de Paris. On y parle de l’Occident comme site de « pays impies »; les attentats sont la conséquence d’attaques contre l’Islam ; les musulmans et les arabes sont devenus les ennemis des laïcs et des juifs. On y joue sur l’affect de la question palestinienne, le viol de l’Irak et le souvenir du trauma colonial pour emballer les masses avec un discours messianique. Alors que ce discours impose son signifiant aux espaces sociaux, en haut, les pouvoirs politiques présentent leurs condoléances à la France et dénoncent un crime contre l’humanité. Une situation de schizophrénie totale, parallèle au déni de l’Occident face à l’Arabie Saoudite.
Ceci laisse sceptique sur les déclarations tonitruantes des démocraties occidentales quant à la nécessité de lutter contre le terrorisme. Cette soi-disant guerre est myope car elle s’attaque à l’effet plutôt qu’à la cause. Daesh étant une culture avant d’être une milice, comment empêcher les générations futures de basculer dans le djihadisme alors qu’on n’a pas épuisé l’effet de la Fatwa Valley, de ses clergés, de sa culture et de son immense industrie éditoriale?
Guérir le mal serait donc simple ? A peine. Le Daesh blanc de l’Arabie Saoudite reste un allié de l’Occident dans le jeu des échiquiers au Moyen-Orient. On le préfère à l’Iran, ce Daesh gris. Ceci est un piège, et il aboutit par le déni à un équilibre illusoire : On dénonce le djihadisme comme le mal du siècle mais on ne s’attarde pas sur ce qui l’a créé et le soutient. Cela permet de sauver la face, mais pas les vies.
Daesh a une mère : l’invasion de l’Irak. Mais il a aussi un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique. Si l’intervention occidentale a donné des raisons aux désespérés dans le monde arabe, le royaume saoudien leur a donné croyances et convictions. Si on ne comprend pas cela, on perd la guerre même si on gagne des batailles. On tuera des djihadistes mais ils renaîtront dans de prochaines générations, et nourris des mêmes livres.
Les attaques à Paris remettent sur le comptoir cette contradiction. Mais comme après le 11 septembre, nous risquons de l’effacer des analyses et des consciences.
Kamal Daoud, chroniqueur au Quotidien d’Oran, est l’auteur de “Meursault, contre-enquête.”
By KAMEL DAOUDNOV. 20, 2015
http://www.anti-k.org/2015/11/21/larabie-saoudite-un-daesh-qui-a-reussi-notre-allie/